Presse et scène au XIXe siècle

Petites revues d’à-côté : des affinités électives aux projections idéales

Table des matières

ANNE PELLOIS

Au dix-neuvième siècle, la revue d’avant-garde est considérée comme un « creuset de l’invention littéraire1 », tous genres confondus. Or, s’il est aisé d’éditer une nouveauté romanesque, poétique ou dramaturgique, il est plus difficile, média oblige, de publier une nouvelle manière de faire du théâtre, surtout quand il s’agit d’en révolutionner la totalité, c’est-à-dire le répertoire, mais également le jeu, la scénographie, la mise en scène et jusqu’à sa réception. Si le théâtre nouveau de la fin du XIXe siècle, représenté par deux avant-gardes en apparence rivale, naturalisme et symbolisme, se trouve « désemparé par la diversité des facteurs à bouleverser2 », il est de fait aussi désorienté par les modalités de diffusion de ces bouleversements. En butte à l’hostilité de la grande presse, délaissées par les grands comédiens de la fin du siècle et guère portées par un auteur phare comme a pu l’être le romantisme, les avant-gardes fin-de-siècle peinent à trouver voix au chapitre alors même qu’elles sont porteuses de bouleversements majeurs. Ce sont les « petites revues » qui vont servir de tribune à ces « théâtres d’à-côté », instaurant ainsi un lien tout à fait particulier entre la marge de la presse et l’avant-garde théâtrale. Les interactions entre le mouvement symboliste au théâtre et un certain nombre de petites revues qui lui sont contemporaines et bienveillantes, étudiées autour de points de contacts représentatifs choisis après dépouillement d’une quinzaine de revues de la dernière décennie du siècle, mettent en lumière la nature des liens qui sont tissés entre ce type de théâtre à la marge et cette petite presse.

Quelques précisions terminologiques sont dans un premier temps nécessaire. L’expression « théâtre d’à-côté » est utilisée par Antoine en 1887 lorsqu’il ouvre le Théâtre Libre, mais un essayiste de la fin du XIXe siècle, Adolphe Aderer, collaborateur de Francisque Sarcey, fait remonter l’expression et la réalité qu’elle recouvre à 1796, date de la fondation du « Théâtre des Jeunes Artistes », alors que Sarcey, dans la préface à cet ouvrage, est enclin à considérer tout le XVIIIe siècle, pour inclure dans ce type de théâtre le théâtre de salon3. Théâtre Libre et Théâtre de l’Œuvre n’y sont pas étudiés, non qu’ils ne fassent pas partie de ces théâtres d’à-côté, mais parce qu’ils sont en quelque sorte en période probatoire pour le préfacier4. Leur exclusion de fait est d’autant plus intéressante qu’elle marque manifestement une transformation de la fonction des théâtres d’à-côté en cette fin de siècle. Entendus comme un « cercle d’amateur » et comme un « théâtre d’essai où les jeunes gens, acteurs et auteurs, qui se destinent à la carrière dramatique, prendraient l’habitude de leur métier5 », ils ne sont pas censés avoir pour mission de « régénérer le théâtre6 ». Derrière la critique à peine déguisée de Sarcey pour les avant-gardes, c’est bien toute une conception du théâtre d’à-côté qui change. En marge du système officiel, loin des grandes scènes, ces théâtres d’amateurs fonctionnent par souscriptions et abonnements et n’ont pas toujours de lieu fixe où donner leur soirée. Ce sont de véritables petits laboratoires de formes et de pratiques au service d’une esthétique nouvelle, cherchant autant que possible une indépendance par rapport à l’institution, aux canaux de presse et aux circuits traditionnels de production.

Les petites revues fonctionnent également par abonnements et souscriptions, rassemblant ainsi un cercle de lecteurs fidèles, d’accord avec la ligne éditoriale adoptée. Elles sont « le lieu privilégié d’une défense et illustration de la littérature et de l’idéal esthétique commun à l’avant-garde intellectuelle7 », et cherchent à promouvoir une esthétique et / ou une idéologie qui ne trouvent leur place ni dans la presse quotidienne, ni dans la « grande revue » de l’époque. Elles partagent avec le théâtre d’à-côté une volonté de rupture, voire de révolution, dans le domaine artistique et social, l’un et l’autre fonctionnant comme un véritable antidote au conformisme ambiant :

Si notre fin de siècle (puisque fin de siècle il y a) est en pleine dégénérescence, comme l’affirment quelques bons esprits et une grosse majorité d’ineptes badauds, il faut bien avouer qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour se regaillardir. Presque chaque jour, elle s’inocule un nouveau théâtre, une jeune revue, une exposition artistique. ce mouvement rénovateur date de trois ou quatre ans […]8.

Les expérimentations théâtrales, artistiques et éditoriales, sont présentées comme le remède à la « maladie du siècle », au service d’une avant-garde qui cherche à régénérer le paysage artistique.

Afin de mettre en regard les expériences du Théâtre d’Art de Paul Fort et du Théâtre de l’Œuvre de Lugné-Poe avec le phénomène des petites revues, nous avons considéré les revues contemporaines du théâtre symboliste à la scène, soit entre 1891 et 18979. Ainsi, parmi la centaine de petites revues référencées par Rémy de Gourmont10 dans la dernière décennie du siècle, quatre forment une espèce de modèle pour toutes les autres petites revues : le Mercure de France,la Revue blanche, L’Ermitage et La Plume11, « ces quatre témoins d’un effort littéraire [le symbolisme] qui n’a pas été sans importance, ni sans résultat12. » J’y ajouterai les Entretiens politiques et littéraires13, associés à l’esthétique symboliste par le biais de l’anarchisme notamment. Enfin, je ne peux guère mettre de côté les chroniques de la Revue indépendante14, et notamment celles de Mallarmé, ni négliger la grande revue généraliste sur le théâtre de l’époque, la Revue d’art dramatique15, qui rend compte de l’ensemble du paysage théâtral contemporain.

