Les journalistes : identités et modernités

Une avant garde populaire : le rire synthétique à la Belle Époque

Table des matières

JULIEN SCHUH

En feuilletant les périodiques de la Belle Époque, on est frappé par les audaces formelles de leurs illustrateurs, aussi bien dans les revues décadentes ou symbolistes que dans les journaux satiriques de grande diffusion. Des artistes antiacadémiques tels Félix Vallotton ou Toulouse-Lautrec publient leurs dessins dans des revues de jeunes (La Plume ou La Revue blanche) comme dans des périodiques grand public (Le Rire ou L’Assiette au beurre), et les illustrations des dessinateurs que l’on considère comme des caricaturistes n’ont souvent rien à envier aux toiles les plus expérimentales au point de vue de l’audace formelle et des remises en cause des conventions1. Les dessins de Roubille jouent aussi bien avec les perspectives japonisantes que ceux de Toulouse-Lautrec (ill. 1 et 2). Un artiste comme Jossot publie à la fois dans une revue d’estampe symboliste comme L’Ymagier de Gourmont et Jarry, dans une revue bibliophilique comme L’Estampe et l’Affiche, en couverture de La Plume ou dans des périodiques satiriques comme L’Assiette au beurre ou Le Rire (ill. 3-5). Les périodiques satiriques français affichent une forte dimension expérimentale, qui contraste avec les illustrations des revues allemandes ou anglaises, où se perpétue le style « réaliste » des gravures sur bois mis au point dans la presse internationale tout au long du XIXe siècle2 (ill. 6-7).

1. Roubille, « Les succès du concert », Le Rire, n° 247, 29 juillet 1899, p. 12. Coll. part.

2. Henri de Toulouse-Lautrec, Divan Japonais, affiche lithographiée, 62 x 82 cm, Imprimerie Edw-Ancourt, [1893]. Source : gallica.bnf.fr

3. Gustave Jossot, « Jezuz ma Doué », L'Ymagier, n° 3, 1895, n.p. Coll. part.

4. Gustave Jossot, « Devant un Bouguereau », La Plume, n° 162, 15 janvier 1896. Coll. part.

5. Gustave Jossot, « Circulez ! », L'Assiette au beurre, n° 150, 13 février 1904. Source : gallica.bnf.fr

6. Fliegende Blätter, n° 2667, 1896, p 102. Source : Universitätsbibliothek Heidelberg

7. Punch, or the London Charivari, 6 décembre 1890, p. 268. Source : Universitätsbibliothek Heidelberg

Comment expliquer ce phénomène ? Solange Vernois avait mis en lumière l’importance de la notion de synthèse pour expliquer la caricature fin de siècle, s’appuyant en particulier sur les théories de Robert de la Sizeranne, qui observe la naissance à la fin du XIXe siècle d’une « nouvelle période symboliste » de la caricature3 ; or, c’est précisément autour de la notion de synthèse que les avant-gardes unissent leurs efforts. Les critiques d’art de l’époque présentent souvent les expérimentations des caricaturistes comme des imitations de celles de la nouvelle peinture. André Mellerio, un critique d’art lié à Odilon Redon et l’un des cofondateurs de la revue L’Estampe et l’Affiche, retrace ainsi une généalogie du « mouvement idéaliste en peinture » qui part du synthétisme des œuvres de Puvis de Chavannes, Gauguin et du groupe de peintres de Pont-Aven pour s’épanouir chez les Nabis (Vuillard, Bonnard, Vallotton… qui constituent plus précisément le « groupe synthétiste ») et les peintres-caricaturistes (Toulouse-Lautrec et Ibels), avant de fleurir dans les dessins de presse de Forain, Willette, Chéret, Grasset, Hermann Paul, Andhré des Gachons, Georges de Feure, Marc Mouclier, autant d’« Artistes qui se rattachent indirectement au mouvement idéaliste4 ».

Les termes d’« idéalisme », de « synthétisme », de « déformation » désignent alors toutes les formes d’anti-académisme et d’expérimentation avec les codes dominants de la représentation. C’est en ce sens que l’on peut désigner ces recherches comme des formes d’avant-garde (un terme déjà courant à l’époque) : écrivains, humoristes, illustrateurs ou peintres, les créateurs réunis sous ces étiquettes se positionnent contre les traditions académiques ou médiatiques fondées sur une forme de réalisme des représentations, peinture officielle et naturalisme dans le domaine artistique, journalisme et gravure réaliste dans le domaine de la presse. Ces artistes, qui brouillent les frontières entre sérieux et dérision, entre culture élitiste et grand public, forment une sorte d’avant-garde médiatique et commerciale. Médiatique, parce que cette quête d’une simplification formelle naît dans les revues d’avant-garde5 et dans les périodiques et se met en scène dans la presse, mais aussi parce que ce sont les contraintes mêmes de la forme périodique qui donnent sens aux expérimentations fondées sur la synthèse ; commerciale, parce que, loin de se cantonner aux « petites revues », le synthétisme se diffuse à travers l’Europe dans des périodiques satiriques de grande diffusion ou dans des publications au statut hybride, qui forment de véritables entreprises collectives6.

