Les journalistes : identités et modernités

Être correspondant de la presse brésilienne en Europe : anatomie sociale et circulations d’un nouvel acteur du paysage médiatique dans l’espace atlantique (1875-1900)

Table des matières

SÉBASTIEN ROZEAUX

Depuis la parution au Brésil de la synthèse de Nelson Werneck Sodré, l’História da imprensa no Brasil (1966), de nombreux travaux ont permis de renouveler l’histoire de cette presse au XIXe siècle1. Qu’il s’agisse de monographies ou d’ouvrages plus généraux, l’étude de la presse du Brésil à l’époque impériale est un versant particulièrement fécond de l’historiographie brésilienne2. En particulier, la récente attention portée à la dimension connectée de cette presse a permis de mettre en évidence le dialogue existant entre l’espace médiatique français, portugais ou anglais et brésilien. Cet article se veut une contribution nouvelle à cette voie féconde de l’historiographie, afin d’approfondir la dimension atlantique de l’histoire de la presse. À partir d’un échantillon volontairement limité aux principaux journaux quotidiens publiés à Rio de Janeiro à la fin du XIXe siècle, il s’agira ici d’étudier la constitution d’un réseau international de correspondants de presse en Europe – à une époque où ce continent reste encore le principal horizon vers lequel les élites sociales et culturelles brésiliennes se tournent. Le choix de la presse quotidienne carioca se justifie ici eu égard au rôle précurseur de la Gazeta de Notícias, ce journal voué depuis sa fondation en 1875 à révolutionner le paysage médiatique comme ont pu le faire, mutatis mutandis, en leur temps, La Presse (1836) d’Émile de Girardin puis Le Petit journal (1863) en France3. La recension des correspondants à l’étranger de la Gazeta de Notícias et de quelques autres titres de la presse quotidienne carioca a été rendue possible par la mobilisation des ressources numériques de la Bibliothèque nationale de Rio de Janeiro4.

Dès ses débuts, la presse brésilienne consacre une part importante de ses pages à reproduire les informations venues de l’étranger. Tout au long du siècle, le flux des nouvelles est conditionné par l’arrivée des bateaux à voile puis à vapeur dans le port de Rio de Janeiro. Celle-ci est toujours annonciatrice de la livraison de nouvelles fraiches d’Europe et/ou du reste de l’Amérique, lesquelles sont reproduites dans les journaux dès le lendemain. Ce scénario ne connaît guère d’évolution majeure au XIXe siècle, à l’exception notable des dépêches et télégrammes qui empruntent le réseau électrique dont la toile s’étend progressivement au sein de l’espace atlantique. Toutefois, parce qu’elles sont chères, ces brèves n’ont jamais occupé une place prépondérante dans l’économie interne du journal. Le journal quotidien offre donc la primeur de ses pages aux revues de la presse étrangère et nationale, aux correspondances au long cours, aux chroniques et aux feuilletons dont une part significative est produite depuis l’étranger dans les dernières décennies du XIXe siècle.

Ces correspondances de l’étranger, récurrentes depuis le mitan du siècle à tout le moins, ont longtemps été anonymes. L’information primait, le nom du compilateur, responsable de la sélection, de l’ordonnancement et de la rédaction de ces correspondances, n’intéressait pas le lecteur. Et il faut attendre les dernières décennies du XIXe siècle pour voir émerger dans le paysage médiatique brésilien la figure publique du « correspondant de presse » qui, depuis l’Europe, est en charge d’alimenter les principaux quotidiens de Rio de Janeiro comme le Jornal do Commercio (1827) ou la Gazeta de Notícias en nouvelles fraîches et chroniques circonstanciées sur les actualités du Vieux Continent. Ces correspondants d’un genre nouveau, dont l’apparition est contemporaine de l’essor remarquable et d’une ampleur inédite de la presse quotidienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, sont pour la plupart des hommes de lettres de nationalité brésilienne ou portugaise. Cette publicité inédite donnée à la personne du correspondant contribue à diversifier les tâches qui lui incombent, puisqu’il doit rédiger désormais des textes de factures différentes, écrits sur commande depuis l’étranger, et publiés dans un même journal, dans des rubriques ad hoc.

À travers l’analyse des modalités de recrutement, des trajectoires socio-professionnelles et des circulations dans l’espace atlantique de ces correspondants, il s’agira ici de proposer des réflexions nouvelles à partir du portrait croisé de ces « agents doubles5 » qui, tour à tour hommes de lettres, journalistes, diplomates et personnalités engagées dans le jeu politique national (au Brésil ou ailleurs), ont eu rang, selon des modalités différentes et pour une durée variable, de correspondants, et qui ont ainsi contribué à échafauder cet espace médiatique international marqué par l’intensification de la circulation des savoirs et des informations dans l’espace atlantique. J’insisterai en particulier sur les multiples médiations qui mènent à exercer le « métier » de correspondant de la presse brésilienne à Londres, Lisbonne, Berlin, Rome ou Paris, parmi lesquelles figurent le voyage de formation, la mission diplomatique ou encore le démarchage par les patrons de presse de « célébrités littéraires », en particulier au Portugal. Compte tenu de la dimension transnationale de ces analyses, il me faudra inscrire ce portrait de groupe dans les contextes respectifs de la presse et du journalisme tant au Brésil qu’en Europe, et tenir compte des décalages existant entre des paysages médiatiques dont la démocratisation en cours répond à des chronologies spécifiques6. Avant d’aborder par le menu l’étude socio-historique des correspondants de la presse quotidienne brésilienne à l’étranger et de leurs circulations, cet article s’ouvre d’abord sur quelques considérations plus générales afin de dresser un rapide tableau de cette presse et des évolutions majeures qu’elle connaît au cours des trois dernières décennies du XIXe siècle.

La presse quotidienne carioca à la fin du XIXe siècle : la naissance de la presse populaire.

L’histoire de la presse au Brésil est indissociable de l’arrivée de la cour des Bragance en 1808, fuyant Lisbonne assiégée par les troupes napoléoniennes. L’interdit qui pesait jusqu’alors sur l’édition de la presse et du livre est en partie levé, et le libéralisme en vogue aux Cortes de Lisbonne permet de mettre en place un régime libéral de la presse propice à la multiplication des titres dès les années 18207, lorsqu’émerge une première sphère publique politique à Rio de Janeiro, ville capitale de l’Empire du Brésil dont l’indépendance est proclamée en 18228. Dans une société esclavagiste, rurale et très largement analphabète, et dans un contexte politique trouble jusqu’aux années 1840, la naissance de la presse est d’abord marquée par la succession de titres à la durée de vie limitée et au lectorat très restreint. Rares sont les exemples de journaux et revues qui réussissent à s’imposer dans le paysage médiatique tout au long du siècle. Dans la presse littéraire, seule la revue de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (1839), parce qu’elle vit de subsides publics, traverse le siècle sans encombres9. Dans la presse quotidienne, seul le Jornal do Commercio, fondé en 1827 par le Français Pierre Plancher, s’impose sur la longue durée comme un journal de référence à Rio de Janeiro. Toutefois, ce paysage précaire et tourmenté qu’offre longtemps la presse quotidienne carioca connaît une inflexion remarquable dans les années 1870, à la faveur de la fondation d’un nouvel organe de presse, la Gazeta de noticias10, à l’initiative de José Ferreira de Sousa Araújo, fondateur et directeur de rédaction, lequel promeut un nouveau modèle directement inspiré de la presse populaire à bas coût qui se développe alors en Europe occidentale depuis quelques décennies déjà, en France comme en Angleterre, et aux États-Unis11 (voir illustration 1). Ferreira de Araújo décrit en 1889 par ces mots l’irruption de son journal dans le paysage médiatique :

La Gazeta de Noticias, parvenue à sa quatorzième année, fut le premier journal neutre12 qui parut pour faire le contraire de ce que faisait le Jornal do Commercio. Son attitude systématique, c'est l’opposition à tous les gouvernements. Très démocratique d’allures, elle a pris le contre-pied du Jornal. Tout d'abord, elle se mit à la portée des bourses les plus modestes et ouvrit ses colonnes à toutes les plaintes et à toutes les réclamations du peuple13.

Il s’agissait donc bien de proposer une alternative au journal conservateur encore dominant dans la capitale impériale, lorsque paraît le premier numéro de la Gazeta de Notícias, le 2 août 1875. Sur quatre pages, ce journal offre à lire de nombreuses dépêches, des brèves, une revue des nouvelles publiées dans les journaux de la capitale et d’ailleurs, un feuilleton de la vie carioca et un roman-feuilleton de Gustave Aymard, dans sa traduction portugaise. Le tout pour un prix très bas, 40 réis le numéro, quand la plupart des quotidiens étaient alors vendus 100 réis le numéro14. Ce faisant, Ferreira de Araújo fonde un nouveau modèle économique dont la survie repose d’abord sur une hausse remarquable du tirage et des ventes, et de manière plus traditionnelle sur les revenus tirés des « insertions à la demande » et des annonces, parmi lesquelles la mise en vente d’esclaves occupe encore une place de choix, comme dans tous les journaux brésiliens de l’Empire15. Outre la réputation de ses rédacteurs, la Gazeta de Notícias espère augmenter son lectorat en proposant des formules d’abonnements avantageuses et économiques16. Ce quotidien est aussi le premier à être vendu au numéro, ce qui suppose la mise en place d’un réseau de distribution inédit à Rio de Janeiro : « La Gazeta de Notícias est distribuée dans toute la ville, en vente au numéro dans les principaux kiosques, aux arrêts de tramway, de barques et dans toutes les stations de la ligne de chemin de fer de D. Pedro II. » Tel est toujours le cas en 1889, selon les dires de Ferreira de Araújo, à la différence près que l’ensemble de la presse carioca s’est depuis adaptée à ce nouveau modèle de distribution : « Les journaux sont vendus sur la voie publique par des enfants, italiens pour la plupart, qui annoncent à haute voix le titre du journal et les principaux articles du jour. On les vend également dans les kiosques, dans les épiceries, les gares de chemins de fer, les débits de tabac, etc.17 »

1. La Gazeta de Notícias

La Gazeta de Notícias est aussi le premier journal à recourir aux techniques de production les plus modernes, suite à l’achat de rotatives Marinoni pour le cinquième anniversaire de la fondation du journal ; rotatives dont l’installation en 1879 dans les locaux du journal est l’occasion de réaffirmer le caractère moderne voire avant-gardiste de ce titre dans le paysage médiatique national, voire continental18. En effet, dans un article intitulé « Progrès de la presse », le journal se targue d’être le premier en Amérique du Sud à se doter d’un équipement à la pointe de la modernité. Et l’auteur de ces lignes de citer l’exemple du Times en Angleterre, ou du Petit Journal et de ses 550 000 exemplaires en France, afin de louer les mérites de « ces instruments puissants de la civilisation moderne19 ». Dans un éditorial, Ferreira de Araújo promet de poursuivre les améliorations apportées à son journal et satisfaire ainsi ses lecteurs toujours plus nombreux, cependant que le tirage est alors de 20 000 exemplaires, « tirage qu’aucune autre feuille n’a encore atteint dans ce pays ». L’inauguration, quelques semaines plus tard, a lieu en présence des représentants de nombreux journaux de la cour et des provinces de l’Empire20, invités par la direction de la Gazeta de Notícias à assister à l’événement21. Ce nouvel équipement, bien que très coûteux, est présenté comme le seul moyen de permettre la « circulation croissante des journaux » et l’extension de « leur empire ».

Car le modèle économique de la Gazeta de Notícias repose sur l’augmentation des recettes tirées des abonnements et de la vente au détail, afin de financer de tels investissements. Pour ce faire, le journal courtise ce lectorat des classes moyennes urbaines de la capitale, celui qu’on qualifie alors plus volontiers de « peuple, la grande masse habituée à travailler et à souffrir », ces habitants de la capitale et de la province de Rio de Janeiro dont le taux d’alphabétisation fait figure d’exception dans un Empire frappé d’analphabétisme, comme le révèlent les données du premier recensement de 187222. L’équilibre financier du journal semble attesté par la hausse régulière des ventes, et donc du tirage moyen : 12 000 en 1876, 24 000 en 1882, 33 000 en 1890, 40 000 à partir de 1895. Ces chiffres sont affichés quotidiennement en première page du journal, afin de rappeler aux lecteurs la puissance médiatique de cet organe de presse23. En 1889, Ferreira de Araújo loue le « tour de force » que représente l’essor de la presse « populaire » au Brésil24, compte tenu des contraintes matérielles qu’elle doit affronter :

Nous importons de l’étranger le papier, l’encre, les machines, les caractères, tout notre matériel d’imprimerie et, à cause des fluctuations du change, nous payons fort cher notre main-d’œuvre25. Cependant, nous vendons nos journaux de grand format 10 centimes le numéro. C'est l’annonce qui paie la différence, bien qu’elle ne coûte pas aussi chère qu'en Europe. Pour nous rattraper, nous sommes obligés d’avoir deux ou trois pages d'annonces26.

