La presse en scène

Annexe 2. La réception du Folliculaire

Table des matières

GIOVANNA BELLATI

Journal des théâtres

Le Journal des théâtres, de la littérature et des arts consacre au Folliculaire trois articles – tous de Charles Maurice, qui signe par un H –  dans trois numéros consécutifs, les 7, 8 et 9 juin1820. Ces textes abordent la pièce sous des optiques différentes : le premier traite de manière générale le thème du journalisme au théâtre et en littérature, et donne un court résumé de la pièce, promettant une analyse détaillée pour le lendemain. L’article suivant est totalement consacré à l’analyse, à laquelle s’ajoute un paragraphe de critique, et le troisième continue le jugement sur la pièce, se terminant par celui de la mise en scène et des acteurs.

Nous donnons ci-dessous quelques extraits de ces comptes rendus.

Journal des théâtres, de la littérature et des arts, n° 62, mercredi 7 juin 1820 – Première représentation du Folliculaire, comédie en cinq actes en vers :

Il y a, pour la multitude, certaines idées attachées à certains mots et qui les suivent comme à la trace, en dépit des efforts que fait la raison pour les séparer. Le défaut d’instruction, chez quelques classes, est la première cause de cet abus ; avant de connaître la valeur des termes, on veut discuter sur les choses et l’on tombe dans une confusion où des erreurs de toute espèce se trouvent enveloppées. Nous en serons là tant qu’on ne voudra pas s’éclairer avant de prononcer et réfléchir d’abord, pour parler ensuite.

En lisant Le Folliculaire sur l’affiche, nombre de gens ont voulu que, de toute nécessité, ce Monsieur fût Journaliste ; ces mots étaient, pour eux, de véritables synonymes, et c’est ainsi que, sans malice, ils confondaient le métier le plus vil avec la profession la plus noble. L’auteur de la pièce nouvelle partage cette opinion erronée puisqu’il a placé son folliculaire parmi les écrivains périodiques. Il faut le plaindre.

[…]

Le 26 juillet 1760, Voltaire fit jouer à la Comédie-Française, Le Café ou L’Écossaise, drame plus mauvais que méchant et dans lequel le nom de Frélon ayant été supprimé, il désigna sous celui de Wasp (mot anglais qui veut dire guêpe) le critique le plus célèbre de son temps. Fréron, qui s’était opposé à cette suppression,  rendit plaisamment compte du succès dont, selon lui, le dénouement fut un Te Voltarium chanté par l’armée philosophique et encyclopédique fière de cette victoire. Dans son article […], ce journaliste s’explique avec autant d’esprit que de mesure, et conclut que si c’est lui que l’auteur du drame a en vue, cet ouvrage n’est pas de M. de Voltaire, parce que ce grand poète qui a beaucoup de génie, sait trop ce qu’il se doit à lui-même et ce qu’il doit aux autres. Aujourd’hui les feuilles de Fréron sont lues par ceux qui veulent connaître avant de juger, et l’Écossaise n’est plus. Le personnage du Gazetier, jeté dans cette pièce sous les qualifications de lézard, de couleuvre, de crapaud, d’araignée, d’espion, de dogue etc. etc., n’a fait tort qu’à Voltaire.

Vingt deux ans après ce scandale, le bon M. Cailhava Destendous, conduit aussi par de petits ressentiments, fit jouer, en trois actes en prose, les Journalistes Anglais qui beaucoup ennuyèrent l’auditoire. M. de Laharpe y figurait à son tour sous le nom de Discord, personnage froidement avili et mal attaché à une action aussi faible que commune. Ce n’est pas cette pièce qui fera sortir de l’oubli la mémoire de M. Destendous, et si elle y parvenait, ce serait tant pis pour l’ouvrage et pour l’auteur.