La synthèse : entre sérieux et comique

Lorsqu’on parle de synthèse à la fin du XIXe siècle, on pense en premier lieu à la synthèse « sérieuse » des théories du Symbolisme littéraire et artistique : une sorte de simplification formelle, usant de l’abstraction, de l’ellipse, de la déformation pour produire des textes obscurs et des œuvres d’une naïveté savante. En littérature, Huysmans exalte dès 1884 dans À Rebours l’œuvre de Mallarmé, qui lui suggère un idéal de poème en prose synthétique7. À sa suite, une génération d’écrivains symbolistes et décadents élabore une esthétique fondée sur l’abstraction, qui doit s’incarner dans des textes réduits à l’essentiel. Mockel, Morice, Vanor, Saint-Pol-Roux, Aurier, Gourmont se réclament d’un idéalisme synthétiste. On expérimente les formes brèves, contes, actes uniques, fragments8 ; Alfred Jarry expose la quête d’une œuvre qui soit « simplicité condensée9 ». Les revues publient des séries d’aphorismes plus ou moins sérieux (de Louis Dumur à Paul Masson, alias Lemice-Terrieux). Le style synthétique a aussi ses détracteurs, tel Adolphe Retté, qui en résume les principes à travers l’exemple de Mallarmé, « l’homme du l’opuscule, du fragment, de l’essence, des linéaments extrêmes de l’émotion, du chuchotis mystérieux et bref. Il rêve d’un poème résumé en une strophe, d’une strophe condensée en un vers, d’un vers resserré en un mot10 ». Au théâtre, Lugné-Poe met au point au début des années 1890 à l’Œuvre un jeu dépouillé, dans un décor abstrait, susceptible de rendre justice sur scène à la simplicité évocatrice des pièces de Maeterlinck ou d’Ibsen. Collaborateurs des revues idéalistes, dramaturges et artistes s’associent pour la création de spectacles suggestifs : Maurice Denis, Vuillard, Bonnard brossent les décors des pièces selon une esthétique similaire.

Cette quête d’une simplification formelle, oscillant entre idéalisme et primitivisme, apparaît également chez les nouvelles générations d’artistes. Les peintres de l’école de Pont-Aven et les Nabis partagent selon Aurier les mêmes « dogmes fondamentaux, le symbole et la synthèse, c’est-à-dire l’expression des idées et la simplification esthétique des formes11 ». Paul Gauguin expose ses conceptions dès 1884 sous la forme de « Notes synthétiques12 ». Les adeptes de cette nouvelle esthétique présentent leurs œuvres en juin 1889, au café Volpini, lors d’une Exposition de Peintures du Groupe impressionniste et synthétiste13. Les Nabis (Bonnard, Vuillard, Vallotton…), initiés à cette esthétique par le Talisman de Sérusier peint sous la dictée de Gauguin, produisent à leur tour tableaux, estampes et illustrations synthétistes ; Octave Uzanne loue ainsi chez Vallotton une forme de « gravure primitive, si amusante, si gaie, si drôle dans sa simplicité14 ».

La constitution de cette esthétique synthétiste est particulièrement intéressante par son caractère médiatique : c’est en effet essentiellement au sein des revues artistiques et littéraires de cette époque que s’élaborent les fondements de la notion de synthèse, à travers les critiques littéraires et picturales et dans les polémiques suscitées par ce style. Le rôle central de la critique des « petites revues » est visible dans l’importance des comptes rendus de G.-A. Aurier, qui livrent des outils interprétatifs permettant de rapprocher les œuvres de Gauguin ou Van Gogh de celles des écrivains symbolistes, et entraînent de nombreuses collaborations dans les pages de ces périodiques. Le Mercure de France, La Revue blanche, L’Ermitage, La Plume, La Revue indépendante, les Essais d’Art libre, les Entretiens politiques et littéraires, L’Art littéraire deviennent à la fois des espaces d’expérimentations littéraires et graphiques et des tribunes de légitimation et de discussion de cette esthétique. Une revue comme La Plume fait partie d’un système complexe reliant une maison d’édition, des expositions, des ventes d’affiches, des galeries, des soirées littéraires ; on peut également la comparer à la revue de Paul Fort, Le Livre d’art (première série, 1892), organe du Théâtre d’art réunissant programmes, critiques, estampes synthétistes de Paul-Napoléon Roinard, Saint-Pol-Roux, Gourmont, Émile Bernard, Gauguin, Maurice Denis, Bonnard… Cependant, cette esthétique synthétiste est rapidement critiquée dans ces mêmes revues d’avant-garde : après sa mort en 1892, les théories d’Aurier sur le synthétisme pictural sont décriées dans les petites revues. 

La disparition presque complète des productions synthétistes des pages des périodiques d’avant-garde après 1894, à de rares exceptions près (dans La Revue blanche et, dans une moindre mesure, La Plume), contraste avec l’accueil enthousiaste des périodiques grands publics pour les dessins de Vallotton, les croquis de Toulouse-Lautrec et les chroniques de Jarry ou de Jules Renard, que l’on retrouve au sommaire de publications à fort tirage comme Le Rire, L’Assiette au beurre… Après la disparition en juillet 1894 du Chasseur de chevelures, supplément humoristique de La Revue blanche, on retrouve tous ses collaborateurs ou presque dans Le Rire, dont le premier numéro paraît le 10 novembre 189415. Le style synthétiste, dont les caractéristiques (déformation, simplification) le rapprochent de la caricature, trouve en effet refuge à partir de cette époque dans les périodiques de divertissement de grande diffusion (Le Rire se vante d’être tiré à plus d’une centaine de milliers d’exemplaires). Les premiers dessins de presse de Pablo Picasso, qui représentent des danseuses du Music-Hall, ont ainsi été publiés en 1901, sous la signature de Ruiz, dans Le Frou-Frou, un périodique dont le nom dit assez la légèreté teintée d’érotisme bon teint16, et une revue comme Cocorico, créée en 1898, mêle les dessins de Mucha, de Steinlen ou de Roubille pour illustrer la gaieté française de ses textes (ill. 8). Le style synthétiste s’invite surtout, par le biais d’échanges d’illustrations et de textes entre les périodiques français, allemands, anglais, dans les pages des revues européennes. Les dessinateurs français qui intéressent les périodiques étrangers sont les artistes les plus novateurs ; Vallotton, Delaw, Jossot sont souvent mis à contribution par des revues européennes comme Simplicissimus de Munich ou Jugend17 (ill. 9), dont les illustrateurs sont également influencés par les expérimentations du style français (ill. 10). Il faudrait de la même manière mesurer la diffusion du synthétisme en Angleterre, le style d’Aubrey Beardsley présentant des formes de simplification et de déformation très proches de celles des artistes français, qu’il a découverts à Paris en 1892.

