1889. Un état du discours social

Chapitre 42. Le contre‑discours catholique

Table des matières

« Hic est modernus »
(Abélard, sur le Diable)

Le catholicisme perd du terrain dans les institutions, les pratiques, les consciences depuis bientôt un siècle ; selon l'analyse des historiens, cette déchristianisation s'accélère depuis une vingtaine d'années. L'image sociale du prêtre se dégrade. Dans plusieurs départements, on est en pleine désertion des autels ; le recul de la foi est plus ancien, mais l'indifférence religieuse « visible » est relativement nouvelle.

Le discours catholique, sous sa forme centrale, typée, radicale, celle du Syllabus dont nous allons nous occuper, revient en partie à nier cette déchristianisation, à attribuer les difficultés de l'Église au malheur des temps et à l'action, tolérée par la Providence, des « sectes impies ». Une promesse eschatologique de règne imminent du « Sacré‑Cœur de Jésus » vient garantir la défaite de la France juive et athée, le retour à la France chrétienne.

Ce que nous allons analyser dans le présent chapitre n'est ni un complexe discursif déterminé, ni seulement un champ de discours organiquement liés. Le catholicisme forme à lui seul un discours social autosuffisant et complet, renfermé sur sa propre logique, possédant une topologie structurée, étendue, analogue à la division du discours « laïc » : il y a une presse d'actualité, une publicistique, une littérature et des sciences catholiques. Il y a des revues de dames chrétiennes, des romans pour la jeunesse, une presse pour la campagne, etc. Nous nous trouvons en face d'un contre‑discours global, enkysté en quelque sorte dans la topologie du discours social général. Ce contre‑discours est systématiquement travaillé pour renforcer son incompatibilité avec les thèmes, les axiologies, les argumentaires et les styles qui s'imposent ailleurs, « au dehors ». Il réaffirme la prééminence dogmatique de la religion révélée, l'unité immuable de ses idées et de ses valeurs, l'écart total, l'antagonisme avec les discours du siècle. Il est construit délibérément comme une Ungleichzeitigkeit (Bloch), comme non‑contemporain d'un temps qu'il exècre et anathémise. Les catholiques « libéraux » ou mondains s'en désolent, admettent des accommodements. Lui, ne peut ni ne veut en admettre aucun. On peut dire que ce n'est pas seulement un contre‑discours, mais un discours apparemment produit par une formation sociale différente. Je renvoie ici au beau travail de Jean Faury, Cléricalisme et anticléricalisme dans le Tarn, 1848‑1900 (Toulouse‑le‑Mirail, 1980) qui montre en deux grands chapitres, deux « mondes » le clérical et l'anticlérical absolument opposés par les valeurs, les idées, les mentalités, les intérêts, les actions.

Déclaré antiscientifique, obscurantiste, fanatique, le discours catholique en est venu à s'appliquer à l'être, à parler avec une dévotion têtue de miracles, d'interventions providentielles, du Diable... Enfermé dans la citadelle ruineuse du Syllabus errorum, il résiste aux erreurs en confessant bien haut ses vénérations et ses exécrations. Il n'est pas seulement dogmatique, il affiche son dogmatisme et anathémise même ses « alliés » tièdes et inconsistants, même la presse de droite. Le Figaro a appelé le purgatoire, « le centre‑gauche de l'éternité ». Mot innocent ? Non, « blasphème » que la Croix dénonce sur un ton grondeur1.

L'écart est si grand que, pour les républicains, le texte catholique est devenu un ready‑made comique. Le Charivari n'a qu'à découper tous les jours de petits passages extraits du grave et austère Univers des frères Veuillot et... le lecteur se tord de rire. Mgr Fava, de Grenoble, et Mgr Robert, de Marseille, sont parmi les auteurs de mandements les plus « cocasses » aux yeux de la « presse sans Dieu ».

Les républicains ont l'indignation effarée quand ils plongent dans « cette littérature idiote, monstrueuse par sa duplicité, sa bêtise, et qui s'entour[e] du patronage de NN.SS. les Évêques ». Mais bien des esprits chrétiens avouent aussi leur non possumus face au discours clérical. L'Abbé Roca, prêtre gallican, le caractérise en ces termes : « soumission aveugle, abandon de soi‑même, horreur de tout progrès social, éloignement systématique des plus nobles aspirations de ce siècle ». Joséphin Péladan, homme de lettres et catholique ardent mais hétérodoxe, s'afflige :

L'estampille qui donne cours à un livre ou à une image parmi les catholiques, c'est l'idiotie. Allez voir si les comtesses du noble faubourg lisent les livres qu'elles patronnent, pour l'abêtissement des paroisses2.

Le système discursif catholique est, tout d'abord et concrètement, le produit d'un vaste réseau d'éditeurs, parisiens et provinciaux, qui sont au service exclusif du livre religieux et de la « bonne presse ». À Paris, ce sont Palmé, Vic et Amat, Retaux‑Bray, Téqui, Lecoffre. Poussielgue est spécialisé dans les grands travaux de théologie. En province, il y a Vitte à Lyon, Mame à Tours, Desclée à Lille, Barbou à Limoges et de nombreuses autres maisons, antiques et solennelles. L'idée d'un « apostolat de la presse » ne s'est formulée que récemment et elle effarouche encore les notables et la hiérarchie. Cependant les Pères assomptionnistes développent avec fougue une presse populaire militante – La Croix, Le Pélerin – d'où sortira au début du siècle suivant la « Maison de la Bonne presse ».

Le discours catholique s'appuie sur un vaste appareil idéologique qui défend avec acharnement son statut, ses privilèges et sa survie comme telle. La division entre Église enseignante et Église enseignée (qui n'a qu'à se taire) est fermement maintenue. Les cléricaux protègent la « monopolisation de la gestion des biens de salut par un corps de spécialistes religieux » (Bourdieu, reprenant Weber).

*

Ce ne sont pas tous les idéologues du catholicisme qui se regroupent sous la bannière antimoderniste, ultramontaine, dogmatique du Syllabus. Il est des libéraux, conciliateurs à l'égard de la République et de certaines idées modernes. Ils sont en porte‑à‑faux et aisément condamnés par l'autorité du discours clérical. Il est des gallicans sans doute ; ils se taisent. Le discours que nous allons décrire se développe contre toute une tendance attestée à travers le XIXe siècle de théologie rationaliste et de réconciliation avec la France post‑révolutionnaire, ou du moins de critique « intelligente » et tempérée de la Révolution (Voir les travaux de Maret, de Dupanloup). À proportion des succès de la république et de l'idée laïque, le discours clérical s'est détourné de ces tentatives d'ouverture. Des « intellectuels » comme F. Brunetière, comme C. Jannet (en sociologie) voudraient sortir l'Église de son ghetto, sensibles au fait que devant l’« anarchie », politique et morale, la religion seule peut être un ciment d'union et que l'intransigeance cléricale la rend inaccessible à un grand nombre de « gens de bien ». Le catholicisme, écrit Jannet est « la seule digue résistant à la poussée de la démocratie socialiste »3. De son point de vue, il a raison comme ont raison les catholiques sociaux, mais ils sont, comme je le disais, en porte‑à‑faux, le système discursif catholique consiste pour leur stratégie un obstacle objectif.

Topologie

Le discours catholique se déploie des Études, du Correspondant et autres « revues politiques et littéraires » lettrées, ésotériques, de hauts débats philosophiques, à la Croix, instrument de la « bonne presse » de masses destinée aux culturellement faibles, puis aux Veillées de Chaumières, aux almanachs et brochures de dévotion pour illettrés. Tout l'éventail donc des distinctions sociales ; en haut, le catholicisme est inséparable des valeurs de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie ; en bas, on rencontre des dévotions pour paysannes, un bas cléricalisme « vernaculaire » et superstitieux. C'est cette topologie que nous allons d'abord parcourir.

Théologie, apologétique, érudition sacrée

Au sommet de la topologie du discours catholique, on inscrira les publications de doctrine chrétienne, de théologie, d'exégèse et d'apologétique d'où émane un vaste secteur de publications d'édification et de dévotion. La Revue des sciences ecclésiastiques et la Nouvelle Revue théologique de Tournai sont parmi les grands périodiques de ce secteur. Depuis l'encylique Aeterni patris de 1879, Rome favorise l'orientation néo‑thomiste qui s'exprime notamment aux Annales de philosophie chrétienne. Le premier traité en français (quelques autres en latin l'ont précédé) est le Traité de philosophie scolastique d'Elie Blanc qui combine en 1889 à l'enseignement de Thomas d'Aquin la réfutation d'« erreurs » philosophiques nombreuses, de Descartes à Spencer.

L'apologétique est l'exposé raisonné des fondements de la foi. Les traités, cours, dictionnaires d'apologétique abondent. Le caractère révélé de la foi chrétienne se démontre par sa perpétuité, les prophéties contenues dans la Bible, les miracles. La « preuve ontologique » est toujours assénée avec aplomb et sérénité : « C'est là un argument écrasant pour les athées et l'on peut défier hardiment qui que ce soit de l'infirmer »4.

Les travaux des bollandistes, l'hagiographie, l'histoire ecclésiastique prolongent les traités de doctrine et de dogme. Les Analecta bollandiana et l'érudition hagiographique forment une tradition savante renfermée sur elle‑même, sans interférence avec les autres disciplines historiques. D'antiques controverses s'y développent, indifférentes aux critiques rationalistes. L'Abbé Vidieu démontre en un monument in‑quarto que Saint‑Denis, évêque de Paris, est bien Saint‑Denys l'Aréopagyte et par là prouve l'apostolicité de l'Église parisienne primitive. Les données historiques contemporaines sont traitées à la lumière d'explications providentielles et tout jugement causal soumis à une logique séculière est rejeté comme téméraire et peccamineux. Qu'il s'agisse d'établir la sainteté de Mgr Jacquemet, évêque de Nantes ou de Mgr Darboy, évêque de Paris, l'érudition chrétienne reconnaît les siens et les révère avec un mépris intrépide pour l'opinion du siècle, pour les événements et personnages qui occupent les esprits laïcs. En établissant la biographie de M. Cognat, curé de N.‑D. des Champs (et professeur du jeune Renan), l'Abbé Moser montre que ce prêtre d'excellente et saine doctrine, qui a pourchassé tout sa vie les erreurs et variations, a polémiqué à bon droit contre Louis Veuillot dont la théologie était fort aventurée. Mgr Chapon produit une biographie de Mgr Dupanloup : elle cherche à prouver que l'évêque d'Orléans jamais ne fut un « libéral », jamais ne chercha le moindre accommodement avec le siècle et ainsi jamais ne s'écarta de la parfaite orthodoxie. D'autres travaux d'une érudition immense font progresser l'histoire sacrée : histoire de la liturgie aux temps mérovingiens ou archéologie des représentations de l'assomption corporelle de la Vierge dans la France romane et gothique...

Traumatisée par le modernisme et le renanisme, l'Église catholique laisse les études bibliques dans un quasi‑néant. Ceux qui comme François Lenormant (†1883) ont fait preuve d'un relatif esprit d'ouverture n'ont pas évité les ennuis, fût‑ce posthumes : ses écrits viennent d'être mis à l'index. Loisy vient d'être nommé à l'Institut catholique ; ses conflits avec Rome sont pour plus tard.

En dehors de ces traditions particulières, il existe bien une historiographie catholique qui touche aux sujets politiques, séculiers, ou à l'histoire « païenne ». Cette historiographie, dogmatique, providentialiste, ultramontaine, est absolument étrangère aux univers discursifs extérieurs. On polémique cependant contre les historiens modernistes ou sceptiques, à la Revue des questions historiques, à la Revue de la Révolution (les horreurs de 1789 sont au centre des préoccupations), mais c'est avec des arguments qui ne peuvent convertir que les dévots. Quant aux grands personnages de l'antiquité, l'historien catholique ne résiste pas à démontrer combien ils ont pu souffrir d'être privés des lumières de la Révélation :

Tacite aurait trouvé dans le Christianisme qu'il a calomnié, la solution de ses doutes et l'explication de ses difficultés. Cicéron [...] témoigne par ses souffrances en faveur de cette révélation divine dont Platon avait senti le besoin avant lui5.

