Presse et opéra aux XVIIIe et XIXe siècles

Une nouvelle critique d’opéra ? Le Mercure de France sous Panckoucke

Table des matières

MICHAEL O’DEA

Successeur du Mercure galant, qui est fondé en 1672, le vénérable Mercure de France semble à première vue traverser sereinement le xviiie siècle jusqu’à la Révolution. Plus intellectuel de 1755 à 1758 sous Marmontel, plus frivole de 1760 à 1768 sous La Place, son organisation en plusieurs grandes sections permet de doser subtilement le contenu, d’évoluer dans tel ou tel sens sans perturber outre mesure les lecteurs, souvent d’ailleurs assez peu nombreux (750 abonnés en 1756)1. La page de titre porte la mention « Dédié au Roi » et la formule n’est pas un hommage vide : dans les années 1780, par exemple, Louis XVI reçoit chaque samedi le nouveau numéro des mains d’un ministre.

Si la Révolution marque la fin inévitable d’une institution surannée, le Mercure aura cependant connu une révolution interne onze ans avant la chute de la Bastille. Le 1er janvier 1777 apparaît le Journal de Paris, premier quotidien français, qui par sa périodicité nouvelle possède un redoutable avantage sur les revues hebdomadaires et décadaires. Un an plus tard, le libraire qui détient depuis 1768 le privilège du Mercure, Jacques Lacombe, fait faillite, et au nom de Louis XVI, le ministre Vergennes passe un accord de grande envergure avec l’étoile montante de l’édition parisienne, Charles-Joseph Panckoucke, qui se voit notamment confier le privilège du Mercure2. En lisant le prospectus issu de cet accord, on comprend que Le Mercure est un véritable pilier de l’Ancien Régime, protégé contre la concurrence, presque au même titre que la Comédie-Française ou l’Académie royale de musique. C’est ainsi que pas moins de quatre autres journaux seront supprimés d’office en 1778 pour laisser le champ libre au Mercure. Le fait est rapporté dans le prospectus sans regrets ni excuses : on comprend que l’État fait son travail en mettant de l’ordre dans un domaine où la pluralité des voix est davantage perçue comme une menace que comme une richesse. L’ordre des priorités est clair aussi : Panckoucke écrit dans son prospectus qu’il « n’épargne ni dépenses, ni soins pour répondre aux intentions du Ministère & aux désirs du Public3 » : le journal serait alors d’abord au service de l’État.

Le grand atout du nouveau Mercure est d’être autorisé à proposer dans le même abonnement un périodique politique, le Journal politique de Bruxelles, qui prend la suite du Journal politique et littéraire, appartenant lui aussi à Panckoucke. Au lieu de donner les nouvelles politiques et diplomatiques une fois par mois, et assez sommairement, comme c’était le cas jusque-là, le Mercure devient indirectement un périodique d’information à part entière, contrairement au Journal de Paris, toujours cantonné dans le domaine des lettres, arts et sciences.

Dans un premier temps au moins, le propriétaire semble s’intéresser de près à sa nouvelle publication4. Il semble aussi avoir mené une véritable réflexion sur les meilleurs moyens de concurrencer le Journal de Paris dans les domaines qui leur sont communs, et notamment en ce qui concerne les spectacles. Nous souhaitons examiner en particulier la rubrique « Académie Royale de Musique » du Mercure, qui semble réaliser un véritable renouveau et approfondissement du discours critique. Ce renouveau a ses limites, et notre réflexion sur la question a connu quelques étapes, pour ne pas dire des hésitations. Si le lecteur cherche une qualité uniforme dans les articles sur l’Opéra, entre 1778 et 1792, par exemple, la déception l’attend fatalement. Dans le Mercure de 1785 à 1790, les comptes rendus de l’Académie royale de musique manquent incontestablement de consistance : rarement ambitieux, souvent sommaires, ils trahissent une sorte de fatigue, donnant l’apparence d’une perte d’intérêt pour l’art lyrique qui commence bien avant la Révolution. En outre, – le défaut est certes prévisible dans un journal si longtemps « dédié au Roi » – le Mercure ne s’adaptera pas facilement à la vie théâtrale des années révolutionnaires.

En revanche, si on se limite – et c’est pour l’essentiel ce que nous allons faire - aux premières années du Mercure de Panckoucke, de 1778 à 1784, le journal répond nettement mieux que d’autres périodiques à certains critères de qualité dans ses commentaires sur l’Académie royale de musique. Ces critères sont inévitablement ceux d’un lecteur du xxie siècle, qui porte ses Kulturbrille, les lunettes de sa culture, pour reprendre l’expression de l’anthropologue Franz Boas. Si l’on juge favorablement l’action de Panckoucke et la qualité de la rubrique « Spectacles » pendant une partie de ses années de direction, ce sera alors en évoquant une professionnalisation et une modernisation qui rapprochent les articles du Mercure de notre idée actuelle de la tâche de la critique musicale et dramatique. Le succès commercial du périodique pendant les mêmes années peut conforter cette approche, même si les nouvelles de l’étranger du nouveau Mercure, réuni au Journal politique de Bruxelles,sont l’explication principale de sa réussite.

Autour de Gluck, Iphigénie en Tauride (1779)

En juillet 1779, un an après la reprise par Panckoucke, le Mercure adopte, pour la première fois de son histoire, une périodicité hebdomadaire5. C’est un signe du renouvellement voulu d’emblée par Panckoucke, mais apparemment retardé par le gouvernement. Le rythme hebdomadaire permettra de suivre de plus près l’actualité internationale, et c’est incontestablement l’intérêt principal du changement : Panckoucke lui-même l’affirme. On peut penser, qu’accessoirement, c’est une façon de se positionner plus clairement par rapport au Journal de Paris, qui a la possibilité de signaler le matin même à ses lecteurs parisiens le programme des spectacles de l’après-dînée, ainsi que de rendre compte immédiatement des productions qui attirent la foule ou qui créent la controverse6. Panckoucke n’est pas entièrement dépourvu de moyens face au défi que représente une feuille quotidienne : les 48 pages in-12 d’une livraison du Mercure hebdomadaire permettent d’affiner l’analyse et d’approfondir la réflexion mieux que les quatre pages in-8 quotidiennes du Journal de Paris. Un suivi aussi ample, et surtout aussi régulier, n’était pas dans la tradition du Mercure, qui s’était souvent contenté de signaler tel ou tel spectacle, réservant ses commentaires développés aux œuvres les plus remarquées, mais en 1778-1779 le moment est opportun pour un nouveau départ.

