Les journalistes : identités et modernités

Quelques idées sur le rôle de la presse au Mexique durant la première moitié du XIXe siècle

Table des matières

JAVIER RODRÍGUEZ PIÑA

Au cours des dix premières années qui suivirent l’indépendance du Mexique en 1821, surgit une volonté de développer une presse qui peu à peu essaya de se libérer du contrôle et de la censure exercés par les colonisateurs espagnols qui imposèrent leurs lois durant une période de trois siècles. Dans ce contexte qui unit le désir d’obtenir des bénéfices par la publication de journaux, mais surtout de convertir la presse en un instrument servant les divers groupes politiques et aussi en un moyen efficace destiné à « l’éducation et au progrès du peuple mexicain », ce qui serait le reflet de la modernité du pays. Graduellement, un débat surgit au sujet du rôle que devrait assumer le journalisme au sein de la société mexicaine. Des journaux tels que El Siglo Diez y Nueve ou El Universal alimentent cette discussion au cœur des années quarante, période qui enserre la confrontation des courants idéologiques libéraux et conservateurs. Cet article traitera de ce débat au sujet du rôle que doit assumer la presse dans la société mexicaine.

Contrairement à ce qui arriva dans certains pays d’Europe, la presse au Mexique, considérée comme moyen de communication pour la population lettrée, dut attendre les premières dix années du XIXe siècle pour pouvoir se développer, car ce ne fut qu’à ce moment-là que fut approuvée la liberté de presse qui avait été niée par le régime colonial jusqu’au dernier moment de son existence. S’il est vrai que la législation proposée par les Tribunaux espagnols de la ville de Cadiz après l’invasion de l’Espagne par l’armée de Napoléon en 1812 permit de jouir de cette liberté durant une courte période de deux mois en Nouvelle Espagne (d’octobre à décembre 1812), en effet, les fonctionnaires locaux craignirent que n’éclatent des critiques acerbes contre le pouvoir colonial et mirent de nouveau en place la censure qui avait existé depuis le début de l’époque coloniale. Lorsque fut rétablie la Constitution de Cadiz en 1820, la société mexicaine se composait de quasiment 90% d’analphabètes et le nombre de lecteurs était insignifiant. Les éditeurs de journaux se préparaient à exercer cette liberté de presse lorsque survint de nouveau le décret de censure et ce ne fut qu’en septembre 1821, à la déclaration de l’Indépendance, que cette liberté de presse fut revendiquée comme droit fondamental, bien qu’il fut rempli de contradictions.

Une fois instaurée l’indépendance du Mexique, la liberté d’expression et la liberté de presse furent formellement préconisées dans la déclaration des droits fondamentaux. La première Constitution de la nation fut ratifiée en 1824 et déclara que se conserverait de façon inconditionnelle la liberté de presse sur tout le territoire, octroyant protection aux citoyens afin qu’ils puissent écrire, imprimer et publier leurs idées politiques sans que soit exigée l’obtention d’une licence, sans révision ou approbation préalables. Cette situation prévalut durant plusieurs décades. Cependant, ceux qui s’opposaient à l’exercice de ces libertés commencèrent à imposer des restrictions par le biais de règlements, décrets et factions d’oppositions, maintes fois contradictoires. Finalement, ces groupes réussirent à limiter la liberté d’expression exercée par la presse et interdirent que les journaux traitent de questions politiques qui risqueraient de les incommoder.

À cette situation s’ajouta le fait que, jusqu’à la moitié du XIXe siècle et même au-delà, se trouvèrent au pouvoir une succession de gouvernements faibles qui facilitèrent l’apparition de luttes entre les factions politiques ainsi que des conflits entre nations qui, en 1836, éclatèrent avec le Texas, puis avec la France entre 1838 et 1839 et avec les États-Unis entre 1846 et 1848, conflits qui eurent comme résultat la perte de plus de la moitié du territoire mexicain. Ces événements produisirent une instabilité constante et créèrent des conditions peu favorables au développement de projets culturels en accord avec l’époque. Toutefois, et de façon paradoxale, les facteurs limitants ne représentèrent pas un obstacle suffisant pour qu’au sein de la haute société et des classes moyennes ne surgissent malgré tout des impulsions et des mouvements de modernisation pour essayer de construire une nation au niveau des pays considérés en voie de progression.

