L’Atelier médiatique de l’histoire littéraire

L’invention médiatique de l’échec littéraire

Table des matières

MARTINE LAVAUD

[Introduction de l’article à paraître dans le dossier « Théophile Gautier et l’invention médiatique de l’histoire littéraire », Revue Gautier, n° 36, novembre 2014]

« Ah ! si j'étais poète, […]; c'est à tout ce qui a avorté et à tout ce qui a passé sans être aperçu, au feu étouffé, au génie sans issue, […], que je consacrerais mes chants; – ce serait une noble tâche ». Tel est, dans Mademoiselle de Maupin, le début de la « tartine lyrique » du chevalier d’Albert, lui–même auteur d’une « manière de volume que personne ne connaît » . C’est que le ratage est chez Gautier une obsession précoce. La préface de Mademoiselle de Maupin est d’ailleurs liée à l’histoire d’une série de « grotesques » de l’histoire littéraire, puisqu’elle est une réponse au Constitutionnel qui s’est indigné de l’immoralité du premier article que Gautier a consacré à quelques écrivains dédaignés par la postérité, dont, en l’occurrence, François Villon, ressuscité dans La France littéraire de janvier 1834. La revue savante de Charles Malo accueillera par la suite, la même année, cinq autres études consacrées à « Scalion de Virbluneau » (février), « Théophile de Viau » (avril et juin), « Pierre de Saint-Louis » (septembre), « Saint-Amant » (octobre), « Cyrano de Bergerac » (novembre). L’hommage de d’Albert trouve ainsi dans ces Grotesques une réalisation simultanée transposée sur le plan de la critique journalistique. Entourés d’un succès de scandale associé au procès, Les Grotesques constitueront dès leur publication en volumes une référence de l’historiographie intersticielle attestée par la succession de cinq éditions, entre 1844 et 1859.

Au-delà de sa légèreté affichée, l’entreprise est d’importance dans la mesure où Gautier opte pour la démarche épistémologiquement novatrice d’une contre-histoire littéraire du ratage. Surtout, cette historiographie relativiste des minores croise un paramètre éditorial susceptible de reconfigurer la façon d’écrire et de penser l’histoire : le traitement périodique. Aux feuilles mort-nées de la presse vont correspondre les écrivains d’un jour, si bien que l’écriture médiatique, sensible par nature à tous les régimes de l’éphémère, semble nourrir quelques affinités avec le ratage littéraire. Il en résulte une typologie, une poétique, et même une rentabilité épistémologique de l’échec médiatisé. Celui des poètes, en particulier. Car l’assimilation du genre poétique à l’essence même de la littérature, et parallèlement sa marginalisation croissante, hors des circuits économiques les plus rentables, le rendent plus apte que tout autre à concentrer les enjeux contemporains du romantisme, et plus généralement, à interroger les mécanismes de la survie littéraire.

(Paris IV Sorbonne/ EA 4503)

Pour citer ce document

Martine Lavaud, « L’invention médiatique de l’échec littéraire », L’Atelier médiatique de l’histoire littéraire, sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/latelier-mediatique-de-lhistoire-litteraire/linvention-mediatique-de-lechec-litteraire