8. Page de titre de Cocorico, n° 4, 15 février 1899, p. 25. Source : www.archive.org

9. Félix Vallotton, « Maispaziergang », Jugend, n° 20, 1896, p. 318. Source : Universitätsbibliothek Heidelberg

10. Bruno Paul, « Die Sünden der Väter », Simplicissimus, n° 48, 25 février 1897. Source : http://www.simplicissimus.info

Le style synthétiste aurait-il alors été inventé par les avant-gardes symbolistes avant de se populariser ? En réalité, les origines du synthétisme (comme celle du symbolisme) sont à chercher précisément du côté de la presse satirique et montmartroise. L’abstraction, la déformation, l’anti-académisme sont des valeurs « modernes » qui doivent moins à une réflexion idéaliste menée dans une tour d’ivoire qu’à la fréquentation quotidienne des nouvelles formes de médias et de techniques de reproduction de l’image et des textes de la Belle Époque par une génération de créateurs plongés dans une culture médiatique du divertissement18. La plupart des futurs fondateurs du Mercure de France, de La Plume, fréquentent les cafés du Quartier latin et les cabarets de Montmartre ; on retrouve leurs noms dans Lutèce, Le Décadent, Le Chat noir, au sommaire comme dans les comptes rendus de soirées de déclamations poétiques19. C’est autour du cabaret du Chat noir que le japonisme, cantonné jusqu’alors dans les cercles bourgeois et chez les peintres impressionnistes, s’invite dans les périodiques pour toucher un large public, à travers les expérimentations d’artistes comme George Auriol20, Henri Rivière21, Toulouse-Lautrec, influencés par les œuvres japonaises exposées dans la galerie de Bing à partir de 1885 et reproduites dans sa revue Le Japon artistique dès 188822. Les premières publications françaises de dessins de Beardsley dans la presse eurent lieu dans Le Courrier français à partir de 1894. C’est au sein de la petite presse montmartroise que l’esthétique synthétiste a trouvé les conditions de son développement.

Le creuset des périodiques

Les groupes d’artistes et d’écrivains en formation qui fréquentaient le Quartier Latin et la Butte Montmartre dans les années 1880 trouvèrent en effet dans les formes de sociabilité offertes par les cabarets et dans la publication de « petits journaux23 » mi-satiriques, mi-sérieux (Le Décadent, Le Scapin…), les outils pour s’organiser en une avant-garde à l’unité problématique. Il est en effet difficile de regrouper ces créateurs selon les formes traditionnelles des mouvements artistiques ou des cénacles d’artistes24 ; ils appartenaient souvent à des groupes hétérogènes sans programmes esthétiques cohérents. Mais leur participation à de nombreuses publications qui tissèrent rapidement des liens entre elles, adossées à des cabarets offrant à la fois des lieux de réunion et de diffusion de leurs productions, conduisit à la fin des années 1880 à l’apparition d’un espace médiatique autonome (financièrement et esthétiquement) qui permit le développement des « petites revues » symbolistes d’une part (le Mercure de France, La Plume…), de périodiques satiriques et de suppléments de journaux grand public de l’autre (Gil Blas illustré…)25.

Cette opposition correspond aux descriptions du champ littéraire selon Bourdieu : les nouvelles générations de producteurs culturels auraient eu à choisir entre la « grande production », orientée vers le grand public (la culture du cabaret) et la « production pure », destinée au marché restreint des littérateurs (les petites revues26) : mystification d’un côté, mysticisme de l’autre. Mais, comme on l’a vu, les collaborateurs des périodiques circulaient souvent entre titres élitistes et grand public, et la grande presse, contrairement à l’image qu’ils voulaient en donner, accueillait souvent leurs écrits ou rendait compte de leurs publications. Les écrivains et artistes symbolistes ont souvent tenté de voiler leurs liens avec le monde des cabarets et du divertissement, qui contrastaient un peu trop avec leur idéalisme et leur refus de toute marchandisation de l’art, considéré comme un espace autonome ; pourtant, Alfred Vallette, Rachilde, Aurier, Saint-Pol-Roux, Laurent Tailhade, tous cofondateurs ou piliers du Mercure de France, firent leurs premières armes dans cet univers.

Les formes d’expérimentations qui apparaissent aussi bien dans les petites revues et dans la presse satirique relèvent en effet de l’acceptation d’une modernité médiatique expérimentée à travers la culture des cabarets et de la petite presse de divertissement. Le mouvement symboliste en particulier, dont l’existence est avant tout médiatique, et dont les œuvres importent moins que la multitude de portraits (La Plume publie dans chacun de ses numéros le portrait de l’un de ses collaborateurs), de comptes rendus de soirées littéraires, d’expositions, d’exposés théoriques par le biais d’articles de critique littéraire, de programmes reproduits dans les colonnes des grands journaux (comme le fameux manifeste de Jean Moréas), emprunte ses armes à l’arsenal de la culture médiatique de la célébrité qui se développe alors, et crée de nouvelles formes de réclamisme27. La sociabilité montmartroise, fondée sur une mise en scène constante des identités et des lieux de son activité, forme le laboratoire de l’expérience médiatique des nouvelles générations : cafés, cabarets, personnes deviennent des objets médiatiques, qu’on cherche à diffuser le plus largement possible.

Les succès médiatiques de ces artistes doivent aussi être mis au compte de l’adéquation des caractéristiques de la culture des cabarets et des ateliers de l’époque avec celle des médias de divertissement : l’anti-académisme, l’ironie, l’humour, la déformation, les variations autour d’une culture commune… La culture potachique des ateliers d’artistes était d’une certaine manière un produit protomédiatique prêt à être diffusé à grande échelle par la presse.

