1889. Un état du discours social

Chapitre 34. L'anticléricalisme

Table des matières

L'histoire de la Troisième République est scandée par les affrontements avec les catholiques et les mesures législatives de combat. Les catholiques, enfermés dans les principes du Syllabus de 1864 (« complétés » par le dogme de l'infaillibilité pontificale, de 1870), sont en lutte ouverte avec la République et tout ce qu'elle incarne : ils sont et se veulent la réaction. Contre eux, la République a d'abord entamé la bataille des « congrégations non autorisées » (« article 7 ») en 1879-1881. L'administration s'est lancée dans un mouvement continu d'expulsion des congréganistes et de laïcisation des écoles et des hôpitaux. D'autres épisodes sont encore frais aux esprits, comme la suppression des crucifix dans les écoles (1882).

1889 voit l'achèvement de ce processus initial de répression législative avec la foi prévoyant le paiement des seuls instituteurs laïcs d'une part, et de l'autre, la loi militaire du 15 juillet qui appelle les séminaristes au service obligatoire aux applaudissements de l'extrême‑gauche (« les curés, sac au dos »). La justice républicaine, à l'invitation de l'exécutif, poursuit les prêtres coupables d'ingérence dans la campagne électorale (circulaire du Ministre Thévenet le 6.IX), tandis que l'administration des cultes suspend impitoyablement le casuel des curés qui prononcent des sermons trop évidemment hostiles au pouvoir. L'« ingérence du clergé » est l'argument par excellence des débats d'invalidation qui suivent les législatives1.

Laïcité et anticléricalisme

Définir l'anticléricalisme comme ligne politique de gouvernement est chose aisée. Il consiste à prendre les mesures requises pour s'opposer aux prétentions des Églises, – principalement du catholicisme romain, – « chaque fois qu'est franchie la frontière invisible mais décisive qui sépare l'expression légitime du fait religieux des terrains où il n'a que faire »2.

À cet égard, la lutte de la Troisième République contre les prétentions de l'Église à régenter la politique, à contrôler l'enseignement, à « dire le droit » sur certains aspects de la vie privée (mariage) ou publique (repos dominical) serait fondée dans une doctrine qu'on nomme laïcité et dont la face combattive sera l'anticléricalisme, doctrine et combat qui auraient été le propre de tous les républicains, un élément constant de leur programme et du reste un des grands héritages de 1789. Cependant, l'anticléricalisme comme idéologie de combat n'est pas cela : ce n'est pas ce seul énoncé « rationnel » de modernisation démocratique. Loin d'être partagée par tous les républicains, l'idéologie anticléricale est le propre de la seule extrême‑gauche radicale (s'étendant à la propagande socialiste). Les principes jacobins et laïcs sont certes inextricablement liés et s'expriment dans une « philosophie » officielle, issue de Comte et de Littré, principes cependant compatibles avec le spiritualisme de Victor Cousin dont le tardif représentant, penseur du républicanisme antimatérialiste et conservateur, est Jules Simon ; principes compatibles encore avec la philosophie dominant l'appareil universitaire, le personnalisme kantien incarné par un Renouvier.

Les sources doctrinales de la pensée laïque sont du reste diverses : il y a Hugo, Michelet et Quinet ; il y a Spencer et Taine ; il y a l'influence même du « laïcisme » des protestants si présents dans l'appareil d'État républicain ; il y a enfin des doctrinaires de l'extrême‑gauche, réclamés à la fois par les socialistes et par les républicains de la « grande tradition », comme Louis Blanc ou Auguste Blanqui.

L'anticléricalisme comme sociomachie

Il existe des formes « douces » d'expression de la laïcité, refusant le « sectarisme », se limitant à la volonté de préserver l'État des empiètements confessionnels, mais proclamant son respect de l'Église, de la révélation, des dogmes. Le mot de laïcité est un de ces mots‑valeurs très malléables dont les sens multiples font un fétiche commun préservant un minimum de bonne entente parmi les républicains de tous bords.

Distinct de l'esprit laïque et rationaliste qui s'exprime donc en des énoncés très variés, certains fort modérés et euphémisés, dans tout le champ républicain, du centre‑gauche aux radicaux‑socialistes, l'anticléricalisme se caractérise comme une idéologie « totale », une sociomachie, identifiant une force mauvaise contre laquelle il appelle à une lutte sans quartier, idéologie qui se prolonge en une narration de l'histoire où le rôle malfaisant de l'Église, sa résistance obstinée à la raison, à la science, aux idées de liberté et de justice sont systématiquement exposés. Cet anticléricalisme comme « doctrine de haine » (nous reviendrons sur cette expression de Leroy‑Beaulieu) est évidemment construit comme un héritage essentiel de 1789 ; la dynamique des anticléricaux revient à pousser la République toujours plus loin « dans la voie de sécularisation où la Révolution française nous a engagés »3. Cette dynamique est concomitante au renforcement du caractère intransigeant de l'Église romaine, à l'antimodernisme, antipositivisme, antidémocratisme, antirationalisme, antirépublicanisme du discours catholique.

À cet égard, ce que nous appellerons désormais l'anticléricalisme au sens strict est inséparable de l'irréligion affichée et du « matérialisme ». Par une évolution notable du mot « libre pensée », celui‑ci ne dénote plus le seul principe de « liberté de conscience », base de la fraternité maçonnique, « les principes de tolérance » qui admettent une religiosité individuelle loin des dogmes et des Églises, une « religion naturelle », un déisme républicain dont le prophète a été Jules Simon. Le sens dominant de « libre pensée », c'est désormais celui de reconnaissance de la « seule autorité » de la Raison et de la Science, et de lutte active contre toute pensée et activité spiritualistes ou religieuses. Pour l'extrême‑gauche, « libre pensée » veut dire « saper la religion » et « supprimer les curés ». Le discours peut être ambigu : son objet d'attaque apparent c'est le cléricalisme comme abus de la religion ; son objet réel, cela s'entend, c'est « la France religieuse » qu'il convient d'anéantir tout entière.

Il est vrai que des déistes rationalistes continuent à s'exprimer ici et là, qui veulent sous couvert de libre pensée promouvoir une religion sans dogme, compatible avec la laïcité républicaine. Anticatholiques, ils prétendent sauver l'« essentiel » du christianisme en affirmant la certitude d'« une Existence immatérielle planant dans des régions sublimes, nous appelant et nous attirant à elle, en nous faisant gravir tous les degrés du perfectionnement moral »4. Cette « libre pensée »‑là, cette métaphysique traditionnelle à demi rationalisée n'est plus ce dont débat le « Congrès universel des libres penseurs » (15 au 22 juillet), même s'il fait place à des kantiens et des spiritualistes. La libre pensée, dans son interprétation dominante, voit le fait religieux comme un facteur de régression et d'abêtissement, comme irrévocablement hostile à la raison et néfaste au progrès.

Synonyme d'anticléricalisme en fin de compte, la libre pensée conduit à la haine du clergé, – fanatique, hypocrite, débauché, – une haine qui s'étend « viscéralement » à tout ce qui identifie le prêtre, la calotte, la soutane, etc. Les groupements anticléricaux n'utilisent jamais cet adjectif, mais s'identifient comme libres penseurs : « Union des libres penseurs socialistes et lyriques de Boulogne s.‑Seine », par exemple.

Il n'est pas nécessaire de développer ici le constat que cette irréligion militante n'est pas elle‑même dépourvue de religiosité : la « religion patriotique » et la « religion de la science » sont, jusque dans le vocabulaire et les rituels discursifs, des substituts laïcs aux dogmes traditionnels.

Conjoncture : l'offre de « paix religieuse »

À travers l'histoire du régime jusqu'à la Première Guerre mondiale, l'anticléricalisme a pu être, selon l'expression de Thibaudet, « la pierre de touche à connaître le bon, le vrai républicain »5. Cependant pour l'époque qui nous occupe, le plus grand nombre des républicains, des modérés aux opportunistes, considère une certaine forme militante de lutte contre les cléricaux, propre à la gauche radicale, comme fâcheuse et encombrante. Elle parle d'« apaisement », de « paix religieuse ». Tout en ménageant les radicaux et leurs grands principes, cette majorité républicaine fait tout pour se débarrasser des formules extrêmes, pour tendre la main à la droite, laquelle se refuse à répondre à ses avances.

C'est Jules Ferry lui‑même qui, dans un discours hué par les réactionnaires et par les radicaux, vient offrir la « paix religieuse » tout en persistant à « défendre l'œuvre scolaire de la République ». La droite lui répond avec mépris : « Il y a des hommes de qui nous pourrions accepter des avances ! De vous jamais ! », tandis que l'extrême‑gauche par la voix de Clemenceau crie à la trahison, clame qu'il n'est d'autre « condition de paix » que « la suprématie complète du pouvoir civil sur l'Église catholique »6.

Seule l'extrême‑gauche réaffirme ainsi avec netteté, contre ses alliés modérés et opportunistes, les grands principes de la « laïcité ». La majorité des républicains semble à la fois incapable de se débarrasser des intransigeants du radicalisme et pourtant de tout cœur désireuse d'explorer une alliance au centre, en temporisant, en n'appliquant pas rigoureusement les lois de laïcisation. D'autant que les boulangistes à leur tour accumulent du capital politique avec leur slogan de « république ouverte et nationale » laquelle ferait l'union sacrée sur un programme patriotique comprenant l'apaisement scolaire et religieux. Boulanger, approuvé par le modéré Constitutionnel, a eu en ceci « le flair perspicace de l'inclination populaire » (29 mars ; 1). Les républicains « de gouvernement » ne peuvent se permettre de s'aliéner le radicalisme, même si les radicaux n'ont plus qu'un membre dans le cabinet Tirard (il s'agit d'Yves Guyot) : il leur faut assurer la « concentration républicaine ». L'hétérogène parti au pouvoir est cependant composé d'une majorité avide d'ordre social, de calme politique, une majorité qui rêve d'une Église qui ne serait pas irrémédiablement hostile au régime et serait un facteur de stabilité et d'une minorité, trublionne et agressive, qui ne cesse d'agiter l'anticléricalisme pour compromettre ses alliés et tirer à gauche.