En effet, le hasard fait que ce changement de rythme de publication intervient juste après la première représentation de l’Iphigénie en Tauride de Gluck, qui a lieu le 18 mai 1779 à l’Académie royale de musique. C’est un des événements marquants de la vie culturelle parisienne de ces années-là, et le Mercure va rendre longuement compte de l’œuvre. Les articles de Jean-Baptiste Suard sur Iphigénie expriment une admiration presque sans bornes, laissant percer une sorte d’exaltation en présence du chef-d’œuvre. Les moyens déployés par le journaliste, en rhétorique, en analyse critique et pour répondre à la volonté de situer historiquement un art nouvellement perfectionné, n’ont guère d’équivalent dans la presse périodique de l’époque. Ce déploiement de grands moyens dépasse en particulier tout ce qu’un quotidien peut proposer au lecteur.

L’ancien Mercure consacrait déjà plus d’un article à un opéra jugé remarquable. Ainsi, par exemple, le traitement de l’Orphée et Eurydice de Gluck et Moline en 1774 est sérieux et à peu près complet7. L’essentiel tient cependant en un article de huit pages, qui donne d’abord un bref résumé de l’action, en citant quelques vers de Moline (c’est « l’extrait » proprement dit) – et en multipliant ensuite des avis négatifs : le poète « n’a pu faire que des vers quelquefois contraints, & souvent irréguliers », l’action « est sans doute beaucoup trop simple pour trois actes8 ». Si on ajoute le jugement sur la scène aux Enfers, comparée au Castor de Rameau, on peut penser qu’un verdict sans appel va bientôt être prononcé :

Il n’en sera rien, le jugement est assez nuancé pour ce qui concerne l’œuvre dans son ensemble, le journaliste se montrant sensible au caractère émouvant de la musique, allant jusqu’à laisser entendre que de pareilles émotions sont rarement ressenties à l’opéra. Les seuls éloges sans réserve sont néanmoins attribués aux chanteurs et aux danseurs. Et quand de brefs articles reviennent sur Orphée dans les numéros suivants, ce sera surtout pour renouveler l’éloge des chanteurs, même si le succès de l’œuvre auprès du public est fidèlement enregistré. Plutôt de se montrer ouvertement anti-gluckiste, l’auteur (c’est peut-être La Harpe) se contente d’afficher des critères de jugement qui dérivent de Lully et de Rameau ; pour lui l’œuvre de ces deux musiciens n’est nullement dépassée, elle constitue au contraire un point de référence indispensable. On se demande s’il a bien pris la mesure de l’événement que constitue le triomphe de Gluck, et s’il s’est donné les moyens nécessaires pour en rendre compte10. Le ton a en tout cas changé depuis la première représentation d’Iphigénie en Aulide de Gluck, en avril de la même année, où, malgré quelques évocations d’opinions hostiles ou partagées, l’article, très long, est à la hauteur de l’événement : « cet opéra est un ouvrage de génie, qui paroîtra d’autant plus admirable que l’on en étudiera davantage les beautés & les détails11 ». Une partie de la famille royale avait fait le déplacement pour assister à la première représentation, et le Mercure se doit d’être sensible au goût de la jeune Dauphine, mais l’article, qui situe habilement Gluck par rapport à la tradition française, ne saurait se réduire à un exercice de flatterie : l’éloge de Gluck est motivé et éloquent12.

Critique d’opéra attitré du Mercure à partir de 1778, quoiqu’avec des intermittences importantes, Jean-Baptiste Suard (qui est le beau-frère de Panckoucke) va beaucoup amplifier les articles sur les nouveaux spectacles et modifier en profondeur leur contenu13. Lorsqu’il rend compte de l’Iphigénie en Tauride de Gluck en 1779, il propose une succession d’articles conçue d’emblée comme un tout. Ainsi, son premier article (ou la dernière partie de l’article tout au moins) est écrit après la première représentation, et non avant, comme c’était plus souvent le cas. C’est ainsi qu’il peut mettre en valeur son désir de partager rapidement avec le lecteur le sentiment d’être confronté à un chef-d’œuvre inspirant des émotions fortes14. C’est aussi le reflet d’une rupture avec la tradition de l’extrait, si souvent coupé de la réalité dramaturgique du spectacle15. Voici, à titre d’exemple, une vaste période anaphorique de cet article, unissant l’hommage et la volonté d’analyse dans un bel éloge de l’art de Gluck :

C’est le meilleur de Suard qu’on découvre dans un tel passage. La phrase, ample et rythmée, est néanmoins soumise aux besoins de l’analyse et de l’évaluation. Les notations sont précises : une couleur propre donnée au chant de chacun, une suspension des repos dans le récitatif, un caractère spécifique donné à chaque section de l’orchestre, etc. Cette précision du commentaire est mise au service d’une conviction profonde, d’un jugement de valeur affirmé tout au long de l’article et de ceux qui y succèdent : si l’art de Gluck amène tous ses opéras à des hauteurs jusque-là inconnues, cette nouvelle œuvre atteint un nouveau sommet. Cette conviction est bien entendu largement partagée à Paris, où, peu de temps après l’arrivée du compositeur, le terme employé pour caractériser le nouveau style n’est plus « réforme », comme à Vienne, mais « révolution17 ». Il n’empêche : confronté à l’œuvre de Gluck, aucun autre journaliste ne s’exprimera avec ni la même précision analytique ni la même élégance – et certains, on l’a vu, préfèrent se réfugier dans l’ambiguïté.

