Presse et opéra aux XVIIIe et XIXe siècles

Carrières entre presse et opéra au XIXe siècle : du mélange des genres au conflit d’intérêts

Table des matières

EMMANUEL REIBEL

Je m’occupe des théâtres depuis plus de vingt ans ; je les ai vus sous toutes leurs faces ; je les ai étudiés dans toutes leurs parties ; je les ai observés dans toutes les positions ; je les ai suivis avec passion comme amateur ; je les ai fréquentés avec assiduité comme auteur ; j’ai été appelé à les juger comme journaliste, et j’ai pénétré dans tous les secrets de l’administration comme directeur. J’ai acquis une telle connaissance de leur régime intérieur, que je n’ai pas besoin d’être initié dans leurs comités pour voir les vices de leur gestion : je les apprécie avec certitude sur l’aperçu de leurs travaux, et je dirai presque à l’inspection de leur affiche1.

Ainsi s’exprime Jean-Toussaint Merle (1789-1852), au seuil d’un ouvrage important consacré à l’Opéra de Paris en 1827. Ce journaliste et dramaturge se sert de la polyvalence de sa carrière, l’ayant conduit à être simultanément auteur, journaliste et directeur de théâtre, pour construire sa légitimité à parler de l’Académie royale de musique. La question est de savoir jusqu’à quel point ce mélange des genres assumé est bel et bien un atout, perçu comme tel à l’époque. Des figures bien connues comme Castil-Blaze ou comme Berlioz montrent combien le caractère polymorphe de carrières partagées entre presse et opéra a pu placer les intéressés dans des situations parfois déontologiquement délicates. Mais on évacue souvent le problème en soulignant le caractère d’exception de ces carrières transversales. Qu’en est-il vraiment ? Pour répondre à cette question, on enquêtera, selon une approche partiellement prosopographique, sur une période s’étendant de la Restauration monarchique aux premières années du Second Empire2.

Abeilles et frelons

On minimise souvent les liens étroits et plus ou moins obscurs établis entre presse et opéra. Je formule l’hypothèse suivante : les relations entre ces deux pôles sont sous-estimées dans la mesure où le xixe siècle a construit un discours d’opposition systématique entre presse et opéra. Il n’a cessé de reconduire, notamment, le stéréotype consistant à opposer les artistes (compositeurs ou interprètes) et les critiques. Allégorisé par le combat des abeilles et des frelons3, cette opposition repose sur une série de paradigmes : faire versus dire, pouvoir efficient versus faculté de nuisance, fécondité versus stérilité… Un article sur le foyer de l’Opéra, en 1839, théâtralise l’antagonisme, en évoquant un jour de première à l’Académie royale de musique :

Les frelons bourdonnent au loin tandis que la ruche travaille. […] Le directeur est pâle comme la mort, et il n’est pas jusqu’au souffleur qui ne sente son poil se hérisser. Pendant ce temps le foyer s’égaie en épigrammes, se délecte en mots piquants, toujours aux dépens des pauvres diables qui s’épuisent, se consument pour fournir une pâture à ses sarcasmes et à ses brocards4.

Cet extrait suggère qu’un directeur d’opéra fait partie du camp des abeilles. Prospère donc un discours selon lequel journalistes et artistes (au sens large) ne seraient pas du même monde. Généralement construit par l’univers artistique pour discréditer celui de la presse, ce discours manichéen n’est pas totalement sans fondement. Il rend compte de tensions et d’enjeux de pouvoir qui conduisent régulièrement les deux institutions – presse et opéra – à entretenir des relations tour à tour de séduction et de conflit. Par son formidable pouvoir médiatique, la presse, on le sait, peut intimider les interprètes, menacer les compositeurs, défier les directeurs, par des moyens parfois peu licites. L’opéra doit donc séduire la presse, à la faveur, par exemple, de prestigieux dîners ; mais il peut aussi à rebours menacer la presse, en mettant sous condition les billets de faveur, le placement privilégié dans la salle ou l’accès aux loges des danseuses, auxquels les journalistes sont si attachés5

Je formule néanmoins l’hypothèse que les relations entre presse et opéra relèvent moins d’une guerre larvée que d’une série de jeux de rôles et de complicités bien entendues. Le discours le plus répandu surjouerait donc l’antagonisme pour mieux masquer les consanguinités. Pour le dire autrement, abeilles et frelons s’agiteraient indistinctement dans la même ruche. C’est ce qu’invite à conclure un examen des carrières des grandes plumes journalistiques et musicales du xixe siècle.

Carrières croisées

Au xixe siècle, faut-il le rappeler, la critique musicale n’est pas un métier. En dépit d’un incontestable mouvement de professionnalisation, tout au long du siècle, elle reste une activité pratiquée sur des durées très variables, parallèlement à des carrières littéraires, administratives ou juridiques6. Beaucoup envisagent le journalisme musical comme un tremplin vers une carrière à l’opéra, qui n’advient pas toujours. Mais faute de réussir à s’imposer comme librettiste ou comme compositeur, nombreux sont ceux qui poursuivent leurs activités journalistiques, la presse constituant tout à la fois un précieux gagne-pain et une tribune médiatique fort opportune.

Les journalistes librettistes occasionnels

L’entremêlement des carrières n’est évidemment pas un fait nouveau, si l’on songe au parcours d’hommes comme Jean Pic, Louis Fuzelier ou Jean-François Marmontel, au cœur du xviiie siècle, ou à celui d’un Nicolas Framery (1745-1810) qui fut à la fois homme de lettres, compositeur, librettiste, et journaliste musical de renom7. Il est logique que pour les comptes rendus de spectacles, les journaux s’attachent des personnalités réputées ayant acquis un renom dans le monde de la scène. Ainsi, lorsque le Journal de l’Empire fait appel à François-Benoît Hoffman pour le feuilleton en 1807, ce dernier est célèbre pour avoir été le librettiste de Méhul (Adrien, Stratonice, Ariodant, notamment), de Cherubini (Médée) et de Dalayrac (Léon ou le Château de Monténéro). Hoffman fit alors le choix d’abandonner l’écriture théâtrale pour se consacrer pleinement au feuilleton. D’autres, comme Étienne de Jouy, cumulent les deux activités. Collaborateur de Spontini, de Cherubini, de Catel et de Rossini, ce dernier publie parallèlement de nombreux articles dans la presse de son temps8.