« Paix religieuse » et « paix sociale »

1889 forme donc une conjoncture où des idées de compromis nécessaires et de retour à l'ordre et au calme fusent de partout. Concilier l'ordre religieux et social et les principes républicains, pense‑t‑on au centre, quelle heureuse formule, quoique encore chimérique :

Je réponds aux adversaires de la Révolution : vous n'arrêterez pas l'essor de la pensée ; et aux adversaires de l'Église : vous ne comprimerez pas l'expansion de la conscience7.

Le Constitutionnel, le plus conservateur des journaux républicains, déclare que « le cléricalisme, c'est encore une idole de mots » : la France ne peut traiter en ennemie l'Église si celle‑ci voulait respecter à son tour le régime. La « paix religieuse », c'est la ligne politique même du Journal des Débats8. Partout dans la classe régnante, on parle donc d'apaisement, de conciliation à quoi répondra de Rome en 1890 l'invitation au « ralliement ».

Le centre‑gauche voit bien que le problème ne vient pas tant de l'intransigeance de l'Église que de ses encombrants alliés radicaux qui ne cessent de prêcher la croisade anti‑religieuse en un moment bien inopportun. Comme on ne peut se les aliéner, on leur donne des os à ronger, la statue d'Étienne Dolet, quelques laïcisations d'hôpitaux, le service militaire des séminaristes... Des esprits pondérés crient au casse‑cou : ces « concessions » continues déstabilisent le régime et expliquent notamment la montée du boulangisme (discours de Challemel‑Lacour au Sénat le 30 décembre 1888). C'est admettre que la droite avait raison qui ne cessait de dire au pouvoir : « ce sont les radicaux qui ont promis et c'est vous qui avez tenu [...] La guerre religieuse a été le ciment de votre union »9.

Le grand idéologue du centre‑gauche, Joseph Reinach n'hésite plus à traiter les radicaux, ses alliés, d'imbéciles et de sectaires. « On sait, rappelle‑t‑il, le mal qu'a fait à la République la politique de capitulation à jet continu devant les sommations de l'intransigeance »10. Les penseurs de la grande bourgeoisie dénoncent les « passions antisociales et spéculations chimériques » des radicaux comme facteurs de désordre et dangers pour la nation. L'anticléricalisme de la gauche, c'est l'idéal républicain, mais « pitoyablement travesti » et ce sera la « honte du XIXe siècle » que de l'avoir laissé agir, accuse la Paix sociale11.

La formule qui met d'accord ces esprits avides de pacification est celle des « laïcisations à outrance » ; il fallait laïciser, mais la gauche a tout exagéré. Elle a chassé les petites sœurs des hôpitaux, ces religieuses dévouées « dont les libres‑penseurs mêmes réclament les soins »12. Et qui paye cette politique fanatique, demande Maurice Barrès ? « Naturellement, le contribuable ! »13. Quant aux laïcisations scolaires, on a aussi été trop loin. Elles ont « ruiné un fort grand nombre de communes ». L'enseignement laïc obligatoire bafoue le « droit du père de famille ». L'instruction obligatoire crée des déclassés, des détraqués, et fait croître le nombre des « jeunes criminels ». « Toute cette jeunesse qui pille et qui assassine avant même de voter a passé dans des classes dont on a décroché les crucifix »14.

En dehors du champ politique même, on entend plus que jamais s'exprimer l'idée que la religion est nécessaire à la société, que la croyance en Dieu est le seul moyen de maintenir l'ordre. Comme le répète Georges Ohnet dans son Docteur Rameau, « si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer ». La génération des vieux républicains regorge d'idéologues spiritualistes qui, comme A. Franck, Frédéric Passy et Jules Simon, sont unis dans la « Ligue nationale contre l'athéisme » (dont la revue s'intitule la Paix sociale). On y fustige les athées qui ne relèvent que de « trois genres : 1. l'esprit malade, 2. le fanfaron, 3. le cupide »15. Cette expression de « paix sociale » vient de la sociologie de Le Play, lequel influence grandement les esprits pondérés et conservateurs. Sans doute, un certain anticléricalisme athée reste très actif chez les médecins et dans d'autres milieux scientifiques. Mais divers savants « prouvent » que la religiosité est un « besoin psychologique » des humains, que l'athéisme n'a existé dans aucun groupe humain, à aucune époque, que « l'homme a en lui la notion du surnaturel » et ne peut s'en défaire16. L'athée se dérobe à l'humanité :

L'homme sans Dieu n'a plus le grand et puissant caractère de l'humanité. Cette vie sans l'autre vie reste une énigme17.

Les philosophes officiels sont divisés : J.‑M. Guyau a pu proclamer en 1886 « l'irréligion de l'avenir ». À la même époque, Ravaisson a prédit et approuvé un retour imminent à la religion. Des positivistes comme Coste (Nouvel exposé d'économie politique)admettent ambigument la survivance indéfinie d'une « symbolique » transcendante, concomitante avec le progrès vers la libération et l'unification des esprits. Peut‑il y avoir d'ailleurs une « morale matérialiste » ? C'est un non‑sens « anormal et monstrueux » ; d'où se déduit « la nécessité de faire de l'idée religieuse la base fondamentale de l'éducation morale »18. On concède que les cléricaux sont devenus « des ennemis du progrès social ». Fallait‑il pour cela créer une école « sans l'idée de Dieu », alors que cela revenait à « une éducation sans notion de responsabilité » ?19. Le Constitutionnel (et d'autres journaux) déplore que le Conseil de Paris, radical, veuille au nom d'une laïcité mal comprise poursuivre dans les manuels scolaires « les derniers vestiges de spiritualisme ». C'est rencontrer un thème polémique de la droite : les laïcisateurs ne souhaitent pas que leurs propres enfants soient les libres penseurs qu'ils prétendent être :

– Messieurs, lorsque vous êtes rentrés chez vous, vous demandez à vos enfants de croire en Dieu, de respecter quelque chose, afin qu'ils vous respectent vous‑mêmes... (Protestations à gauche)20.

La droite va répétant que la religion est la base des États, l'arôme qui empêche les sociétés de se corrompre. Beaucoup d'esprits libéraux en restent convaincus : les États‑Unis sont une république, mais qui, elle, a su voir que la religion est la « précieuse sauvegarde de l'ordre social »21. Le Constitutionnel déplore que les républicains croient devoir bannir le nom de Dieu de leurs discours officiels : « cette exclusion systématique de tout idéal dans le discours gouvernemental rend l'éloquence bien froide et bien morne »22. Le Marquis de Castellane, rallié à la République, montre les « effets bienfaisants » d'une religion pour le peuple – « l'aide que sa doctrine apporte aux détenteurs du pouvoir ». On voit refleurir ici le thème fort ancien de la « religion pour le peuple », et même, dans la bouche d'un ardent positiviste comme Coste (« Il est fort douteux que les enfants, les femmes, le peuple puissent se passer d'un symbolisme concret »23. « La décadence des nations marchant de pair avec le dépérissement des croyances religieuses »), la nécessité de favoriser la religion plutôt que la persécuter s'impose aux gens de bons sens24.

À la périphérie de cette thématique de « paix religieuse » et de retour nécessaire à la croyance traditionnelle, toutes sortes d'autres « retours » peuvent se percevoir. Quand on ne dit plus « religion », on peut encore parler d'« idéal », de « spiritualité », de « divinité » même... De « l'Apostolat positiviste » au néo‑mysticisme d'un Schuré (Les Grands initiés) en passant par les théosophes, les bouddhistes du Lotus, on voit se formuler en divers lieux « une forme nouvelle de métaphysique religieuse, basée à la fois sur la science et la conscience ». On voit chercher à tâtons une quelconque « religion de l'avenir » qui, surmontant la décrépitude morale du christianisme, offrirait une métaphysique digne d'esprits modernes et distingués !

Extension de la propagande anticléricale

C'est donc dans une conjoncture proprement « réactionnaire » que les fidèles de l'anticléricalisme de combat continuent à se mobiliser. Si nous voulons mesurer l'extension et décrire les supports discursifs de cette idéologie, il faut penser d'abord à une doxa orale populaire qui est profondément implantée (quoique avec de grandes disparités régionales) dans toute la France. Un ressentiment des paysans et du peuple urbain contre « les curés » s'y exprime, et des mauvais souvenirs s'y conservent transmis par les vieux dans les villages. On y dénonce la paresse des « frocards », l'âpreté des desservants dans la perception des tarifs religieux. L'association des prêtres avec les classes exploiteuses est vivement ressentie. Une grande part de l'hostilité semble venir de la condamnation par les confesseurs de l'« onanisme conjugal », cas type où le curé est censé mettre son nez dans des questions qui ne le regardent pas. Les prêtres fulminent contre les plaisirs et les bals, ils dénoncent certaines superstitions auxquelles les populations sont attachées. À tous les égards, on peut sentir le divorce entre l'action du clergé et l'esprit des masses. L'anticléricalisme marche bien dans les classes qui se sentent humiliées, exploitées, mais cependant conscientes de possibilités d'émancipation et de progrès individuels, qui les associent à la classe régnante.

C'est sur cette base doxique orale que travaille la presse radicale de masse. Le Petit Parisien, malgré sa modération apparente, entretient un anticléricalisme insidieux qui opère par petites touches. Des journaux comme La Justice de Clemenceau et Pelletan, le Radical de Révillon, Maret et Lacroix consacrent une large part de leurs colonnes à « manger du curé » ; il en va de même de La Bataille de l'ancien communard Lissagaray, enrôlé dans l'antiboulangisme.