Les relations entre petites revues et théâtres d’à-côté sont multiformes et dépassent les accointances matérielles, humaines, idéologiques et artistiques. Lieux de débats artistiques, petites revues et théâtres d’à-côté partagent une même conception de l’art qui permettrait un contact le plus direct possible entre l’artiste et le public. En accueillant une critique d’artistes, vite mue en « critique artiste », partageant avec le théâtre symboliste une détestation commune de la grande presse, la petite revue rend compte d’une manière idéale d’un théâtre qui ne parvient pas à développer sur scène l’ensemble de la révolution artistique rêvée, accueillant en ses pages une utopie de théâtre.

Affinités électives

Petites revues et théâtre d’à-côté sont liés à la fois par l’appartenance à un même « réseau », pour reprendre la terminologie de Marie-Ève Therenty16, et par un positionnement marginal : à côté, en avant et en dehors, théâtre symboliste et petite revue forment un groupe homogène mais en marge du théâtre traditionnel et de la grande presse.

En effet, une même petite élite fréquente les planches symbolistes et les rédactions d’avant-garde, revendiquant une position marginale. Parmi les collaborateurs, et indépendamment des textes de théâtre publiés dans les revues17, on croise au Mercure de France Quillard, Saint-Pol-Roux, Jarry, Retté, Gourmont, les deux derniers se retrouvant aux côté de Merril à La Plume. À la Revue blanche, Viellé-Griffin, Beaubourg et Kahn collaborent autour de l’incontournable Gourmont qui est partout. De même, nombre des figurants des spectacles de Lugné-Poe sont les chroniqueurs de la Revue blanche. Une personnalité comme Camille Mauclair est autant impliquée dans les rédactions que dans la vie artistique du théâtre de l’Œuvre. Enfin, les peintres Nabis constituent le socle graphique commun des deux organisations, la Revue blanche publiant en planche la peinture nabis, qui sert par ailleurs aux décors du théâtre. La publicité est réciproque : la Revue blanche publie des appels à souscription pour le Théâtre de l’Œuvre, et la quatrième des programmes des spectacles de l’Œuvre est consacrée la plupart du temps à la Revue blanche, théâtre et revue étant liés visuellement par un graphisme commun.

Enfin, une idéologie partagée de « l’en dehors », de la marge, caractérise ce réseau, symbolisée par les sympathies anarchisantes. Retté écrit à La Plume, pour le numéro spécial « anarchie » en 1893, Quillard, Hérold, Saint-Pol-Roux collaborent à l’hebdomadaire anarchiste L’Endehors18. Et lors de la vague d’attentats en 1893 et 1894, Lugné-Poe et ses figurants sont tout autant attaqués lors de la représentation d’un Ennemi du peuple en novembre 1893 que le sont les rédacteurs de la Revue blanche, parmi lesquels Mauclair, inquiété sur les deux fronts, mais aussi Félix Fénéon, condamné lors du procès des Trente, instruit après la promulgation des lois scélérates. Idéologiquement, l’ensemble des personnalités liées à l’intérieur de ce réseau revendique un même attachement à l’individualisme, que ce soit en art ou en politique, une même volonté de se distinguer de la masse et une même volonté de rénover l’art.

Sur ce dernier point, les publications des petites revues ne manquent pas, qui promeuvent une nouvelle forme de théâtre, dans la mouvance du théâtre symboliste. Hors la critique de spectacles proprement dite que nous examinerons un peu plus loin, les petites revues accueillent un certain nombre de textes faisant office de manifestes19 du nouveau théâtre. L’analyse de ces textes a déjà été faite, notamment par Jacques Robichez dans son chapitre consacré aux « doctrines et programmes symbolistes20 ». Ce qu’il est intéressant de mettre en avant ici, c’est le développement d’un certain nombre de stratégies de diffusion des idées nouvelles, prenant, outre la transcription des conférences faites au Théâtre d’Art ou à l’Œuvre21, trois formes différentes.

Les études dramaturgiques se multiplient dans les petites revues, sur des auteurs dont on pressentait qu’ils feraient à tort ou à raison, la fortune du symbolisme à la scène. Ainsi de l’étude sur Maeterlinck et la dramaturgie flamande d’Edmond Pilon au Mercure de France22 en avril 1896, ou bien l’essai de Jacques Des Gâchons sur « Maurice Beaubourg dramaturge23 », à L’Ermitage en juin 1894. Loin du panégyrique et de la mode du portrait d’auteur, c’est bien l’analyse minutieuse d’une nouvelle dramaturgie qui est ici faite, contribuant à rendre peut-être plus accessible et plus familier un théâtre réputé abscons.

À côté de ces études dramaturgiques, un certain nombre de textes définissent de manière plus théorique la forme et les fonctions du drame nouveau. S’il n’y a pas à proprement parler de manifeste du théâtre symboliste, un certain nombre de textes affirment la nécessité d’un théâtre nouveau construit autour de la représentation du symbole, loin des contingences de l’homme ordinaire, proche d’une idéalité toute synthétique. Citons par exemple le texte de Gustave Kahn, « Un théâtre de l’avenir, profession de foi d’un moderniste24 » qui, dès 1889, définit cinq types de théâtre dont le plus noble, le drame proprement dit, pur de tout mélange, doit être construit sur le modèle wagnérien, et consister en une « représentation figurative, agissante et parlante de schémas d’idées clichées dans leur forme la plus caractéristique », appelant « un jeu hiératique25 ». Les articles de François Coulon, « Essai de rénovation théâtrale » en 189226et « Notes sur l’art dramatique » en 189327 appellent à l’avènement d’un drame total sous le patronage wagnérien dans lequel s’opèrera « la subordination de la poésie et de la musique à l’expression synthétique des idées philosophiques incarnées en des personnages vivants mais par suite complexes, dégagés des contingences qui masquent l’homme éternel ». Camille Mauclair, dans « Notes sur un essai de dramaturgie symboliste » en 1892 défend également une nouvelle forme de drame qui serait la représentation d’une idéalité voilée derrière une fable accessible à tous28.