On a commencé à constituer une liste d’opéras ou d’opéras-comiques dont les livrets sont rédigés par des critiques musicaux (tableau 1)9. En dehors du cas célèbre de Castil-Blaze, quelques personnalités intéressantes ressortent de ce tableau. Théodore Anne, qui fait carrière dans la presse légitimiste (La France, L’Union), et signe également des chroniques musicales à la Revue et gazette des théâtres, est l’auteur de deux livrets pour Ambroise Thomas et pour Niedermeyer. Hippolyte Lucas (1807-1878), célèbre feuilletonniste au Siècle et au National, mène une vraie carrière dramatique : il signe le livret de douze opéras entre 1842 et 1874, parmi lesquels quatre adaptations françaises d’opéras de Donizetti, et des créations originales pour Victor Massé, Adam, Balfe, Vogel, Félicien David, Pessard ou Membrée. Édouard Monnais, qui travaille à la Revue et gazette musicale sous le pseudonyme de Paul Smith, est l’auteur de deux brefs opéras-comiques à succès en 1838 et 1840. Cette activité théâtrale fut suffisamment reconnue pour qu’il fût sollicité à quatre reprises pour la rédaction du texte de la cantate imposée pour le prix de Rome10.

À l’occasion de la création de La Dame d’honneur, coécrit par Édouard Monnais et Paul Duport pour Jean-Étienne Despréaux, La France musicale monte justement au créneau pour dénoncer le mélange des genres entre presse et opéra ; elle replace ce cas de critique-librettiste dans le contexte d’une « guerre ouverte entre le feuilleton et le vaudeville » :

Depuis longtemps le feuilleton dit au vaudeville : Vous ne sauriez pas écrire un feuilleton ? – Et le vaudeville répond : Vous n’êtes pas capable de forger un vaudeville. Et chacun continue tranquillement sa besogne. Les feuilletonistes font des feuilletons, et les vaudevillistes font des vaudevilles. C’est très bien. Mais ne voilà-t-il pas qu’un beau jour le feuilleton se décide à paraître sur les planches et à lutter corps à corps avec son facétieux antagoniste : le feuilleton fait la Dame d’honneur ; et la Dame d’honneur est le plus innocent de tous les vaudevilles, et quand le feuilleton aura à rendre compte de cette épreuve, il vous redira la phrase consacrée : Les auteurs sont gens d’esprit ; ils prendront bientôt leur revanche11.

Entre presse et composition

Après les journalistes-librettistes viennent les journalistes-compositeurs. Plusieurs cas célèbres s’imposent à l’esprit : Henri-Montan Berton, compositeur institutionnel qui pourfendit le rossinisme dans son organe de presse L’Abeille au début de la Restauration ; Adolphe Adam, qui compléta son brillant parcours lyrique par une carrière pédagogique et par une activité journalistique, après l’éphémère entreprise du Théâtre-National qui le ruina en 1848 ; Hector Berlioz, qui ne cessa de chroniquer les spectacles d’une institution – l’Opéra – dans laquelle il ne parvint jamais à s’imposer, et qui se trouva ainsi dans une position délicate12.

On s’attachera davantage à des cas moins célèbres, correspondant à celui de critiques musicaux qui se révélèrent occasionnellement compositeurs d’opéras ou d’opéras-comiques. Un recensement des ouvrages lyriques émanant d’hommes aujourd’hui davantage associés à l’univers de la presse fait l’objet du second tableau. On y découvre les noms de François-Joseph Fétis – le fameux critique et musicographe belge créa six opéras-comiques à Paris entre 1820 et 1832 –, mais aussi ceux de Joseph Mainzer, Théodore Labarre, Georges Kastner, Maurice Bourges et Gustave Héquet. Généralement employés par la presse spécialisée, ces journalistes occasionnellement compositeurs d’opéras sont plus prolixes dans le genre de la romance ou dans le répertoire pianistique ; ils trouvent en tout cas dans la critique un moyen de subsistance appréciable, à défaut de pouvoir vivre totalement de leur art. En général, leur double activité ne pose pas de problème aux yeux de leurs confrères, qui ont au contraire de l’estime pour cette polyvalence. Voici, par exemple, comment Henri Blanchard juge son collègue Théodore Labarre :

M. Labarre est artiste musicien dans la large acception de ces deux mots ; il a été et est probablement encore le premier de nos harpistes ; il a composé un grand nombre de charmantes mélodies, dont plusieurs sont devenues populaires ; il a écrit pour nos deux premières scènes lyriques de la musique de ballets et d’opéra-comique bien faite, et s’est même essayé dans le champ de la critique musicale d’une manière spirituelle. Cette variété de facultés éparpillées en choses diverses ne mène ni à la fortune ni à l’Institut ; mais tel est le sort des véritables artistes doués d’une imagination trop vive, qu’ils ne savent point ordrer leur vie comme un souple et patient bureaucrate13.

Les journalistes-compositeurs ne manquent certes pas de nourrir certains sarcasmes. Lorsque Gustave Héquet, critique à la Revue et gazette musicale, crée son opéra-comique Le Braconnier en 1847, La France musicale considère avec ironie le désir d’un journaliste concurrent de briller à l’opéra : « M. Héquet a donné gain de cause à la Critique musicale14 ». Est-ce là une façon vacharde de ne pas le considérer comme un véritable compositeur ? Ou est-ce une façon d’avouer, malgré tout, que le mélange des genres pratiqué par Gustave Héquet réduit à néant le procès d’incompétence souvent intenté à la critique musicale ? À la Revue et gazette, Henri Blanchard s’appuie précisément sur le cas de Gustave Héquet pour combattre la critique dilettante, celle qui estime que seul le sentiment de l’art permet de bien juger :

[Gustave Héquet] a sans doute voulu se distinguer de l’écrivain-musical-amateur qui abonde en France depuis longtemps, et trône même dans la presse musicale avec outrecuidance. Écrivant sur la musique, il a voulu prouver qu’il sait en faire15.

Au même moment, les Débats concèdent à Gustave Héquet « son droit à parler de quintes, de dissonances et de septièmes diminuées, sans s’exposer aux mésaventures de notre confrère Jérôme Paturot16 ». L’ironie discrète du propos (qui raille le langage spécialisé s’étant répandu dans la presse, depuis le début des années 1830) tend à valoriser malgré tout la critique spécialisée incarnée par Gustave Héquet : les techniciens sont peut-être moins nuisibles que les incompétents, suggèrent les Débats. Nul doute, donc, que les critiques-compositeurs permettent de donner au journalisme musical de nouveaux galons, en ces temps où ce dernier se développe de façon parfois anarchique.

