Presse et scène au XIXe siècle

Petits arrangements entre époux. De la scène théâtrale à la scène médiatique : l’exemple de la publication de L’École des journalistes dans La Presse (1839)

Table des matières

AMÉLIE CALDERONE

Le 12 novembre 1839, Delphine de Girardin fait, dans son salon, la lecture d’une pièce reçue au Théâtre-Français le 21 octobre : L’École des Journalistes. Il s’agit, comme l’explique la dramaturge dans la préface à l’édition livresque de son texte, d’une comédie d’un « genre nouveau1 », construite autour des conséquences néfastes de publications médisantes au sein d’un journal intitulé La Vérité, que ces conséquences soient d’ordre privé – au sein de la famille du ministre de l’intérieur dont La Vérité affirme à tort qu’il marie sa fille à l’ancien amant de sa femme –, ou d’ordre artistique – un peintre se voit poussé au suicide à force de critiques défavorables nuisant à sa carrière. Le dessein de Delphine de Girardin est ainsi on ne peut plus clair :

Le but de cet ouvrage est de montrer comment le journalisme, par le vice de son organisation, sans le vouloir, sans le savoir, renverse la société en détruisant toutes ses religions, en ôtant à chacun de ses soutiens l’aliment qui le fait vivre ; en ôtant au peuple le travail, qui est son pain, au gouvernement l’union, qui est sa force, à la famille l’honneur, qui est son prestige, à l’intelligence la gloire, qui est son avenir2.

La charge à l’encontre du journalisme est acerbe, et la pièce se voit interdite le 18 novembre. Le rapport de censure reproche à l’auteur son portrait des journalistes en « gens sans mœurs et sans conscience qui, au sein de leurs orgies, dispos[ent] des affaires publiques et de l’honneur des familles », ainsi que ses « attaques empreintes d’un caractère de violence et d’amertume excédant les termes de la critique dramatique3 ». Madame de Girardin n’aura d’autre choix que de publier son œuvre en librairie (chez Desrez et Dumont), sans que celle-ci soit portée sur les planches, assortie d’une préface justifiant son entreprise d’un double point de vue poétique et déontologique.

Ladite pièce occupe de surcroît, dans le quotidien de l’époux de Delphine, La Presse, les colonnes du rez-de-chaussée entre le 2 décembre 1839 et 28 février 18404. Le journal publie des extraits, mais pas uniquement : les lecteurs de La Presse sont invités à suivre un véritable feuilleton en bonne et due forme, celui de l’interdiction d’une pièce – réputée prometteuse – par la censure, remise en vigueur en France, par Louis-Philippe, en 18355. Les raisons de cette publication périodique sont évidentes : unique revanche possible pour une dramaturge que l’on prive d’un possible succès scénique, l’édition par voie de librairie se doit d’être un triomphe. Émile de Girardin, en parfaite conscience de la situation, met donc tout en œuvre pour que la pièce de sa femme accède à la visibilité empêchée par la censure6, et soit un succès éditorial. Les extraits ont ainsi une vocation publicitaire, appuyée par des entrefilets promotionnels. En d’autres termes, le livre à lui seul ne suffit pas à offrir une exposition publique au texte dramatique : là où la scène théâtrale fait défaut, c’est le journal qui s’impose comme véritable relais du théâtre, devenant dès lors une scène publique en bonne et due forme.

Mais l’enjeu, pour un Girardin novateur et impliqué dans les combats progressistes de son temps – notamment celui contre la censure – va au-delà. Faire la publicité de L’École des Journalistes, c’est aussi permettre de rendre public, d’offrir à la publicité en son sens originel, ce qu’il considère comme un scandale : les ciseaux censeurs d’Anastasie. Une lecture en réseau du journal, d’une part au sein des diverses rubriques constituant chaque numéro, et d’autre part au fil des numéros, montre comment l’œuvre de Madame de Girardin est recueillie au profit d’une lutte plus vaste. Le lieu de publication revivifie le texte, voire modifie en profondeur ses enjeux idéologiques, en l’insérant au cœur d’une polémique. La publication de L’École dans La Presse, en plus d’offrir un exemple de complémentarité dans les modes d’expression publique entre presse et scène, témoigne ainsi des liens étroits unissant promotion publicitaire, livraison au regard et au jugement du public, et polémique… Laquelle est autorisée par le statut fictionnel du texte en question. En d’autres termes, le feuilleton mis en place par Girardin autour de la pièce de son épouse lui permet, à lui aussi, d’éviter des attaques trop frontales contre la censure. Le texte fictionnel permet d’épancher un discours idéologique et politique impossible dans les rubriques traditionnellement vouées à cet effet (tel est le cas, par exemple du « Premier-Paris ») en raison de la surveillance étroite à laquelle sont soumis les journaux depuis les Lois de septembre 1835. Et l’insertion de L’École des Journalistes au sein de La Presse devient une véritable réponse en acte(s) au défaut de liberté d’expression sclérosant le pays.

Éditer partiellement le texte de Delphine dans le périodique de son époux répond, en somme, a une volonté double… et à un objectif triple : pour Madame, il s’agit de construire par voie de presse le succès éditorial à venir afin de le substituer à l’événement scénique que la censure lui a refusé ; pour Monsieur, il s’agit d’une part de s’imposer comme Idéal sur la scène journalistique, de se construire un ethos de journaliste et entrepreneur de presse parfaits, et d’autre part, de lutter en faveur de la liberté de la presse tout en déjouant la censure. En somme, afin de faire d’une pierre trois coups, l’histoire de l’insertion de L’École dans La Presse est le fruit de véritables petits arrangements entre époux.  

