Les journalistes : identités et modernités

« Des noms érigés en titres », ou l’identité littéraire sur papier-journal

Table des matières

JEAN RIME

Autour de 1880, le paysage médiatique et littéraire français voit se multiplier les créations de journaux prenant pour titre le nom d’un écrivain connu : Le Voltaire en 1778, Le Molière l’année suivante, Le Beaumarchais en 1880, Le Musset et Le Victor Hugo en 1882 ; Le Zola en 1883 puis Le Balzac en 1884 ; Le Diderot en 1886 ; à nouveau un Victor Hugo en 1890, et l’on pourrait en citer des dizaines d’autres qui éclosent sur tout le territoire hexagonal ou au-delà. Dans les deux dernières décennies du siècle, Marie-Ange Fougère a par exemple recensé pas moins de dix-neuf Rabelais en France et en Belgique1. Cette mode s’étendra naturellement aux produits dérivés de ces périodiques – à l’instar de chromos pour Le Voltaire, voire de cartes postales pour Le Mistral (illustrations 1 et 2) – qui renforceront encore l’identification avec l’auteur concerné.

1. Le Voltaire, chromo associant une publicité pour une société particulière à la réclame du journal. Topique, la représentation du philosophe en vieillard cacochyme est assortie des attributs de la science, de la sagesse et de la tragédie.

2. Carte postale pour Le Mistral. La composition joue sur l’homonymie, dans la mesure où le titre du Mistral, fondé en 1891, ne renvoyait pas à l’écrivain mais au vent méridional (comme plusieurs autres Mistral journalistiques d’ailleurs). La représentation est néanmoins cohérente, puisque le numéro photographié – celui du 9 avril 1902 – commence par des « Notes de voyage chez Frédéric Mistral ».

Si ce procédé d’éponymie n’est pas neuf, puisqu’il existait par exemple un Montaigne dès 1836, et s’il va perdurer durant la première moitié du XXe siècle2, l’accumulation de journaux éponymiques au début de la IIIe République correspond à un seuil de positivité. Les contemporains prennent conscience d’un procédé perçu comme signifiant et de l’existence d’un phénomène spécifique. En atteste le fait que Le Musset est spontanément comparé au Voltaire et qu’il se positionne par rapport à lui pour justifier son identité médiatique :

Prétentieux notre titre ! Fi ! quel vilain nom. Tenez, prenons « le Voltaire » puisque vous nous en parliez dans votre lettre, croyez-vous, M. le Gourmet Parisien, que le style des brillants écrivains de cet estimable journal, ait la nervosité de celui du grand homme dont ils ont pris le nom pour drapeau3 ?

Certes, le critère quelque peu mécanique du titre induit un corpus hétérogène, à plusieurs niveaux. En premier lieu, les types de périodiques concernés sont très variés dans leur format, leur durée et leur propos : on y trouve des journaux littéraires ou politiques durablement institués, à l’image du Voltaire, des revues plus ou moins éphémères destinées à glorifier l’écrivain consacré, des canards satiriques et même des feuilles uniques dont l’existence en tant qu’organe autonome prête à discussion : c’est le cas du Diderot, attesté en concurrence avec d’autres en-têtes pour un même contenu4 – était-ce un essai ? – ou du Zola de 1883, parodie de journal publiée en quatrième page de La Bavarde. Deuxièmement, le statut des écrivains référencés change de cas en cas, du classique canonisé par l’institution littéraire ou panthéonisé par la jeune République au contemporain admiré ou haï, parfois même encore en vie dans les cas de Hugo et de Zola ; on notera néanmoins, sans surprise, une prédominance des écrivains censés être « en phase avec les valeurs bourgeoises du nouveau régime5 » : en un mot, Molière – tel qu’il est alors reçu – plutôt que Corneille et Racine, lesquels connotent davantage à cette époque un héroïsme aristocratique ou une élitaire perfection stylistique. Enfin, le réinvestissement d’une figure d’écrivain souffre des degrés divers de sophistication : parfois simple bannière publicitaire destinée à doter le journal d’une couleur littérarisante, nationaliste ou divertissante, le nom de l’auteur est également passible de déclinaisons autrement plus élaborées à l’intérieur du numéro. Il est du reste susceptible de renvoyer aussi bien aux œuvres qui lui sont associées qu’à une vie d’homme plus ou moins mythologisée.

Loin d’affaiblir la cohérence du corpus, l’ensemble de ces variables invite cependant à problématiser le geste qui relie cet ensemble de publications par ailleurs disparates : on se demandera d’abord quels sont, par-delà la singularité de chaque espèce, les pouvoirs attribués au nom de l’écrivain à l’orée des années 1880, ce carrefour où se croisent, de façon interdépendante6, une spécialisation du champ littéraire, une professionnalisation progressive du journalisme et la construction politique d’une mémoire nationale. Et l’on étudiera, en retour, en quoi cet éventail de journaux participe, dans leur mise en scène énonciative, d’un questionnement réflexif sur les possibles du médium. À travers ces deux axes, c’est bien un point de tangence entre la place du littéraire dans le discours social et l’imaginaire du journal qu’il s’agit de cerner.

Le journal éponymique, étendard d’un imaginaire de l’écrivain

Si le nom d’écrivain fournit, comme le pensait Foucault, « l’équivalent d’une description7 » – au point que Le Victor Hugo puisse s’exclamer : « quel admirable programme en ce titre seul8 ! » –, il apparaît néanmoins comme une référence particulièrement mobile, dépliable en fonction des biographèmes associés à l’auteur éponyme et capable de fédérer autour d’un même parrain des communautés de diverses natures, selon des réappropriations que William Marx décrit ainsi :

Un nom d’homme n’est qu’un signe, il n’est pas la personne même, il cristallise autour de lui un ensemble d’émotions, de représentations, de concepts, qui en disent peut-être moins long sur la personne, sur ce qu’elle fut, ce qu’elle pensa et ce qu’elle fit, que sur ceux qui utilisent et citent ce nom9.

À propos des nombreux Rabelais, par exemple, Marie-Ange Fougère relève qu’« il s’agit soit d’annoncer la veine comique qu’exploitera le journal, soit de brandir la caution intellectuelle que représente Rabelais, toute scandaleuse que soit encore sa réputation aux yeux du grand public, pour publier des histoires à la gauloiserie variable10 ». Témoin du dépeçage de Jean-Baptiste Poquelin, Émile Goudeau se plaindra même, au seuil du Molière, que le dramaturge soit trop souvent « coup[é] en morceaux comme une galette des Rois11 », chacun n’en gardant que l’image ou les œuvres qui lui conviennent. Et pourtant, renchérit Georges Berry, son aptitude à parler aux ouvriers, au peuple, aux docteurs, à « nos bonnes et honnêtes ménagères » ou encore aux fils de famille devrait en faire un symbole collectif de « patriotisme12 » : l’unité par-delà la diversité, en somme.