Il existe un droit catholique, appuyé sur les idées de l'Église, lesquelles « exigent l'adhésion de tout catholique et j'ajoute de tout homme sensé »6. La Revue catholique des Institutions et du Droit polémique avec acharnement pour un « droit naturel » étrangement semblable à la logique fondamentale des institutions d'Ancien régime et contre l'idée, proprement diabolique, de « droits de l'homme », contre le jacobinisme, le libéralisme, le démocratisme du droit moderne.

Les catholiques ont enfin une sociologie : celle de Le Play, à tous égards en accord avec l'enseignement de l'Église, sociologie ultra‑réactionnaire dont l'influence, cette fois, excède de loin les milieux cléricaux et s'exerce sur bien des esprits conservateurs.

Deux revues bibliographiques, la Bibliographie catholique et Polybiblion rendent compte de toute cette érudition, enfermée dans sa logique, totalement indifférente à l'autre science, non‑chrétienne que son absence de référence à la révélation disqualifie en bloc et que l'on se borne à condamner et à vouer aux gémonies.

La « vraie science » contre la « science prétendue »

« Les vaines curiosités du savoir » dont parlait Bossuet se sont emparées du siècle qui porte révérence à une « science prétendue », indifférente à la Révélation, irréligieuse, sectaire, peccamineuse par nature et par intention. On voit déjà se dessiner dans le discours social « laïc » cette réaction bourgeoise de la fin du siècle contre le scientisme triomphant. Les catholiques attendent le rejet du matérialisme mensonger et se réjouissent aux prodromes d'un retour à la foi. On n'est pas hostile à la science et on le proclame d'emblée et bien clairement : « il n'y a rien de si beau que la science, – après la foi » [entendre : totalement subordonné à la foi]7.

La « fausse science » de ceux qui ne reconnaissent pas l'existence de Dieu et l'autorité de l'Église ne mérite que le nom de « science spéciale » ou mieux de « science séparée », que lui donne la Revue de la science nouvelle8. Cette fausse science qui se dit libre et critique, est prisonnière d'un « préjugé » intolérable, sa « négation a priori du surnaturel et de l'intervention divine en dehors des lois ordinaires de la nature »9. Le matérialisme est donc irrationnel. La vraie science aboutit à Dieu, c'est le critère même qui permet de l'authentifier. Un savant doit chercher l'accord de la science et de la vérité révélée. Les « esprits forts » du temps ont dénaturé l'astronomie, la zoologie pour servir leur sectarisme matérialiste. « Cette science si adulée, qui a remplacé Dieu, quelle certitude a‑t‑elle acquise ? » Aucune10 ! Il faut concilier la science et la foi, rétablir la communauté de pensée entre la métaphysique et les sciences. Le vrai savant admire, croit et s'incline. Le médecin sectaire « qui cherche à la pointe du scalpel, l'âme » (topos polémique bien actif), est ridicule autant que réprouvé. Une science chrétienne se développe donc en toute sûreté doctrinale. Le P. Hilaire de Paris démontre, avec l'imprimatur, la fausseté du système copernicien : la longévité des patriarches, nos premiers astronomes, leur a permis d'établir un système bien meilleur que celui de Copernic. Le darwinisme athée, l'évolutionnisme sont abondamment réfutés :

L'homme fut créé tout élevé, dans la plénitude de sa vitalité physique et intellectuelle11.

Les arguments de l'autre camp sont disqualifiés : c'est par haine de Dieu que les évolutionnistes s'en prennent à la doctrine de la création et inventent des théories spécieuses et intenables. L'anthropologie préhistorique prétend ignorer le témoignage de la Bible. Pourquoi ? « Dieu est un terme anti‑scientifique disent les évolutionnistes matérialistes. Dieu, il n'en faut plus ! Voilà le secret de la haine des évolutionnistes contre la doctrine que nous soutenons. » Les matérialistes refusent par système et par ignorance de voir ce qui sépare l'homme de l'animal et dont le R.P. de Bonniot fait l'exact relevé12. La vraie science est destinée à prouver le dogme ; malgré les incrédules, la vraie médecine « s'incline devant les miracles » ; la vraie cosmologie apporte des preuves à l'apologétique ; la vraie physiologie établit que « l'âme n'a rien de matériel, elle est unie au corps de l'union la plus étroite » et que la pensée « n'est pas une fonction du système nerveux »13. Une petite démonstration du préjugé scientifique est assénée par un chroniqueur du Pèlerin. La science enseigne que :

La chaleur
l’électricité
la lumière

}

est mouvement

Pourquoi refuse‑t‑elle, alors l'énoncé, tout aussi paradoxal en apparence :

Pater
Filius
Spiritus Sanctus

}

est Deus ?

Seuls les sectaires résisteront à cette démonstration14 !

Pour la jeunesse

Nous analysons ailleurs la production discursive à l'usage de l'enfance et la jeunesse : livres scolaires et littérature. La bataille que les catholiques mènent contre la laïcité se déroule surtout sur ce terrain. Une presse pour l'enseignement et des manuels pour tous les niveaux et toutes les disciplines s'efforce de produire des enfants chrétiens :

Fuir les mauvais désirs n'est pas assez pour un enfant chrétien ; cet enfant doit encore remplir son cœur de saints désirs. Il doit dire : Oh ! que je veux aimer la belle vertu de pureté qui me rendra semblable aux anges ! Je veux ressembler à Saint Louis de Gonzague, à Saint Stanislas‑Kotska15.

La littérature

La littérature catholique, ce ne sont ni Barbey, ni Verlaine, ni Villiers ni encore Léon Bloy ou Hello, ignorés, méprisés. Ni les décadents et rosicruciens Péladan ou L. de Larmandie, plus que suspects. Il est cependant à l'ombre de l'Église une énorme production, poétique surtout et romanesque, ardemment dévote, doucereusement nulle et censurée d'ailleurs par de vertueuses pimbèches. L'Abbé S. Gomber produit une forte histoire littéraire, Les poètes de la foi au XIXe siècle : on y met au pinacle une cohorte de versificateurs remarquablement obscurs, mais parfaitement orthodoxes. Les poètes « sceptiques » glorifient le vice et s'abaissent « au naturalisme le plus honteux ». C'est une « littérature en putréfaction ». Les poètes catholiques amènent les âmes à Dieu. Ce sont surtout E. Turquety, P. Reynier, J. Reboul, V. de La‑prade et M. Jenna.

Un seul écrivain catholique dont l'œuvre est parsemée de « trésors », est connu (quoi que le plus souvent en mauvaise part) du monde extérieur, c'est L. Veuillot. Pour le reste, le réseau d'édition catholique fait la réputation sinon la fortune de quelques centaines de poètes et prosateurs dont aucun n'a laissé le moindre souvenir. La presse publie en feuilleton de pieux romans ; Aïcha de Cat : un bon prêtre basque a recueilli une jeune fille juive ; le père, banquier qui « hait le Christ », veut la reprendre. C'est la lutte entre la prière du prêtre et l'or des juifs16.

Ouvrages et presse de dévotion

De l'enseignement ésotérique, de la théologie et des sciences sacrées découle toute une littérature de dévotion et d'édification. Chaque diocèse d'abord possède son catéchisme propre, abrégé en questions et réponses de la doctrine et « moyen de gagner le Paradis ». D'innombrables « Explications » des catéchismes diocésains paraissent, revêtues de l'imprimatur.

Qu'est‑ce qu 'un bon chrétien ?
R. Un bon chrétien est celui qui, étant baptisé, croit tout ce que Jésus‑Christ a enseigné et observe tout ce qu'il a commandé17.

Les publications dévotes forment un ensemble foisonnant de livres et de brochures : collections de prières, à tel et tel usage, plans de neuvaines, méditations sur « les Mystères du Rosaire », sur « les Sept douleurs et les Sept allégresses de Saint Joseph », recueils de litanies, exposés sur l'intercession des trépassés et dévotions particulières à l'intention des âmes du purgatoire, plans d'homélies et de prônes à l'usage des ecclésiastiques, modèles de retraites pastorales... Les éditeurs dévots publient régulièrement les conférences du carême, celles surtout de l'éloquent P. Monsabré qui en 1889 a traité à Notre‑Dame de « l'Enfer, l'éternité des peines » et de « l'autre monde, le Purgatoire ». On voit se dessiner ici une certaine morbidité des thématiques dévotes sur quoi nous reviendrons. On trouve encore des recueils de cantiques dont le mysticisme décadent anticipe sur les niaiseries poétiques de Thérèse de Lisieux :

Vive Jésus quand son œillade
Me rend heureusement malade
[...]
Vive Jésus lorsque sa bouche
D'un baiser amoureux me touche !
Vive Jésus quand sa bonté
Me réduit dans la nudité !
Vive Jésus lorsque pâmée
Je me trouve en lui transformée
Vive Jésus quand ces blandices
Me comblent de chastes délices18.

Vient ensuite une masse de revuettes de confréries, de tiers ordres, Annales du Culte de Saint Joseph et de la Sainte Famille, Annales de l'Archiconfrérie réparatrice des blasphèmes et de la profanation du dimanche, Confrérie du Cœur eucharistique de Jésus, Écho du Purgatoire et Annales de la communion des saints... Examinons ce dernier mensuel, publication des Pères maristes. L'intention particulière qui s'y exprime est de « prier pour les pauvres âmes du purgatoire ». En cette revue, s'expriment avec une candeur saintement roublarde des « mentalités » dévotes si étonnamment éloignées de l'esprit rationnel qu'en effet la presse laïque n'aurait qu'à se baisser pour y ramasser les perles. Témoignage : « me trouvant dans une grande gêne d'argent [...], je me recommandai aux chères âmes du Purgatoire [...] J'ai reçu un secours d'argent [...] Je remercie donc vivement ces bonnes âmes ». Par centaines, les Pères recensent les « grâces temporelles » de même farine obtenues par cette bénéfique dévotion.

Trois grands objets de dévotion s'offrent aux catholiques de la fin de siècle, objets qui ne sont pas dépourvus d'une dimension politique mais qui aussi s'entourent de formules fétichistes, minutieusement irrationnelles. Il s'agit de la « dévotion au divin cœur de Jésus », de l'inflation considérable du culte de la Vierge (et du battage autour de Lourdes, de la Salette et autres lieux où Notre‑Dame guérit en semonçant la France) et enfin de toute une littérature sur la « mission divine » de Jeanne d'Arc, vénérée bien avant que Rome se soit prononcée sur son cas.

Le Sacré‑Cœur de Jésus

Le 28 juin 1889 un Décret de la Sacrée Congrégation des Rites élève la fête du Sacré‑Cœur comme « fête double de première classe » au vendredi après l'octave de la Fête‑Dieu. Pas moins d'une centaine d'ouvrages se consacrent à étudier « la place adorable de Jésus‑Christ et de son cœur dans le plan divin », mais surtout à montrer comment, à l'heure où « l'impiété livre à Dieu une bataille désespérée », il faut tout attendre du Cœur sacré de Jésus, brûlant d'amour pour la France, et tout faire pour hâter « le règne social de ce Cœur adorable ». Cette religiosité attachée fétichistement au saint Viscère, étreint d'épines et brûlant de flammes (« Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes », a dit Jésus à la bienheureuse Marguerite‑Marie) conduit par un enchaînement d'énoncés « mystiques » à la Consécration de la France, qui effacera les abominations révolutionnaires de 1789 et de 1871 et assurera l'avènement et le règne du Christ‑Roi.