Un seul quotidien fait de la haine des prêtres son thème unique, c'est la Lanterne, « feuille de M. le Juif [E.] Mayer », dit la droite. La Lanterne regorge des récits vengeurs de querelles de village qui montrent la résistance aux « ratichons » comme l'affaire quotidienne de tous les Clochemerle de France :

Hier le curé a refusé non seulement de procéder à l'enterrement [d'un suicidé] mais de laisser creuser la fosse à la suite des autres. Néanmoins le garde champêtre de Solérieux ne s'est pas laissé intimider par l'homme noir, même lorsque le doux pasteur lui a dit : « Vous irez en enfer ! »
Ce qui lui a valu une verte réplique.
Finalement le tonsuré intolérant a rentré sa langue et force est restée à la loi25

Un autre quotidien, fort bizarre, mérite d'être mentionné. Il s'agit de La Civilisation (1878‑...) feuille ultra‑républicaine anticléricale rédigée par (et pour) des prêtres gallicans ! On pourrait croire à une mystification tant ces données jurent ensemble. Cependant, le journal paraît régulièrement, bien rédigé, avec des contributions informées sur la vie de l'Église ; il a la collaboration du curieux Abbé Roca connu par ailleurs comme spiritiste et ultra‑républicain mystique. Aucune donnée sur l'origine de ce journal n'a pu être recueillie. La feuille est vouée à la haine des « cléricaux » – « faux persécutés » – de l'union de « la cagoule, la crosse et l'agio », haine du pape, des jésuites, des ultramontains ; on peut y trouver de nombreuses nouvelles sur la vie religieuse, traitées avec un mépris haineux pour la hiérarchie.

Des petits périodiques de libre pensée se joignent à cette presse quotidienne, le Danton, le Journal du peuple et (mais ceux‑ci sont des mystiques sans prêtres, ni dogmes, ni miracles) la Religion laïque et universelle. Joignons‑y la presse maçonnique proprement dite, celle du moins qui émane du Grand Orient : la Truelle, le Bulletin du Grand‑Orient de France.

Il y a enfin une propagande par brochures. Prenons‑en une : les Mensonges des Prêtres par Ph.‑François Roret, député de la Haute‑Marne. Ce petit pamphlet s'annonce écrit « en haine des éternels exploiteurs de la crédulité des peuples ». Il développe, comme tous ses pareils, une réfutation systématique des idées théologiques et une dénonciation parallèle de la malfaisance des « curés ». Il se sert largement des textes sacrés pour en faire paraître les variations et contradictions. Il « prouve » l'inexistence de Dieu par les misères de l'humanité (Dieu étant « parfait » par hypothèse) et l'infâmie des prêtres. Il ne recule pas devant la grosse plaisanterie, volontiers libertine ou scatologique, sur les Évangiles et les mystères sacrés.

Il existe un petit réseau d'édition « vulgaire », spécialisée dans l'anticléricalisme. L'éditeur Simon à Paris, et ses confrères ont un double catalogue : la pornographie et le conseil d'alcove, d'une part, la propagande anticléricale de l'autre. Il s'agit là d'un trait essentiel : l'anticléricalisme militant est toujours mêlé de pornographie. Nous parlerons d'une clérico‑pornographie qui a été une véritable industrie dans la littérature de masse de 1880 à 1914. Simon diffuse la Bible folichonne, les Amours secrètes du Pape Pie IX (« en vente partout, 10 c. la livraison »), le Curé Mingrat (les Crimes du Clergé), tous ouvrages repris du fonds Taxil. La presse républicaine fait de la publicité pour ces brochures qui « flagellent de la saine façon les drôles et les pitres de l'autel et de la sacristie »26. La Vie drôlatique des saints, Miracle !, Les Jésuites dévoilés, L'Inconduite des prêtres due à leur célibat forcé, Petit catéchisme pornographique : tels sont quelques titres, parlants, de cette production. On réédite aussi les Livres secrets des Confesseurs dévoilés aux Pères de famille, édition‑pirate due à l'ingéniosité de Taxil qui avait mis ainsi la main sur un « ready‑made » anticlérical, lequel présentait l'avantage additionnel d'offrir une initiation à la sexualité informée et précise ! Une production romanesque destinée à montrer les agissements des « hommes noirs » dans « le secret du confessional » fleurit dans ce secteur, nous en parlerons plus loin27.

L'anticléricalisme des socialistes

L'anticléricalisme est le seul thème de propagande que les révolutionnaires partagent vraiment avec les républicains « bourgeois ». La haine des « calotins » s'exprime dans la presse socialiste en termes identiques à ce qu'on lit dans La Lanterne :

Il faut à tout prix que nous nous débarrassions de cette affreuse bande noire qui nous ronge. Mettons‑nous à la besogne...28.

En Province, les sociétés de libre pensée accueillent à la fois des petits bourgeois et des ouvriers ; elles ont parfois de cordiales relations avec les partis socialistes. Les leaders possibilistes ou guesdistes et les agitateurs anarchistes voient dans la haine des cléricaux un objet de lutte éminemment intégrable à la logique révolutionnaire et en quelque sorte « tout fait », un domaine où la mobilisation de la classe ouvrière est déjà réalisée. Cependant, les révolutionnaires mettent en connexion le clergé et d'autres agents de l'ordre établi : ils montrent « l'alliance du sabre et du goupillon » alors que les radicaux (nous sommes avant l'affaire Dreyfus) conservent au contraire le « culte » de l'armée et n'oseraient pas y reconnaître un foyer de réaction bigote. Le socialiste fait de la lutte contre les curés une étape dans la lutte contre l'oppression bourgeoise : affranchi des illusions religieuses, l'ouvrier sera bien près de s'affranchir de ses exploiteurs économiques et politiques.

« Quel est le plus grand obstacle au triomphe du socialisme ?
L'ignorance.
Qui entretient l'ignorance ?
Le prêtre.
[...]
Donc guerre au prêtre pour vaincre le maître »29.

L'antireligion se fait aussi plus véhémente à mesure qu'on va vers l'anarchisme qui prône les moyens explicites d'une suppression prochaine de tous les symboles religieux : « Quant à la car casse des églises, elle pourra servir d'école ou de grenier public... »30.

Maintenant il convient de signaler que quelques révolutionnaires subodorent dans l'anticléricalisme, si évidemment promu par la propagande bourgeoise, une sorte de nouvel opium destiné à assoupir les énergies prolétariennes, une diversion inventée par la classe régnante. Cela conduit un publiciste à expliquer les succès de l'anticléricalisme en proposant aussitôt un autre objet de haine : « Pardi ! Le Juif est là, qui veut manger du prêtre »31.

Anticléricalismes savants et littéraires

La propagande anticléricale typique – destinée aux classes moyennes et populaires pénétrées de respect pour la science et zélatrices du progrès – se qualifie comme une propagande, massivement efficace mais parfois simpliste, peu rebutée par les plaisanteries « vulgaires » et les arguments « primaires ». Les esprits voltairiens savants et cultivés, s'ils se réjouissent parfois in petto de ces attaques contre l'Église, s'ils se laissent aller dans la conversation familière à de faciles plaisanteries qui sont à peu près du niveau de la Lanterne, ne peuvent cependant exprimer leur anticléricalisme de lettrés dans la rhétorique véhémente et grossière qui plaît tant aux petits bourgeois radicaux. On peut repérer, mais euphémisé, motivé, subtilisé, un anticléricalisme actif dans divers secteurs de l'imprimé de haute légitimité. Dans le champ médical, nommément. Les mémoires, malveillants mais riches d'anecdotes, de Léon Daudet (Devant la douleur) font bien paraître le matérialisme et anticléricalisme militants des médecins vers 1885‑1890. Sous couvert d'études savantes et d'exposés de « cas », quel plaisir malin de diagnostiquer folie religieuse, hystérie, suggestion, aberrations sexuelles chez les dévots, les « miraculés » et les mystiques. D'autres universitaires républicains, géographes, historiens, philologues, anthropologues (comme le très militant Abel Hovelacque) mettent volontiers leur science au service de la bonne cause antireligieuse et montrent avec érudition les crimes de la papauté, le caractère apocryphe de certains textes sacrés, le rôle obscurantiste des missions d'évangélisation, les détraquements psychologiques engendrés par la dévotion et la chasteté. Il n'est pas besoin de rappeler l'immense admiration dont le monde savant et lettré entoure l'œuvre de Renan, alors au sommet de la célébrité. Des philosophes condescendent à reconnaître que la lutte contre le cléricalisme est de portée philosophique. Marcellin Langlois produit le premier volume de sa Philosophie atomistique sur le titre de L'Anticatholique, titre mérité par le contenu de cet ouvrage positiviste.

Dans le champ littéraire, Anatole France donne Thaïs, habile conte érudit voltairien, qui transpose dans une Alexandrie hellénistique le Paris de 1889 et montre dans toute sa hideur le fanatisme chrétien et dans toute leur stupidité, les controverses théologiques des sectaires. Il existe un genre mineur du roman canonique qui a grand succès parmi les lettrés. On le nomme « roman clérical » en ceci qu'il dépeint avec une minutie réaliste ce milieu censé méconnu, ses mœurs, son langage et ses « types » humains. L'auteur patenté du roman clérical, c'est Ferdinand Fabre, qui s'est fait la main au grand séminaire. Il a connu le succès avec l'Abbé Tigrane, ouvrage qui campe le personnage de l'ecclésiastique arriviste, et publie en 1889 Ma Vocation. La presse catholique traite Fabre d'« Iscariote » ; ses livres « font mépriser le prêtre sous un faux air d'observation sincère et de bonhomie impartiale »32. Octave Mirbeau a mis plus d'âpreté fin‑de‑siècle dans l'Abbé Jules (1888). D'autres romanciers de talent reconnu cherchent à se faire une place dans ce sous‑genre de satire cléricale où la demande est soutenue et le succès, assuré33.