Dans quelques scènes groupées sans art et sans intérêt sous le titre d’un Tour de Faveur, on a dit tout le mal que l’on peut penser d’un journaliste. L’esprit, du moins, fait quelquefois excuser la licence qui règne d’un bout à l’autre de cette satyre dialoguée. Maintenant on ne voit pas trop ce que l’on peut remettre de traits dans ce carquois épuisé. C’est à l’auteur du Folliculaire qu’il appartient de nous l’apprendre. En attendant l’analyse suivie de la pièce, voici une idée des moyens qu’il emploie pour arriver à ce but :

[suit un paragraphe qui contient un résumé très succinct de la pièce]

Cette intrigue qui rappelle Tartufe, le Méchant, le Séducteur, et tous les scélérats mis en scène, est semée de détails tantôt comiques, tantôt d’une trivialité révoltante. Elle n’offre pas un caractère neuf, pas une scène que l’on puisse citer ; mais l’ensemble a une sorte d’agrément, où la malice trouve quelquefois son compte. Damas a dit que l’auteur est M. Delaville.

Journal des théâtres, de la littérature et des arts, n° 63, jeudi 8 juin 1820 :

Le texte reprend par une analyse très précise, qui occupe presque la totalité de l’article, et qui contient déjà quelques éléments évaluatifs, par exemple sur le caractère des personnages : « Ainsi ce jeune homme [Belval] verra sans se gêner la belle Agathe qui l’aime et le dit à son père, toujours sans se gêner », ou sur l’insincérité de l’auteur :

Marcel présente à son maître l’apprenti Belval. Le folliculaire le reçoit avec impertinence, l’appèle (sic) mon garçon, lui trace un tableau dégoûtant et tout d’invention des devoirs qu’il aura à remplir et l’admet en qualité de rédacteur du Phénix.

Le compte rendu se termine par un paragraphe critique :

Il est aisé de voir que ce plan, faible et commun, est un tissu de scènes prises de côté et d’autre ; on pourrait dire de quel lieu chacune d’elles est dérobée. Les deux derniers actes sont tout entiers dans le Chevalier d’industrie. La scène du quatrième, où Saint-Clair ne consent à s’expliquer qu’après s’être battu, est le passage qui a été le plus applaudi, il a même décidé le succès de cette comédie, et cependant le motif en est partout. On peut, sans craindre de se tromper, étendre cette remarque au reste de la pièce. Une amourette enfantine, une brouille de bal, des billets doux, un libelle, une supposition de nom, un duel et des quiproquos sont les éléments de presque tous nos ouvrages modernes. […] J’affirme donc, avec une franchise qui ne sera peut-être point imitée, que le Folliculaire  n’annonce pas, chez son auteur, une organisation dramatique, et que c’est l’ouvrage d’un homme d’esprit bien certain de pouvoir tout hasarder, même son avenir littéraire. Pour lui prouver que cette satire dialoguée repose sur une base ruineuse, puisque le principal personnage est faux de tous points, je désirerais qu’il indiquât son modèle. S’il existe, sa pièce a du bon ; s’il dit qu’il a tracé un portrait de fantaisie, il se condamne lui-même ; le Théâtre-Français n’admet point les débauches d’imagination, et le vrai seul fait les comédies de caractère.

Journal des théâtres, de la littérature et des arts, n° 64, vendredi 9 juin 1820 :

Maurice introduit ce troisième article par un regret : il déplore que dans les pièces contemporaines l’appartenance à un genre précis soit moins évidente que dans les temps passés :

du temps de Molière, on ne connaissait de comédie que la comédie comique. On affuble aujourd’hui de ce titre des pièces larmoyantes ou des drames où l’on ne trouve ni de quoi rire, ni l’occasion de pleurer. C’est un abus de notre époque, le temps et le goût le corrigeront. Pour hâter le terme de son règne […] il importe, disons-nous, que des écrivains braves et dévoués aux saines doctrines, assignent aux ouvrages de notre siècle leur véritable genre.

Sur cette base classique de distinction des genres, il reprend le procès du Folliculaire, en lui appliquant, d’ailleurs, des critères d’évaluation assez étranges et arbitraires :

La pièce nouvelle n’est pas un drame, en prenant ce mot dans l’acception sérieuse qu’on lui donne à présent ; elle n’en a aucun des caractères, et de plus, elle n’intéresse pas. C’est encore moins une comédie, selon l’étendue de cette qualification ; elle ne présente ni la forme, ni le fond d’un pareil ouvrage, et en outre, elle n’amuse pas. On n’offre point d’intérêt au spectateur en lui montrant un honnête homme dupe d’un fripon, parce que les sots n’excitent que la pitié et que, d’ailleurs, on sait toujours comment finissent, au théâtre, de semblables aventures.