Nonobstant les interprétations particulières à chaque nom, le fait même d’en référer à un écrivain révèle la stature qu’a acquise, durant le XIXe siècle, cette figure dans le paysage social. Désormais, l’écrivain reconnu – du passé ou du présent – aurait en effet « deux corps », comme les rois d’Ancien Régime : l’un individuel, façonné par la valeur triomphante de l’originalité et suscitant la curiosité biographique ; l’autre collectif, incarnation ou quintessence d’un esprit national. « L’écrivain consacré, relève Anne-Marie Thiesse, est à la fois contemporain majeur et incarnation du génie national pérenne13. » Cette ambivalence entre actualité et tradition profite naturellement au réinvestissement dans une presse par nature vouée à l’éphémère, mais dont les objectifs idéaux et collectifs s’inscrivent dans la durée. De ce fait, conjuguant les apports sur le temps long de l’imaginaire littéraire et l’efficacité immédiate des journaux, les périodiques éponymiques maximalisent les bénéfices respectifs de ces deux vecteurs majeurs des identités communautaires et nationales14.  

Historiquement, le premier type d’adhésion à l’œuvre dans les journaux est d’ordre régionaliste. Le Montaigne. Revue du Périgord montre l’auteur des Essais entouré d’autres écrivains locaux (illustration 3) et cherche à « raconter les vieilles chroniques de notre chère patrie15 » face à l’attraction parisienne. Ce provincialisme, courant dans le culte voué aux classiques entre la Restauration et le Second Empire16, se prolongera à l’heure des commémorations nationales : les rédacteurs d’un Rabelais de 1884 « invit[ent] les littérateurs de la Touraine à rigoler avec [eux], à reprendre la bonne gaieté de [leurs] ancêtres, à vivre de la vie de [leur] grand Rabelais », même si alors cette Touraine qui ne réside « spécialement dans aucune localité17 » se veut plus un état d’esprit qu’un ancrage géographique. Les recherches d’Anne-Marie Thiesse ont d’ailleurs montré que la construction culturelle des identités nationales passait par une réappropriation collective des patrimoines locaux et des traditions régionales18. Plus tardivement, d’autres journaux procéderont à une récupération corporatiste du grand écrivain : Molière deviendra sans surprise le porte-voix des comédiens ou plus étonnamment celui des médecins – domaine où officiera également un Balzac, sous l’inspiration respective, mais très lointaine dans les deux cas, du Médecin malgré lui et du Médecin de campagne19.

3. Le Montaigne. Revue du Périgord (1836), couverture. (BnF / Gallica)

C’est toutefois le rapport ambigu du politique, du littéraire et du médiatique qui caractérise majoritairement la période qui nous intéresse plus particulièrement ici. Le climax des journaux éponymiques coïncide, on l’a souligné, avec « l’aurore inaugurale » d’un régime encore fragile dont la consolidation repose sur l’instauration d’un certain nombre de lieux de mémoire, et notamment sur le « culte, étatique et populaire, des grands hommes20 ». Si notre corpus participe indirectement à ce vaste mouvement commémoratif dont la presse s’institue un relais privilégié, il se raccroche parallèlement à des pratiques journalistiques plus anciennes. Le Voltaire, créé dans le sillage du centenaire controversé de la mort du patriarche de Ferney, dont on sait à quel point il a cristallisé les enjeux de la « Troisième République des lettres » naissante21, emblématise parfaitement ce croisement entre engagement idéologique contemporain (le quotidien est notamment destiné à « soutenir la politique de Gambetta22 ») et topique journalistique antérieure. Dans l’esprit de ses promoteurs, rapporte Émile Bergerat, « le dit organe, titre oblige, devait être quelque chose comme le Figaro de la République23 ».

Ces deux aspects, ligne politique et lignage médiatique, apparaissent clairement dans la justification du titre à double détente que publie Aurélien Scholl en tête du premier numéro24 : le choix de la figure tutélaire d’abord (« pourquoi Voltaire ? »), la transfusion éponymique ensuite (« Pourquoi Le Voltaire ? »). « Voltaire, affirme-t-il pour commencer, n’a pas cessé d’être l’homme du jour. C’est le grand chasseur de corbeaux, de hiboux et de chauves-souris ; et, plus que jamais, on a besoin de lui. » « Homme du jour », le philosophe l’est donc en tant qu’incarnation des Lumières et pourfendeur des obscurantismes nyctalopes, mais aussi comme épouvantail toujours actualisable : « l’homme du jour » n’est-il pas aussi le symbole d’une itérative quotidienneté ?

Le rédacteur souligne ensuite l’opération linguistique qui marque la translation du grand homme dans le petit journal : « le public a l’habitude de placer cet article [le] devant les noms érigés en titres. On a dit : la Minerve, le Mercure, le Figaro, le Rabelais, le Diogène. On dira donc le Voltaire. » Les titres égrainés par Scholl dessinent une généalogie de périodiques qui renseigne sur la posture du Voltaire : La Minerve et Le Mercure incarnaient, sous la Restauration, la résistance d’une presse libérale25, alors que Le Figaro a un statut plus ambivalent puisque son programme satirique d’origine, conforme au rôle du célèbre barbier, s’est rapidement assagi, en particulier après sa renaissance sous le Second Empire. C’est la raison pour laquelle Scholl prend ses distances en précisant, comme Bergerat rétrospectivement, que « Le Voltaire sera Le Figaro des républicains ». Cette façon de se relier au quotidien de Villemessant tout en s’en distinguant semble d’ailleurs bien opportuniste, lorsque l’on songe que Scholl avait lui-même, et pendant longtemps, collaboré au Figaro sous Napoléon III ! (On relèvera en passant qu’il participera dans la foulée au Molière, entérinant par une mobilité dans le champ de la petite presse la cohésion de notre corpus sur le plan prosopographique.)