Entre presse et administration théâtrale

D’autres types de carrières mêlent presse et opéra : celles qui entrelacent responsabilités dans les journaux et responsabilités au sein des théâtres lyriques ou de l’administration théâtrale. Ce type de carrière n’est certes pas neuf, puisque dans la deuxième moitié du xviiie siècle déjà, un homme comme Jean-Baptiste Suard avait pu mener une carrière dans la presse tout en étant censeur des théâtres (de 1774 à 1789) avant de devenir secrétaire perpétuel de l’Académie française17. Au cœur du xixe siècle, le cas semble courant. Émile Abraham (1833-1907), par exemple, fait partie des journalistes-librettistes (collaborateur de L’Entracte ou du Petit Journal, il signa le livret de six opérettes), mais sa carrière se déploya également sur le terrain de l’administration des théâtres : il fut « longtemps secrétaire général de l’Opéra-Comique, de la Porte Saint-Martin, de la Renaissance et du Gymnase18 ». Sa carrière ressemble à celle d’Albéric Second (1817-1887), fondateur et rédacteur en chef du Grand Journal en 1863, auteur d’un opéra-comique, et commissaire impérial au théâtre de l’Odéon pendant quatre ans, également sous le Second Empire ; à celle d’Auguste Lireux (1810-1870), fondateur de La Patrie, critique théâtral pour de nombreux journaux (notamment au Constitutionnel), mais auparavant directeur du théâtre de l’Odéon ; ou à celle d’Anténor Joly, fondateur du Moniteur du soir et du Vert-Vert, et directeur du théâtre de la Porte-Saint-Antoine et du théâtre de la Renaissance19.

La génération qui arriva aux commandes à la fin de la Restauration et sous la monarchie de Juillet fut sans doute la première à relier de façon aussi systématique bourgeoisie industrielle, entreprises journalistiques et administration théâtrale. À la façon d’Armand Dutacq (1810-1856), « l’un des hommes les plus riches et les plus puissants de la France20 », magnat de la presse qui assura la direction du Vaudeville21, ou encore de Victor Bohain (1805-1856), homme d’affaires, patron de presse (il racheta Le Figaro pour trente mille francs en 1827, fonda L’Europe littéraire puis le Courrier de l’Europe) qui prit également la tête du théâtre des Nouveautés22.

Mais c’est Louis Véron (1798-1867) qui incarna mieux que quiconque la figure de l’industriel et de l’entrepreneur faisant prospérer ses affaires à l’Opéra comme dans la presse. Il prit la tête de l’Académie royale de musique en 1831 après avoir abandonné une carrière scientifique pour une carrière industrielle et médiatique, marquée par ses collaborations à La Quotidienne et au Messager des chambres et par sa fondation de la fameuse Revue de Paris en 1829. Il sut comme nul autre construire ce que nous appelons aujourd’hui un réseau, qui le conduisit à entremêler en permanence les espaces médiatiques et artistiques. Ses dîners, très célèbres23, contribuèrent sans nul doute à favoriser l’endogamie de la presse et de l’opéra. Non seulement Véron, en tant que directeur d’opéra, avait une conscience aiguë des relations à entretenir avec le monde de la presse pour faire réussir son entreprise, mais il ne cessa d’étendre sa toile médiatico-artistique. Citons Louis Gentil (1782-1857), ancien secrétaire du conseiller d’état chargé de l’instruction publique et des théâtres en 1801, co-fondateur du Constitutionnel en 1815, ancien directeur du Mercure, un temps rival de Véron, qui fut conservateur du matériel à l’Opéra sous sa direction24 ; ou Silvestre de Sacy (1801-1879), durant vingt ans journaliste aux Débats, qui fit partie du conseil judiciaire de l’administration de l’Opéra sous Véron25 ; ou encore Loewe-Weimar (1801-1854), collaborateur de la première heure à la Revue de Paris, qui devint en 1835 l’associé de Duponchel à la direction de l’Opéra de Paris grâce à l’appui de Véron26.

Les hommes de presse furent donc régulièrement aux commandes de l’Opéra de Paris : après Véron et Loewe-Weimar, vinrent Édouard Monnais, Léon Pillet et Nestor Roqueplan. Édouard Monnais (1798-1868) était l’une des plumes les plus spirituelles de la Revue et gazette de Paris, librettiste occasionnel, avant de devenir co-directeur de l’Opéra de Paris avec Duponchel puis d’échanger sa place avec Léon Pillet pour devenir commissaire des théâtres auprès du roi27. Fondateur du Nouveau journal de Paris en 1827, Léon Pillet (1803-1868) avait lui aussi été journaliste avant d’accéder à la direction de l’Opéra. Quant à Nestor Roqueplan (1805-1870), il fut tout à la fois écrivain, diplomate, journaliste (rédacteur en chef du Figaro, collaborateur du Constitutionnel et de La Presse) ; sa carrière administrative l’amena à diriger successivement les Variétés (1840), l’Opéra de Paris (1847-1854), l’Opéra-Comique (1857-1860) puis le Châtelet. À l’Opéra-Comique, on peut signaler le nom d’Émile Perrin (1814-1885), qui fut également critique d’art dans divers journaux28. Du côté du Théâtre-Italien s’imposent les noms de Louis Viardot (1800-1883), patron de presse et directeur de cette institution entre 1838 et 1841, et de Léon Escudier (1815-1881), qui la dirigea entre 1875 et 1878 au terme d’une carrière journalistique et éditoriale.

Toutes ces carrières sont finalement très différentes les unes des autres et il serait vain de les modéliser ; mais incontestablement, dans toutes ces trajectoires personnelles, presse et opéra mènent l’un à l’autre, interfèrent l’un l’autre, s’enrichissent mutuellement. Quitte à placer les acteurs de ce savant réseau médiatico-artistique au cœur de sérieux conflits d’intérêts.

Des connivences aux conflits d’intérêts

Il n’est pas question ici de détailler l’ensemble des pratiques problématiques liées aux relations occultes entre presse et opéra : seront seulement évoqués un certain nombre de conflits d’intérêts, en tant qu’ils découlent des carrières polymorphes que nous venons d’esquisser.

Activer ses relations et faire valoir des intérêts réciproques

L’attitude consistant tout d’abord à jouer de son réseau journalistique à des fins artistiques est assez naturelle. Voyez Berlioz, par exemple, écrire à son collègue Édouard Monnais, devenu dès novembre 1839 co-directeur de l’Opéra, pour lui demander quinze jours seulement après l’entrée en fonction de ce dernier l’autorisation que trois musiciens de l’orchestre de l’Opéra se produisent à l’un de ses concerts29. Autre exemple : le 13 décembre 1852, Théodore Anne écrit à Léon Pillet, alors directeur de l’Opéra, une lettre lui demandant de le soutenir dans le conflit qui l’oppose à une commission d’examen du théâtre de l’Ambigu30. Les deux hommes, qui sont de la même génération, partagent le fait de mener une double carrière journalistique et littéraire, et ils ont même ensemble co-signé le livret de Marie Stuart pour Niedermeyer31 : Théodore Anne invoque assez naturellement sa relation de longue date avec Léon Pillet pour solliciter son appui. Dans ces deux exemples, nul doute qu’Édouard Monnais et Léon Pillet, qui ont tous deux été journalistes avant de prendre la direction de l’Opéra, n’ont guère à être convaincus de l’utilité qu’ils tireront de ces sollicitations : l’aide qu’ils apporteront à Berlioz comme à Théodore Anne pourra indirectement être récompensée par une bienveillance journalistique à leur égard.