Le cas de la presse est un exemple qui illustre cette situation. Il y eut des journaux qui revendiquèrent leur travail dans des conditions de liberté totale en dépit des décrets qui exercèrent des restrictions et créèrent des conditions difficiles pour l’imprimerie de quotidiens, comme l’indiquent les informations que nous possédons, et qui concernent la période comprise entre 1822 et 1855. Il existait au moins 60 journaux qui purent se maintenir à flot durant un certain temps, puis 59 disparurent rapidement, sans compter l’existence de 200 revues et publications périodiques de tout genre.

Pour beaucoup, le développement de la presse était le miroir des conditions qui régnaient dans le pays en ce qui concerne l’exercice de la liberté, de même que cette presse était un échantillon du progrès et de la modernité du pays. En plus de ces aspirations, les journaux, ainsi que l’art de l’imprimerie, devinrent peu à peu une activité économique suffisamment rentable pour que certaines personnes soient disposées à investir leur argent et leurs espoirs dans ce négoce. Des personnalités reconnues telles que Mariano Galván Rivera, José Mariano Fernández de Lara, Ignacio Cumplido, Rafael de Rafael, Vicente García Torres, parmi bien d’autres, furent les fondateurs de journaux comme El Monitor Constitucional, El Monitor Republicano, El Republicano, El Tiempo, El Siglo Diez y Nueve, El Universal, qui dans le courant des années quarante, occupèrent les rangs de quotidiens rentables dans la ville de Mexico, capables de se maintenir à flot et de devenir un succès financier en dépit des conditions d’incertitude qui prévalaient dans le pays.

Ces personnalités furent non seulement les promoteurs de la presse comme telle, c’est-à-dire en qualité d’éditeurs de journaux, mais aussi comme chefs d’entreprise qui étaient attentifs à l’évolution des technologies de l’imprimerie et qui certainement étaient très intéressés à pouvoir diversifier leurs activités en se consacrant également à l’édition de livres, de feuillets et de matériels illustrés de tout genre. Ils furent aussi écrivains, rédacteurs, promoteurs de la culture et, pour la plupart d’entre eux, membres de groupes politiques qui participaient activement aux affaires du pays et qui, par leurs travaux, faisaient partie d’une société qui s’ouvrait un passage vers la prospérité en dépit des adversités. Ils essayaient de profiter des possibilités offertes dans le cercle du pouvoir pour exprimer leurs convictions politiques et idéologiques.

Depuis sa création, la presse avait pu survivre grâce aux subventions octroyées par les gouvernements successifs arrivés au pouvoir, qui furent aidés par les journaux appelés « ministériels », répondant fidèlement à leur volonté de pouvoir et s’attachant à créer une opinion favorable auprès de la population. Plus tard, bien que cette pratique ne disparût pas complètement, il advint que certains quotidiens se montrèrent plus favorables aux divers groupes politiques luttant pour arriver au pouvoir, ou alors que le favoritisme envers un certain journal venait du pouvoir lui-même. Les groupes les plus dynamiques considéraient la presse comme moyen plus adéquat pour la publication de livres. Toutefois, si l’on observe la pratique, la plupart des gouvernements qui souhaitaient faire connaître leurs projets et idéologies politiques utilisèrent la presse comme un forum de lutte pour influencer l’opinion publique. Ce fut là leurs objectifs principaux.

C’est ainsi qu’au cours des premières années qui suivirent l’Indépendance surgirent des journaux qui s’identifiaient pleinement aux factions politiques qui se formèrent : durant les premières années de gouvernement du Mexique indépendant, l’arène politique fut en proie aux luttes constantes des républicains contre les monarchistes, et plus tard des fédéralistes contre les centralistes. Finalement, à partir des années quarante, les libéraux luttèrent contre les conservateurs et cette rivalité perdura jusqu’en 1861. C’est ainsi que le décrivit dans sa critique de la politique le journal libéral El Monitor Constitucional en 1845 :