Mais au-delà de ces clivages, Voltaire rejoint ainsi un ensemble composite de figures où se succèdent, dans un même creuset mythopoïétique, des divinités, des personnages de fiction et des écrivains ou penseurs. Quoique hétéroclite, cette lignée construit une « collection de frontispices dont l’emblématique est forte26 », un réseau de connotations où cohabitent des revendications en faveur de la liberté d’expression, de la lutte pour la vérité ou du comique qui ne recouvrent qu’en partie les valeurs de la République, peu encline notamment à l’autodérision ou à la gauloiserie. Accompagnant la construction identitaire mise en œuvre par le régime tout en la subvertissant par le rire ou en en pointant plus sérieusement les carences, la presse éponymique condense ainsi le rapport de forces dialectique entre champ politique et champ médiatique ou culturel afin de proposer un idéal alternatif de l’identité collective, plus proche du mélange modulable d’engagement et de légèreté propre à un supposé esprit français.

Plusieurs journaux, à rapprocher des « sociétés prenant nom d’écrivains » analysées par Pierre Boudrot, s’inscrivent dans une logique supplétive vis-à-vis de l’appareil républicain et visent à en dénoncer ou à en contrecarrer les lacunes, souvent décriées par contraste avec la promotion dont bénéficient Dante en Italie ou Shakespeare en Angleterre27. Cette comparaison à la défaveur de leur pays ressortit d’ailleurs à un complexe d’infériorité plus profond, puisque « les écrivains français nés au début du XIXe siècle ont souvent conçu la ‘nationalisation’ de la littérature […] comme la nécessité de combler un retard28 » – retard imputable peut-être justement à l’inertie d’une culture largement étatisée là où d’autres nations européennes misaient davantage sur un patriotisme artistique de type associatif29. Fondé en 1879, à l’occasion des deux cents ans de la Comédie française tout comme Le Moliériste, Le Molière d’Émile Goudeau entend ainsi laver l’injure du quasi-oubli du bicentenaire du décès du dramaturge en 1873. De même, Le Victor Hugo de 1890 déplore la coupable « indifférence publique » ayant suivi les funérailles nationales du grand homme. Le Balzac, enfin, s’indigne que la maison du romancier n’ait pas été acquise par les autorités30. À l’heure où se propage une statuomanie de plein air à laquelle ils contribuent d’ailleurs par leurs offres de souscription31, les journaux de ce type, relativement confidentiels, permettent de souder, en commémorant le souvenir d’un grand auteur, des groupuscules d’écrivains ou d’érudits soucieux de l’aura intellectuelle de la France ou plus prosaïquement – les deux n’étant d’ailleurs pas incompatibles – du rayonnement de leur propre coterie intellectuelle.

D’autres publications se focalisent moins sur la mémoire d’une personne que sur le message politique, social ou esthétique que son action véhicule. En 1882 un Victor Hugo sous-titré « Journal philanthropique » voit le jour, soutenu par nombre d’élus et destiné à s’inspirer de son « immortel parrain », « pionnier de l’humanité », pour lutter contre les injustices sociales32. Plus efficacement encore, Le Victor Huguenot de 1863 explicitait par le détournement du nom son engagement en faveur de la « Réforme littéraire » menée trente ans auparavant par le « Calvin de la littérature33 ». Typique de l’humour d’un « petit journal exclusivement littéraire » [sic] du Second Empire, ce portrait de Hugo en protestant correspondait néanmoins à son statut d’exilé et avait reçu un accueil bienveillant du principal intéressé, honoré « de donner [s]on nom à toute une légion jeune, inspirée et vaillante34 ».

D’aucuns, au contraire de la magnanimité satisfaite de Hugo, contestent la conformité du journal avec le modèle revendiqué. Attaqué sur le caractère supposément prétentieux de son titre, Le Musset, en se mesurant au Voltaire, est amené à défendre l’adéquation de son titre et réfute l’idée d’une contrefaçon stérile et imparfaite au profit d’une continuité d’esprit, plus éclectique mais soi-disant plus authentique, avec l’auteur révéré :

[…] Croyez-vous que leurs pensées [celles des auteurs du Voltaire] aient la limpidité et la puissance incisive de celles de ce vaste génie ?

Non, n’est-ce pas ? Seulement, ces écrivains, partageant les idées de ce révolutionnaire de l’art, ont fondé une tribune pour venir l’y défendre et continuer son œuvre. C’est notre cas. N’allez pas, maintenant, nous accuser de singer Musset […].

Et oui, pardieu ! nous admirons tout ce qui mérite de l’être, et saluons le beau partout où nous le rencontrons. Le beau est beau par lui-même et non parce qu’il sort de telle ou telle école. […] Nos vers et nos articles ne seront pas forgés sur l’enclume des autres, et, à cette heure où chacun ressemble à tout le monde, où l’originalité disparaît, nous serons nous35.

Cette tradition de journaux à la gloire d’écrivains devenus consensuels au fil du temps rend d’autant plus ironiques les deux Zola répertoriés, qui prennent l’exact contre-pied des Voltaire ou des Victor Hugo dans un contexte où le naturalisme polarise le champ littéraire et fait l’objet de multiples charges satiriques, en particulier dans la presse36. Le modèle imité, père de la patrie, devient le repoussoir singé dans des journaux qui eux-mêmes parodient les caractéristiques du journal. Comme l’a souligné Marie-Ève Thérenty, même la périodicité définitoire de la presse est inversée dans une « publication unique » qui non seulement dévoie le paradigme sériel de la grande presse, mais aussi, en l’occurrence, raille les ambitions des autres « noms érigés en titre » qui ne sont parfois guère plus durables. Le Zola, quatrième page de La Bavarde du 17 mars 1883, s’inscrit ainsi dans une série de semblables parodies, où il succède d’ailleurs à un Trottoir, feuille publique dirigé par « Nana » et administré par « La Fille Élisa » deux semaines plus tôt, et qui n’est pas sans rappeler d’autres « contre-journaux avant l’heure » comme Le Cambronne. Journal naturaliste dirigé par un certain E. Z’Hola publié dans La Nouvelle Lune du 4 avril 1880, ou deux journaux L’Assommoir (1878 et 1880-1881). En 1900, c’est un autre Zola. Journal officiel de la République nanaturaliste qui voit le jour et qui s’en prend à l’image de législateur attribuée à l’écrivain. Héritières de l’épanouissement du rire moderne, ces différentes déclinaisons où le contre-journal atteste à rebours l’assimilation d’une poétique journalistique invitent à nous interroger à présent sur la matérialisation de l’éponymie à l’intérieur des périodiques eux-mêmes.