Un enjeu économique : créer un événement

La présence récurrente de L’École des Journalistes dans les colonnes de La Presse entre décembre 1839 et février 1840 témoigne de la volonté de créer, de toutes pièces, un événement éditorial, substitut de l’événement théâtral que la censure n’a pas autorisé. Le quotidien de Girardin est, en effet, inextricablement lié à la notion d'événement, elle-même étroitement dépendante de l’audience que lui permet le débat polémique. Alain Vaillant définit en effet le concept d’« événement » en trois temps :

Quel qu'il soit, l'événement est collectif, doit avoir une très forte visibilité (d'où la prédilection pour le spectacle ou toutes formes de mises en scène de l'espace comme les fêtes, les cérémonies ou l'érection de monuments) et présenter une indéniable valeur symbolique (comme le permet par exemple la pratique commémorative)7.

Avant même la publication d’extraits de l’œuvre en question, les abonnés au quotidien de Girardin ont vent des démêlés du texte de Madame de Girardin avec la censure, offrant ainsi à L’École la « visibilité » qu’aurait pu permettre la scène théâtrale. Dès le 2 décembre, les lecteurs de La Presse peuvent en effet suivre les tribulations d’« une » pièce, tout juste refusée par la censure, dont on ne donne ni le nom ni l’auteur, grâce à la longue reprise d'un article de la Revue de Paris :

On lit dans la Revue de Paris : « Un incident littéraire, la lecture d’une comédie en cinq actes qui ne sera pas représentée, a posé la question toute morale et toute politique du journalisme. On s’est mis à discuter sur cette puissance étrange, sur cette divinité terrible, et sur le mérite de ceux qui s’en font les prêtres et les desservans8. […]

Qu'il s'agisse de la mention d'une des revues littéraires les plus prestigieuses de France à l'époque, ou de celle d'un « incident littéraire » encore mystérieux, tout concourt à éveiller la curiosité du lecteur, se sentant impliqué dans la confidence des prémices d’une polémique à laquelle participent les périodiques littéraires les plus reconnus du pays. Le 3 décembre, c'est en effet L'Artiste que La Presse cite tout aussi longuement, en mentionnant explicitement qu'elle doit ces lignes à « M. Jules Janin9 », dont le nom seul suffit à témoigner de l'importance de la controverse, et à mettre d’autant plus la pièce de l'épouse de Girardin en position de visibilité que le « Prince des critiques » condamne la décision des censeurs :

Nous empruntons à l’Artiste les lignes suivantes, écrites par M. Jules Janin. « L’École des Journalistes, la comédie de Mme de Girardin, a été défendue, non par la censure, mais par M. le ministre de l’intérieur, qui a voulu lui-même lire cette comédie. M. Duchâtel n’a pas oublié, en effet, qu’il avait fait partie, lui aussi, de cette presse que l’on attaque de toutes parts ; il était l’un des rédacteurs les plus actifs de l’ancien Globe, et il ne l’a quitté que pour passer aux affaires avec les compagnons de ses jours de lutte. Il faut même reconnaître que MM. les doctrinaires n’ont pas été reconnaissans pour cette puissance qui les a créés et mis au monde. […] Toujours est-il que M. le ministre de l’intérieur a lu lui-même, à tête reposée, l’École des Journalistes, et qu’il a cru bien faire en mettant son veto ministériel à ce que cette comédie fût représentée. Pour notre part, c’est une rigueur que nous n’approuvons guère10. […]

Cette fois-ci, l'auteur et le titre de la pièce (« L'École des Journalistes, la comédie de Mme de Girardin ») accompagnent l'explication donnée à l'impossibilité de représenter la pièce, pourtant reçue au Théâtre-Français. L'on ne devrait pas cette interdiction à la censure, mais au veto du ministre de l'intérieur, Duchâtel, autre moyen d'amplifier l'importance de L'École. Le 5 décembre, c'est un extrait du feuilleton de La France qui est repris pour annoncer la publication de la pièce :

Ce qui suit est extrait d’un feuilleton de la France :
« En écrivant sa comédie, Mme de Girardin a usé d’un droit ! Si, ne pouvant la faire jouer, elle la livre à l’impression, le public sera juge 11! […]

En s’appropriant les mots des autres, non seulement Girardin confère une aura, une stature, à la pièce de son épouse, se voyant médiatisée au sein du réseau journalistique, mais il dissimule également son évidente partialité dans cette affaire, qui pourrait bien faire obstacle à l’adhésion qu’il cherche à susciter chez son lecteur, ou du moins éveiller son esprit critique. Enfin, plus que médiatisée, la pièce est exhibée comme étant médiatisée, exhibée comme étant le sujet artistique de préoccupation du moment, dont La Presse, pourtant partie prenante dans cette affaire, ne se fait que l’écho – du moins est-ce l’image que le journal de Girardin cherche à donner.

Deux fragments de la pièce prennent le relais (fragments issus de l’acte III, scène 6, et de l’acte V, scène 3), et sont publiés le 7 décembre12. Dans ces textes, les caractères d'impression ornementaux à la disposition aérée contrastent avec les autres rubriques du quotidien à l’agencement sobre et serré. Serait-ce pour se conformer à l'image attendue par les lecteurs de la part d'une femme écrivain ? Peut-être, d'autant que les deux fragments édités ne sont assurément pas les plus polémiques ni les plus satiriques de la pièce – registres que l'époque ne pardonne pas aux femmes13. Quel qu'en soit le motif, cette mise en page différencie ostensiblement la pièce de « Delphine Gay de Girardin » des autres feuilletons se situant habituellement en rez-de-chaussée. L'on pourrait aller jusqu'à argumenter que cette double signature – Gay et Girardin – évoquant à la fois l’égide de la mondaine Sophie Gay, mère de Delphine, et celle du controversé mari de la dramaturge, est destinée à tirer parti des relations célèbres de l'auteur afin d'attirer l'attention sur elle. Ce 7 décembre, est également annoncée la publication de ladite pièce en librairie, « jeudi prochain », dans un entrefilet au sein du journal – publicité informative (mentionnant la date et les lieux de mise en vente) –, qui se verra amplifiée le 16 décembre, sous la forme d'une annonce publicitaire – dont le lecteur pourra difficilement faire abstraction :