« Voilà l'ennemi ! »

Deux slogans résument la propagande anticléricale et l'attisent. L'un est une formule lancée par Gambetta en mai 1877 : « le cléricalisme, voilà l'ennemi ! » – « parole plus vraie que jamais », assurent les radicaux, mot d'ordre inlassablement glosé dans la presse de gauche : « Avec l'Église, il faut frapper fort, il faut frapper juste ; il faut avoir l'esprit de suite et la fermeté persévérante »34. La formule se fixe aisément dans l'esprit ; elle se retourne aisément aussi en boomerang. La coalition des droites et de la gauche boulangiste va répétant avec le Comte de Mun, « le parlementarisme, voilà l'ennemi » et le dessinateur Willette, candidat national antisémite, vient d'inventer : « le Juif, voilà l'ennemi ».

Le second slogan, moins bien venu, mais non moins acclamé, est fait d'une image macaronique, lancée par Paul Bert dans un toast au Conseil Général de l'Yvonne (25 août 1879) : « Je bois à la destruction du phylloxéra [...] le phylloxéra qui se cache sous la vigne, et l'autre... le phylloxéra que l'on cache avec des feuilles de vigne. Pour le premier nous avons le sulfure de carbone ; pour le second, l'article 7 de la loi Ferry ». En cette période de lutte contre le parasite du vignoble, le slogan du cléricalisme‑phylloxéra était fort ; il n'est pas besoin de le retourner longtemps pour s'assurer aussi que la comparaison est incohérente. Ce qui se suggère dans cette incohérence, c'est que le cléricalisme est l'ennemi de tous, qu'il faut le détruire sans merci, l'éradiquer jusqu'à élimination finale. Il est aussi suggéré, à travers la connotation de la « feuille de vigne« , que le cléricalisme est le principal fauteur de répression sexuelle – accusation qui accompagne en effet toute la propagande anti‑curés.

L'anticléricalisme, c'est donc la prédication d'une « guerre éternelle » et sans quartier contre un ennemi qui s'appelle « l'esprit clérical », « l'Église » ou « les calotins ». Cet ennemi‑là, c'est nul autre en fait que le catholicisme romain avec ses dogmes, ses prêtres, ses pouvoirs, sa politique, et ses partisans. Les « cléricaux » forment une conspiration universelle, partiellement secrète, opiniâtre, pour la domination totale de la France et la destruction des valeurs du progrès et de la justice démocratiques. « Il ne peut y avoir ni paix ni trêve entre la démocratie et la théocratie », s'exclame Clemenceau, sursautant d'indignation devant les « propositions de paix bien imprudentes » que Ferry adresse à la droite35. Clemenceau synthétise la position des radicaux en une formule de guerre à outrance :

La paix [...] est infiniment impossible entre une Église qui revendique la domination universelle et une démocratie dont la mission est d'affranchir les esprits.

L'Église est hostile à la République (bien que l'on entrevoie les prodromes du ralliement) ; elle fulmine contre 1789 et ses bienfaits ; ultramontaine, l'Église est contre la patrie ; la religion s'inscrit par essence contre la raison, la science, le progrès, la liberté ; la morale religieuse est mauvaise pour l'individu, le couple, la famille, l'harmonie de la vie civique. L'anticléricalisme veut donc non laïciser seulement, mais déchristianiser. Le catholicisme, tant qu'il conservera une parcelle de pouvoir, sera une menace pour la raison, un outrage contre l'esprit républicain et une provocation contre la souveraineté de la science. Le cléricalisme forme une « internationale noire », une « armée noire qui reçoit ses ordres de Rome » et qui puise dans l'« Or du clergé » pour assurer sa domination. Oppression des esprits, il est aussi une force temporelle réactionnaire et l'alliée de tous les oppresseurs passés et présents. « L'Église catholique est depuis longtemps au service de toutes les oppressions, s'alliant aux forts contre les faibles, luttant avec les rois contre les peuples asservis »36. L'image de l'oppression cléricale est ainsi d'emblée complète et « totalitaire » puis qu'elle va de la « crétinisation » des esprits (le mot est de Renan) jusqu'à l'accaparement du sol et de la fortune publique : « 150 000 membres du clergé, curés moines et religieuses [...] possèdent à eux seuls le cinquième du sol français »37.

« L'Église représente l'éternelle Contre‑révolution », elle est hostile par essence, instinct et intérêt aux idées de démocratie et de liberté. Elle ne peut que vouloir détruire la République. Les curés sont les « ennemis en soutane » du régime, les séminaires sont des « réceptacles d'abrutissement où les apprentis‑prêtres puisent la haine de la République », l'armée des curés est la « principale armée de la réaction » : toute cette thématique se résume en une formule encore une fois trouvée par Clemenceau : « En réalité, l'Église, c'est la droite »38, de même que la droite c'est fatalement le « gouvernement des curés ». Si la République combat à outrance les « ratichons » alliés aux autres réactionnaires, tous rêvant de retour aux privilèges et à la dîme, elle ne fait alors que se défendre contre une coalition formidable.

« Le nommé Dieu »

« Le règne absurde du nommé Dieu » est une invention des calotins pour abrutir le peuple. Ce « règne absurde et pernicieux [...] doit finir pour faire place à la science ». D'un républicain socialiste décédé, on fait la nécrologie en rappelant qu'il « ne croyait pas à un dieu démodé qui se délecte dans les larmes et dans le sang de ses créatures, à un Gamahut céleste qui coûte cinquante millions par an à la République française »39. La religion est « idolâtrie », « mensonge », « imposture », « astucieuse tromperie ». « Dans chaque religion se trouvent deux catégories : les trompeurs et les trompés »40. La religion est une épidémie, c'est la « peste religieuse » ; elle est un « voile de ténèbres » propageant la « nuit de la superstition », de l'ignorance, du fanatisme, de l'« obscurantisme » ; et s'opposant à la raison, à la science, elle est une forme de folie. Idée sommairement polémique, mais aussi très théoriquement comtienne : la régression de certains esprits à la prédominance du subjectif, propre au stade théologique, devient folie à l'Ère positiviste. Les médecins républicains étudient volontiers la « folie religieuse » et diagnostiquent rétrospectivement l’« hystérie » de Jeanne d'Arc ou celle de Bernadette Soubizous. « Par conséquent, arrachons du cerveau les idées religieuses et à bas les prêtres », concluent les libres penseurs. Libérons « les masses qui sous la férule cléricale croupissent dans les ténèbres »41.

À la religion‑ténèbres s'opposent les clartés de la science ; aux dogmes, la connaissance émancipatrice des « lois naturelles », à la foi aveugle, la raison et la « foi » dans le progrès. Opposition parfaite : « quiconque croit aux miracles a horreur de la science ; de même que quiconque croit à la science méprise les miracles ». « Là où vous avez mis la foi, mettez la science ! » De cette opposition entre deux formes essentielles de connaissance, le plus humble électeur républicain peut être pénétré comme le plus subtil des savants. Renan proclamera encore en 1890 : « ma religion, c'est toujours le progrès de la raison, c'est‑à‑dire de la science »42. La propagande anticléricale opère dans la clarté d'une évidence : on y combat pour la vérité, le bien social, et la moralité naturelle (car la religion « atrophie le sens moral »). L'ennemi est le mal et la nuit. La propagande se développe dans une sorte d'euphorie, due à la certitude du succès prochain, et à l'infâmie tout d'un tenant de l'adversaire clérical. Les dogmes sont qualifiés par deux mots : « absurdités » et « mensonges » ; ils puisent dans un livre « saint », « cette mare boueuse et pestilentielle qu'on nomme la Bible ». Les idées religieuses ne sont qu'« un ramassis de contes ridicules, de dogmes absurdes, de rites enfantins. Elles ne valent pas mieux que les fourbes qui les exploitent ». Les dogmes sont ainsi dénoncés à la fois comme des dogmes, – imposition irrationnelle d'énoncés « antiscientifiques », – et comme des « inventions » des prêtres, « exploiteurs des consciences faibles », instruments de leur pouvoir temporel43. « Crétinisation de l'individu », la religion est un grossier tissu d'absurdités et ses croyances méritent le ton de rigolade provocatrice que les « frocards » jugeront blasphématoire. La virginité de Marie ?

Les prêtres parlent immoralement d'opération du Saint Esprit... Je me mettrais pas ma main au feu pour certifier que Gabriel n'y a été pour rien. (Il arrive que, des dogmes imposteurs, on veuille sauver la figure de Rabbi Jésus de Nazareth, – lutteur anticlérical en son temps, – défiguré par cette Église qui se réclame de lui. Ce Jésus‑là ne s'est jamais « proclamé Dieu ». Les socialites voient parfois encore en Jésus un « pauvre » et un militant qui n'a rien de commun avec les cléricaux d'aujourd'hui.)

Quant au dogme le plus récemment proclamé, celui de l'Infaillibilité du Pape, il n'est qu'un « nouveau défi jeté au sens commun après tant d'autres »44. Les républicains ne manquent pas d'habiles publicistes pour démontrer que Jeanne d'Arc, héroïne nationale, fut la victime de l'Église et de la Papauté plutôt qu'une « cléricale »45, qu'elle ne fut qu'une « robuste paysanne hallucinée » dont la science moderne connaît désormais la pathologie46 ou – ad libitum – qu'elle ne fut pas brûlée du tout, mais a fini bourgeoisement mariée47. Quant à Lourdes, à la Salette et autres hauts lieux de l'obscurantisme, il est aisé d'y subodorer des complots cléricaux, des impostures attisées par les ardeurs de tempéraments hystériques et (dans le cas de Lourdes) une piquante affaire de « rendez‑vous galant » et de mystification par une « belle dame » d'une bergère abrutie par les prêtres.