L’écrivain éponyme : révélateur d’un imaginaire du journal

Si certains journaux convoquent la figure de l’écrivain uniquement « à titre de patron, ou d’alibi37 », d’autres en exploitent davantage la référence, qu’ils combinent avec les potentialités formelles de la matrice médiatique ou avec l’horizon d’attente de la presse, petite ou grande, à commencer par les genres journalistiques traditionnels. Par exemple, les rédactions de nos journaux rivalisent d’ingéniosité pour motiver la rubrique des actualités financières, a priori peu compatible avec le désintéressement crédité au grand écrivain. Le Beaumarchais rappelle à propos que son modèle ne fut « pas seulement un homme de plume, mais aussi un homme d’affaires38 » et un Voltaire plus tardif publie une biographie économique du « grand Arouet » en gageant que s’il revenait sur terre, « c’est à la Finance et à la Spéculation, déesses des temps modernes, qu’il consacrerait son talent », tant il leur aurait déjà, de son vivant, « consacré tous ses loisirs39 »… Le Molière, quant à lui, anticipe les attendus sur l’aridité de la chronique judiciaire :

Loin de m’inspirer du style somniférant des organes officiels du Palais, je tâcherai autant que possible de m’inspirer de Celui que nous avons pris pour modèle, et sans chercher à publier un compte rendu sténographique des plaidoiries ou des réquisitoires des procès civils ou criminels, sans m’égarer dans des dissertations sur le droit ou la procédure, mon seul but sera d’intéresser les lecteurs en essayant de saisir le côté gai et amusant des causes qui se plaideront… Eux seuls pourront dire si j’ai réussi40

Il est inutile d’insister sur l’intertextualité irriguant la plupart des journaux éponymiques, où abondent des procédés aussi divers que la citation, l’allusion, la comparaison, la pseudonymie, la sermocination, la dédicace à l’écrivain éponyme, etc. (illustrations 4 et 5) Si une connaissance approfondie de l’œuvre source n’est le plus souvent pas nécessaire, la voix de l’auteur choisi est néanmoins mise en scène dans des épigraphes programmatiques empruntées au bagage culturel commun – « le ris est le propre de l’homme » dans plusieurs journaux41 –, son image dans des vignettes – Rabelais remplaçant Gargantua sur les tours de Notre-Dame (Illustration 6) –, ou son nom parmi les rédacteurs : chaque numéro du Victor Huguenot commence par une « pensée de Victor Hugo » et l’auteur des Misérables contresigne même, sans que l’on sache si cette caution est réelle ou usurpée, l’éditorial du Victor Hugo de 188242. Il arrive parfois qu’un fragment authentique change de sens une fois décontextualisé, à l’instar d’une formule attribuée à Beaumarchais, « cela fut écrit », assertion redondante avec l’énonciation même du journal Le Beaumarchais (1843) et détournant une phrase interrogative extraite des Mémoires contre Goëzman, disant après la citation d’un bon mot : « Je ne sais si cela fut écrit43 ».

4 et 5. Le Victor Huguenot, 15 décembre 1863 et Le Victor Hugo, 23 décembre 1890 ; (BnF). Épigraphes paratextuelles, citations intertextuelles et éloges métatextuels voisinent dans Le Victor Hugo et Le Victor Huguenot, l’auteur référé étant à la fois l’objet du discours, son énonciateur (dans le cas de la « Pensée de Victor Hugo ») et, dans les dédicaces, son destinataire explicite.

6. Le Rabelaisien, 13 octobre 1887 (BnF). Posté sur les tours de Notre-Dame tel son géant dans un épisode fameux de Gargantua (ch. XVI), Rabelais brandit une feuille – préfiguration du journal ? – où la devise de l’épigraphe est reprise. Cette représentation de l’écrivain sur un édifice religieux, destinée à couvrir ironiquement le contenu scabreux du périodique, cumule une référence ponctuelle décodable par les lecteurs les plus cultivés aux connotations plus générales associées à son œuvre : le rire français ou un humour anticlérical dont le curé de Meudon est la cible toute trouvée.

On observe ainsi toute une gamme de procédés, de la simple citation de l’œuvre à l’intervention directe ou feinte de l’écrivain en personne, qui visent tous à incarner verbalement et visuellement la figure tutélaire du journal. Parmi ces jeux référentiels, l’antique prosopopée est particulièrement adaptée à la situation. Dans Le Molière du 11 mai 1879, Jules Claretie publie un « dialogue des morts » entre Molière et Balzac. Le second étant supposé avoir achevé l’« œuvre bien incomplète » du premier, il établit une homologie entre « comédie du théâtre » et « comédie du monde ». Molière interroge son successeur sur le devenir de ses personnages à travers les siècles et apprend notamment que Tartuffe s’est réincarné en Robert Macaire et M. Jourdain en Joseph Prudhomme, ce qui valide par ricochet l’actualité de la référence éponymique à travers le temps. À travers le portrait d’un autre avatar de Tartuffe, « ce monsieur, qui fonde un journal » aux opinions changeantes, le type du patron de presse est propulsé hypocrite moderne44

Le Beaumarchais de 1880 tire quant à lui parti de la forme épistolaire récurrente dans la presse en faisant paraître en tête de son premier numéro une lettre ouverte « À Monsieur le Directeur du Journal » écrite « d’outre-tombe » par « Caron de Beaumarchais ». L’écrivain, soucieux « de la nature des produits que [son destinataire] compt[e] offrir au public sous [s]on couvert », y refuse toute allégeance au régime en place, soumission qu’il critique dans la récupération dont « ce coquin de Figaro qui a renié son père, depuis le jour où il s’est incarné dans la peau de Basile45 » se serait rendu coupable. Il s’oppose également à une dégradation du comique français visible dans « une certaine presse qui dépasse les limites du badinage ». Sur ce point, la lettre procède à un habile collage de citations extraites de la préface du Mariage de Figaro. « Je sais bien qu’"à force de nous montrer délicats, fins connaisseurs, et d’affecter, comme j’ai dit autre part, l’hypocrisie de la décence auprès du relâchement des mœurs, nous devenons des êtres nuls […]" », commence-t-il en déplaçant implicitement, par le repérage déictique de l’énonciation du journal, le sens d’« autre part » déjà présent dans le texte source où il renvoyait à la Lettre modérée du Barbier de Séville46. Le rédacteur suggère ainsi une solution de continuité voire de récursivité énonciative entre les différentes œuvres de Beaumarchais et le journal. Après s’être défendu de toute accusation de bégueulerie, il en vient à réclamer un comique militant : « Armez-vous du fouet de la satire et du miroir de la vérité et jetez-vous résolument dans la mêlée ; c’est à cette condition seulement que je vous autorise à inscrire mon nom sur votre drapeau. Frappez ferme et rendez coups pour coups. "Combattre c’est vivre." », martèle-t-il en concluant sur une citation des Mémoires47.