Plutôt que de donner l’impression d’un ordre convenu, suivi mécaniquement, Suard arrive même à jouer sur la périodicité du Mercure, en prétendant avoir d’abord laissé transpercer dans le premier article l’émotion que lui inspire l’Iphigénie, et en affichant dix jours plus tard18 un calme retrouvé : « l’ame, trop fortement émue par les premières impressions de l’ensemble, a besoin de se refroidir un peu pour être en état d’apercevoir & d’analyser les moyens de l’art, auxquels elle doit ses émotions & ses plaisirs19 ». Enfin, dans son troisième article, il cède la parole à un correspondant qui n’est pas nommé, mais qui est l’abbé Arnaud, grand partisan comme Suard du chevalier Gluck20. Dans cette lettre aussi, on voit l’enjeu du débat autour de Gluck, et le triomphe que représente Iphigénie en Tauride. Grâce à Gluck, on sait désormais (c’est Arnaud qui le dit) que la musique peut servir « à remuer l’ame, à peindre les passions, à réveiller des sentimens & à exercer la pensée », grâce à lui, « les Musiciens iront se placer à côté des plus grands Poëtes21 ». Gluck réalise – mieux que les Italiens, c’est ce qui est sous-entendu dans le passage – un programme proche de celui esquissé notamment par Rousseau, dans l’article « Opéra » de son dictionnaire et ailleurs : loin de travailler à l’agrément des sens, la musique, autant que la poésie, parle à l’âme. Les musiciens méritent une place à côté d’Homère22.

Le Mercure saisit ainsi l’occasion d’aborder ces vastes questions dans le moment d’émotion et d’enthousiasme amené par le triomphe d’Iphigénie en Tauride. Et on voit que les espoirs et ambitions de Panckoucke se réalisent, du moins pour le cas précis. Le Mercure se manifeste lors d’un grand événement culturel, il le met en valeur, il l’interprète. Nous sommes loin d’un simple accompagnement de l’actualité, le Mercure y est acteur.

La rubrique « Académie Royale de Musique » en 1781

Deux ans plus tard, en 178123, les différentes actions de Panckoucke ont largement porté leurs fruits. La diffusion du journal est en train de faire un bond immense24. Cela est certainement dû en premier lieu aux droits sur les nouvelles politiques que Panckoucke a su faire associer au privilège du Mercure, mais la rubrique « Spectacles », très étoffée, est loin de démériter et devait être aussi, plus modestement, un argument de vente. Jean-Baptiste Suard, qui – aujourd’hui cela nous semble étrange – cumule ses fonctions de critique avec celles de censeur des théâtres25, avait donné avec maestria l’exemple d’une critique renouvelée, avant de laisser la place, pour une période assez longue, à Jean Le Vacher de Charnois (1749-?1792). Celui-ci rendra compte des trois scènes officielles à partir de septembre 1779 ; Suard reprendra la rubrique « Académie royale de musique » en 178226. Partisan de Piccinni plutôt que de Gluck, de Charnois semble néanmoins s’inspirer de Suard pour l’ampleur et le caractère systématique de ses articles sur l’Opéra. Ses jugements manifestent une volonté de rendre compte de la vie de l’institution dans presque toutes ses dimensions27. Le ton est sérieux, les potins qui amusent les rédacteurs des Mémoires secrets sont absents, les rivalités et les haines décrites dans un ouvrage récent par Benoît Dratwicki (et qui menacent l’Opéra d’une véritable paralysie) sont à peine suggérées28, mais les décès et les départs à la retraite sont fidèlement enregistrés, donnant lieu à un jugement de la carrière de l’intéressé, fournissant un contexte historique au flux turbulent de l’actualité artistique. De même, à la clôture annuelle des théâtres, le rédacteur passe en revue le travail de l’année29. La volonté d’avoir une vue d’ensemble de l’Académie royale et, dans des limites imposées par la bienséance et la prudence politique, d’en informer le lecteur, est palpable. De Charnois, comme Suard, dispose de ressources précieuses – le temps qu’il faut pour laisser mûrir sa pensée, et de tenir compte des modifications introduites dans un spectacle après une première plus ou moins réussie, les pages qu’il faut pour développer une vraie réflexion, répartie au besoin sur plusieurs numéros du périodique. Dans l’ensemble, de Charnois répond correctement aux attentes que peuvent éveiller de si bonnes conditions de travail.

En 1781, l’ordre des spectacles dans le Mercure est devenu immuable30 : l’Académie royale de musique est traitée d’abord, avant la Comédie-Française, et la Comédie-Italienne occupe la troisième position31. Quand il y a eu concert spirituel, cependant, celui-ci a la préséance sur toutes les scènes. La hiérarchie n’est pas purement formelle : en 1781, un seul spectacle de la Comédie-Italienne donne lieu à un commentaire développé, comparable en longueur à ceux de l’Opéra et de la Comédie-Française : on comprend que cette scène ne jouit pas du même prestige que les deux autres, comme on devine que le titre solennel d’« Académie royale de Musique » donne à l’Opéra un léger avantage sur la Comédie-Française32. On peut ajouter qu’aucun spectacle des nouvelles scènes qui commencent à paraître à Paris n’a droit à la moindre mention33. Le Mercure est dédié au Roi, et rend compte des scènes que celui-ci a bien voulu reconnaître et subventionner.