Un troisième type de texte allie poétique du drame nouveau et considérations scéniques. Le texte de Pierre Quillard, « De l’inutilité absolue de la mise en scène exacte29 », paru dans la Revue d’art dramatique en mai 1891 est à ce titre tout à fait intéressant. Sous la forme polémique d’une réponse aux critiques faites à la représentation de La Fille aux mains coupées du 27 mars 1891, au Théâtre d’Art, c’est le grand texte sur les innovations de la mise en scène symboliste, dans lequel Quillard définit les linéaments de la mise en scène symboliste, et notamment l’idée que « la parole crée le décor comme le reste ». Le texte commence ainsi : 

Monsieur,

Dans le numéro de la Revue d’art dramatique du 15 avril, votre collaborateur M. Pierre Véber rend compte, avec une impartialité courtoisement ironique, de la représentation donnée au Théâtre d’Art, le vendredi 27 mars. Il indique sommairement l’un des caractères de la tentative faite ce soir là, avec La Fille aux mains coupées : simplification complète des moyens dramatiques. Voudriez-vous m’ouvrir une petite place pour exposer, avec plus de détail et sans aucun hermétisme, en quoi j’ai essayé d’innover en apparence ? Aussi bien, la mise en scène dépend nécessairement du système dramatique adopté, et puisque symbole il y a, elle en est le signe et le symbole même.

Face à une critique apparemment violente de la part du chroniqueur théâtral de la Revue d’art dramatique, Quillard se fend d’une explication a posteriori concernant les relations entre la forme scénique du spectacle, et l’esthétique à laquelle il appartient, proposant par là même une définition de la mise en scène, comme « signe et symbole » du « système dramatique adopté ». La petite revue accueille ici ce qui n’est pas du domaine de l’écrit dans le champ théâtral, elle ouvre ses colonnes à des conceptions scéniques nouvelles, théorisées à partir d’une représentation précise, qui mettent en place les fondements d’une nouvelle conception de la scène, pas toujours perçue de manière positive.  

La petite revue devient ainsi espace de controverse, à travers lequel les artistes symbolistes peuvent défendre ce qui s’est joué sur scène, et rendre compte du système qui sous-tend leurs représentations, c’est-à-dire en faire une dramaturgie à rebours, dans le souci d’expliquer leur démarche.

Outre la volonté de faire partager un théâtre abscons de réputation, éreinté par la critique de la grande presse, la superposition des réseaux et la double appartenance de la plupart des rédacteurs permettent également de promouvoir une critique différente de ces spectacles et de ce théâtre, en supprimant l’intermédiaire nuisible, le journaliste, entre l’œuvre d’art et le public.

La critique (d’)artiste

Théâtres d’à-côté et petites revues partagent une même haine de la grande presse en général et du journalisme en particulier, et la même volonté de défendre une « critique d’artiste », pour reprendre l’expression forgée par Albert Thibaudet en 192230, le tout dans le but de réduire l’écart, le gouffre, la séparation entre l’artiste et son public. Si l’artiste symboliste est incompris, ce n’est pas parce que ses œuvres sont hermétiques ou que les places de souscription à l’Œuvre sont trop chères, mais à cause de ces mufles de journalistes.

Ce qui, pour Alfred Vallette, fondateur du Mercure, devrait fédérer les petites revues entre elles, c’est une haine commune à l’égard de la grande presse. Voici ce qu’il écrit dans une lettre du 10 février 1894 à Henry Mazel, fondateur de L’Ermitage, pour répondre à une rumeur qui fait du Mercure l’ennemi de La Plume, de L’Ermitage et de la Revue blanche :

L’idée de concurrence, je l’espère, est encore éloignée de nous tous, qui combattons actuellement le même combat – tous également vus du mauvais œil par la « grande presse ». les « petites revues » constituent un phénomène littéraire très curieux et qui apparaît pour la première fois dans l’histoire des lettres. L’hostilité entre elles serait une sottise (un danger) dont vraiment ni vous ni moi ne sommes capables31.

Côté symboliste, l’ennemi est également la grande presse. Certes, tous les journalistes de la presse quotidienne ne sont pas hostiles aux symbolistes : Henry Bauër par exemple, l’influent critique de L’Écho de Paris, est plutôt bienveillant à l’égard du nouveau théâtre. Mais on ne peut nier que le symbolisme a plutôt mauvaise presse. Il n’est qu’à jeter un œil aux critiques du Temps pour mesurer l’incompréhension incommensurable que suscite ce jeune théâtre chez Sarcey, ce qui ne manque pas, côté symboliste, de susciter bon nombre de commentaires. Citons par exemple, et pour le plaisir, un portrait signé Jacques Des Gâchons dans La Plume du 15 octobre 1892, où Sarcey est représenté en bon gros bourgeois bête et méchant :

Un gros homme et un gros bon sens, l’un et l’autre très myopes, quasi sourds et toujours somnolents. Chacune de ses critiques, au Temps, fourmille d’erreurs, d’inexactitudes malveillantes, de balourdises. C’est méchant et cependant l’on sent que cela nage dans une invraisemblable incompréhensibilité32.  

Ces joutes piquantes presque érigées en jeu tournent parfois à la provocation. Ainsi, Dujardin relègue, lors de la représentation de La Légende d’Antonia au Vaudeville en 1893, les critiques en fond de salle, afin de préserver l’harmonie de son spectacle en mettant aux premiers rangs de jolies femmes plus en accord avec la beauté de sa pièce que les plumitifs qui l’éreinteront de toute façon. Qualifiée d’ « ennemi commun », de « pompeux farceurs », inattaquables car « dispensatrices de la réclame33 » pour les auteurs, les comédiens et le public, la grande presse continue de faire la pluie et le beau temps sur les scènes parisiennes et les carrières théâtrales. Il s’agit pour les théâtres d’avant-garde de trouver d’autres tribunes et d’autres modalités de diffusion, en défendant notamment une critique sans médiation journalistique.