Le Zola de 1883, évoqué plus haut, marque encore un pas supplémentaire dans cette tentative d’accorder l’imaginaire de l’écrivain éponyme et les structures du médium. Visuellement, la page de cette parodie ressemble à un vrai journal (illustration 7) ; d’ailleurs les charades et les annonces finales, qui n’ont rien de fictif, viennent clore à la fois Le Zola et le numéro de La Bavarde dont il occupe la dernière page. Mais tout ce qui précède vise à créer l’illusion : le slogan, « La République sera naturaliste ou ne sera pas », reprend une formule authentique et souvent décriée de Zola48, mais dont le ton est si péremptoire qu’une fois retournée contre son auteur, elle ne dépare pas dans un texte satirique. La rédaction se fait « à Médan, dans la soirée », l’administration à « La Villette »49, les articles sont signés Maupassant, Goncourt, Richepin, Hugo ou Zola lui-même. La fête d’anniversaire de ce dernier, totalement inventée puisque la parution ne coïncide pas du tout avec la date de sa naissance, fait d’ailleurs l’objet d’un compte rendu mordant dirigé contre les autocélébrations dont le milieu littéraire est coutumier. Ce ne sont bien sûr là que des pastiches, qui confineraient à la mystification si le subterfuge n’était pas révélé in fine, éthique journalistique oblige. Réinvestissant l’humour fin-de-siècle et jouant avec les codes du journal, notamment la rubricité et la collectivité, l’espace du Zola concilie satiriquement la sociabilité des soirées de Médan et la bataille naturaliste. Efficacement, le journal parodique est ainsi composé d’unités dont chacune relève du « parostiche littéraire journalistique » tel que l’a défini Paul Aron50.

7. Le Zola, dernière page de La Bavarde du 17 mars 1883. (BnF)

Le Zola de 1900 (illustration 8) repose en partie sur des procédés similaires : administré « Rue Nana », rédigé « Rue Lantier & au Grand-Comptoir » et daté « 30 Pommeterrial, An XVI du nanaturalisme » (même si un surtitre précise : « Un journal naturaliste en 1900 »), il n’est connu que par un seul numéro d’une page, le verso du document contenant des annonces. Toutefois, alors que son homonyme insistait sur le pastiche des auteurs naturalistes, celui-ci porte une charge plus personnalisée envers Zola. Il se présente en effet comme l’émanation directe et antidémocratique d’un dictateur égocentrique dont l’omniprésence détourne la collectivité du journal : « Rédacteur en chef LUI / Secrétaire LUI / Directeur toujours LUI ! ». Le numéro commence sur « Mes principes (Article 2453) » signés « Ego », se poursuit sur une « Partie officielle » contenant les décrets du président de la République nanaturaliste, parmi lesquels celui instituant « l’exécution d’une statue monumentale de ma personne qui sera élevée place Cambronne » (évidemment…) et s’achève sur les nouvelles théâtrales recensant les pièces du « MAÎTRE » à Paris. Mais à travers ce portrait peu flatteur de Zola et du courant littéraire qui le suit, le journal raille également, sous son humour un peu facile, les dérives possibles du régime républicain et des compromissions d’une presse servile.

8. Le Zola. Journal officiel de la République nanaturaliste, 1900. (BnF / Bibliothèque de l’Opéra)

Plus emblématique encore des acclimatations réciproques du journal et de la référence littéraire, Le Balzac de 1884 déploie dans l’espace du périodique une véritable Comédie humaine miniature (illustration 9). Les initiateurs de la revue, issus d’un « groupe d’admirateurs » (on n’en sait pas plus), peuvent tabler sur une connivence érudite avec les lecteurs, qui transparaît dès le prête-nom « les Treize » ponctuant l’article de tête. Désignant chez Balzac une société secrète assimilable dans le journal, non sans humour, à la chapelle de ses initiateurs, cette signature collective anticipe surtout le découpage du numéro en treize rubriques qui correspondent grosso modo à la composition standard d’un journal et dont chacune est prise en charge par le personnage idoine : au ministre Rastignac la chronique politique, au banquier Nucingen le « Bulletin financier », et ainsi de suite51.

9. Le Balzac, septembre 1884 ; (BnF). Le sommaire atteste que les rubriques habituelles d’un journal sont confiées à différents personnages de La Comédie humaine.

À l’intérieur de chaque article, les transgressions de la frontière entre fiction et réalité sont multiples : dans « Mon journal », Claire de Bourgogne évoque le souvenir de sa voisine Camille Maupin elle-même très liée à « sa meilleure amie, […] son sosie, pour ne pas dire davantage, la […] grande berrichonne George Sand », modèle avéré du personnage de Balzac. En rendant compte d’une affaire judiciaire contemporaine, l’avocat Théodose de Lapeyrade ne peut s’empêcher de la rapprocher d’un « dramatique récit fait par Vidocq devant Balzac et Gozlan » et Rastignac, de son côté, recommande la lecture de « La Chine et les Chinois par Honoré de Balzac » pour comprendre les bien réelles « assertions ampoulées du colonel Tcheng-Ki-Tong ». Ces métalepses, qui font de Balzac un référent placé sur le même niveau de réalité que ses personnages alors même que ceux-ci accèdent à la concrétude de l’écriture journalistique, met en abyme La Comédie humaine, non seulement theatrum mundi mais aussi plateforme médiatique.

Ouvrant un second niveau de spécularité, la « Chronique parisienne » de La Palférine est consacrée au boulevard à qui « La Comédie humaine doit assez » et qui « lui doit assez ». La rue est peuplée de personnages qui représentent autant de types sociaux :

C’est un Kaléidoscope où les images gaies succèdent sans interruption aux images tristes, un musée en plein vent où les Schinner alternent incessamment avec les Pierre Grassou, les Conti avec les Gambara, les Stidman avec les Steinbock – Ronquerolles et Marcas, Sérisy et Birotteau, Vandenesse et Franchessini, Montcornet et Philippe Brideau, Popinot et Corentin, Daniel d’Arthez et Lousteau, Mongenod et Gobseck, Madame Firmiani et la veuve Crochard, Madame Jules et Florine, Clémentine Laginska et Ida Gruget, tous se rencontrent, se reconnaissent, s’appellent, se saluent, se flattent ou s’insultent, se cherchent ou se fuient52

Or on sait combien les représentations du siècle, chez Baudelaire notamment, associent le journal à la rue grouillante, et l’on se rappellera également que l’auteur de la Monographie de la presse parisienne avait également signé une Histoire et physiologie des boulevards de Paris pour l’entreprise éditoriale du Diable à Paris.