Malheureusement dans ce pays, comme dans beaucoup d’autres, la presse s’est mise au service des partis politiques, n’a été impartiale que dans de rares occasions et n’a jamais accompli son objet d’être le véhicule d’un franc débat pour aider les intérêts du pays. Indubitablement, ce mal provient du fait que nous n’avons pas de vrais partis politiques, uniquement des factions gouvernées par le seul objet de leurs intérêts particuliers. Nous le voyons aujourd’hui : certains énergumènes politiques se récrient contre le gouvernement non pas par patriotisme ni par conviction, seulement parce qu’ils ne sont pas à la tête du pouvoir. S’ils proclament le triomphe de certains principes, ce n’est pas parce qu’ils sont convaincus que le pays est en progression, mais bien parce que la supposée défense de ces principes aidera leurs ambitions1.

S’il est vrai que la presse fut toujours liée à ces factions politiques, indépendamment de son adhésion à l’une d’elle, elle se proposa de jouer un rôle moralisateur de la société mexicaine et essaya de déterminer son rôle au sein de cette société. Selon l’expression même des rédacteurs, il s’agissait de distraire et d’amuser, mais surtout d’éduquer, d’instruire et d’illustrer la société, traduisant les connaissances les plus sophistiquées en une forme de vulgarisation accessible à la communauté. C’est ce que souligne le journal libéral El Siglo Diez y Nueve, en 1843 :

Un des véhicules les plus efficaces de l’éducation du peuple, qui forme l’esprit public, est sans aucun doute la lecture des journaux. Dans leurs pages se déroule sous les yeux du lecteur la vérité sans être enveloppée d’abstractions et d’obstacles qui font trébucher le lecteur partant à la recherche de vérité lorsqu’il lit les ouvrages des philosophes. La vérité se présente dans une forme simple et dépouillée pour servir de nourriture à la raison du peuple, dédaignant les méthodes qui ne mènent pas à cette fin. Les connaissances se généralisent insensiblement, l’exercice de la réflexion en est rendu plus facile, la vie de l’esprit se prépare et se consolide, tandis que les hauts desseins de la nature demeurent en inaction chez un grand nombre d’hommes politiques2.

Un journal El Universal appartenant à l’opposition conservatrice exprime cette idée d’une autre manière dans sa publication de novembre 1848 :

L’objet d’un bon journal ne peut être autre que la recherche de l’amélioration et de la perfection vers laquelle tendent tous les hommes. L’amélioration et la perfection qu’il ne leur est pas permis d’atteindre seuls, faute de moyens adéquats. Pour que leur acquisition soit certaine, elle dépend essentiellement du choix de leur journal, qui dans l’ordre physique et moral des choses, est facilement trompé par le faux brillant du clinquant avec lequel se parent la nouveauté et l’habileté3.

En d’autres termes, il s’agissait de faire progresser le peuple, pour le moins celui qui pouvait avoir accès à la compréhension des journaux, qui était plus nombreux que ceux qui les achetaient, et par ce moyen, tenter d’aider au développement du pays, afin qu’il prenne part à l’aspiration de modernité que les hautes classes de la société imaginaient qu’il pourrait atteindre le plus vite possible, comme l’affirme le journal El Siglo Diez y Nueve au moment de sa mise en circulation :

Sans conteste, [en parlant des journaux] c’est le meilleur usage qui puisse leur être donné de répandre l’éducation. La commodité avec laquelle ils se lisent, leur prix accessible, l’agrément qu’apporte leur lecture sont des attraits pour les personnes qui aiment l’étude et offre un remède contre la paresse, l’avarice et l’oisiveté. Lire une page du journal ne procure pas d’ennui comme le ferait une œuvre de nombreuses pages. Il n’est pas nécessaire d’investir de fortes sommes d’argent pour les acquérir, que seule la pauvreté l’interdise ou que l’avarice refuse d’en faire la dépense. Bref, les journaux attisent la curiosité, et bien qu’on ne les lise que pour se distraire, on en tirera quelques profits, en sorte qu’on pourrait même affirmer qu’ils instruisent à l’insu de ceux qui les lisent. Certainement les journaux sont le meilleur thermomètre pour mesurer le degré d’éducation d’un peuple et les progrès atteints par la civilisation4.