Image1

La Presse, 7 décembre 1839

Toujours exclue de l'espace ordinairement réservé à la publicité (la dernière feuille), comme s'il s'agissait de conférer plus de dignité à cette annonce, la réclame est d'autant plus mise en valeur qu'elle détonne graphiquement du reste du journal, ce qui n'eût pas été le cas sur la page consacrée à la publicité. La parution du livre est enfin annoncée pour le lundi 17 décembre, le lendemain.

Émile de Girardin utilise ainsi tous les moyens mis à disposition par son journal pour créer un véritable événement littéraire autour de la publication de l'œuvre de son épouse, en réseau avec d'autres périodiques : entretenant la polémique, annonçant les étapes de la parution, ouvrant la voie de la publicité à la littérature, et cherchant le succès commercial – à défaut du triomphe scénique –, il tente de placer L'École des Journalistes en posture de visibilité au sein de l'actualité de l'époque. Ce que nous sommes tentés de nommer un « feuilleton publicitaire » prendra fin le 28 février 1840 : La Presse publiera un dernier extrait de l'œuvre de Madame de Girardin (issu de la scène 10 de l’acte III), une parution cette fois-ci également motivée par les circonstances politiques, nous y reviendrons.

Avec la publication de L’École, les Girardin utilisent l’espace du périodique comme relais de la représentation scénique qui n’a pas eu lieu : la pièce de Delphine renoue avec l’ordre du « collectif », étant lue par l'ensemble du lectorat du journal ; la « visibilité » est offerte par le journal lui-même en tant qu'objet médiatique ; reste donc la « symbolique » à construire, pour permettre à Émile et Delphine de parfaire leur dessein et transformer L’école des Journalistes en événement14, ce qu’ils ne manqueront pas de faire. L’alliance des époux Girardin influence l’actualité culturelle, idéologique et politique de leur temps en incitant les lecteurs à une nouvelle lecture de la pièce, subordonnée dans La Presse à une controverse à double détente : le journalisme, et la censure.

Au-delà du simple témoignage de la modification du sens accordé à la publicité – de la signification originelle, « action de rendre public », vers la signification moderne, « support vantant les mérites d’un objet » –, l’édition de la pièce de Delphine de Girardin au sein de La Presse montre combien ces deux sens sont, à l’époque, étroitement dépendants : faire la promotion d’une œuvre, c’est l’offrir au jugement du public, pris à parti au cœur d’un double débat polémique. Et l’impossible scène théâtrale devient une « scène » médiatique dont les acteurs s’agitent sous les yeux du lecteur, par colonnes de journaux interposées.

Un enjeu idéologique : la définition du journalisme idéal

Dès la première mention de la pièce, le 2 décembre, sans en donner son titre ni son auteur, Émile de Girardin ouvre un débat sur le journalisme, appelé à être exercé avec plus de « modération de forme et de langage ».  Au risque d’être à la fois juge et partie, Girardin entend bien, en fondant La Presse, inaugurer une nouvelle ère journalistique : celle d'un journalisme fiable, sérieux et utile à la société. Celle, en somme, d’un journalisme progressiste. Certaines publications théâtrales15 contribuent à présenter son quotidien comme l'Idéal du périodique moderne, s'opposant tant à la vieille presse caduque qu'à la presse satirique, accusée de tous les maux, depuis la calomnie jusqu’à la mauvaise foi. C'est dans ce contexte de bataille par feuilles interposées qu'il faut comprendre la publication de L'École des Journalistes. Le choix même de la publication d’un monologue (celui du peintre Morin avant son suicide ; V, 3) – réputé peu théâtral, par conséquent peu apte à témoigner des qualités scéniques de la pièce dont on cherche pourtant à faire la promotion –, évoque la rhétorique du discours et de l'éloquence parlementaire ou judiciaire présentes dans les autres articles du quotidien16. C’est que le journal est un espace poreux, et de ce fait plastique, au sein duquel les différentes rubriques s’influencent, ce qu’ont parfaitement démontré Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, au sujet de La Presse17. Pour les deux critiques en effet, Émile de Girardin, en fondant son quotidien, n'a pas seulement créé un organe de presse, mais une véritable œuvre, aussi hybride que parfaitement concertée, dont la lecture doit être suivie au fil des jours, mais aussi au sein même de chaque numéro. De fait, seule une lecture en réseau permet d’appréhender combien les enjeux du journal dépassent la seule (et simple) information. Aussi, l’extrait inséré le 7 décembre 1840 fait-il écho à une tirade à l'encontre du journalisme, à l'occasion d'un article consacré à la question d'Orient :

Un journal du matin, Le Temps, constate l'unanimité d'approbation qu'ont rencontrée dans les journaux les mesures du ministère et il s'autorise de ce fait pour affirmer qu'avec des idées nationales un gouvernement serait toujours sûr d'être applaudi par cette presse qu'on dénigre. N'en déplaise au Temps, le fait qu'il cite à la louange du journalisme nous paraît, à nous, un des plus accablants témoignages qu'on peut citer à sa charge. Oui, cela n'est que trop vrai : il n'est pas une folie dont le journalisme ne propage la contagion, pas une absurdité qu'il ne soutienne avec cet enthousiasme retentissant qui éblouit la foule, pas une mauvaise tendance au service de laquelle il ne mette toutes les ressources de son action18.