La forme des articles sur l’Opéra n’est pas immuable, mais dans le cas des œuvres nouvelles, le critique donne d’abord le récit de l’action, abrégé et souvent réellement analytique. Il s’agit donc d’un extrait, mais d’un extrait intelligent et concis. La qualité du poème est ensuite évaluée, généralement avant la musique, et la notice conclut par un commentaire sur les chanteurs. C’est là que l’auteur cède parfois à la tentation de la formule facile, le plus souvent sous la forme de la réunion (« unir la grâce à l’élégance ») ou de l’opposition des qualités et défauts. Que l’auteur soit Suard ou de Charnois, on voit bien que ce n’est pas un musicien de métier qui parle : dans le cas de Suard, ce sont les grandes questions théoriques, les bouleversements esthétiques, et notamment la transformation de l’art lyrique opérée par Gluck, qui l’intéressent. Dans le débat contemporain sur le statut du critique musical – faut-il un musicien de métier, un homme de science ? ou bien l’homme moyen sensuel, à qui la musique est destinée après tout, peut-il légitimement tenir cette rubrique dans la presse ? – Suard est un cas inhabituel : à peu près dépourvu de connaissances techniques dans le domaine musical, il possède une capacité d’analyse littéraire et dramatique qui compense en partie ce manque.

Si Suard est loin d’accueillir avec bienveillance toutes les innovations – on sait quelle a été son hostilité au Mariage de Figaro de Beaumarchais – il ne se présente pas dans ces articles comme le gardien des traditions de la scène lyrique française. Au contraire, car il est depuis le début le panégyriste de Gluck, et il compte Grétry, dont il fera l’éloge en 1784, parmi ses amis34. De Charnois, en revanche, défend volontiers des positions conservatrices. Il dénonce, sur un ton parfois péremptoire, tout ce qu’il juge bas et vulgaire : le recul de cet art de cour que fut la tragédie lyrique ne doit pas être le prétexte d’un oubli du bon goût et des bienséances. C’est ainsi qu’un ballet-pantomime, La Fête de Mirza, de Gardel, attire ses foudres comme celles de la salle, ou plutôt d’une partie de la salle :

Sa supériorité sociale et esthétique une fois établie, l’auteur nous dévoile de longues perspectives historiques :

De Charnois est donc, entre autres choses, celui qui veut barrer la voie aux innovations nocives : dans son esprit, c’est manifestement une tâche aussi importante que de saluer les chefs-d’œuvre. Mais le critique n’est pas simplement un dernier relais des jugements de la génération de Voltaire. Il a assimilé les leçons de Diderot et de Mercier, comme on le voit dans son commentaire de l’opéra sentimental Le Seigneur bienfaisant37, immense succès de l’époque, où (parmi d’autres péripéties) un grand propriétaire accueille chez lui une famille pauvre qui a tout perdu :

L’effet sentimental, l’intérêt puissant et naturel du sujet, les jouissances de l’âme qui étouffent les sarcasmes de l’esprit : le vocabulaire, comme l’opinion exprimée, sont résolument modernes, accordant au sentiment une double primauté, dans les situations dépeintes et dans les jugements d’un critique qui aura réfléchi à la véritable valeur d’une œuvre qui présente éventuellement en même temps quelques défauts39.

Quant à la révolution gluckienne elle-même, les deux critiques, Suard et de Charnois, aiment se positionner là encore au-dessus de la mêlée, en maintenant une apparence de neutralité. Suard est cependant un adhérent convaincu de l’art et des doctrines de Gluck : même si on ne le savait pas, on ne pourrait pas lire la belle suite d’articles sur l’Iphigénie en Tauride sans en convenir. Pour de Charnois, le jugement doit être plus nuancé. L’article principal consacré à l’Iphigénie en Tauride de Piccinni, grande nouveauté de l’année 1781, et qui est en quelque sorte la réplique italienne à l’œuvre de Gluck, souligne avec application mais non sans nuances les mérites de l’œuvre, relativement peu appréciée par le public40. Les seuls mots vraiment durs sont réservés au librettiste41, ce qui permet de motiver l’échec relatif de l’opéra sans mettre directement en cause le compositeur. Globalement, l’article est poli sans être chaleureux, et l’œuvre n’aura pas droit à toute une série d’articles comme d’autres opéras marquants de la même époque. De Charnois avoue tacitement que son champion a échoué dans une confrontation voulue par le public et longuement attendue. Dans d’autres articles il refuse, d’ailleurs, de prendre position pour ou contre Gluck ou les Italiens42. S’il veut le succès des Italiens, s’il se montre assez peu sensible à la musique de Gluck, il ne semble pas céder à la tentation de la propagande. Il se pose en honnête ouvrier frayant son chemin au milieu d’un déchainement passionnel.

En avril 178143, une longue lettre anonyme du « Partisan de Mélophile », lettre tout à la louange de l’Iphigénie de Piccinni, fait suite à une protestation déjà adressée au Journal de Paris par un « Mélophile » concernant le jugement porté sur cette œuvre dans le Mercure. C’est une réponse ferme et détaillée, remettant en cause non seulement l’impartialité du rédacteur mais même la bonne volonté de l’administration de l’Opéra, qui aurait fait preuve de mauvaise foi en accueillant le spectacle sans accorder les moyens qu’il fallait pour qu’il réussisse. Mais la lettre est aussi, bien involontairement, une sorte d’hommage au Mercure, dont les articles sur la musique ont désormais une résonance considérable.

On peut, enfin, opposer la confiance de Suard en ses propres jugements, sa sérénité même, à une certaine amertume qui perce dans un article sur la Comédie française écrit par de Charnois à la même époque : celui-ci répond à des accusations de négligence, nées de son silence concernant quelques productions de la compagnie. C’est une réponse marquée par la lassitude : l’auteur estime que les comédiens, pourtant coupables d’après lui de fautes de goût et d’erreurs d’interprétation flagrantes, prennent très mal les critiques même les plus mesurées. C’est ainsi qu’il préfère dans certains cas se taire44. On trouve le même ton plaintif dans un article sur l’Opéra : de Charnois, en corrigeant une erreur qu’il avait faite, affirme sa volonté de suivre l’étendard de la vérité, « malgré l’humeur & les épigrammes des mécontens45 ».