De fait, la relation entre solliciteur et sollicité s’inverse parfois, comme lorsqu’en 1847 Roqueplan et Duponchel visent la succession de Léon Pillet à la direction de l’Opéra. Le ministre de l’Intérieur leur étant défavorable, tous deux demandent à Berlioz d’intervenir en leur faveur auprès du directeur du Journal des débats, Armand Bertin étant alors un homme de nature à renverser le point de vue ministériel. La démarche réussit (peut-on parler d’ingérence de la presse dans la nomination d’un directeur d’opéra ?) mais Berlioz n’obtint pas la position que les deux hommes lui avaient promise en échange32.

Critiquer un compositeur dont on est le collaborateur et le librettiste

La connivence se mue en conflit d’intérêts potentiel lorsqu’un journaliste doit écrire sur un compositeur avec lequel il collabore en tant que librettiste. C’est le cas d’Hippolyte Lucas, qui noue des relations privilégiées avec Donizetti. Les intérêts sont bien compris entre le journaliste, qui tente de construire une œuvre dramatique, et le compositeur italien, très soucieux de ses relations avec le monde de la presse, ainsi que l’a magnifiquement montré Stella Rollet dans sa thèse. Il est troublant de constater que les articles d’Hippolyte Lucas sur Donizetti, assez critiques en 1839 et 1840, deviennent positifs à partir de 1842, « l’année de leur première collaboration », « y compris quand ils concernent les ouvrages auxquels il n’a pas collaboré33 ». Le respect ou la reconnaissance qu’Hippolyte Lucas voue à Donizetti, en tant que librettiste, entre donc en conflit avec l’impartialité dont il est censé faire preuve, en tant que journaliste. On peut néanmoins imaginer aussi que l’opinion d’Hippolyte Lucas ait sincèrement évolué avec le temps.

Critiquer un compositeur ou un librettiste dont on est le confrère

L’entremêlement des carrières fait qu’il est courant, pour un journaliste, de devoir rendre compte d’une œuvre signée par un confrère. La prudence est en général de mise, tout comme le salut confraternel. On songe à Édouard Monnais rendant à Théophile Gautier « salut pour salut, politesse pour politesse » au moment de la création de Gisèle34. L’impartialité du critique est mise à plus rude épreuve encore lorsqu’il doit écrire sur un compositeur ou sur un librettiste dont il est le confrère au sein du même organe de presse. Lorsque Fétis donne Le Mannequin de Bergame en 1832 à l’Opéra-Comique, la personne chargée du compte rendu dans la Revue musicale se trouve en porte-à-faux :

Il y a de singulières positions pour un journaliste, et celle où je me trouve aujourd’hui n’est pas des moins bizarres. Donner son opinion sur une pièce de théâtre dans un journal appartenant à l’auteur, ne laissera pas que d’être embarrassant. Je sais bien qu’on a soin de vous dire : Vous avez entière liberté, écrivez librement tout ce que vous pensez de l’ouvrage et de l’auteur, vous n’en avez pas moins la main liée ; et la critique est toujours amère, même à ceux qui la font35.

Ce journaliste, en l’occurrence, se défausse en annonçant que la partition de Fétis est un succès public. Mais peut-il être impartial vis-à-vis de son propre employeur ? Un cas extrême apparaît quelques années plus tard à la Revue et gazette musicale, au moment de la création de La Sultana, dont le livret est co-signé par Édouard Monnais et dont la musique est écrite par Maurice Bourges, tous deux collaborateurs de la revue. L’article publié dans la Revue et gazette musicale le 20 septembre 1846 est signé des initiales E. D.36. La Sultana est présentée comme « l’œuvre de début d’un jeune compositeur, qui est de nos collaborateurs, de nos amis : et c’est là surtout que notre tâche devient difficile ; heureusement qu’un succès complet nous dispense de tout ménagement37 ». Aucun mot en revanche sur le fait que le livret, « charmant canevas écrit avec infiniment de verve et d’esprit38 », est lui aussi le fait d’un collègue… Aucun mot non plus sur le fait que la partition de cet opéra-comique est publiée par Brandus, maison d’édition qui vient de racheter à Schlesinger la Revue et gazette musicale !

Critiquer une œuvre dans un journal qui l’édite

Puisqu’elles sont pour la plupart liées à des maisons d’édition, les revues musicales spécialisées se trouvent dans les faits à la fois juges et parties. En mai 1845, les frères Escudier acquièrent la propriété et l’exclusivité de publication des œuvres de Verdi pour la France : que penser des articles qu’ils consacrent à ce compositeur dans leur revue, La France musicale, le journal de musique le plus lu à cette date ? Il ne s’agit pas là d’une exception, puisque Le Ménestrel sert à ses débuts de vitrine publicitaire aux éditions Heugel, que Le Monde musical est lié à Bernard Latte, tandis que la Revue et gazette musicale, avant son rachat par Brandus, est fondée par Schlesinger, à la fois éditeur et directeur de la revue. Lorsque la Revue et gazette écrit sur Meyerbeer ou Halévy, elle doit nécessairement valoriser un produit qu’elle contribue aussi à faire vendre parallèlement.