D'abord dirigée contre Le Temps, l'accusation de Girardin, dans un mouvement de généralisation, passe du cas particulier vers une mise en cause générale du journalisme – responsable pour le gérant de La Presse de la politique belliqueuse du cabinet en Orient. Cette condamnation trouve un écho dans le texte de L'École présent sur la même page, dans lequel le peintre Morin se plaint que « [d]ans les arts, comme en tout, le journalisme règne19. »

La pièce de l'épouse de Girardin doit ainsi être lue en réseau, dans l'axe paradigmatique que représente chaque numéro de journal, mais également selon l'axe syntagmatique formé par la succession quotidienne des numéros. Dès le 5 décembre, les publications du 7 se voient habilement préparées, d'une part grâce à une critique en entrefilet du Messager parce qu'il a fait « l'apologie du journalisme20 », et d'autre part, surtout, par un article signé – une fois n'est pas coutume, en des lettres on ne peut plus visibles – de la plume… d'Émile de Girardin : « De la liberté de la presse et du journalisme ». Dans cet article, Girardin entend montrer que « le journalisme est une exploitation mercantile de l'opinion et des passions d'autrui, un atelier où se lamine le mensonge, une boutique où se débite l'erreur à l'enseigne et au profit de tel ou tel parti », alors que la liberté de la presse est « le droit que les Français ont de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois ». La conséquence est alors que « la liberté de la presse est une institution, la tyrannie du journalisme est une usurpation ». Et ensuite de plaider en faveur des signatures, seule prémonition contre l'excès de calomnies, afin que le journalisme devienne meilleur, qu'il permette la publicité – au sens originel – et non la polémique. Cependant, dans l’esprit de Girardin, ces excès sont le fruit de la législation française : « tant que la liberté de la presse n'aura pas été ramenée à sa véritable acception constitutionnelle », le progrès de la société sera impossible. Le 6 décembre, le fondateur de La Presse passe du discours aux actes, en entamant un débat avec les autres journaux à grand tirage de l'époque – entre autres, le Journal des Débats, Le Constitutionnel, Le Temps... – concernant les diverses réunions du ministère des « 221 ».

La publication de la pièce de Delphine de Girardin entre ainsi dans le cadre d'un projet plus vaste, celui de La Presse, tendant à définir le journalisme idéal à travers le contre-exemple des autres journaux du temps, et par l'exemple du quotidien de Girardin lui-même, qui cherche à s'ériger en modèle de modernité, d'honnêteté, et de fiabilité21. Le support de publication de L’École permet ainsi de lui conférer une signification plus ample que le texte seul ne l’autorisait. C’est par ailleurs sensible dans la polémique contre la censure que le journal engage par le biais de l’œuvre de Delphine.  

Un enjeu politique : une lutte en actes contre la censure

Le 5 décembre, La Presse lance une invitation au public à juger par lui-même de la pièce : « Si, ne pouvant faire jouer [sa pièce], [l’auteur] la livre à l'impression, le public sera juge ! ». C’est inviter le lecteur à prendre parti au cœur du débat touchant la censure. La Presse parvient à faire de Madame de Girardin le symbole des excès22 de la censure, parachevant ainsi la construction de la pièce comme « événement ». C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre l'extrait de l'article de Janin inséré dans le quotidien le 3 décembre 1839 où l'auteur, s'appuyant sur l'exemple de la pièce de Delphine, élargit sa pensée à des considérations générales sur la censure :

La censure nous paraît faite pour défendre les mœurs outragées, et pour empêcher que le parterre ne devienne une arène politique. Mais une fois que la morale publique est saine et sauve, une fois que la politique, nous voulons parler de la politique dangereuse, est hors de cause au théâtre, c'est le cas d'employer la vieille maxime : « Laissez dire, laissez faire, laissez passer. » Le public devient alors seul juge de la chose représentée et vous n'avez pas le droit de décliner sa juridiction23.

Girardin souscrit à cette pensée, et la préface de Delphine de Girardin, dans la publication en volume, prend également explicitement à parti le lecteur comme juge (notamment grâce à l’expression « offrir au jugement du public24 »). L’auteur est érigée en victime des ciseaux d’Anastasie, et en symbole de l'injustice de cette dernière25. Il n’est à cet égard pas étonnant qu’en 1856, lorsque Paul de Saint-Victor fait de la pièce de Delphine le centre de sa chronique dramatique à l’occasion de sa republication, le critique rappelle encore combien cette censure a pu jouer sur le destin littéraire – et le succès – de la fille de Sophie Gay :

[…] Tout le génie dramatique que le poète devait si hautement révéler plus tard se développait dans cette première pièce. – En l’étouffant, la censure replia sur elle-même et retarda de dix ans peut-être cette vocation magnifique qu’un premier succès aurait épanouie26.