Continuité et déclin

En 1783-1784, après le retour de Suard, la critique d’opéra du Mercure aura une ampleur considérable. Pour La Caravane du Caire, de Grétry et Marmontel, pour Didon, de Piccinni et Marmontel, c’est le grand jeu : La Caravane, grand succès populaire, aura droit à cinq articles en tout46. On retrouve le même ton assuré, la même volonté d’introduire des considérations de théorie littéraire et artistique dans le commentaire – bref, on reconnaît facilement la plume de Suard.

En 1784, cependant, un incident révélateur autour de Didon, de Piccinni, agite les petits mondes, très imbriqués, du Mercure et du Journal de Paris. Après un jugement mesuré de Suard à la fin de l’année précédente lors des représentations de l’œuvre47, un autre auteur rendra compte de façon très élogieuse de la partition de Didon en avril 1784, au moment de sa publication, et un correspondant du Journal de Paris, faisant semblant de croire que tout le Mercure est de la même main, insistera lourdement sur la différence d’opinion entre les deux auteurs (ou « Coopérateurs », comme ils s’auto-désignent) du Mercure48. Cela donne lieu à un violent échange entre ces derniers dans les pages du Journal de Paris. Le voile tombe : derrière le style tout en rondeur, derrière la neutralité prudente du critique ordinaire du Mercure pour l’opéra, on découvre un Suard qui dédaigne la musique italienne et, encore plus, les partisans de cette musique à Paris49. Son contradicteur, qui choisit une relative douceur face aux sarcasmes méprisants de son adversaire, serait-il La Harpe, autrefois maître de toute la rubrique « Spectacles » du Mercure ? On manque d’indices concrets pour le démontrer.

Puis en 1785-1786, commence une longue période de déclin : le « rédacteur ordinaire » n’est plus à même d’assurer sa chronique, et un autre écrivain prend sa place. L’annonce est faite en avril 1786, mais la fréquence des recensements d’opéras avait déjà diminué auparavant. Aucun article sur l’opéra ne paraît en octobre et novembre 1785 – c’est-à-dire dans huit numéros successifs du Mercure - et le seul article de décembre est un extrait écrit sans avoir vu la pièce en question sur scène. Le nouveau rédacteur ne sera d’ailleurs jamais assidu : en 1788, pendant les quatre mois d’août à novembre, le lecteur reste sans nouvelles de l’Académie royale. Sur le plan matériel donc, pour tout ce qui concerne le suivi régulier de l’actualité de l’Opéra, Suard n’aura pas de successeur au Mercure. D’autre part, les articles, encore amples dans certains cas, deviennent moins incisifs, et la triste pratique de l’extrait, qui abrège (mais pas assez !) l’action de l’opéra, revient en force. Dans un numéro de janvier 1788, quand on lit des phrases molles comme « En général, cette Pantomime est très-intéressante, & a beaucoup réussi », ou « Il faut convenir aussi qu’elle est exécutée avec une grande perfection », ou encore « Les Airs sont parfaitement choisis50 » (tout cela au sujet du ballet Le Déserteur de Maximilien Gardel), on regrette beaucoup la clarté et l’autorité parfois un peu péremptoire de Suard.

Si l’on veut porter un jugement même provisoire sur son apport au Mercure, il faut cependant souligner surtout le caractère uniforme et régulier de ses articles. Suard n’est sans doute pas le meilleur critique d’opéra que le journal ait connu. En remontant à la plus grande des querelles d’opéra du siècle, on voit que celui qui rend compte de la première soirée des Bouffons italiens à Paris en 1752 a le goût au moins aussi sûr. Son jugement de La Serva Padrona, favorable, est fondé sur des éléments clairs : si le sujet (dit-il) est très peu de chose, et le livret guère plus, c’est que « tout le mérite de cet Ouvrage est dans la Musique51 ». La pratique d’assister à plusieurs représentations est capitale, déjà, pour l’intérêt de son compte rendu : le premier jour, d’après lui, le courant n’est pas passé, à la fois parce que les acteurs, voulant « essayer le goût du public, […] ne se livrerent pas à toute la vivacité de leur jeu » et que le public était peu familier de leur style : le récitatif « parut long », et « la musique des Ariettes, toute excellente & toute frappante qu’elle est, ne fut goûtée que d’un petit nombre de connoisseurs ». Deux jours plus tard, cependant, « les Acteurs encouragés, & plus à leur aise, se livrerent davantage à leur jeu, & furent très-applaudis52 ». La qualité de la musique, le talent des acteurs, la réception réussie après un début incertain : tout est dit, accompagné d’indications précieuses pour le lecteur moderne : l’intermède de Pergolèse est doté d’une ouverture par Telemann, et suivi de l’Acis et Galatée de Lully, joué sans prologue.

Si un tel article relève surtout du travail bien fait, précis, clair, et apparemment libre de tout parti pris préalable, le Mercure publie aussi, occasionnellement, des articles d’une autre envergure. En avril 1772, sous la rubrique « Spectacles », on en trouve un qui par son titre annonce déjà ses ambitions : « Sur la Musique, à l’occasion de Castor ». Rameau est mort depuis bientôt huit ans, et l’installation de l’Opéra-Comique à l’Hôtel de Bourgogne en 1762, avec la montée concomitante de la pièce à ariettes, a profondément modifié la vie musicale de la capitale française. La remise en scène triomphale de Castor et Pollux, celui des opéras de Rameau qui, dans la version de 1754 (marquant la fin de la querelle des Bouffons), avait le mieux résisté aux évolutions du goût, est donc l’occasion de revenir sur des questions sans cesse débattues depuis 1752. Ce sera fait, et de façon remarquable, sur vingt-cinq pages, en intercalant dans un commentaire linéaire de Castor de vastes considérations générales sur la musique. L’attribution de l’article à Chabanon, est confortée par le sens historique qui l’informe : nous ne sommes plus dans les comparaisons anhistoriques de la Lettre sur la musique française de Rousseau, ni même dans les schémas chronologiques fortement théorisés et peu empiriques de son Dictionnaire de musique et de l’article « Opéra » en particulier.