Critiquer ses propres ouvrages et ceux de sa famille

L’exemple de Castil-Blaze aux Débats est révélateur des pratiques du temps, tant son nom est resté attaché à ce que nous appellerions aujourd’hui l’autopromotion39 ! Lorsqu’en 1824, son Robin des bois (arrangement français du Freischütz) est éreinté par l’un de ses confrères40, il est obligé de monter lui-même au créneau, sous son traditionnel pseudonyme X.X.X., pour défendre la partition, et affirmer sans ambages la réussite absolue de l’ouvrage41. Castil-Blaze semble avoir largement profité de la pseudonymie pour publier régulièrement des critiques de ses propres ouvrages. Il se fait son propre avocat, lorsqu’il évoque par exemple dans Le Constitutionnel, en 1832, les déboires de sa traduction du Mosè de Rossini42, il annonce les spectacles auxquels il contribue, y compris en province43 ; il se couvre de roses lorsqu’il commente par exemple en 1834 le Don Giovanni de Mozart, qu’il a contribué à retoucher, et dont l’adaptation du livret a été confiée à Émile Deschamps et à son propre fils Blaze de Bury :

Il fallait un piédestal digne de la statue, un musée où le sublime tableau de Mozart fût livré à l’admiration publique avec la pompe, l’éclat qu’il réclamait en vain depuis si long-temps. […] Les traducteurs l’ont suivi avec fidélité en adoptant les idées d’Hoffman qui fait donna Anna amoureuse de son ravisseur ; donna Anna meurt de douleur ou s’empoisonne et son cadavre offert aux yeux du coupable, le convoi de l’infortunée défilant sous ses yeux avec les ombres des victimes qu’il a faites sont le prélude des supplices qui lui sont réservés en enfer. Je ne parlerai point du sujet de la pièce, je l’ai fait connaître en indiquant les nuances légères introduites par les auteurs français dans le livret allemand pour arriver à la donne d’Hoffman et motiver le spectacle fantastique du dénoûment. Leur traduction est excellente, irréprochable sous le rapport musical ; dans les scènes de récitatif simple, ils ont écrit sans contrainte, et le charme de leur poésie, la fraîcheur des idées, se sont fait jour à travers le voile musical. La scène de séduction entre don Juan et Zerline et plusieurs autres ont été remarquées et saluées par des témoignages unanimes d’approbation. Le récitatif instrumenté d’Anna, la cavatine brillante de don Juan, Va qu’une fête, les couplets de la sérénade, la scène du repas, doivent être mis en première ligne. Les traducteurs travaillaient sur un admirable canevas, ils l’ont brodé avec talent44.

Le journal peut donc devenir un espace d’autopromotion, à la barbe du lectorat du temps, qui n’y voit que du feu, et dans lequel interfèrent les questions familiales. La chose est courante, si l’on songe à Jacques Lacombe qui, au xviiie siècle, était à la fois écrivain de théâtre, éditeur du Mercure de France, et beau-frère de Grétry ; ou encore à Louis Viardot, célèbre patron de presse et mari de la plus célèbre cantatrice du xixe siècle.

Être directeur d’opéra et s’inviter dans un journal

La création du Juif errant, opéra en cinq actes de Halévy sur des paroles de Scribe et Saint-Georges, nous donne l’occasion d’assister à un dernier type de conflit d’intérêts : Nestor Roqueplan, alors directeur de l’Opéra, inquiet de ne point voir arriver le compte rendu du Juif errant au Constitutionnel, livre à ce journal une lettre ouverte, extrêmement longue, en forme de critique musicale… que s’empresse de publier ledit journal, le 2 mai 1852. Le feuilleton est savoureux, tant par l’immodestie dont fait preuve Roqueplan que par la confusion absolue des fonctions qu’assume parfaitement l’intéressé :

Le général raconte la bataille qu’il a livrée, comme s’il avait pu la contempler froidement de la nacelle d’un ballon ; c’est le justiciable qui parle et le ministère public qui se tait ; je me tends le dos et me le flagelle à coups de plume : ma main gauche attend le coup de férule que lui prépare ma main droite : je me gourmande et me donne des conseils dont je ne profiterai pas plus que s’ils me venaient d’autrui.

Mais soyez rassuré sur mon compte, je n’arriverai pas à de pareils excès. Après la rude besogne que je viens d’accomplir, je n’éprouve pour moi-même que de très bons sentiments ; par le succès je me suis attiré toute ma bienveillance et ne parlerai de l’opéra nouveau qu’en très bons termes45.

Après cette surprenante entrée en matière, Roqueplan se livre à une critique en forme de plaidoyer : il analyse la partition en déclarant que « sans exception, tous les morceaux sont excellents46 », cherche à éviter « une scène de famille » mais félicite chaleureusement tous les artistes de la troupe en évoquant leur zèle pendant les répétitions, s’étend sur les décors et les costumes de l’opéra, explique enfin le recours à la grande fanfare des instruments de Sax en cherchant à rassurer le public sur l’intégrité de ses oreilles lorsqu’il entendra la partition.

Roqueplan a-t-il réussi son coup, lui qui s’est efforcé de « ne rien ménager pour conserver [à l’Opéra] son éclat et sa renommée » ? Rien n’est moins sûr, si l’on examine la polémique qui éclate alors avec les Débats. Jules Janin répond en effet à Nestor Roqueplan le 10 mai suivant. En donnant tantôt du « Monsieur », tantôt du « cher confrère », l’article, au vitriol, salue ironiquement les « honneurs inespérés accordés au feuilleton par le directeur de l’Opéra ». Mais il consacre huit colonnes à commenter paragraphe après paragraphe l’arrogance de Roqueplan, à pointer son ignorance en matière de musique, et à dénoncer le conflit d’intérêts47. « C’est bien fait !, conclut-il, Avant peu la critique aura vécu, et vous verrez sa place occupée hardiment par messieurs les directeurs des théâtres de Paris48. »

Conclusion

Ce panorama à grands traits des carrières entre presse et opéra depuis la Restauration jusqu’au début du Second Empire aura sans doute permis de montrer les limites de l’opposition fameuse entre abeilles et frelons. Non seulement parce que les frelons rêvent de goûter à la reconnaissance des abeilles, et que les abeilles rêvent de posséder la faculté de bourdonnement des frelons. Mais surtout parce que les parcours polymorphes des littérateurs et des artistes du xixe siècle réduisent à néant toute typologie binaire des carrières. En dehors de polémiques ponctuelles, la transversalité des carrières entre presse et opéra est d’ailleurs plutôt vue d’un bon œil à l’époque. Mais de l’entrelacs serré qui résulte des univers artistique, administratif et médiatique naissent de réguliers conflits d’intérêts. Ces derniers ne sont pas toujours perçus ni dénoncés comme tels, tant l’entremêlement des activités est la règle à l’époque, encore favorisé par la pratique largement répandue de la pseudonymie : les réflexions d’ordre déontologique n’apparaissent que de façon sporadique, à l’occasion de cas ouvertement scandaleux.

(Université de Lyon – Université Lumière Lyon 2 – UMR 5317 IHRIM)

Annexe 1 : Livrets d’opéras écrits par des critiques musicaux

Annexe 2 : Opéras composés par des critiques-compositeurs (hors Berlioz)

Notes

1  Jean-Toussaint Merle, « Avertissement », De l’Opéra, Paris, Baudouin frères, 1827, p. 1.

2  La plupart des éléments biographiques utilisés dans cet article sont issus des données rendues accessibles par le site medias19.org ainsi que du « Petit dictionnaire des critiques musicaux » que nous avons annexé dans la version non éditée de notre thèse (L’Écriture de la critique musicale dans la presse française 1820-1870, Université Paris Sorbonne, 2002).