Le fait d’avoir sollicité en 1889 Ferreira de Araújo pour écrire le chapitre consacré à la presse dans un ouvrage dressant le portrait du Brésil, publié dans le cadre de l’exposition universelle de Paris, témoigne de l’autorité et de la « modernité » qu’il incarne encore dans l’espace médiatique brésilien27. Une note en bas de page présente d’ailleurs le « co-propriétaire et rédacteur en chef de la Gazeta de Notícias », auteur de ce chapitre, comme « l’un des journalistes les plus remarquables du Brésil28 ». En 1888, à l’occasion du treizième anniversaire du journal, le nouveau quotidien Cidade do Rio, dirigé par José do Patrocínio et rédigé en collaboration avec Pardal Mallet (1864-1894), consacre une édition spéciale afin de rendre hommage à Ferreira de Araújo, le « chef de la presse moderne [qui] préside à l’émancipation du journalisme brésilien de la rétention de la convention29 » (illustration 2). Et l’auteur de ce portrait élogieux de comparer le rôle joué par le fondateur de la Gazeta de Notícias à celui d’Émile de Girardin en France, et de rappeler les difficultés affrontées par le journaliste alors que le Brésil traverse une « époque de transition » marquée par « un lent processus de démocratisation » qui annonce de grands bouleversements futurs, devant la poussée des idées républicaines que ce nouveau journal soutient.

2. Hommage à Ferreira de Araújo dans le Cidade do Rio

La fin de Segundo Reinado (1840-1889) et la fondation de la République ne bouleversent pas le paysage médiatique à Rio de Janeiro30. Les principaux journaux restent en place, et la Gazeta de Notícias, qui ne faisait pas secret de ses sympathies républicaines, gagne encore en puissance. Ce succès éditorial accélère la domination de ce nouveau modèle médiatique et la progressive recomposition du monde de la presse qui en découle. La disparition de quelques journaux jusque-là très réputés, à l’instar du Diário do Rio de Janeiro en 1878 ou du grand journal libéral A Reforma, en 1879, est compensée par l’apparition de nouveaux journaux qui, pour beaucoup, revendiquent eux aussi une certaine modernité31. Au cours des années 1880 apparaissent à Rio de Janeiro, dans le contexte très porteur d’intenses débats politiques ayant trait à la question servile et à l’idée républicaine, les journaux A Gazeta da Tarde (1880), O País (1884), A Notícia (1884), o Diário de Notícias (1885), A Cidade do Rio (1888). En outre, le Jornal do commercio se voit contraint de revoir son modèle éditorial et économique afin de s’adapter à cette concurrence nouvelle, dans un contexte d’essor inédit de la presse à Rio de Janeiro32. Si la Gazeta de Notícias est considérée comme l’un des principaux journaux de la capitale fédérale pendant la 1ère République, cela ne signifie pas pour autant le déclin de la presse politique engagée, comme en témoigne l’essor remarquable de la presse républicaine dès les années 1870, et le renouveau de la presse monarchique d’opposition à l’orée des années 1890, suite à la fondation du Jornal do Brasil33.

Ce journal carioca est fondé en avril 1891 par Rodolfo de Sousa Dantas et Joaquim Nabuco afin de porter la critique contre les premiers pas d’une république honnie des rédacteurs pour la plupart nostalgiques du régime impérial34. En dépit de son conservatisme politique, le journal milite en faveur des progrès de la médecine, de la science et d’une importante rénovation urbaine de la capitale comme il revendique une modernité de ses moyens de rédaction et d’édition qui en font très vite le principal concurrent de la Gazeta de Notícias. Le Jornal do Brazil assume en 1893, sous la nouvelle direction de Rui Barbosa, sa loyauté vis-à-vis du régime républicain, tout en maintenant une distance critique avec les gouvernements en place. Vendu à un prix abordable, disposant bientôt des équipements les plus modernes pour la composition et l’impression, le Jornal do Brazil est armé pour s’imposer comme le journal le mieux diffusé d’Amérique du Sud, devant La Prensa (1869) de Buenos Aires, avec près de 50 000 exemplaires quotidiens écoulés en 1900.

Dépêches, télégrammes et correspondances : la mise en place d’un réseau international d’informations

L’essor des ventes de la Gazeta de Notícias permet de mobiliser d’importants moyens financiers afin d’enrichir l’offre éditoriale. La place accordée aux nouvelles et chroniques en provenance de l’étranger est en effet un élément clef de la réputation du journal, dont la charge constitue une dépense importante dans son budget. Dès ses débuts, la Gazeta de Notícias use du terme de « correspondant » pour qualifier ces journalistes et hommes de lettres qui, depuis l’étranger ou les lointaines provinces du Brésil, fournissent revues de presse, nouvelles et chroniques alimentant quotidiennement les colonnes des premières pages du journal. Dans la presse périodique comme dans la presse quotidienne, l’intérêt marqué pour les actualités à l’étranger, à commencer par celles de l’Europe occidentale, justifie le besoin de recourir à des intermédiaires susceptibles de fournir aux lecteurs de la bonne société carioca les nouvelles en provenance d’Europe jugées les plus dignes d’intérêt.

Ce faisant, la Gazeta de Notícias s’inscrit dans une tradition ancienne de la presse brésilienne. Déjà, depuis sa fondation en 1843, le Correio Mercantil, à Rio de Janeiro, s’enorgueillit de disposer de nombreux collaborateurs à l’étranger, dont les articles sont reproduits dans le journal de façon anonyme. Au début de l’année 1848, la nouvelle direction du journal souligne la qualité de ses rédacteurs (anonymes) et l’augmentation continue « du nombre de correspondants en Europe et dans quelques provinces de l’Empire35 ». La rubrique « Extérieur » du journal mêle citations plus ou moins longues extraites de journaux étrangers arrivés par bateau à Rio de Janeiro et correspondances écrites depuis l’Europe par les journalistes salariés du journal36. Cet appétit pour les nouvelles d’un « extérieur » alors souvent restreint à l’Europe est mis à profit par ces nouveaux patrons de presse qui, comme Ferreira de Araújo, usent de modalités nouvelles et complémentaires pour proposer des informations récentes en provenance de l’étranger.

La satisfaction de cette attente du lectorat se trouve alors facilitée par l’accélération remarquable des circulations transatlantiques, depuis l’introduction du bateau à vapeur dans les liaisons transatlantiques au milieu du XIXe siècle. La plus grande régularité des liaisons et l’essor du nombre des rotations raccourcissent de façon remarquable le temps de la circulation de l’information comme des marchandises. Désormais, trois ou quatre semaines suffisent pour que les journaux reçoivent les dernières livraisons des revues, journaux et articles envoyés par les correspondants étrangers. À cela s’ajoute la connexion progressive du territoire brésilien au réseau télégraphique européen. En 1888, ce réseau compte au Brésil déjà plus de 10 000 km de lignes, lesquelles relient entre elles 170 stations polarisées autour d’un axe structurant qui longe le littoral brésilien et rejoint Lisbonne via Recife, et l’Argentine via Montevideo. Cette extension du réseau s’accompagne de la croissance exponentielle du nombre de télégrammes circulant, de 233 en 1861 à plus de 500 000 en 188637. En Europe, « Londres est le pivot d’un système de transmission s’appuyant sur un réseau international de câbles essentiellement britannique et, simultanément, un “nœud” de communication pour l’Amérique du Sud dont profitent les agences européennes.38 »

La Gazeta de Notícias a à sa disposition deux réseaux complémentaires, les dépêches de son service télégraphique – soit, le plus souvent, ses correspondants à l’étranger –, et celles fournies par l’Agence Havas-Reuters39, une « Joint-venture » alliant les deux principales agences française et britannique, depuis la signature d’un partenariat stratégique en 1869, et dont le réseau s’étend progressivement sur le territoire sud-américain. L’agence Havas, fondée en 1832 par Charles Louis Havas40, collectait dans un premier temps les informations afin d’alimenter sa publication quotidienne, La Correspondance générale. À partir des années 1860, l’agence vend ses services aux journaux de toute la France, prélude à l’internationalisation progressive de sa clientèle41. La première agence télégraphique Reuter-Havas est inaugurée à Rio de Janeiro en 1874, sous la direction d’un Français, M. Ruffier42. Si le Jornal do Commercio commence à publier les premiers télégrammes de l’agence en 1877, la Gazeta de Notícias annonce dans son prospectus en 1875 qu’elle « publiera quotidiennement tous les télégrammes politiques et commerciaux, du pays comme de l’étranger ». Mais, un tel service constitue une charge financière très lourde pour ces journaux :

Notre service télégraphique représente également des frais beaucoup plus considérables que n'en supportent les journaux d'Europe. Il suffit de dire qu'un mot envoyé par télégraphe de Paris ou de Londres à Rio-de-Janeiro coûte beaucoup plus cher que s'il était envoyé en Chine ! Le télégraphe national lui-même coûte encore excessivement cher, quoiqu’il accorde une réduction de tarif aux journaux43.

Dès lors, il apparaît certainement plus rentable de préférer le recours au service d’un correspondant étranger, anonyme ou de renom, pour alimenter les pages d’informations sur le monde extérieur, quitte à ce que celles-ci soient un peu moins « fraîches ».

Depuis le mitan du XIXe siècle, le Jornal do Commercio publie de nombreuses correspondances de l’étranger. Ces articles au long cours sont publiés en plusieurs livraisons en première page du journal, sans mention de l’identité de leur auteur. Progressivement, ce réseau de correspondants s’étend : des articles rédigés à Lisbonne, Paris, Londres, Florence, Rome ou Porto s’ajoutent aux correspondances de « l’intérieur », des nombreuses provinces de l’Empire. La Guerre du Paraguay (1865-1870), dans laquelle le Brésil est engagé, accompagne l’essor des correspondances depuis les pays d’Amérique latine. En Europe, les correspondants ne se contentent pas de recueillir les informations nationales. Souvent, ces derniers proposent également une revue de la presse internationale à laquelle ils peuvent avoir accès depuis Paris, Londres ou Lisbonne, comme ils envoient par bateau les coupures de presse qui seront traduites et reproduites quelques semaines plus tard au Brésil44. Il faut attendre la fin des années 1870 pour voir de premières correspondances étrangères signées dans le Jornal do Commercio, à l’instar de celles d’Escragnolle Taunay, célèbre homme de lettres monarchiste brésilien, alors qu’il réside à Rome. C’est à cette même époque que le journaliste portugais Guilherme de Azevedo signe les premières « chroniques lisboètes » dans la rubrique du feuilleton en bas de première page. Au même moment, le célèbre feuilleton « voir, écouter et raconter » écrit depuis Paris par Santa Anna Néry ne porte toujours pas la signature de son auteur.

Dès sa fondation en 1875, la Gazeta de Notícias semble avoir adopté pour règle de voir les correspondants de renom signer leurs articles, à tout le moins les feuilletons. Ainsi, lorsque la Gazeta de Notícias recrute le jeune Portugais Mariano Pina – il n’a alors que 22 ans – comme correspondant à Paris, le contrat qui le lie au journal stipule que son « Courrier de France » est publié anonymement, lorsque son feuilleton, les « Tableaux de Paris », est signé. Un tel traitement différencié s’explique par la nature différente de l’exercice, qui renvoie ici à la distinction faite ci-dessus entre les correspondances anonymes et les chroniques signées. Confère cette lettre datée du 23 septembre 1882 dans laquelle Henrique Chaves, co-propriétaire du journal, adresse au jeune publiciste quelques recommandations après réception de ses premières correspondances :

Le "Courrier de France" […] doit comporter des informations et rien que des informations. Son écriture est souvent trop bien soignée, du style qui sied au feuilleton. Plutôt que la qualité, il vaut mieux veiller à la quantité. Je te dis cela franchement, afin de mieux te guider. Les correspondances du Jornal do Commercio de la même date comportent un plus grand nombre d’informations. […] Nous n’avons reçu qu’un seul feuilleton. Ils doivent nous arriver désormais tous les quinze jours et tu pourras alors faire briller ton style autant que tu le veux. […] Il te faut faire la distinction du point de vue formel entre ce qu’est une lettre d’information et un feuilleton, qui est toujours une œuvre littéraire45.

Les correspondants ont donc à remplir des missions complémentaires, dont l’écriture obéit à des règles distinctes, afin d’alimenter les différentes rubriques du journal. On le voit, si le copropriétaire du journal veille à ce que son correspondant étoffe le contenu de ses livraisons, il n’en recommande pas moins le plus grand soin dans la rédaction du feuilleton, morceau de bravoure dont la qualité littéraire doit être une plus-value pour le journal – d’où la primauté accordée aux plumes les plus réputées du monde des lettres, on le verra. En somme, les correspondants à l’étranger s’occupent tout à la fois de la rédaction de dépêches, de la correspondance politique, des articles dits d’information au contenu souvent très éclectique46 et de l’écriture de chroniques et feuilletons au style et contenu plus « littéraires ».