Ce n’est pas amuser le public, comme il l’attend d’un ouvrage fait pour corriger les mœurs, que de l’entretenir jusqu’à satiété des vices odieux et controuvés d’une classe qu’il estime. […] assembler des acteurs pour leur faire débiter, à tour de rôle, de prétendues méchancetés dont la plus espiègle traîne dans les antichambres depuis que les journaux ont pris ce chemin pour arriver au salon ; leur commander d’entrer, de sortir et de parler sans motifs ; ne lier leur présence à aucun objet, ne rendre leur absence utile à rien, ne pas tendre l’esprit de l’auditeur vers un but, ne l’occuper d’aucune situation triste ou gaie et enfin ne l’attacher aux intérêts de personne (en prenant un peu de bien de tout le monde) ce n’est pas avoir acquis le titre d’auteur dramatique. On ferait cent pièces de cette nature, avec les morceaux de cinquante pareilles, qu’on n’obtiendrait pas seulement la permission de stationner une heure sous le vestibule de l’Académie.

Il faut donc ne considérer le Folliculaire que comme une épître quelquefois badine, souvent grossière et de temps à autre écrite avec chaleur. Il s’y rencontre même des couplets, des vers d’assez bon goût et d’un naturel remarquable, ils offrent la vérité prise sur le fait. C’est dommage que leur effet soit aussitôt détruit par des hardiesses, des trivialités, des négligences […].

Les dernières lignes sont consacrées aux acteurs, dont la performance est en général dépréciée, mais plus pour les insuffisances de la pièce que pour des défauts de leur interprétation : par exemple, Damas apparaît « au-dessous de son talent » dans le rôle de Valcour, car il est trop honnête pour interpréter un tel personnage. Seul Firmin trouve quelque grâce aux yeux du critique, mais uniquement pour la scène où il défie le folliculaire, qui le rachète de la « nullité du petit Saint-Clair ».

Le Constitutionnel

Le Constitutionnel exprime un jugement plus nuancé que le Journal des théâtres ; dans le numéro du 8 juin 1820 le quotidien annonce que Le Folliculaire a obtenu un succès complet au Théâtre-Français et que, même si la pièce n’est pas irréprochable, son auteur a montré un véritable talent dramatique, particulièrement pour la qualité de ses vers « heureux et faciles ».

Un compte rendu de la comédie est publié dans le numéro du 12 juin par Évariste Dumoulin : tout en reconnaissant que Delaville a exagéré dans la description du folliculaire, et bien que le sujet lui semble trop mince, il apprécie le grand nombre de détails heureux, qui suffisent, d’après lui, pour donner du mérite à la pièce. Le style lui semble également remarquable, pour son élégance et ses traits spirituels, à tel point qu’il n’hésite pas à reconnaître dans Le Folliculaire « l’ouvrage d’un écrivain et d’un poète ». Contrairement à Charles Maurice, il a admiré aussi le jeu des acteurs, particulièrement pour Damas, Firmin, Mlle Leverd. Dumoulin évoque aussi les succès précédents de Delaville, Alexandre et Apelles et Artaxerce – dont il annonce la prochaine mise en scène à l’Odéon –, ainsi que la réception de Scipion Émilien (qu’il appelle Les Gracques) à la Comédie-Française, et termine son article par une appréciation, dans l’ensemble très obligeante, pour Delaville.

Nous donnons ci-après le texte complet du compte rendu.

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Le Journal des Débats

Dans la longue nécrologie publiée dans le Journal des Débats du 6 octobre 1845, Jules Janin considère encore le Folliculaire comme un « vrai titre de gloire », une comédie qui, bien qu’oubliée au moment où il écrit, suffirait seule à consacrer la mémoire de son auteur. Sa critique de la pièce – qu’il n’avait vraisemblablement connue que par la lecture – n’est d’ailleurs pas uniquement élogieuse : s’il reconnaît les qualités stylistiques et l’humour de Delaville, ainsi que son courage dans la représentation d’un journalisme corruptible, il laisse comprendre qu’il aurait préféré moins de noirceur et de perversité dans le portrait de Valcour :

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Pour citer ce document

Giovanna Bellati, « Annexe 2. La réception du Folliculaire », Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/textes-du-19e-siecle/anthologies/la-presse-en-scene/annexe-2-la-reception-du-folliculaire