On connaît les données historiques sur lesquelles s'appuie cette mystique qui finit en politique. Marguerite‑Marie Alacoque, une religieuse illuminée de Paray‑le‑Monial, se déclara favorisée d'une vision le 17 juin 1689 : le Christ tendant son cœur ardent lui était apparu et réclamait la consécration de la France à ce Cœur divin. La France de Louis XIV n'exauça pas ce vœu... On sait ce qu'il advint en 1789. Les catholiques de 1889 fêtent le bicentenaire de Paray‑le‑Monial en se détournant avec horreur du centenaire de la Bastille. 1689‑1789‑1889 : il ne faut pas être grand clerc en numérologie pour sentir quelle consolante promesse est contenue dans cette consécution de dates. « La France pénitente sera guérie et sauvée en 1889 par cette merveilleuse blessure »19. Adorer le Sacré‑Cœur, n'est‑ce pas également adorer le signe de ralliement des Vendéens contre la Révolution satanique, n'est‑ce pas enfin vouloir réaliser le « vœu national du Sacré‑Cœur de Montmartre », effacer le crime des communards, assurer la « réparation nationale » ? « De la Gallia poenitens sortira une France nouvelle, une France consacrée au Cœur de Jésus. » Sans cesse les mêmes formules sont scandées : « le Sacré‑Cœur sauvera la France ! » Des légions de pélerins le chantent depuis quinze ans :

Dieu de clémence,
Dieu protecteur,
Sauvez, sauvez la France
Au nom du Sacré‑Coeur !20

Cette phraséologie mystique aboutit à une promesse eschatologique-politique : les temps sont proches où le règne du Cœur Sacré permettra de « proclamer les droits politiques de Jésus‑Christ »21. À cette utopie réactionnaire contribuent des publicistes mystiques comme les militants pères assomptionnistes de la Croix : « Nous le voulons ; vous régnerez sur nous en seigneur et maître ».

On notera le caractère singulier de cette séquence litanique d'énoncés obscurs à la « gloire du divin cœur de Jésus » qui, – du rappel des apparitions de Paray‑le‑Monial, – conduit à l'exigence inlassablement proclamée du « Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et les sociétés » (c'est le titre d'un mensuel publié à Bruxelles). Le culte du Sacré‑Cœur s'exprime en un martèlement de formules véhémentes et imprécises, des sortes de pentacles antirépublicains ; ils ont sur les esprits un effet d'envoûtement qui les dérobe à l'analyse.

Le culte marial

La vénération due à la Vierge Marie tourne dans la seconde moitié du XIXe siècle à la divinisation, à une « mariolâtrie » qui, d'enthousiasme en enthousiasme, aurait paru jadis proche de l'hérésie : est‑il bien orthodoxe d'affirmer que « c'est une vérité indubitable que la très Sainte Vierge est dépositaire et distributrice de toutes les grâces » ?22. On trouve de tels propos dans des ouvrages revêtus de l'imprimatur et dans des revues spéciales comme le Rosier de Marie, journal en l'honneur de la Sainte Vierge. « Ainsi telle est la volonté de Dieu : tout nous arrive par Marie. Tous les biens de Dieu, Dieu lui‑même, si je l'ose dire, Jésus et son divin Cœur viennent à nous par l'intermédiaire de Notre‑Dame. »

Mère de Dieu, la Vierge est la « mère des âmes », mais elle est aussi embrigadée dans une reconquête chrétienne de la France révolutionnaire. Son chaste époux, Joseph « n'en est pas moins Père de Jésus » ; à ce titre une dévotion spéciale est encouragée ; les Annales de Saint Joseph compilent des traits édifiants et de petits miracles attribués à l'intervention surnaturelle du « Parfait et virginal époux »23.

Ce sont les miracles de Lourdes qui occupent le plus la presse catholique, les guérisons innombrables, les conversions qui s'ensuivent. De nombreux récits de pélerinages attisent l'émotion mystique. Louis Colin publie Le parfum de Lourdes, 300 pages en versets à la Lamennais mâtiné de Veuillot, pleines d'intersignes narrés avec une émotion prosélyte. Le récent miracle advenu à Céleste Genoux, la « petite muette » (1888), témoigne que la fontaine des grâces est loin d'être tarie. « La ville des célestes sourires et des larmes consolées, Lourdes, tombeau de la haine et berceau de l'amour, est le lieu inénarrable du monde »24.

On sait que Lourdes n'est qu'un moment d'une suite d'apparitions qui bouleversent la France catholique, de la Salette (1846) et la « Sainte Face » de Tours (1858) jusqu'aux apparitions de Pontmain (1870). Les dévots les plus irrationnels accueillent du reste la Salette et ses « révélations » angoissantes avec de mystiques frissons et placent volontiers les apparitions alpines au premier rang.

Jeanne d'Arc

Sans doute, Jeanne n'est‑elle pas canonisée, ni même béatifiée, mais l'Église de France en recommande la vénération, au même titre que sainte Geneviève, elle aussi sauveuse de la Patrie. Jeanne est la « personnification de la France chrétienne », mais cette bienheureuse est indécemment annexée par les patriotes républicains. Ils n'y ont aucun droit, eux qui nient sa « mission divine ». « Les francs‑maçons et les juifs complotent de diminuer aux yeux du peuple la grande figure de la libératrice de la France »25.

Il est vrai que les républicains font tout pour faire de Jeanne une patriote, humanitaire, victime de l'Église romaine et que Rome, justement, fait traîner l'enquête préalable à la canonisation. Encouragé par la « Bonne presse », Léo Taxil fonde une revue, Jeanne d'Arc, exclusivement consacrée à la Vierge de Domrémy. On s'y indigne du fait que la « Jeanne d'Arc » de Gounod va être créée sur scène par une comédienne juive, Sarah Bernhard. Jeanne est l'objet d'un combat idéologique incessant : entre 1886 et 1890, soixante‑six ouvrages des deux bords se disputent l'humble fille. Les catholiques attendent d'elles d'être sauvés une seconde fois :

O Jeanne, sauvez‑nous, pour la seconde fois, de l'invasion anglaise.
Délivrez‑nous de la Franc‑maçonnerie26.

La propagande édificatrice

Ce n'est pas seulement dans des brochures spéciales que cette propagande se diffuse ; toute la presse catholique, au premier rang la Croix, entretient la foi avec des récits d'événements où est censé passer le souffle du surnaturel. Il y a un secteur d'hagiographies populaires, des Vies de saints et de saintes pour tous les jours de l'année et d'autres biographies, édifiantes, de bons prélats, de nobles personnages qui quittèrent les grandeurs du siècle pour la vie pénitente. Les sœurs de charité, chassées des hôpitaux par les laïcisateurs, portent témoignage des persécutions odieuses perpétrées par la République et Léo Taxil, encore, publie un livre à la gloire de leurs vertus.

Les souffrances du Souverain Pontife, sur la paille du Vatican, outragé, persécuté sans cesse par les « sectaires impies », suscitent une abondante littérature de « papolâtrie ». La situation du Pape est intolérable, reconnaissent les chroniqueurs les plus pondérés. La perte des États pontificaux a été un « odieux attentat ». Dieu voudra précipiter la chute de la Maison de Savoie et rétablir le « Prisonnier du Vatican » dans tous ses pouvoirs temporels.

À ces récits de désolation, succèdent des récits vengeurs. Dieu punit les impies. Il a « frappé la vigne » en envoyant à la France républicaine le fléau du phylloxéra27. La « main de Dieu » s'abat fréquemment sur les libres penseurs. L'un d'eux a proféré contre la Sainte Vierge des « blasphèmes horribles » ; la Croix du Dimanche signale avec satisfaction qu'il a été frappé d'un « cancer à la langue »28. D'autres esprits forts, fonctionnaires républicains, sont frappés par Dieu : leurs enfants meurent, ils se suicident. Le maire de Toulon a supprimé des croix dans un cimetière : « on a remarqué qu'après cet exploit le maire Dutasta est devenu fou »29. La Croix se réjouit de voir les « sans‑Dieu » frappés dans leurs femmes, leurs enfants, terrassés par d'affreuses maladies, ruinés – espérant pieusement que ces épreuves seront pour eux le salut.

L'intervention de la Providence, le plus souvent vengeresse, apporte aussi des grâces inespérées : des « libres penseuses » se convertissent, et même des juifs, lesquels meurent en odeur de sainteté, rares exemples de la puissance de la grâce30. La Croix annonce la conversion de la Reine d'Angleterre : « Dieu veuille que ces nouvelles se confirment ». Léo Taxil, ancien propriétaire de la « Librairie anticléricale » et faux converti, en profite pour conter son chemin de Damas à qui veut le publier :

Tel était donc mon état mental sacrilège, à l'époque où je devais recevoir le coup de grâce...31.

Les récits de conversions subites abondent dans les journaux, pleins de détails circonstanciés et abracadabrants. La Croix favorise elle‑même des conversions : dans une maison sans Dieu, un agonisant cherchait en vain un crucifix ; il baisa la vignette du journal des assomptionnistes et fit ainsi une fin édifiante. Pour les apparitions et les miracles, la presse catholique fait preuve de prudence. La suite des « mariophanies » plus ou moins controuvées ne cesse cependant pas, mais on attend que « l'autorité diocésaine se prononce ». Quant aux miracles, on se montre réservé, mais on ne résiste pas à exposer « les faits » avec une pieuse crédulité. Ainsi Rochefort, l'athée Rochefort, mais qui lutte du bon côté boulangiste, doit la vie en duel à une médaille de Notre‑Dame :

M. Rochefort tomba. On le crut mort [...] La balle avait dévié sur une médaille de la Vierge qu'une main amie avait cousue secrètement dans la ceinture de son pantalon.
Sans cette médaille miraculeuse, il était tué raide32.

Pélerinages et missions

Pour compléter la littérature édifiante, on mentionnera le genre du récit de pélerinage, combinant à la dévotion un peu d'exotisme et particulièrement apte à l'édition pour la jeunesse. Il y a enfin toute l'activité missionnaire avec ses périodiques, Œuvre des écoles de l'Orient, Missions catholiques, Annales de la propagation de la foi, Annales des Missions de l'Océanie, qui publient les lettres des Pères : difficultés avec les indigènes, martyres, joies des conversions. La foi, seule, peut « régénérer la race noire » et les autres populations païennes.

La presse

La structure de la presse catholique, homologue secteur par secteur et en concurrence avec la presse laïque, confirme ce caractère de contre‑discours systématiquement établi pour lutter sur tous les fronts contre l'esprit moderne. Sans doute en dehors de ce contre‑discours, les grands quotidiens de droite, des monarchistes au Journal des Débats, les grandes revues bourgeoises comme la Revue des Deux Mondes défendent la religion, l'Église, les montrent nécessaires à l'ordre social, mais ils ne portent pas l'estampille exclusive du discours catholique avec ses thèmes‑clés et sa phraséologie.

Il y a d'abord la série des grandes « revues politiques et littéraires » destinées aux lettrés et abordant tous les sujets d'opinion publique et d'actualité. Ce sont les Études religieuses, philosophiques, historiques et littéraires des Jésuites, et le Correspondant, la plus ancienne des revues destinées à l'élite catholique, qui tempère les extrémismes du Syllabus par du « bon ton » et une haute distinction ; plus une demi‑douzaine de publications de moindre prestige33. Une presse spécialisée est destinée au clergé et aux ordres religieux34. Les autres catégories de presse sont également fournies : l'hebdomadaire d'actualité et de débat politique35 ; le grand illustré ; le magasin des familles36. L'éducation des jeunes filles est assurée par la Revue Fénelon. Les dames trouvent la mode et les conseils féminins dans la Femme et la Famille. Pour les petites bourses, Hugo de Penanster a créé le Petit Écho de la mode plein de conseils pratiques et de papotages édifiants. Une presse populaire s'est développée récemment. Sans doute l'édition catholique avait toujours destiné aux campagnes quelques douzaines d'Almanachs pieux, mais depuis 1870, il a fallu faire front et répondre au développement de la presse de masse. Le Clocher (1867‑1891) est le plus ancien titre : il propose des lectures faciles et attrayantes et beaucoup d'endoctrinement et de perfidies antirépublicaines. Les Veillées des Chaumières offrent aux simples des chroniques et des romans, sententieux, édulcorés, avec des personnages pieusement impeccables. Ce sont les assomptionnistes qui, après avoir lancé la Croix ont comblé le vide d'une presse nationale pour les petites gens avec Le Pèlerin et la Croix du dimanche. S'adressant à des analphabètes, ils ont inventé une langue ad hoc : phrases simples, de moins d'une ligne, tiret :

Bêtes. – Les chevaux de fiacre voudraient bien se mettre en grève. – L'Exposition les met sur les dents. – À force de traîner des milliers de badauds, on les traîne à l'abattoir. – Dans le seul mois d'août, les Parisiens ont dévoré 9 411 chevaux de fiacre, soit 250 par jour. – Pauvres bêtes.

Le Pèlerin tire à 80 000 avec un gros service gratuit et est un instrument de guerre parfaitement au point contre la République.

