Gautier théoricien de la décadence
Table des matières
AURÉLIA CERVONI
[Introduction de l’article à paraître dans le dossier « Théophile Gautier et l’invention médiatique de l’histoire littéraire », Revue Gautier, n° 36, novembre 2014].
Identifiant le XIXe siècle à une période de décadence, la préface de Gautier aux Œuvres complètes de Baudelaire (1868) a inspiré la génération de 1880, qui salue en Baudelaire un précurseur et attribue à Gautier le rôle de passeur. S’il se fait l’écho de l’admiration de Baudelaire pour le latin tardif, dont témoigne notamment la notice qui précède Franciscae meae laudes dans l’édition des Fleurs du mal de 1857, Gautier nourrit lui-même, depuis ses débuts, une réflexion sur la décadence littéraire. Sa critique d’art et ses récits de voyage, en particulier Le Voyage en Espagne et Loin de Paris, comportent quelques passages suggestifs qui éclairent sa conception de l’histoire de la littérature. La postface des Grotesques développe quant à elle une réflexion sur le génie des littératures primitives, dont Gautier reprend la substance dans son éloge funèbre de l’auteur des Fleurs du mal. Ces différents textes ébauchent une définition de l’esthétique décadente, dominée par le culte du bizarre, la recherche pointilleuse de la nuance et le « maniérisme ». La préface aux Œuvres complètes de Baudelaire apparaît ainsi comme l’aboutissement d’une méditation commencée trente ans plus tôt et dont on distingue les prémices dans les charges antiprogressistes de la préface de Mademoiselle de Maupin. Tributaire de la mélancolie qui habite Gautier dans les dernières années de son existence, elle laisse également transparaître le fantasme d’un monde en décrépitude, auquel le poète donne libre cours les Tableaux de siège en 1871.
(Université Paris IV-Sorbonne)