1889. Un état du discours social

Chapitre 10. Le fétiche patriotisme

Table des matières

Ethnocentrisme

Nous regroupons sous cette catégorie des ensembles idéologiques et doctrinaires qui convergent pour créer un dispositif global, une synergie ethnocentrique :
– le fétiche patriotique, le culte du drapeau et de l'armée, « au‑dessus de nos divisions » (chapitre 10).
– la haine et la vigilance suspicieuse à l'égard de l'Allemagne et de ses alliés (réels ou imaginaires) ; l'« espionnite » largement répandue ; le martyrologe de l'Alsace et la prédication revancharde (chapitre 11).
– la xénophobie : hostilité à l'égard des « rastaquouères », des étrangers en France (ici s'inscrit comme puissant avatar, l'antisémitisme) (chapitre 12).

Au‑delà de cette axiomatique civique et des enjeux politiques qu'elle comporte on décrira :
– la vision gallocentrique du monde et l'« imagologie » stéréotypée des nations et peuples étrangers (chapitre 13).
– cette dernière est elle‑même englobée dans un européocentrisme assis sur l'évidence d'une hiérarchie des races humaines et de la supériorité de la race blanche, évidence diffuse « de sens commun » ou bien théorisée en forme scientifique (chapitre 14).

Nous parlons d'une synergie en ceci que les complexes ethnocentriques énumérés ci‑dessus ne sont pas tissus les uns aux autres en un ensemble thématique homogène. Ils se manifestent d'ailleurs en des lieux discursifs divers : du récit de voyage (avec ses réflexions d'auteur sur les « sauvages », les exotismes des races inférieures) aux taxinomies inlassables de l'anthropologie physique, de la chanson de café‑concert revancharde au manuel d'école primaire prônant le culte de la Patrie, au fait‑divers relatant les « vexations » subies par les Alsaciens‑Lorrains. Les objets doxiques construits dans ces divers discours ne sont pas produits comme « faisant bloc ». Ils ont pourtant ceci de commun qu'ils engendrent un marquage radical de la différence, – construisant un génie national français, une âme slave, une race sémitique, un caractère britannique, un type oriental (comme du reste ailleurs un éternel féminin etc.) et qu'ils instituent dans la mise en place de ces stéréotypes essentialistes un Sujet central, défini par ses haines et ses dégoûts, inscrit en creux dans la production de cette universelle xéno‑phobie, sujet dont l'identité va de soi puisqu'elle s'infère de cette topique si assertive, universellement répandue, irréfutable.

Dans ce vaste regroupement de constructions ethnocentriques, un grand nombre d'entre elles se prêtent à divers « bétonnages » en doctrines monoïdéiques. C'est le point où l'effusion patriotique, – propre à tout Français bien né –, devient propagande patriotarde ; où le respect pour l'armée devient « vivelarmisme », où la méfiance diffuse vis‑à‑vis des étrangers s'obnubile en espionnite, où le « pensez‑y toujours » de l'Alsace‑Lorraine se fait obsession revancharde et bourrage de crâne, où le marquage vaguement suspicieux de l'identité « israélite » devient antisémitisme doctrinaire et vision conspiratoire du monde ; où l'anthropologie raciale « positive » débouche sur un racisme construit en politique sélective et eugénique et en philosophie de l'histoire comme « lutte des Races ». Parallèlement, la méfiance à l'égard des classes inférieures peut s'essentialiser en hérédité, atavisme et (du côté des « classes dangereuses » en criminel‑, prostituée‑née (criminologie de Lombroso).

L'essentialisme ethnocentrique et xénophobe accommode toutes sortes de positions et de degrés de radicalisme et de distinction. On peut tenir Edouard Drumont et ses pareils, publicistes antisémites, pour des esprits faux, réactionnaires ou en tout cas, exagérés, mais accepter cependant, à un moindre degré de concentration, les lieux communs anti‑juifs de la conversation ordinaire. On peut juger affligeante de vulgarité la chanson de café‑concert revancharde et être ému par ce « grand poète » et grand Français, Paul Déroulède. On peut faire preuve d'un cosmopolitisme de bon ton, mais adhérer comme à l'évidence, d'ailleurs scientifiquement confirmée, à l'idée de supériorité de la race blanche.