Les quotidiens

Outre plusieurs feuilles catholiques dans les grandes et moyennes villes de province, il est six grands titres nationaux. Par ordre d'ancienneté, le Journal des Villes et des Campagnes (1815‑1914) qui vivote ; L'Univers (1833‑1914) alors dirigé par Eugène et Pierre Veuillot, les fils de Louis, journal de polémiques, grave et austère, qui a été une « puissance » dans le monde catholique jusqu'aux années 1880 ; le Monde d'E. Taconet (1860‑1896), religieux et orléaniste ; la Défense sociale et religieuse, destinée surtout aux ecclésiastiques, fondée par Mgr Dupanloup en 1876 ; l'Observateur français (1887‑1895). Il y a surtout, dans un style nouveau, populaire, d'une dévotion parfois vulgaire et toujours agressive, la Croix fondée en 1883 par le Père Bailly, sous la tutelle des assomptionnistes. Ces moines ligueurs identifient le christianisme à la haine de la République, de la démocratie et des idées modernes. Ils dénoncent, menacent, ne débattent ni n'argumentent. En 1889, la Croix tire à 120 000 et est bien diffusée en province. « Le canard à l'eau bénite » (comme dit la presse d'extrême‑gauche) est souvent distribué gratuitement par le presbytère ou le château. La Croix qui se proclamera en 1890 « le journal le plus antijuif de la France » fait vertu de ses haines, de ses calomnies et de sa bigoterie. Alors que le reste de la presse religieuse déteste ostentatoirement le journalisme « moderne », la Croix a compris les avantages d'une propagande de masse. Antiparlementaire, antimaçonnique, antisémite, la Croix est plutôt hostile au général Boulanger, allié occasionnel, mais trop démocrate à ses yeux.

Traitement de l'actualité

Il y a une manière catholique de disposer de l'actualité. Non seulement ses grands intérêts – le Vatican, la vie religieuse, les affaires cléricales – lui sont particuliers, mais l'actualité courante, de la politique aux faits‑divers, est abordée comme procurant des intersignes d'une eschatologie antidémocratique et antimoderniste. Ainsi du drame de Meyerling (30 janvier). Prête à s'apitoyer sur un Prince chrétien mort dans des circonstances obscures, la presse catholique rejette, sitôt connus les détails, ce débauché qui tue sa jeune maîtresse et se suicide. Elle explique le scandale par le goût des sciences et des amitiés juives chez Rodolphe de Habsbourg :

La cause principale est dans la perte de la foi, dans l'égarement de sa raison à la recherche d'une fausse science [...] Ce qui se passe montre la valeur des amitiés, des sympathies juives et francs‑maçonnes37.

La même presse transfigure rigoureusement les objets journalistiques en allégories du bien ou du mal. Depuis deux ans, elle se déchaîne ainsi contre la Tour Eiffel, symbole antireligieux à ses yeux. La concurrence entre deux monuments en construction, l'un voué au « divin justicier » et à la réparation, l'autre voué à l'« orgueil humain », la Basilique du Vœu national de Montmartre et la Tour Eiffel, constitue l'objet de chroniques mystiques et militantes incessantes. Le Sacré‑Cœur de Montmartre sera l'anti‑Tour Eiffel, que les catholiques n'appellent plus qu'une « seconde Babel », monument vainement destiné à détrôner Dieu et promis comme la première à la ruine et à la défaite de ses promoteurs : « Il en sera de la tour Eiffel comme de la tour de Babel et avant peu ! »38. Le Sacré‑Cœur est au contraire cet édifice qui « grandit chaque jour depuis la guerre, annonçant le salut de la France »39. Le Pèlerin (n° 244) montre en couverture, Satan au sommet de cette Tour sans Croix, cherchant à induire en tentation la France catholique.

Quant aux affaires politiques, elles sont traitées dans l'esprit de la défense catholique qui donne tant d'argument aux anticléricaux. « C'est un devoir de voter, déclare Mgr Goute‑Soulard, archevêque d'Aix ; c'est un devoir rigoureux de bien voter ; c'est un péché de mal voter. » La Croix du Dimanche (15.IX) expose les règles d'une « Neuvaine pour obtenir de bons députés ». La presse catholique aborde la conjoncture politique avec des élans de dégoût et d'horreur et ne fait jamais mystère du rôle qu'elle réserve à Dieu dans les résultats électoraux :

Ô pauvre France, dans quelles mains sont placées tes destinées ! Tourne‑toi vers le ciel. Implore le secours de Dieu et demande‑lui de te débarrasser des fantoches insensés qui [...] te mènent en Chantant aux plus noirs des abîmes40.

Thématique

Un discours de condamnation

L'essentiel du discours catholique est consacré à fulminer contre le monde extérieur, contre tout ce que le siècle admet, approuve et révère. Le contre‑discours est constamment occupé à dénoncer, condamner, « excommunier » tout ce qui n'est pas fermement soumis à l'Église et à la doctrine chrétienne, y compris les catholiques tièdes, les libéraux, les gens qui cherchent des accommodements avec le modernisme et la « fausse science » matérialiste. Les républicains dénoncent dans l’« obscurantisme » clérical quelque chose qui, à leurs yeux, tient beaucoup plus à des choix politiques et sociaux qu'au dogme religieux. Cette distinction cependant est absurde pour les catholiques du Syllabus : la doctrine chrétienne comporte un sens politique et social immanent et invariable ; tout compromis serait peccamineux. La condamnation de ce qui est sorti de 1789, du monde moderne, du libéralisme, du rationalisme, de la Déclaration des Droits, de la République, de la maçonnerie, des réformés, des juifs, de la science athée, de la mauvaise presse, du libertinage des mœurs, de l'école sans Dieu, du féminisme, des laïcisations forme bloc. Il est à peine exagéré de dire que ces condamnations font partie de l'Unité de la foi et ne laissent aucune marge de compromis. Ce qui frappe dans le contre‑discours catholique c'est que sa thématique est entièrement construite sur une négation, une abomination de tout ce qui lui est extérieur, que son objet est ce monde extérieur, ses valeurs et ses principes, en bloc et en détail, dont le discours s'empare dans un geste englobant pour en construire la logique mauvaise comme émanant d'une source unique, explicitement satanique. La finalité du discours catholique est de réunir en faisceau ces maux et méchancetés diverses, de montrer que l'Ennemi n'a « qu'une seule tête ». Discours de combat, appuyé sur des certitudes immuables, le catholicisme de 1889 est délibérément enfermé dans cette logique‑là, colmatant sans cesse toute fissure par laquelle des énoncés, des valeurs extérieurs pourraient le contaminer. Il n'argumente pas, à moins qu'on ne nomme arguments des énoncés qui supposent l'acceptation préalable de son système dogmatique ; il fulmine. Il ne se veut pas accueillant, ni propédeutique ; il préfère rejeter les tièdes, les hésitants, ceux qui sont gagnés par l'Erreur et ne peuvent y renoncer totalement dans les Ténèbres extérieures... Tout est rapporté à l'Église et aux intérêts de la foi et il est louable d'être sourd et aveugle à toute autre préoccupation.

Le littérateur occultiste A. Schuré définit excellemment le contre‑discours catholique en le disant « enfermé dans son dogme comme dans une maison sans fenêtre »41. En ceci, ce contre‑discours est bien fils respectueux du Syllabus errorum de Pie IX (1864) qui a condamné « tous les principes sur lesquels repose la société française », ainsi que le notent les républicains42. Les catholiques l'entendent autrement : « Le Syllabus brille sur les chrétiens comme un phare qui leur montre les écueils et sa lumière ne cesse pas d'importuner les enfants de la nuit et des ténèbres »43. Issu du traditionalisme bonaldien, ce texte pontifical qui précède le Concile de Vatican I se résume lui‑même en sa proposition LXXX : « Anathème à qui dira : Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et se mettre en harmonie avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». Dans son Histoire contemporaine, Anatole France a bien montré, en la personne de l'Abbé Lantaigne, comment le catholicisme du Syllabus ne s'identifie aucunement ni aux catholiques de tradition en général, ni à la politique réactionnaire. Il est haine dogmatique de la diversité et de la nouveauté, confession intrépide d'une vision du monde providentialiste et exclusive, mépris fondé en doctrine de tout libre examen. Toute la prédication du Sacré‑Cœur vient s'inscrire dans cette logique :

Arrête, secte impie, le Cœur de Jésus est là !
Arrêtez, science moderne, intelligence moderne : Arrêtez, sagesse moderne, force moderne : Arrêtez, loges maçonniques, arrêtez vos complots... le Cœur de Jésus est là44.

J'ai dit « haine de la nouveauté » quelle qu'elle soit. En effet, le nouveau doit être suspect : comme le note dans un bref, François‑Marie, évêque de Montpellier, les livres de sciences sacrées ont « l'avantage d'être à l'abri de tout péril de nouveauté »45Rien que l'idée de penser par soi‑même est d'ailleurs de nature pécheresse. « Nous catholiques, nous avons conscience de posséder ce divin flambeau de la vérité doctrinale », proclame un publiciste46. Cette certitude n'hésite pas à s'affirmer impavidement.

Il reste à « propager les saines doctrines » et à anathémiser à tour de bras, avec certitude du succès total après des tribulations passagères. « Tous les systèmes issus d'imaginations égarées ou de cœurs rebelles se briseront contre la vérité. La victoire lui est assurée »47.

Il reste aussi à s'assurer que rien ne viendra troubler les certitudes, que les catholiques ne prêteront pas l'oreille aux sirènes des discours extérieurs. D'où cette lamentation souvent formulée :

Quand donc les catholiques et les familles catholiques ne liront‑ils que les livres écrits par des auteurs catholiques ?48.

C'est que l'Église, entreprise de salut, doit apporter seule le salut cognitif, la salvation discursive qui donnent au monde hic et nunc son sens véritable. Aux rares occasions où le catholique feint d'entrer en dialogue avec l'incrédule, on découvre qu'il en est incapable car cela supposerait qu'il puisse seulement concevoir le point de vue de son interlocuteur :

Vous n'avez pas la foi, dirais‑je à l'incrédule ; mais savez‑vous que c'est très grave pour vous et qu'il n'y a plus de salut possible pour vous tant que vous demeurez dans cet état ?49.

Une historiosophie et une politique

Discours total, vision du monde exclusive et butée, le catholicisme du Syllabus se développe en une historiosophie, explication totale du passé, du présent et de l'avenir. Historiosophie providentielle, où la « main de Dieu » s'abat sur les peuples et sur les destins individuels et où la certitude salvatrice est au bout des désolations et du malheur des temps. Ce malheur est grand. La France, « fille aînée de l'Église », a trahi son mandat mystique ; 1789 fut un péché d'orgueil. De ce péché originel découle un mal omniprésent. Le Pape est incarcéré à Rome. Les « honnêtes gens » sont persécutés par les laïcisateurs et les athées. Les « sectes impies » et les Juifs triomphent momentanément. C'est dans l'ordre des épreuves que la Providence inflige à ceux à qui elle veut prouver son amour. Cette conception de l'histoire et de la conjoncture se monnaye en un satanisme et en un miraculisme anecdotiques.

Le discours catholique est occupé à procurer des indices de la présence active du Diable parmi les Français et de l'activité incessante d'une Providence hargneuse et mesquine, bienveillante aux dévotions méticuleuses et occupée à châtier les méchants. La presse catholique parle du Diable avec le même degré de détails concrets que quand elle parle du Préfet de Police ou du Président du Conseil. Les suppôts du diable sont omniprésents. Le député républicain Jacques est « le porte‑enseigne de Satan ». Il n'est pas de lieu « en cette ville de Paris où Satan se trouve[e] davantage chez lui » qu'au Parlement50. « À l'heure où le prince du Mal, le démon semble jouir en plein de son triomphe », les catholiques voient partout la queue de Belzébuth et brandissent contre lui l'amulette du Sacré‑Cœur.

Miraculisme : on l'a évoqué plus haut. Le catholicisme croit méritoire de refuser les interprétations symboliques, de ne pas faire de Dieu à la façon des protestants, un principe moral un peu lointain. Le Diable agit et la Providence est présente sous une forme romanesque et visible. Elle se manifeste ubiquitairement apportant selon les cas, d'une élection à l'autre, d'un conflit de clocher à l'autre, la punition des mauvais ou (ses décrets étant mystérieux) le renchérissement d'épreuves aux « honnêtes gens » (synonyme de catholique, dans la phraséologie).