La religion qui rejette la science se laisse donc aisément expliquer par celle‑ci. La science, laquelle lutte pour le triomphe de la vérité, vainc sans peine, sur la scène d'un darwinisme épistémologique, les « organismes inférieurs » du cléricalisme, les diplodocus idéologiques du Syllabus et du dogme. La religion est « une forme de névrose » a dit Renan et la médecine confirme cette thèse. Les « voix » des mystiques, l'hystérie et l'obession sexuelle des carmélites48, la « suggestion collective » qui explique les phénomènes miraculeux,– tout ce qui relève de la religion touche aussi à la psychopathologie (voir chapitre 19).

L'histoire de l'Église est une suite de hontes et d'infâmies. Les libres penseurs travaillent à une grande narration cumulative où cette histoire de fanatismes, de superstitions et de persécutions se déploie, des horreurs du Moyen Âge, de l'Inquisition, des Borgia, au Syllabus et aux résistances et manœuvres des « congrégations non autorisées ». La « caste sacerdotale » regrette les temps médiévaux de sa toute‑puissance ; elle est avertie que son règne va finir. Les radicaux ont d'ailleurs leurs « martyrs » de la libre pensée : Giordano Bruno dont les rationalistes italiens inaugurent la statue à Rome49, Étienne Dolet à qui Paris consacre une autre statue Place Maubert en mai, tous deux « apôtres de la pensée libre ». Sans ces libres penseurs de la Renaissance, « nous serions encore courbés sous l'esclavage intellectuel et matériel que le moyen‑âge fit peser sur le monde »50.

Le Pape

Léon XIII, successeur de l'ultra‑réactionnaire Pie IX, incarne et résume l'histoire criminelle de Rome et de la Curie. Il vend des indulgences, des messes, des titres de noblesse ; « il ne lui manque plus qu'une enseigne : Ancienne Maison Saint‑Pierre, Léon XIII et Cie, successeurs ». (On reconnaît ici l'esprit de Rochefort.) La presse de gauche ironise sur la perte du pouvoir temporel du Pape et la prétention qu'a le Pontife romain d'être prisonnier au Vatican, « sur la paille des cachots ». Tandis que les petits éditeurs republient les pamphlets de Taxil, Amours secrètes du Pape Pie IX, etc., d'autres dénoncent en vers de mirliton les débauches et les perversions sexuelles de la Cour de Rome :

Il aime la femme couchée
Et sa main est encore tachée
Du pus et du sang
Des fœtus venus avant terme.
Ah ! combien de taches de sperme
Sur son habit blanc !51.

Les « monstres en soutane »

La propagande anticléricale, de considérations sur l'absurdité des dogmes et les « turpitudes » dont l'histoire de l'Église est souillée, de dénonciations des immixtions et manœuvres des congrégations, converge vers un sociogramme beaucoup plus virulent que ces polémiques rationalistes ironiques : il s'agit de représenter le prêtre comme un « monstre en soutane », un être malsain et infâme qui doit susciter une répulsion physique. Dans les doctrines du siècle passé, les « ensoutanés », les « porte‑soutane », les « hommes noirs », les « bêtes à bon dieu », les « corbeaux », les « calotins », les « cafards », les « phylloxéras », les curés enfin ont formé l'objet de haine idéologique sur lequel s'est modelé dans une certaine mesure le complexe antisémite. La haine des jésuites, des « Rodins » capables des crimes secrets les plus machiavéliques, si active chez les libéraux dès la Restauration, demeure une variante virulente de la propagande contre les « frocards » de tout acabit. Ainsi le Petit Parisien suggère‑t‑il que les jésuites romains ont pu liquider le Cardinal Franchi avec une hostie empoisonnée, hypothèse que « l'histoire de l'ordre des jésuites n'est pas faite pour repousser sans hésiter »52. Il existe un quotidien de Paris obsessionnellement anti‑jésuites, La Civilisation, dont nous avons déjà parlé.

La thématique de haine anti‑curé canalise et renforce tout un ressentiment populaire séculaire contre les « ratichons ». Ce sont des paresseux, qui « font bombance et vivent grassement à ne rien faire ». Les dogmes sont des mensonges inspirés « par la plus pure cupidité ». Les curés s'engraissent en extorquant de l'argent aux gens crédules et l'État concordataire se trouve obligé de les payer pour « atrophier les cerveaux » des enfants et « prêcher la révolte au nom du passé ». Quant un préfet républicain suspend le casuel d'un de ces parasites, « nos bons curés » poussent des cris d'orfraie et la presse radicale d'ironiser : « comment a‑t‑il osé porter une main profane sur la chose que le clergé vénère le plus ? »53.

Tous les reproches convergent vers un sujet de haine bien précis et qui a à voir avec la « chose génitale » : la chasteté requise du prêtre, chasteté « contraire aux lois naturelles » et ouvrant aux pires aberrations et monstruosités. La haine du prêtre a trouvé à s'alimenter abondamment à la prétention de l'Église de « mettre son nez » dans la vie conjugale des Français, d'influencer les épouses dans « le mystère du confessionnal », de régenter, sournoisement, la vie des couples et faire échec à des pratiques malthusiennes souhaitées. La « morale des curés » qui « salit » les enfants de terreurs abrutissantes, apparaît aussi nuisible aux droits du mari et à la paix du ménage. « La religion des curés fut plus nuisible qu'utile à l'amélioration du sort de la femme »54. Les anticléricaux de tous bords ne cessent de se donner pour mandat « d'arracher la femme des mains du prêtre »55, le ressentiment contre les conseils donnés aux pénitences est esquissé ici sans être cependant expressément avoué. Castrateur‑castré, oppresseur de l'instinct sexuel, lui‑même voué à une chasteté impossible et « anti‑hygiénique », le prêtre, chargé de « réprimer la nature » en lui et chez les autres, est fatalement porté aux « pires scélératesses ». C'est ici l'essentiel. Le célibat religieux est contre‑nature, la science démontre qu'il conduit au détraquement mental et au crime sexuel. Propagateurs de dogmes irrationnels, les prêtres loin de pratiquer la morale qu'ils prêchent sont des « monstres en soutane » coalisés pour dissimuler leurs turpitudes. Le célibat des prêtres a été voulu « pour atrophier l'intelligence et la raison par cette sorte de castration morale »56. Ce célibat est cause des « scandales quotidiens » dont la presse de gauche fait ses choux gras, scandales qui ne forment que la partie visible de la vie perverse de tout le clergé. La médecine démontre que le célibat religieux conduit à l'« onanisme » et celui‑ci à la folie, au suicide57. La confession d'ouailles féminines est pour le prêtre obsédé l'occasion de murmurer des « conseils suggestifs » à l'oreille des pénitentes. « On défend le mariage aux prêtres catholiques et on leur abandonne les jeunes filles ! » s'indigne un libre penseur. A. Pruvot présente la pénitence comme un colloque obscène et adultère : « le manuel des confesseurs abonde en détails édifiants. Le Père doit provoquer les confidences de la pénitente si elle hésite à le faire »58.

Louis Thinet dans Prêtre et femme attise le même genre de ressentiment ; une sorte d'Abbé Frollo modernisé est censé y révéler les mystères orduriers de la Faute du prêtre et les terribles secrets qui se cachent sous la soutane ou sous la bure. Abusant de sa paternité morale et de cette « promiscuité constante » du confessionnal, le prêtre impie ne songe qu'à séduire ou à violer ses paroissiennes, mêlant blandices et blasphèmes (« il n'y a pas de Dieu », dit le prêtre, p. 54). C'est encore la même angoisse haineuse que stimule, à la « Librairie socialiste », Gustave Ethber dans son pamphlet À tous les maris ! À tous les pères de famille ! La confession d'un confesseur. L'obscénité graveleuse se combine encore à une belle érudition ecclésiastique (se pourrait‑il que ces romans soient l'œuvre, vraiment, d'anciens séminaristes ?). Le sexe appelle la « confession » indique Michel Foucault, mais la confession déprave...

Les crimes des « monstres en soutane » ne s'arrêtent pas là. Séduction de religieuses ou de femmes mariées, ce sont des désordres qui démontrent au moins que des prêtres se révoltent contre le « féroce vœu de chasteté », que ces « parias de l'amour » finissent par obéir à la loi de nature59. D'autres prêtres en grand nombre s'abandonnent au crime et aux perversions, résultats fatals de leur mode de vie et de leurs dogmes contre‑nature. Proxénétisme, escroqueries, chantages (« à force de chanter la messe, il avait fini par savoir faire chanter les autres »60), viols de fillette, empoisonnements, incendies criminels, infanticides, tout le code y passe et la presse radicale n'omet pas un jour de mentionner un nouveau « crime de clergé »61. Le mauvais prêtre est cependant le plus souvent « pédéraste ». L'horreur qu'inspire la passion antiphysique est reportée sur l'homme en robe noire :

Vois sous la soutane
Cet ignorantin
Bête comme un âne
Et parfait crétin
À cette fripouille
On voit confier
Des fils qu'elle souille :
C'est à châtier62.

Cela commence dès le premier de l'an avec « les Scandales de la trappe de Mortagne » où la presse radicale se sent, en jubilant, tenue à l'autocensure de la décence : « ... actes d'immoralité tellement dégoûtants qu'il est impossible de les décrire ». Voici donc les premiers « Monstres en soutane » de l'année ; on en recontrera deux ou trois par mois. Le 18 février : « Monstre en soutane » encore : le « chaste serviteur de Dieu » est accusé de « faits d'immoralité sur de jeunes garçons ». Il s'agit du procès du Frère Hyacinthe de Citeaux, avec quarante enfants de moins de treize ans « victimes de ses attentats ». Le ton est toujours celui de la circonlocution pudique : « attouchements dégoûtants de ce triste personnage », auquel le jury de la Côte d'Or va trouver des circonstances atténuantes, tout en le reconnaissant coupable « de crimes aussi odieux que dégoûtants »63. Pendant plus de quarante ans, le quotidien La Lanterne a accumulé les statistiques de ces crimes pédérastiques hebdomadaires et des outrages à la pudeur et attentats aux mœurs commis par les « ensoutanés » : « les maîtres congréganistes commettent 7 fois – vous lisez bien sept fois – plus de crimes que les maîtres laïcs »64.