Le Balzac révèle ainsi, au-delà de l’amusant exercice de style, une compréhension médiatique du projet balzacien plus profonde qu’on ne pourrait le croire de prime abord. Selon Marie-Ève Thérenty, cette « œuvre-mosaïque » actualisait poétiquement, avec sa répartition en Scènes de la vie parisienne, de province, politique ou encore militaire, les potentialités du rubricage journalistique53. La « revue mensuelle » des admirateurs de Balzac, en offrant cette double transposition ludique du journal et de la Comédie humaine, a peut-être inconsciemment mis au jour la structure matricielle de l’œuvre et optimisé le bénéfice qu’elle pouvait en tirer en termes d’identité médiatique.

***

Nous étions partis du « nom érigé en titre » comme cas particulier du culte républicain ou littéraire des grands hommes et nous voici arrivés vers un autre rivage, celui d’un vaste continent de journaux qui réinvestissent des univers fictionnels dans et pour l’espace médiatique. Le Beaumarchais et même Le Voltaire se mesurent au Figaro, on l’a vu ; Le Victor Hugo fait face aux Gavroche, les Rabelais aux Panurge et autres Pantagruel. Vecteur d’un capital à la fois symbolique et économique, le nom d’écrivain suscite, comme ces univers de fiction, de multiples réappropriations dans une petite presse elle-même protéiforme. Contraints à la fois par la réception des écrivains et par le moule médiatique, ces prolongements constituent, du plus simple au plus sophistiqué, de précieux documents sur l’une et sur l’autre.

Nonobstant leur audience parfois limitée et leurs objectifs spécifiques, tous ces journaux contribuent, en dernière analyse, à rendre visible l’imaginaire littéraire dans le discours social. Entre production cénaculaire d’une caste d’élite, édification d’une légende collective et expression d’une culture de masse, ils contribuent à ce « Literarisches im Alltag », cette littérature au quotidien dont Fritz Nies fait une particularité française, perceptible non seulement dans la multiplication des statues ou des commémorations officielles, mais visible bientôt sur les plaques de rue, sur les timbres et billets de banque, sur les devantures des bistrots ou sur les emballages de fromages, voire même de nos jours – histoire de porter ces étendards d’une identité culturelle comme une seconde peau – sur des vêtements « Balzac Paris », de la lingerie Rimbaud ou des tatouages tout aussi inspirés54...

Au fil du XXe siècle, les journaux éponymiques suivront les évolutions de ce merchandising de l’écrivain. Avec le temps, hormis le cas à part des revues d’associations érudites, le lien se fera plus ténu avec le référent du titre : le nom désignera non plus l’écrivain lui-même ou son œuvre, mais un lieu ou un établissement qui déjà en reprend le patronyme. Le périodique est cependant toujours l’occasion de remotiver ce patronage imposé par les circonstances géographiques ou institutionnelles. Ainsi du curieux Voltaire catholique, bulletin de la communauté chrétienne du lycée Voltaire de Paris, qui prétend se baptiser ainsi non pour « un paradoxe de goût douteux », ni « par bravade pour entamer une controverse d’histoire », ni encore pour adopter « un "titre commercial", une enseigne originale pour attirer les lecteurs », mais pour souligner « un fait » – le nombre des élèves revendiquant leur foi dans l’école – et « un symbole » plus général – l’échec affirmé d’un enseignement « déchristianis[é] » depuis le début du siècle55.

Le plus récent Actualités Balzac Chateaubriand (A B C), créé pour fédérer les employés d’un groupe immobilier, devait son titre au nom des rues parisiennes où il était implanté. Un déménagement impose-t-il de le changer en Balzac Actualités ? L’éditorialiste titre : « Tout est affaire de littérature » et déplore la perte de Chateaubriand « que nous garderons bien vivant dans nos mémoires, même si elles ne sont pas d’Outre-Tombe. Mais tout bien pensé, Balzac ne peut qu’être Honoré de ce déménagement56 ». Au-delà du calembour facile, telle est peut-être, en définitive, l’une des fonctions majeures du procédé éponymique : celle d’inscrire fugacement, sur le mode éphémère mais itératif du périodique, le « symptôme d’une survivance » imaginaire du patrimoine culturel et d’en manifester la portée identitaire, assumée ou refoulée, dans une tension productive entre « signe du passé » et « index du présent57 ».

(Université Paul-Valéry, Montpellier / RIRRA 21 et Université de Fribourg)

Annexe

La liste qui suit synthétise le corpus dépouillé dans le cadre de cet article, représentatif mais nullement exhaustif. Les indications reposent sur les descriptions fournies par le catalogue de la Bibliothèque nationale de France. Les journaux sont classés par ordre chronologique ; l’année indiquée est celle du début de publication, ou supposée telle, les collections étant souvent lacunaires. Puisque ces documents sont parfois d’un accès difficile et portent dans plusieurs cas des titres identiques, la référence bibliographique est complétée par la cote de la BnF.

1836 Le Montaigne. Revue du Périgord, Périgueux [Z-9504]

1843 Le Beaumarchais, Paris [F-17830]

1863 Le Victor Huguenot. Exclusivement littéraire, [Provence ?] [Z-2405]

1878 Le Molière, Paris [JOA-624]

1878 Le Voltaire, Paris [GR FOL-LC2-3915]

1879 Le Moliériste. Revue mensuelle, Paris Gallica [8-YF-89]

1880 Beaumarchais. Journal satirique, littéraire et financier, Paris [FOL-Z-111]

1882 Le Musset. Journal littéraire, artistique et scientifique, Paris [FOL-Z-593 (Musset)]

1882 Le Victor Hugo. Journal philanthropique, Lyon [JO-5394]

1883 Le Zola. Journal hebdomadaire [= La Bavarde], Médan [i.e. Paris] [JO-4161]

1884 Le Rabelais. Journal littéraire-humoristique, Tours [4-Z-907 (RABELAIS)]

1884 Le Balzac. Journal politique, littéraire & artistique, Paris [4-Z-1590]

1886 Le Diderot. Quotidien politique et littéraire, Paris [GR FOL-LC2-6199]

1887 Le Rabelaisien, Paris [JO A 324]

1890 Le Victor Hugo. Journal littéraire hebdomadaire, Paris [FOL-Z-593 (Victor Hugo)]

189… Lamartine-revue. Organe officiel de la Société Lamartine, Marseille [LN27-42974]