Cette vision de l'histoire, providentialiste mais à sa façon crépusculaire et décadentiste, impliquant un refus horrifié de tout le « moderne », politique, social, technique et culturel, n'est pas incompatible avec la « vision crépusculaire » de la déterritorialisation dont nous avons fait le noyau thématique du discours social en 1889. Si son cléricalisme, son goût du surnaturel en détournent les esprits, on peut voir qu'elle partage bien des images, adaptées à sa logique propre, avec le Kulturpessimismus ambiant. C'est pourquoi à ses frontières, des idéologues crépusculaires comme É. Drumont réalisent une sorte de connexion avec la thématique déchristianisée de la Fin d'un monde.

Au bout des épreuves, il y a la promesse d'une apocalypse imminente, de l'avènement d'une théocratie, d'un « règne du Christ‑Roi », d'un retour à « Dieu premier servi », de la défaite des idôlatres de la Raison et de la Liberté. Ici encore la politique « vraie » des catholiques n'est pas de s'aligner sur la réaction antiparlementaire seulement. Comme machine de guerre contre le parlementarisme et les républicains, le mouvement boulangiste convient. Mais si Boulanger est conçu comme une sorte de « fléau de Dieu » dont on attend la ruine des persécuteurs de l'Église, son discours qui désigne bien les ennemis (la Haute banque, les juifs), est trop « démocratique », trop indécis en matière de restauration théocratique. L'Univers lui refuse son appui en soulignant ces ambiguïtés désolantes. L'alliance (chez ceux qui y consentent) est surtout conjoncturelle, tactique et dite telle. Ce qui s'esquisse, c'est le programme d'un État chrétien ultramontain, autoritaire, corporatiste.

Nous faisons de la propagande pour le seul règne de Dieu. Sans le règne de Dieu, aucun excellent gouvernement n'est possible, il n'y a place que pour les suppôts d'enfer qui règnent par la force et la terreur51.

L'alliance du catholicisme avec les forces réactionnaires est fondée en doctrine. Il procure à ces forces une stratégie jusqu'au‑boutiste, un esprit d'émigré, rebelle à tout compromis. L'entente avec les divers monarchistes n'est pas exempte de restrictions mentales. Certes la République est le mal. Mais le monarchisme des catholiques n'est pas non plus faveur accordée aux anciennes familles régnantes. Ce que l'on veut c'est une France redevenue catholique, un État catholique, sans quoi point de salut. « Il ne faut qu'un maître à la France qui se perd, Dieu ; qu'un Sauveur : Jésus‑Christ »52. Il faut ramener les peuples à la loi de l'obéissance en proclamant les « droits politiques de Jésus‑Christ, seul vrai roi de la France et du monde »53. Monarchistes, oui si la monarchie est un système où la religion est tout, où le Décalogue est le droit, la base du gouvernement, où l'Église est rétablie dans tous ses pouvoirs. Dans la conjoncture, cela revient à militer pour que l'on « vote pour Dieu », comme le répètent une infinité de brochures cléricales, – c'est‑à‑dire contre la République. Ces « Catéchismes de l'électeur » qui favorisent parfois le monarchiste, parfois le boulangiste, laissent entendre qu'il n'est qu'une seule fidélité : la soumission ultime à la religion et à l'Église.

Les « ennemis de Dieu »

Les sociogonies – qu'elles soient socialistes, anticléricales, ultra‑catholiques, antisémites – aboutissent toutes à représenter la société comme l'affrontement de deux camps, en un manichéisme de combat. Pour les catholiques, il y a d'une part « l'Armée de Dieu », « la Patrie chrétienne », de l'autre ceux qui veulent abattre la Croix, faire la guerre à Dieu, le parti de « l'incrédulité, l'athéisme, et la juiverie révolutionnaire »54. Cette lutte dépasse les frontières du pays. « À l'heure qu'il est la haine de Dieu s'organise en conspiration internationale. »

Ces deux partis, les « ennemis de la religion et ses amis », sont irréconciliables. La victoire reviendra totalement au camp du bien et la Croix s'occupe à promettre l'imminence de l'Armageddon :

Les voleurs, les laïcisateurs, les persécuteurs, les francs‑maçons, les Juifs et les Prussiens courbent maintenant la tête devant les honnêtes gens, les catholiques et les Français (11.7).

Objets d'anathème : la Révolution, la République

La guerre contre la religion a commencé avec 1789. La Révolution fut synonyme de « guerre à Dieu » et cette guerre continue depuis un siècle. Quand les catholiques écrivent « la Révolution », ils ne pensent pas seulement aux événements de 1789-1793, mais y englobent toutes les ruptures par quoi la société moderne s'est faite, les Droits de l'homme comme l'industrialisme, le libéralisme comme la « mauvaise presse ». Cependant tout le mal a sa source dans l'événement centenaire. Les États généraux voulaient faire triompher l'impiété : ils aboutirent à la ruine. La déclaration des Droits « ne fut en réalité qu'une impudente et inepte déclaration de guerre à Dieu et à son Christ : adversus Dominum et adversus Christum ejus (Ps.II,2) »55. L'idée d'égalité était démoniaque en son principe et absurde : « tous les hommes naissent dépendants et inégaux » et la hiérarchie est la base de toute société. 1789 a donc promu une « doctrine qui est l'antithèse absolue du christianisme ».

Qu'est‑ce donc que la Révolution ?... Elle est une doctrine radicale, destructive du christianisme, substituant la souveraineté de l'homme à la souveraineté de Dieu56.

À la Révolution qui perdure, les chrétiens doivent opposer leur espoir dans « le Salut de la France par le Sacré‑Cœur ». De 1789 est sortie la République, le « règne de Satan ». Celle‑ci n'est pas une forme de gouvernement, mais un régime anti‑chrétien. Il y a des républiques chrétiennes : on admire le régime concordataire et théocratique introduit en Équateur par le fameux Président Garcia Moreno57. La République française, elle, est le mal. On n'écrit pas : « les républicains » mais toujours « les sectaires » ou « les révolutionnaires », les « amis des Juifs » et des francs‑maçons. On ne saurait être catholique et voter pour les partis républicains. Lutte sans quartier toujours proclamée : « Il faut détruire le régime actuel », répète L'Univers (2.VII : p. 1). En invoquant Satan, le catholique se sent très rationnel : le satanisme explique l'à vau‑l'eau de la fin du siècle, alors que la science patauge et n'explique rien. Comment le pourrait‑elle ? La France a péché en 1789 et ne cesse de pécher. Le chrétien inlassablement supplie le créateur bafoué par les sectaires : « Dieu pardonne à la France ! » On comprend combien le Ralliement, recommandé par Rome en 1890 va tomber comme un coup de massue sur toute cette France cléricale.

Sans doute la République persécute‑t‑elle les honnêtes gens, elle blasphème, elle ne favorise que les libres penseurs, les hérétiques et les Juifs. Mais elle est aussi mauvaise dans son principe, qui est celui du suffrage universel (« que Pie IX appelait si bien "le mensonge universel" »), le « faux principe » de la souveraineté du nombre, contraire à la doctrine chrétienne58. Omnis potestas a deo ! Le pouvoir démocratique est un mensonge, il fait œuvre de dissolution et de haine. Depuis deux ans, les boulangistes alliés à toutes les droites et à de larges secteurs de l'opinion s'affairent à vomir le parlementarisme, « cri de haine providentiel », approuve la presse catholique qui fait chorus contre les voleurs, les tripoteurs, les « budgétivores » (néologisme polémique).

« Le monde moderne » : liberté et raison

La République est la forme politique d'une dissolution, d'une corruption générales, sociales, spirituelles que les catholiques désignent, après Pie IX comme le « monde moderne », en ce qu'il a de fondamentalement antichrétien. Tout effort pour le comprendre annonce déjà la compromission. Comme le dit B. Daymonaz dans son ouvrage Le décalogue, tout homme doit aujourd'hui « opter entre Dieu et Lucifer, entre le règne social de Jésus‑Christ et celui de Satan ». Ce monde moderne est construit sur des principes pervers : ceux d'égalité et de démocratie, comme on vient de le voir. Ceux aussi de liberté et de rationalité. L'Abbé C.‑E. Berseaux publie un véhément ouvrage, Liberté et libéralisme : un « complot » des libéraux et des prétendus rationalistes s'est développé au XIXe siècle pour supprimer Dieu, affranchir l'homme de ses devoirs, ôter la pudeur à la jeune fille, donner aux enfants une éducation vicieuse, détruire le mariage et la famille, prôner les systèmes scientifiques négateurs, démoraliser l'armée, affaiblir l'amour de la patrie. « À l'heure actuelle ce sont encore les traditions chrétiennes qui seules, au milieu de tant de ruines, ont le mieux survécu dans la nation »59. Et l'Abbé de conclure avec émotion : « Le libéralisme, voilà l'ennemi ! Le Syllabus voilà le salut ! » D'autres publicistes font chorus. Prétendre penser librement, quelle erreur ! « Mais si chacun raisonne de la sorte et ne juge que d'après ses premières impressions, où en serons‑nous ? »60. La liberté a été « l'erreur maîtresse de notre siècle », car il n'est pas bon de vouloir s'affranchir du « joug de l'autorité ». Le libéralisme est d'ailleurs inséparable du rationalisme :

Qu'est‑ce que le rationalisme ?
C'est l'hérésie moderne qui ne craint pas d'attaquer l'Écriture sainte elle‑même, nie la Révélation et affirme que l'unique règle de la pensée et de la conduite de l'homme, c'est la raison61.

Appliqué aux choses sacrées, le rationalisme donne Renan, ce véritable possédé, « moitié Judas, moitié Crésus », « répugnant personnage » que les sectaires admirent et que les honnêtes gens redoutent et méprisent62.

Le matérialisme

Les misérables qui se disent athées triomphent. « L'athéisme, sorti des officines de la juiverie et de la philosophie allemande » est au pouvoir63. « L'impiété contemporaine » veut « une société dont l'essence est de vivre et de mourir sans Dieu », or l'homme sans Dieu n'est capable que de tous les péchés, du mal et du désespoir64.

Le modernisme, le matérialisme, le libertinage s'expriment notamment dans une vaste production d'imprimés corrupteurs, la « mauvaise presse », « le fumier des feuilles du jour », « la presse juive et maçonnique » et les mauvais livres, les feuilletons et les romans, « peste » qui a envahi notre société, ouvrages qui « s'adressent aux plus bas instincts de notre nature déchue » et qu'il conviendrait de « jeter au feu comme le méritent les incendiaires et les damnés »65.

L'émancipation des femmes

Un thème nouveau, inventé par des « sectaires de la libre pensée » est venu en quelque sorte compléter dans leur logique démoniaque la série de leurs « desseins pervers ». Les féministes échafaudent « de funestes théories dont le but direct est la destruction de la famille » et qui « se mêlent à des scènes scabreuses, à des récits graveleux, à des peintures d'une révoltante crudité »66. Les femmes émancipées se sont jointes à la « bande ignoble des impudiques et des voleurs » selon Taxil. C'est le christianisme qui a affranchi la femme. La Révolution veut l'émanciper, c'est‑à‑dire rien moins que lui inspirer « le dégoût de ses devoirs » et « jeter dans son cœur l'esprit de la révolte ». Le comble est mis ainsi à la désolation67.

La religion persécutée

Partout la religion est persécutée. La France chrétienne gémit « sous le pressoir de l'injustice et de l'impiété officielle » (Taxil). La presse en fourmille d'exemples : prêtres insultés, diffamés, casuels suspendus, interdictions de procession, tombes profanées, fermetures de lieux du culte, blasphèmes officiels. Le Parlement veut tarir le recrutement du clergé en envoyant les séminaristes au service militaire : « on veut tuer la religion ! ». C'est la « loi maudite », la « loi satanique »68. Les ennemis de la foi ont voulu « établir [...] l'État sans Dieu, la famille sans Dieu, le mariage sans Dieu, l'école sans Dieu »69. On appelle cela laïcité, pratique impie qui porte des fruits de mort et de perdition. Les catholiques dénoncent le mariage civil, « débauche et libertinage », les enterrements civils, « cette mode de se faire enterrer comme les chiens », la laïcisation des hôpitaux, qui en a chassé les bonnes sœurs, « remplacées par des femmes et des hommes qui soignent les malades comme ils soigneraient le bétail »70.