Le « meilleur » de tous les monstres en soutane de la fin du siècle a été jugé en décembre 1889 aux Assises de l'Aveyron (et condamné aux travaux forcés à perpétuité) sur dix‑sept chefs d'accusation : abus de confiances, faux et usage de faux, vols qualifiés, attentats à la pudeur, profanation de cadavres, viols, sodomies et assassinats. Bénéficiant du soutien longanime de l'évêque de Rodez (quoiqu'il ait été d'abord chassé du petit séminaire pour vol), l'inoubliable Abbé Boudes, qui avait commencé sa carrière en empoisonnant le curé de Lagarde (en versant de la morphine dans les burettes de la sainte messe) et en engageant les objets du culte pour aller au mauvais lieu, mit à mal pendant quinze ans plusieurs cantons de montagne dont il sodomisa une grande partie de la population, enfants de chœur, écolières, paroissiennes. Il y avait de quoi donner de la copie à la Lanterne qui ne dérougit pas d'indignation pendant tout l'automne65.

Le blasphème militant

La propagande anticléricale se fait un devoir militant de blasphémer – fréquemment cela revient à donner un sens gaulois aux paroles sacramentelles et aux termes du culte. Elle sait que le « nommé Dieu », dans son inexistence, ne risque pas d'en être affligé, mais elle n'ignore pas que le sacrilège provoquera chez le calotin qui par aventure lira le texte en question une désopilante indignation. Le Radical (3 juin) conte la mésaventure arrivée à un prêtre surpris par un mari bafoué : « Il avait coutume de bénir une agréable paroissienne. On ne laissa pas le malheureux dire jusqu'au bout son office. On l'interrompit au moment de l'offertoire. Force lui fut de rentrer son goupillon... » Texte que les contemporains, selon leur camp idéologique, eussent jugé aimablement grivois ou infâme. Ce n'est pas par hasard que l'obscénité se présente à nous sous la forme d'une métaphore filée, d'une devinette à la fois blasphématoire et osée, où le sexuel est transcodé dans un énoncé cryptique, inintelligible s'il tombe dans des mains « innocentes », exigeant du lecteur une exégèse gaudriolesque – c'est‑à‑dire une lecture qui ôte les voiles de l'énoncé et qui devient l'épicycle rhétorique de son contenu même. Les anticléricaux sont d'ailleurs férus d'érudition religieuse, le détournement du vocabulaire ecclésiastique en parodie sacrilège auquel ils se livrent avec tant de jubilation, fait qu'il n'y a pas comme eux pour parler obsessionnellement de « schisme », « apostasie », « grâce divine », « contrition », etc. M. Camille Pelletan abandonne un instant la gravité requise d'un Ministre de l'Intérieur pour répondre à une interpellation de Mgr Freppel, évêque d'Angers, sur la réduction du budget des cultes : « Je ne me sens pas dans l'état de contrition nécessaire pour faire pénitence de ce péché ». Réplique qui fait ricaner à gauche et que la droite juge évidemment odieuse et imbécile.

Ici la propagande anticléricale réussit à opérer dans le discours social une coupure nette et apparemment fondamentale : tout un vocabulaire, sacralisé par les uns, est subverti et délibérément « sali » par les autres. L'idéologie laïque construit ainsi avec la complicité même de ses adversaires un antagonisme absolu et d'une grande visibilité. La presse républicaine satirique, le Charivari par exemple, tire de cet antagonisme éthique et doxique des « ready‑made » comiques qui remplissent ses colonnes. Il n'est que de reproduire Verbatim, sans commentaire, des « perles » cléricales, des passages choisis de mandements, d'encycliques, ou d'éditoriaux de l'Univers et le lecteur déjà se tord de rire. Cas le plus net d'une rupture d'éthos et de lisibilité entre deux formes de légitimité discursive. Le rire « incrédule » et le blasphème plaisant signalent qu'une insurmontable frontière sépare l'hégémonie « laïque » dans toute sa diversité, du contre‑discours catholique enfermé dans la théologie du Syllabus, dans des rhétoriques et des mentalités perçues « du dehors » comme odieuses et surannées, confirmant ainsi inlassablement la propagande des libres penseurs66.

Stratégies de lutte dans la conjoncture de 1889

Les républicains peuvent se flatter d'avoir rendues indestructibles « ces conquêtes laïques qui sont les forteresses de l'esprit moderne, le mariage civil, le suffrage, l'instruction universelle »67. Le combat contre les cléricaux est cependant loin d'être achevé et de nouveaux thèmes mobilisateurs ne cessent d'apparaître. Prépare‑t‑on une loi sur le jour de repos obligatoire, l'extrême‑gauche y est favorable,... pourvu que ce ne soit pas le dimanche !68. Lors des discours, innombrables, qui inaugurent puis proclament la clôture de l'Exposition universelle, les libres penseurs prennent grand soin de s'assurer que, fût‑ce à titre de figure de rhétorique, le mot « Dieu » ne sera pas prononcé69. L'État ne sera pas laïque enfin tant qu'il portera le fardeau du Concordat ; l'extrême‑gauche réclame inlassablement la « Séparation », la suppression du budget du culte et la fermeture de l'ambassade au Vatican70.

En 1889, un grand thème d'action et grand moyen d'exaspérer les cléricaux, c'est la loi militante du service de trois ans (votée le 8 juillet). Loi au fond bien inégalitaire, avec son service d'un an pour les « dispensés » et la suppression de la contribution de 1 500 francs due par ceux‑ci auparavant, mais la loi que l'on fait applaudir par les masses en envoyant sous les drapeaux pour trois ans... les séminaristes. « Les curés, sac au dos », tel est le slogan (né vers 1885 au Ministère de la Guerre, du temps de Boulanger) que la presse radicale répète avec délectation. Les interventions furieuses du député et évêque d'Angers, Mgr Freppel montrent que la mesure porte et fait enrager les « porte‑soutane ». La presse républicaine rattache cette mesure législative aux grands Principes : c'est enfin « l'égalité devant l'impôt du sang ». Les curés veulent sauver leur peau plutôt que défendre la France « et ces honnêtes gens se disent patriotes ! » s'indigne‑t‑on. « Le clergé forme‑t‑il une caste à part ? etc. » Inquiétude en mai : le service des séminaristes ferait d'eux seulement des brancardiers, des infirmiers : « les curés en herbe seront dispensés du flingot ». Victoire assurée en juin : « Les porte‑soutane tâteront de la caserne et qui sait ? peut‑être y prendront‑ils goût »71. Victoire républicaine et patriotique contre les cafards, car c'est la peur de l'armée qui est la « source véritable » des vocations. À la caserne, les bons républicains se chargeront d'initier les tendres lévites aux vœux de la nature et aux bienfaits de la démocratie. C'est ce que redoute la presse aristocratique et ce qu'espère sans trop le dire la gauche. « M. le Curé est un homme. Il y a en lui une bête [...] L'ordination, le sacerdoce l'auraient réduite à l'impuissance. La caserne la déchaînera [...] Cette loi est un attentat à la pudeur », s'effarouche le Gaulois. (28 novembre)

Autre victoire antireligieuse en 1889, l'ouverture d'un crématoire à Paris, réclamée depuis longtemps par le Bulletin de la Société pour la propagation de la crémation et dénoncée par la presse bigote comme le vœu de « libres‑penseurs atteints d'aliénation mentale »72.

Reste enfin la laïcisation de l'enseignement, toujours inachevée. L'éducation religieuse s'oppose à l'éducation laïque comme les ténèbres à la lumière :

Celle que nous combattons, celle du prêtre appuyée sur le mensonge et l'ignominie ayant pour base : l'hérédité du crime. Celle que nous défendons, la seule libertaire, la seule moralisatrice : l'éducation scientifique basée sur la vérité73.

L'enseignement religieux, hostile à la science, au progrès, à la démocratie doit disparaître. Il engendre l'ignorance, la crédulité, le fanatisme. Cela a été le grand thème des républicains jusqu'à Paul Bert. La loi Ferry de 1882 a d'abord supprimé les congrégations non autorisées. La deuxième loi laïque de 1886 a exigé la laïcisation du personnel enseignant ; une troisième loi, de 1889, a réglé le traitement des instituteurs et a permis le service d'un an à ceux qui appartiennent à l'instruction publique. « L'œuvre scolaire de la République », l'école gratuite, laïque et obligatoire « réalise à cent ans d'intervalle trois grandes pensées de la Révolution »74. Les sages de la République parviennent à convaincre et à se convaincre que l'égalité devant la culture intellectuelle est dès lors accomplie :

M. Jules Simon
Non, non ! messieurs, il n'y a pas ici de privilège et s'il y en avait un ce ne serait ni celui de la naissance ni celui de la fortune. [...] Ceux qui croient que la culture intellectuelle est en France le privilège des riches, le privilège d'une certaine classe se trompent profondément75.

Le combat pour l'école laïque est d'autant plus essentiel que cette école doit être une pépinière de citoyens rationnels et progressistes qui ne pourront qu'aller à la République. La guerre scolaire continue donc à faire rage. La droite dénonce comme entreprise inique et scandaleuse ce dont la gauche fait « l'œuvre maîtresse » du régime. Elle est exaspérée par les « palais » qu'on dresse dans le moindre village pour « l'école sans Dieu ». Les républicains se félicitent d'autant plus qu'en peu d'années, les lois de 1882 et 1886 « sont entrées dans la vie et dans la substance même du pays ».

L'œuvre scolaire de la Troisième République est de celles qui, à moins de cataclysmes, ne disparaissent pas tout entières76.