On a même pensé que grâce à la lecture des journaux, le progrès pourrait atteindre aussi les femmes, car la lecture les mettrait dans une meilleure disposition envers leurs maris et leurs familles, comme le signalait le quotidien El Siglo Diez y Nueve (avec une certaine incongruité politique) :

Une femme qui lit les journaux publics avec attention et minutie serait la meilleure compagne que puisse avoir l’homme de talent, car elle exercerait une influence majeure sur sa famille et serait plus disposée à s’occuper des devoirs du foyer qui reposent sur elle5.

Derrière l’idée que les journaux représentent un véhicule approprié pour atteindre le progrès et la bonne marche du pays s'exprime de façon sous-jacente, parfois implicite ou parfois explicite, un projet qui voudrait se construire et dans lequel coïncideraient toutes les opinions dès le début : c’est-à-dire stimuler le pays afin que celui-ci puisse prendre part, au côté d’autres nations plus développées, au mouvement de modernité qui pouvait s’observer dans le monde. S’il est vrai que tous concordaient pour atteindre ce but, toutefois, ils différaient sur les moyens pour y arriver, et par conséquent, comme nous l’avons dit antérieurement, les journaux devinrent une arène de luttes politiques et idéologiques où chaque faction, qu’elle appartienne ou non au pouvoir, s’efforçait de canaliser les lecteurs dans leur « projet de nation ».

Ceci conduisit à la création d’une idée de l’opinion publique engendrée à partir de ce que chaque publication croyait être un reflet des idées de la société, c’est-à-dire que le journal supposait que ses principes traduisaient le sentiment général et de ce fait, pensait qu’il avait l’obligation morale de défendre ses causes au nom de « la société » ou, dans certains cas, au nom du « peuple ». Le quotidien El Monitor Constitucional mit en cause cette idée en 1845, alléguant la diversité d’opinions présente dans la société :

Qu’est-ce que l’opinion publique ?… elle ne peut se définir autrement que par le sentiment commun qu’ont les citoyens envers la gestion du gouvernement ou l’expression de ses principes. Voici ce que nous comprenons, en vertu de notre entendement, par opinion publique ou opinion générale, nationale ou de la majorité… notion erronée qui fréquemment n’est autre chose que le résultat de ce que pense un petit nombre6...

Voilà une remarque juste de la part de l’El Monitor Republicano. Cependant les idées défendues dans chaque journal, comme nous l’avons dit, firent partie de l’inéluctable panorama politique du pays et participèrent aux confrontations allant bien au-delà des discussions rapportées dans les pages des journaux. Comme nous l’avons annoncé au début de l’exposé, le facteur qui entravait le discours public dans les médias reposait surtout sur les constantes restrictions à la liberté d’expression de la presse. Au cours des années quarante, la confrontation entre les libéraux et les conservateurs entra dans une phase de bataille idéologique très sophistiquée, mais qui ne fut pas la plus violente, contrairement à ce qui allait se produire durant la prochaine décade, qui conduisit à faire prendre les armes aux deux groupes opposants qui avaient eu le temps de développer plus amplement leurs programmes et les avaient fait connaître dans leurs journaux respectifs : El Siglo Diez y Nueve et El Monitor Republicano commis aux idées des libéraux ainsi que El Tiempo et El Universal favorables aux conservateurs.

C’est par le biais de ces journaux que se discuta le rôle des quotidiens réclamant la plus grande liberté de presse possible ou au contraire l’annulation de cette liberté préconisée par d’autres groupes et selon le gouvernement qui était au pouvoir. On pourrait affirmer que même pendant la période où la liberté d’expression était à son apogée, il y eut, malgré tout, des restrictions imposées aux journaux, qui portèrent sur trois points : 1. Interdiction d’attaquer le gouvernement au pouvoir ; 2. Interdiction d’attaquer l’église et la religion ; 3. Ne pas s’ingérer dans la vie privée des personnalités politiques.

Bien que ces points fussent généralement respectés, leur application fut assujettie à la conjoncture politique et aux mesures prises par les différents gouvernements. C’est la raison pour laquelle l’un ou l’autre journal abordait constamment le sujet de la liberté de presse, et que chacun proférait des accusations de vouloir favoriser la restriction de la liberté d’expression contre les autres.

