American Mysterymania

Les Mystères de Paris aux États-Unis en 1843 : la traduction comme champ de bataille entre anciens et nouveaux venus de l’édition américaine

Table des matières

FILIPPOS KATSANOS

Les Mystères de Paris aux États-Unis, tout comme en France ou dans d’autres pays d’Europe, ont été publiés dans un contexte historique de mutations profondes dans la culture de l’imprimé. Grâce aux progrès dans les techniques d’impression, de nouveaux acteurs et de nouveaux lectorats ont émergé au sein du marché éditorial. Dans un article intitulé « L’esprit de 1842 » et publié dans un hebdomadaire américain, ces évolutions étaient décrites de la façon suivante :

L’autre fait important de notre histoire locale est à chercher dans les mutations que connaît la presse. Les journaux sont soudainement devenus des livres. Ce ne sont plus des miroirs du temps qui passe ni des catalogues d’événements, mais des romanciers, des poètes et des philosophes. Les ouvrages de théâtre, d’histoire et de science sont désormais imprimés avec le même faible coût et la même rapidité que la presse à un sou. L’année restera certainement célèbre comme un grand exploit dans l’histoire de la littérature et de l’éducation de notre pays : la philosophie, la science et la fiction peuvent maintenant s’introduire dans le foyer du plus pauvre et voyager jusqu’aux cabanes les plus isolées de nos campagnes. Elles peuvent maintenant toucher le peuple tout entier, instruire, divertir et susciter l’enthousiasme de tous. Le savoir, libéré de son luxurieux et inaccessible palais, suit maintenant les hommes dans la rue. Chaque marchand de journaux est une bibliothèque et crie dans les oreilles de chacun le jargon de son catalogue. Même la personne la plus démunie aux États-Unis, à condition qu’elle sache lire, peut maintenant, grâce au New World et ses suppléments, profiter de l’intelligence et de la sagesse européennes1.

L’année 1842 est présentée par le rédacteur de l’article, dans une volonté manifeste d’autocélébration, comme la naissance de la littérature populaire sous l’impulsion de Benjamin Park, directeur de l’hebdomadaire The New World. Celui-ci aurait révolutionné le champ éditorial en proposant pour la première fois à ses abonnés des suppléments de grand format appelés « Extras ». Ce type de publication qu’on appelait « hebdomadaires-monstres » (mammoth weeklies) ne passait pas par la voie de distribution de la librairie, mais était vendu dans les rues ou par abonnement. Il proposait non seulement à ses lecteurs des romans en intégralité et à des prix réduits, mais mettait également fin au monopole que la librairie avait jusque-là sur la littérature européenne.

L’émergence de ce nouveau support de publication a conduit à une reconfiguration du système éditorial car, désormais, la librairie se trouvait concurrencée par la presse qui se mettait également à publier de la littérature à bas prix. Afin de souligner la rivalité féroce entre ces deux acteurs, les historiens du livre aux États-Unis ont souvent décrit leurs relations en termes de guerre et nous ont donné de nombreux exemples de violence qui n’était pas seulement verbale. On peut par exemple symboliquement dater le début de cette guerre au 1er juin 1842 : un agent supposé du New World entrait par effraction dans l’atelier de reliure de la librairie Harper, s’emparait de l’exemplaire d’un nouveau roman sous presse puis mettait le feu au bâtiment2. Cependant si l’histoire abonde en pareils exemples qui illustrent l’animosité des relations entre presse et librairie, le cas du grand succès commercial d’Eugène Sue est rarement mentionné en dépit du fait que son histoire américaine est un exemple emblématique de ces tensions. Dans cet article portant sur les deux premières éditions du roman aux États-Unis, nous montrerons comment celles-ci deviennent l’enjeu d’une véritable guerre entre anciens et nouveaux venus de l’industrie éditoriale américaine.

Deux éditions « populaires » : brouillages et reconfigurations des identités éditoriales

Suite à l’émergence des « hebdomadaires-monstres », la division du système de l’édition en deux camps opposés a donné naissance à une hiérarchie idéologique bien connue, celle qui sépare littérature du « haut » et littérature du « bas » chacune respectivement rapportée à des éditeurs réputés « légitimes » ou « illégitimes ». Naturellement, les hebdomadaires et plus généralement la presse étaient la plupart du temps associés, dans les discours sociaux, à de la mauvaise littérature, corruptrice de mœurs et souvent désignée, dans divers discours sociaux, par le mot de « trash3 », c’est-à-dire, « rebut ». Les premières éditions américaines des Mystères de Paris sont passées par la voie légitime comme illégitime de l’édition puisqu’elles ont été le fait non seulement d’un ancien libraire respecté, les Harper and Brothers, mais également d’un hebdomadaire populaire récemment fondé, The New World, que nous avons évoqué plus haut.

Figure 1 : Éditions du New World

Figure 2 : Édition Harper

La première réclame concernant la parution prochaine du roman a été publiée par le New World le 14 octobre 1843. On y annonçait que Les Mystères de Paris seraient publiés à partir du 17 octobre en dix livraisons vendues chacune 12½ centimes de dollar4. Jonas Winchester qui était à l’origine de la réclame soulignait le succès français de ce qu’il désignait comme « le roman le plus brillant de tous les temps ». Il évoquait également, outre « l’enthousiasme sans borne » du public, le fait que « voyant la popularité et le succès de son œuvre assurés Sue avait eu le plaisir de refuser trois mille francs en droits d’auteur ». En d’autres termes, l’édition du New World s’affichait comme légale et non comme pirate. Par ce commentaire, l’hebdomadaire se défendait non seulement contre les fréquentes accusations de piraterie qu’on lui adressait, mais portraiturait également Sue comme une figure centrale dans la lutte contre un projet de loi international sur le droit d’auteur qui était à ce moment-là discuté par le Congrès suite à une pétition organisée par divers libraires5. Sue était ainsi présenté comme la preuve incontestable qu’un écrivain de mérite pouvait faire fortune sans réclamer des droits d’auteur, une décision qui aurait permis à ses lecteurs à l’étranger d’acheter ses Mystères de Paris à très bas prix.

En outre, comme la littérature populaire était souvent considérée comme corruptrice de mœurs aux yeux de la bourgeoisie, la réclame essayait à tout prix de réfuter de tels jugements négatifs. Elle soulignait le fait que quant à la morale, le roman était « irréprochable » et même « plus parlant qu’un quelconque sermon ». S’ensuivaient des commentaires concernant le traducteur, Henry Champion Deming6, « un écrivain d’un talent extraordinaire » ayant fait des études de droit à Harvard et signant déjà de son initiale « D. » des articles dans le New World depuis deux ans. Ce même traducteur allait devenir l’année suivante aux côtés de Benjamin Park le rédacteur en chef de l’hebdomadaire. Pour finir, on commentait également la typographie de l’édition qui ne semblait pas se conformer à la mauvaise qualité d’impression des éditions populaires bon marché : imprimée grâce à « une toute nouvelle fonte, la fonte Bourgeois », l’édition du New World serait lisible même pour la faible vue des lecteurs les plus âgés.