Pour « affranchir l'instruction des chaînes où l'ont retenue si longtemps les dogmes des religions diverses »77 et par là affranchir les consciences, il faut encore, revoir, réformer minutieusement les manuels scolaires, éliminer les restes de superstition et de cléricalisme, bannir par exemple de partout le mot « Dieu » quitte a réécrire les poèmes de Victor Hugo et les fables de La Fontaine. C'est ici le dernier grand secteur actif du combat laïque. En 1883, il y a eu des autodafés épiscopaux des manuels de Paul Bert et autres. De tels affrontements reprennent occasionnellement. Les plus radicaux des libres penseurs luttent désormais non seulement contre les manuels à relent catholique, mais pour la suppression des ouvrages « spiritualistes » et leur remplacement par des manuels rigoureusement athées et matérialistes. La victoire d'Abel Hovelacque, anthropologue et militant radical, au Conseil de Paris fait date :

Désormais le budget de la Ville de Paris ne sera plus employé à l'achat de bouquins affirmant et même prétendant démontrer l'existence du monsieur invisible qui s'appelle Dieu78.

L'anticléricalisme dans la conjoncture idéologique

L'historien chrétien libéral et humaniste A. Leroy‑Beaulieu dans une ouvrage fameux Les Doctrines de haine (1902) a proposé un cadre de critique de l'anticléricalisme en groupant cette idéologie avec l'antisémitisme et l'antiprotestantisme dans un paradigme des « trois Haines », regrettant que la mobilisation des foules semble obtenue dans les sociétés de son temps par des démagogies haineuses qu'il présente comme complémentaires les unes de autres et s'attisant l'une l'autre. Bien que l'antijudaïsme d'une part, et l'hostilité au clergé de l'autre aient une histoire qui traverse les siècles de psychologie collective, il faut concéder à Leroy‑Beaulieu que leur métamorphose en doctrines politiques, en historiosophies « totales » a été à peu près concomitante et que d'un certain point de vue la dénonciation des protestants, des juifs et des francs‑maçons (car il omet les campagnes antimaçonniques qui ont tant occupé l'activisme catholique après 1870) a été une « réponse du berger à la bergère » de la droite à l'anticléricalisme de la gauche. La construction en pendant des haines républicaines et « progressistes » et des haines dévotes, nationalistes et xénophobes est cependant elle‑même l'expression d'une position déterminée dans le champ politique, celle d'un libéralisme tolérant, ennemi des extrêmes que la conjoncture du tournant du siècle refoule à l'état d'un « idéal » contredit par le cours des choses. Le parallèle entre la structure, les thèmes et les fonctions dans l'hégémonie des trois « ismes » a une certaine valeur explicative, mais rencontre vite ses limites. Laissons l'antiprotestantisme, phénomène attesté mais de peu d'amplitude idéologique, que Leroy‑Beaulieu ne semble avoir monté en épingle que pour accentuer l'idée d'intolérance religieuse comme fond du problème qu'il construisait. La confrontation de l'anticléricalisme et de l'antisémitisme (ce dernier connaissant beaucoup d'interférences et d'analogies, à son tour, avec la « croisade » antimaçonnique) aboutit à reconnaître des analogies patentes mais aussi des différences thématiques et fonctionnelles significatives. Un aspect de la structure des deux idéologies est axiomatiquement semblable. Elles reviennent toutes deux à isoler un groupe au rôle néfaste et en quelque sorte « satanique » (perversement opposé au bien collectif) dont la conspiration persévérante sert d'explication historique et sociale « totale ». (À cet égard le sujet « Juif » est plus polyvalent, omnipotent dans l'idéologie que le sujet clérical dont le rôle mauvais reste relativement circonscrit.) De cette vision naît la nécessité d'une lutte à outrance qui doit déboucher sur une victoire elle aussi totale. Les deux propagandes naissent d'une vision conspiratoire de l'histoire (dont le modèle serait dans Montlosier et les pamphlétaires libéraux de la Restauration contre les jésuites et le « parti‑prêtre »). D'autres aspects renforcent cette analogie centrale, par exemple la forte connexion qui s'établit avec une thématique d'angoisse sexuelle (le Juif comme facteur de prostitution et fomentateur de pornographies a été un grand thème des chastes antisémites).

On notera du reste que les deux idéologies ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Un secteur du marché de la propagande socialiste en émergence, active à la fois la haine des prêtres et celle des Juifs. Deux idéologues fameux, Gougenot des Mousseaux (décédé) et Auguste Chirac, tirent leur « socialisme » d'une identification des luttes antireligieuse et antisémite.

Cependant la position des idéologies dans la topologie discursive et les fonctions politiques ne sont pas analogues. L'anticléricalisme tel que nous l'avons circonscrit est une version exotérique ad usum populi d'une philosophie, positiviste, et d'une politique, laïque de progrès républicain, qui ont leur expression ésotérique et sublimée. Il est la face négative de l'idéologie du progrès – progrès des idées, progrès scientifique, progrès social – comme horizon éthique global de l’« Évolution » historique. L'historiosophie du Progrès, promue par les appareils d'État, est désormais contestée par un dispositif thématique d'origne diffuse se renforçant dans les divers champs publicistique, littéraire, scientifique. C'est ici, en conjonction avec le paradigme de la déterritorialisation, que la prédication antijuive trouve sa fonction explicative comme « clé » universelle des déstabilisations alléguées, des délitements multiples et concomitants auxquels elle procure un « sujet » mythique, actif et dissimulé. Au contraire, l'anticléricalisme est la forme combattive et hostile d'une historiosophie dont elle ne saurait être séparée, même si elle en condense les idéologèmes les plus démagogiques. On pourrait encore vouloir distinguer l'antisémitisme de l'anticléricalisme en ceci que, tous deux visions du monde conspiratoires, le premier prétend identifier un objet biologique, une « race ». Cependant, les doctrinaires de l'antisémitisme à la française sont peu portés vers les spéculations d'anthropologie physique qui semblent avoir dominé en Allemagne. La nature du « sémitisme », exposée dans le Talmud (et dans d'autres documents, fictifs, qui anticipent sur les Protocoles), tient de la Conspiration, établie sur un prétendu ressentiment historique, plus que sur des différences biologiques qui seraient spécialement alléguées. Si l'idéologie antisémite entre en conflit avec le discours officiel, progressiste et démocratique, de la fraction républicaine au pouvoir de la classe dominante, cette idéologie dispose d'une excellente assise doxique. C'est au contraire le discours républicain, qui se trouve alors sur la défensive, obligé à un ravaudage précaire d'énoncés jacobins, libéraux, saint‑simoniens, progressistes, constamment infiltrés de ces thèmes de la déterritorialisation qui l'obligent à des acrobaties idéologiques difficiles. La thématique antisémite sert d'abord, formellement, à pourvoir d'un sujet cette dérive schizoïde de processus anonymes à laquelle tout le discours social se dit confronté. Ses idéologues, Chirac, Drumont, Kimon, Hamon, Harispe, Corneilhan, pratiquent un collage cumulatif de tous les énoncés déterritorialisants qu'ils n'ont qu'à puiser au hasard dans la presse, les sciences et les lettres. Tout se passe comme si leur démarche n'exigeait qu'une seule idée régulatrice : c'est que la déterritorialisation ne saurait être justement cette séquence sans ordre de prédicats sans sujet ; qu'il faut, en toute logique, pourvoir ces processus venus de nulle part et s'accumulant ad nauseam, d'une cause, d'un agent isolable, dont l'intérêt serait la dissolution du seul socius pensable.

Édouard Drumont le disait bien, ou du moins il nous suffit de retourner sa phrase pour le comprendre : « les Juifs nous ont fait une société à l'image de leur âme » (1891, p. 49). La société bourgeoise s'est trouvée prise entre des promesses d'égalité et de convivialité qu'elle ne pouvait positivement accomplir et la nostalgie d'un ordre pré‑capitaliste dont les institutions et les symboles se disloquaient graduellement. L'idéologie « bourgeoise » n'a cessé alors de colmater les brèches de son propre système de valeurs ; le capitalisme, lui aussi est un dysfonctionnement perpétuel, une « agonie » toujours prolongée, une « mort » interminable (pour reprendre des images de Carlyle citées par Drumont), parce qu'il n'a ni antique stabilité ni horizon utopique ; tout est déjà perdu et rien n'apparaît d'une stabilité future. Il est alors vrai qu'en représentant la lutte contre les ennemis du progrès sous la forme d'une conspiration omniprésente, fomentée par un groupe pervers et malfaisant, l'anticléricalisme peut s'intégrer à l'éthos anxiogène qui, – enraciné notamment dans les peurs sexuelles si activement entretenues dans la doxa, – est aussi à l'œuvre dans l'antisémitisme et dans les racismes émergeants. Il reste que la pente irrationnelle est plus forte, et de loin, dans la spéculation antisémite. La grande différence entre les « crimes du clergé », – ceux reprochés à l'Abbé Boudes, – et les crimes de la synagogue sacrifiant des enfants chrétiens pour mêler leur sang au pain azyme – thème exposé par « Jab » notamment dans Le Sang chrétien dans les rites de la Synagogue moderne (Paris : Gautier) – est que les crimes de l'Abbé Boudes ont réellement eu lieu, même s'ils accommodent opportunément l'idéologème des « Monstres en soutane », tandis que le mythe des sacrifices rituels est un délire récurrent qui échappe à la relative rationalité du récit typique, vraisemblable et vérifiable, et relève donc d'une pathologie collective.

Notes

1  Voir Acomb, 1967, Faguet, 1906, Mellor, 1966, Moody, 1968, Partin, 1969 et Rémond, 1976.

2  Rémond, 1976, p. 13.

3  Lockroy, Chambre, Journal Officiel, p. 1325 ; cf. aussi, p. 1327.

4  Chambon, Catéchisme naturaliste, p. 433.

5  Thibaudet, 1932, p. 43.

6  Droite : Albert de Mun, Journal Officiel, Chambre, p. 1321 ; gauche, Clemenceau, Lanterne, 10.9 : p. 2. Pour Ferry l'anticléricalisme actif avait été nécessaire, mais les résultats étaient atteints : c'était une chose du passé ; c'est ce qu'il expose dans sa « Lettre à mes électeurs » (Petit Parisien, 30.9 : p. 1) : « Nous avons ensemble lutté pour affranchir notre terre natale des influences cléricales et réactionnaires. Nous y avons réussi ».