L'école sans Dieu

L'école de « l'empoisonnement obligatoire » établie par la République dans le moindre village, est l'objet de haine majeur des catholiques. L'école « maçonnique », « l'école athée obligatoire » est une ravisseuse d'âmes ; elle forme au mépris de la religion, à la haine de Dieu et du sacerdoce. Les enfants qui en sortent ont le « visage pâle et blême », le « front ridé et flétri par le vice ». Le laïcisateur scolaire est l'ennemi impie, le « Hérode moderne » perpétrant un nouveau massacre des innocents71.

L'école laïque fait la guerre à Dieu. Elle ruine la France par une débauche de dépenses architecturales, de « palais scolaires ». Elle produit des criminels et des déclassés. Les instituteurs, « savantasses prétentieux » qui ne vont pas à l'Église « mais seulement au café », se dévouent à produire une enfance sans Dieu. Quant aux institutrices, le métier qu'elles font est si infâme qu'on ne saurait le qualifier. Tous les crimes sortent de la laïque. La défenestration de l'Ingénieur Watrin par les grévistes de Decazeville ? « C'est le résultat de l'éducation laïque », tonne M. Boscher‑Delangle à la Chambre. Ces pépinières de libres penseurs expliquent la précocité de plus en plus grande des scélérats et des jeunes assassins72.

Il ne faut pas s'y tromper cependant : la critique de l'école laïque ne se borne pas à montrer que les « fruits en sont pourris ». Elle est fondée en doctrine. Une école neutre à l'égard de la religion est l'erreur et le mal. « École sans Dieu » : ces deux mots hurlent de se trouver ensemble. « Le christianisme a seul le droit de faire l'éducation du genre humain et par suite celle de la jeunesse, puisque seul il en a les moyens, seul il a reçu la mission du ciel. [...] L'éducation par un athée est impossible »73.

La croisade antimaçonnique

La croisade antimaçonnique forme un sous‑ensemble de propagande qui a ses spécialistes, sa presse, ses institutions. Depuis peu, les catholiques tendent à regrouper et à haïr tout d'un tenant une sorte de Trinité mauvaise : les Maçons, les Protestants et les Juifs. De l'antisémitisme chrétien, nous parlerons plus loin. Pour les sectateurs de la « prétendue réforme », aucune tolérance œcuménique n'est à attendre. Ils appartiennent aux « fausses religions », contrefaçons de la véritable. Ce sont cependant les francs‑maçons qui sont surtout dénoncés et cette dénonciation est accompagnée des romans d'horreur les plus extravagants. Il n'est pas indifférent de voir un secteur idéologique passer de l'hostilité militante à une forme de vésanie démonologique. Les discours fous, – ceux des Inquisiteurs contre les sorcières ou les vaudois, ceux des procureurs staliniens contre les anciens bolcheviks et les opposants – ont leur logique, et leur développement dans le discours social ne manque pas de « contaminer » les secteurs contigus. Au départ, la franc‑maçonnerie est perçue comme un grand élément militant de la République laïque, comme une ennemie de l'Église, ce qui certes n'est pas faux. Mais on en parle d'emblée avec des frémissements d'horreur, on hésite à la nommer. On évoque les « sectes impies », les « sectes perverses », les « sociétés secrètes », les « loges », les « Frères trois‑points ». « Les enfants de la Veuve » veulent constituer « la France de Satan »...74.

Tout de suite, on arrive au mythe du Complot tout‑puissant. Les maçons sont ce groupe de scélérats qui ont voulu, ourdi et perpétré la Révolution française. Toute une historiographie le démontre. Le Vatican s'est prononcé en 1881 dans l'encyclique Humanum Genus (20 avril) contre les sectes maçonniques, assimilées à l'œuvre de Satan. La Sacrée Congrégation des Évêques et Réguliers publie le 18 juillet 1889 un nouveau « Décret contre les sectes maçonniques ». Le clergé français s'est lancé à corps perdu dans cette croisade qui vise la République. La maçonnerie a renversé les trônes, elle veut encore renverser les autels. Elle veut l'anéantissement complet du catholicisme, elle est « une conspiration [...] pour démolir les mœurs », « un complot ourdi d'avance, [pour] pervertir, corrompre les peuples [...] par l'imagerie pornographique, par la création de mauvais lieux, par la multiplication de débits d'alcool »75.

Pourquoi cela ? Parce que les Loges sont l'anti‑Église, « l'Église de Satan organisée dans l'ombre ». On y pratique « le culte officiel, obligatoire, le culte social du démon vivant ». Les maçons, « fils de Satan », prononcent dans leurs tenues une oraison à Lucifer. « La franc‑maçonnerie est bien réellement l'Église à l'envers, l'Église de Satan »76. L'Abbé L. Baume prouve que les maçons pratiquent le culte de Lucifer, dont un avatar est le transformisme darwinien, proche du spiritisme satanique ! Quant aux loges d'adoption féminines, leurs autels sont « dressés à la Vénus impudique ». Il faut entendre ces propos tout à fait littéralement. Un journaliste antisémite avait écrit que « quelques » maçons satanisaient. Il se fait reprendre par la Bibliographie catholique : « tous » adorent Satan, « le culte de Satan est en honneur dans les hauts grades de la maçonnerie ».

Dans ce cadre général, on constate que les accusations antimaçonniques vont être identiques presque point pour point aux accusations antijuives. Tout y est : l'action délétère et ubiquitaire, les textes secrets et criminels, les ambitions de domination universelle et même les « crimes rituels » perpétrés dans les « arrière‑loges » pour grands initiés. Presque tous les prédicats qui s'appliquent aux juifs, s'appliquent au Grand Orient. Kimon, dans sa Politique israélite, avait montré les juifs derrière « l'empoisonnement alcoolique de la population ». La Franc‑maçonnerie démasquée, revue catholique mensuelle, démontre, elle, avec un grand luxe de preuves, que l'alcoolisme résulte d'un « complot maçonnique » qui travaille à la démoralisation des masses (II, pp. 108-113). Cependant l'identification de la Maçonnerie aux juifs ne se fait que sporadiquement. Par cela seul qu'il s'agit d'un discours marqué par son origine cléricale, il ne pénètre pas le terrain des « démagogies générales ». Les catholiques en détiennent l'exclusivité et ont organisé pour le combat deux ligues au moins, la « Ligue de l'Ave Maria » et la « Ligue anti‑maçonnique ». De nombreuses revues sont spécialisées dans la lutte antimaçonnique : la France chrétienne, La Petite Guerre, Le Petit catholique et surtout la volumineuse Franc‑maçonnerie démasquée.

Le camp antimaçonnique s'est trouvé depuis quelques années un idéologue attitré qui est en même temps un témoignage de la grâce divine, Gabriel Jogand‑Pagès dit Léo Taxil. Taxil, ancien franc‑maçon, mangeur de curés, pornographe, promoteur d'une blasphématoire et obscène « Librairie anticléricale », a abjuré ses erreurs en 1885 et, regrettant ses péchés, s'est jeté au pied de la croix et a offert sa plume à l'Église. Tout en conservant des intérêts dans la « Librairie anticléricale » à ce qu'il semble, il s'est lancé dans une campagne de révélations atroces sur les francs‑maçons et les anticléricaux, applaudie par les revues catholiques, divers prélats et accompagnée des bénédictions de Sa Sainteté Léon XIII. Les livres extravagants publiés par Taxil « converti » permettent indubitablement à l'historien qui en observe le succès et les commentaires dévotieux de sonder « les records absolus de la crédulité humaine » (Poliakov, 1977, p. 47).

L'activité de Taxil en 1889 est intense ; elle se développe à la fois dans le sens de l'édification religieuse, la propagande boulangiste, la prédication anti‑maçonnique, et l'antisémitisme. Taxil publie un pamphlet d'inspiration clérico‑boulangiste, À bas les voleurs !, une histoire édifiante des Sœurs de Saint‑Vincent de Paul, Les Sœurs de charité, avec un bref de Léon XIII à Taxil : « Perillustris Domine... », un Supplément à la France maçonnique, chez Téqui : liste alphabétique des francs‑maçons dénoncés à l'indignation des bons Français ; il publie en feuilleton dans Le Furet, une de ses nombreuses revues, ses Mystères de la Franc‑maçonnerie accueillis par les revues chrétiennes comme dévoilant enfin « ses rites grotesques, ses mystères d'impiété » (Polybiblion, 58 ; p. 34), et il surenchérit avec Les assassinats maçonniques. Qu'y dit‑il ? Que les Maçons (pas les naïfs de rangs inférieurs, mais les Chevaliers Kadosch du 30e degré) entretiennent des tueurs à leurs ordres, des « assassins patentés », ce qui explique tous les grands crimes du siècle, de la Princesse de Lamballe à Gambetta ! « Le neuvième grade est à proprement parler l'école primaire de l'assassinat », et leurs meurtres rituels ressemblent étrangement à ceux prêtés aux juifs :

Le chevalier Kadosch brandit son poignard contre le ciel en criant :
Nekam Adonaï ! Vengeance contre toi, ô Adonaï.

L'antisémitisme de la presse catholique

Il est possible d'assimiler les Loges et « la juiverie ». La plupart des francs‑maçons sont juifs. La juiverie déicide est maîtresse des Loges. Cependant l'antisémitisme se développe aussi indépendamment de la Croisade antimaçonnique. Dans les milieux réactionnaires, les publications catholiques ont pris une avance considérable sur les droites « séculières » et tendent à faire passer l'antisémitisme au premier plan de leurs exécrations particulières, celles de francs‑maçons, des républicains, des laïcisateurs, celle vouée à tout ce qui vient de 1789, où l'émancipation des juifs figure en bonne place. Les « effusions judaïques de 1789 » sont stigmatisées un peu partout. Dans cette atmosphère générale, le quotidien des assomptionnistes, La Croix, a pris une position de pointe. D'après Pierre Sorlin, qui lui a consacré une excellente monographie, La Croix tient des propos hostiles aux juifs depuis 1884, mais avec un « vif réveil » en 1889. Dès 1890, les assomptionnistes sentent qu'ils ont touché un filon et La Croix se proclamera « le journal le plus antijuif de France ». La Croix procède par petites touches, ce qui correspond au type d'éducation populaire voulu par les Pères ; on signale comme ennemi de l'Église « le juif Reinach », on parle d'escrocs (« un homme d'une habileté inouïe volant même les Juifs, ses coreligionnaires » (2.7)), d'exploiteurs (« les juifs de la finance, les gros suceurs d'argent » (29.1)) ; on commente la victoire de Boulanger, en ces termes :

La Franc‑maçonnerie doublée de la juiverie vient de subir en plein Paris un laminage de première classe (29.1 : p. 1).

C'est à partir de Pâques 1889 que La Croix se déchaîne, avec le récit du Jeudi‑Saint :

Depuis ce jour, Judas qui a reçu le prix du sang, traverse le monde comme Caïn, marqué du signe de la malédiction. Et ce signe, c'est le sac d'écus. Et sa race hérite de la chaîne d'or et du boulet d'or et le juif, éternel galérien, le traîne jusqu'aux enfers (17.4).

À partir de cette date, le récit « déicide » mélangé de cléricalisme populiste prend une étonnante vigueur ; le thème du juif « talmudiste » et « kabbaliste » se combine avec celui de la « juiverie » financière qui épuise la France. La Croix amalgame tout cela en litanies protofascistes :

Plus de voleurs.
Plus de laïcisateurs.
Plus de persécuteurs.
Plus de Francs-maçons.
Plus de Juifs.
Plus de Prussiens.
Plus d'étrangers pour gouverner la France.

Rien que des honnêtes gens.
Rien que des catholiques.
Rien que des Français
(4.7 : p. 1).