Dès sa fondation en 1890, le Jornal do Brazil publie lui aussi de nombreux télégrammes et articles fournis par ses « correspondants » à Londres, Paris, New York, Buenos Aires ou Montevideo, tout en ayant également recours aux dépêches de l’agence Havas. Ce réseau propre au journal possède déjà une ampleur remarquable au début de l’année 1901 :

Outre le service convenu avec l’un des principaux organes de publicité du continent américain et de ses correspondants littéraires à Lisbonne, Porto, provinces du Portugal, Paris et Rome, le Jornal do Brazil a des correspondants télégraphiques particuliers à Paris, Rome, Londres, Lisbonne, Montevideo et Buenos Aires, recevant, en moyenne, par le câble sous-marin, de 600 à mille mots par jour47.

Lorsque le journal est fondé, Joaquim Nabuco, qui occupe pendant longtemps la charge de correspondant à Londres du Jornal do Commercio, accepte de poursuivre cette tâche pour le compte du nouveau journal monarchiste. Le Jornal do Brazil dispose d’un réseau de correspondants à l’étranger tout à fait remarquable, en Allemagne, en France, au Portugal, en Italie, en Belgique, aux États-Unis et en Angleterre48. Pour sa part, le Jornal do Commercio n’est pas en reste, puisqu’il compte en 1897 onze membres de la rédaction à Rio de Janeiro, six « reporters » et quinze collaborateurs, dont huit en poste en Europe, parmi lesquels Jaime de Séguier (France), Charles Girardot (Londres), le poète portugais Roberto de Mesquita (Paris), Arrigo de Zettery et Giovani Bovio (Italie), Francisco A. Almeida Pereira e Souza et J. A. de Freitas (Portugal), et le Dr. Ernest (Allemagne)49.

Stratégies de recrutement, effet de « génération » et profil social des correspondants à l’étranger de la presse quotidienne carioca

Au sein de la Gazeta de Notícias comme des principaux journaux brésiliens contemporains, le recrutement de journalistes et correspondants de renom dans le monde des lettres et le paysage intellectuel du Brésil ou d’Europe s’impose bientôt comme un élément déterminant pour garantir la pérennité d’une presse qui, à défaut d’être tout à fait populaire, s’ouvre résolument aux classes moyennes de la capitale. Outre les lettres dites d’information, les correspondants signent des chroniques de la vie mondaine et culturelle à laquelle les auteurs, compte tenu de leur réputation et de leur entregent, ont accès50. La correspondance peut aussi répondre à des commandes plus précises, à l’instar de ces « rétrospectifs politiques » de l’année écoulée en Europe qu’Oliveira Martins rédige pour le compte de la Gazeta de Notícias dans les années 1890. Sans oublier, bien sûr, ces romans et récits de voyage publiés en feuilletons dans les journaux, à l’instar des « Cartas de um viajante » écrites par ce même Oliveira Martins au cours de son séjour en Angleterre en 1892, publiées dans le Jornal do Commercio à Rio de Janeiro51. Dans tous les cas, le nom de ces correspondants a valeur marchande aux yeux du propriétaire du journal, selon une logique commerciale qui n’est pas sans rappeler le processus concomitant de contractualisation de la relation éditeur/auteur, ce dernier monnayant ses écrits selon la réputation publique et littéraire dont il jouit52. Et rares sont désormais les plumes de ces journaux qui ne signent pas leurs textes53.

Ce portrait de groupe s’appuie ici sur l’identité reconnue et célébrée des correspondants de la Gazeta de Notícias et, de façon plus ponctuelle, de ses principaux concurrents, le Jornal do Commercio et le Jornal do Brazil. Le profil-type du « correspondant », lorsque son identité est publique, est celui d’un homme de lettres ayant reçu une formation supérieure dans les facultés du Brésil ou d’Europe, en général issu d’un milieu bourgeois, polyactif, polygraphe, et dont la carrière professionnelle implique une grande mobilité en Europe et/ou dans l’espace atlantique. La plupart étant Portugais, il faut ajouter ici à ce premier portrait de groupe un effet de « génération », compte tenu du fait que la plupart des correspondants de la Gazeta de Notícias ont été membres de la « génération de [18]70 », dont l’affirmation dans l’espace public au Portugal est contemporaine du recrutement plus systématique de correspondants étrangers par la presse quotidienne brésilienne. Le premier « Cénacle » qui se réunit depuis 1868 dans la demeure de Jaime Batalha Reis à Lisbonne est le prélude à la tenue des célèbres « Conférences démocratiques du Casino de Lisbonne », entre mai et juin 1871, comme à la fondation du journal A República en 1870, ayant pour collaborateurs Oliveira Martins, Eça de Queirós, Batalha Reis, Antero de Quental et António Enes. L’année suivant paraît la première série des Farpas (1871-1872), revue écrite par Eça de Queirós et Ramalho Ortigão dans laquelle les deux auteurs dressent un vaste panorama de la situation du Portugal contemporain, présentée comme très critique et fragile. Un tel constat contribuera à faire naître un pessimisme croissant parmi ces hommes de lettres et intellectuels qui s’inquiètent de la décadence de leur pays54. Le recrutement de ces jeunes hommes de lettres portugais n’est pas pour surprendre de la part de Ferreira de Araújo, quand l’on sait ses convictions abolitionnistes, républicaines et progressistes. Sur le plan littéraire, la Génération de 70 a incarné une profonde rénovation des normes et des pratiques littéraires. Or, compte tenu de l’intense circulation des idées, des hommes et des ouvrages imprimés en provenance du Portugal, cette nouvelle génération acquiert une solide réputation au Brésil55. D’autant plus que, comme le souligne Beatriz Berrini, ces hommes de lettres étaient engagés dans une carrière littéraire et journalistique dans laquelle la dimension atlantique est perçue comme une opportunité supplémentaire pour accroître leur réputation et leurs revenus : les collaborations à la presse brésilienne sont mieux rétribuées et cette publicité offerte par la presse brésilienne leur permet d’espérer de meilleures ventes de leurs ouvrages au Brésil. Pour preuve, cette confession d’Eça de Queirós à son ami Oliveira Martins, dans une lettre datée du 23 mai 1888, afin de justifier sa décision de publier de façon simultanée son dernier roman La Correspondance de Fradique Mendes dans les journaux O Repórter de Lisbonne et la Gazeta de Notícias de Rio de Janeiro. Il s’agit pour lui ici de compenser le salaire dérisoire que lui verse le journal portugais pour ses feuilletons, sachant que « dans les journaux du Brésil ils [lui] rapporteraient le double56 ».

À partir des années 1890, la Gazeta de Notícias fait publicité de la liste de ses collaborateurs à l’étranger, laquelle est présentée parmi d’autres arguments lorsqu’il s’agit, à la fin de l’année civile, d’inviter ses lecteurs abonnés ou occasionnels à renouveler ou souscrire un nouvel abonnement. Parmi les divers avantages et cadeaux offerts, l’annonce fait explicitement référence à la qualité et à la diversité de ses correspondants pour convaincre ses lecteurs. L’évolution de la présentation de cette liste au cours des années 1890 est éclairante. En 1893, la Gazeta de Notícias se contente de dresser la liste de ses 15 collaborateurs « permanents », sans autres précisions, puisque s’y mêlent les noms des correspondants à l’étranger et ceux des collaborateurs à Rio de Janeiro57. L’année suivante, les offres d’abonnement se font plus précises en la matière :

Les correspondants littéraires et informateurs sont : Max Nordau, Eça de Queirós, Ramalho Ortigão, Alexandre d’Atri, Batalha Reis et Monteiro Ramalho. La Gazeta publie de façon fréquente les travaux de Machado de Assis, Capistrano de Abreu, Olavo Bilac, Alfredo Camarate, Julia de Almeida, Virgilio Varzas, Adelina Lopes, Raymundo Capella. Outre l’Agence Havas, le service télégraphique est à la charge de correspondants spéciaux, dans les principales villes d’Europe comme dans les capitales des États de la République du Brésil58.

À la fin de l’année 1897, la Gazeta de Notícias dresse un tableau de ses correspondants en fonction de leur lieu de résidence : Ramalho Ortigão et Lino da Assunção travaillent depuis Lisbonne, Eça de Queirós et Domício da Gama depuis Paris, Batalha Reis depuis Londres, Max Nordau depuis « l’Allemagne » ; et vient ensuite la liste des dix collaborateurs et correspondants au Brésil59.

Cet affichage des noms des collaborateurs s’apparente donc explicitement à une stratégie commerciale susceptible de mieux fidéliser les lecteurs du journal. Il faut dire que dans les années 1890 la Gazeta de Notícias peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs les hommes de lettres et publicistes les plus réputés du pays, parmi lesquels Machado de Assis, Olavo Bilac, Pardal Mallet ou Capistrano de Abreu. Dans un paysage très concurrentiel, compte tenu de l’apparition de nouvelles feuilles à grand tirage, comme A Gazeta do Rio, O Correio da tarde, O País et le Jornal do Commercio, la renommée des collaborateurs, qu’ils soient au Brésil ou en Europe, est donc un élément de distinction que la Gazeta de Notícias ne manque pas de mettre en avant. À ce titre, Ferreira de Araújo privilégie le recrutement de plumes déjà célèbres pour collaborer à son journal.

Parmi les membres de cette « Génération de 70 » figure l’un des collaborateurs les plus assidus de la Gazeta de Notícias, Ramalho Ortigão (1836-1915), qui est l’auteur de plus de 500 articles parus dans ce journal entre 1879 et 191560. Son recrutement fait suite au succès retentissant et polémique que suscite la publication des Farpas dans les années 1870. Les formes prises par sa collaboration évoluent au fil des années. En 1881, il publie dans le feuilleton du rez-de-chaussée ses fameuses « lettres portugaises » (illustration 3). La parution en 1883 de ses « notes de voyages » en Hollande fait suite à une commande de Ferreira de Araújo, lequel finance son voyage afin d’en publier le récit dans son journal61. En 1887, Ramalho Ortigão séjourne pour la première fois quelques mois au Brésil à l’invitation de Ferreira Araújo. Il y est reçu en grande pompe, à São Paulo puis à Rio de Janeiro, où il inaugure le nouveau siège du Cabinet de lecture portugais. Une brève parue dans Cidade do Rio, journal fondé et dirigé par José do Patrocínio, également collaborateur de la Gazeta de Notícias, nous éclaire sur les mondanités luso-brésiliennes qui ponctuent le passage du célèbre homme de lettres portugais à Rio de Janeiro :

En hommage au grand écrivain, qui fait l’honneur et la fierté de la langue et de l’esprit portugais de part et d’autre de l’Atlantique, notre illustre collègue Ferreira de Araújo, rédacteur de la Gazeta de Notícias, réunit aujourd’hui les littérateurs et journalistes dans son palais, quai de la Gloria62.

3. Les « Lettres de portugaises » de Ramalho Ortigão

Les Farpas ont été pendant un temps co-signés par un autre homme de lettres portugais qui s’imposera par la suite comme le plus grand romancier réaliste du Portugal fin-de-siècle : Eça de Queirós (1845-1900). En 1874, ce dernier quitte Lisbonne pour gagner l’Angleterre, où il exerce des fonctions de diplomate quatorze années durant. Dès 1877, il devient correspondant pour la presse portugaise et, trois années plus tard, correspondant de la Gazeta de Notícias depuis Londres – une collaboration qui se poursuit de manière irrégulière jusqu’en 189763. Comme Ramalho Ortigão, Eça de Queirós jouit au Brésil d’une grande réputation littéraire depuis les années 1870, quand bien même celle-ci s’accompagne parfois de crispations, lors de la parution de certaines chroniques des Farpas ou de la polémique tissée avec Machado de Assis sur l’art romanesque. En témoigne ce commentaire paru dans la Gazeta de Notícias lors de son recrutement :

Inutile de renchérir sur les mérites de notre nouveau collaborateur, dont le nom est associé à ces travaux de grande valeur littéraire. Comme en témoignent les Farpas, O Crime do padre Amaro, O Primo Basílio et quelques autres écrits d’excellente facture. Pour l’heure Eça de Queirós prendra en charge les événements de Paris et de Londres. Bientôt, il ne s’occupera que des affaires d’Angleterre, dès qu’arrivera à Paris le correspondant que nous avons recruté à cette fin64.