Dans « Sur la Musique à l’occasion de Castor », l’auteur suit ce qu’il appelle une « marche interrompue », en intercalant des commentaires plus généraux dans l’examen linéaire de la production de Castor : ce qu’il appelle « l’analyse raisonnée » de l’œuvre devient ainsi « un traité sur le genre même53 ». Son verdict est dans l’ensemble sévère : il n’y a pas de musique dans le premier acte de Castor, le troisième acte est « froid et ennuyeux54 ». Et de toute façon le récitatif français est sans mérite, alors que le récitatif italien « réunit tout ce qui peut constituer la perfection55 », éloge que l’auteur appliquera un peu plus loin au récitatif du Devin du village aussi. Les quelques louanges qu’il distribue resituent souvent l’opéra de Rameau dans une époque lointaine, où la musique était moins évoluée qu’en 1772. Ainsi, sur le célèbre « Tristes apprêts », il écrit qu’il « fut sublime dans son tems56 ».

En dernière analyse, cependant, le discours tenu est celui d’un progressiste plutôt que d’un partisan aveugle des Italiens. L’auteur est capable de rendre un véritable hommage à Rameau pour sa musique de danse et pour la musique instrumentale en général ; il souligne (et déplore) par la même occasion l’absence de danse sur la scène italienne. Dans les années 1740, Rameau avait été salué, d’après un des modèles des Lumières, comme celui qui avait effectué une révélation éclair à travers la découverte des lois de l’harmonie ; en 1772, le travail du compositeur devient une simple étape selon un autre modèle des Lumières, celui d’une illumination progressive. L’attitude de l’auteur est peut-être plus le fruit d’une évolution inévitable des idées que la preuve d’un préjugé. Rameau et Castor ne sont d’ailleurs pour lui que l’occasion de son développement le plus riche, consacré à la « convenance », ou la nature du rapport entre paroles et musique57. Enfin, l’article s’investit du prestige et du pouvoir de persuasion attachés aux souvenirs personnels : on voit le vieux Rameau dire (apparemment à l’auteur) « Je sais mieux qu’autrefois ce qu’il faut faire, mais je n’ai plus de génie58 ».

Or, les écrits de Suard résistent difficilement à la comparaison avec un article pareil. Il n’a ni la fluidité ni l’aisance de l’auteur de 1772. Le ton chez Suard devient facilement professoral, et l’absence de formation musicale constitue une limite qu’il ne sait pas toujours franchir, alors que l’auteur de 1772 est manifestement musicien jusqu’au bout des doigts, et même chez l’auteur discret de la notice de 1752 sur La Serva padrona on sent une finesse dans les jugements musicaux que Suard ne manifeste pas toujours. Le grand apport de Suard est plutôt dans la consistance de son discours sur l’Opéra : avec des interruptions, mais plusieurs années durant, avec une certaine bienveillance, mais avec des exigences incontestables aussi, il applique les mêmes critères aux œuvres qui se succèdent, dans toute leur diversité, sur la scène de l’Opéra. À travers son intelligence et ses convictions esthétiques, il permet de suivre les différents aspects de la vie d’une grande institution culturelle de l’Ancien Régime pendant une des périodes les plus riches et les plus mouvementées qu’elle ait connues.

Conclusion

Dès que Suard quitte la barque, on aperçoit les limites de l’entreprise critique du nouveau Mercure. Dans le prospectus de 1778, Panckoucke veut que son périodique soit celui d’une Société de gens de lettres : il se fait ainsi l’écho de l’Encyclopédie de Diderot, et, sans doute, il laisse préfigurer la nouvelle entreprise de la Méthodique. Cette société du Mercure est encore évoquée dans le « Nouvel Avis » de 1779, mais il est aujourd’hui difficile de savoir quelle existence réelle elle a eue, malgré l’emploi occasionnel du terme de « Coopérateur » par Suard lui-même. Si cette société a existé, Suard y a participé – mais il a fini par se consacrer à un autre projet. Si on peut énumérer les défauts de ce critique – et son discours n’invite ni au dialogue ni à l’interrogation – il n’en demeure pas moins un modèle potentiel. Ses articles sont argumentés et denses ; globalement il donne un exemple de pertinence et d’efficacité à une époque où la critique cherche encore sa voie face autant à l’évolution de la presse qu’à la « révolution » de l’opéra. Les successeurs de Suard ne se soucient pas de l’égaler ou n’en ont peut-être pas les moyens intellectuels : les grandes considérations générales sont souvent remplacées par des banalités, et les comptes rendus deviennent facilement mécaniques et répétitifs. Un modèle qui aurait pu inspirer ne fonctionne guère.

Le déclin de la rubrique « Spectacles » du Mercure est donc sans rapport avec la Révolution, et le précède de plusieurs années. C’est en décembre 1792 seulement que, sous la pression des événements, le périodique deviendra le Mercure français, par une Société de patriotes, alors qu’on peut dater le déclin de la critique d’opéra de 1784 ou 1785. Si la période où l’Académie royale de musique est examinée de façon rigoureuse et systématique ne dure pas très longtemps, cela est sans doute lié à un choix personnel de Suard, parti, puis revenu, puis parti définitivement, pour « poursuivre d’autres intérêts », comme on dit dans les affaires, auprès de son beau-frère entreprenant : en l’occurrence, il est chargé des volumes Musique de l’Encyclopédie méthodique. Cette tâche, il la partage avec l’abbé Arnaud, mais Arnaud meurt en 1784 et Suard se retrouve seul59. Au Mercure, la relève est traitée – par Suard, par Panckoucke, par les deux, qui sait ? – de façon approximative, et une continuité qui aurait démontré la volonté de la rédaction de rester au plus haut niveau n’est pas assurée. Une convergence à plus long terme entre le calcul commercial et la rigueur critique aurait pu se réaliser, mais elle n’a pas eu lieu. Historiquement, c’est sans doute trop tôt. Les structures sont trop légères, la gestion des journaux trop improvisée ; l’individu n’est pas encore inséré dans un système plus fort et plus uniforme que lui. D’autre part, les normes d’une critique ambitieuse, qui formule clairement ses exigences, qui reconnaît et analyse le talent, que ce soit celui d’un compositeur, d’un poète, d’un chanteur ou d’un décorateur, ne sont pas encore généralement établies. Un Suard peut en créer quelques-unes à son propre usage, mais s’il ne les transmet pas, le prestige dont il jouit ne suffit pas pour qu’il fasse tout de suite des émules.