La synergie gallocentrique est si hégémonique et si malléable qu'elle opère sur les contre‑discours, lesquels offrent simplement des avatars marqués des sociogrammes. Patriotes, les catholiques les plus hostiles à la France « moderne », le sont aussi : il suffit que leur Patrie, « fille aînée de l'Église », soit celle de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc. Quant aux socialistes, il en est plus d'un qui vantent d'abord la France de la Révolution et de la Commune, et entretiennent un chauvinisme anti‑allemand combiné à leur « foi » révolutionnaire ou concoctent un socialisme « aryen », identifiant capitalisme et « banque juive ». Il faudra expliquer ces perméabilités, voies de diffusion et modes d'adaptation sectoriels.

Le fétiche patriotique

Nous appelons fétiches les objets de discours construits comme sacralisés, inattaquables, intouchables, auxquels tous rendent un hommage dévotieux quels que soient les antagonismes qui les opposent par ailleurs. La dissidence ne peut s'exprimer que dans des contre‑discours périphériques et encore : chez les socialistes, l'antipatriotisme, l'esprit internationaliste ne sont cultivés que du côté des guesdistes et des libertaires ; les possibilistes endossent le patriotisme républicain et les communalistes font preuve d'un chauvinisme plébéien couplé à la haine de ce qui vient d'Allemagne, le marxisme tout particulièrement compris !

L'Amour de la patrie est le premier des fétiches discursifs. L'invocation de la France, de son drapeau, de son armée, « incarnation de la Patrie », requiert une ferveur pieuse, un élan mystique qui se marquent dans tout discours quel qu'en soit le régime. Le patriotisme sert d'argument ultime que se renvoient les adversaires politiques avec d'autant plus d'aisance que les idéologèmes‑fétiches sont dépourvus de contenu distinct. Le patriotisme est un « sentiment sacré » : il l'est tellement que nul ne s'avise de le définir, d'en limiter les devoirs, – car définir l'évidence relèverait du « sacrilège ». C'est pourquoi nous parlons d'« invocation » : il faut payer son tribut à l'amour de la France, non chercher à voir ce qu'il exige et ce que par aventure il n'exigerait pas. S'il est axiomatique d'affirmer « aimer avant tout la patrie » c'est que chaque parti peut attacher à ce lexème un vecteur idéologique ad hoc ; chez les républicains, Patrie = France de 1789 – République – Progrès ; chez les catholiques, Patrie = Fille aînée de l'Église –Tradition – Monarchie. Au point de confluence de ces deux courants, on trouve la figure de Jeanne d'Arc patriote, militaire (et condamnée par un tribunal canonique) ou chrétienne et monarchiste. La lutte pour l'annexion à l'idéologie des uns et des autres de Jeanne d'Arc mériterait à elle seule une étude :

Au dessus de toutes les entreprises maçonniques [...] le peuple admirera et vénèrera sans réserve l'héroïque enfant, qui, inspirée par Dieu, a sauvé de l'invasion notre chère patrie française1.

Le patriotisme ne se délimite pas, ne se mesure pas, ne se nuance pas : être patriote c'est placer la France « au‑dessus de tout », se dire prêt à tous les sacrifices pour elle, dénigrer tout ce qui n'est pas français, exalter les supériorités françaises, ne voir en toutes choses que les intérêts de la France. Depuis 1870, le patriotisme consiste aussi à détester de tout son cœur ce qui vient d'Allemagne, à redouter la Prusse tout en la méprisant. Il est louable de ne vanter que les mœurs françaises et de trouver de l'odieux, du grotesque et du barbare dans les mœurs des autres nations, d'entretenir sur chacune de ces nations une poignée de stéréotypes défavorables. On verra en plusieurs chapitres comment le « réflexe » patriotique a pour fonction d'endiguer la pénétration, la prise en considération d'idées, de doctrines, de changements dans les mœurs venus de l'étranger. L'origine étrangère d'idées nouvelles, de mots nouveaux (« flirtation », « interviewer », « struggle for life ») suffit à les rendre suspects. L'émancipation civique des femmes aux États‑Unis est disqualifiée par un cocardier : « Soyons Français ! ». Inversement, l'engouement pour le roman russe doit quelque chose aux perspectives d'une alliance franco‑russe, réconfortante pour le patriotisme.