Au-delà, l’édition, en 1839, du texte de Madame de Girardin, est une véritable réponse en acte(s) à l’exercice de la censure. Notons que la publication d’extraits est extrêmement rare dans La Presse27, et que dans le cas de L’École, elle revêt un sens tout particulier. La charge satirique, notamment celle des deux premiers actes (l'acte I est celui d'une orgie de journalistes, l'acte II montre un journaliste chez lui, amouraché d'une danseuse ; ces deux actes sont très fermement condamnés par Jules Janin28) semble trop violente pour La Presse. Le découpage opéré tend à unifier les multiples registres composant la pièce – hétérogénéité que revendique pourtant Delphine de Girardin dans sa Préface29 – autour des tonalités tragique et pathétique. Les deux fragments30 mettent en effet l'accent sur l'histoire de Morin, vieux peintre conduit à se suicider à cause de calomnies journalistiques31. Le premier extrait32 du périodique laisse mal imaginer que l'acte III est « une comédie », tel que l'avait voulu l'auteur. Le personnage d'Edgar fonctionne comme un relais du lecteur amené progressivement vers un sentiment de pitié pour le peintre. S'il prend d'abord à la légère les plaintes de Morin (ne dit-il pas, en « riant », « J'aime cette fureur » ?), la victime du journalisme n'en est pas moins pathétique. Le second extrait, présentant Morin seul dans son atelier, offre un monologue tragique en bonne et due forme, qui doit précéder le suicide du peintre. Dans ce deuxième fragment, le décor entourant le peintre (décrit en début d'acte dans la version livresque33) est rappelé, afin de renforcer l'effet pathétique sur le lecteur, ainsi que son costume funèbre (mentionné en fin de scène 1 dans la version livresque34). La modification de la didascalie finale est révélatrice : alors que l'ouvrage annonce l'arrivée de Valentine « en haut de l'escalier35 », espoir possible (aussi marqué par la symbolique de l'espace) pour Morin, dans La Presse en revanche, le peintre « sort, l'air sombre et désespéré », là où il se contentait de cacher son visage entre ses mains dans l'édition en volume. Autrement dit, Delphine de Girardin ne cherche pas à entretenir le suspens quant au dénouement de la pièce, ce qui paraît malhabile pour une prépublication publicitaire devant a priori inciter le lecteur à l’achat du volume. Renforcer la noirceur de la pièce en se centrant sur celle des deux intrigues qui présente un dénouement funeste – si le peintre en effet se suicide, le mariage de la fille du ministre de l’intérieur aura quant à lui bien lieu, malgré les calomnies de La Vérité – permet, d’une part, d’accroître la charge critique de la pièce. D’autre part, cela accentue l'effet tragique de l’œuvre, ce qui la rattache de fait à un genre noble et sérieux, celui de la tragédie. Implicitement, les époux Girardin tentent de discréditer cette censure qui a osé interdire une pièce appartenant aux « grands genres » théâtraux de l’époque. Voilà de quoi nourrir une condamnation de la censure, venant à l’appui du manifeste écrit par Girardin.

Son article en effet, « De la liberté de la presse et du journalisme », le suggère : si le journalisme est de mauvaise qualité, c’est parce que la presse n’est pas libre. L’homme se battra toute sa vie pour que la censure cesse de peser sur les périodiques. Et lorsqu’Anastasie s’attaque à sa femme, il fait rapidement de cette lutte la sienne. Censure à la scène ou sous les presses, le combat est le même. Aussi, le dernier « pied-de-nez » adressé à l’institution censoriale se fera-t-il avec la publication plus tardive d'un autre extrait de L'École des Journalistes (III, 10) dans La Presse, le 28 février 1840. Cette insertion se fait à la faveur d'un trouble politique majeur traversé par la France : « Nous empruntons à l'École des Journalistes la description d'une crise ministérielle36 ». La veille, le journal avait annoncé que Thiers, convoqué par le Roi pour faire son cabinet, réfléchissait au nouveau gouvernement. Le jour de la publication de l'extrait, La Presse déclare dans le « Premier-Paris » que le ministre demande un nouveau délai, à cause de la réaction suscitée à la Chambre par sa liste provisoire. Le lendemain, l’on apprend finalement que le nouveau cabinet sera connu le jour suivant. L'extrait de la pièce de Delphine paraît dans un moment de latence politique, durant lequel la France est tendue vers l'attente d'un nouveau gouvernement, et vers l'espérance d'une stabilité encore impossible. Les répliques de la fiction collent si bien à la réalité, qu'elles permettent de montrer, derrière l'amusement suscité, l'inquiétude de toute une époque se voyant à tel point troublée, qu'elle se vit comme une fiction :

Nos grands hommes d'état se font par ordonnance,

Sans scrupule ils mettraient un soldat aux finances37.

Girardin prolonge, voire instaure un discours politique impossible au sein des autres rubriques du périodique, notamment celles dévolues à l’information, parce que le journal se trouve sous surveillance étroite de la censure. Pour le dire autrement, il construit son discours politique par le biais de renvois entre les rubriques de son quotidien. Et la fiction éclaire ce que pense sans le moindre doute le gérant de La Presse du nouveau gouvernement potentiel :

Cette combinaison arrangeait tout le monde ;

Car c'était un faisceau de médiocrités.

Mais voulant s'expliquer ils se sont disputés.

Ah ! Que de petitesse et quelle inquiétude !

L'extrait s'achève ainsi :

Ah ! Quels hommes ! Chacun accepte... En refusant.

Si ce n'était honteux, ce serait fort plaisant !

Nul doute ici que c'est grâce à l'intermédiaire de la fiction théâtrale, dont l'auteur n'est pas nommé(e), comme pour faire oublier le nom de Girardin qui prend en charge ce discours au sein du périodique, que peut s'épancher un virulent discours politique, qui eût été impossible dans les rubriques non fictionnelles du journal. Le lecteur le sait, qui a connaissance de la situation politique de son pays, et qui lit l'extrait de L'École des Journalistes en réseau avec les premières lignes du journal qu’il vient de fréquenter, consacrées à la politique intérieure du pays.