Les entrepreneurs culturels de l'avant-garde

L’expérience médiatique des jeunes artistes des années 1880 a permis l’apparition d’un vivier de producteurs culturels, rompus aux techniques de l’autopromotion, dont les productions étaient adaptées aux « trois ressorts du fonctionnement médiatique : la nécessaire publicité, la dérivation ou la sérialité […] et la fictionnalisation28 ». Mais pour comprendre complètement la manière dont s’organise cette avant-garde médiatique, il faut examiner l’apparition de véritables « entrepreneurs culturels » aptes à diriger ces créateurs dans des entreprises collectives. Un certain nombre de personnalités se dégagent de ces jeunes créateurs ; véritables « hommes doubles » au sens de Christophe Charle29, ces « médiateurs » abandonnent souvent toute velléité de création personnelle pour choisir des rôles de direction selon des objectifs de rationalisation et de standardisation de la production culturelle, permettant l’existence d’un espace économique et culturel mêlant avant-gardisme et divertissement. Directeurs de cabarets, de périodiques, directeurs artistiques donnent sens aux recherches des avant-gardes.  

Dans le domaine des « petites revues », on voit apparaître des titres dont le fonctionnement très professionnel n’a plus grand-chose à voir avec les publications éphémères et peu diffusées que l’on désigne habituellement par ces termes. Le Mercure de France, dirigé par Alfred Vallette (qui abandonne ses ambitions d’écrivain pour se consacrer à la direction de la revue) ou La Plume de Léon Deschamps sont des sociétés à participation30 financées par un cercle d’actionnaires qui s’élargit rapidement des cofondateurs à une multitude de personnalités n’appartenant pas au monde de l’art (notables, banquiers…) :

La Société anonyme LA PLUME a été constituée le 14 janvier 1892, par statuts reçus chez Me Colleau, notaire à Paris, avec le but de donner à la revue toute l’extension nécessaire et de lui assurer l’existence, de publier une série de livres d’art, d’organiser des Expositions, etc. etc. Le capital, 40,000 fr., divisé en 400 actions de Cent francs chacune, a été souscrit aussitôt31.

Un périodique comme Le Rire doit également la qualité de ses illustrations et son caractère expérimental à un « homme double », Arsène Alexandre, que son fondateur Juven place aux fonctions de directeur artistique. Lié aux peintres néo-impressionnistes, défenseur de Gauguin, de Toulouse-Lautrec et des Nabis, auteur d’un volume consacré à L’Art du rire et la Caricature (1895), Alexandre est le véritable architecte du Rire, et c’est sa présence qui explique l’ambition du programme d’illustration de ce périodique.

La rationalisation de la gestion des périodiques influence même le domaine de l’écriture, avec la multiplication des formes d’écriture collective (assumées ou cachées) en dehors du domaine du théâtre, où l’industrialisation avait déjà mené à une « collectivisation » des moyens de production. La presse de l’époque salue par exemple l’émergence d’un nouveau groupe littéraire, les « auteurs gais32 », où l’on retrouve les mêmes noms (Alphonse Allais, Tristan Bernard, Willy, Jean de Tinan, Auriol, Jules Renard, Franc-Nohain, Pierre Veber, Georges Fourest…) que dans les sommaires des périodiques satiriques et des revues d’avant-garde – Willy, Tristan Bernard, Veber écrivent aussi bien dans le Mercure de France ou La Revue blanche que dans Le Rire ; Jules Renard fut l’un des cofondateurs du Mercure de France, et Jean de Tinan, cofondateur d’une luxueuse revue d’estampes et de textes symbolistes, Le Centaure (où Valéry prépublia « La Soirée avec Monsieur Teste »), se spécialise dans des romans de mœurs parisiennes d’une ironie charmante. Pierre Veber, avec la distance ironique de rigueur, reconnaît le caractère novateur et expérimental des productions de ces auteurs, parlant d’une « École humoristique », d’une « confrérie des auteurs gais » qui aura eu pour mérite d’avoir « contribué à modifier le langage »33.

En réalité cette confrérie est surtout une construction éditoriale : plusieurs éditeurs lancent des collections de littérature divertissante illustrée, comme la « Collection des auteurs gais » de Flammarion, la « Collection des humoristes » de Simonis Empis, ou la « Petite Collection » du Rire. Le fonctionnement de ces collections est mis en scène de manière ironique par l’écriture d’un roman-feuilleton collectif, X… Roman impromptu, prépublié dans Le Gil Blas34 et publié dans la collection des « auteurs gais » de Flammarion. Les auteurs expliquent le principe du roman dans l’avertissement du volume :

Au roman qui suit, quelques mots d’explication sont nécessaires. Il est temps de dire aux lecteurs ce qu’est l’X..., roman impromptu par les humoristes G. Auriol, Tristan Bernard, Courteline, Jules Renard et Pierre Veber.
Les humoristes ci-dessus (dont l’éloge n’est plus à faire, puisqu’ils s’en sont chargés à plusieurs reprises), ces humoristes pensèrent qu’il serait bon de relever le niveau littéraire des lecteurs de romans. Ils imaginèrent d’écrire en collaboration un roman dit impromptu sans plan préconçu, sans sujet arrêté. Le Gil Blas voulut bien accueillir cette tentative, qui n’a d’autre précédent que la Croix-de-Berny35.

Cette création collective, lancée par un journal, est pensée comme un coup médiatique, avec un parallèle ironique mais parlant entre la production romanesque médiatique et la production industrielle mécanisée :

Donc, résumons nos intentions : Nous avons voulu faire du roman-feuilleton une chose purement mécanique, simplifiant la besogne par la division. En même temps, la coopération au travail, ainsi qu’aux bénéfices, éminemment socialiste, est d’un exemple excellent pour nos confrères. Nous espérons que notre tentative aura contribué du moins à ranimer l’esprit de corps, qui tend à disparaître de plus en plus chez les littérateurs36.