(Université de Lyon – Université Lumière Lyon 2 – UMR 5317 IHRIM)

Notes

1  David Charlton, Opera in the Age of Rousseau, Cambridge, University Press, 2012 , p. 216.

2  Prospectus publié dans le Mercure de France (désormais MF dans ces notes), juin 1778, p. 3-6, et par le Journal des savants le mois suivant. Sur Panckoucke, voir Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française, Pau, Mammpouey jeune et Paris, Touzot, 1977.

3  Journal des savants, juillet 1778, p. 503-505.

4  Il précise dans le prospectus que non seulement les souscriptions mais les livres, estampes, annonces, pièces de vers ou de prose, etc. sont à adresser à lui personnellement (ibid., p. 505).

5  L’annonce en est faite à la fin de la dernière livraison de mai 1779, dans un « Nouvel Avis » numéroté séparément p. 1-4, après la page 360. Ce document, peu connu, mérite cependant d’être lu pour les informations précises données sur l’identité des collaborateurs et la marche du journal. On le trouve sur Google Livres, dans l’exemplaire du MFconservé à la New York Public Library (consulté octobre 2014)

6  Outre son sujet principal, la thèse de Roxana Fialcofschi, Le Journal de Paris et les arts visuels, 1777-1788, univ. Lyon 2, 2009, donne une vue d’ensemble de tous les sujets de prédilection du Journal de Paris (désormais JP dans ces notes)et de sa démarche caractéristique face aux actualités culturelles et littéraires. Voir dans le Dictionnaire des journaux l’article « Journal de Paris 1777-1840 » de Nicole Brondel.

7  Première représentation le 2 août 1774. Article du MF, septembre 1774.

8  Ibid., p. 194.

9  Ibid., p. 196.

10  À titre comparatif, on peut lire l’article consacré à Sabinus, tragédie lyrique de Gossec et de Chabanon, MF, avril 1774, p. 159-168. L’article sur Orphée n’utilise pas un langage qui marquerait clairement la supériorité qu’on peut légitimement attribuer à l’œuvre de Gluck.

11  MF, mai 1774, p. 178.

12  Il n’est pas impossible que Suard soit déjà l’auteur de cet article, mais rien ne permet de l’affirmer ; les extraits du texte, le détail de la distribution, donnés en début d’article, sont contraires à ses habitudes ultérieures.

13  Dans une note de son « Nouvel Avis Concernant le Mercure de France, Politique, Historique & Littéraire », MF, mai 1779, Panckoucke écrit : « M. de la Harpe continuera de faire ce qui regarde la Comédie Françoise & la Comédie Italienne ; M. Suard, l’Opéra ; & M. l’Abbé Rémy, le Concert Spirituel ». Continuité donc en apparence avec le nouvel ordre mis en place lors de la reprise du journal : dans son prospectus de l’année précédente, Panckoucke annonce la constitution d’une « société de gens de lettres » pour rédiger le journal. Mais La Harpe va bientôt s’éclipser, et Suard est tantôt présent, tantôt absent dans les pages du journal. Sur l’ensemble de la carrière de Suard, voir Éric Francalanza, Jean-Baptiste-Antoine Suard, journaliste des Lumières, Paris, H. Champion, 2002.

14  MF, mai 1774, p. 294-301.

15  Le terme d’extrait est cependant employé pendant toute la période que nous examinons. Il désigne l’ensemble de l’article (ou des articles) rendant compte d’une nouvelle œuvre, sans distinction entre la partie qui résume l’action en citant le livret et la partie consacrée au commentaire et à l’évaluation.

16  MF, 25 mai 1779, p. 298-299.

17  « La révolution arrivée dans la musique de Théâtre a rendu presque nul le dépôt immense des ouvrages qui enrichissoient le magasin de ce Spectacle. Le Public éclairé ne pouvoit plus entendre avec intérêt la plupart des compositions des anciens Maîtres qui ont le plus brillé sur la scene » (JP, 5 juin 1781).

18  La périodicité hebdomadaire n’est pas encore en place.

19  MF, 5 juin 1779, p. 50-51.

20  Le texte est repris dans les Œuvres complètes de l’abbé Arnaud.

21  Arnaud, « Lettre sur Iphigénie en Tauride de M. le Chevalier Gluck », dans Œuvres complètes, t. II, Paris, L. Collin, 1808, p. 426-430.

22  Avec cependant la nuance que Rousseau n’attribue jamais à la musique une capacité à faire exercer la pensée. Le chant lyrique jette « le désordre et le trouble dans l’âme du Spectateur », la pensée n’y a pas sa place (Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, t. V : Écrits sur la musique, la langue et le théâtre, Dictionnaire de musique, éd. Jean-Jacques Eigeldinger, article « Opéra », « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, p. 954).

23  Peu d’opéras entre juin et novembre de cette année, la salle ayant brûlé à la fin de la soirée du 8 juin 1781. Voir MF, 23 juin 1781, p. 186-189, et JP, 9 et 10 juin 1781. Voir aussi MF, 8 septembre 1781, p. 87-91. « On a retrouvé jusqu’à présent neuf cadavres ; & par les recherches qui ont été faites, on peut se flatter de l’espoir de n’en pas découvrir beaucoup plus. Ceux retrouvés sont deux Danseurs figurans, trois Tailleurs & quatre Ouvriers machinistes. Aucun des premiers Sujets n’a péri » (JP, 10 juin 1781). Un pompier a également été victime de l’incendie (JP, 13 juin 1781).