Le patriotisme est un secteur du pathos où la sottise est méritoire. Un certain degré de bêtise agressive qui en toute autre circonstance serait répréhensible est ici admis, car l'exaltation nationale supporte tout. On peut conclure une chronique sur l'Angleterre et son système politique par ce patriotique épiphonème, qui dispense d'argumenter et de comparer sur le fond :

Votre liberté, c'est, à l'égard de la nôtre, ce que sont vos Anglaises à côté de nos Françaises, et c'est tout dire ! Vive la France !2.

C'est une des fonctions du discours social de produire cette illusion de convivialité nationalitaire. De plus en plus, le culte de la Patrie va paraître dès lors à divers groupes la panacée idéologique aux luttes de classes, de factions et d'intérêts. Le patriotisme devient à la fin du XIXsiècle, partout en Europe, cette « religion » substitutive des sociétés à l'ère impérialiste, dont parle Gramsci. À mesure même que croissent les dissensions idéologiques, tous les idéologues ont à cœur de mettre au pinacle la Patrie comme ultime objet sacral, – toute réticence au pathos hégémonique étant réprouvée comme un « blasphème ». Loin de se distinguer ici de la doxa courante, les discours de savoir contribuent à conforter le patriotisme comme un fait « naturel », comme un « instinct », comme un sentiment congénital et éternel :

Il constitue un des facteurs de la vie sociale et assurément une des bases du progrès espéré [...] il est passé à l'état d'instinct comme la famille et la propriété [...] Il est et sera toujours3.

L'invocation de la Patrie, du drapeau tricolore est censée provoquer chez l'auditeur des émotions extrêmes, « douces larmes » ou « commotion électrique ». Sitôt que résonnent les premières mesures de la Marseillaise, « tous les bérets, toutes les casquettes volent en l'air », les foules s'abandonnent à « un enthousiasme indescriptible ». Le rappel au patriotisme tient de la méthode Coué. Il faut répéter sans cesse que la France est la France, qu'elle est la Civilisation et l'Honneur, que « ce cher et grand pays » suscite chez tous ses enfants un amour ardent, « ce sentiment tout patriotique, le plus haut et le plus noble qui soit au monde »4. On ne peut évoquer la France sans grandiloquence et tremolo. Il y a une phraséologie ad hoc de l'approbation chauvine : « ... inspiré par le plus pur patriotisme », « est‑il besoin d'ajouter un commentaire à ces paroles si patriotiques et si françaises... ».

La manifestation textuelle d'un élan patriotique est le plus envahissant des idéologèmes. Même le numismate ou le palimpsestologue peuvent, au détour d'une phrase, mettre la main sur le coeur et protester ès qualités de leur patriotisme.

Pauvre France !

L'émotion patriotique est de type maniaque‑dépressif : souvent cocoriquante, elle est aussi à la merci d'angoisses et d'inquiétudes ; le patriotisme depuis 1870 a besoin de « réconfort ». C'est un autre lieu commun de la chronique : nos découvertes scientifiques, nos beaux‑arts, notre Exposition universelle sont bien propres à « réconforter le patriotisme ». Il y a une tirade lyrique du patriote navré devant la France amputée d'après la guerre, déchirée par les querelles ou menacée par l'ennemi aux aguets, celle de la « Pauvre France ! ».

Ô ma pauvre France ! Ô mon pauvre cher pays adoré !...
Pauvre France ! Pauvre France ! Nous t'aimons trop pour...5.

Tous les patriotes se sont donné pour tâche de « travailler au relèvement de la France », à la « régénération de la Patrie », et vingt ans après la défaite, le « relèvement national » semble toujours loin d'être accompli ; bien plus « la situation morale de notre pauvre pays » (autre cliché) inspire des angoisses plus vives que jamais :

La Patrie se débat dans l'impuissance qu'engendre la discorde, se réfugie dans la soumission qui s'impose à la faiblesse...
Ah ! certes ce peuple est bien coupable et bien fou ! Mais il est menacé de mort et avant tout il ne faut pas qu'il périsse6.