Des réclames plus tardives dans le New World nous permettent de compléter le portrait de cette édition. Le 16 décembre après la publication de la neuvième et dernière livraison, l’hebdomadaire annonçait une édition en format livre d’un « magnifique volume in-octavo de 350 pages » au prix de 1$ supervisée par le « professeur C. F. Bordenave, enseignant de langue française à l’Université de New York » qui aurait également assisté le traducteur lors de la publication périodique du roman. Ce même professeur Bordenave dont la langue maternelle était le français et qui était en quelque sorte une garantie supplémentaire de la fidélité de la traduction à l’original, a également préparé pour le New World une édition française du roman en huit livraisons à 25 centimes de dollar chacune, d’après l’édition Gosselin du livre qu’il était impossible de se procurer aux États-Unis « pour moins de douze dollars7 ». Cette édition se destinait aux « trente mille résidents français » de New York tout comme à ceux « qui savent lire le français ». Dans la réclame le professeur recommandait même la lecture simultanée de l’édition française du New World et de la traduction de Deming comme un bon exercice pour ceux qui souhaiteraient apprendre le français8. Au mois de février 1844, le New World a même multiplié les produits dérivés du succès romanesque de Sue en sérialisant dix « lithographies de scènes emblématiques des Mystères de Paris de Sue dessinées par Monsieur Leclerc9 ».

En publiant les Mystères de Paris, le New World mettait ainsi à disposition de ses lecteurs une édition non seulement bon marché, mais en même temps morale, de bonne qualité, utile pour leur instruction et parfaitement légale. En s’affichant comme un éditeur compétent et légitime de littérature française, l’hebdomadaire a essayé de renverser radicalement les stéréotypes négatifs qui pesaient sur l’édition populaire pour endosser en quelque sorte le rôle d’un éditeur respectable qui pouvait concurrencer même les libraires les plus réputés.

À peine quelques jours après la parution de la réclame du New World concernant Les Mystères de Paris, la librairie riposte : le plus grand libraire de New York, Harper and Brothers, se met aussi à faire de la réclame pour sa propre édition qui allait être publiée en deux livraisons le 26 et le 31 octobre, devançant ainsi l’hebdomadaire de Benjamin Park10. Vendue à 25 centimes de dollar par livraison, l’édition des Harper était présentée par la New York Daily Tribune comme l’édition la moins coûteuse des Mystères de Paris aux États-Unis. Elle faisait partie de la collection « Library edition of select novels » dont les Harper avaient baissé les prix à 25 centimes de dollar précisément pour faire face à la concurrence des hebdomadaires-monstres.

Même si cette édition fut la première à rendre disponible en traduction aux lecteurs américains la totalité du texte de Sue, il s’agissait d’une publication dont la présence dans les réclames de la presse américaine a été plus discrète que celle du New World. On avait annoncé pour la première fois sa publication la veille de sa parution effective et cela sans donner aucune information sur l’identité du traducteur dont le nom, « Charles H. Town », ne sera cité que tardivement. Les premières réclames contenaient seulement la mention « Texte intégral », un fait qui a par la suite été rudement mis en cause dans divers articles publiés dans The New World.

L’histoire éditoriale des premières éditions des Mystères de Paris reflète donc parfaitement les antagonismes passés entre les deux pôles opposés de l’industrie éditoriale américaine. Tandis que les nouveaux venus essaient de trouver leur place comme les égaux des libraires, les anciens du champ éditorial tentent à tout prix d’élargir, pour la première fois dans leur histoire, leur public aux classes populaires, une influence réciproque qui a déstabilisé les frontières entre les milieux « légitime » et « illégitime » de l’édition littéraire.

La querelle de la traduction : réécritures de l’original

Toutefois, même si les deux premières éditions des Mystères de Paris peuvent être considérées comme des éditions populaires qui visaient un public le plus large possible, elles contenaient deux traductions très différentes qui semblent avoir été produites chacune en fonction du lectorat de prédilection de chacun des éditeurs : d’un côté les classes populaires ou le « peuple » pour reprendre le mot qu’affectionnait The New World pour désigner son lectorat, et de l’autre la bourgeoisie qui fournissait les acheteurs habituels des livres Harper. Les différences radicales entre les deux traductions ont été soumises à l’appréciation du public dès la publication de la première livraison de chaque édition : alors éclata ce que la presse a appelé « la querelle de la traduction11 ». Comme les Harper allaient devancer The New World dans la publication des Mystères de Paris, l’hebdomadaire devait trouver un moyen de convaincre le public d’attendre la fin de sa propre publication périodique du roman au lieu de lui préférer celle des Harper qui allait rendre disponible l’intégralité de l’histoire beaucoup plus rapidement.

On peut repérer les prémisses de cette querelle dans The New York Daily Tribune du 25 octobre 1843, le jour qui précède la parution de la première livraison Harper. À la page trois, juste avant la réclame des Harper and Brothers annonçant leur propre édition des Mystères de Paris, une autre réclame publiée par Jonas Winchester annonçait la deuxième livraison du même roman par le New World et avertissait en même temps les lecteurs du journal quant à la publication d’une certaine traduction frauduleuse sous presse. Avec beaucoup d’ironie et sans les citer nommément, Winchester se référait aux Harper en les désignant comme « certains éditeurs méthodistes très pieux » qui « étaient sur le point de se convertir au commerce de sales traductions de sales romans français ». Il soulignait également le fait que des éditeurs si pieux ne pouvaient en aucun cas produire une « traduction fidèle du roman de Sue qui soit vraiment lisible par le public ». Winchester attirait ainsi l’attention sur les codes éditoriaux suivis par un libraire respecté qui se conformait à l’idéologie bourgeoise réclamant une littérature « morale » débarrassée de tout élément sensationnaliste.

Une remarque similaire se trouve dans un article plus tardif intitulé « La traduction Harper des Mystères de Paris » paru dans The New World le 4 novembre. L’auteur établissait une liste de nombreuses omissions dont souffrait la traduction Harper par rapport au texte intégral de l’original français. Il commentait également le style et la qualité de la traduction qui ne pouvaient même pas « faire l’objet d’une véritable critique » puisque le traducteur, Charles H. Town, « ne savait ni parler anglais ni français ». Tout en donnant un exemple de la façon dont « un auteur peut être mis au supplice par un traducteur incompétent », il attire l’attention sur ce qu’il présente comme une habitude bien ancrée chez les Harper de censurer toute référence trop explicite à la sexualité dans les textes. L’exemple en question concerne une traduction fautive de la phrase suivante : « Certes, deux amants nouvellement épris et heureux, assis sur la soie dans quelque coin ombreux de cet éden12 » qui a été traduite en anglais par « Certainly, two lovers just caught and happy, seated on the silk in some corner of this Eden13 » :

La bourde qui rend ridicule cette effusion sentimentale que l’auteur aurait souhaité touchante, est causée par une confusion faite entre le mot français « épris » dans l’original et le mot « pris ». « Deux amoureux tout juste pris ! » Ne sois pas indigné, Eugène Sue ! Nous avons déjà entendu parler du nœud du mariage, mais jamais de deux amoureux qui se « prennent » avant même qu’ils ne se voient transformés « si maladroitement en un couple froid ». Mais à quoi pensaient ces jeunes gens ? Nous ne croyons pas un seul instant qu’ils étaient pris en train de faire quelque indécence, parce que même si l’édition des Harper se dit « intégrale », nous supposons que ces pieux éditeurs auraient de toute façon censuré pareille allusion grivoise.