7  Amagat (c.-droite), Journal Officiel, Chambre, p. 976.

8  La « pacification religieuse », tout est là, proclame le Marquis de Castellane, rallié de fraîche date (La Politique conservatrice). Idem : Delafosse, Matin, 11.6 : p. 1 (républicain modéré).

9  Albert de Mun, Journal Officiel, p. 1321.

10  Reinach, Petites Catilinaires, III : p. 54.

11  « Passions antisociales » : E. de Voguë, Remarques sur l'Exposition, p. 280. « Idéal travesti » : Paix sociale, 26.1 : p. 1.

12  Castellane, Politique conservatrice, p. 69 ; cf. aussi Bouctot, Histoire du socialisme, p. 293.

13  Courrier de l'Est, 16.2 : p. 1.

14  Cornély, Matin, 13.1 : p. 1. Il y a aussi le thème : laïcisez si vous voulez, mais pas... les écoles de filles. Cf. L'Indépendance (monarchiste) qui s'en gausse, 25.6 : p. 1.

15  Paix sociale, 25.5.

16  Combes de Lestrade, Éléments de sociologie, p. 205.

17  Jules Simon, Conf. sur l'éducation, p. 16.

18  Rochard, L'Éducation de nos fils, p. 198.

19  Cossé, La Constitution future, p. 286.

20  M. le Baron de Lareinty, Sénat, cit. Manuel général de l'enseignement primaire, part, gén., p. 19.

21  Noailles, Cent ans de république aux E. U., II : p. 443.

22  Constitutionnel, 10.5.

23  Castellane, op. cit., p. 63 - Coste, N. Exposé d'économie politique, p. 9.

24  Anonyme, Des Constitutions, p. 231 (républ. rallié). « La condition sine quà non du retour de la France à la santé morale, à l'ordre social, à la dignité politique, c'est le retour sincère à la religion », écrit l'historien républicain Pellissier, Apogée, X.

25  « M. le Juif Meyer » : Petit Caporal, 16.3 : p. 1. - Fait divers : Lanterne, 2.8.

26  Grelot, 17.2 : p. 3, à propos de Miracle. (Paris, 1889).

27  Il y a enfin un théâtre populaire anticlérical. Par exemple Les Fils de Rodin de L. Nicart, monté au Théâtre Montparnasse en juillet.

28  Aurore Sociale, 15.11 : p. 1.

29  Le « 93 », 21.4 : p. 3 (communard).

30  Malato, Philosophie de l'anarchie, p. 91.

31  M. Zevaco, L'Égalité, 27.9 : p. 1.

32  Les Études, p. 147.

33  Voir Fabron, Ce qui divise ; Beaume, Fruit défendu ; Jeanne Marni, Amour coupable. Voir aussi à un niveau plus feuilletonnesque Toge et soutane de Camille Bias, dans le Radical, 5.5 au 10.8.

34  Gambetta, Journal Officiel, 4 mai 1877 : « Je ne fais que traduire les sentiments intimes du peuple de France en disant du cléricalisme ce qu'en disait un jour mon ami Peyrat : le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! (Acclamations et applaudissements prolongés à gauche) ». Gloses citées de : Correspondance républicaine, 4.3 et Lanterne, 7.3 : p. 1.

35  Clemenceau, Journal Officiel, p. 1331 et p. 1328 ; citation suivante : Clemenceau, Journal des Débats, 9.6 : p. 2.

36  Intransigeant, 1.1 : p. 2.

37  Petit Parisien, 6.5 : p. 1.

38  Mansuy, Misère en France, p. 160 – Séminaires : Parti ouvrier, 6.11 : p. 1 - « Armée des curés » : ibid., 17.11 : p. 1 - Clemenceau, Journal Officiel, p. 1331.

39  « Le nommé Dieu, etc. » Cri du Peuple, 1.1 : p. 1 - Nécrologie de Simon Soëns, Parti ouvrier, 6.7 : p. 1.

40  Martin, Cantiques impies, p. 10.

41  « Par conséquent » : Voix du peuple (Marseille), 7.4 : p. 4 - « Les masses... » : Picot, Égalité, 1.5 : p. 2.

42  « Quiconque » : Lacroix, Radical, 15.6 : p. 1 — « Là » : Religion laïque & univ., p. 423 - Renan, Avenir de la science (1890).

43  « Mare » : Martin, Cantique impies, p. 11. - « Ramassis de contes » : Roret, Mensonges des prêtres, p. 165. Voir aussi V. Courdaveaux, Comment se sont formés les dogmes et A. Mailleux, Ainsi soit-il !

44  Sur la virginité de Marie, Roret, Mensonges, p. 98 et sur l'infaillibilité, ibid. p. 92 ; voir Le Danton, 1.5 : « Comme toutes les institutions religieuses celle du Vendredi‑Saint est absurde pour ne pas dire plus... »

45  Cf. Revue occidentale, 22 : p. 354.

46  Lesigne, La fin d'une légende, p. 10.

47  Blaze de Bury, Jeanne d'Arc ; cf. Gil-Blas, 18.12.

48  Dr Gérard, Grande névrose, étude de cas, p. 158-167.

49  Voir Petit Parisien, 10.6 : p. 1 et Revue bleue, I p. 1. Protestations du Gaulois, 2.7, de la Paix sociale, 27.7, de France nouvelle, 12.6 : p. 1.

50  Dolet : Revue bleue, I : p. 590 - « apôtre » : Revue occidentale (positivistes), 23 : p. 128. - « Nous serions » : Lanterne, 21.5 : p. 1. (ibid, 10.5 : p. 2.)

51  « Il ne lui manque » : Lanterne, 5.3 : p. 2, cf. Bonnefon, Pape de Demain, p. 25 : « la sacristie italienne, maison mal famée où tout se vend » - « Sur la paille » : Grelot (26.5 : p. 3. Poème : Martin, Cantiques impies, p. 282. Quant aux déclarations qui précèdent Rerum Novarum, elles sont accueillies avec ironie : « Le Pape socialiste », Lanterne, 23.10.

52  Petit Parisien, 28.9 : p. 1.

53  « Bombance » : Roret, Mensonges des prêtres, p. 51 - « Cupidité » : Mail-lieux, Ainsi soit-il ! - « Comment a-t-il » : Le Petit Nord, 31.5 : p. 1.

54  Roret, Mensonges, p. 48.

55  Égalité, 21.3 : p. 2. - « Les femmes et les enfants sont des êtres faibles et crédules dont la stupidité et la bêtise va [sic] jusqu'à croire que les prêtres donnent la pluie et le soleil » (Le Pauvre, 20.1 : p. 1).

56  « Monstres en soutane » : titre de section quotidienne du journal La Lanterne - « Célibat... » : Roret, Mensonges, p. 33.

57  Dr Garnier, Anomalies sexuelles, p. 390.

58  Éditorial du Parti ouvrier, 4.12 : p. 1 et Roret, Mensonges, p. 74. — Pruvot, Martyre et confession d'un jésuite, p. 114.

59  Le Radical, 3.6 : p. 1.

60  Lanterne, 4.9 : p. 2.

61  « Un prêtre incendiaire. Un triste sire, calotin par dessus le marché, le sieur Joseph Baule, curé de Gaufreville [...] » (Intransigeant, 21.2 : p. 3).

62  G. Gouverneur, Coquelicots, 1.6 : p. 1.

63  « ... Actes » : Lanterne, 1.1 : p. 2 - Frère Hyacinthe : Petit Parisien, 21.2 : p. 4. - « Crimes aussi odieux » : Le Danton, 1.3 : p. 3.

64  Lanterne, 9.6 : p. 1.

65  Voir Le Radical et La Lanterne, tout le mois de décembre. Également le Journal illustré, 22.12 : p. 408 et le Petit Méridional 18.12 : p. 1 : « Telle est la vie de cet immonde personnage, vie qui n'est qu'une longue suite de crimes et de turpitudes. » Exposé détaillé encore dans Journal des Débats, 19.12.

66  Exemple de dessin sacrilège bien propre à la presse républicaine, la couverture du Grelot (P), 18.8 : Boulanger crucifié au milieu de deux larrons, Rochefort et Dillon, avec à ses pieds la Limouzin et autres « saintes femmes »...

67  Revue bleue, II :  p. 98.

68  Voir Journal Officiel, vers le 5.2 et répl. de Mgr Freppel, p. 392.

69  Cf. Lecanuet, 1910, II : p. 366.

70  Il est cependant des anticléricaux concordataires pour mieux contrôler le clergé, par exemple Cossé, Constitution, p. 279 et Ferneuil, Principes de 1789, passim.

71  « Égalité... » : Lanterne 20.4 : p. 1. - « Patriotes » : Correspondances républicaines, 22.1. - « Curés en herbe » : Lanterne, 23.5 : p. 1.

72  Clocher, 4.7 : p. 2.

73  Égalité, 21.3 : p. 2.

74  Combes, Sénat, Journal Officiel, p. 713.

75  J. Simon, Sénat, Journal Officiel, p. 508 ; « tout ce large enseignement enfin donné à tous, sans distinction, sans égalité, sans arrière-pensée » (J. Buisson, Revue pédagogique, XIV, p. 22).

76  J. Buisson, loc. cit., p. 20.

77  Journal d'éducation populaire, p. 18.

78  Cri du peuple, 1.1 : p. 1.

Pour citer ce document

, « Chapitre 34. L'anticléricalisme», 1889. Un état du discours social, ouvrage de Marc Angenot Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/1889-un-etat-du-discours-social/chapitre-34-lanticlericalisme