Le patriotisme comme argument

Le patriotisme sert à couvrir de son pavillon toutes les entreprises douteuses. Le percement de Panama, œuvre du « grand Français » Ferdinand de Lesseps, a‑t‑il été assez décrit aux gogos comme une « entreprise patriotique » avant que la Compagnie ne soit mise en liquidation en février 1889 ! Les palinodies des partis politiques se drapent volontiers dans le patriotisme. Si la République rappelle d'exil le duc d'Aumale c'est pour « l'amour de la patrie » et non, comme on serait tenté de le croire, pour faire pièce au Général Boulanger7. Où le patriotisme ne va‑t‑il pas se fourrer ? L'Exposition universelle est partout vantée comme une manifestation qui « réconforte le patriotisme ». Les partisans de la réforme de l'orthographe y voient un « intérêt national », celui de rendre le français plus assimilable aux étrangers. L'abus des anglicismes dans la conversation doit être repris comme « une faute de patriotisme et de goût ». Peut‑on laisser vendre l'Angélus de Millet, cette « œuvre nationale », à un acheteur étranger ? Le faire acquérir par l'État serait « patriotique » ; abandonner la toile à un collectionneur américain serait un « crime contre la Patrie »8.

C'est un des critères pour identifier un idéologème‑fétiche que les discours spécialisés, ésotériques y sont perméables : la chronique littéraire et artistique peut juger des œuvres du point de vue patriotique. La pièce de Goncourt La Patrie en danger est une « honte du point de vue patriotique ». L'« émotion patriotique » est ailleurs un critère du mérite littéraire. C'est aussi un cliché de la chronique que d'écrire que « ce livre respire le patriotisme le plus ardent... ». L'œuvre de Massenet se recommande par « une formule toute française », qu'il faut opposer au « système wagnérien ». Et d'un opéra, on apprécie « la musique si spirituelle, si française ». Même les auteurs de gaudrioles ont droit à l'indulgence, s'ils s'inscrivent dans notre « tradition gauloise » à laquelle on oppose avec blâme certaines œuvres « voluptueusement érotique » (lire : la prose de Catulle Mendès)9.

La Patrie est à tout usage : elle sert à prôner le natalisme (« ce cri d'appel patriotique : faisons des enfants »), à dissuader le masturbateur (« geste antipatriotique » qui crée une race de soldats chétifs), à exalter le protectionnisme et à réclamer l'abolition de traités de commerce. Il doit y avoir parmi les parlementaires des partisans du libre échange, mais ils se gardent d'en faire état dans leurs professions de foi électorales. Les candidats vraiment patriotes, au contraire, réclament d'une seule voix la dénonciation des traités et une protection absolue de l'industrie et de l'agriculture française :

La France fournira toujours la nourriture des Français, à la condition qu'on lui réserve le marché français.

C'est un topos de rhétorique patriotique à la Chambre que de tonner contre « la concurrence acharnée qui nous est faite par les nations européennes ». Grand philanthrope mais patriote, Frédéric Passy invoque la « concurrence étrangère » pour s'opposer au projet de loi règlementant le travail de nuit des femmes10. Il est d'ailleurs des revues commerciales comme Le Travail national qui sont spécialisées dans la peinture de tableaux cataclysmiques de la liberté de commerce là où elle existe. Le protectionnisme intransigeant relève donc aussi du réflexe patriotique et s'exprime sur le ton assuré du civisme.

Soupçons de non‑patriotisme

C'est un embrayeur typique du débat politique, d'affirmer que « les vrais patriotes déploreront... ». Cette amorce polémique suggère qu'il y a patriote et patriote, que parmi tous ceux qui se réclament de l'amour de la France il est de faux patriotes, qui sait des Prussiens déguisés... Le tabou patriotique fait que la plus grave des injures mais aussi le plus puissant des arguments est de montrer un geste, une attitude comme non‑patriotiques. À la Chambre où les accusations de vol, concussion, prévarication font partie de la routine, il n'est que celle de « mauvais patriote » pour provoquer à tout coup un incident majeur, une « vive émotion » et peut‑être, contre le blasphémateur, le blâme avec inscription au procès‑verbal. Le boulangiste Laisant ayant mis en cause l'armée, se voit accusé de « blasphème antifrançais »11. La métaphore religieuse vient spontanément aux lèvres en de telles circonstances.