Comme exemple de cette situation paradoxale où les journaux s’accusent réciproquement d’être contre la liberté de la presse, il faut se replacer dans le courant de l’année 1849. Une fois passée la défaite cuisante de la guerre où le pays fut spolié de la moitié de son territoire, le parti conservateur se trouva dans des conditions d’égalité avec le parti libéral. Aucun ne détenait vraiment les rênes du pouvoir et tous deux étaient en mesure de proposer des alternatives plus viables que l’hécatombe subie récemment. Toutefois, à la différence des libéraux, les conservateurs pouvaient se vanter d’avoir averti le gouvernement du danger que représentaient les États-Unis. Ceci leur donna le droit de jouer un rôle plus ouvertement actif dans l’arène politique du pays.

Les choses en arrivèrent à ce point, que les conservateurs, ayant à leur tête Lucas Alamán, remportèrent les élections pour la présidence du Conseil Municipal de la ville de Mexico en juillet 1849. Ils prirent le pouvoir grâce à un programme bien structuré pour organiser la ville mais leur gouvernement fut constamment harcelé par de nombreuses difficultés et fut l’objet d’attaques féroces lancées par la presse libérale qui se référaient aux activités menées par le Conseil Municipal et à l’idéologie de ses conseillers mais surtout aux décisions du président du Conseil Municipal. Aux prises avec des idéologies opposées, les libéraux ainsi que les conservateurs exposèrent leurs principes dans les pages de leurs journaux respectifs. L’animosité s’accrut à tel point que la situation se changea en une bataille entre deux camps. Petit à petit, les conservateurs acculés furent obligés de présenter leur démission en décembre, face à la virulence des attaques écrites dans la presse.

Les quotidiens El Monitor Republicano et El Siglo Diez y Nueve commencèrent l’offensive au sujet du supposé monarchisme des conservateurs et soulignèrent l’infamie que, en vertu de leurs principes, représentait cette tendance pour le pays. Face à ces attaques, les conservateurs répondirent dans le journal El Universal, qu’ils avaient le droit d’exprimer librement leurs idées ainsi que d’écouter leurs adversaires :

Que ne sont-ils pas libres de penser selon leurs convictions, de même que vous ? Si vous les haïssez parce qu’ils font usage de leur liberté, ne voyez-vous pas que vous jetez à terre vos propres principes, que vous vous faites une réputation de rétrogrades, que vous êtes incapables de penser, d’agir, de discuter conformément à l’esprit du siècle dans lequel nous vivons7 ?

El Monitor Republicano, en plus de mettre en cause la présence des conservateurs au Conseil Municipal et d’accuser Lucas Alamán d’avoir été responsable de l’assassinat de Vicente Guerrero en 1831 alors qu’il était ministre des Affaires Étrangères (ceci pour le discréditer aux yeux du public), écrivit dans un article extrêmement virulent :

La faction monarchiste, qui a juré de se venger de l’abomination que ressentent les bons Mexicains, avance et avance parce que le gouvernement qui a juré de sauvegarder la constitution, ne respecte pas son serment. Nous sommes scandalisés de l’insolence et de l’effronterie de la faction qui assassine... La faction monarchiste est cruelle, terrible, immorale et ne recule devant aucune action pour ensevelir la République dans ses ruines. [...] Elle ne reconnaît aucune loi que son seul caprice et n’adore aucun dieu que son désir de vengeance. Elle est rusée, assoiffée de sang, hypocrite et rancunière8.

Dans ce contexte de turbulence, le quotidien El Universal reprit une discussion que son prédécesseur conservateur, El Tiempo, avait commencée en 1846 : à l’occasion de l’anniversaire de l’Indépendance, le 16 septembre 1849, il publia un article où était nié de façon catégorique le mérite octroyé à Miguel Hidalgo pour avoir commencé le processus d’indépendance en 1810, car ce soulèvement, aux dires des conservateurs, n’eut pas pour objet l’indépendance du Mexique mais fut plutôt à l’origine d’une guerre anarchique et violente. Au lieu de cela, affirmaient les conservateurs, le héros à qui il faudrait rendre hommage était Agustín de Iturbide qui obtint l’Indépendance le 27 septembre 1821 grâce à un pacte souscrit avec l’Église.