Outre l’idée spécifique au mouvement symboliste, développée par exemple dans la pièce de Maurice Beaubourg, L’Image, que la presse n’est qu’une excroissance de la littérature naturaliste, l’égout de cette littérature34, elle est surtout responsable d’un clivage entre l’artiste et son public. Posée en « médiateur entre le public des lecteurs et des créateurs35 » , loin de faciliter la rencontre, elle éloigne le public des nouveautés et des innovations, en les classant volontiers du côté des excentricités. Il faut donc développer une critique différente, prise en charge par l’artiste lui-même, ou par l’intellectuel capable de pénétrer les subtilités de l’art nouveau.

Dans un article intitulé « Un projet », paru en 1892 dans les Entretiens politiques et littéraires, Alphonse Germain prône la création d’une société d’artistes qui serait à même de faire sa propre promotion sans avoir recours aux « Scapins du journalisme » qui déforment le goût des foules36. L’article propose tout simplement de supprimer le journalisme, « intéressé à nuire au mouvement de renaissance idéiste-idéaliste », en le remplaçant par une fédération des arts où les mouvements feraient leur publicité les uns les autres. Autour d’une exposition de peinture par exemple, on mettrait à disposition des livres et on organiserait des lectures et des conférences qui associeraient arts plastiques et arts poétiques. L’esthétique ainsi présentée ne pourrait être travestie par la presse. C’est ce que fait par exemple Péladan lorsqu’il organise sa première Geste esthétique à la galerie Durand-Ruel au printemps 189237, alliant concerts, représentations théâtrales, exposition de peinture et conférences explicatives.

Dans Servitude et Grandeur littéraire, Mauclair propose une définition idéale de ce que serait une critique artiste :

Pour pénétrer à fond une œuvre et en faire sentir l’émotion de beauté, pour être non un « jugeur » qui distribue prix et accessits, mais un homme qui propose un autre homme à la compréhension reconnaissante et émue des hommes, il est nécessaire que le critique repasse par tous les états d’esprit du créateur, c’est-à-dire qu’il soit […] si proche de la faculté créatrice qu’une mince cloison verbale l’en sépare38.

Il s’agit ici de réduire l’écart entre le critique et l’artiste, jusqu’à en faire « une mince cloison verbale », dans le but de faire partager des productions artistiques réalisées au plus près du projet artistique qui les sous-tend. Contre « l’universel reportage39 » critiqué par Mallarmé, contre les « papotages idiots d’un peuple raisonnable40 », il s’agit de proposer une critique digne du mouvement qu’elle accompagne, capable, non pas de séparer ou d’opposer l’art et son public, mais bien de les faire se rejoindre, voire de les faire communier, à l’instar du type de communication recherché entre la salle et la scène lors des représentations symbolistes, rêvé sur le modèle du théâtre antique41. Cette volonté d’abolir toute séparation s’accompagne d’une véritable idéalisation du public qui serait « naïf, spontané et enthousiaste, exigeant, actif », qui serait la parfaite contrepartie « du malaise qui accable […] la critique dramatique contemporaine42. » Et c’est côté public, côté réception que se joue le dernier type d’articulation entre petite revue et théâtre d’à-côté : cette critique d’artiste, ordonnée à soi-même, élabore, dans le domaine de la projection, ce que le théâtre symboliste n’a pu ni contrôler, ni améliorer, à savoir sa réception, idéalisée entre les pages de la petite revue, à défaut de trouver une réalisation dans les salles des théâtres d’à-côté.

Projections idéales : la critique comme réception idéale

Deux types de documents publiés dans les petites revues abordent la question de la réception : le compte rendu de spectacle, qui permet de développer une forme de réception idéale, c’est-à-dire adéquate au sens du spectacle, et l’article programmatique, qui dépasse le simple cadre de la réalité de la soirée, pour entrer dans la projection d’un théâtre nouveau à venir, encore à faire. Les pages des petites revues peuvent alors accueillir ce que le théâtre symboliste ne peut accomplir dans la réalité : un projet artistique total, alliant une nouvelle esthétique avec une nouvelle fonction du théâtre, qui serait idéalement replacée au cœur de la Cité, pour l’édification du peuple.

Le compte rendu de spectacle permet de voir comment le spectacle est perçu, et surtout comment sa perception en idéalise le déroulement. Prenons trois exemples de critique de la même soirée, celle du 19 mars 1891, où le Théâtre d’Art joue, Faubourg Poissonnière, Les Veilleuses de Gabillard, La Fille aux mains coupées de Quillard, Madame la Mort de Rachilde et donne une lecture du Guignon de Mallarmé. Attardons-nous sur la seule description de l’œuvre de Quillard, considérée comme un modèle de pièce et de représentation symbolistes.

Dans L’Ermitage en avril 1891, George D’Ale43 évacue rapidement les pièces précédentes en insistant sur le talent de Georgette Camée. Puis il se dispose à une bienveillante critique de La Fille aux mains coupées :

Analyser La Fille aux mains coupées, à quoi bon ? Ce serait trop et trop peu. Vers et proses, exquisément rythmés, s’enlacent en une commune et suggestive action, la récitante, en une langue qu’on ne saurait trop louer, donnant les indications scéniques nécessaires, tandis que le chant s’envole, lyrique et pur, consacré à l’action seule et la sertissant de ses rimes. 

La critique dramaturgique est ici évacuée au profit d’une critique plus impressionniste, très cadencée d’un point de vue stylistique, comme emportée par le lyrisme du spectacle, que l’on devine en deux parties, une épique et une lyrique, le tout dans un jeu minimal qui donne le primat au verbe, au chant, merveilleusement servi par Mademoiselle Camée, couverte par la suite de louanges. L’intérêt de la représentation réside non dans l’intrigue, ni dans le sens même de la proposition scénique, mais dans l’ambivalence de sa forme, entre épique et dramatique, poétique et théâtral, et dans son pouvoir de suggestion.