Un argument polémique dont l'illogisme n'entame pas l'efficacité est celui du Plaisir‑fait‑à‑Bismarck. Il revient à disqualifier tout acte dont on peut se réjouir à Berlin. Pourquoi est‑il patriotique de conserver le latin ? Parce que Bismarck qui souhaite « la déchéance des races latines », voudrait le supprimer. Dans la polémique politique c'est l'accusation massue, utilisée d'un camp à l'autre. Toute l'argumentation d'un Rochefort revient à suggérer que le gouvernement (ne) fait (pas) telle ou telle chose pour complaire à la Prusse, à Bismarck. Les poursuites contre la Ligue des Patriotes ? « Pour plaire à Bismarck » titre La Charge. « Aux pieds de Bismarck », clame L'Intransigeant. « Le gouvernement français poursuit la Ligue des Patriotes. Le mot d'ordre est venu de Berlin » (La Cocarde, 11.3).

Tout pour l'Allemagne...
Les Prussiens ouvrent les bras à Constans, l'associé des Rothschild. Ils chassent violemment Dillon. La France appréciera.

La condamnation de Boulanger et des siens en Haute Cour : « le Triomphe de Bismarck » titre le Pilori, « les reptiles allemands se congratulent », dénonce L'Intransigeant.

Désormais quand les républicains parleront de leur patriotisme, on leur répondra : "Allez à Berlin, tas de Prussiens !"12

Les républicains ne sont pas pris de court par ces accusations du Parti national. C'est Boulanger, au contraire, l'ami et l'allié de l'Allemagne, démontre à chaque numéro le Troupier (satirique républicain). L'argument tourne au mythe de la conspiration antifrançaise :

D'où vient l'argent ? Vous voulez le savoir ; regardez donc vers la trouée des Vosges ; car c'est de là qu'il vient. [...] On se disait de l'autre côté du Rhin, en assistant au relèvement de la France, cela ne peut pas durer, il faut recommencer...

Si Paris vote pour Boulanger, ce sera un « crime de lèse‑patrie » assure le Radical, et quand Boulanger est élu le 27 janvier, on s'afflige en ces termes :

La France demain rougira de sa capitale. On va se réjouir à Rome ; on va se réjouir à Berlin.

La fuite de Boulanger à Bruxelles, le premier avril, est aussitôt exploitée contre le fameux « Général Revanche » : « [...] il a préféré à la protection des lois françaises, la protection de l'étranger »13. Au plus fort de la mêlée, tout le monde en vient avec une vive indignation patriotique à traiter les autres de Prussiens, selon l'enfantine logique du « ce n'est pas moi, c'est eux » :

Cela leur sied bien de traiter les autres d'Allemands, alors que dans leurs rangs, il y a des Polonais, des Luxembourgeois, des Juifs allemands à foison14.

Pédagogies

Cela commence à l'école primaire : la première tâche des instituteurs est de « développer dans le cœur de nos enfants l'amour de la France », ce qui ne peut être pour eux que « le plus doux des devoirs ». Le cours élémentaire emprunte le ton de l'endoctrinement religieux :

En toutes choses regardez avant tout la Patrie, c'est elle cette mère bien‑aimée qui vous donne le courage, la force et vous montrera l'honneur. Que l'image de la Patrie ne vous quitte pas...

L'instituteur narre « avec la chaleur communicative qui convient » les faits patriotiques dont est parsemée l'histoire de France, d'Alésia à Froeschwiller. L'amour de l'armée, le culte du drapeau, l'exaltation des choses militaires sont couplés à la pédagogie patriotique et l'enfant est invité à rédiger de petites narrations où il se voit déjà sous l'uniforme :

Sujet à traiter : Un jeune soldat écrit à son frère, resté au village, qu'il vient d'aller au feu pour la première fois au Tonkin et lui raconte les émotions qu'il a éprouvées, avant et après le combat15.