Les autres journaux catholiques sont un peu en retrait de la fougue déployée par La Croix. Aucun cependant n'est indemne de tirades antijuives. Parmi les hebdomadaires religieux d'actualité et de lectures familiales, certains ne ratent pas une occasion d'étaler leur hostilité. Le Clocher allège ses chroniques de plaisanteries cléricales :

Dans la famille Abraham X..., Bébé lit à haute voix l'histoire de Joseph.
La Maman – 
C'était bien mal n'est‑ce pas bébé de vendre leur frère 30 deniers ?
Bébé – 
Oh ! oui maman, moi je l'aurais bien vendu 4077.

D'autres religieux publient la feuille rurale La Campagne qui attaque volontiers les juifs et passe à la doctrine politique à l'occasion des élections de septembre :

Ce sont des étrangers, des Juifs, qui mènent depuis longtemps cette campagne à la baisse sur les terres de France [...] Paysans, garde à vous ! Ne nommez que des Français de race et surtout renvoyez honteusement tous ceux qui de près ou de loin ont des rapports avec les Juifs (25.8 : p. 1).

La revue des Jésuites, les Études, avec sa tradition de grande prudence, donne cependant la parole au Père E. Cornu en novembre et lui laisse prononcer un réquisitoire contre les juifs, de 25 pages :

La question juive pèse comme un cauchemar sur la pensée publique. Le vampire israélite [...] suce le sang [...] La Bourse et la Banque leur obéissent.

L'auteur admire Drumont qui a pour lui le « vrai peuple » ; il trace de la race juive un tableau odieux et réclame du gouvernement, sans oser l'espérer, une législation exceptionnelle et « rigoureuse ». Mais le Père jésuite n'attend rien en réalité du régime actuel ; il conclut :

C'est en redevenant le royaume très‑chrétien que la France évitera le malheur et la honte d'être juive78.

Dissidences

Tout complexe discursif formant une hégémonie locale, – à l'instar de l'hégémonie culturelle elle‑même, – engendre à sa périphérie un certain nombre de dissidences qui mettent en question l'équilibre relatif des principes et des thèmes du discours central. Le contre‑discours catholique, avec tout le poids de son dogmatisme et de son intolérance à la variation, avec son autosuffisance thématique, son imperméabilité aux discours du « siècle », produit des dissidences de ce genre, qui à la fois demeurent dans sa mouvance et l'antagonisent. La description s'en complique du fait que, déviantes du catholicisme hégémonique, ces tendances sont également en une périphérie instable, un porte‑à‑faux par rapport à divers champs du discours social commun, ses valeurs et ses stratégies.

Ces dissidences peuvent être abordées comme des analyseurs immanents des contradictions et insuffisances du discours dominant dont elles déconstruisent et subvertissent certains aspects. Ce qui est mis en cause à la périphérie du discours catholique c'est son traditionalisme ultra‑conservateur statique, la négativité de son enfermement, de son « encitadellement » dans les refus totaux du Syllabus, sa bonne conscience militante couplée à une présentation étouffante de dévotions mesquines, l'incapacité dont il fait preuve d'entrer en contact avec le « siècle » autrement que sous la forme de l'anathème ; son absence, somme toute, d'appétition transcendante, qu'elle soit mystique, esthétique ou sociale.

On pourrait montrer ici comment toutes sortes de « renouveaux spiritualistes » – de Schuré à Bergson – de tentations vers les occultismes – des Rose-Croix aux « spiritistes chrétiens » – viennent questionner la « pauvreté » dogmatique du catholicisme dominant. Je me bornerai à décrire les cinq ensembles qui inscrivent, comme je le suggère plus haut une dissidence explicite, marquant, face à l'idéologie cléricale établie, un non possumus et explorant d'autres voies. Ce sont : 1. dans le champ littéraire, les « prophètes catholiques », dont Léon Bloy, formant ce que Bernard Faÿ a nommé « l'École de l'imprécation »79. 2. Proches de leur démarche mais totalement dépourvus d'ambitions esthétiques, quelques groupuscules paraclétistes trouvant, sans paradoxe d'ailleurs, dans le catholicisme ambiant trop peu de mystique et une sorte de « matérialisme » plat. J‑K. Huysmans dans Là‑bas (roman qu'il est en train d'écrire) fera apercevoir ces groupes-là. 3. Toujours dans un certain rapport au champ littéraire, les pamphlétaires national‑catholiques de l'anticapitalisme antisémitique, Édouard Drumont, et une poignée d'autres. 4. Les « catholiques sociaux » corporatistes qui pensent un État chrétien capable de résoudre la « question sociale » et choisissent d'« aller au peuple » au‑dessus de la bourgeoisie déchristianisée. 5. Un petit groupe, plus que suspect jusqu'au jour où Léon XIII semblera leur donner raison, qui prône, en tout respect de la hiérarchie, le « ralliement » à la République et le renoncement aux vieilles et stériles fidélités. Toutes ces tendances, promues par des esprits bien différents et sans communication entre elles, s'adressent à l'immuable et dogmatique discours clérical et proposent des alternatives que celui‑ci ne peut ni ne veut entendre ; voces clamantes in deserto, elles offrent des « utopismes » (si l'on ne donne pas à ce terme un sens trop positif) et spéculent sur une historiosophie chrétienne aboutissant à une prédication apocalyptique, analogue (quoique bien différente par sa véhémence) au « Règne du Sacré‑Cœur » qui sert aux cléricaux dominants d'image d'une fin de l'histoire conforme à leurs prémisses doctrinaires.

L'École de l'Imprécation

Nous ne ferons que marquer en quelques lignes la position des écrivains catholiques face à la pauvreté spirituelle et artistique du discours clérical institué : Barbey d'Aurevilly (1889), Ernest Hello, Joséphin Péladan, Léon Bloy... Ce dernier publie en 1889 un petit pamphlet, Un brelan d'excommuniés, qui est une charge à fond de train contre l'incapacité des catholiques de reconnaître les leurs, – Barbey, Verlaine, Hello, – la haine congénitale qu'ils portent à l'art et à la pensée, le confort intellectuel qui leur permet de se boucher les oreilles à toute la rumeur du siècle. Les imprécations de Bloy visent autant le monde clérical, le catholicisme mondain, son étroitesse d'esprit et son conservatisme exsangue, que la déchristianisation, le matérialisme des milieux littéraires et intellectuels. La position qui échoit à Bloy et qui fait de lui un Jean de Patmos un peu roublard à l'occasion, implique ce combat solitaire sur deux fronts, ce refus du camp adverse et de son propre camp qui est le propre « topologique » du pamphlétaire depuis un siècle (voir Angenot, 1982).

Les « Annales du surnaturel »

Strictement situés dans le champ religieux, quoique en difficulté avec la hiérarchie, le petit groupe de paraclétistes qui publie les Annales du surnaturel se proclame (ce qui est bien propre aux groupuscules) de stricte orthodoxie catholique romaine et soupçonne l'Église instituée de tiédeur et de compromission. Les Annales dirigées par Adrien Péladan à Nîmes, relèvent avec avidité tous les « témoignages » (et ils abondent) des miracles, apparitions, mariophanies, christophanies qu'on leur communique et ils les exaltent avec d'autant plus de zèle que l'Église ne les reconnaît pas ou les tient en suspicion. Ils sont particulièrement dévots à La Salette (qui bien qu'approuvée par l'Évêque de Grenoble, ne reçoit pas dans l'Église d'encouragements sans réticence) ; le pélerinage de La Salette attire bien des exaltés, millénaristes et cordiphores. Des groupuscules comme celui des Annales de l'archiconfrérie réparatrice à St‑Dizier en tirent des prophéties que l'épiscopat tient pour hétérodoxes80.

Plus papistes que le Pape et plus royalistes que les prétendants, ces paraclétistes ne sont pas loin du groupe encore plus déviant des « naundorffistes » qui combinent au millénarisme la prédication en faveur du « dernier roi légitime » (voir les ouvrages d'Henry Foulon de Vaulx). Leur vision de l'État de la France est apocalyptique stricto sensu : « le Dauphin sauvé du Temple [...] revivra après un siècle de convulsions dans le Grand Monarque » (p. 36). Malachie, les prophéties de Sœur Marie de Jésus‑Crucifié, les propos de Mélanie, tout y passe. Et la Sainte Robe et le Saint Prépuce... En feuilleton, on trouve une étude sur les « Apparitions du Diable et ses communications avec l'homme » et des « Recherches sur la dévotion à la Plaie de l'épaule gauche de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ ». Les Annales ne font que pousser à l'extrême le discours clérical : « depuis 1789 [...] la France chemine d'abaissement en abaissement ». Seule une poignée de Français « n'ont pas fléchi le genou devant l'idole de la Révolution où réside Lucifer »81.

Les antisémites

La propagande antisémite, sous la forme que lui donne Édouard Drumont (mais on verra aussi les livres de Georges Corneilhan, de l'Abbé Desportes, de Pierre Harispe, en 1889) se présente comme la doctrine d'une « droite révolutionnaire » (ou faudrait‑il dire une « gauche réactionnaire » ?) « socialiste », anticapitaliste mais catholique et antiparlementaire qui, explicitement, veut dépasser le conservatisme impuissant des cléricaux dominants. On peut apprécier le « socialisme » de Drumont dans La fin d'un monde ou celui de P. Harispe dans Le veau d'or comme, notamment, une tentative de sortir de la logique statique du cléricalisme en faisant de la Révolution de 1789 non la rupture d'un Ordre éternel, mais la montée de la « nouvelle féodalité », la bourgeoisie capitaliste alliée aux Juifs, contre quoi on en appelle au Peuple qui a conservé les vertus d'une race chrétienne. Rompant avec les conservateurs, complices de la « France juive », Drumont propose aux chrétiens d'aller au peuple capable encore d'une action puissante :

Si les ouvriers n'étaient pas lâches, si le matérialisme qu'on enseigne dans les écoles ne tuait pas d'avance tout héroïsme [...] c'est nous, nous qui habitons depuis mille ans en terre de France, c'est nous dont les pères ont fait la France qui devrions être à cheval et non ces échappés de ghetto, bons tout au plus, dans une société bien organisée, à nous attacher nos éperons, tandis qu'avec notre cravache nous tambourinerions un petit air de marche sur leur dos respectueusement courbé devant nous82.

Les catholiques sociaux

« Allons au peuple, Messieurs ! » avait dit le Comte Albert de Mun. Un catholicisme social se développe à partir d'une narration historique analogue qui voit le capitalisme industriel, antiévangélique, exploiteur et antifrançais, comme le produit de la Révolution, de l'esprit voltairien, de l'« individualisme ». Le peuple ouvrier est la grande victime de la bourgeoisie déchristianisée. Les catholiques ont un devoir vis‑à‑vis de lui ; ils doivent trouver dans l'Évangile la source la plus féconde d'un socialisme chrétien. Le Comte de Mun cherche à constituer au parlement un grand parti catholique qui prônerait un État confessionnel et populiste. La question religieuse et la question sociale sont les questions suprêmes et elles sont inséparables. La France est encore catholique dans l'âme et les travailleurs sont les grandes victimes du matérialisme des classes dirigeantes. À partir de ces principes, Albert de Mun, l'Abbé Garnier, Léon Harmel, La Tour‑du‑Pin‑Chambly lancent « l'Œuvre des Cercles catholiques », « L'Association catholique de la jeunesse française » d'où sortira « le Sillon » après 1894. Les collectivistes et les anarchistes ironisent sur les menées des « calotins socialistes » ; les libéraux et les républicains s'inquiètent de ce « socialisme chrétien » hostile à la fois aux « idées de progrès » et à l'« initiative individuelle ».

Les catholiques sociaux publient deux revues, L'Association catholique et La Corporation de G. Levasnier (voir aussi La Politique sociale, dirigée par le même). Le catholicisme sert ici de fondement à une dénonciation qui se veut radicale de la société moderne avec sa « lutte sans merci où le plus fort écrase le plus faible »83. « En France, il n'y a plus de castes, mais il y a des classes qui restent plus étrangères entre elles que les ordres d'autrefois, qui vivent côte à côte sur le même sol sans se pénétrer jamais. » Le capitalisme est « une doctrine antichrétienne » en ceci que la « possession des instruments de travail [est] source de profit pour ceux qui ne les emploie pas »84. À cela, les catholiques répondent par un programme où figurent la défense de la propriété terrienne contre le capital financier (la Terre contre l'Argent), la nécessité d'un patronat éclairé, qui serait prêt à créer des « Usines chrétiennes » où le patron serait comme « un père à l'égard de ses enfants »85 et surtout le modèle des « corporations de métier », du « régime corporatif ». « De telle sorte que nul n'est isolé dans l'organisation sociale, mais que chacun y est appuyé, soutenu par la solidarité des intérêts et la force de l'association »86. Ils voient en effet dans la suppression des corporations à la Révolution l'acte originel du capitalisme, cause principale de l'isolement et de l'exploitation des ouvriers. Les revues catholiques‑sociales bataillent en 1889 contre le travail de nuit des femmes, le travail des enfants.