Même chose dans la revue des spectacles du Mercure, par Alfred Vallette, en mai 189144, qui commence par saluer cette « entreprise dramatique la plus originale de son temps ». Soucieux de ne dénaturer en rien le poème de Quillard en le racontant, « car on ne touche pas au rêve des poètes » dit-il, il se borne, en une critique toute mallarméenne, à « noter la délicieuse impression qu’elle a produite », ainsi que « la hardiesse de la mise en scène ». Après avoir cité une partie de la revue / programme du théâtre d’Art rédigé par Marcel Collière, il s’engage dans la description, non pas de l’action, évacuée comme lors de la précédence critique, mais du dispositif scénique :

On remarquera que cette ordonnance scénique, à peu près analogue à celle des tragiques grecs, est la première tentative en les temps modernes de simplification du décor. – Sur le fond d’or des primitifs, un fond d’or au semis d’icônes naïves d’anges en prières, les figures se meuvent, lentes, rythmiques ; elles disent, ou plutôt elles chantent leurs âmes, et, quand elles se taisent, une récitante (debout, à gauche de la scène, en deçà du rideau de gaze) les explique d’une voix uniforme et monotone, ou bien le chœur épand une musique suave de paroles : la Voix de l’Invisible. Et de ces chants alternés l’âme des personnages surgit, concrète pour ainsi dire et quasi palpable. 

Le critique décrit, dans un premier temps, ce qui constitue pour lui la nouveauté suprême de ce spectacle, à savoir la simplification du décor, élaboré avec la collaboration des nabis, et la relation du comédien au décor, réduit au statut de figure et de voix monotone, chantée, associée à la musique. Nous sommes bien dans un théâtre de peintre et de poète. Et cette collaboration des peintres et des poètes est là pour nous transmettre « la voix de l’invisible », par l’intermédiaire du théâtre capable d’incarner l’âme humaine « concrète pour ainsi dire, et quasi palpable ». Et cela, seuls les « spectateurs professionnels45 », ce public constitué dit Vallette « en majeure partie des poètes et des artistes », sont capables de voir « ce spectacle rare », et donc d’en rendre compte, pour ceux – qui sauront bien se reconnaître – qui n’ont rien vu et rien entendu.

C’est justement par la description de ce public que Georges Roussel, critique de La Plume, qui se qualifie lui-même de « profane », commence son compte rendu dans le numéro de Mai, non sans une certaine moquerie46 :

Quelle assistance vraiment sélect et artistique à la dernière représentation du Théâtre d’Art : poètes décadento-instrumentalo-maeterlincko-symbolistes, peintres néo-traditionnalistes, pointillo-impressionnistes ou pas pointillo ! Que de crinières révolutionnaires ! Que de feutres mous aux tons bizarrement complémentaires ! On se serait cru au vernissage des Indépendants, dans une réunion anarchiste ou bien aux soirées littéraires et souterraines de La Plume

Si la cohérence du groupe est ici soulignée, entre journalistes, peintres et gens de théâtre, sa restriction l’est tout autant : c’est un public de spécialistes, un public d’école, aussi farfelue en soit la dénomination, un public d’avant-garde, réuni par une même volonté de révolution théâtrale, un public, dans tous les cas, extrêmement choisi et restreint.

Or, un aspect moins connu du théâtre symboliste consiste dans la production, à côté des soirées pour initiés du théâtre d’Art et de l’Œuvre, d’une vision de théâtre idéale, entre autres et en grande partie dans les pages des petites revues, non plus seulement du point de vue de la dramaturgie, mais comme projet théâtral global, jusqu’à sa réception, dans l’idée de faire du théâtre un éducateur du peuple47. L’exemple le plus représentatif de ce type de texte programmatique est l’article de Jacques Des Gâchons, « Le théâtre que nous voulons48 », publié dans L’Ermitage en deux volets, en 1893 et 1894. Celui-ci dresse le portrait d’un théâtre idéal, « neuf, de fond en comble », dans lequel il est possible de reconnaître à la fois la réalité du théâtre symboliste à l’époque, la nécessité de « l’amitié de toutes les écoles et une sorte d’association de tous les arts49 », et la volonté de faire du théâtre le foyer d’une éducation par l’art.

La première partie est assez traditionnelle. Des Gâchons commence par établir un corpus, après avoir constaté que l’année 1893 n’avait fourni que onze spectacles potables, en plus des œuvres « commerciales et hygiéniques » qui sont nécessaires au gros public. Dans ce corpus, tout le jeune théâtre, tout le théâtre d’avant-garde, et majoritairement le théâtre symboliste est présent. Il cite pêle-mêle : Verlaine, Mallarmé, Becque, Jullien, Lemaître, de Curel, Moréas, Lorrain, Vanor, Morice, Régnier, Retté, Merrill, le Cardonnel, Vielé-Griffin, Ibsen, Maeterlinck, Mazel, Saint-Pol-Roux, de Gourmont, Rachilde, Quillard50. La constitution de ce corpus répond à la nécessité de faire du théâtre « le suprême refuge du Beau devant l’envahissement des pacotilles sans style, et des mœurs sans pittoresque »51. Il avance, et c’est là qu’il nous intéresse, la nécessité d’une sorte de pédagogie à l’égard de l’art nouveau : « Ne trouvez-vous pas que la poésie dramatique actuelle a besoin d’être expliquée ? Si elle est accueillie avec des sourires, c’est qu’il y a malentendu52. » D’où la nécessité de conférences, mais également la conception d’un dispositif de salle double qui serait à même de préparer la réception large de ces œuvres jusqu’à présent réservées aux petits cénacles constitués d’un public averti.

Dans le second volet de l’article, Jacques des Gâchons développe plus en détail ce dispositif de double salle.

La première salle, vaste, claire, gaie, avec l’aspect d’un grand triangle isocèle dont la base serait au fond de la salle, derrière les spectateurs et le sommet au centre de la ligne d’horizon, sur la scène. Des places à 1 franc et 3 francs, quelques loges d’un prix plus élevé toutes de face. Les rangs espacés, les couloirs nombreux, des tapis partout et pas d’ouvreuses… Sur la scène des pièces simples, droites, de vie, avec des généralisations faciles à saisir, des sentences de la poésie rien qu’harmonieuses. Cela, pour le grand public, affamé de beaux spectacles53

Cette salle, si elle garde quelques loges privilégiées pour contenter le public aisé, adopte la configuration de l’amphithéâtre grec, fantasme du théâtre idéal de l’époque, afin de privilégier le confort (espacement entre les rangs et tapis) et la visibilité, le tout pour un prix de place relativement modique, et accueille un répertoire simple, non pour autant dénué de qualités esthétiques et spectaculaires. L’autre salle serait « étroite, et comme raffinée, pour les spectacles de lettrés54 » :

Ceci maintenant pour les artistes et les pervers, ceux qui songent à « autre chose » : une salle étroite et bizarre. De grandes décorations murales, des plantes vertes à profusion, des tapis et des tentures. Ici, pas de public, des élus. Comme œuvre, toute l’avant-garde ; de l’étrange, de l’osé, du très grand (par-delà les brumes)55.