La littérature pour la jeunesse poursuit cet endoctrinement. Le Tour de France par deux enfants de G. Bruno a connu bien des imitateurs et a trouvé sa contrepartie réactionnaire et cléricale, mais tout aussi patriotique, dans Petit‑Jean. Les magazines pour adolescents regorgent de récits militaristes, d'épisodes de la Guerre des Gaules ou de celle de 1870 : « leçons d'héroïsme » qui se complètent par l'attendrissant chauvinisme de « monologues » pour garçons et fillettes contant d'un petit air crâne leur désir de défendre la France et leur haine congénitale de l'Allemand. Bébé a reçu un cheval de bois qu'il détruit avec frénésie :

Il releva la tête et dit d’une voix claire :
C’était un cheval allemand.

À l'énoncé du patriotisme précoce on verse dans les salons des larmes émues :

Il n'est pas français, me dit‑elle,
C'est un gamin qui me l'a dit,
Maman, c'est un jouet maudit
Tiens, reprends ton polichinelle16.

Le Capitaine Danrit commence sa carrière de romancier ultramilitariste pour adolescents avec La guerre de demain. Les batailles de la « Revanche » que conte ce livre, ne font que présager les innombrables romans ultérieurs de Danrit, – médaillé de l'Académie française – dont on a calculé que, dans son œuvre patriotique et éducative, il a fictionnellement fait massacrer plusieurs fois la population de la Terre. Au reste, la littérature pour adolescents n'est pas seulement héroïque et chauvine, elle est aussi, avec la même insistance didactique, éperdument xénophobe et raciste : le Journal des Voyages, avec Louis Boussenard et R. Jacolliot, accumule les violences sadiques et dépeint invariablement les « races inférieures » comme grotesques, barbares, cruelles et stupides. Dès ce niveau de littérature juvénile, le patriotisme et le militarisme sont inextricablement liés au mépris systématiquement inculqué de ce qui n'est pas français. Il n'est pas un récit du Journal des Voyages qui n'accumule les stéréotypes les plus méprisants sur les « nègres », les asiatiques, les orientaux, les slaves, les Anglais, les Allemands et ne fasse sentir combien cette « imagologie » hostile ressortit du sentiment national élémentaire.

Le patriotisme populaire

La presse à un sou est un grand vecteur de pédagogie patriotique à l'usage des petites gens. Tous les jours le Petit Parisien offre un petit cours d'histoire patriotique discrètement coloré d'esprit républicain. Les revues de lecture populaire, la presse des campagnes contribuent de même à cet endoctrinement de persévérance. C'est cependant du côté de la chanson commerciale qu'il faut chercher la production la plus soutenue d'émotion cocardière et militariste. Le café‑concert fait alterner la « scie », la gaudriole inepte et le chant patriotique et revanchard. Depuis 15 ans, au milieu d'un enthousiasme « indescriptible » on chante dans les bouibouis « le Clairon » de Déroulède. Les zouaves jettent alors leurs chéchias sur la scène. La thématique est sommaire, mais d'un pathétique garanti. Il y a l'apothéose de la « France suprême nation » ou au contraire, l'attendrissement devant la « Pauvre France », blessée et haïe :

Pourquoi gémir, ô ma belle patrie ?
Pourquoi pleurer, ô mon vaillant pays ?

L'effusion patriotique des foules devant « le Régiment qui passe » est le thème le plus fréquemment repris dans les marches du caf'conc' :

Le tambour bat, le régiment s'avance
D'un pas martial et l'étendard au vent :
En les voyant pleins de mâle assurance,
Ces fiers troupiers, on se sent confiant.

Il n'est pas de semaine que ne naisse, sur ce moment d'émotion collective qui étreint tous les badauds, une variation nouvelle :

Sonnez clairons, battez tambours !
Saluez le Drapeau de France...

Le tambour bat, le clairon sonne
Le régiment va défiler...

Voici le drapeau de la France
Salut à ses nobles couleurs...

Il faut les voir marchant au pas,
Musique en tête...