Lorsqu’on s’intéresse à la traduction Harper, cette remarque humoristique semble être juste. Par exemple dans le chapitre IX de la quatrième partie, le passage où Louise évoque son viol par Jacques Ferrand pendant son sommeil est entièrement censuré. Dans l’édition Harper Louise n’avoue pas qu’elle s’est réveillée déshonorée à côté de Jacques Ferrand et le lecteur ne peut vraiment comprendre pour quelle raison elle a été droguée ni ce qui lui est réellement arrivé14.

Cependant le contenu de nature sexuelle n’est pas le seul à subir la censure dans l’édition Harper. Comme décrit dans un article intitulé « Un oubli de la part de M. Town » publié dans The New World le 8 novembre, de nombreux passages au contenu politique ont également été effacés de l’édition. Le rédacteur de l’article donne l’exemple du chapitre IX de la cinquième partie où tous les commentaires de Sue sur le fonctionnement de la justice et le traitement des criminels sont omis. Dans une autre critique plus tardive, Benjamin Park tirait des conclusions similaires : « Cette traduction ne nous livre que l’intrigue du roman très mal racontée et dans un anglais détestable. La morale est entièrement omise, ce que le traducteur, bien plus honnête que ses éditeurs, avoue dans une note de bas de page15 ». En effet, dans l’édition Harper, Charles H. Town, admet dans une « Note du traducteur » qu’il a expressément omis de nombreux passages du roman sans expliquer vraiment à son lecteur pourquoi :

Nous omettons comme nous l’avons signalé de nombreuses réflexions et descriptions de l’auteur pour plusieurs raisons, mais il suffirait peut-être d’en mentionner une seule. En évoquant certains mystères et les pensées qu’ils suscitent, l’auteur est naturellement dans l’obligation d’entrer dans des subtilités qui sont trop complexes pour être rendues en anglais. Nous avons donc décidé de raccourcir ces passages et conseillons tous ceux qui connaissent le français de lire l’original, parce que beaucoup de choses se perdent dans la traduction16.

L’édition Harper est donc un très bon exemple des processus complexes de réécriture que traverse l’original des Mystères de Paris quand il est édité par des libraires bourgeois qui ont une réputation à préserver. Même s’il s’agissait d’une édition bon marché qui n’excluait pas les classes populaires du lectorat, les Harper, dont les clients se trouvaient majoritairement dans la bourgeoisie, prenaient le parti de censurer tous les éléments sensationnels du livre tout comme ses réflexions politiques réformistes.

Au contraire, l’édition du New world présente une réécriture minimale de l’original de Sue. Malgré le fait qu’elle se destine à un lectorat modeste, elle n’exagère pas les éléments sensationnalistes du roman comme le faisaient par exemple les penny blood de William Dugdale à Londres. Il s’agit d’une traduction très fidèle quant au sens au roman de Sue et comme dans la plupart des éditions populaires, le traducteur a choisi une stratégie de « domestication ». Et ceci constitue une différence radicale par rapport à l’édition Harper qui avait adopté une stratégie d’« exotisation » et dans laquelle la présence de nombreux termes français sans aucune note explicative rendait la compréhension difficile pour le lecteur moyen. La traduction de Henry Deming dans le New World était au contraire, comme le remarquait Jonas Winchester, « à peine une traduction, mais une transfusion de l’histoire en anglais17 ». De plus Henry Deming est parvenu à rendre avec succès les techniques innovantes de Sue dans l’écriture romanesque qui consistaient à l’hybridation entre reportage et fiction18. Contrairement à Charles H. Town qui a choisi d’omettre les notes de bas de page et les passages descriptifs concernant l’histoire et la société françaises, le traducteur du New World les a traduits fidèlement sans manquer de transmettre à ses lecteurs la valeur du roman de Sue en tant qu’enquête sociologique littéraire.

La réception critique : les stéréotypes éditoriaux démentis

Le lectorat et les critiques américains n’ont pas réagi de la même façon face à ces deux traductions si différentes. La façon la plus efficace pour établir la réception de chacune des traductions est d’étudier les diverses informations données par les réclames publiées dans des journaux et des revues.

Concernant le nombre de ventes, l’édition du New World semble plus populaire, si l’on admet la réalité des chiffres communiqués par les éditeurs eux-mêmes : les Harper annoncent le 1er novembre 1843 avoir vendu 15 000 exemplaires19 tandis que The New World en annonce plus du double trois jours plus tard, soit 35 00020.

De la même façon les réclames de Winchester citent beaucoup plus de critiques positives, bien plus souvent renouvelées, que celles des Harper. Tout au long de la campagne publicitaire, les Harper ont fait le compte rendu de seulement deux critiques positives : l’une du New York Commercial Advertiser et l’autre du Boston Daily Mail21. Mais même l’extrait cité du Boston Daily Mail disant que l’édition Harper était « en fin de compte la meilleure » était au final réfuté par un autre compte rendu dans le même journal qui se montrait tout aussi élogieux concernant l’édition du New World22.

Inversement, la campagne publicitaire du New World s’effectue grâce à de nombreuses critiques longuement citées et venant de sources très variées : Evening Post, Portland American, Boston Atlas, Troy Budget, New York Aurora, Louisville Diamond, Oswego County Whig, Albany Knickerbocker, New York Daily Tribune etc. À travers cette foule d’« Avis de la presse », les critiques ne soulignent pas seulement l’excellence de la traduction de Deming et également la piètre qualité de celle de Town mais surtout la cupidité et la duplicité des Harper. Le Louisville Diamond n’hésite même pas à comparer ces derniers au grand méchant des Mystères de Paris, le notaire Jacques Ferrand23.