Toute la configuration du lieu est en parfaite opposition à la salle précédente. C’est une salle-cénacle qui n’accueille que les initiés, « les élus », et ne joue que de l’inouï.

Le but de ce double dispositif est à terme, non pas de maintenir cette distinction entre spectacle pour tous et spectacles pour happy few, mais de faire passer les spectacles de la petite à la grande salle « à mesure que les spectateurs s’acclimateraient à la nouvelle dramaturgie », pour que tous puissent goûter à des « œuvres d’un effet moins direct, plus littéraire et d’une plus profonde philosophie56 », et ce grâce au constant effort d’éducation du public par le biais des conférences. « Car c’est le public, ô Sarcey, ô Fouquier, qui doit s’acclimater aux drames et non le dramaturge au public57. » Voilà le rêve ultime de ce théâtre : faire de sa marginalité artistique et idéologique le centre d’une société refondée autour du spectacle de sa beauté, donné par un théâtre qui serait de nouveau central et non plus relégué à la marge, essentiel et non plus simple divertissement.

Ainsi, si la petite revue est bien, pour reprendre une formule de Pierre Lachasse, « à la fois recueil et laboratoire de l’avant-garde » en délimitant pour l’écrivain « l’espace d’une liberté conquise58 », elle est aussi l’ultime refuge d’une forme, en l’occurrence ici d’un théâtre, dont l’idéalité et la radicalité du projet résistent mal à la réalité. À la fin de son article, Jacques des Gâchons raconte qu’il a soumis son projet à un multimillionnaire en lui suggérant d’être commanditaire de ce nouveau théâtre. Devant la froide réponse du secrétaire, des Gâchons confesse que cette réponse « fut notre punition d’avoir voulu nous hasarder vers une solution réelle », et estime qu’il faut « garder précieusement notre beau projet en projet, de peur de le salir à l’expérience59. »

L’on rejoint ici un des poncifs du théâtre symboliste – au risque d’en oublier toutes les innovations –, qui, dans un excès d’idéalité, serait rétif à la scène même, en refusant l’acteur (comme Maeterlinck par exemple), le décor (Quillard), ou tout simplement la scène, comme Mallarmé, sur qui je terminerai. Dans la Revue Indépendante, Fénéon confie à Mallarmé la chronique théâtrale, qu’il rédigera en 1886 et 1887 mais en demandant expressément néanmoins le droit de ne pas aller au théâtre s’il le souhaite, de rêver sur une « suggestive et vraiment rare plaquette60 » de pantomime plutôt que d’après la scène.

« Ici, succincte, une parenthèse » : voilà comment commence la chronique de Mallarmé de janvier 188761, une longue digression sur ce que devrait être le théâtre idéal, situé nulle part, entre crochets, en ces « temps de l’interrègne » où de toute façon il ne peut s’incarner autrement que dans les pages du livre, au sein d’une utopie totale faisant du théâtre un art « d’essence supérieure », replacée au centre d’une cité idéale qui viendrait s’y contempler en splendeur. La critique d’artiste devient ici critique artiste ou poétique, élevant au cœur même des pages consacrées au théâtre tel qu’il existe, un théâtre tel qu’il devrait être. Ni à côté, ni en marge, ni en avant, ni en dehors, mais au centre de la cité, partout, c’est-à-dire nulle part, hors les pages qui en contiennent le projet.

(École normale supérieure de Lyon)

Notes

1  Dominique Kalifa et Alain Vaillant, « Pour une histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle », Le Temps des Médias, 2004/1, n°2, p. 205.

2  Christophe Charle, Théâtre en capitales, Naissance de la société du spectacle, Paris, Berlin, Londres, Vienne (1860-1914), Paris, Albin Michel, 2008, p. 463.

3  Adolphe Aderer, Théâtres d’à-côté, Paris, 1894, préface de Francisque Sarcey, p. I-XIV.

4  Francisque Sarcey, op. cit., « Nous laisserons de côté le Théâtre-Libre et l’Œuvre, dont la critique a suivi consciencieusement les efforts et dont l’histoire est écrite dans les feuilletons du lundi. », p. 6.

5  Id., p. 4 et 7.

6  Id., Préface, p. XIV. « Je voudrais qu’on apportât moins de solennité dans ces tentatives qu’on ne fait aujourd’hui. Les jeunes gens que j’ai eu jadis l’occasion de voir à l’œuvre, ne se préoccupaient point de régénérer le théâtre. Ça ne les a pas empêchés, vous le dites vous-mêmes, de susciter des auteurs et des artistes. Mais ils ont fait tout cela gaiement à la française. On est scandinave à cette heure. Ça manque un peu de soleil et d’allégresse, la Scandinavie. Est-ce que vous ne trouvez pas ? »

7  Pierre Lachasse, « Revues littéraires d’avant-garde », dans Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des Revues, 1880-1914, Caen, éditions de l’IMEC, 2002, p. 127.

8  Jacques Des Gâchons, « Les Arts libres », Art et Critique, n° 73, Paris, 1er octobre 1890.

9  Exclues donc la Revue Wagnérienne (1885-1888), même si elle contribue à fantasmer un théâtre à venir, Le Symboliste, Le Décadent et La Pléiade de 1886, La Vogue (1886-1889), écartées également toutes les revues autour de la génération bohème, étudiées par ailleurs par Bénédicte Didier pour la période 1878-1889, pourtant véritables « machines de guerre contre un art officiel ». Didier, Bénédicte, Petites revues et esprit bohème à la fin du XIXe siècle, (1878-1889). Panurge, Le Chat noir, La Vogue, Le Décadent, La Plume, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 5-6.