Suivent les biographies illustrées des cinq auteurs. L’image de l’usine pour penser cette forme d’écriture n’est évidemment pas fortuite ; longtemps après les critiques contre la « littérature industrielle » de Sainte-Beuve, ces écrivains sont conscients des contraintes économiques de la production de la presse à fort tirage. Un des principaux « auteurs gais », Willy, de son vrai nom Henry Gauthier-Villars, est resté célèbre pour l’organisation de son « atelier » d’écriture. Collaborateur du Chat noir et de Lutèce, Willy devient célèbre en 1889 grâce au succès de ses chroniques musicales acerbes de L’Écho de Paris, les « Lettres de l’Ouvreuse ». Il commence alors à faire paraître sous son nom de plume des romans parisiens qu’il fait écrire par plusieurs collaborateurs : Une Passade en 1894 par Pierre Veber, Maîtresse d’Esthètes en 1897 et Un vilain Monsieur ! en 1898 par Jean de Tinan, et surtout la série des Claudine par Colette. Willy organise l’écriture de ses romans comme un journal, aux dires mêmes de Colette : « Je persiste à croire qu’un poste de rédacteur en chef lui eût, entre tous, convenu. Distribution du travail, juste estimation des capacités, une manière stimulante de critiquer, et l’habitude de juger sans trop récompenser, voilà, je pense, des dons rares, qui furent mal employés37 ». Il distribue à ses collaborateurs les canevas de ses livres, corrige leurs premiers jets, propose des développements, reprend la syntaxe et ajoute descriptions et jeux de mots qui forment sa signature stylistique38. Henry Gauthier-Villars considère « Willy » comme une marque, un collectif qu’il dirige comme le rédacteur en chef d’un périodique.   

Les Vallette, Deschamps, Alexandre, Uzanne, Willy apparaissent ainsi comme des entrepreneurs culturels : les nouvelles générations de créateurs qui fréquentent cafés et cabarets forment des réseaux non hiérarchisés et socialement marginalisés que ces « hommes doubles » peuvent diriger dans des entreprises collectives. On assiste à une sorte de prolétarisation des activités culturelles dans un processus d’industrialisation de l’avant-garde : cette création collective dirigée emprunte ses structures au journalisme.

À ces hommes doubles correspondent des « revues doubles », situées entre divertissement et sérieux et dont les collaborateurs principaux sont précisément ces auteurs gais et ces illustrateurs qui flottent entre grande presse, petites revues et périodiques satiriques. Le Moderniste illustré d’Aurier, dans lequel écrit fréquemment Gauguin, se place ainsi à la marge entre sérieux et divertissement, son format se rapprochant de celui du Gil Blas. L’Omnibus de Corinthe, créé en 1897 par le peintre Nabi Marc Mouclier et diffusé sous forme autographique, ou Le Canard sauvage, fondé en 1903 (ill. 11), accueillent les expérimentations graphiques et textuelles de Bonnard, Jarry, Renard, Vallotton, Jossot, Franc-Nohain, Sem, Kupka, Hermann-Paul, Cappiello… Les suppléments hebdomadaires illustrés des grands journaux, d’invention toute récente, forment également un espace accueillant pour les expérimentations esthétiques : celui de L’Écho de Paris est ainsi dirigé par Catulle Mendès (secondé par Marcel Schwob) et illustré par Ibels, dont les dessins ornaient également les affiches-programmes des théâtres d’à côté. Le Cri de Paris, une revue sœur de La Revue blanche destinée à un public plus large, affiche en couverture des dessins de Vallotton et fait la réclame pour les œuvres d’avant-garde.

11. Roubille, « Explorateurs », Le Canard sauvage, n° 24, 30 août 1905. Source : gallica.bnf.fr

Simplification et efficacité médiatique

Mais si ces expérimentations formelles peuvent donner lieu à de telles entreprises collectives, c’est parce qu’elles répondent aux contraintes de production et de diffusion des formes culturelles dans l’univers médiatique en plein développement de la Belle Époque. Les pratiques journalistiques s’affinent à mesure que le champ médiatique s’organise de plus en plus consciemment selon des principes de rationalisation et de rentabilité. Dans un souci d’efficacité sur les lecteurs, on valorise les formes simples et aisément reproductibles ; les formules qui fonctionnent font rapidement l’objet de réappropriations, et l’unité de base de cette culture est la coupure de presse, un objet découpable, décontextualisable et reproductible à volonté. Les artistes et les écrivains peuvent s’abonner à des services de collecte des articles les mentionnant, comme « Le Courrier de la Presse » qui fait sa réclame dans La Plume : « Lit et découpe tous les journaux français et étrangers, fournit des extraits sur n’importe quel sujet, tient les artistes au courant de ce qui s’imprime sur leur compte39 ». On assiste à l’émergence d’une rhétorique et d’une esthétique médiatiques fondées sur l’autonomie et la reproductibilité des textes et des images.

C’est dans ce contexte que le synthétisme devient un enjeu formel essentiel. On comprend mieux alors comment des artistes anti-industriels et méprisant les masses, comme Jarry, Gourmont ou Vallotton, ont pu connaître un succès médiatique fulgurant : les valeurs esthétiques qu’ils défendent, nées d’une réaction à la médiatisation croissante de la production artistique, sont paradoxalement parfaitement adaptées aux mécanismes de diffusion culturelle de la presse40. Les illustrations de Vallotton, défendues par Octave Uzanne comme des exemples de gravure primitive anti-industrielle41 (ill. 12), deviennent dans un périodique de grande diffusion comme Le Rire des outils de capture de l’attention du lecteur ; la simplicité et l’efficacité de son trait sont rapidement plagiées par d’autres artistes, et ses dessins, comme ceux d’un Delaw, sont fréquemment utilisés dans les affiches et les pages de réclame (ill. 13). On assiste à une convergence entre l’image synthétique populaire, la déformation satirique et le « fétiche de la marchandise », l’objet marchand abstrait, réduit à un objet d’échange qui doit provoquer le désir chez tous les lecteurs par son caractère suggestif.