Après avoir lutté en acte(s) contre la censure théâtrale en montrant aux abonnés du journal combien la noble pièce de son épouse ne méritait pas les ciseaux (des) censeurs, Girardin lutte en acte(s) contre la censure journalistique en faisant passer son discours politique grâce à la fiction et aux vers de la dramaturge. L’École des Journalistes est action, ce que qui correspond bien à la volonté exprimée par Delphine lorsqu’elle justifie son titre dans sa préface :

Si cette comédie avait pour titre Les Journalistes ou le Journalisme, on pourrait avec raison s’étonner de n’y point voir représentées toutes les variétés de journalistes que la presse périodique a vus naître […]. […] Mais cette comédie a pour titre L’École des Journalistes. Qui dit école dit leçon, et les leçons ne s’adressent qu’à ceux qui peuvent en profiter38.

Le titre choisi par Delphine n’est pas thématique : son œuvre n’a pas pour argument la formation des journalistes. Le terme école désigne en réalité le texte lui-même, qui se veut école, qui veut former, qui veut agir sur le monde réel. En ce sens, les potentialités de l’espace journalistique permettent à la dramaturge de ne pas seulement faire la leçon au monde journalistique, mais également aux instances politiques. Et sa pièce se voit investie d’une double dimension symbolique bâtissant sa grandeur toute médiatique, et parachevant de ce fait sa construction en événement littéraire.

Œuvre dans l'Œuvre, Tribune dans une Tribune, L’École des Journalistes dans La Presse voit ainsi son sens revitalisé – parce qu'il est plus puissamment affirmé –, mais peut-être aussi restreint – parce que seules ses potentialités polémiques sont exploitées et mises à profit d’une univocité –, au bénéfice d'un projet d'ensemble. Et au péril du théâtre. Au risque en effet de se voir déconstruite dans sa dramaturgie, la pièce de Delphine est menacée de devenir un réservoir de formules saillantes. Autrement dit, le succès indirect de la pièce se paie aussi au prix d’une négation de sa théâtralité. Et ce projet est le fruit d’un couple formé par une « écrivain-journaliste39 » et par un « journaliste-écrivain », pour nous symbole de cette alliance entre journalisme et monde des Lettres, que toute cette époque a pu percevoir comme fructueuse autant que monstrueuse40.

Plus qu’une simple prépublication publicitaire résultant d’une « camaraderie41 » qu’on pourrait dire « maritale », l’analyse de l’insertion d’extraits de L’École de Delphine au sein du périodique le plus célèbre de son mari Émile témoigne de l’influence du support de publication sur la signification des textes, et montre comment l’espace de la feuille de journal s’érige en véritable lieu de revivification de la lettre de la fiction. Dans ce medium plastique et hétérogène, la conquête de la visibilité sert la quête de la polémique, et inversement. Dans ce lieu qui s’adresse à un collectif parsemé sans pour autant le réunir physiquement en un même temps – a contrario de la salle de théâtre –, des pièces rejetées par la censure peuvent trouver un abri favorable. Ce qui n’a pu être proféré face à un public réuni peut être écrit et lu, et même renforcé, au sein du journal. La « scène » médiatique se fait ainsi véritable relais de la scène théâtrale, en offrant une tribune à des textes qui n’ont pu trouver planches pour être joués.

(UMR LIRE / CNRS-Lyon 2)

Annexes

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La Presse, 7 décembre 1839 (p. 1 et 2)

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Notes

1  Delphine de Girardin, L'École des Journalistes, Paris, Desrez, 1839, 2e éd., p. V.

2 Ibid., p. VI.

3  Voir Odile Krakovitch, Censure des répertoires des grands théâtres parisiens (1835-1906). Inventaire des manuscrits des pièces (F18 669 à 1016) et des procès verbaux des censeurs (F21 966 à 995), Paris, Centre historique des Archives nationales, 2003.

4  La pièce fait de nouveau parler d’elle dans les colonnes de La Presse le 8 janvier 1856 (année qui a servi de borne à notre dépouillement), à l’occasion d’une nouvelle publication livresque. Paul de Saint-Victor, alors en charge du feuilleton dramatique, publie de nombreux extraits, et commence son article – partial – en ces termes : « La Presse a publié, il y a quelques jours, la préface de L’École des Journalistes, [nous n’avons pas retrouvé trace de cette publication. Le critique semble la confondre avec l’insertion d’un poème de Delphine, « La fête de Noël », le 24 décembre 1855]. On a vu de quelle indignation généreuse était sortie cette comédie militante. Elle attaquait le journalisme insulteur, non avec le fouet en l’air de la satire anodine, mais, en quelque sorte, avec l’épée d’une provocation directe et loyale. On sait quelle intrépidité d’héroïne Mme de Girardin apportait dans l’exercice de la poésie ; elle allait droit au péril, à la calomnie, au mensonge, et les frappait d’un vers retentissant de franchise. L’École des Journalistes fut la plus hardie de ces représailles de publicité. Elle effraya la censure d’alors ; cette comédie de guerre rentra au fourreau, pour ainsi dire, en se perdant dans l’ombre du livre : une édition nouvelle vient de la remettre en lumière. Les passions qu’elle combattait sont mortes, la campagne qu’elle inaugurait est finie : examinons-la donc, non plus comme un instrument de polémique, mais comme une œuvre d’art, comme une de ces armes de luxe forgées pour de saintes causes, maniées par de nobles mains, et dont la trempe est incorruptible. » Et d’ajouter que la censure a « étouff[é] » le « génie dramatique » de Delphine de Girardin, et a « retard[é] de dix ans peut-être cette vocation magnifique qu’un premier succès aurait épanouie ».

5  Pour une présentation détaillée des aléas et modes de fonctionnement de la censure des théâtres au XIXe siècle, voir la précieuse synthèse d’Odile Krakovitch précédant son inventaire, op. cit.

6  Le vocabulaire utilisé par Paul de Saint-Victor, en 1856, n’est de ce point de vue pas anodin : ne parle-t-il pas en effet d’une comédie qui « rentr[e] au fourreau » et « se per[d] dans l’ombre du livre », trahissant ainsi la recherche de visibilité comme un des enjeux, certes naissant, mais majeurs, de l’époque ?