10  Rémy de Gourmont, Les petites Revues, essai de bibliographie, Paris, Mercure de France, 1900.

11  Le Mercure de France a une longévité, 1890-1965, qui tend à la classer dans les grandes revues. Pour autant, au moins à ses débuts, Le Mercure fait résolument partie de ce renouveau de la presse périodique. De plus, il soutient fortement le mouvement symboliste (Mercure de France. Alfred Vallette (dir.), Paris, 1891-. Parution bi-mensuelle). Revue blanche. Alexandre Natanson (dir.). Paris, 1891-1902. Parution mensuelle jusqu'en janvier 1895 puis bi-mensuelle. Si elle ne choisit pas entre naturalisme et symbolisme en se disant « ouverte à toutes les opinions et toutes les écoles », prenant en ce sens la suite de Art et Critique de Jean Jullien, sa préférence va tout de même assez nettement au mouvement symboliste. La Plume, revue de littérature, de critique et d'art indépendant. Léon Deschamps (dir.). Paris, 1889-1900 [puis parution plus aléatoire 1904-1914]. Parution bi-mensuelle. L'Ermitage. Henry Mazel et Edouard Ducoté (dir.). Paris, 1890-1906. Henry Mazel [1891-1896], Edouard Ducoté [1896-1906], parution mensuelle.

12  Gourmont, op. cit., p. 1.

13  Entretiens politiques et littéraires. Bernard Lazare (dir.). Paris, 1890-1893. Parution mensuelle.

14  Revue indépendante. Paris, 1884-1895. Parution mensuelle. Nombreux directeurs : Félix Fénéon (1884-1886), Édouard Dujardin (1886-1888), Jean Ajalbert (1887), Gustave Kahn (1888), François de Nion (1889-1891), Georges Bonnamour (1892-1893), Ludovic de Colleville (1895).

15  Revue d'art dramatique. Edmond Stoullig (dir.). Paris, 1886-1900. Parution bi-mensuelle.

16  « La petite revue matérialise la notion de réseau, notion plus précise que celle de génération littéraire qui amalgame les individus, sans autre justification que la contemporanéité ». Marie-Ève Thérenty, «  “Une invasion de jeunes gens sans passé”, au croisement du paradigme éditorial et de la posture générationnelle », dans  Génération Musset, Romantisme, n°147, 2010/1, p. 43.

17  Par exemple, la Revue blanche édite à partir de 1894 des extraits de pièces symbolistes, en commençant par la publication du Fumier de Saint-Pol-Roux (n° 31, 32 et 34, mai, juin et août 1894).

18  L'Endehors, Zo d'Axa (dir.). Paris, mai 1891- février 1893, parution hebdomadaire.

19  En effet, il n’y a pas à proprement parler de manifeste du théâtre symboliste comme il y en a eu un de la poésie symboliste en 1886 par Moréas dans Le Figaro.

20  Jacques Robichez, Le Symbolisme au théâtre, Lugné-Pœ et les Débuts de l'Œuvre, Paris, Éditions de l'Arche, 1957, p. 176 et suiv.

21  Comme  par exemple : Saint-Pol-Roux, « Autour de la conférence de Camille Mauclair sur Maurice Maeterlinck », Mercure de France, mai-août 1892, p. 156-162, ou encore Tailhade Laurent, « Conférence sur Un Ennemi du peuple », Mercure de France, juin 1894.

22  Edmond Pilon, « Maurice Maeterlinck », Le Mercure de France, avril 1896, p. 70-95.

23  Jacques Des Gâchons, « Maurice Beaubourg dramaturge », L'Ermitage, juin 1894, p. 346-349.

24  Gustave Kahn,  « Un théâtre de l'avenir : Profession de foi d'un moderniste », Revue d'art dramatique, 15 septembre 1889, p. 335-353.

25  Les quatre autres types de théâtre sont les suivants : 1/ comédie de caractère à milieu indéfini, sur le modèle de Marivaux : poétique de l’indétermination ; 2/ pantomime clownesque ; 3/ évocations de décors, tableaux vivants figurant « une idée, une passion, une attitude » ; 4/ comédies de cirque « utilisant tous les éléments muets et parlés du cirque et les réduisant à figurer les différentes facettes d’une idée ». « Spectacle qui plairait à la fois à la foule et à l’élite ».

26  François Coulon, « Essai de rénovation théâtrale », Mercure de France, octobre 1892, p. 157-159.

27  François Coulon, « Notes sur l'art dramatique »,  L'Ermitage, janvier-juin 1893, p. 251-253.

28  Camille Mauclair, « Notes sur un essai de dramaturgie symboliste », Revue indépendante, mars 1892, p. 305-317.

29  Pierre Quillard, « De l'inutilité absolue de la mise en scène exacte », Revue d'art dramatique, mai 1891, p. 180-183.

30  Albert Thibaudet, « Les trois critiques », NRF, 1er décembre 1922.

31  Paul-Henri Bourrelier, Une histoire de la Revue blanche, 1895-1905 : une génération dans l’engagement, Paris, Fayard, 2007, p. 246.

32  La Plume, « Auteurs et conférenciers », 15 octobre 1892, p. 440.

À titre de comparaison, voici ce que ce même Jacques Des Gâchons dit de Jules Lemaître, connu pour sa bonhomie : « Il va, parmi les bosquets littéraires, le charmant promeneur que fait hésiter chaque carrefour. Il va, sans enthousiasme (cela compromet parfois l’enthousiasme), amusé simplement par les spectacles successifs. Tous les bancs, tous les fauteuils, les hamacs et les simples tertres (pourvu que le gazon en soit propre et moëlleux [sic]) l’invitent à se reposer, et il s’arrête partout, souriant. Rarement il dédaigne, instruit qu’il est à trouver partout quelque sujet de jouissance. Lundiste, conférencier, dramaturge ; il est toujours le discret dilettante dont le cerveau et le cœur vont de la brune à la rousse, du pour au contre. Il est de cire, peut-être, prend l’empreinte des plus différentes sensations mais il est de cire si fine, si claire, si belle que ces divers moulages sont des œuvres d’art devant lesquelles il est utile et point désagréable de stationner de temps à autre », id., p. 439.