En effet, l’édition des Mystères de Paris a eu des conséquences très négatives sur l’image publique des Harper non seulement à cause de la qualité de la traduction de Town qui présentait « toutes les traces d’une précipitation forcenée (steamboat hurry)24 », mais aussi à cause de la tentative de la part de ces libraires respectés de tromper leurs lecteurs en présentant leur édition comme « intégrale », une contre-vérité mise en lumière de façon répétée dans de nombreux articles du New World comme évoqué précédemment. Le point culminant de cette lutte contre l’édition « mutilée » des Harper se situe au 14 novembre quand le New World décide de publier « par avance » l’épilogue des Mystères de Paris « non pour calmer la curiosité des lecteurs, mais pour montrer à ceux qui ont acheté cette édition affreusement mutilée et imparfaite des Harper, à quel point ils ont été grossièrement trompés par ces honnêtes éditeurs prétendant avoir publié la seule “édition intégrale” du roman de laquelle manquent tous les chapitres conclusifs que nous vous livrons ici25 ». Le même jour, les Harper annonçaient, à côté de cette réclame qui donnait des preuves solides de leur tentative d’escroquerie, la publication d’un nouveau roman de Sue intitulé Gerolstein : une suite des Mystères de Paris, au prix de six centimes de dollar. Mais ceci n’était en réalité que l’épilogue du roman original complètement absent de leur édition.  

Les faits étaient trop parlants pour que le public continue à ignorer les motivations profondes des Harper dans la publication du roman de Sue. Leur édition des Mystères de Paris n’était pas une édition « populaire » ni une édition qui visait véritablement un quelconque lectorat, mais une simple arme dans la guerre que les Harper avaient engagée contre les hebdomadaires-monstres et spécifiquement le New World comme le soulignait le Oswego County Whig :

Dire qu’une œuvre a été publiée par les Harper était jusqu’ici une recommandation suffisante tant le public avait confiance en leur choix d’œuvres mises sous presse. Mais qu’ils publient encore une fois des rebuts pareils et toute cette confiance sera perdue. C’est une très mauvaise traduction et nous conseillons au traducteur d’essayer encore une fois puis de demander de « prendre congé ». Personne après avoir lu quelques pages de l’édition du New World n’accepterait de lire ne serait-ce qu’une ligne de celle des Harper. La première est écrite dans un style fascinant, l’autre est d’une expression si maladroite que même un écolier ne supporterait pas sa lecture. La première est l’œuvre d’un maître, la seconde d’un débutant. Et les Harper devraient garder ceci à l’esprit : aussi grande soit leur envie de punir un rival, ils ne doivent jamais traiter leurs lecteurs à la légère26.

L’élément peut-être le plus frappant dans cette critique est l’usage du mot « rebut » : s’il est la plupart du temps employé par les libraires et de nombreux acteurs sociaux pour qualifier la littérature « populaire » vendue par la presse, il est ici appliqué à la publication d’un libraire respecté dont le seul nom était une garantie de qualité. En d’autres termes, un stéréotype concernant des éditeurs « illégitimes » de littérature est ici mobilisé pour décrire la publication d’un éditeur « légitime ». D’autres critiques font des commentaires très semblables :

L’édition du New World est incontestablement la meilleure. Non seulement la traduction est plus juste, mais le rendu typographique est également supérieur27.

Messieurs Harper sont accusés d’avoir censuré divers passages de l’œuvre qu’ils considéraient comme « immoraux ». En vérité, si le roman paraît immoral, c’est justement parce qu’il a été censuré. Les passages qui ont été omis sont justement ceux qui contenaient des réflexions, des remarques, etc. qui étaient nécessaires pour saisir l’intention de l’auteur dans sa totalité et pour contrer toute influence néfaste que pourraient justement exercer sur les lecteurs des descriptions plus dépouillées28.

Ainsi la plupart des critiques considèrent que l’édition du New World est non seulement plus « morale » que sa concurrente, mais également d’une typographie de meilleure qualité, deux caractéristiques la plupart du temps attribuées à des œuvres publiées par des éditeurs bénéficiant d’une certaine légitimité.

Le plus grand succès du New World dans son édition des Mystères de Paris n’était donc pas tellement sa plus grande popularité auprès du public, mais surtout le fait qu’il a essayé et d’une certaine façon réussi, à complètement renverser les stéréotypes négatifs qui pesaient sur la littérature populaire véhiculée par la presse. Il a su montrer que ce qui était considéré habituellement par les classes supérieures comme des impressions immorales et de mauvaise qualité pouvaient en réalité concurrencer les libraires les plus anciens et les plus respectés non seulement en termes de qualité, mais également de moralité.

***

Pour conclure, l’étude des éditions américaines des Mystères de Paris en 1843 est éclairante non seulement concernant divers aspects importants de l’évolution de l’industrie éditoriale aux États-Unis, mais également concernant la pratique de la traduction. C’est un exemple parlant à la fois des tensions croissantes qui s’installent entre anciens et nouveaux venus de l’édition, et des processus complexes de réécriture d’un texte en fonction de différentes contraintes éditoriales. De plus, le fait que The New World parvienne à renverser les stéréotypes éditoriaux en gagnant la bataille pour Les Mystères de Paris peut être considéré comme un repère dans la brève histoire de l’hebdomadaire novateur de Benjamin Park qui, pour la première fois, a montré en acte ce qui a été de façon incessante ressassé dans un grand nombre de ses articles : les imprimés bon marché, malgré leur prix et les stéréotypes négatifs dont ils sont les victimes, peuvent égaler, sinon surpasser, ceux venant de libraires respectés. Comme l’expliquait Park dans l’un de ses articles très marqués par « l’esprit de 1842 » : « Personne ne peut attaquer nos publications quant à leur caractère littéraire ou leur moralité. La seule chose qu’on puisse leur reprocher, ce sont leur bas prix ! Et ce reproche, nous en sommes certains, ne sera jamais fait par personne, sauf par certains éditeurs qui ont intérêt à perpétuer les prix chers des livres, privant par là même les masses des nombreux plaisirs et avantages de la littérature. Les livres élégamment reliés et imprimés sur du papier coûteux sont des luxes dont bénéficient seulement les riches. Mais nous, nous avons trouvé un moyen de rendre disponible aux pauvres leur valeur intrinsèque. Nous sommes les amis du peuple. Notre credo est, faire le plus de bien au plus grand nombre29. »

(RIRRA 21, Montpellier III – Université de Patras)

 [EN] The American Editions of The Mysteries of Paris in 1843: Translation as a Battleground between Veterans and Newcomers of the American Publishing Industry

The Mysteries of Paris was first published in the United States – as it was in its native France and in many other countries of Europe – in a very particular historical context of major evolutions in press culture. Due to innovations in printing techniques, new agents emerged in the publishing business and new reading publics came to light. In an article entitled “The spirit of 1842” and published in an American weekly journal, the author describes these evolutions in the United States as follows:

The other prominent fact of our local history is seen in the new phase developed by the Press; newspapers suddenly became books; no longer mirrors of the passing hour, or a catalogue of events, they are now novelists, poets and philosophers; the drama, history and science, are printed with the cheapness and circulated with the facility and extent of penny papers. The year will surely be renowned as the epoch of a great achievement in our literary history and in our national education; philosophy, science, and fiction can now sit by the poorest hearth and travel to the most distant log cabin of the prairie; they can now reach the whole people– instruct, please, and exalt all. Knowledge, released from its costly and inaccessible mansion, now seeks men in every street; each newsboy is a library, and he screams the jargon of his catalogue in every ear. The humblest person in America who can read, through the agency of the ‘New World’, and its ‘Extras’ becomes the auditor and the pupil of the intellect and wisdom of Europe30.