7  Alain Vaillant, « L'Invention de l'événement littéraire », dans Corinne Saminadayar-Perrin (dir.), Qu'est-ce qu'un événement littéraire au XIXe siècle ?, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, « Le XIXe siècle en représentation(s) », 2008, p. 33.  Nous soulignons.

8  La Presse, 2 décembre 1839, p. 1. Pour chaque citation de La Presse, nous conservons, sauf mention contraire, les graphies et choix typographiques de l’époque. La reprise est exacte, bien que partielle, puisque dans la Revue de Paris le débat se clôt sur une allusion flatteuse au Siècle, qu'Émile de Girardin a occultée, ce que l'on comprend aisément lorsque l'on sait que le journal de Dutacq est son concurrent direct.

9  Jules Janin, le célèbre et redouté critique du Journal des Débats surnommé « le Prince des critiques », avait publié dans la revue d'Arsène Houssaye un article intitulé « L'École des Journalistes. Lettre à Madame Émile de Girardin » (L'Artiste, 1839, tome 4, pp. 181-191). Dans cette lettre ouverte, le critique blâme l'épouse d'Émile de Girardin d'avoir porté d'acerbes critiques contre le journalisme, qu'il défend avec vigueur. Ce n'est pas un extrait de cet article qui est repris dans La Presse, mais un fragment de la rubrique intitulée « Un peu de tout », ibid., p. 231. Notons que les reproches de l'auteur pointaient déjà avant sa lettre ouverte, toujours dans sa chronique « Un peu de tout », ibid., p. 140-141.

10  La Presse, 3 décembre 1839, p. 3.

11  La Presse, 5 décembre 1839, p. 2.

12  Voir les pages de feuilleton reproduites en illustration du présent article, ci-bas en annexes.

13  Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer que la célèbre, et non moins parfois âpre, chronique de Madame de Girardin, le « Courrier de Paris », est tenue sous le (toutefois transparent) pseudonyme nobiliaire masculin de Vicomte Charles de Launay ; ou encore de se remémorer les critiques misogynes du camp républicain lorsque Delphine de Girardin écrit des vers contre Cavaignac durant les jours agités suivant la Révolution de 1848. Voir Madeleine Lassère, Delphine de Girardin, Journaliste et Femme de Lettres au temps du romantisme, Paris, Perrin, 2009, p. 278.

14  Vaillant, « L'Invention de l'événement littéraire », art. cité, p. 33.

15  Nous ne le développons pas ici par manque de place, mais c’est ainsi qu’il faut par exemple comprendre la publication de Léo Burckart de Gérard de Nerval et Alexandre Dumas, entre le 24 septembre et le 4 octobre 1839. Une des répliques du Prince notamment, lors d’un échange avec Léo Burckart (personnage de journaliste), semble exprimer les pensées les plus profondes de Girardin quant au journalisme : « Ne faites pas de fausse modestie ; vous savez qu'il y a des paroles qui tuent, et que, grâce à la presse, l'intelligence marche aujourd'hui sur la terre, comme ce héros antique qui semait les dents du dragon ! » (Prologue, scène 10, nous soulignons ; La Presse, 24 septembre 1839, p. 4). Le héros tirera d’ailleurs la triste conclusion que sa « plume […] était un sceptre plus réel que [celui du Prince] » (III, 4 ; La Presse, 30 septembre 1839, p. 2). Ces répliques font écho, au sein de l’espace que constitue la feuille de journal, à divers entrefilets concernant la presse et le journalisme.

16  Voir à ce sujet Corinne Saminadayar-Perrin, Les Discours du journal : rhétorique et médias au XIXe siècle, 1836-1885, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, « Le XIXe siècle en représentation(s) », 2007.

17  Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836. L’An I de l’ère médiatique, Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde éditions, 2001, p. 56-59.

18  La Presse, 7 décembre 1839, p. 1. La Presse souligne.

19  Ibid.

20  La Presse, 5 décembre 1839, p. 1-2. Les citations qui suivent proviennent de la même source.

21  Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant montrent ainsi que le principal sujet de La Presse est… elle-même. Thérenty et Vaillant, op. cit., p. 48.

22  Rappelons qu’au XIXe siècle, les auteurs eux-mêmes ne concevaient pas l'abolition totale de la censure. Pour être plus juste, bien que certains s’y soient fermement opposés (nous pensons notamment à Victor Hugo), la censure n’était généralement pas perçue comme illégitime, mais comme dévoyée parce que s’attaquant à des œuvres ne méritant pas condamnation. Voir Odile Krakovitch, « Les Romantiques et la censure au théâtre », Revue de la société d’histoire du théâtre, 1984, I, p. 56-57. La citation de Janin qui suit en témoigne, puisqu’elle prône la liberté sur les planches seulement lorsque la « politique dangereuse », celle remettant en cause les fondements de la société, en est écartée.

23  La Presse, 3 décembre 1839, p. 3.

24  Delphine de Girardin, L'École des Journalistes, éd. cit., p. II. Cela n'empêche pas l’auteur de tenter de préparer son public avec cette préface, et de s'attirer les grâces de sa bienveillance.

