La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle

Introduction

Table des matières

PHILIPPE GARNEAU

Introduction

Les pays qui ont aimé la France à certaines heures, lorsqu'ils avaient besoin de son sang et de son or ne sont pas rares dans le monde ; mais des pays qui l'ont aimée toujours comme le mien, en connaissez-vous beaucoup ? Qui l'on aimée pour en avoir reçu le bienfait de l'existence, qui l'on aimée après les déchirements de la séparation, à travers les ombres de l'oubli ; qui l'ont aimée pour elle-même, sans en attendre rien, sans la juger, sans la critiquer, en l'aimant tout simplement, en connaissez-vous beaucoup1 ?

Ce discours, prononcé le 24 mars 1884 devant la Société des études maritimes et coloniales de Paris par Hector Fabre, représentant du Canada et de la province de Québec à Paris, résume les sentiments d’une partie des élites du Canada français au sujet de la France de la fin du XIXe siècle. Pays des origines et ancienne mère patrie, la France est avant tout pour eux un pays lointain avec lequel ils entretiennent une relation essentiellement affective. Nous savons maintenant que les liens avec la France n’ont jamais totalement cessé après 1763. Tout au long du XIXe siècle, le Canada, et particulièrement le Canada français, suscitent un certain intérêt en France. Depuis le milieu du XIXe siècle, différents réseaux d’échanges se sont formés entre les élites culturelles et intellectuelles des deux pays. Le maintien, plus de 100 ans après la cession, d’une population francophone et catholique sur les rives du Saint-Laurent suscite l’admiration et surtout la curiosité de quelques écrivains et voyageurs français. Cependant, il faut avouer que ces rapports franco-canadiens, limités à des échanges individuels, ont peu à voir avec l’économie et la politique. Cela va changer à partir du milieu du XIXe siècle. La France et le Canada vont alors connaître une série de retrouvailles entrecoupées de longues périodes d’accalmie.

C’est en tant qu’alliée de l’Angleterre, lors de la Guerre de Crimée, que la France renoue officiellement avec son ancienne colonie2. Sans être le point de départ absolu que l’on a voulu y voir, le voyage de la corvette La Capricieuse en 1855, puis la création d’un consulat français à Québec en 1859, a initié un rapprochement entre les deux pays3. Au cours des années suivantes les relations entre la France et le Canada ne changent guère. La France désire avant tout ménager son allié britannique qui ne voit pas d’un bon œil les intrusions d’une puissance étrangère dans les affaires d’une de ses colonies. Une initiative du gouvernement de la province de Québec dans le dernier quart du XIXe siècle est à l’origine des secondes retrouvailles franco-canadiennes. Le 28 février 1882, Hector Fabre, journaliste de carrière, propriétaire de L’Événement, est nommé agent général du Québec à Paris4. À titre d’agent général de la province de Québec en France, Hector Fabre doit principalement s’occuper de l’immigration et de questions économiques. Peu de temps après son installation, Chapleau, alors ministre à Ottawa, convainc le gouvernement fédéral de l’utilité d’un agent à Paris. Fabre se voit alors confier un double mandat, il représente à la fois les intérêts de la province de Québec et ceux du Canada. On peut ainsi affirmer que c’est grâce à la province de Québec que le Canada se dote d’une représentation en France ; car « Par elle seule les Français pouvaient apprendre à connaître ce que le Canada est devenu, ses idées, ses mœurs, ses institutions, ses ressources5 ».

L’action de Fabre à Paris est loin de se cantonner aux seuls domaines économiques. Lorsqu’il fonde la revue Paris-Canada en 1884 il exprime ainsi ses intentions : « Ce journal poursuivra un double but : faire connaître le Canada à la France, faire mieux connaître la France au Canada6 ». Vaste programme, surtout qu’à cette époque les clichés sur le « Canadien » abondent7. Bien entendu, le public français pouvait se faire une idée du Canada à partir de quelques études et de nombreux récits de voyage. Mais il n’existait pas encore d’organe permanent voué à la promotion du Canada en Europe8. Si l’on en croit le sous-titre « organe international des intérêts français et canadiens » c’est précisément ce rôle que Hector Fabre voulut donner à Paris-Canada. Il s’agit d’une revue bimensuelle de quatre à huit pages vendues 25 centimes en France et cinq cents au Canada. Le dernier numéro est daté du 15 janvier 1909. Comme son nom l’indique, la revue se veut à la fois branchée sur la vie parisienne et sur la colonisation du Canada.

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Premier numéro de Paris-Canada, « Organe international des intérêts canadiens et français », 11 juin 1884, p. 1.