The year 1842 is here depicted as the beginnings of cheap literature, a revolution in the American publishing industry initiated by Benjamin Park’s weekly journal The New World, which was one of the first to make folio-sized supplements called “Extras” available for its readers. These so-called “mammoth weeklies” bypassed regular book distribution channels and were sold on newsstands as well as through the mail. Not only did they bring entire novels into the literary market at reduced prices, but they also put an end to the monopoly the bookselling business had over European literature. The rise of these new actors in the publishing business led towards a brand-new publishing system divided into two opposing sides: newspaper agents issuing cheap literature and traditional book publishers. In order to highlight the fierce competition that existed between them, historians of American print culture often describe their relationships in terms of war, giving eloquent examples of violence which was not only verbal: the start of this war could, for instance, be dated, according to Eugene Exman, to June the 1st 1842 when someone from the New World broke into the Harper bindery, stole a copy of a new novel, and then set the place on fire31. Nevertheless, despite the numerous examples of such animosity, the case of Eugene Sue’s international bestseller, The Mysteries of Paris, is not often mentioned in this context, even though its American history carries traces of this publishing war. By studying the first two American editions of the novel, I will thus show the extent to which they became in the United States a crucial flashpoint in the rising tensions between newcomers and veterans of the American publishing industry.

Two Cheap Publications: Destabilizing Boarders Between Publishing Channels

Following the rise of “mammoth weeklies”, the split of the publishing system into two opposing sides gave birth to a well-known ideological hierarchy that separates “high” and “low” literature by associating it with – respectively – “high” and “low” publishing channels. As can clearly be seen through numerous articles defending cheap literature and published in the pioneering journal The New World, the weeklies and the press in general were commonly associated with low-life, corrupting literature and frequently spoken of as “trash” 32. The first American translations of The Mysteries of Paris went through both of these publishing channels, high and low, as they were published not only by a respected veteran of the bookmaking business, the “Harper and Brothers”, but also by the newly founded weekly journal and father of cheap literature in the United States, Benjamin Park’s The New World.

Figure 1: New World’s edition

Figure 2: Harper’s edition

The first to advertise the forthcoming issue of the book was The New World, on the 14th of October 1843. The advertisement announced that the novel was to be published in ten weekly “Extras” priced at 12½ cents starting on October the 17th, but the publication was actually completed in nine numbers. The advertiser Jonas Winchester elaborated at great length on the immense success of “the most distinguished novel of all times” in France. As a proof of this success, in addition to the “tremendous excitement” of the reading public, he also stated that the book’s “popularity and triumph were so well ensured that Sue had the pleasure of refusing one hundred thousand francs for the copyright” . In other words The New World edition was not an act of piracy. By making this comment, the journal not only defended itself against the frequent accusation addressed to the weeklies of paying no royalties to authors, but also pictured Eugene Sue as a central figure in its fight against the prospects of an International Copyright Law that was being discussed in Congress this year, following a petition submitted by American book publishers33. Sue was thus presented as a solid example of how a writer of merit can make his fortune without copyrighting his work: a practice which then made it possible for his foreign readers to buy the Mysteries at reduced prices.

In addition to this, and as cheap literature was commonly associated with moral corruption in the eyes of the bourgeois, the advertisement also tried to counter this negative perception. It underlined the fact that in moral terms, the work was “unexceptionable”, being even “more eloquent than any homily”. The advertisement ended with comments on the translator, Henry Champion Deming34, a Harvard Law School graduate and “a writer of extraordinary talents” who had been writing for The New World for two years under the signature “D.” and who would become chief editor of The New World along with Benjamin Park the following year. Finally, another comment discussed the type chosen for this edition, which did not seem to comply with the usual low-quality impressions of cheap publications: printed in “an entire new Bourgeois type” the New World edition is said to be fit for even the weakest eyes of the elderly.

Later advertisements in The New Word complete the publishing portrait of this edition. On December 16th, after the ninth and last number was issued, the journalannounced the complete bound edition of the novel in “a handsome volume of 350 large octavo pages” priced at $1 and supervised by “Professor C. F. Bordenave, Teacher of the French Language in the University of New York”, who had been assisting the translator even during the serial publication of the novel. The same Professor Bordenave, whose mother tongue was French and who was thus an additional guarantee to the faithfulness of the translation, also supervised a French edition of the novel issued in eight instalments by The New World, priced at 25 cents each and based on the Paris edition, which could not be had in America “for less than twelve dollars”35. This edition was destined to the “30.000 French residents” of New York as well as “others who read the French tongue”. In the advertisement the professor even recommended the simultaneous reading of The New World French edition and Deming’s translation as a useful exercise for “learners” of the French language36. On February 1844 The New World even added to the by-products of Sue’s bestseller by serializing ten “characteristic illustrations of Eugene Sue’s The Mysteries of Paris, drawn upon stone by Monsieur Leclerc37”.

By issuing The Mysteries of Paris, The New World thus made available for its readers a cheap but at the same time moral, high quality, useful and perfectly legal publication. Picturing itself thereby as a competent and legitimate editor of French literature, it radically subverted cheap literature stereotypes and endorsed to a certain extent the image of a high publishing channel that could directly compete with the most renowned book publishers.

Indeed, no sooner had The New World announced its Mysteries of Paris than the largest book publisher of New York, Harper and Brothers, began advertising its own forthcoming edition. It was going to be published in two parts, on 26 and 31October, overtaking Park’s weekly journal38. Priced at 25 cents for each instalment, it is presented by the New York Daily Tribune as the cheapest edition of The Mysteries of Paris in the United States39. It was published as a part of Harper’s “Library edition of select novels”, the price of which was brought down to 25 cents after the rise of the mammoth weeklies had forced the House of Harper to enter the price-cutting fight. Even though this edition of The Mysteries of Paris was the first to be completed in the American publishing market, it was much less advertised in the press than the New World edition. The first advertisements were published the day before the release of the first instalment and gave no information as to the identity of the translator, later identified as “Charles H. Town”. They bore only the mention “Without abridgement!”, a statement that was to be thoroughly discussed and challenged by several articles in The New World.

The publishing history of the first two editions of The Mysteries of Paris thus reflects perfectly the past antagonisms between the two main poles of the publishing industry. While newcomers strived to find their place as the equals of the book makers, established publishers attempted to extend their reading public for the first time in history to the lower classes, a reciprocal influence that destabilized the boarders between “high” and “low” publishing channels.