La circulation et la réédition de ses œuvres au Brésil contribuent à accroître sa renommée, à mesure que le courant réaliste se développe au Brésil. Il est à noter que nombre de ses romans sont reproduits en feuilletons en rez-de-chaussée des journaux de Rio de Janeiro et d’ailleurs, sans que l’auteur obtienne le plus souvent pour cela une quelconque rétribution, à une époque où les droits d’auteur ne sont pas établis, et ce en dépit des requêtes adressées en ce sens par nombre d’écrivains portugais et français depuis le milieu du XIXe siècle65. En 1884, le correspondant de la Gazeta de Notícias à Paris, Mariano Pina, publie une chronique intitulée « un romancier célèbre », laquelle dresse un long portrait élogieux d’Eça de Queirós, présenté dès les premières lignes comme un « homme que tous les lecteurs de la Gazeta connaissent, et que tous apprécient et admirent beaucoup66. » Et pour cause, puisque le romancier et diplomate portugais commence à publier des chroniques mensuelles dans le journal dès 1880. Cette collaboration connaît par la suite une longue interruption, avant que ne paraissent en 1885 les « lettres familières de Paris », chroniques de la vie parisienne. Le journal publie par la suite en feuilleton le roman A Relíquia, « écrit expressément pour la Gazeta de Notícias67 », puis La Correspondance de Fradique Mendes en 1888. La qualité et l’importance de cette collaboration prennent une ampleur nouvelle avec la parution du « Supplément littéraire » en 1892 dont il dirige la rédaction depuis Paris68. Cette collaboration se poursuivra jusqu’à la mort d’Eça de Queirós en 1900. À l’annonce de son décès, la Gazeta de Notícias fera d’ailleurs célébrer une messe funèbre en son honneur à Rio de Janeiro et rendra hommage à son collaborateur à la une du journal (voir illustration 4).

4. La mort d’Eça de Queirós dans la Gazeta de Notícias

Six années plus tôt, le journal avait déjà rendu un vibrant hommage à l’un de ses collaborateurs portugais les plus célèbres, Olivieira Martins (1845-1894)69. Le journal salue la mémoire de cet intellectuel dont la mort est « une énorme perte pour tous les peuples qui parlent la langue portugaise70 ». Et le journaliste de poursuivre : « Au Brésil, aucun écrivain portugais n’était plus lu, admiré et discuté que lui. » Dans la Gazeta de Notícias, ses articles sont souvent de facture politique : « Nous commencerons à publier prochainement une série d’articles intitulée Le monde politique en 1886, écrits expressément pour la Gazeta de Notícias, par le remarquable journaliste portugais Oliveira Martins. » Ferreira de Araújo lui passe commande de ces fameux « rétrospectifs politiques » qui, année après année, dressent le bilan de l’actualité politique sur le continent européen71. Né dans une famille bourgeoise, Oliveira Martins étudie au Lyceu nacional de Lisbonne. La mort prématurée de son père l’oblige toutefois à interrompre ses études pour se lancer dans le commerce. En qualité d’administrateur d’une mine, il séjourne de 1870 à 1884 en Espagne, dans la province de Cordoue, avant de s’installer à Porto, où il travaille au développement du réseau de chemin de fer régional. Ses premiers travaux lui valent en 1878 une médaille d’or et rang de membre correspondant de la prestigieuse Académie royale des sciences de Lisbonne. Suite à la publication de plusieurs ouvrages historiques et politiques dans la collection « bibliothèque des sciences sociales » de l’éditeur Bertrand à Lisbonne, Oliveira Martins s’impose comme un des grands intellectuels de son temps dont la renommée est internationale, comme en témoigne son statut de membre de nombreuses sociétés littéraires au Portugal, en Espagne et au Brésil. En 1884, alors qu’il est nommé directeur du musée industriel et commercial de Porto, il multiplie les collaborations dans la presse nationale et entame une carrière politique comme député dans les rangs du Parti progressiste, après avoir longtemps milité en faveur du socialisme et de l’idée républicaine. Il est d’ailleurs le fondateur de la revue A Província (1885) et du journal O Reporter à Lisbonne (1888). C’est donc aux services d’un journaliste et intellectuel de grande renommée que Ferreira de Araújo a recours à la fin des années 1880, pour enrichir le volant de ses correspondants en Europe.

Au Portugal comme au Brésil, la publication de chroniques, feuilletons ou articles dans les journaux est dans la 2e moitié du XIXe siècle une source de revenu très importante pour les écrivains. Et il n’est dès lors pas étonnant de voir que, à l’instar d’Oliveira Martins, les collaborateurs portugais de la presse quotidienne au Brésil ont en commun une longue expérience dans la presse, n’hésitant pas également à se coopter les uns les autres pour engager de nouvelles collaborations. Guilherme de Azevedo (1839-1882) est un publiciste reconnu au Portugal pour avoir collaboré à de nombreux journaux comme la Gazeta do dia, le Diário da manhã, et des revues comme Occidente (1878-1915) dans laquelle il publie ses célèbres « chroniques occidentales72 ». Membre de la génération de 70, qu’il fréquente depuis son installation à Lisbonne en 1874, il répond positivement aux propositions de collaborations venues du Brésil, lorsque le Jornal do Commercio lui commande des « chroniques lisboètes » qui paraissent entre 1878 et 1880 ; année au cours de laquelle la Gazeta de Notícias, par l’intermédiaire de son collaborateur et correspondant portugais Lino da Assunção, lui propose de devenir correspondant du journal à Paris. Ce débauchage ne semble guère poser de problème au jeune homme pressé de gagner Paris. Outre ses « Chroniques de Paris » (voir illlustration 3, ci-haut), Guilherme de Azevedo rédige également des feuilletons de la vie parisienne pour le compte du Primeiro de Janeiro, à Porto73. Par ailleurs, ses chroniques publiées au Brésil sont également reproduites a posteriori dans le Diário da manhã de Lisbonne auquel il a longtemps collaboré74. Sa mort prématurée dans la capitale française et les funérailles qui s’en suivent, au cimetière de Saint-Ouen, sont l’objet d’un récit détaillé dans la Gazeta de Notícias. Elles se déroulent en présence d’une cinquantaine de personnes, portugaises et brésiliennes pour la plupart, parmi lesquelles Luiz de Andrade (l’auteur de l’article), l’artiste portugais Rafael Bordalo Pinheiro, l’homme de lettres Lino da Assunção75, représentant ici Ferreira de Araujo, et le Brésilien Santa Anna Néry, correspondant du Jornal do Commercio à Paris76. Dans une biographie publiée dans le quotidien carioca quelques jours plus tard, l’auteur de l’article souligne l’importance de ces revenus tirés des correspondances pour ces publicistes et hommes de lettres soucieux de collaborer à plusieurs journaux et revues à la fois, de part et d’autre de l’Atlantique77.

À l’instar des trois collaborateurs de la Gazeta de Notícias cités ci-dessus, ceux du Jornal do Commercio jouissent aussi d’une grande réputation dans le monde des lettres et de la presse outre-Atlantique. Tel est en particulier le cas de la seule figure féminine de renom dans ce portrait de groupe des correspondants à l’étranger, Maria Amália Vaz de Carvalho (1847-1921). Celle-ci nourrit des amitiés littéraires au sein de la Génération de 1870, mais les portes de son salon littéraire à Lisbonne s’ouvrent aussi à des auteurs plus classiques, comme Camilo Castelo Branco, et ce n’est donc pas étonnant que le Jornal do Commercio recourt aux services d’une poétesse et écrivaine également respectée par les tenants d’un plus grand conservatisme littéraire au Portugal. Maria Amália Vaz de Carvalho est une collaboratrice assidue et appréciée de la presse périodique et quotidienne de Lisbonne78. Au Brésil, ses correspondances publiées dans le Jornal do Commercio valent une grande réputation à cette femme de lettres née dans un milieu bourgeois et mariée au poète d’origine brésilienne Antonio Crespo79.

Ces collaborations dans la presse brésilienne ont joué un rôle essentiel en faveur de la promotion des œuvres et de la circulation internationale des livres dans l’espace atlantique. Eça de Queirós comme l’Allemand Max Nordeau (1849-1923) ont tiré profits, symbolique et financier, de leurs nombreuses collaborations rémunérées dans la presse d’Europe et d’Amérique. Hongrois de culture allemande, né dans une famille juive orthodoxe, Max Nordeau a longtemps vécu à Berlin, avant de gagner Paris en qualité de correspondant de presse pour Die Neue Freie Presse. L’auteur des « Lettres d’Allemagne » dans la Gazeta de Notícias est lui aussi un intellectuel reconnu au Brésil. En 1892, l’annonce de cette nouvelle collaboration est l’occasion de dresser un portrait élogieux du « célèbre écrivain [qui] va honorer notre journal de sa brillante collaboration80. » L’auteur était déjà connu des lecteurs brésiliens : son essai intitulé Les mensonges conventionnels de notre civilisation étant traduit et édité par les frères Laemmert en mai 188781. L’année suivant paraît dans ce même journal, en première page, un compte-rendu de ses œuvres publiées en portugais82. Les frères Laemmert, éditeurs de la place de Rio de Janeiro originaires d’Allemagne, traduisent et éditent un grand nombre de ses œuvres. Le recrutement de Max Nordeau par la Gazeta de Notícias est contemporain de celui de l’Italien Edmundo de Amicis par le Jornal do Brazil. Les « correspondances littéraires » de ce dernier sont un faire-valoir pour le nouveau quotidien monarchiste qui peut s’enorgueillir de publier la correspondance de cet « éminent collaborateur83 », dont les œuvres connaissent elles aussi un succès retentissant en Europe, bien sûr, mais aussi en Amérique84. Pour preuve, quelques mois plus tard, le Jornal do Brasil consacre son feuilleton littéraire à une longue recension du livre Cuore (1886), lequel vient de paraître dans sa traduction portugaise à Rio de Janeiro85. Les articles écrits par ce dernier paraissent dans la rubrique « Lettres d’Italie pour le ‘Jornal do Brazil’ »86. Ce sont de longues chroniques de la vie politique et sociale italienne, publiées en plusieurs livraisons en première page du journal, en général un mois ou un mois et demi après leur rédaction. Cette correspondance côtoie alors en première page la correspondance anonyme, depuis Paris, du baron de Rio Branco.

Si les Portugais, compte tenu de leurs affinités particulières avec le Brésil et du moindre coût relatif que constitue leur recrutement, occupent une place de choix dans la liste des correspondants à l’étranger de la presse quotidienne carioca, cette dernière sollicite aussi, comme nous le voyons, plus ponctuellement, des auteurs de nationalités tierces. Parmi ceux-là, les carrières de correspondants aussi célèbres que Max Nordeau ou Edmundo de Amicis font plutôt figure d’exception, car la plupart de ces correspondants à l’étranger, de moindre renommée, ont été recrutés après avoir tissé des liens privilégiés avec le Brésil. Ainsi, le correspondant de la Gazeta de Notícias en Italie, Alexandre d’Atri, est un Italien qui a séjourné à plusieurs reprises au Brésil à la fin du XIXe siècle. Ce journaliste, collaborateur de la Provincia di Mantova, fait la rencontre de Ferreira de Araújo au cours de son troisième voyage au Brésil, en 189487. De retour en Italie, et outre ses correspondances régulières, il publie plusieurs ouvrages sur le Brésil, dont un récit de ses voyages et un essai sur la presse italienne au Brésil88. Il collaborera plus tard également à la Revue du Brésil, publiée à Paris entre 1896 et 1900. Soit une trajectoire professionnelle et une œuvre qui ne sont pas sans ressemblances avec celles d’un autre correspondant de la Gazeta de Notícias dans les années 1880, le Français Émile Deleau. À défaut d’être une personnalité reconnue en France, Émile Deleau est un publiciste qui a tissé tout au long de sa carrière des liens privilégiés avec le Brésil, pays où il a séjourné pendant de longues années89. Son rôle éminent au sein de la « colonie française » de Rio de Janeiro s’explique pour partie par le fait qu’il soit le fondateur et rédacteur du Messager du Brésil (1881-1884), revue en français éditée à Rio de Janeiro et imprimée dans les locaux de la Gazeta de Notícias. De retour en France pour des raisons de santé, il cultive ses liens avec le Brésil et la presse en particulier : il rédige la revue Le Brésil à Anvers, dans le cadre de l’exposition universelle de 1885, fournit de nombreux articles sur le Brésil pour la presse locale, avant de devenir en 1886 le correspondant à Paris de la Gazeta de Notícias. Les services rendus au Brésil lui valent d’ailleurs d’être honoré de l’Ordre de la Rose.

L’Italien Atri comme le Français Deleau, auteurs et publicistes dont l’œuvre n’a jamais bénéficié d’une réception transatlantique remarquable, à la différence des correspondants de la Gazeta de Notícias et du Jornal do Commercio dont les noms ont été cités jusqu’ici, témoignent du fait que l’extension du réseau des correspondants doit autant à la réputation des auteurs recrutés qu’aux affinités personnelles que Ferreira de Araújo entretient avec plusieurs de ses collaborateurs. Plus largement, nombre de débutants dans la carrière du journalisme et/ou des lettres ont intégré l’équipe de rédaction du journal en nouant des relations privilégiées avec son propriétaire et rédacteur en chef. À cet égard, le témoignage d’Olavo Bilac (1865-1918), homme de lettres et journaliste, collaborateur du journal à partir de 1890, permet de montrer comment Ferreira de Araújo, comme l’éditeur et directeur de presse Francisco de Paula Brito avant lui, a su ouvrir les colonnes de son journal à de jeunes plumes encore méconnues du public lecteur :

Ce fut lui qui a fait venir au journal des jeunes gens qui débutaient alors dans les lettres. Dans la Gazeta de Notícias, qui comptait déjà avec la précieuse collaboration de Machado de Assis, Eça de Queirós et de Ramalho Ortigão, de jeunes garçons pleins de talent ont commencé à apparaître et à travers les colonnes du journal ils se sont imposés au public90.