Dans son livre consacré à la famille Fabre, Gérard Parizeau décrit Paris-Canada comme un outil créé par Hector Fabre afin d’accomplir un travail qui consiste essentiellement en une « œuvre de propagande9 ». Que Paris-Canada ait été utilisé pour faire de la propagande, il n’est point permis d’en douter, mais comme le signale l’abbé Yon « c’était aussi plus et mieux que cela10 ». Véritable archive des relations franco-canadiennes, Paris-Canada nous informe sur tout ce qui touche l’état du rapprochement franco-canadien ainsi que sur les activités de ce que l’on appelle alors la colonie canadienne de Paris. Aussi, les intérêts de la revue s’avèrent très variés ; l’on y trouve évidemment des articles portant sur l’immigration et la colonisation canadienne, mais l’on y publie également des chroniques sur la vie politique, des récits de voyage, des chroniques littéraires et des comptes rendus de livres canadiens. Mentionnons également la publicité pour les lignes de navigation transatlantiques ainsi que les offres de terres gratuites faites par le gouvernement canadien. C’est cette revue en tant que lieu de promotion du Canada en France que nous nous proposons d’étudier dans le cadre de ce mémoire. Nous croyons que Paris-Canada, outil du commissariat pour faire connaître le Canada et ses ressources, peut nous en apprendre autant sur la culture et l’identité du Canada français que sur ses intérêts européens. Précisons que notre recherche ne vise pas à définir l’image du Canada en France (ce qui fut fait de façon magistrale par le livre de Sylvain Simard), mais plutôt à étudier la revue Paris-Canada en tant que témoin des liens culturels complexes qui ont existés entre la portion francophone du Canada et son ancienne mère patrie. Nous procéderons à cette étude par une analyse des articles, conférences et comptes rendus publiés dans la revue.

Cet ouvrage est divisé en quatre chapitres. Le premier chapitre sera consacré à la revue de l’historiographique et à la présentation de la problématique de notre recherche. Nous allons y recenser différents ouvrages portant sur les liens individuels, culturels et intellectuels entre la France et le Canada au XIXe siècle. Nous allons également présenter quelques recherches qui portent plus précisément sur l’immigration française, les relations économiques et le commissariat canadien.  

Le second chapitre est l’occasion de revenir sur l’histoire du rapprochement franco-canadien de la fin du XIXe siècle. Il s’agit de faire ressortir les raisons économiques et les motivations profondes à l’origine de la création d’un commissariat canadien dans la ville de Paris. Nous allons également y tracer un bref portrait du commissaire Hector Fabre et de son rôle dans les relations franco-canadiennes. Pour finir, nous allons présenter les grandes orientations de la revue Paris-Canada.

Le troisième chapitre constitue le corps de notre travail. Nous allons y analyser dans le détail les différents aspects du rapprochement franco-canadien dont la revue Paris-Canada est le porte-parole. Nous chercherons à connaître la part exacte que la revue consacre à la promotion de l’immigration, du commerce et de la culture canadienne. Il s’agit de voir comment la revue arrive à faire la promotion d’un rapprochement franco-canadien en conciliant les intérêts économiques avec les liens affectifs.

Le quatrième et dernier chapitre sera consacré quant a lui à tracer le portrait de la nation Canadienne tel qu’il apparaît dans les pages de la revue du commissariat.  Qu’elle est la place des Canadiens français dans le Canada ? Le Canada est présenté en tant que colonie britannique ou comme une puissance autonome ? Nous répondrons à ces questions à partir des nombreux articles que Paris-Canada consacre à l’actualité politique du Dominion. Notons enfin qu’en fin d’ouvrage, une annexe permet de prendre connaissance de l’intégralité du premier numéro de Paris-Canada (11 juin 1884).

Remerciements. À l’origine rédigé sous forme de mémoire de maîtrise, le texte de cet ouvrage a été déposé en février 2008 à l’Université du Québec à Montréal. Je voudrais adresser mes remerciements les plus sincères à madame Dominique Marquis qui a bien voulu assurer la direction de ce mémoire. Je lui suis infiniment reconnaissant pour ses conseils, sa patience et sa rigueur. Je tiens également à remercier monsieur Robert Comeau qui m’a fait connaître le rôle joué par Hector Fabre dans l’histoire des relations internationales du Québec et du Canada. Malgré mes nombreuses et inévitables remises en question, il m’a toujours conseillé de persévérer dans ce projet. Ma reconnaissance et ma gratitude vont également à mes parents pour leur appui financier ainsi que pour leur appui moral indéfectible avant et après cette période. Finalement, toutes mes pensées se portent vers Delphine Naum qui, au moment crucial des derniers mois de rédaction, a su me motiver, calmer mes angoisses, et plus généralement, me rendre heureux.

Notes

1  Paris-Canada, vol. 1, no 1,11 juin 1884, p. 4.

2  Éveline Bossé. La Capricieuse à Québec en 1855. Les Premières retrouvailles de la France et du Canada. Montréal, La Presse, 1984.

3  Au sujet du consulat, voir Pierre Savard, Le consulat général de France à Québec et à Montréal 1859-1914, Québec, PUL, 1970.

4  Rapport du conseil exécutif du 28 février 1882, Documents de la session, 15, 1881-1882, 2 (no 27).

5  Maurice Guénard-Hodent , La tradition renouée. Les relations entre la France et le Canada depuis soixante années, Paris, Éditions Paris-Canada, 1930, p. 7.

6  Ibid.

7  Concernant l’image du Canada en France à cette période, voir Sylvain Simard, Mythe et reflet de la France, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1987.

8  Le comité France-Amérique qui travaillait à cet objectif ne fut créé qu’en 1909.

9  Gérard Parizeau, La chronique des Fabre, Montréal, Fides, 1978, p. 169.

10  Armand Yon, Le Canada français vu de France (1830-1914), Québec, PUL, 1975, p. 188.

Pour citer ce document

Philippe Garneau, « Introduction », La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle, ouvrage de Philippe Garneau Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/la-revue-paris-canada-1884-1909-et-les-relations-franco-canadiennes-la-fin-du-xixe-siecle/introduction