The Translation Controversy: Rewriting Sue’s Novel

Even though the first two editions of The Mysteries of Paris were both part of a cheap publication system, and tried to appeal to a large reading public which included the lower classes, they contained two very different translations that seemed to have been undertaken with regard to the primary readers of each publisher: the labouring classes, or the “people”  to quote The New World’s own description of its readers, and the upper classes who were the usual buyers of bound books by Harper and Brothers. The numerous and radical differences between the two translations came to light as soon as the two publishers issued their first number, whereby what is referred to by the press as “the Translation Controversy40” broke out. Since the Harpers were to anticipate The New World in issuing The Mysteries of Paris, it was of the utmost importance for the weekly journal to convince the reading public to wait for its ownedition to be completed instead of buying Harper’s more immediately available one.

The grounds of this controversy can be seen in The New York Daily Tribune on 25 October 1843, the day before the first part of the Harper edition was published. On page three, preceding an advertisement by “Harper and Brothers” announcing their own edition of The Mysteries of Paris, an advertisement byJonas Winchesterannounced the forthcoming second part of The New World edition, and at the same time warned the readers against a fraudulent forthcoming edition. Using irony and without naming them directly, he referred to the Harpers as “certain Methodistical, very pious publishers” who “are about to go into the business of issuing dirty translations of dirty French novels”. He also underlined the fact that such pious publishers could produce “no literal translation of Eugene Sue’s romance, which would be fit for the public to read”. Jonas Winchester thereby drew attention to the editing frame of high publishing channels, which complied with bourgeois ideology by reclaiming a “moral literature” expurgated of all sensational elements.

A similar remark was to be found in a later article published in The New World on November 4, entitled “The Harper’s translation of ‘The Mysteries of Paris’”. Its author established a list of numerous abridgements by comparing the Harper edition to the French original. He also commented on the style and quality of the translation, which would be “below criticism” due to Town’s “gross ignorance of French and English”. By giving an example of “how an author can be tortured by an ignorant translator”, he also made reference to what was presented as a habit for the Harpers of expurgating all sexual references in their publications. The example concerns a faulty translation of the following passage from the French original, “Certes, deux amants nouvellement épris et heureux, assis sur la soie dans quelque coin ombreux de cet éden41”, which was translated as “Certainly, two lovers just caught and happy, seated on the silk in some corner of this Eden42”:

The blunder which renders ludicrous this burst of sentiment which the author intended to be touching, is caused by confounding the French word ‘épris’ in the original, which means smitten or captivated, with the word ‘pris’, which means caught. "Two lovers just caught!"  Be not indignant, Eugene Sue! We have heard of the marriage noose, but never of two lovers, who were caught before they were changed ‘so awkward into frigid man and wife’. What were the young’uns about? We will not presume, for an instant, that they were caught in any impropriety; for although the edition of the Harpers’ is ‘without abridgement’ we presume that the sanctimonious publishers would have expurgated all such naughty allusions.

When considering the rest of the Harper edition this humorous remark seems to hold true. For instance, in Chapter IX of Part IV the confession of Louise that Jacques Ferrand raped her during her sleep is completely expurgated. In the Harper edition Louise does not confess waking up dishonoured next to Jacques Ferrand and the reader can hardly understand why she was drugged or what happened to her43.

But content of sexual nature was not the only thing to be omitted in the Harper edition. As described in an article entitled “One of Mr. Town’s omissions” published in The New World on November 8, many passages of political content were also expurgated from the Harper edition. The author gave the example of Chapter IX in Part V, where all of Sue’s discourse on the defects of criminal justice in France was suppressed. In a later press review in The New World, Benjamin Park drew very similar conclusions concerning the Harper edition: “It is simply the story of the book miserably told in miserable English; the ‘morale’ is entirely omitted – a fact confessed in a note by the translator, who, it would seem, was far more honest than the publishers44 ”. Indeed, in the Harper Edition, Charles H. Town admits in a “Note by the Translator” that he deliberately left out many passages without giving the reader his reasons for doing so:

We omit as we have said, many of the author’s meditations and descriptions for several reasons; perhaps it will suffice to mention one. In describing some of the mysteries, and the thoughts they occasion, the author is naturally obliged to be very minute, too much so to be rendered into English. We have therefore concluded to pass lightly over these passages, strongly advising all those who have a knowledge of the French language to read the original, for much, very much is lost by the translation45.

The Harper edition is thus a very good example of the complex processes of rewriting that the original Mysteries of Paris underwent when it was issued through foreign high publishing channels. Even though it was a cheap publication that attempted to appeal to the lower classes, the Harpers (whose reading public was mainly the upper and middle social classes) still expurgated not only all the sensational elements of the novel, but also all its radical political content.

On the contrary the New World edition presents a minimal rewriting of Sue’s original. Despite the fact that it was a translation made for the lower reading classes, it did not elaborate on the popular sensational patterns of the novel, as did for instance William Dugdale’s penny editions in Britain. It is a very faithful translation of Eugene Sue’s novel with regard to the meaning, and as in many translations that appeal to lower class readers, the translator chose a domesticating strategy. This is a marked contrast to the highly foreignizing Harper edition where the frequent presence of unexplained French terms made the translation difficult for the American common reader. Deming’s translation was, as Jonas Winchester stated, “hardly a translation, it was a transfusion of the story into English46”. Moreover, Henry Deming succeeded in adequately rendering the French author’s innovative techniques in novel writing, which consisted in harmoniously hybridizing fiction and reporting47. Unlike Charles H. Town who chose to omit most of the footnotes and passages concerning French society and history, Henry Deming translated them faithfully, thus transmitting to his readers the value of Sue’s novel as a literary sociological survey.

The Critical Reception: Reversing Publishing Stereotypes

The American reading public and the country’s critics did not react in the same way towards these two radically different translations. The most efficient way in establishing each version’s reception is by studying the various information given by the advertisements published in journals and newspapers.

In terms of sales, The New World edition seems the most popular, if we accept that the numbers given by both publishers contain at least a modicum of truth: Harpers announced, on the 1November 1843, that it had sold 15000 copies48, whereas The New World announced, on 4November 1843, stated that they had sold half again as many, at 35000 copies49.

Likewise, Winchester’s advertisements quote many more positive critiques, and those were published more often than the Harpers’. Throughout their entire advertising campaign, the Harpers cited only two positive reviews: one from the New York Commercial Advertiser and another from the Boston Daily Mail50. But even the extract from the Boston Daily Mail stating that the Harper’s edition was “decidedly the best” was in fact countered by a later review in the same newspaper that praised equally The New World edition51. On the contrary, The New World advertising campaign consists of a great number of extended quotes from various journals and newspapers such as the Evening Post, the Portland American, the Boston Atlas, the Troy Budget, the New York Aurora, the Louisville Diamond, the Oswego County Whig, the Albany Knickerbocker and the New York Daily Tribune. Through these numerous “Opinions of the press” the critics do not only highlight the excellency of Deming’s translation and the very poor quality of Town’s, but above all the greediness and deceitfulness of the Harpers. The Louisville Diamond even compares them to the arch villain of The Mysteries of Paris, Jacques Ferrand52.