3  L’origine de l’association entre le critique malveillant ou calomnieux et le frelon remonte au conflit qui opposa Fréron à Voltaire. Ce dernier se vengea de son ennemi en le représentant sous le nom de « Wasp » (frelon, en anglais, en paronomase avec Fréron) dans sa pièce Le Café ou l’Écossaise (merci à Christophe Cave pour cette précision). Au xixe siècle, l’image opposant abeilles et frelons est devenue récurrente dans la critique comme dans la littérature (dans la préface de Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier par exemple).

4  Édouard Monnais, « Le Foyer », Revue et gazette musicale, 21 juillet 1839.

5  Voir le chapitre 4 (« Les difficultés de la critique ») de mon livre L’Écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, Paris, Honoré Champion, 2005. Charles Maurice a souvent été pointé comme la figure archétypique du critique malveillant ou véreux. Voir Charles Maurice [Descombes], Histoire anecdotique du théâtre, de la littérature et de diverses impressions contemporaines, tirée du coffre d’un journaliste avec sa vie à tort et à travers, Paris, Plon, 1856. Voir aussi l’article de Sylvain Ledda, « “Vous rendez les artistes si heureux par votre bienveillance.” Notes sur Charles Maurice », dans Olivier Bara et Marie-Ève Thérenty (dir.), Presse et scène au xixe siècle, en ligne sur medias19.org mis à jour le : 19/10/2012, URL : http://www.medias19.org/index.php?id=3011.

6  Voir le chapitre 3 (« Les rédacteurs ») de mon livre L’Écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, op. cit.

7  Voir Michel Gilot, http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/314-nicolas-framery : « À partir de mai 1770, Framery a assuré la rédaction du Journal de musique historique, théorique, pratique, qui, d'après Fétis, aurait été fondé en 1764 par Mathon de la Cour, et publié de loin en loin jusqu'en août 1768, puis poursuivi l'année suivante par Étienne de Framicourt, conseiller au Présidial d'Angers. Malgré le patronage de la dauphine, Marie-Antoinette, la publication dut cesser après le mois d'avril 1771 en raison du trop petit nombre d'abonnés (C, p. 72-73). Le Journal de musique ‘par une société d'amateurs’, continua cependant de paraître épisodiquement, sous l'impulsion de F., entre 1773 et 1778, trois volumes in-8o s'ajoutant à celui de 1770-1771. À partir de 1777, il publia dans le Courrier de l'Europe des articles sur le théâtre et la musique. En 1788 et 1789, il publia le Calendrier musical et il semble qu'il tint la rubrique des spectacles dans les trente-quatre volumes du Mercure français politique, historique et littéraire qui parurent de décembre 1791 à l'an VII. Vers la fin de sa vie il continua certainement de faire paraître des articles sur des sujets musicaux, comme en témoigne une ‘Lettre sur la Médée de Glower’, parue dans le Moniteur universel, 1807, no 112. »

8  Voir Michel Faul, Les Aventures militaires, littéraires et autres de Étienne de Jouy, de l’Académie française, Biarritz, Séguier, 2009. Jouy est chargé en 1807 de la rédaction en chef du Publiciste ; il est nommé l’année suivante censeur de La Gazette de France. Il publia dans ce journal de nombreux articles, entre le 17 août 1811 et le 30 avril 1814, sur la vie quotidienne à Paris. À partir du 7 mai 1814, il prend le pseudonyme de Guillaume le Franc-Parleur. En décembre 1814, il passe au Nain jaune. Entre le 16 juillet 1815 et le 26 mars 1817, il collabore au Mercure de France sous le pseudonyme Paul, chevalier de Pageville (L’Hermite de la Guiane) puis à la Minerve sous le pseudonyme L’Hermite en Province. Puis il publie dans La Renommée (1819), Le Miroir (1821-1823), La Pandore (1823-1825) et L’Opinion (après 1825). Étienne de Jouy est parallèlement le librettiste de La Vestale (1807), Fernand Cortez (1809), Les Abencérages (1813). Napoléon le nomme censeur (« commissaire impérial près le théâtre impérial de l’Opéra comique ») le 5 mai 1815.

9  Plus nombreux encore sont les journalistes s’illustrant parallèlement à leurs activités de presse dans la rédaction de vaudevilles. Nous avons choisi de ne pas recenser ici les feuilletonnistes-vaudevillistes pour nous consacrer aux genres proprement opératiques. Les noms présents dans le tableau 1 sont néanmoins à la frontière entre différents genres théâtraux. Plus nombreux sont les journalistes écrivant par ailleurs des vaudevilles.

10  Successivement Le Prisonnier (1851), Le Rocher d’Appenzell (1853), Bajazet et le joueur de flûte (1859), Louise de Mézières (1862). Pour le prix de Rome également, le journaliste et homme de théâtre Théodore Anne signa de son côté le livret de la cantate Ivan IV (1860).

11  J. M. [Jules Maurel], La France musicale, 7 octobre 1838, p. 4.

12  Voir la lettre à sa sœur du 27 février 1837 : « J. Janin m’a depuis peu cédé de fort bonne grâce le feuilleton des Théâtres Lyriques dans les Débats […] de sorte que je tiens sous ma férule l’Opéra et l’Opéra-Comique, mais c’est une position bien difficile à conserver sans de vilaines concessions. Ainsi dans quelques jours je vais avoir à dire passablement des bêtises indulgentes pour une énorme niaiserie musicale appelée Stradella, dont j’ai vu la répétition hier soir à l’Opéra. Mille raisons m’y obligent […]. » (Hector Berlioz, Correspondance générale, éd. Pierre Citron, Paris, Flammarion, 2001, t. II, p. 333.)

13  Henri Blanchard, Revue et gazette musicale, 17 août 1845, p. 270 (au moment de la création du Ménétrier de Théodore Labarre).