33  Jean Jullien, dans Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Paris, José Corti, 1999 [1891].

34  J’ai étudié cette image de la presse comme suprême dégradation de la littérature naturaliste par une analyse de la pièce de Maurice Beaubourg. Voici ce que dit le héros de cette pièce à propos de la presse : « Vos journaux !… Ah oui… Le piétinement sur place… La mort aux idées… La vie aux faits… À force de tout expliquer, de tout dénombrer, vous n’avancez plus… Sitôt qu’un événement se produit, le voilà pressé jusqu’à la moëlle [sic], privé de ses conséquences futures, abîmé, châtré… C’est la folie de l’époque, la folie de l’analyse… Plus d’actes, d’efforts puissants, rien… Des contrôleurs, des statisticiens, des buralistes, enregistrant les moindres pulsations de votre pouls.. Et voilà ce que vous appelez la vie ?… Regarder des gens qui ne vivent pas, des demi-morts ?… Moi, avec ma tête qui invente, qui s’enthousiasme, je suis l’unique vivant parmi vous !… Je soulèverai les montagnes, je ferai sauter les cités où vous vous êtes endormis ! » (dans Maurice Beaubourg, L’Image, Paris, Ollendorf, 1894, p. 138-139). Voir Pellois Anne, « "L’Image" de Maurice Beaubourg (1894), ou la théâtralisation d’un manifeste esthétique », dans Marianne Bury et Hélène Laplace-Claverie (dir.), Le Miel et le Fiel, la critique théâtrale en France au XIXe siècle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2008, p. 109-118.

35  Alain Vaillant, « Avant-Propos », dans La Littérature fin de siècle au crible de la presse quotidienne, Romantisme, n°121, 2003/3, p. 3-8.

36  Alphonse Germain, « Un projet », Entretiens politiques et littéraires, février 1892, n°23, p. 80. « Ne nous exagérons pas la sottise du collectif ambiant, en toute foule sont des individus désnobisables, mais il faut se donner la peine d’aller à eux. On reproche volontiers au public sa consommation du banal ou de l’empyreumatique : eh ! le public suit-il son goût ? Victime d’une fausse éducation, ne rougirait-il pas de céder à quelque émotion sincère. Oserait-il penser, le Géronte, sans consulter les Scapins du journalisme ? »

37  La seconde a lieu au Dôme central du Champ de Mars en 1893.

38  Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, Paris, Ollendorff, 1922, p. 183. Voir également Marie Carbonnel, « Camille Mauclair ou la vigilance critique », dans La Littérature fin de siècle au crible de la presse quotidienne, Romantisme, n°121, 2003/3, p. 81-91.

39  Stéphane Mallarmé, « Crise de vers », dans Œuvres Complètes, Jean Aubry et Henri Mondor (éd.), Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, [1895].

40  Charles Morice, La Littérature de tout à l’heure, Paris, Perrin et Cie, 1889, p. 372.

41  Voir à ce titre l’ouvrage de Sylvie Humbert-Mougin qui analyse l’engouement de la fin de siècle pour les formes théâtrales grecques en partie par le biais de la question du public : « la réception théâtrale des anciens est […] de plus en plus valorisée et apparaît comme le modèle d’une relation de proximité et d’échange authentique entre acteurs et spectateurs », par opposition à la médiation journalistique qui fait la pluie et le beau temps sur les saisons théâtrales. Dans les représentations antiques, « les spectateurs font partie intégrante de la représentation ». Ainsi, le théâtre grec sert cette « nostalgie d’une sorte d’âge d’or de la réception théâtrale, immédiate et instinctive, exacte antithèse de l’attitude intellectualiste du public moderne qui ne laisse plus aucune place à l’émotion et à la jouissance esthétiques ». Dans Sylvie Humbert-Mougin,Dionysos revisité. Les Tragiques grecs en France de Leconte de Lisle à Claudel, Paris, Belin, L'Antiquité au présent, 2003, p. 114.

42  Id., p. 116.

43  Georges D’Ale, « Chronique : sur le Théâtre d’Art », L’Ermitage, n°4, avril 1891, p. 248-251.

44  Alfred Vallette, « Théâtre d’art : La Fille aux mains coupées », Revue des spectacles, dans Mercure de France, mai 1891, p. 300-305.

45  Charle, Théâtres en capitale, op. cit., p. 473.

46  George Roussel, « Critique dramatique », La Plume, 1er mai 1891, p. 156.

47  J’ai développé cet aspect du théâtre symboliste dans ma thèse : « Utopies symbolistes : fictions théâtrales de l’homme et de la cité », Thèse nouveau régime, sous la direction de Bernadette Bost, octobre 2006, Université de Grenoble III.

48  Jacques Des Gâchons, « Le théâtre que nous voulons, I et II », L'Ermitage, octobre 1893 et janvier 1894, p. 194-201 et 99-108.

49  « Le théâtre que nous voulons I », p. 197.

50  Id., p. 195.

51  Id., p. 197.

52  Id., p. 200.

53  « Le théâtre que nous voulons II », p. 100.

54  « Le Théâtre que nous voulons I », p. 198.

55  « Le théâtre que nous voulons II », p. 100.

56  Ibid.

57  Ibid.

58  Lachasse, art. cit., p. 141.

59  « Le théâtre que nous voulons II », p. 108.

60  Stéphane Mallarmé, « Notes sur le théâtre », Revue indépendante, novembre 1886, p. 42.

61  Stéphane Mallarmé, « Notes sur le théâtre », Revue indépendante, janvier 1887, p. 55.

Pour citer ce document

Anne Pellois, « Petites revues d’à-côté : des affinités électives aux projections idéales», Presse et scène au XIXe siècle, sous la direction de Olivier Bara et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-et-scene-au-xixe-siecle/petites-revues-da-cote-des-affinites-electives-aux-projections-ideales