Si une telle ouverture profite d’abord aux jeunes hommes de lettres qui résident dans la capitale, celle-ci peut être le prélude à de nouvelles collaborations depuis l’étranger.

La trajectoire suivie par Domício da Gama (1862-1925) est à ce titre exemplaire91. Domício da Gama est né au sein d’une fratrie de sept enfants, dans une famille modeste d’immigrés portugais, à Rio de Janeiro. Il est poussé par son père à mener des études d’ingénieur à l’école polytechnique, mais il échoue, faute de motivation. Car il préfère mener la vie de bohème et s’essayer à la littérature, qu’il cultive d’abord au sein d’un petit cercle littéraire, le « Grêmio Literário Jardim de Academus », dont il devient le président perpétuel92. Son ascension sociale et sa brillante carrière publique doivent beaucoup aux amitiés tissées à Rio de Janeiro puis en Europe93. Il abandonne donc les études pour publier des contes dans la Gazeta de Notícias, avec la bénédiction de Ferreira de Araújo, au prix d’une rupture avec la figure du père, immigré autodidacte et sévère. Ce journal est alors considéré comme le plus accueillant pour les débutants des lettres, mais aussi celui qui rétribue le plus correctement les contributions de ses rédacteurs. Ces collaborations régulières, auxquelles s’ajoutent quelques leçons de géographie données dans des collèges privés de la capitale, lui permettent de satisfaire son modeste train de vie. En mai 1888, le journal annonce à ses lecteurs le prochain départ pour l’Europe de « notre distingué collaborateur, un des esprits les plus lucides et solidement armés de la nouvelle génération des écrivains nationaux94. » Ce voyage de formation est l’occasion pour le jeune écrivain d’envoyer quelques chroniques au gré des étapes de son voyage. Il quitte Rio de Janeiro avec des lettres de recommandation de Capistrano de Abreu et de Ferreira de Araújo à l’attention d’Eduardo Prado et du baron de Rio Branco, lequel dirige alors l’ambassade du Brésil à Paris. C’est aussi dans la capitale française qu’il fait la rencontre d’Eça de Queirós et de Ramalho Ortigão. En novembre 1888, la Gazeta de Notícias officialise la nomination de son jeune collaborateur au poste de correspondant du journal à Paris :

Nous publions aujourd’hui le premier article de notre nouveau correspondant à Paris, Domício da Gama, que nos lecteurs connaissent déjà puisqu’il collabore à ce journal depuis quelques temps déjà. Domício da Gama est l’un des jeunes hommes les mieux formés pour la vie des lettres, il possède toutes les qualités nécessaires pour être un écrivain capable de faire honneur à notre pays95.

Ses chroniques paraissent dans la Gazeta de Notícias dans la rubrique « Collaboration européenne », puis, plus simplement, sous le chapeau « lettres de Paris ». Ce premier séjour à Paris marque un tournant dans la vie de Domício da Gama, car il va bientôt y entamer une brillante carrière de diplomate.

La valse des correspondants : circulations, débauchages, intercessions et réseaux

S’il s’agit bien d’une activité lucrative, être correspondant à l’étranger de la Gazeta de Notícias, du Jornal do Commercio ou du Jornal do Brazil ne constitue pas une activité à temps plein et suffisante pour assurer le train de vie des hommes de lettres recrutés par ces journaux. Le plus souvent, ces correspondants travaillent pour plusieurs titres ou bien exercent d’autres fonctions. Ainsi, nombre de ces correspondants mènent carrière dans la diplomatie, pour le compte du Portugal ou du Brésil. Au gré des postes occupés par ces derniers, ils peuvent être sollicités par Ferreira de Araújo pour devenir correspondant, ou au contraire devoir interrompre leur collaboration pour cause de mutation. Le directeur de la Gazeta de Notícias doit souvent composer avec de tels aléas pour assurer la continuité de la correspondance depuis ces capitales incontournables du « vieux monde » que sont Paris ou Londres – à Lisbonne, les Portugais ne manquent pas pour ce faire.

À Paris, le journaliste portugais Mariano Pina (1860-1899) travaille entre 1882 et 1886 comme collaborateur de la Gazeta de Notícias. Lorsqu’il regagne le Portugal, la Gazeta de Notícias recrute Émile Deleau afin de le remplacer. Ce dernier publie son « courrier de France » régulièrement dans le journal, mais la réputation moindre de ce collaborateur, qui n’est pas un homme de lettres, explique peut-être que ses chroniques soient souvent reproduites dans les pages intérieures du journal, plutôt qu’en une. Deux années plus tard, il incombe au prometteur et talentueux Domício da Gama de prendre la relève en qualité de correspondant à Paris. Or, l’amitié tissée avec le baron de Rio Branco lui permet de mener par la suite une brillante carrière dans la fonction publique puis la diplomatie. Employé de 1891 à 1893 au sein de la Surintendance générale du service de l’immigration au Brésil et en Europe, dont le siège est à Paris, il travaille sous la direction de Rio Branco. Il mène par la suite toute une série de missions officielles au côté de ce dernier, ou de Joaquim Nabuco, qui l’oblige à quitter Paris, et donc à suspendre sa collaboration avec la Gazeta de Notícias96. En 1893, Eça de Queirós est déjà un collaborateur régulier de ce journal. Il publie l’année précédente les fameux « suppléments littéraires » et continue depuis à publier des chroniques dans le journal. Suite au départ de Gama, Ferreira de Araújo décide de confier la charge de correspondant régulier du journal à l’éminent romancier portugais – charge qu’il occupait déjà en 1880, et à laquelle Mariano Pina lui avait succédé : « En remplacement de notre estimable collègue Domício da Gama, qui est parti en Amérique du Nord, notre brillant collaborateur et illustre écrivain Eça de Queirós nous a fait l’honneur d’accepter la charge de correspondant de ce journal à Paris97 ». Rappelons que ce dernier était alors ambassadeur du Portugal à Paris, un poste qu’il occupe depuis 1888 et ce, jusqu’à son décès dans sa maison de Neuilly-sur-Seine en 1900.

Également en poste à Paris, mais pour le compte de la jeune République du Brésil, le baron de Rio Branco devient à son tour correspondant en 1891, pour le compte du Jornal do Brasil, sur invitation de Rodolfo Dantas, qui lui verse pour cela un salaire mensuel de 1000 francs. Compte tenu de ses fonctions officielles et en dépit de sa réputation, cette collaboration se fait alors sous couvert d’anonymat. Non content d’être le correspondant officieux du journal, le baron de Rio Branco se voit également confier la mission de recruter les divers correspondants du journal en Europe, ce dont témoigne une lettre écrite à Paris le 18 août 1891 que le baron adresse à Ramalho Ortigão, afin de lui faire une offre en ce sens :

Le journal se porte très bien, et bien qu’il ne paraisse que depuis quelques mois, il est celui dont le tirage est le plus élevé, de par le nombre croissant d’abonnés et la vente au numéro. Le nombre des annonces augmentera avec le temps. Ici en Europe, j’ai obtenu la collaboration régulière de Paul Leroy-Baulieu98, d’Émile de Lavaleye99 et d’Edmundo de Amicis, pour écrire une lettre mensuelle. Nous allons maintenant avoir un correspondant en Allemagne, le Dr. Schimper100, professeur à l’université de Bonn, qui nous fournira chaque mois une lettre sur le mouvement scientifique, littéraire et artistique des peuples de langue allemande. Nous avons à Londres un bon correspondant financier, un correspondant militaire à Paris, un autre à Toulon pour les questions navales, tous deux officiers français. Je vais essayer d’obtenir une lettre mensuelle d’A. Fouquier ou de quelque autre chroniqueur parisien réputé.101

Par cette lettre, le baron souhaite que l’écrivain portugais fournisse deux articles par mois, payés « deux livres » l’unité. Outre une parfaite liberté d’écriture et d’expression, le journal confère à ses correspondants le droit de reproduire par la suite leurs articles librement en volume, afin d’augmenter leurs revenus. Cette proposition est toutefois compliquée par le fait que Ramalho Ortigão est alors le correspondant de la Gazeta de Notícias. Plutôt qu’un débauchage, le baron propose de cumuler les tâches, et donc les revenus. Il est à noter aussi que le recrutement d’Edmundo de Amicis a bénéficié de l’intercession de Domício da Gama, lors de son passage à Rome en 1891, pour les funérailles du prince Napoléon – alors que le Brésilien était le correspondant de la Gazeta de Notícias. Selon un procédé similaire, lorsqu’Eça de Queirós fonde la Revista de Portugal (1889-1890), il confie à Domício da Gama la charge de recruter des collaborateurs au Brésil.

Si la valse des correspondants est réelle à Paris, Ferreira de Araújo peut compter à Rome sur les services plus réguliers de Carlos Magalhães de Azeredo (1872-1963) ; un journaliste, diplomate et homme de lettres carioca. Diplômé de la faculté de droit de São Paulo, il entame une carrière dans la diplomatie en 1895. Il est ainsi en poste au Saint-Siège à Rome de 1896 – date à laquelle il devient le correspondant de la Gazeta de Notícias à Rome – à 1911. Après un passage à Cuba puis en Grèce, il retourne à Rome, comme ambassadeur près du Saint-Siège, en 1934, où il termine sa carrière. De même, à Londres, Ferreira de Araújo a longtemps pu compter sur les bons services de Batalha Reis, qui entre en 1882 dans la carrière diplomatique102. C’est donc depuis Londres qu’il rédige des correspondances pour le compte de la Gazeta de Notícias, comme il contribue au lancement, certes éphémère, du « Supplément littéraire » dirigé par Eça de Queirós (voir illustration 5).

5. Le « supplément littéraire » de la Gazeta de Notícias

La genèse de ce supplément est un bon exemple de la cooptation en vigueur parmi les correspondants dans le paysage médiatique luso-brésilien. Ferreira de Araújo, lors de son passage à Paris, offre en 1890 à Eça de Queirós la direction du supplément littéraire du journal dont il avait l’initiative103. Une telle innovation éditoriale, bien qu’elle fût éphémère, s’inscrit dans la volonté d’œuvrer à la démocratisation de la littérature et des arts à destination d’un lectorat plus grand, ce « peuple » que convoite le journal. Seuls six numéros de ce supplément paraissent entre janvier et juin 1891, lesquels contiennent des informations et des textes écrits en Europe et destinés aux lecteurs brésiliens de la Gazeta de Notícias. La coordination éditoriale et la direction du supplément étaient donc à la charge d’Eça de Queirós, depuis Paris. Pour nourrir les deux pages très denses de ce supplément culturel et scientifique dont le champ ne se restreint pas aux seules lettres, Eça de Queirós peut compter, en particulier, sur l’aide de Domício da Gama et Jaime Batalha Reis. Une telle collaboration entre des hommes de lettres portugais et brésiliens afin d’éditer un supplément depuis Paris au journal carioca la Gazeta de Notícias s’inscrit dans un contexte plus large, celui de l’essor d’une presse luso-brésilienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle à laquelle de nombreux correspondants du journal ont, à des degrés divers, participé. Déjà, en 1874, Jaime Batalha Reis104 collabore depuis Lisbonne à l’éphémère Revista Occidental (1875), laquelle se destinait à un lectorat portugais, espagnol et brésilien. Participaient alors à ce projet éditorial ambitieux et transatlantique, entre autres, Eça de Queirós, Oliveira Martins, Maria Amália Vaz de Carvalho, soit autant de collaborateurs présents ou futurs de la presse brésilienne. Quelques années plus tard, le même Batalha Reis participe au lancement de la revue O Atlantico (1880-1897), laquelle « est destinée à donner des nouvelles du vieux monde », soit une revue explicitement transatlantique105. Autre revue destinée à un public portugais et brésilien et rédigé par des collaborateurs de ces deux pays, la Revista de estudos livres est un mensuel publié à Lisbonne entre 1883 et 1886. Parmi ses nombreux collaborateurs portugais, on remarque la présence de Lino da Assunção, Ramalho Ortigão et Oliveira Martins, tous trois collaborateurs à des moments différents de la Gazeta de Notícias.