12. Félix Vallotton, « Un enterrement en province », gravure sur bois reproduite dans Octave Uzanne, « La renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe : M. Félix Vallotton », L'art et l'idée, t. I, 1892, p. 113-119. Source : gallica.bnf.fr

13. Page de réclame, Le Rire, n° 66, 8 février 1896, p. 11. Coll. part.

Cette convergence apparaît également dans le domaine littéraire, où l’obscurité et l’ironie des Décadents et des Symbolistes, fondées sur une opposition à la lisibilité immédiate du texte journalistique, entrent en adéquation avec cette culture du choc et du fragment. L’éthos moderniste, fondé sur l’ironie et la distanciation42, n’est pas conflictuel avec une culture de masse. La recherche de l’efficacité communicationnelle valorise paradoxalement un encodage et un décodage complexes, le message étant réduit à sa plus simple expression afin d’augmenter sa reproductibilité, produisant une forme d’opacité (qui provoque aussi l’intérêt du mystère). Cette économie de la communication est mise en scène par Auriol dans un conte intitulé « Le petit nègre économique », dans lequel le narrateur engage un secrétaire noir dont le parler synthétique lui permet de résumer une longue lettre en quelques mots, ce qui lui permet d’envoyer des télégrammes à bas coût : « Je vous engage non comme secrétaire – mais comme traducteur ! Chaque fois qu’il me faudra transmettre une communication rapide à mes correspondants, – vous m’en ferez une translation en langage télégraphique, – car vous avez le génie du laconisme, petit nègre, le génie du laconisme43 ! ». On notera les liens entre le primitivisme exotique de la représentation des Noirs à cette époque et le génie de la synthèse. Une fois de plus, sous des airs ironiques, l’analyse des conditions de la production culturelle par ces « auteurs gais » est très fine.

Le caractère avant-gardiste des dessinateurs de la presse satirique et ses relations avec la modernité médiatique sont résumés en 1902 dans l’étude de l’évolution du style de la caricature par Robert de la Sizeranne dans Le Miroir de la vie. Il y analyse le rôle des contraintes médiatiques dans la simplification du style :

À mesure que la caricature s’introduit dans le journal quotidien, dont le papier est médiocre et le tirage rapide, elle se fait plus rudimentaire. Il se produit un phénomène tout contraire à celui qu’ont amené les progrès de la gravure sur bois ou sur cuivre ou sur pierre. Il se produit une raréfaction du trait. Nous revenons peu à peu à la silhouette toute nue des cratères antiques ou des papyrus égyptiens44.

Une fois de plus, synthétisme rime avec primitivisme, ce que confirme à la page suivante la comparaison de Caran d’Ache avec Hokusaï. Le synthétisme de « MM. Sem, Ibels, Nicholson, Cappiello » provoque un renouvellement des modèles sémiotiques, un retour au symbolisme qui démultiplie la potentialité de signification des formes :

Nous assistons à un assaut de synthèse et à une surenchère de simplification. Considérez les paraphes par lesquels Busch exprime les têtes de Frédéric et de Napoléon, ou M. Caran celle de Louis-Philippe, ou M. Cappiello celle d’une actrice contemporaine, et vous reconnaîtrez que ce sont là moins des formes que des signes, et des signes à peine plus sensibles que ceux par où le scribe égyptien exprimait le mot « bœuf », le mot « épervier », le mot « fantassin » ou le Dieu Sît45.

Robert de la Sizeranne expose également le caractère viral de ce style synthétiste, apte à la réappropriation, à l’imitation, à la reproduction :

Lorsque M. Caran d’Ache ou M. Sem ont trouvé le signe qui exprime la ressemblance de tel personnage, telle physionomie, telle passion, tel désir, on voit de toutes parts, l’armée des catagraphistes secondaires s’en emparer et multiplier ce signe sur leurs tablettes. C’est la rançon du talent et l’indice que le trait trouvé est définitif. S’il peut s’imiter comme l’écriture, c’est qu’il est simplifié et clair comme l’écriture même. Et ainsi, la caricature, en son évolution dernière, revient à l’hiéroglyphe, d’où elle est sortie46.

Ces nouveaux objets culturels aux formes simplifiées se diffusent aussi bien par leur reproduction autorisée que par le plagiat ou la contrefaçon (c’est d’ailleurs à la même époque que l’on voit se multiplier dans les périodiques les mentions « reproduction interdite » ou « tous droits réservés »). Ils permettent la diffusion d’une culture médiatique internationale ; « La Synthèse » désigne alors le processus central de cette culture de la réappropriation, comme le montre un dessin de Franz Stück du même titre, publié dans le Kladderadasch de Berlin et reproduit dans Le Rire du 4 janvier 1896 (ill. 14): un jeune garçon signe un dessin qui n’est pas de lui, et se justifie ainsi auprès de son maître : « Pardonnez-moi, monsieur le professeur, je ne faisais que m’exercer à la Synthèse47. »

14. Franz Stück, « La Synthèse », Le Rire, n° 61, 4 janvier 1896, p. 9.

Le succès des expérimentations formelles des nouvelles générations artistiques est ainsi à mettre au compte de la rencontre d’impératifs esthétiques (l’anti-académisme et l’anti-industrialisme des avant-gardes), sociaux (la volonté de singularisation des artistes en régime démocratique), communicationnels (l’abstraction et la reproductibilité comme outils de diffusion) et économiques (la culture de la réclame). C’est cette adéquation qui a permis la création d’un espace d’expérimentation dans la presse de grande diffusion : pendant quelques années, au tournant des XIXe et XXe siècles, les conditions ont été réunies pour une utilisation expérimentale des techniques de production de l’imprimé (imprimerie, estampe et photographie), créant un cadre économique (avant-garde et réclame), institutionnel (les réseaux scolaires et de formation artistique), social (cabarets, salons, cercles), médiatique (le modèle des revues), culturel (le cosmopolitisme) permettant l’apparition d’une tradition internationale échappant aux oppositions convenues entre avant-garde et production commerciale, arts libéraux et mécaniques, sérieux et comique, culture savante et populaire, idéalisme et mercantilisme et qui constitua une première avant-garde « pop ». À travers l’esthétique de la synthèse, une forme de divertissement dérangeant pour les lecteurs et les spectateurs est devenue possible ; l’ambiguïté, la non-compréhension, le désordre peuvent incarner les valeurs de la modernité esthétique mais aussi du divertissement de masse.