La réaction du parti libéral, se servant des journaux qui leur étaient favorables, ne se fit pas attendre. Les critiques de cette déclaration politique qui attaquait le cœur du jeune nationalisme mexicain servirent la cause des libéraux qui attaquèrent de façon virulente les conservateurs, ce qui provoqua un débat médiatique qui s’aggrava au point de menacer de suspendre la liberté de la presse. À cette menace, le journal répondit :

Où se trouve la loi qui interdit de se former cette opinion et l’exprimer dans la presse ? Y a-t-il diffamation lorsque l’on parle de la conduite publique d’hommes qui sont des chefs d’un peuple ? Est-ce ceci une attaque à la sainteté de la religion ? S’agit-il de miner les bases de notre système actuel ? Quel est le délit d’expression écrite dont on nous accuse ? Nous nous heurterions, alors, à l’opinion et aux croyances de la république. Serions-nous des hommes extravagants qui regardons les choses à l’envers ? Nous prêcherions dans le désert et les sifflements universels couronneraient nos travaux. Quant au crime, violation de la loi, abus de la liberté de presse, nous ne le trouvons nulle part, malgré tous nos efforts9.

La fin arriva avec la défaite du Conseil Municipal conservateur en décembre 1849, causée par la campagne médiatique des libéraux qui se termina par de violentes attaques, utilisant des tracts et faisant courir la rumeur que l’imprimerie du journal serait détruite pour être le véhicule de diffusion des idées conservatrices. À ce moment là, le journal El Siglo diez y Nueve répondit à El Universal:

si une loi interdit la publication d’articles qui attaquent directement la forme de gouvernement républicain de représentation populaire, si ledit parti monarchiste le fait, et si par ailleurs, un parti se sert de moyens réprouvés par la loi pour obtenir le triomphe de ses idées et se convertit en une faction pour commettre un délit, il est indubitable que ce parti est séditieux et en conséquence, n’a pas d’existence légale. Il serait alors passible de condamnation10.   

*

Ces faits illustrent une période où la défense de la liberté d’expression fut interprétée de façon discrétionnaire. C’est-à-dire que les membres du parti libéral qui revendiquaient en théorie le droit à la libre expression pour tous justifiaient cependant la condamnation des conservateurs au moyen d’une interprétation biaisée de la loi qui les conduisit, lamentablement, durant la prochaine décade, à régler leurs différends par la violence. Ceci montre que tout au long de cette période, la presse et le recours de la liberté de presse furent utilisés pour servir les intérêts des diverses factions politiques au pouvoir et dans l’opposition au gouvernement élu.

Il est important de souligner qu’indépendamment de son utilisation à des fins politiques, la presse participa à un grand projet culturel de modernisation et de développement qui se déroula après l’indépendance de la nation. Vers les années 1850, l’Indépendance porta ses fruits en dépit des problèmes qui existaient et en dépit de l’instabilité qui caractérisa le Mexique pendant de longues périodes.

(Universidad Autónoma Metropolitana-Azcapotzalco)

Notes

1  El Monitor Constitucional, 13 mai 1845, p. 4.

2  El Universal, 27 novembre 1843, p. 4.

3  « Qué debe ser un periódico », El Universal, 16 novembre 1848, p. 1.

4  « Periódicos », El Siglo Diez y Nueve, 16 décembre 1848, p. 4.

5  « Influencia de los periódicos », El Siglo Diez y Nueve, 6 août 1842, p. 3.

6  « Opinión », El Monitor Constitucional, 22 juillet 1845, p. 4.

7  « El Monitor, El Universal y el Sr. Arrangoiz », El Universal, 6 juin 1849, p. 1.

8  « Libertad de imprenta », El Monitor Republicano, 12 avril 1849, p. 3.

9  « Proyectada denuncia del Universal. » El Universal, 21 septembre 1849, p. 1.

10  « Partido-facción », El Siglo Diez y Nueve, 25 décembre 1849, p. 761.

Pour citer ce document

Javier Rodríguez Piña, « Quelques idées sur le rôle de la presse au Mexique durant la première moitié du XIXe siècle », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/quelques-idees-sur-le-role-de-la-presse-au-mexique-durant-la-premiere-moitie-du-xixe-siecle