25  Cary Hollinshead-Strick a par ailleurs montré comment Delphine fait du peintre Morin, artiste incompris, un double d’elle-même, tandis que le journaliste Martel constitue un anti-modèle. Elle s’appuie pour cela sur les trois modes de diffusion de la pièce (lecture en salon, fragments dans un quotidien, œuvre livresque). Nous ne reprenons pas ses analyses pertinentes, puisqu’elles s’appuient sur des passages de la pièce qui n’ont pas fait l’objet de publication dans La Presse, mais nous souscrivons à la pensée de la critique lorsqu’elle affirme que « [u]ncensored, L’École des Journalistes would have been a knowing comedy about the production of newspapers. Censored and publicized, it became a demonstration of the power of the press » (« [n]on censurée, L’École des Journalistes aurait été une comédie au sujet de l’élaboration des journaux. Censurée et publiée, cela devient une démonstration du pouvoir de la presse. », nous traduisons) ; Cary Hollinshead-Strick, Performing publicity : the press on stage and in the feuilleton,1836-1848,  Thèse (version de soutenance), 2008, pp. 66-80.

26  La Presse, 8 janvier 1856, p. 1.

27  Entre la fondation du journal en 1836 et le 31 décembre 1856, nous n’avons trouvé qu’un seul autre exemple, Les Esclaves de Lamartine (le 3 mars 1843), fragment de ce qui deviendra Toussaint-Louverture par la suite.

28  Jules Janin, « L'École des Journalistes. Lettre à Madame Émile de Girardin », op. cit.

29  Delphine de Girardin, L'École des Journalistes, éd. cit., p. II-III : « Au premier acte, L'École des Journalistes est une sorte de vaudeville, semé de plaisanteries et de calembours ; – au deuxième acte c'est une espèce de charge où le comique du sujet est exagéré, à l'imitation des œuvres des grands maîtres ; – au troisième acte, c'est une comédie ; – au quatrième, c'est un drame ; – au cinquième, c'est une tragédie. Dans le style, même sentiment, même variation : au premier acte le style est satirique ; – au quatrième acte, il est simple et grave ; – au cinquième acte, il tâche d'être poétique. L'auteur l'a voulu ainsi. », Delphine de Girardin souligne.

30  Notons que le 8 janvier 1856, ces deux extraits feront également partie des fragments choisis par Paul de Saint-Victor pour sa chronique dramatique consacrée à la réédition de la pièce de Delphine de Girardin.

31  Les contemporains ont lu dans cette aventure un portrait à clef du Baron Gros, peintre néo-classique français, dont l'Hercule écrasant Diomède est reçu sous les quolibets des critiques au Salon de 1835. Difficultés professionnelles et embarras personnels poussent l’artiste au suicide le 25 juin 1835. L'École des Journalistes a d’ailleurs parfois été lue à l’époque comme une pièce à clefs : Griffaut serait le censeur Briffaut, Valentine correspondrait à Madame Thiers, et le Ministre à Thiers lui-même. Voir Lassère, Delphine de Girardin, op. cit., p. 228. Cela pourrait en outre expliquer le cadrage sur le peintre Morin opéré par la sélection des fragments publiés dans La Presse : les Girardin auraient-ils trouvé trop risquée la présence de ces personnages à possible référentiel réel et politiquement importants au sein de la publication périodique ?

32  Delphine de Girardin, L'École des Journalistes, éd. cit., p. 123-127. Les autres modifications apportées pour la publication en journal nous ont paru minimes, et surtout résultant d'une adaptation au fait que le lecteur du périodique ne connaisse pas toutes les clefs de l'intrigue. La version livresque comporte ainsi un vers de plus en fin de scène, « Regardez... tant d'éclat présage un ciel serein », qui renforce l'idée déjà évoquée d'un dénouement heureux, mais sans doute supprimé parce que la rime suivie se trouve dans la scène suivante. Aussi la didascalie impliquant l'arrivée de Valentine a-t-elle été déplacée avant la réplique d'Edgar ; elle induit un geste et une précision spatiale que l'on ne retrouve pas dans le texte de La Presse : « Montrant Valentine, qui vient d'entrer ».

33 Ibid., p. 171.

34 Ibid., p. 172.

35  Ibid., p. 176.

36  La Presse, 28 février 1840, p. 3.

37  Idem pour cette citation et les suivantes.

38  Delphine de Girardin, L'École des Journalistes, éd. cit., p. VIII-IX.

39  L'expression est de Marie-Ève Thérenty, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2007.

40  Balzac en est l’exemple canonique – roi du roman-feuilleton mais acerbe critique des journalistes dans des textes tels qu'Illusions perdues. Le romancier est représentatif de la réticence du monde des Lettres face à ce nouveau support marquant une ère nouvelle, toute médiatique : celle de l'industrialisation de la littérature. Voir à ce sujet la présentation d'Alain Vaillant, qui montre comment, à cette époque, les journaux réels sont diabolisés, en même temps que le journalisme, tel qu'il devrait être, se voit idéalisé. Girardin n’est à cet égard pas seul dans son combat en faveur d’un journalisme de qualité. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Presse et Plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2004, pp. 12-16.

41  Ce terme fait évidemment référence à l’expression utilisée par Henri de Latouche lorsqu’il dénonce les partis pris subjectifs de certains critiques, dans un article célèbre de La Revue de Paris publié le 11 octobre 1829, « De la camaraderie littéraire ». Gustave Planche lui répondra dans un article paru dans la Revue des deux mondes le 1er décembre 1831. Voir à ce sujet Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire. Les romantiques face à leurs contemporains, Genève, Droz, 2008.

Pour citer ce document

Amélie Calderone, « Petits arrangements entre époux. De la scène théâtrale à la scène médiatique : l’exemple de la publication de L’École des journalistes dans La Presse (1839) », Presse et scène au XIXe siècle, sous la direction de Olivier Bara et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-et-scene-au-xixe-siecle/petits-arrangements-entre-epoux-de-la-scene-theatrale-la-scene-mediatique-lexemple-de-la-publication-de-lecole-des-journalistes-dans-la-presse-1839