(Université de Reims)

Notes

1  Voir Julien Schuh, « Autour du Rire : généalogie et diffusion du synthétisme graphique dans l’espace médiatique fin de siècle », dans Evanghélia Stead et Hélène Védrine (dir.), L’Europe des revues II, à paraître en 2016. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01140204

2  Philippe Kaenel, Le Métier d'illustrateur, 1830-1880, Genève, Droz, 2005, p. 80.

3  Robert de la Sizeranne, Le Miroir de la vie. Essais sur l’évolution esthétique, t. 1, Paris, Hachette, 1902, p. 102 ; voir Solange Verrnois, « Caricature et modernité à la fin du XIXe siècle. Les trois synthèses », Ridiculosa (Brest), no 14, 2008, p. 91-106.

4  André Mellerio, Le Mouvement idéaliste en peinture, Paris, Floury, coll. Petite Bibliothèque d’Art Moderne, 1896, p. 62.

5  Voir Pierre Lachasse, « Revues littéraires d’avant-garde », dans Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des revues 1880-1914, Paris, Éditions de l’IMEC, coll. In Octavo, 2002, p. 119-143 ; Évanghélia Stead & Hélène Védrine (dir.), L’Europe des revues (1880-1920), estampes, photographies, illustrations, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2008 ; Yoan Vérilhac, « La petite revue », dans Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dirs.), La Civilisation du journal : Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde éditions, coll. Opus magnum, 2011, p. 359-376 ; Remy de Gourmont, Les Petites Revues. Essai de bibliographie, Édition de la revue biblio-iconographique, 1900 ; Peter Brooker et Andrew Thacker (dir.), The Oxford Critical and Cultural History of Modernist Magazines, vol. I-III, Oxford, Oxford University Press, 2009-2013; Bénédicte Didier, Petites Revues et Esprit Bohème à La Fin Du XIXe Siècle (1878-1889), Paris, L’Harmattan, 2009.

6  Les liens entre avant-garde et culture populaire au début du XXe siècle ont souvent été étudiés, mais la plupart du temps dans l’optique d’une hiérarchie entre les formes sérieuses et divertissantes. Voir Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low: Modern Art, Popular Culture, New York, Museum of Modern Art, H. N. Abrams, 1990 ; Jeffrey S. Weiss, The Popular Culture of Modern Art: Picasso, Duchamp, and Avant-Gardism, New Haven London, Yale University Press, 1994. Sur les liens entre la culture montmartroise et la modernité artistique, voir Alain Deligne, « Caricature(s) et modernité(s) : tentative de situation », Ridiculosa (Brest), no 14, 2008, p. 9-20; Phillip Dennis Cate et Mary Lewis Shaw (dir.), The spirit of Montmartre : Cabarets, Humor, and the Avant-garde, 1875-1905, New Brunswick, N.J, Jane Voorhees Zimmerli Art Museum Rutgers, the State University of New Jersey, 1996 ; Musée de Montmartre, L’Esprit de Montmartre et l’art moderne, 1875-1910, Paris, Somogy Musée de Montmartre-Jardins Renoir, 2014.

7  Joris-Karl Huysmans, À Rebours (1884), Paris, GF-Flammarion, 1978, p. 222.

8  Voir Jean de Palacio, Le Silence du texte. Poétique de la Décadence, Louvain/Paris/Dudley, Peeters, coll. La République des Lettres, 2003.

9  Alfred Jarry, « Linteau » des Minutes de sable mémorial, dans Œuvres complètes, t. I, Classiques Garnier, coll. Bibliothèque de la littérature française du XXe siècle, 2012, p. 43.

10  Adolphe Retté, « Le Décadent », La Plume, n169, 1er mai 1896, p. 272.

11  G.-Albert Aurier, « Les Symbolistes », La Revue encyclopédique, t. II, n° 32, 1892, p. 484.

12  Paul Gauguin, « Notes synthétiques », Carnet de Bretagne, Avant & Après, 2002, non paginé.

13  Voir Antoine Terrasse, « Gauguin et Pont-Aven. Les débuts héroïques », L’Aventure de Pont-Aven et Gauguin, Skira, 2003, p. 45.

14 Octave Uzanne, « La renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe : M. Félix Vallotton », L’Art et l’idée, t. I, 1892, p. 117-118.

15  Sur les relations entre les collaborateurs de La Revue blanche et du Rire, voir mon article « Autour du Rire : généalogie et diffusion du synthétisme graphique dans l’espace médiatique fin de siècle », dans Evanghélia Stead et Hélène Védrine (dir.), L’Europe des revues II, à paraître. On peut consulter de nombreux numéros du Rire sur le site de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (années 1894-1903, URL : http://collections.citebd.org/lerire/), de l’université d’Heidelberg (années 1895-1903 et 1907, URL : http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/rire) et sur Gallica (quelques numéros des années 1898-1904 et une grande partie des années 1904-1924, URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34432899t/date.r=.langFR).

16  Ruiz [Pablo Picasso], « Appât pour hommes », Le Frou-Frou, n° 46, 31 août 1901, p. 774 et « Beuglant et Chahut », Le Frou-Frou, n° 48, 14 Septembre 1901, p. 801. Voir Jeffrey S. Weiss, The Popular Culture of Modern Art, éd. cit., p. 6.

17  Voir Suzanne Gourdon, La Jugend de Georg Hirth : la Belle Époque munichoise entre Paris et Saint-Pétersbourg, Centre d’études germaniques, Strasbourg, coll. « Revue d’Europe Centrale », 1997, p. 75 ; Jean-Claude Gardes, « L’influence de la culture française sur les revues munichoises de la Belle Époque », Le Temps des médias, 24 février 2009, vol. 11, n° 2, p. 57-71.