24  Les abonnements passent de 7 000 en 1779 à 20 000 en 1783 (Dictionnaire des journaux, article « Mercure de France 2 » de Suzanne Tucoo-Chala).

25  Il est cependant nommé censeur des deux Comédies et non de l’Opéra, d’après les Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres, t. X, 3 juin 1777, Londres, Adamson, 1780.

26  MF, 6 juillet 1782.

27  D’après les Mémoires secrets, qui consacrent à Suard en 1782-1783 des articles fort malveillants, il se serait faufilé dans les conseils de l’Opéra, sans être qualifié à y jouer un rôle utile. Voir en particulier Mémoires secrets, t. XXI, 29 août 1782. Le 12 janvier 1783 il est traité d’ « eunuque au milieu du serrail » (MS, t. XXII).

28  Benoît Dratwicki, Antoine Dauvergne (1713-1797), une carrière tourmentée dans la France musicale des Lumières, Wavre, Belgique, Éditions Mardaga, 2011, p. 342 sqq. (où il s’agit précisément de l’année 1781).

29  Voir par exemple MF, 21 avril 1781, p. 131-133.

30  Cela n’est pas le cas entre 1778 et 1780.

31  Cet ordre est moins respecté en d’autres années de la même période.

32  Ce spectacle, l’Ariane de Benda, est d’ailleurs entièrement atypique du répertoire du Théâtre-Italien – et il sera farouchement dénoncé, du moins sous sa forme française.

33  Sur l’année entière, j’ai recensé dans les articles sur l’opéra deux références incidentes aux « théâtres des remparts », ou aux « tréteaux des remparts ». Concernant la Comédie-Italienne, il faut cependant signaler un grand article d’Imbert sur Jeannot et Colin de Florian au moment de la publication du texte (MF, 30 juin 1781, « Nouvelles littéraires », p. 210-222).

34  Sur Suard et Grétry, voir Thomas Vernet, « Avec un très profond respect, je suis votre très humble et très obéissant serviteur. Grétry et ses dédicataires, 1767-1789 », dans Jean Duron (dir.), Grétry en société, Wavre, Belgique, Éditions Mardaga, coll.« Regards sur la musique », 2009, p. 61-100.

35  MF, mars 1781, p. 31-32 (La Fête de Mirza, ballet-pantomime en quatre actes de Gardel).

36  Ibid., p. 32.

37  Le Seigneur bienfaisant, de Rochon de Chabannes et Floquet, première représentation le 14 décembre 1780.

38  MF, déc. 1781, p. 36, à propos du Seigneur bienfaisant. Le critique du Mercure s’excuse, on le devine, de sa propre sévérité : à mots couverts, il avait accusé Floquet de plagiat dans un premier article (MF, déc. 1780, p. 221).

39  Le Seigneur bienfaisant, qui jouit d’une immense popularité, est présenté en alternance avec l’Iphigénie en Tauride de Piccinni. Pousser loin les éloges du premier peut alors être une manière de déprécier le deuxième opéra. Il n’est pas indifférent que Le Devin du village soit joué en ouverture de soirée avec Le Seigneur bienfaisant (voir par exemple le JP, 29 avril 1781, 17 mai 1781) comme il le sera plus tard ave l’Iphigénie en Tauride de Gluck (JP, 16 janvier 1783), comme il l’a été plus tôt avec l‘Orphée de Gluck.

40  MF, samedi 3 février 1781, p. 38-45, 17 février, p. 139. Voir aussi MF, 17 novembre 1781, p. 130-141. Pour la rivalité entre les partisans des deux Iphigénie, voir MF, 7 avril 1781, p. 34.

41  A. du Congé Dubreuil.

42  Voir par exemple son article du 25 mars 1780, p. 176-182, auquel il renvoie le lecteur en rendant compte de l’Iphigénie de Piccinni.

43  MF, 21 avril 1781, p. 137-143.

44  MF, 2 juin 1781, p. 31-36. Voir aussi MF, 16 juin 1781, « Dialogue entre un Spectateur et un Critique », p. 131-139.

45  MF, 1er décembre 1781, p. 38.

46  La Caravane du Caire : MF, janvier 1784, p. 124 sqq., p. 168 sqq., p. 228 sqq., février 1784, p. 32 sqq., p. 181 sqq. Pour le contexte artistique, voir David Charlton, Grétry and the Growth of Opéra-comique (Cambridge, University Press, 2010), p. 200-202.

47  MF, décembre 1783 et janvier 1784.

48  MF, 24 avril 1784, p. 189-192.

49  JP, 5, 7 et 10 mai 1784.

50  MF, 26 janvier 1788 p. 177-178.

51  MF, septembre 1752, p. 167.

52  Ibid., p. 169.

53  MF, avril 1772, vol. 1, p. 160.

54 Ibid., p. 170.

55 Ibid., p. 163.

56 Ibid., p. 167.

57 Ibid., p. 170-174.

58 Ibid., p. 169.

59  Mark Darlow, Nicolas-Etienne Framery and Lyric Theatre in Eighteenth-Century France, SVEC, 2003:11, p. 292 (renvoi au Discours préliminaire de l’Encyclopédie méthodique).

Pour citer ce document

Michael O’Dea, « Une nouvelle critique d’opéra ? Le Mercure de France sous Panckoucke », Presse et opéra aux XVIIIe et XIXe siècles, sous la direction d'Olivier Bara, Christophe Cave et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2018, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-et-opera-aux-xviiie-et-xixe-siecles/une-nouvelle-critique-dopera-le-mercure-de-france-sous-panckoucke