Indeed, the edition of The Mysteries of Paris did great damage to the public image of the Harpers not only because of Town’s translation, which bore “all the marks of steamboat hurry”53, but also because of the attempt made by the old bookmakers to defraud the public by presenting their translation as “unabridged”, a falsehood exposed in many articles and advertisements of The New World. The peak of The New World’s campaign against the Harpers’ “mutilated”  edition took place on November 14, when the journal decided to publish “in anticipation of the regular issue”  the Epilogue of The Mysteries of Paris, “not to forestall the interest of the reader, but to show to the purchasers of Harper’s badly mutilated and imperfect copy how grossly they have been imposed on by the honest publishers of ‘the only complete edition’, from which the whole of the concluding chapters, here given, are omitted54”. The Harpers announced the same day, next to this advertisement that gave solid evidence of the fraud, the issue of a new novel by Eugene Sue entitled Gerolstein: A Sequel to The Mysteries of Paris, priced at 6 cents. This was in fact no more than the “Epilogue” of the original novel, which their own recent edition had omitted.

The facts were thus too clear for the public to ignore the real purposes of the Harper edition. It was neither an edition for the people, nor an edition for any reader at all, but in fact a mere weapon in the publishing war that the Harpers waged against the “mammoth weeklies” and specifically the New World, as the Oswego County Whig pointed out:

It has been enough heretofore to say of any work, that it was published by the Harpers – such has been the confidence of the public in their selections for the press; but let them publish a little more such trash as this, and that confidence will be destroyed. It is a miserable translation and we would advise the translator to make one more attempt and then ‘ask to go out’. No one after reading a few pages of the New World’s copy will consent to read Harpers’ at all. The first is written in a fascinating style – the other so bunglingly as to madden a school boy; the one by a master – the other by a novice. And the Harpers ought to know, that however they may wish to chastise a rival, they must not trifle with the public55.

What is most striking in this critique is that the word “trash”, usually employed by bookmakers and numerous social agents in order to talk about cheap literature published by weekly journals, is used in relation to a respected editor whose name was a guarantee of quality. In other words, a stereotype concerning “low” publishing channels is hereby employed in order to describe a production issued by what was considered as a “high” publishing channel. Other critics speak of the two translations in the same way:

The New World edition is decidedly the most preferable. It is not only the most correct translation but the typographical appearance is superior56.

The Messrs. Harpers are blamed for having abridged portions of the work which have an ‘immoral’ tendency. Now the truth is, that if the work has any such tendency, it is because it has been abridged. Those parts which have been omitted are just the parts, consisting of reflections, remarks, &c., which were necessary to a full understanding of the author’s design, and to prevent any evil impression that might be produced by his more naked descriptions57.

The critics here consider The New World edition not only as a more “moral” edition than its rival, but also as a printing of higher quality, two characteristics usually attributed to productions issued by the high publishing channels.

The greatest success of The New World when editing The Mysteries of Paris was thus not so much its greater popularity with the reading public as the fact that it tried, and to a certain extent succeeded, in completely reversing publishing stereotypes attached to cheap literature. It proved that what was commonly considered by the upper classes as a low quality and immoral publishing channel could in fact compete directly with the oldest and most renowned bookmakers not only in terms of quality but also in terms of morality.

***

To conclude, the study of the American editions of The Mysteries of Paris in 1843 casts light on several important aspects of both the evolution of the publishing industry in the United States and the practice of translation. Not only is it an eloquent example of the rising tensions between veterans and newcomers of the publishing business, but it also shows how foreign literature undergoes complex processes of rewriting that mainly depend on the publishing channel it goes through. Moreover, The New World’s success in reversing publishing stereotypes by winning the battle for The Mysteries of Paris can be considered as a landmark in the short history of Benjamin Park’s pioneering journal, which for the first time gave manifest proof of what was incessantly claimed in a great number of its articles: cheap publications, despite their price and the publishing stereotypes attached to them, can equal, if not surpass, those of renowned bookmakers. As Benjamin Park explained it in a statement highly marked with “the spirit of 1842”: “On the score of their literary character or moral tendency, no one can condemn our publications; and the only charge that can be brought against them is their cheapness! And this is one which we are quite sure will never be urged, except by publishers who are interested in keeping up the former high prices of books, thereby depriving the many of the pleasures and advantages of literature. Books elegantly bound and printed on costly paper, are luxuries, which only the rich can enjoy; but we have found out a way in which all their intrinsic value may be imparted to the poor. We are friends of the people; our motto is, the greatest good to the greatest number58.

(RIRRA 21, Montpellier III – University of Patras)

Notes

1  « The spirit of 1842 », The New World, 28 janvier 1843, p. 116–118. Tous les textes sont traduits de l’anglais par nos soins. Les originaux sont disponibles dans la version anglaise de cet article.

2  Voir Eugene Exman, The House of Harper. The Making of A Modern Publisher, New York, Harper Perennial, 2012, p. 79–80.

3  Voir « The Rev. Erskine Mason and Cheap Literature », The New World, 8 avril 1843, pp. 525-526 – « Cheap Publications, Trash, & c », New World, 20 mai 1843, p. 598 – « Cheap Literature », 15 juillet 1843, p. 56-57 – « Cheap Literature », The New World, 23 septembre 1843, p. 366.

4  La publication a en réalité été achevée en neuf livraisons.

5  Voir « The International Copyright Question », The Democratic Review, repris dans The New World, 11 février 1843, p. 169 –171.

6  Pour les détails de sa biographie, voir : Obituary Record of Graduates of Yale College. Deceased during the academical year ending in June, 1873, including the record of a few who died a short time previous, hitherto unreported, n° 3, 25 juin 1873, p. 97.

7  Voir « Important Enterprise » dans la section « Advertisements », The New World,27 janvier 1844.

8  Il s’agit d’une édition française concurrente de celle proposée par le francophone Courrier des États-Unis dans son supplément « La Semaine Littéraire » à partir de février 1843.

9  « Advertisements », The New World, 10 février 1844.

10  Voir The New York Daily Tribune, 25 octobre 1843, p. 3.

11  Voir la critique de l’édition Harper par Drinker et Morris Richmond », dans « Editor’s table », The Southern Literary Messenger, décembre 1843, p. 762.

12  Eugène Sue, Les Mystères de Paris, éd. Judith Lyon-Caen, Paris, Gallimard-Quarto, 2009, p. 252.

13  Eugene Sue, The Mysteries of Paris, translated from the French by Charles H. Town Esq., New York,  Harper & Brothers, 1843, p. 89.