La collaboration à la Gazeta de Notícias est donc bien souvent une étape, à bien des égards déterminante, dans la carrière de ces correspondants à l’étranger. Ainsi Mariano Pina fonde alors qu’il est correspondant de la Gazeta de Notícias à Paris une revue illustrée promise à un grand avenir, A Illustração (1884-1892)106. Mariano Pina décrit dans une lettre adressée à Oliveira Martins les vertus de sa revue « qui a pour objectif de donner au Brésil une idée de ce qu’est le mouvement littéraire et artistique en Europe107. ». Il recrute pour ce faire les « bons éléments dont le Portugal dispose », parmi lesquels figurent Monteiro Ramalho, Eça de Queirós, Jaime de Séguier… et Oliveira Martins, à qui cette offre de collaboration est adressée. D’abord rédigée et imprimée à Paris, puis à Lisbonne, la revue compte au total 184 numéros pour un tirage moyen dépassant les 15 000 exemplaires, destinés principalement à un lectorat portugais. La réputation de son périodique doit beaucoup à la qualité des plumes engagées et à la qualité des illustrations et de la mise en page, très soignée. Comme le souhaite Mariano Pina, la revue est également disponible par abonnement au siège de la Gazeta de Notícias à Rio de Janeiro, et ce journal carioca publie très régulièrement des annonces faisant la promotion de la publication108. Voilà une autre preuve des vertus de la recommandation et de la cooptation entre des journalistes qui sont tour à tour collaborateurs, directeurs et/ou propriétaires de journaux voués à circuler dans l’espace atlantique. La constitution de réseaux d’influence et de sociabilité à l’échelle transatlantique est donc un atout pour ces correspondants en quête de profits et d’échos dans la presse. Ces réseaux peuvent servir également des intérêts plus larges lorsqu’ils sont mobilisés en faveur d’une cause politique, comme en témoignent les carrières et les trajectoires de deux Brésiliens au parcours remarquable.

Le premier est Frederico José de Santa Anna Nery (1848-1901), né à Belém, dans la province du Pará, dans une famille très riche109. Il mène ses études dans des institutions religieuses en Amazonie puis à Paris, avant d’obtenir le diplôme de docteur en droit à Rome en 1870. Dès lors, sa vie s’enracine en Europe, et la rencontre en 1871 avec le ministre du Brésil en Suisse, le Comte de Villeneuve110, propriétaire du Jornal do Commercio, lui permet de travailler désormais comme correspondant du journal conservateur carioca111. Néry s’installe à Paris en 1874, d’où il rédige le feuilleton « ver, ouvir e contar » du Jornal do Commercio, en rez-de-chaussée, et la correspondance politique112. En parallèle, il œuvre à la promotion de la culture brésilienne en France et en Europe, usant de ses relations privilégiées au sein des élites lettrées d’Europe occidentale. C’est ainsi qu’il est l’un des membres fondateurs de l’Association littéraire internationale, en 1878. De la même façon, il joue un rôle déterminant dans la célébration à Paris du Tricentenaire de la mort de Camões en 1880. L’année suivante, il lance un mensuel, Le Brésil (1881-1922), et collaborera par la suite à la rédaction de la Revue du monde latin, fondée en 1883 par Charles de Tourtolon – revue monarchiste dont il devient le rédacteur en chef en 1885 –, tout en poursuivant son activité de correspondant pour le Jornal do Commercio et quelques journaux de Londres, New York, Genève, Rome ou Paris. En 1887, il participe à la fondation de la Société internationale d’études brésiliennes, afin d’organiser des expositions des produits brésiliens, de fonder une bibliothèque publique d’ouvrages sur le Brésil et offrir des cours de portugais à Paris113. Néry prend la direction du journal L’Amérique, fondé en 1889, et préside, conjointement avec Eduardo Prado, le « Comité franco-brésilien » en charge de l’organisation de la représentation du Brésil dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris en 1889. Il dirige à cette occasion la publication d’un vaste ouvrage collectif vantant les mérites du Brésil aux visiteurs de l’exposition, et ce afin de contribuer, notamment, à l’essor de l’émigration à destination de son pays d’origine114. Soucieux comme la plupart des élites impériales du Brésil de promouvoir l’immigration afin de remplacer la main-d’œuvre servile et accélérer la mise en valeur des réserves foncières de l’immense territoire national115, il multiplie à la fin des années 1880 les actions en ce sens. Après un voyage en 1885 en Amazonie, il se voit nommer représentant en Europe de la Société d’immigration de la province du Pará, dont l’agence centrale se situe à Paris. À ce titre, il est également l’auteur en 1889 du Guide de l’émigrant au Brésil, puis il coordonne la publication de O Pará em 1900, financée par le gouverneur de l’État afin de célébrer le 4e centenaire de la découverte du Brésil.

Santa Anna Néry est l’incarnation exemplaire de ces lettrés polygraphes dont les nombreuses collaborations dans la presse, en Europe et en Amérique, ne sont qu’une facette d’un engagement protéiforme au service de la cause nationale et, ici, impériale. Il est alors considéré comme le premier promoteur des études et des savoirs sur le Brésil en Europe, comme en témoigne ce commentaire d’Affonso Celso Junior paru dans un numéro spécial du journal Gazeta da Tarde, à l’occasion de sa venue au Brésil, après 20 ans d’absence :

Le Brésil a en Europe des ministres plénipotentiaires, des chargés d’affaire, des consuls, des vice-consuls, des adjoints – un monde diplomatique, nombreux et inutile. Pourtant, son unique représentant véritable est Santa Anna Néry qui, en faisant la preuve de ses talents, a été ambassadeur de notre progrès, formant la légation de notre esprit116.

Bien qu’absent le plus souvent du Brésil, ce bref séjour lui vaut en 1882 d’être reçu en grande pompe par les élites lettrées de la capitale, et de recevoir la décoration de l’Ordre de la Rose de la main de l’empereur. Cette même année, il obtient le titre de Commandeur de l’ordre du Christ du Portugal, pour le rôle joué en faveur des intérêts du pays et son investissement dans les commémorations de 1880. Il sera également fait en France chevalier puis officier de la légion d’honneur, et recevra le titre de Baron du gouvernement du Portugal en 1891. Sa compromission en faveur de la cause monarchiste lui vaut donc la reconnaissance de l’État impérial, et sa correspondance dans le conservateur Jornal do Commercio est très appréciée des lecteurs du journal. Si son action en faveur du Brésil se prolonge après la proclamation de la République en 1889, il est toutefois accusé de complicité dans la tentative d’attentat contre le président de la république Prudente de Morais en 1897, ce qui lui vaut d’être incarcéré quelques mois. À sa libération, il retourne en France, où il meurt en 1901.

Cette compromission en faveur des intérêts de la cause impériale au Brésil est également celle d’un autre acteur incontournable du paysage médiatique brésilien. Eduardo Prado (1860-1901), né à São Paulo dans une très riche famille de caféiculteurs, va mener lui aussi une carrière transatlantique comme journaliste, directeur de journaux et propagandiste de la cause impériale, ce qui lui vaudra d’ailleurs de tisser des liens privilégiés avec Néry, en compagnie duquel il préside à l’organisation de la présence brésilienne lors de l’Exposition universelle de 1889. Diplômé en droit, sans jamais avoir exercé dans ce domaine, Eduardo Prado entame un premier voyage en Amérique du Sud et publie ses chroniques de voyage dans la Gazeta de Notícias. Après avoir fait un tour du monde en 1886, il se voit conférer des fonctions diplomatiques à Washington puis à Londres. De retour au Brésil en 1892, il s’enrôle dans la lutte contre le régime républicain en investissant une part de sa fortune dans la presse. Il devient ainsi le copropriétaire du Jornal do Commercio en 1891, racheté au comte de Villeneuve, puis il fonde le Commercio de São Paulo. À cette fin, il convainc certains de ses proches de collaborer à ses journaux. Il sollicite ainsi Ramalho Ortigão pour collaborer au Jornal do Commercio qu’il vient d’acquérir, dans une lettre datée du 24 décembre 1891, quand bien même ce dernier collabore déjà à la Gazeta de Notícias :

Comme vous devez le savoir, je suis à présent l’un des propriétaires et le représentant en Europe du vieux et grand Jornal do Commercio, institution que je vais tenter de rendre un peu plus aristocratique et d’améliorer grandement du point de vue intellectuel. Je compte beaucoup pour cela sur la coopération de mes amis du Portugal. Je sais que vous avez de bonnes relations avec la Gazeta et, quoi qu’il en soit, je n’ai pas l’intention de priver mon ami [Ferreira de] Araújo de votre collaboration par la proposition que je vous fais à présent117.

Ses liens privilégiés avec nombre d’intellectuels et hommes de lettres portugais lui permettent de recruter de nouvelles plumes pour ses journaux, parmi lesquelles on peut aussi citer Oliveira Martins ou Jaime de Séguier118. Il fut en cela « un médiateur incontournable entre les intellectuels portugais de la Génération de 70 et ses contemporains de l’autre côté de l’Atlantique119 ». Cette brillante carrière journalistique est brutalement interrompue lorsque Prado est victime de l’épidémie de fièvre jaune qui sévit à Rio de Janeiro en 1901 : il meurt à l’âge de 41 ans.

Conclusion

Au tournant des XIXe et XXe siècles, le paysage médiatique à Rio de Janeiro est dominé par les trois journaux que sont le Jornal do Commercio, la Gazeta de Notícias et le Jornal do Brazil. Malgré des histoires et des ambitions différentes, ces trois titres ont pour s’imposer usé des mêmes méthodes d’édition et de production, au nom d’une modernité qui implique des investissements techniques lourds comme le recrutement de rédacteurs nombreux et de correspondants répartis dans les principales villes d’Europe et, désormais, d’Amérique. En impulsant de tels changements dès 1875, Ferreira de Araújo a sans nul doute marqué de son empreinte ce paysage médiatique. Le choix d’arrêter ici mon étude à l’année 1900 est à cet égard symbolique, puisqu’il s’agit de l’année de décès d’Eça de Queirós, de Ferreira Araújo, avant celle de Sant Anna Néry et d’Eduardo Prado l’année suivante. Cette fin de siècle marque également un tournant dans le paysage médiatique, celui de la « transition de la petite à la grande entreprise120 ». Désormais, et sur le modèle impulsé un quart de siècle plus tôt par Ferreira de Araújo, le journal n’est plus seulement une affaire de quelques personnes aventureuses, mais le fait d’entrepreneurs ambitieux et dotés de capacités d’investissement remarquables. Les frais de fonctionnement et d’équipement sont de plus en plus élevés et expliquent la réduction remarquable du nombre de titres de la presse quotidienne au Brésil au début du XXe siècle. Si la Gazeta de Notícias conserve alors un certain prestige, le Jornal do Brasil s’impose désormais comme le principal quotidien du pays. À ce tableau s’ajoute l’évolution des pratiques journalistiques : le reflux du feuilleton fait suite à l’essor du reportage, des entrevues et à l’apparition de nouvelles rubriques, comme celles consacrées aux faits divers ou au sport121.

Les années 1875-1900 ont installé dans cette presse quotidienne brésilienne la figure du correspondant à l’étranger, laquelle s’incarne plus particulièrement à travers la collaboration d’hommes de lettres et intellectuels de renom, le plus souvent étrangers, et d’abord portugais. Leur recrutement, leur débauchage le cas échéant, sont le reflet de carrières, de trajectoires qui s’inscrivent dans l’espace atlantique, et témoignent des liens privilégiés qui persistent entre le Brésil et le Portugal dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en dépit des tensions héritées du passé colonial et entretenues à coups de polémiques122 et de tensions récurrentes, dans le contexte de l’essor inédit de l’immigration portugaise au Brésil. À une époque où le marché du livre, au Portugal comme au Brésil, est encore très étroit, et compte tenu de la difficulté à faire reconnaitre les droits d’auteur à l’international, ces collaborations rémunérées sont précieuses pour ces hommes de lettres de la « Génération de 70 » qui envisagent la presse et le livre comme des instruments privilégiés du progrès et de la « civilisation ». Ces correspondants ont en commun, et ce, quelles que soient leurs origines sociales, d’être des écrivains polygraphes, multipliant les publications afin d’assurer leur autorité dans un espace littéraire dont les frontières ne sont pas strictement calquées sur celles des nations, comme il a été ici établi. Cette nécessité de multiplier les collaborations s’inscrit dans des trajectoires de carrière compliquées, marquées par une polyactivité encore de mise pour des hommes qui s’appuient sur l’État pour assurer le bon déroulé de leur carrière123 : qu’il s’agisse de nouer des relations privilégiées avec l’empereur, de remplir des missions officielles ponctuelles ou d’entrer dans une carrière de diplomate, ces correspondants usent de leur plume pour accroître leurs revenus et la circulation de leurs œuvres, mais aussi pour influer, une fois réputation faite, sur les destinées de l’Empire puis de la République du Brésil.

(CRBC – Mondes Américains [EHESS])

Notes

1  Citons, parmi une bibliographie très riche, notamment : Ana Luiza Martins et Tânia Regina de Luca, História da imprensa no Brasil, São Paulo, Contexto, 2008 ; Marialva Barbosa, História cultural da imprensa, Brasil 1800-1900, São Paulo, Mauad, 2010.

2  Soulignons toutefois que ces travaux privilégient en général l’étude de la presse périodique sur celle de la presse quotidienne, pour laquelle il n’existe pas encore d’ouvrages dressant le tableau foisonnant et complexe de l’essor de cette presse à l’époque impériale. À défaut, soulignons que certaines pratiques journalistiques, comme l’écriture de chroniques, ont été l’objet de nombreux travaux. La bibliographie sur le genre de la chronique au Brésil est très riche. Citons en particulier : A Crônica : o gênero, sua fixação e suas transformações no Brasil, Campinas/Rio de Janeiro, Ed. Unicamp/Fundação Casa de Rui Barbosa, 1992. Voir également les travaux de Lucia Granja sur la question, parmi lesquels : « Crônica. Chronique. Crónica. » Revista da ANPOLL (Online), vol. 1, p. 86-100, 2015.