Pendant l'année 1889, L'Association catholique et les corporatistes sont occupés à une vaste opération d'annulation rétroactive : reprendre l'histoire en 1788, refaire les Cahiers de doléance, reconvoquer des assemblées provinciales, puis des États généraux car la France n'a plus été consultée depuis la chute de l'Ancien Régime, le suffrage universel étant une imposture. On effacera donc cent années d'erreur et on rédigera les nouveaux Cahiers du peuple de France (ceux‑ci ont été publiés). Ainsi arrivera‑t‑on à « l'étude d'un ordre social nouveau »87. Une assemblée générale tient ses assises à Paris, les 24, 25 et 26 juin : « acte de rébellion sociale », l'œuvre de mort de la Révolution est solennellement condamnée et les délégués émettent des « vœux » sur tous les sujets, souhaitant l'avènement d'une France nouvelle qui « prenne comme base de ses institutions les enseignements de l'Évangile et de l'Église »88.

Le catholicisme corporatiste, à l'instar de l'antisémitisme à la Drumont dont il est proche (les revues corporatistes sont d'ailleurs fort accueillantes aux diatribes antijuives) proposent une idéologie mixte, avec un collage d'énoncés ultraréactionnaires et socialisants, un mixte volontariste des deux critiques de l'ordre existant qui débouche sur la « droite révolutionnaire » dont a parlé Z. Sternhell. Certains secteurs dits « de gauche » du mouvement boulangiste avancent à tâtons dans cette même voie « protofasciste ». On peut voir émerger çà et là des formules, des slogans qui ont un bel avenir. Il serait abusif cependant de sous‑estimer la dispersion et le caractère encore indécis de ces tentatives (voir chapitre 32).

Des catholiques démocrates

Inquiet d'une opposition stérile indéfinie des catholiques à la République, Léon XIII a confié au Cardinal Lavigerie le soin de propager prudemment la thématique du « ralliement ». Il ne s'agit pas pour le Vatican de se convertir à la démocratie, – aucunement ; mais de convier les catholiques à oublier leurs vaines fidélités pour faire enfin sentir leur influence dans les institutions existantes.

Un groupe minuscule pense au contraire à une conciliation réelle du catholicisme et du principe démocratique. E. Menuisier et les collaborateurs de l'Étendard national n'aiment pas la République anticléricale présente. Mais ils affirment, – ils sont bien les seuls, – que la démocratie « est de droit naturel », que l'Église n'a pas à faire cause commune avec la monarchie, que dans les échecs de celle‑ci depuis un siècle il faut voir la main de Dieu. Menuisier s'avance prudemment, avouant : « il me faut beaucoup de courage et d'indépendance de caractère pour écrire ce qu'on va lire »89. Il brûle ses vaisseaux en juin en évoquant « la possibilité d'une alliance entre l'Église et la démocratie française » ! « La démocratie catholique, c'est l'avenir »90 : un tel propos, dans le champ du catholicisme, est l'inouï absolu, tout le dispositif discursif étant conçu pour le rendre extravagant. Union des droites, ralliement, ce sont là des projets risqués mais prévisibles. Les gens de L'Étendard national en affirmant que la « démocratie » n'est pas contraire à la doctrine et au dogme, s'appuyant ici sur d'antiques casuistes, proposent une rupture totale et voient bien les risques qu'ils encourent.

Notes

1  Croix, 19.4 : p. 1.

2  Langlois, L'Anticatholique, p. 202 ; Abbé Roca, L'Étoile, n° 2., p. 17 ; Péladan, préface à Larmandie, Pur sang, p. 6.

3  Jannet, Le socialisme d'État, XV.

4  Guillamin, La religion devant la raison, p. 22.

5  Morlais, Études morales, tome de chapitre et p. 48.

6  Vareilles-Sommières, Principes fondamentaux du droit, IX.

7  L'avenir scientifique et littéraire (Lyon), p. 297.

8  P. 210.

9  Thomas, Temps primitifs, VII.

10 Héricault, La France révolutionnaire, p. 750.

11  J. Legrand, Discours distr. prix de Falaise, p. 1.

12  Bonniot, La bête comparée à l'homme et contre les évolutionnistes ci-dessus, Jousset, L'évolution, p. 136.

13  Bonniot, L'Âme et la physiologie, p. 58-59.

14  Le Pèlerin, 1889, p. 251.

15  L'éducation catholique (principale revue d'enseignement confessionnel), p. 99.

16  Feuilleton dans le Clocher à partir de septembre.

17  Abbé Cappliez, Expl. catéchisme diocèse de Cambrai, p. 10.

18  Les perles de Saint François de Salles, anon.

19  Cantiques à l'usage des Pélerins (Laval : Chailland).

20  Id.

21  Daymonaz, Le décalogue, p. 15.

22  ) R. P. Vaudon, L'Évangile du Sacré-Cœur, p. 186 et citation suivante, p.189.

23  « Ô vous que les accidents du monde bouleversent, regardez donc le saint exilé de l'Égypte et apprenez de lui à attendre de Dieu l'heure de la Providence » (Annales de St Joseph, p. 69).

24  L. Colin, Le parfum de Lourdes, III.

25  Taxil, in France chrétienne (P), p. 11.

26  Taxil, in F.-Maç. démasquée, vol. II, p. 120.

27  Ami du Clergé, 19.9.

28  Croix, 3.3 : p. 3.

29  Croix, 23.5.

30  Petit catholique, 24.9 : p. 2 ; Conversion de la Reine d'Angleterre : Croix, 1.3 : p. 1.

31  La France chrétienne, p. 24.

32  Provence nouvelle, 20.1 : p. 1.

33  Signalons la Revue littéraire, supplément de L'Univers ;les Annales catholiques d'une piété rigoriste ; la Revue du Monde catholique, calque de la Revue des Deux Mondes et fertile en polémique ; à Lyon, l'Université catholique, de haute érudition, et l'Avenir scientifique et littéraire, le plus typique des périodiques ultraréactionnaires ; la Revue de Lille. En Belgique, la Revue générale dont le ton uniformément ennuyeux imite encore la Revue des Deux Mondes et le Magasin littéraire.

34  Par exemple l'Année dominicaine. Pour le clergé séculier, l'Ami du Clergé et les Questions actuelles.

35  Gazette du dimanche, Samedi-Revue, La Vérité. On notera l'absence d'une presse satirique catholique militante ; on verra cependant à Bruxelles, le Tirailleur.

36  L'illustré pour tous, la Famille ; l'Ami des livres dans le genre « guide de lectures ».

37  L'Univers, 8.2.

38  Verspeyen, Magasin littéraire, I, p. 422 ; « Seconde Babel », Croix, 10.4 ; « Tour de Babel de l'antichristianisme », Annales catholiques, I, p. 10. Cf. « La Babel de fer » de L. Bloy, Gil-Blas, 14.1 : p. 1 et p. 2 et aussi, en vers latins (!), Pélerin, p. 510.

39  Croix, 21.5 : p. 1.

40  Réac-le-Sage, Croix, 1.7 : p. 1.

41  Grands initiés, préface

42  Lockroy, Journal officiel, p. 1326.

43  Études, juillet, p. 355.

44  Daymonaz, Décalogue, p. 73.

45  On verra dans l'Ami des livres un long développement, juin, p. 2 et p. 3, qui montre combien le lieu commun « il faut être de son temps » est une étourderie peccamineuse.

46  Politique et vérité (anon.), p. 6.

47  Univers, 6.1.1.

48  Ami des livres, février, p. 5.

49  Guillamin, Religion devant la raison, p. 12, qui ajoute : « Y a-t-il vraiment des gens raisonnables dans le plein exercice de leurs facultés intellectuelles qui ne croient pas à Dieu ? »

50  Jacques : Croix, 25.1 : p. 2 ; Parlement : Croix, 1.3 : p. 1. Citation suivante : Univers, 28.7 : p. 1. Une part du succès très réel de L. Taxil vient d'avoir montré en chair et en os si l'on peut dire, Lucifer président aux tenues du Grand Orient de France.

51  Croix, 17.5 : p. 1. « Souvenons-nous toujours que la société repose sur la loi, la loi sur la morale, et la morale sur la religion » (Politique et vérité, p. 26).

52  Croix du dimanche, 12.5 : p. 1.

53  Daymonaz, Décalogue, p. 11. « Dieu veut la première place dans une nation chrétienne. Il doit être mis à la base comme au sommet de toutes choses » (Croix, 1.7 : p. 1).

54  Croix, 3.7 : p. 1 et citation suivante : Vaudon, Évangile du Sacré-Cœur, p. 335.

55  Annales catholiques, p. 335.

56  Bibliogr. cathol., 79, p. 286.

57  La Corporation, 6.4.

58  « Mensonge universel » : Annales cathol. I, p. 13 ; « faux principe » : ibid., III, p. 79 et aussi Berseaux, Liberté et libéralisme,p. 332.

59  Berseaux, op. cit., p. 251 et p. 420.

60  Politique et vérité, p. 50.

61  L'Éducation catholique, X, p. 29.

62  Renan : Petit catholique, 24.9 : p. 2 ; Études, mai, p. 63.

63  Croix du dimanche, 20.1 : p. 1.

64  Vaudon, Évangile du Sacré-Cœur, p. 4.

65  Baunard, Dieu dans l'école, 1, p. 279 et p. 275.

66  Revue du monde catholique, VI, p. 54. « C'est donc à la bestialité pure que les "théories modernes" convient le sexe d'où sortent les filles de Saint-Vincent de Paul. » (d°, VI, p. 64).

67  Taxil, À bas les voleurs (brochure) et cit. Semaine des familles, p. 658.

68  Pélerin, Supplément, 1.12 : p. 1.

69  Freppel, Révolution française, p. 27.

70  La politique au village (anon.), II, p. 21.

71  Daymonaz, Décalogue, p. 47.

72  Journal Officiel, p. 1931.

73  Berseaux, Liberté et libéralisme, p. 237.

74  Croix, 2.8 : p. 1.

75  Franc-maçonnerie démasquée, II, p. 108.

76  Revue catholique des institutions et du droit, I, p. 96. Voir l'Éducation catholique, X, p. 29, Daymonaz, Décalogue, p. 26.

77  B. cathol., vol. 79, p. 189.

78  Études, p. 380 et p. 405.

79  B. Fayy, L'École de l'imprécation, ou les Prophètes catholiques du dernier siècle, 1850-1950. (Lyon : Vitte, 1961).

80  Voir L'Univers, 12.1 : p. 2.

81  Page 34. Voir aussi l'ouvrage de même origine : Baylet, Abbé Léon. Plan de l'Histoire universelle, conçu et exécuté par le Saint Esprit ou les Sept Sceaux définitivement brisés. Torreilles (Pyr. Orient.), l'auteur, 1889, 2 vol. 

82  Fin d'un monde, p. 512.

83  Enquêtes des dames patronnesses, p. 28. Voir aussi l'ouvrage de P. Georges de Pascal, Le pouvoir social et l'ordre économique et Léon Harmel, Catéchisme du patron.

84  Milcent : Association catholique, I, p. 69.

85  Association catholique, I, p. 116.

86  Enquête..., p. 28.

87  La politique sociale, 24.2 : p. 2.

88  Les Cahiers de 1889.

89  Étendard national, 18.5.

90  Ibid., 2.6 et 28.7

Pour citer ce document

, « Chapitre 42. Le contre‑discours catholique», 1889. Un état du discours social, ouvrage de Marc Angenot Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/1889-un-etat-du-discours-social/chapitre-42-le-contre-discours-catholique