1892 Le Rabelais. Ancienne ‘Brise du soir’. Journal politique, littéraire et artistique, Montpellier [FOL-Z-540]

1897 Le Balzac. Journal littéraire et artistique [nouvelle série du Balzac de 1884], Paris [4-Z-1590]

1900 Le Zola. Journal officiel de la République nanaturaliste, [Paris ?] [PI-1363 (174)]

1902 Rab’lais de Paris, Paris [4-Z-907]

1907 Le Mussettiste. Organe de la Société littéraire les Mussettistes, Paris [8-Z-20813]

1924 Le Molière. Organe officiel des associations professionnelles des spectacles, Paris [JO-30880]

1928 Voltaire catholique (éphémèrement Voltaire Catho), Paris [JO 62553 et 4 JO 10645]

1932 Jean-Jacques. Hebdomadaire politique, littéraire, artistique et économique, Paris [JO-52064]

1933 Balzac. Bi-mensuel médical, artistique et littéraire, Paris [JO-20913]

1934 Le Voltaire. Hebdomadaire franc, libre, honnête, Paris [JO-77305]

1935 Molière. La Défense médicale. Organe mensuel littéraire, artistique et d’intérêts professionnels, Paris [GR FOL-JO-1466]

1972 Actualités Balzac Chateaubriand (puis Balzac Actualités), Paris [4 JO 27831]

Notes

1  Marie-Ange Fougère, Le Rire de Rabelais au XIXe siècle. Histoire d’un malentendu, Éditions universitaires de Dijon, 2009, p. 27-44 et p. 186-188. En tout, l’auteure a répertorié une quarantaine de journaux inspirés de Rabelais ou de son œuvre entre le XIXe siècle et la première moitié du XXe.

2  Signalons Le Zola (1900), Le Rab’lais de Paris (1903), Balzac (1933), Le Voltaire (1934), Le Molière (1935) etc. Plus le temps avance, moins le corpus est pertinent, dans la mesure où le procédé éponymique se spécialise progressivement soit dans les bulletins de sociétés érudites consacrées à tel auteur, soit dans les journaux liés à des lieux ou institutions eux-mêmes baptisés d’après les noms des écrivains (quartiers, écoles, etc.). On y reviendra en conclusion.

3  C. Florentin, « Lettre à un Parisien », Le Musset, 23 décembre 1882, p. 1.

4  Le Diderot. Quotidien politique et littéraire, 24 février 1886. Ce numéro unique est similaire, hormis le bandeau-titre, à d’autres spécimens catalogués sous la même cote : Le Socrate, La Politique française, Le Réverbère, Le Parti national, La Conscience, La Revendication, L’Étincelle (BnF, GR FOL-LC2-6199).

5  Pierre Boudrot, L’Écrivain éponyme. Clubs, sociétés et associations prenant nom d’écrivain en Occident depuis la Révolution française, Paris, Armand Colin, 2012, p. 186.

6  Cette mise en lumière d’une connexion dans ou malgré l’autonomisation simultanée des champs littéraire et médiatique, qui vient nuancer les théories bourdieusiennes en réajustant l’articulation entre discours et pratiques, constitue l’un des apports transversaux du congrès Médias19.

7  Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » [1969], dans Dits et Écrits, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, p. 824.

8  Émile Blémont, « Un souvenir », Le Victor Hugo. Journal littéraire hebdomadire, 23 décembre 1890, p. 2 : « Le Victor Hugo ! quel admirable programme en ce titre seul ! C’est tout le passé et tout l’avenir, l’irrésistible espérance et la pitié suprême. C’est la révélation des harmonies du monde ; c’est l’accord triomphal de la Raison et de la Foi, de la Justice et de l’Amour, dans la rythmique et rayonnante apothéose de la Beauté pure. »

9  William Marx, « De quoi Valéry est-il le nom ? », communication au colloque Paul Valéry : 70 ans après, (Paris, Fondation Singer-Polignac, 26-27 novembre 2015). Voir la captation de l’intervention : https://www.singer-polignac.org/fr/missions/lettres-et-arts/colloques/1270-paul-valery-70-ans-apres#pmarx.

10  Marie-Ange Fougère, op. cit., p. 44.

11  Émile Goudeau, « Molière à Paris. Le pavé de Paris », Le Molière, 9 février 1879, p. 1.

12  Georges Berry, « Molière », Le Molière, 9 février 1879, p. 1.

13  Anne-Marie Thiesse, « Communautés imaginées et littératures », Romantisme, 143, 2009/1, p. 66.

14  Voir ibid., p. 64.

15  « Aux souscripteurs du Montaigne », Le Montaigne, [septembre 1839],p. 193.

16  Pierre Boudrot, « Voltaire 1878. Commemoration and the Creation of Dissent », dans Joep Leerssen et Ann Rigney (dir.), Commemorating Writers in Nineteenth-Century Europe. Nation Building and Centenary Fever, Houndmills, Basingstoke / New York, Palgrave Macmillan, 2014, p. 160-163.

17  « Notre programme », Le Rabelais. Journal littéraire-humoristique, 7 décembre 1884, p. 2.

18  Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, Paris, Seuil, 1999.

19  Le Molière. Organe officiel des associations professionnelles des spectacles (apparu en 1924) ; Molière. La Défense médicale. Organe mensuel littéraire, artistique et d’intérêts professionnels (1935) ; Balzac. Bi-mensuel médical, artistique et littéraire (1933) – sur ce dernier périodique, voir en particulier Jacques Fourcade, « Le médecin de campagne » dans le numéro du 1er février 1935, p. 7.

20  Jean-Marie Goulemot et Éric Walter, « Les centenaires de Voltaire et de Rousseau. Les deux lampions des Lumières », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. I, Paris, Gallimard, 1984, p. 382-383.

21  La polémique s’inscrit notamment dans le contexte du débat sur le rapport de l’État à l’Église. Voir Pierre Boudrot, art. cit.

22  Pierre-Jean Dufief, « Aurélien Scholl : fantaisie et codes journalistiques », dans Jean-Louis Cabanès et Jean-Pierre Saïdah (dir.), La Fantaisie post-romantique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003,p. 160.

23  Émile Bergerat, Souvenirs d’un enfant de Paris, t. III, Paris, Fasquelle, 1912, p. 223.