3  Voir, à ce sujet : Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant [dir.], La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde Éditions, 2011.

4  Consultables via le lien suivant : http://bndigital.bn.br/hemeroteca-digital/.

5  Christophe Charle, « Le temps des hommes doubles », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n° 39, janvier-mars 1992, p. 62-75.

6  André Caparelli , « “On nous écrit de Rio…” : les frontières transnationales du système médiatique de la presse au XIXe siècle. », Relations internationales 1/2013 (n° 153), p. 11-22.

7  L’essor de la presse doit beaucoup au régime de liberté de la presse, instauré au Portugal comme au Brésil en août 1821. Celui-ci est entériné par la constitution de 1824, titre 8, art. 179. L’exercice de cette liberté est toutefois conditionné au respect des institutions impériales et du catholicisme, religion d’État.

8  Marco Morel, As transformações dos espaços públicos. Imprensa, atores políticos e sociabilidades na Cidade Imperial (1820-1840), São Paulo, Hucitec, 2005.

9  Lúcia Maria Paschoal Guimarães, « Debaixo da imediata proteção de Sua Majestade Imperial : o Instituto Histórico e Geográfico (1838-1889) », Revista do IHGB, volume 156, 1995, p. 459-613.

10  Pour de plus amples détails sur l’histoire de ce journal depuis sa fondation jusqu’au XXe siècle, voir : Carlos Eduardo leal, « Gazeta de Notícias », in Alzira Alves de Abreu (dir.), Dicionário histórico-biográfico da Primeira República (1889-1930), Rio de Janeiro, Editoria CPDOC, 2015.  

11  Dans le « Prospectus » paru en 1875, il est fait explicitement référence à deux titres de la presse quotidienne : le Diário de noticias de Lisbonne et Le Petit Journal de Paris.

12  Cette neutralité semble toute relative. Elle signifie ici que le journal ne jouait le jeu d’aucun parti de façon explicite. Toutefois, la Gazeta de Notícias s’engage dès sa fondation en faveur de l’abolition de l’esclavage, comme elle promeut les idées républicaines, quelques années après la publication du Manifeste républicain (1870). À l’occasion du vingtième anniversaire du journal, dans un article intitulé « Vingt ans », il est dit que, « au temps de la monarchie, la Gazeta n’était pas seulement républicaine : elle était socialiste et anarchiste », des propos teintés ici d’ironie pour moquer la violence de l’hostilité politique que de telles convictions républicaines ont pu susciter dans la classe politique de la capitale (Gazeta de Notícias, 2 août 1895, n° 214, p. 1).

13  Ferreira de Araujo, « Presse », in Le Brésil en 1889, avec une carte de l'empire en chromolithographie, des tableaux statistiques, des graphiques et des cartes. Ouvrage publié par les soins du syndicat du Comité franco-brésilien pour l'Exposition universelle de Paris avec la collaboration de nombreux écrivains du Brésil sous la direction de m. F.-J. de Santa-Anna Nery, Paris, Delagrave, 1889, p. 512.

14  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, Rio de Janeiro, Mauad, 1999 (4ème éd. augmentée), p. 233.

15  Voir à ce sujet : Márcia Amantino, « As condições físicas e de saúde dos escravos fugitivos anunciados no Jornal do Commercio (RJ) em 1850 », História, Ciências, Saúde – Manguinhos, vol. 14, n° 4, p. 1377-1399, oct.-déc. 2007.

16  Dans les années 1890, l’abonnement à la Gazeta de Notícias s’accompagne pour le lecteur de nombreux cadeaux, parmi lesquels un almanach, des romans à choisir parmi les auteurs les plus célèbres publiés en feuilletons dans le journal, etc.

17  Ferreira de Araujo, « Presse », in Le Brésil en 1889, op. cit., p. 513.

18  La succursale de l’entreprise Marinoni à Paris, sise rue de Vaugirard, publie à plusieurs reprises en 1878, dans la Gazeta de Notícias et d’autres titres de la presse quotidienne, des annonces afin de vanter les mérites de ses rotatives. C’est là une façon d’encourager la concurrence à investir dans la modernisation de leur équipement et ainsi répondre à la puissance nouvelle acquise par la Gazeta de Notícias dans le paysage médiatique carioca.  

19  Gazeta de Notícias, 28 mars 1879, p. 1.

20  La liste des invités présents lors de l’inauguration est reproduite dans le journal en date du 22 août 1879, dans un article intitulé « L’inauguration de notre machine ». Luiz de Castro est présent pour le compte du Jornal do Commercio. Des hommes de lettres, parmi lesquels Quintino Bocaiúva et Joaquim Nabuco, sont également conviés.

21  Gazeta de Notícias, 20 et 21 août 1879, n° 228-229, p. 1. L’article du numéro 229 détaille le procédé technique d’impression et liste l’ensemble des journaux qui ont investi dans de telles rotatives en Europe. Seuls le Daily News aux États-Unis et la Gazeta de Notícias possèdent alors un tel équipement hors du continent européen.

22  Le premier recensement au Brésil, en 1872, fait état d’un taux d’alphabétisation de 18% parmi la population libre du pays. Cependant, ce taux atteint près de 50% à Rio de Janeiro, et on observe des taux également plus élevés dans les principales capitales de province.

23  Dès le prospectus qui paraît en 1875, les rédacteurs citent les tirages de quelques journaux de référence, comme le Diário de noticias de Lisbonne ou Le Petit journal à Paris, lequel tire alors à 100 000 exemplaires. Et les rédacteurs de conclure cette brève d’une interrogation : « Combien d’exemplaires la Gazeta de Notícias réussira-t-elle à tirer ? »

24  On le voit, « l’empire » exercé par cette presse dite « populaire » au Brésil est sans commune mesure avec celui de la presse quotidienne en France, en Angleterre et même aux États-Unis à la fin du XIXe siècle.

25  En voici un exemple : les variations du taux de change obligent Ferreira de Araújo à réduire de moitié les coûts de la correspondance en Europe en 1892 : dans une lettre datée du 26 juillet 1892, Eça de Queirós informe son ami Batalha Reis de la nouvelle, expliquant que lui et Domício da Gama ont consenti à cette réduction « provisoire », car « les temps sont durs » et que ces revenus leur sont très précieux (lettre citée par Elza Miné, Páginas Flutuantes. Eça de Queirós  e o jornalismo do século XIX, São Paulo, Ateliê Editorial, 2000, p. 66-67).

26  Ferreira de Araujo, « Presse », in Le Brésil en 1889, op. cit., p. 517.

27  D’autant plus que l’ouvrage collectif est rédigé sous la direction de Santa Anna Néry, longtemps correspondant du Jornal do Commercio à Paris, lequel était encore dans les années 1880 le principal concurrent de la Gazeta de Notícias.

28  Ibid., p. 509.

29  José do Patrocínio, « Ferreira de Araujo », Cidade do Rio, 2 août 1888, n° 172, p. 1. Il est à noter que le journal publie alors en feuilleton le roman Os Maias d’Eça de Queirós.

30  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, op. cit., p. 251.

31  Le prix de vente du journal au numéro était de 100 réis, soit plus du double de celui de la Gazeta de Notícias.

32  Pour une histoire détaillée de ce journal, voir l’article en ligne de Bruno Brasil : http://bndigital.bn.br/artigos/jornal-do-commercio-rio-de-janeiro/

33  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, op. cit., p. 212.

34  Marieta de Morais Ferreira, « Jornal do Brasil », in Alzira Alves de Abreu (dir.), Dicionário histórico-biográfico da Primeira República (1889-1930),op. cit.

35  « Aos nossos assignantes », Correio mercantil, e instructivo, politico, universal, 2 janvier 1888, p. 1. Dans ce numéro, la longue correspondance de Lisbonne, anonyme, occupe près de la moitié des quatre pages que compte le journal.

36  Les premières occupent le plus souvent une place plus grande dans les colonnes du journal, compte tenu de la réception plus épisodique des correspondances particulières.  

37  Santa Anna Néry, « Postes, télégraphes et téléphones », in Le Brésil en 1889, op. cit., p. 470-471.

38  Rhoda Desbordes-Vela, « L'information internationale en Amérique du Sud : les agences et les réseaux, circa 1874-1919 », Le Temps des médias, 2013/1 (n° 20), p. 129-130.

39  Rhoda Desbordes, Transnationales de l’Information et le Nouveau Monde : quelques aspects de la présence des agences internationales d’information en Amérique du Sud, 1874-1919, thèse de doctorat de l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle, 2006.

40  Pierre Frederix, La chasse aux nouvelles : de l’agence d’information Havas à l’Agence France-Presse, Paris, Flammarion, 1959.

41  Informations tirées de : Camille Laville, « Les correspondants étrangers de l'Agence France Presse sous une double contrainte étatique. », Relations internationales 1/2013 (n°153), p. 83-93.

42  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, op. cit., p. 215.

43  Ferreira de Araujo, « Presse », in Le Brésil en 1889, op. cit., p. 517.

44  Ces correspondances peuvent revêtir une ampleur remarquable, comme celle écrite depuis Paris et datée du 1er juin 1881, laquelle traite non seulement des actualités en France, mais aussi au Portugal, en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Turquie. Un sommaire vient égrener le long programme de cette correspondance intitulée « Europe. France (de notre correspondant) », laquelle se divise en chapitres, répartis par pays. (Gazeta de Notícias, 23 juillet 1881, n° 196, p. 1-2.)

45  Cité par Beatriz Berrini dans : Brasil e Portugal : a geração de 70, Porto, Campo das letras, 2003, p. 200.

46  Mariano Pina offrait en ouverture à ces longues chroniques dans la Gazeta de Notícias un résumé dont le contenu illustre le caractère éclectique du contenu. En voici un exemple : « Sommaire : le Roi d’Espagne à Paris, la démission du ministre de la guerre et les plans de M. Ferry, L’alliance entre l’Allemagne et l’Espagne, Ce que Bismarck compte faire du Portugal, tout ce que les Portugais doivent faire, l’exposition horticole, les femmes et les fleurs, les hommes et les légumes, Brillat Savarin et ses aphorismes, La Place et les fraises, Berchoux et la gastronomie, Légumes et fruits, Une poire qui mérite une statue, etc. »

47  Jornal do Brazil, 1er janvier 1901, p. 1.

48  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, op. cit., p. 257.

49  A Notícia, 13 octobre 1897, n° 235, p. 1.

50  Nous l’avons vu, ce travail est souvent le fait d’une seule et même personne, comme en témoigne l’exemple cité de Mariano Pina, correspondant à Paris de la Gazeta de Notícias.

51  Ces lettres seront publiées en un volume l’année suivante, sous le titre A Inglaterra de Hoje, et destiné d’abord aux lecteurs de Rio de Janeiro : Oliveira Martins, A Inglaterra de Hoje (cartas de um viajante), Lisboa, Livraria de Antonio Maria Pereira, 1893. L’intérêt d’un tel ouvrage était de profiter de la réputation de l’auteur outre-Atlantique pour accroître les revenus tirés de ses collaborations multiples dans la presse brésilienne.

52  Pascal Durand et Anthony Glinoer, Naissance de l’éditeur. L’édition à l’âge romantique, Paris/Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2008, 2e éd. Voir également, pour le Brésil : Sébastien Rozeaux, La genèse d’un « grand monument national » : littérature et milieu littéraire au Brésil à l’époque impériale (1822-c.1880), thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Jean-François Chanet et Olivier Compagnon, Université Lille III, 2012.

53  Cela peut être le cas lorsque des charges officielles semblent incompatibles avec une prise de parole engagée dans la presse. Ainsi le baron de Rio Branco devient-il un correspondant secret du Jornal do Brazil à partir de 1891 ; une prise de parole dans un journal ouvertement monarchiste que ce représentant de la République du Brésil à Paris ne peut reconnaître publiquement.

54  António Machado Pires, A Ideia de decadência na Geração de 70, Lisboa, Vega, 1992.

55  Beatriz Berrini, Brasil e Portugal : a geração de 70, Porto, Campo das letras, 2003.

56  Cité par : ibid., p. 120. Et Eça de Queirós de préciser : « Cette idée est anglaise : c’est-à-dire, les écrivains anglais usent dans les Magazines et les Revues de ces tromperies de prose, entre l’Angleterre et l’Amérique. Et c’est considéré comme un moyen très pratique. »

57  Gazeta de Notícias, 3 janvier 1893, p. 1.

58  Gazeta de Notícias, 6 janvier 1894, n °6, p. 1.

59  Gazeta de Notícias, 4 décembre 1897, n° 338, p. 1.

60  João Carlos Zan, Ramalho Ortigão e o Brasil, Thèse de lettres, Université de São Paulo, 2009.

61  La première lettre paraît dans le journal en date du 19 septembre 1883.

62 Cidade do Rio, 22 octobre 1887, n° 25, p. 1. Ce quotidien de quatre pages, vendu au prix de 40 réis le numéro, est fondé en 1887 et propose le plus souvent deux éditions quotidiennes. Il publie également les télégrammes de ses correspondants ainsi que ceux de l’agence Havas.