14  Léon [Escudier], La France musicale, 31 octobre 1847.

15  Henri Blanchard, Revue et gazette musicale, 31 octobre 1847, p. 355. Il poursuit : Les difficiles, les auteurs, compositeurs et autres spectateurs peu bienveillants des premières représentations prétendent, et en cela ils ont tort, qu’un critique ne doit entrer dans la carrière, créer dans un art, qu’à la condition de produire un chef-d’œuvre, ou du moins un ouvrage supérieur à tous ceux dont il a fait apercevoir les imperfections. Cette manière de raisonner est tout simplement absurde : c’est la doctrine de ceux qui prétendent que pour bien juger des arts et des procédés mécaniques dont ils se composent avec l’imagination, il suffit de les sentir, d’en être impressionné. »

16  E. Ds., Journal des débats, 3 novembre 1847, p. 2.

17  On se reportera à l’article de Michael O’Dea sur Jean Baptiste Suard.

18  C. E. Curinier (dir.), Dictionnaire national des contemporains (1899-1919), Paris, Office général d’édition d’imprimerie et de librairie, 1899-1919, t. V, p. 104

19  Ces informations concernant Anténor Joly (mort en 1852) restent à vérifier.

20  Albéric Second, Les Petits Mystères de l’Opéra, Paris, G. Kugelmann, 1844, p. 65.

21  Albéric Second le croque en 1844 dans les habitués de l’Opéra dans son ouvrage Les Petits Mystères de l’Opéra (p. 65) : « Il a débuté dans le monde industriel par fonder le journal le Droit. Moi qui vous parle, je l’ai connu à une certaine époque, et tout à la fois directeur-fondateur du Siècle, propriétaire du Charivari, directeur du théâtre du Vaudeville, l’un des principaux propriétaires de l’imprimerie Lange-Lévy, propriétaire de la Caricature, du Figaro, de la Gazette des Enfants, d’un journal-programme de spectacles, de Paris au dix-neuvième siècle, des Guèpes, rédigées par M. Alphonse Karr, et de la Petite Revue parisienne, rédigée par M. de Balzac. »

22  Vraisemblablement au tournant des années 1830, voir Nicolas Brazier, Histoire des petits théâtres de Paris, Paris, Allardin, 1838, p. 110. Merci à Charles Arden d’avoir attiré mon attention sur Victor Bohain.

23  Voir Joseph d’Arcay, La Salle à manger du docteur Véron, Paris, Alphonse Lemerre, 1868 (plaidoyer pour Louis Véron). À la fin de la monarchie de Juillet, Nestor Roqueplan, Arsène Houssaye, Malitourne Romieu, Boilay, Auber, Halévy ou Adam font partie des habitués des dîners de Véron. Voir aussi Peter Bloom, « Friends and Admirers : Fetis and Meyerbeer », Revue belge de musicologie, 34 (1980), p. 180 : « Véron knew the power of the press from personal experience ; he was always careful to include a number of journalists on the guest lists for his frequent and lavish dinner parties. » On se reportera aussi à l’article d’Hippolyte Castille, « Les hommes et les mœurs sous le règne de Louis-Philippe », Revue de Paris, 1er août 1855, p. 443-446 ; à Eugène de Mirecourt, Le Docteur Louis Véron, Paris, Gustave Havard, 1855 ; à Auguste Ehrhard, « L’opéra sous la direction de Véron », Revue musicale de Lyon, 1907, p. 178 sq ; à Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris, Paris, Gabriel de Gonet, 1854, 3 tomes.

24  Voir Louis Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris, op. cit., tome 1, p. 14 : « En 1829, je fonde la Revue de Paris. Il n’y avait alors qu’un seul journal littéraire ; il se publiait sous la direction et par les expédients de M. Gentil, qui fut pendant ma direction conservateur du matériel à l’Opéra. Ce journal était le Mercure. » Le journal de Louis Gentil a été par ailleurs publié sous le titre Les Cancans de l’Opéra (1836-1848).

25  Voir Louis Véron, op. cit., t. 1, p. 118 : « Je ne le connus que trop tard pour solliciter sa collaboration à la Revue de Paris ; mais, directeur de l’Opéra, je le priai de vouloir bien faire partie, comme avocat, du conseil judiciaire de mon administration ».

26  Il fut également journaliste à L’Album, au Figaro, à la Revue encyclopédique, il entra en 1830 au Temps, où il fut critique des théâtres, et il fut attaché à la Revue des deux mondes dès sa fondation. « En 1835, Véron lui fournit l’argent nécessaire pour qu’il pût devenir l’associé de Duponchel, nommé directeur de l’Opéra ; mais, peu après, il consentit à se désintéresser de l’entreprise moyennant une somme de 1000 000 fr. » (Pierre Larousse, Dictionnaire universel du xixe siècle, Genève, Paris, Slatkine, 1982, entrée « Loewe-Weimar ».)

27  Cette codirection fut exercée entre 1839 et 1841. Source : Castil-Blaze, Mémorial du grand-opéra, épilogue de l’Académie royale de musique, Paris, Castil-Blaze, rue Buffault, Mme Jonas, à l’Opéra, 1847, p. 16.

28  Son mandat courut de 1848 à 1857. Voir Nicole Wild, « Esquisse de typologie des directeurs du théâtre de l’Opéra-Comique au xixe siècle », dans Pascale Goetschel et Jean-Claude Yon (dir.), Directeurs de théâtre : xixe et xxe siècles : histoire d’une profession, Paris, Presses de la Sorbonne, 2008, p. 65.

29  « Lundi, matin [2 décembre 1839] / Monsieur le directeur, / Veuillez être assez bon pour autoriser madame Wideman, MM. Alizard et Dupont, à chanter encore dimanche prochain les solos de ma symphonie. Je sais qu’on doit jouer à l’Opéra ce jour-là, mais ce que ces trois artistes ont à faire entendre dans mon concert n’est pas de nature à pouvoir les fatiguer ; ils s’engagent d’ailleurs, tous les trois, à ne compromettre en rien les intérêts de la représentation du soir. Vous m’obligerez en m’accordant cette première faveur. / Votre tout dévoué, / H. Berlioz / P.-S. – J’espère que voilà une lettre administrative ! Mais je prie mon ancien confrère, M. E. Monnais, de me recommander chaudement à M. le directeur de l’Opéra. » (H. Berlioz, Correspondance générale, éd. citée, t. II, p. 606)

30  « Monsieur, je vous prie d’être assez bon pour m’accorder une audience, aussitôt que vous le pourrez. La commission d’examen a dû vous faire un rapport, relatif à un drame de moi, reçu à l’Ambigu, et dont elle ne croit pas pouvoir conseiller l’autorisation. Elle soumet la question à Monsieur le Ministre et c’est à ce sujet que je voudrais vous soumettre, moi, mes observations. Il y a longtemps que j’ai l’honneur d’être connu de vous. Je vous ai toujours trouvé bienveillant pour moi, et croyant ma cause bonne, je viens avec confiance et espoir la plaider auprès de vous. Veuillez agréer la nouvelle assurance de mon dévouement, et de mes sentimens très distingués, Thre Anne » (lettre autographe manuscrite conservée à la BnF sous la cote IFN-53052068).