18  Voir Phillip Dennis Cate, « L’Esprit de Montmartre et l’art moderne, 1875-1910 », dans Musée de Montmartre, L’esprit de Montmartre et l’art moderne, 1875-1910, Paris, Somogy Musée de Montmartre-Jardins Renoir, 2014, p. 23-40.

19  Voir mon article « Du cercle aux revues : genèse sociale de l’espace discursif de quelques périodiques fin-de-siècle. Le Cercle de la Butte et les petites revues décadentes et symbolistes », dans Alain Vaillant et Yoan Vérilhac (dir.), Sociabilités littéraires et petite presse du XIXe siècle, à paraître.

20  François Caradec, « George Auriol, un caractère de fantaisie », Caractère, n° 75, 22 décembre 1981 – 11 janvier 1982, p. 20-29.

21  Jocelyn Bouquillard et Philippe Le Stum, Henri Rivière : entre impressionnisme et japonisme, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2009.

22  Voir Louis Levy, « La caricature et l’avènement de la modernité suivi de Modernité et japonisme », Ridiculosa (Brest), no 14, 2008, p. 71-90 ; Gabriel P. Weisberg, Edwin Becker et Évelyne Possémé (dir.), Les origines de l'Art nouveau : la maison Bing, Amsterdam/Paris / Anvers, Van Gogh museum / Musée des arts décoratifs / Fonds Mercator, 2004.

23  Voir Véronique Silva Pereira, « “Les premières armes du symbolisme” : le rôle du “petit journal” dans la querelle symboliste de 1886 », COnTEXTES [En ligne], 11/2012, mis en ligne le 18 mai 2012. URL : http://contextes.revues.org/5318

24  Anthony Glinoer et Vincent Laisney, L’âge des cénacles : confraternités littéraires et artistiques au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2013.

25  Voir mon article « Du “petit journal” à la “petite revue”. Matérialité et communication dans la petite presse fin-de-siècle », dans Elina Absalyamova et Valérie Stiénon (dir.), Les Voix du lecteur dans la presse française du XIXe siècle, à paraître.

26  Voir Pierre Bourdieu, Les règles de l’art : Genèse et construction du champ littéraire (1992), Éditions du Seuil, coll. Points Essais, 1998, p. 204-205.

27  Voir Aaron Daniel Jaffe, Modernism and the Culture of Celebrity, Cambridge & New York, Cambridge University Press, 2005. Les analyses qu’il propose pour les avant-gardes du début du XXe siècle peuvent déjà s’appliquer à la génération précédente.

28  Marie-Ève Thérenty, « Thérésa Trimm : le mariage du café-concert et de la petite presse », dans Élisabeth Pillet et Marie-Ève Thérenty (dir.), Presse, chanson et culture orale au XIXe siècle : la parole vive au défi de l’ère médiatique, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012, p. 61.

29  Christophe Charle, « Le temps des hommes doubles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1992, vol. 39, no 1, p. 73-85 : « La fin du siècle, du moins en France, marque l'achèvement du système de production culturelle fondée sur la multiplication des intermédiaires écrans entre auteurs et publics. Tous les champs de production culturelle s'alignent sur ce modèle littéraire brièvement esquissé » (p. 79).

30  Voir Elisabeth Parinet, Une histoire de l’édition contemporaine. XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, coll. Points, 2004, p. 158 sqq.

31  La Plume, n° 112, 15 décembre 1893, p. 57 (pages de réclame).

32  Voir Henry Gauthier-Villars [Willy], « Humoristes récents », La Revue encyclopédique, t. VII, n° 215, 16 octobre 1897, p. 878-882 ; Paul Acker, « Humoristes », La Revue encyclopédique, t. IX, n° 289, 18 mars 1899, p. 205-208 ; Pierre Veber, « Humour et Humoristes », La Revue encyclopédique, t. X, n° 344, 1900, p. 261-264.

33  Pierre Veber, « Humour et Humoristes », La Revue encyclopédique, t. X, n° 344, 1900, p. 261.

34  Après une présentation du principe du roman le 11 mars, la prépublication dans Le Gil Blas débute le 4 avril et s’achève le 21 mai 1895.

35  « Avertissement », X… Roman impromptu, Paris, Flammarion, coll. Les Auteurs Gais, s.d. [1895], p. VII-VIII.

36  Idem, p. IX.

37  Colette, Mes Apprentissages, dans Œuvres complètes, Édition du Centenaire, Flammarion, 1973,  t. 11, p. 61.

38  Voir Éric Dussert et Éric Walbecq, « Willy & Cie, un atelier, une industrie », dans Colette, Paris, Éditions de L’Herne, 2011, p. 78-83.

39  Réclame en quatrième de couverture de La Plume, n° 21, 1er mars 1890.

40  Voir Emmanuel Pernoud, « Les beaux-arts à l’épreuve du kiosque », dans Kalifa Dominique, Régnier Philippe, Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain (dir.), La Civilisation du journal : Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde éditions, coll. Opus magnum, 2011, p. 1569-1586.

41  Octave Uzanne, « La renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe : M. Félix Vallotton », L'Art et l'idée, t. I, 1892, p. 113-119.

42  Voir Alain Vaillant, « Modernité, subjectivation littéraire et figure auctoriale », Romantisme, n148, 2010, p. 11-25 ; Daniel Grojnowski, Aux Commencements du rire moderne. L’esprit fumiste, Corti, 1997.

43  George Auriol, La Charrue avant les bœufs, Paris, Flammarion, coll. Les Auteurs Gais, s.d [1900], p. 5.

44  Robert de la Sizeranne, Le Miroir de la vie. Essais sur l’évolution esthétique, Paris, Hachette, 1902, t. 1, p. 115.

45  Idem, p. 116-117.

46  Id., p. 118.

47  Franz Stück, « La Synthèse », Le Rire, n° 61, 4 janvier 1896, p. 9.

Pour citer ce document

Julien Schuh, « Une avant garde populaire : le rire synthétique à la Belle Époque », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2017, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/une-avant-garde-populaire-le-rire-synthetique-la-belle-epoque