63  Pour une analyse du contenu et de la prose journalistique d’Eça de Queirós, voir : Elza Miné, Eça de Queirós jornalista, Lisbonne, Livros Horizonte, 1986. L’ensemble de ces textes ont été réédités dans le 4e volume des Textos de Imprensa, par Elza Miné et Neuma Cavalcante, Lisbonne, Imprensa nacional-Casa da moeda, 2002.

64  Gazeta de Notícias, 24 juillet 1880, p. 1.

65  Lucia Maria Bastos P. Neves et Tânia Bessone, « Pirataria literária : a questão da autoria entre Brasil e Portugal no século XIX. », in Lucia Maria Paschoal Guimarães (org.), Afinidades atlânticas. Impasses, quimeras e confluências nas relações luso-brasileiras, Rio de Janeiro, Faperj, 2009, p. 13-55.

66  Mariano Pina, « Correio de França », Gazeta de Notícias, 12 avril 1884, n° 103, p. 1-2.

67  « Anno novo », Gazeta de Notícias, 11 décembre 1885, n° 345, p. 1.

68  Juliana Bonilha, Eça de Queirós e a Gazeta de Notícias : Supplemento literário 1892, Jundiaí, Paco editorial, 2015.

69  Ces éléments biographiques sont tirés de : Inocêncio Francisco da Silva, Dicionário bibliográphico português, Lisbonne, Imprensa nacional, 1884, tome 12, p. 125-126. Voir également la biographie que lui consacre l’historien Sérgio Campos Matos : http://cvc.instituto-camoes.pt/seculo-xix/oliveira-martins.html - .VmV5RPnJyM8

70  Gazeta de Notícias, 25 août 1894, n° 236, p. 1.

71  Une charge assumée pour l’année 1892 par Rodrigues de Freitas (1840-1896), enseignant et journaliste de grande renommée au Portugal. Il fut également un temps député républicain.

72  Inocêncio Francisco da Silva, Dicionário bibliográphico português, op. cit., tome XVIII, p. 53.

73  Quotidien fondé à Porto en 1868. Son titre fait ici référence à l’épisode de la « révolte de la Janeirinha » qui débute le 1er janvier 1868. Il s’agit d’un mouvement de protestation qui précipite la chute du gouvernement en place le 4 janvier. Le journal compta dans les années 1870-1880 avec la collaboration de lettrés portugais parmi les plus réputés, dont Guilherme de Azevedo, Ramalho Ortigão, Oliveira Martins, Eça de Queirós, Guerra Junqueiro ou encore Antero de Quental.

74  Chroniques rééditées sous la direction d’António Dias Miguel : Guilherme de Azevedo, Crónicas de Paris (1880-1882), Lisbonne, Imprensa nacional-Casa da moeda, 2000.

75  Lino da Assunção (1844-1902), né à Lisbonne, est formé en lettres et en ingénierie. Il gagne ensuite le Brésil, où il travaille dans l’édition et le commerce du livre. Insatisfait, il quitte Rio de Janeiro pour Paris, puis Lisbonne, où il travaille comme journaliste et à la direction de la Bibliothèque nationale. Dramaturge, publiciste, archiviste et historien, Lino da Assunção a collaboré à de nombreuses revues littéraires. En 1896, son nom est cité dans la liste des correspondants du journal à l’étranger.

76  Gazeta de Notícias, 3 mai 1882, p. 1.

77  Gazeta de Notícias, 5 mai 1882, p. 2.

78  Inocêncio Francisco da Silva, Dicionário bibliográphico português, op. cit., tome 16, p. 350. 

79  Notons toutefois que certaines de ses chroniques portant sur les questions d’éducation ou de la place des femmes dans la société étaient publiées sous le pseudonyme de « Valentina de Sucena ».

80  Gazeta de Notícias, 29 janvier 1892, p. 1.

81  Gazeta de Notícias, 10 février 1887, n° 41, p. 3

82  Gazeta de Notícias, 6 août 1888, p. 1.

83  Jornal do Brasil, 20 mai 1891, p. 1.

84  Edmondo de Amicis, Le Livre Cœur, Paris, Rue d’Ulm Ed., 2004.

85  « A educação nacional », Jornal do Brazil, 26 octobre 1891, n° 201, p. 1.

86  Il semble toutefois que cette collaboration s’interrompe à la fin de l’année 1892.

87  Adriana Marcolini, « Relatos de viagem italianos sobre o Brasil: Massimo Bontempelli e Alessandro d`Atri », Revista de italianistica, [S.l.], n° 9, p. 75-82, déc. 2004.

88  A. d'Atri et C. Parlagreco, La stampa italiana nel Brasile, Napoli, G. Cetrangolo, 1893.

89  Voir, à ce sujet : Laurent Vidal, Tânia Regina de Luca (dir.), Les Français au Brésil, XIX-XXe siècles, Paris, Indes Savantes, 2010.

90  Cité par Elza Miné dans : « Ferreira de Araújo, ponte entre o Brasil e Portugal », Via Atlântica, n° 8, déc. 2005, p. 222.

91  Tereza Cristina Nascimento França, Self made nation : Domício da Gama e o pragmatismo do bom senso, Thèse en relations internationales, Université de Brasília, 2007.

92  Tereza Cristina Nascimento França, Self Made Nation : Domício da Gama e o pragmatismo do bom senso, Tese em história das relações internacionais do Brasil, Université de Brasília, 2007, p. 24.

93  Alberto Venâncio Filho, « Domício da Gama », in Alzira Alves de Abreu (dir.), Dicionário histórico-biográfico da Primeira República (1889-1930), op. cit.

94  Gazeta de Notícias, 22 mai 1888, p. 1.

95  Gazeta de Notícias, 23 novembre 1888, p. 1.

96  Proche d’Eça de Queirós, il publie alors de nombreuses œuvres littéraires et collabore à des revues brésiliennes depuis Paris, parmi lesquelles Revista Brasileira ou Illustração brasileira. Il rejoint le baron lorsque celui-ci est nommé ministre des affaires étrangères à Rio de Janeiro, avant de gagner quatre années plus tard le Pérou en qualité de ministre diplomate, poste qu’il occupera par la suite également en Argentine et aux États-Unis, avant d’être nommé ministre des affaires étrangères en 1918. Il termine sa carrière de diplomate à Londres, et meurt en 1925.

97  Gazeta de Notícias, 14 juillet 1893, p. 1.

98  Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) est un économiste français de renom, ayant mené partie de ses études en Allemagne. Il reste célèbre pour avoir été l’un des principaux théoriciens du discours colonialiste sous la 3ème République.

99  Émile de Lavaleye (1822-1892) est un économiste belge, ayant mené ses études à Paris, puis à l’université catholique de Louvain. Intellectuel réputé, il publie ses travaux dans de nombreux livres et revues comme la Revue des deux mondes.

100  Andres Franz Wilhelm Schimper (1856-1901) est un botaniste né à Strasbourg. Professeur à Bonn puis à Bâle, il mène de nombreuses expéditions scientifiques de par le monde. 

101  Lettre reproduite dans : Beatriz Berrini, Brasil e Portugal : a geração de 70, op. cit., p. 296.

102  Sa nomination au consulat de Newcastle, contemporaine de celle d’Eça de Queirós à Bristol, fait l’objet d’une brève publiée dans la correspondance du Portugal, dans le journal du 20 juillet 1883.

103  « Supplemento litterario », Gazeta de Notícias, 27 septembre 1891, n° 270, p. 1.

104  Jaime Batalha Reis, né en 1847 dans une famille bourgeoise de Lisbonne, mène des études d’agronomie. Il se lie très jeune d’amitié avec Eça de Queirós à Lisbonne et intègre le cercle lettré de la « génération de 1870 », tout en travaillant dans le secteur de la viniculture. Il a une carrière compliquée, marquée par de nombreux rebondissements, dont une tentative dans l’enseignement au Brésil, après laquelle il se décide à retourner à Lisbonne, où il renoue avec ses nombreuses sociabilités littéraires et ses sympathies socialistes. Il obtient alors une charge d’enseignement au sein de l’Institut général d’agriculture et devient membre de la Société de géographie de Lisbonne. Informations biographiques tirées de la notice rédigée par Maria José Marinho : http://cvc.instituto-camoes.pt/seculo-xix/jaime-batalha-reis.html - .VmWxEPnJyM8.

105  Gazeta de Notícias, 2 mars 1880, n° 61, p. 1.

106  Avant son départ pour Paris en juin 1882, Mariano Pina collabore au Jornal do domingo, hebdomadaire illustré dont la direction littéraire est assurée par Manuel Joaquim Pinheiro Chagas. Il est à noter que l’écrivain, journaliste et diplomate portugais Jayme de Séguier (1860-1932) compte parmi les collaborateurs de cette revue littéraire illustrée, au côté d’un autre (futur) correspondant de la presse brésilienne à Paris, Monteiro Ramalho (1862-1949).  

107  Lettre reproduite dans : Beatriz Berrini, Brasil e Portugal : a geração de 70, op. cit., p. 111. Lettre de Mariano Pina du 3 mars 1885 adressée depuis Paris à Oliveira Martins.

108  Sur les relations complexes entre ces deux titres de la presse, voir : Tania Regina de Luca, « A Illustração (1884-1892) : algumas questões teórico-metodológicas », in Márcia Abreu et Marisa Midori Deaecto, A Circulação transatlântica dos impressos : conexões, Campinas/São Paulo, Unicamp/IEL, 2014, p. 167-174.

109  João Paulo Jeannine Andrade Carneiro, O último propagandista do Império : o « barão » de Santa-Anna Néry (1848-1901) e a divulgação do Brasil na Europa, thèse de géographie humaine, Université de São Paulo, 2013.

110  Les Villeneuve sont propriétaires de ce journal depuis 1834. Júlio Constâncio de Villeneuve est un diplomate très proche de la famille impériale, qui l’élève au rang de comte. Il cède ses parts du journal à José Carlos Rodrigues et ses 27 associés, qui rachètent le journal pour la somme de 3.500 contos de réis en 1890, lequel fut pendant de nombreuses années correspondant de ce journal aux États-Unis puis à Londres.

111  Signalons que, dès 1871, Néry dirige la rédaction du journal Speranza à Rome, tout en étant le correspondant en Italie du journal La République française de Gambetta – en dépit de ses convictions monarchistes et catholiques.

112  Le feuilleton écrit à Paris le 9 novembre 1879 porte le numéro CVIII, ce qui témoigne de la régularité et de la fréquence soutenue de ces feuilletons parisiens publiés dans le Jornal do Commercio, ici en date du 5 décembre 1879.

113  Il collabore régulièrement à de nombreux titres de la presse française, comme l’Événement, l’Echo de Paris, l’Opinion, le Figaro, dans lesquels il publie des articles sur le Brésil.

114  Le Brésil en 1889, op. cit.

115  À ce propos, voir : Sébastien Rozeaux, « Les horizons troubles de la politique de ‘colonisation’ au Brésil au XIXe siècle : réflexions sur la construction de la nation brésilienne à travers le prisme de la question migratoire (1850-1889) », in « Populations et territoires du Brésil », Espace, populations, sociétés, 2-3/2014.

116  Gazeta da Tarde, 18 août 1882, p. 1.

117  Lettre reproduite dans : Beatriz Berrini, Brasil e Portugal : a geração de 70, op. cit., p. 269.

118  Séguier devient une plume célèbre du Jornal do Commercio, lorsqu’il remplace Santa Anna Néry pour rédiger le feuilleton « voir, entendre et raconter », à partir de 1888.

119  Informations biographiques et citation extraites de Beatriz Berrini, Brasil e Portugal : a geração de 70, op. cit.,, p. 204.

120  Nelson Werneck Sodré, História da imprensa no Brasil, op. cit., p. 275.

121  Ibid., p. 296.

122  Voir, par exemple : Sébastien Rozeaux, « Réceptions croisées du Cancioneiro alegre de poetas portuguezes e brazileiros (1879) de Camilo Castelo Branco : la formation d’un espace littéraire luso-brésilien sous tension », Amnis. Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques, n° 14, 2015, mis en ligne le 15 juillet 2015.

123  Pour une analyse socio-historique détaillée de ce milieu littéraire brésilien en formation, voir : Sébastien Rozeaux, La genèse d’un « grand monument national » : littérature et milieu littéraire au Brésil à l’époque impériale (1822 – c.1880), op. cit.

Pour citer ce document

Sébastien Rozeaux, « Être correspondant de la presse brésilienne en Europe : anatomie sociale et circulations d’un nouvel acteur du paysage médiatique dans l’espace atlantique (1875-1900) », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/etre-correspondant-de-la-presse-bresilienne-en-europe-anatomie-sociale-et-circulations-dun-nouvel-acteur-du-paysage-mediatique-dans-lespace-atlantique-1875-1900