14 Op. cit., p. 175.

15 The New World, 2 décembre 1843, p. 548.

16  Eugene Sue, The Mysteries of Paris, translated from the French by Charles H. Town Esq., New York, Harper & Brothers, 1843 p. 218.

17  Voir la réclame pour « The Female Blue Beard », The New York Daily Tribune, 6janvier 1844, p. 2.

18  Les critiques américains avaient conscience de l’originalité du roman de Sue qui mélangeait harmonieusement fiction romanesque et journalisme, voir « The Mysteries of Paris : A Novel. By Eugene Sue. New York, Harper and Brothers, and Winchester », Graham’s Magazine, février 1844, p. 93-95 : « Dickens en utilisant l’argot des différentes classes de la société, détruit l’artiste en lui et le rabaisse au niveau d’un simple reporter compétent. Il décrit les scènes et les traits particuliers admirablement, mais il n’est pas aussi bon dans la description générale des personnages. Il nous donne les effets de leurs actions, mais jamais leurs motivations. Eugène Sue combine les qualités de Dickens comme reporter avec celles d’un artiste quant au style et d’un poète quant à la conception de son œuvre, chose qui lui permet de rester toujours maître de la forme dans laquelle il traite son sujet ».

19 The New York Daily Tribune, 1er novembre 1843, p. 3.

20  Voir « Advertisements », The New World, 4 novembre 1843.

21  Voir The New York Daily Tribune, 31 octobre 1843, p. 3.

22  « Dans nos remarques l’autre jour, nous n’avons jamais eu l’intention de dire quoi que ce soit contre la traduction du New World. C’est une excellente traduction, fidèle à l’original et irréprochable quant au travail du style et à sa cohérence », critique du The Boston Daily Mail datée du 31 octobre 1843, citée dans « Advertisements », The New World,11 novembre 1843.

23  « The Mysteries of Paris », The New World, 2 décembre 1843, p. 548.  

24 Graham’s Magazine, février 1844, p. 95.

25 The New York Daily Tribune, 14 novembre 1843, p. 3.

26  « Advertisements », The New World, 11 novembre 1843.

27  Critique parue dans Albany Knickerbocker, citée dans « Advertisements », The New World, 11 novembre 1843.

28  Critique parue dans The Evening Post le 29 novembre 1843, citée dans « Advertisements », The New World,2 décembre 1843.

29 “Cheap Literature”, The New World, 23 September 1843, p. 366.

30  “The spirit of 1842”, The New World, 28 January 1843, pp. 116–118.

31  Eugene Exman, The House of Harper. The Making of A Modern Publisher, New York: Harper Perennial, 2012. 79-80.

32  See “The Rev. Erskine Mason and Cheap Literature”, The New World, 8 April 1843, pp. 525-526 – “Cheap Publications, Trash, & c”, New World, 20 May 1843, p. 598 – “Cheap Literature”, 15 July 1843, p. 56-57 – “Cheap Literature”, The New World, 23 September 1843, p. 366.

33  See “The International Copyright Question”, The Democratic Review, reprinted in The New World, 11 February 1843, p. 169–171.

34  For biographical details, see: Obituary Record of Graduates of Yale College. Deceased during the academical year ending in June, 1873, including the record of a few who died a short time previous, hitherto unreported, Presented at the meeting of the Alumni, 25 June 1873, No. 3 of the Second Printed Series and No. 32 of the whole Record. 97.

35  See “Important Enterprise” in the “Advertisements” column that is always to be found on the last two pages of each number: The New World,27 January 1844.

36 The first French edition of The Mysteries of Paris was also published in New York by the weekly Courrier des Etats-Unis in its literary extra “La Semaine Littéraire”. Its first instalments were issued on February 1843.

37 “Advertisements” , The New World, 10 February 1844.

38 The New York Daily Tribune, 25 October 1843, p. 3.

39 The New York Daily Tribune, 14 November 1843, p. 2.

40  See the review of the Harper edition of The Mysteries of Paris by Drinker and Morris Richmond in the “Editor’s table” of The Southern Literary Messenger, December 1843, p. 762.

41  Sue, Eugène, Les Mystères de Paris, ed. Judith Lyon-Caen, Paris, Quarto-Gallimard, 2009, p. 252.

42  Sue, Eugene, The Mysteries of Paris, translated from the French by Charles H. Town Esq., New York, Harper & Brothers, 1843, p. 89.

43 Op. cit. 175.

44 The New World, 2 December 1843, p. 548.

45  Sue, Eugene, The Mysteries of Paris, translated from the French by Charles H. Town Esq., New York, Harper & Brothers, 1843, p. 218.

46  See the advertisement for “The Female Blue Beard”, The New York Daily Tribune, 6January 1844, p. 2.

47  American critics were well aware of Sue’s innovating techniques in hybridizing fiction and reporting. See “The Mysteries of Paris: A Novel. By Eugene Sue. New York, Harper and Brothers, and Winchester”, Graham’s Magazine, February 1844, p. 93–95: “Boz, in using the flash language of different classes of society, often sinks the artist and descends to the character of the mere correct reporter. He describes scenes and single traits of character admirably; but it is not equal to the delineation of character itself. He gives effects but no motives. Eugene Sue combines with the qualifications of Boz as an observer, those of the artist in style and the poet in conception, which enables him always to remain master of the form in which to dress his subject”.

48 The New York Daily Tribune, 1 November 1843, p. 3.

49  See “Advertisements” , The New World, 4 November 1843.

50  See The New York Daily Tribune, 31 October 1843, p. 3.

51  “In our remarks the other day, relative to the various translations of this most interesting book, we do not intend to be understood as saying aught against the ‘New World’ edition. That is an excellent translation – faithful to the original and every way unobjectionable in style and finish”, The Boston Daily Mail, 31 October 1843, cited in “Advertisements”, The New World,11 November 1843.

52  “The Mysteries of Paris”, The New World, 2 December 1843, p. 548.  

53 Graham’s Magazine, February 1844, p. 95.

54 The New York Daily Tribune, 14 November 1843, p. 3.

55  “Advertisements”, The New World, 11 November 1843.

56  From the Albany Knickerbocker, “Advertisements”, The New World, 11 November 1843.

57  From TheEvening Post, 29 November 1843, cited in “Advertisements”, The New World,2 December 1843.

58  “Cheap Literature” , The New World, 23 September 1843, p. 366.

Pour citer ce document

Filippos Katsanos, « Les Mystères de Paris aux États-Unis en 1843 : la traduction comme champ de bataille entre anciens et nouveaux venus de l’édition américaine », American Mysterymania, sous la direction de Catherine Nesci, avec la collaboration de Devin Fromm Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/american-mysterymania/les-mysteres-de-paris-aux-etats-unis-en-1843-la-traduction-comme-champ-de-bataille-entre-anciens-et-nouveaux-venus-de-ledition-americaine