24  Aurélien Scholl, « Notre journal », Le Voltaire, 5 juillet1878, p. 1.

25  Rappelons que La Minerve était l’ersatz du Mercure, victime de la censure en 1818.

26  Jean-Didier Wagneur, « Le journalisme au microscope. Digressions bibliographiques », Études françaises, no 44/3, 2008, p. 26.

27  Le Molière, 9 février 1879, p. 1 ; Le Victor Hugo. Journal littéraire hebdomadaire, 23 décembre 1890, p. 1.

28  Anne-Marie Thiesse, art. cit., p. 63.

29  Ibid., p. 67.

30  Respectivement : Georges Barry, art. cit. ; Camille Guesnier, « Victor Hugo », Le Victor Hugo. Journal littéraire hebdomadaire, 23 décembre 1890,p. 1 ; Constant Lagnier, « L’Âme de Balzac », Le Balzac. Journal littéraire et artistique, novembre 1900, p. 1-3.

31  Voir Fritz Nies, « La nécromancie littéraire de Marianne, vue d’Outre-Rhin », Revue d’histoire littéraire de la France, 105, 2005/2, p. 329-342.

32  « Programme », Le Victor Hugo. Journal philanthropique, 19 février 1882, p. 1.

33  « Aux lecteurs, si lecteurs il y a », Le Victor Huguenot, 15 décembre 1863.

34  Lettre aux rédacteurs du Victor Huguenot, 24 janvier 1864, dans Actes et Paroles, t. II, Paris, Albin Michel / Imprimerie nationale, 1938, p. 422. Voir lettre à Vacquerie, 19 avril 1864, dans Correspondance, t. IV, Paris, Albin Michel / Imprimerie nationale, 1952, p. 338.

35  C. Florentin, art. cit., suite du texte cité à la note 4.

36  Voir les travaux de Catherine Dousteyssier-Khoze, Zola et la littérature naturaliste en parodies, Paris, Eurédit, 2004 ; Zola. Réceptions comiques. Le naturalisme parodié par ses contemporains, anthologie établie avec Daniel Compère, Paris, Eurédit, 2008.

37  Marie-Ange Fougère, op. cit., p. 44.

38  [Beaumarchais], « À Monsieur le Directeur du Journal ‘Beaumarchais’ », Beaumarchais, 9 octobre 1880, p. 1.

39  « ‘Le Voltaire’ financier », Le Voltaire, 6 octobre 1934, p. 1.

40  Gaston de Valicourt, « Molière au palais », Molière, 9 mars 1879, p. 3.

41  La célèbre phrase du prologue de Gargantua est souvent mobilisée, entière ou tronquée : on la trouve en exergue du Rabelais. Journal littéraire-humoristique de 1884 puis du Rabelaisien d’Émile Blain deux ans plus tard. Elle innerve également les discours inauguraux d’un autre Rabelaisien (1890), nantais celui-là, qui ambitionne « la réhabilitation du vrai rire », français s’entend, face au « spleen, cette maladie morale d’outre-Manche » (cité dans Marie-Ange Fougère, op. cit., p. 41), ainsi que d’un Rabelais de Montpellier (1892) où elle est citée explicitement dans l’article de tête puis phagocytée dans une pièce versifiée.

42  « J’approuve et je suis des vôtres, Victor Hugo », lit-on après le manifeste programmatique du journal (Le Victor Hugo. Journal philanthropique, 19 février 1882, p. 1).

43  Beaumarchais, Mémoires contre Goëzman, dans Œuvres, éd. Pierre et Jacqueline Larthomas, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 758 (nous soulignons).

44  Jules Claretie, « Dialogue des morts », Le Molière, 11 mai 1879, p. 1-2.

45  [Beaumarchais], art. cit., L’auteur de la lettre dénonce ici les compromissions du journal Le Figaro sous le Second Empire, mais cela vaudrait également pour la monarchie de Juillet (Basile signifiant étymologiquement « le roi »).

46  Voir Le Mariage de Figaro, dans Œuvres, éd. cit., p. 353, renvoyant au Barbier de Séville, p. 278.

47  Beaumarchais, Réponse au Mémoire signifié du comte A.-J- Falcoz de La Blache, dans Œuvres complètes, Paris, Ledentu, 1837, p. 392.

48  Publiée dans l’article « La République et la littérature », La Revue bleue, 25 avril 1879.

49  Le décor des abattoirs avait déjà été utilisé par les parodistes de Zola. Voir Daniel Compère, « Nana et compagnie », dans Catherine Dousteyssier-Khoze et Edward Welch (dir.), Naturalisme et excès visuels : pantomime, parodie, image, fête. Mélanges en l’honneur de David Baguley, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2009, p. 63.

50  Paul Aron, « Formes et fonctions du parostiche dans la presse française du XIXe siècle », dans Catherine Dousteyssier-Khoze et Floriane Place-Verghnes (dir.), Poétiques de la parodie et du pastiche de 1850 à nos jours, Berne, Peter Lang, 2006, p. 265.

51  Seule exception : Victor d’Auriac, écrivain réel dont Le Balzac reprend le sonnet « Patricienne ». On note par ailleurs que plusieurs personnages convoqués exercent chez Balzac une activité de journaliste, comme Émile Blondet ou Raoul Nathan.

52  « Chronique parisienne », Le Balzac, 1er septembre 1884, p. 2.

53  Marie-Ève Thérenty, Mosaïques. Être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Paris, Champion, 2003, p. 587-597 ;« Honoré de Balzac (1799-1850), dans Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal, Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 1123.

54  Fritz Nies, « Literatur als Lebensmittel. Literarisches im Alltag », dans Ingo Kolboom et Hans Joachim Neyer (dir.), Frankreich. Menschen, Landschaften, Berlin, Elefanten Press, 1988, p. 64-69. Voir aussi les actes du colloque « Objets insignes, objets infâmes de la littérature » (Paris, 19-20 novembre 2015), dirigés par Marie-Ève Thérenty et Adeline Wrona (à paraître).

55  Abbé André Leclerc, « Voltaire catholique….. », Voltaire catholique, janvier 1928, p. 1.

56  Catherine Bourgeois, « Tout est affaire de littérature », Balzac Actualités, mars 1978, p. 1.

57  Nous reprenons ici, en en déplaçant quelque peu le sens initial, les formules de Georges Didi-Huberman dans Ninfa fluida, Paris, Gallimard, 2015, p. 50-52.

Pour citer ce document

Jean Rime, « « Des noms érigés en titres », ou l’identité littéraire sur papier-journal », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/des-noms-eriges-en-titres-ou-lidentite-litteraire-sur-papier-journal