31  Voir la lettre autographe de Théodore Anne à Léon Pillet, 8 septembre 1844, numérisée sur Gallica.

32  Voir Berlioz, Mémoires, chapitre xvii, éd. P. Citron, Paris, Flammarion, 2001, p. 523 : « M. Nestor Roqueplan et l’éternel Duponchel s’étaient associés et unissaient leurs efforts pour obtenir sa succession. Ils vinrent me trouver. Vous savez, me dirent-ils, que M. Pillet ne peut plus rester à l’Opéra ; nous avons des chances pour y entrer (Duponchel pouvait dire : pour y rentrer) ; mais le ministre de l’Intérieur ne nous est pas favorable, et vous seul pouvez, par l’intervention du directeur du Journal des Débats, changer, à notre égard, ses dispositions. Voulez-vous demander à M. Armand Bertin de faire une démarche auprès du ministre ? Si, par suite, nous sommes nommés, nous vous offrirons une belle position à l’Opéra ; nous vous donnerons la haute direction de la musique dans ce théâtre et, en outre, la place de chef d’orchestre. » Onze ans plus tôt, en 1836, Berlioz, plume déjà influente aux Débats, avait obtenu de Duponchel, s’il était nommé à la direction de l’Opéra (ce qui advint), la promesse de lui faire commande d’un opéra (voir aussi Arnaud Laster, « Bertin, famille » dans Dictionnaire Berlioz, Paris, Fayard, 2003, p. 73).

33  Stella Rollet, Donizetti et la France, histoire d’une relation ambiguë (1831-1897), thèse de doctorat de l’université de Versailles Saint-Quantin-en-Yvelines, soutenue le 13 juillet 2012 sous la direction de Jean-Claude Yon, p. 391.

34  Paul Smith [Édouard Monnais], Revue et gazette musicale, 4 juillet 1841, p. 325 : « Prenons garde : au nombre des auteurs de ce ballet il y a un confrère, un critique ! ce n’est pas le cas de plaisanter. Et n’allez pas croire que cette formule soit de notre invention ; M. Théophile Gautier s’en est servi lui-même à propos d’un opéra dont les auteurs nous étaient fort connus : il nous a tiré son chapeau, nous lui tirons le nôtre ; nous lui rendons salut pour salut, politesse pour politesse, comme cela se pratique entre gens bien élevés. »

35  P. Richard, Revue musicale, 3 mars 1832, p. 37.

36  S’agit-il d’Edme Marie Ernest Deldevez, ainsi que me le suggère Julian Rushton ?

37  E. D., Revue et Gazette musicale, 20 septembre 1846, p. 299.

38  Ibid., p. 300.

39  Voir Ernest Reyer, « La critique musicale », Le livre du centenaire du Journal des débats 1789-1889, Paris, Plon, 1889, p. 431 : « Castil-Blaze sait user de sa Chronique pour préparer de loin le succès de ses adaptations futures […]. Et avec quelle sollicitude Castil-Blaze suit sur les théâtre des départements le succès de ses traductions et arrangements pour bien vite en pouvoir informer ses lecteurs ! »

40  C., « Théâtre royal de l’Odéon. Première représentation de Robin des Bois, opéra en trois actes, traduit et arrangé par MM. Castil-Blaze et Sauvage ; musique de L. M. Weber », Journal des débats, 9 décembre 1824.

41  X.X.X. [Castil-Blaze], Journal des débats, 28 décembre 1824.

42  « Le musicien chargé de ce travail, avocat de son métier, et traducteur d’opéras par fantaisie, n’accepta la commande ministérielle que sur la foi d’un traité qui le mît à l’abri des caprices et de l’inconstance d’une administration dramatique. Cet acte officiellement notifié, le traducteur s’aventura bravement dans sa nouvelle entreprise, et commença l’introduction en ut mineur. Bien lui prit d’avoir été sagace et prévoyant, d’avoir pensé que quand il s’agit de faire jouer un opéra, on ne doit pas se fier même à la parole d’un ministre. La direction de l’Académie royale vint à changer, on renversa ses projets, et sans égard pour la chose jugée et acceptée, on soumit le Moïse à l’examen du jury. Le chef-d’œuvre que Naples et l’Europe entière avaient couvert de lauriers, fut outrageusement repoussé, rejeté à l’unanimité » (Le Constitutionnel, 11 décembre 1832 ; je remercie Séverine Féron de m’avoir fait connaître ce texte).

43  Dans Le Constitutionnel du 27 janvier 1834 il annonce la reprise en province de ses traductions de La Pie voleuse et de L’Italienne à Alger.

44  XXX [Castil-Blaze], Le Constitutionnel, 14 mars 1834.

45  Nestor Roqueplan, Le Constitutionnel, 2 mai 1852, p. 1.

46  « Il ne m’est pas permis d’énumérer un à un tous les morceaux du Juif-Errant en y accrochant une épithète laudative : de quelque variété que j’use dans l’emploi des adjectifs, je ne manque pas de déclarer que, sans exception, tous les morceaux sont excellents ; encore moins voudrais-je me hérisser de croches, agiter bruyamment les clefs musicales, faire l’enthousiaste en la mineur ou le dégoûté en mi bémol. Heureusement pour les compositeurs, le directeur de l’Opéra n’est pas musicien ; mais il a pu observer que la partition du Juif-Errant est écrite avec éclat et simplicité ; que la pensée mélodique de l’auteur, exprimée avec franchise et soudaineté, ne s’égare jamais dans les sinus d’une instrumentation irrésolue et tourmentée ; que néanmoins ses combinaisons symphonique restent grandes quoique saisissables, intelligibles sans devenir vulgaires. »

47  « M. le directeur de l’Opéra, quand il entreprenait ce discours pro domo sua, était poussé par l’inquiétude et par l’ennui de ne plus voir arriver la critique du Constitutionnel ! Elle était en retard de huit jours, et M. le directeur de l’Opéra s’agitait et suait d’ahan dans sa situation. Voilà pourquoi il nous fait l’honneur de mettre la main à la plume et d’empiéter sur notre humble profession. » (Jules Janin, Journal des débats, 10 mai 1852).

48  Ibid., p. 2. Il tempère néanmoins : « J’imagine cependant que M. le directeur du théâtre du Palais Royal n’ira pas écrire un volume à sa propre louage à propos de Soufflez-moi dans l’œil ! »

Pour citer ce document

Emmanuel Reibel, « Carrières entre presse et opéra au XIXe siècle : du mélange des genres au conflit d’intérêts », Presse et opéra aux XVIIIe et XIXe siècles, sous la direction d'Olivier Bara, Christophe Cave et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-et-opera-aux-xviiie-et-xixe-siecles/carrieres-entre-presse-et-opera-au-xixe-siecle-du-melange-des-genres-au-conflit-dinterets