D'autres micro‑récits élémentaires servent et resservent : la leçon de patriotisme donnée par un vétéran, le récit d'amours comiques d'une bonniche pour un troupier (« Ma sœur et son sapeur »), l'évocation épique des grandes batailles, – mais c'est la chanson revancharde, dont le modèle demeure « Alsace et Lorraine » de Villemer (1873), qui forme le genre le plus inépuisable.

Mais non... cette campagne est sombre
Et ce drapeau m'est étranger,
Mon ciel lorrain est couvert d'ombre
Ce pain, je ne peux le manger !...17.

Déguisé en vétéran, le chanteur vient prophétiser la Revanche :

L'heure approche, elle arrive, et la revanche est sûre
[...]
Depuis quinze ans j'attends que l'Alsace française
Retrouve la patrie avec les trois couleurs18.

« Le Père La Victoire » de Delormel et Garnier, créé par Paulus en 1889, connaîtra un grand succès et aura une seconde carrière en 1914.

Quelques lieux communs

Une poignée d'idéologèmes récurrents viennent spécifier et prédiquer le sujet « France ». J'en relèverai les principaux : – il existe un génie français, un tempérament français, – la France est le centre de l'univers, – la langue française est supérieure à toutes, et universelle, – la science française, patrimoine de la Patrie, doit être conforme au tempérament national, – Paris, c'est la France et c'est aussi la capitale du monde.

L'évocation du « tempérament français » ou du « génie de notre race » est d'autant plus mécanique qu'on ne dit pas ce que ce « génie » peut comporter ; déclarer « contraire au génie de notre race » l'intrusion d'idées ou de valeurs étrangères permet de bloquer l'importation de paradigmes non conformes à la doxa établie. Par exemple on affirmera que « le tempérament spécial de l'esprit français » est incompatible avec la « mode allemande » dans les méthodes pédagogiques. Le génie de la nation revient à cette tautologie, la France est la France : « Pour être grand, notre pays a besoin de rester lui‑même », à savoir en l'espèce « l'opposé de ce qu'est la race germanique »19. Pour le reste, le tempérament français est une catégorie d'autant plus commode qu'élastique, qui se précise par des qualifications circonstantielles :

[...] Le génie français, ce génie fait de clarté, de concision vigoureuse, d'élégance et de beau langage.
S'il est une arme qui convienne au tempérament du soldat français c'est à coup sûr la baïonnette...20.

« Mission de la France » : la grandeur de la France, « première nation du monde », est un beau thème de discours officiels :

La part [de votre pays] n'y est ni petite ni périssable. Dans l'air que respire tout homme civilisé, il y a quelque chose de la France.
Ce n'est pas en vain qu'elle a donné au monde la déclaration des Droits de l'homme.
Longtemps ce rayonnement au delà de nos frontières a fait notre ascendant. Nous lui devons être encore aujourd'hui autre chose qu'un poids ou un contrepoids dans l'équilibre instable des peuples. Vous lui devez un renouveau de grandeur (etc.)21.

Une poignée de formules triomphalistes assurent que la France est « nécessaire à la vie du monde », qu'elle « remplit une mission civilisatrice ». On retrouve ici, banalisée, une thèse chère à Michelet : « la France est le pays qui a le plus confondu son intérêt avec celui de l'humanité ». Il en résulte que « qui aime l'humanité, aime la France... »22. La presse épingle avec joie toute manifestation de « francophilie » à l'étranger, en présentant de telles manifestations comme une sympathie naturelle aux âmes bien nées :

MANIFESTATION FRANCOPHILE
Samedi soir, à Florence, on jouait Mignon. Ambroise Thomas assistait à la représentation. Il a reçu une ovation enthousiaste. À la fin du spectacle, tous les spectateurs se sont levés et ont crié : "Vive la France ! Vive la Paix !"23.

La gloire de la langue française est un autre thème cocardier. Cette langue est supérieure en logique et en clarté à toute autre : « elle ignore les à‑peu‑près et n'a qu'un mot pour une idée ». Le « génie de la langue française » est « clair, libre et raisonnable », il est « inséparable du génie français lui‑même » ; ces mérites expliquent « l'universalité de notre littérature et de notre langue » dont la Lanterne assure qu'elle est en passe de devenir « la langue universelle dans un avenir rapproché »24.

La science est un important élément du « patrimoine intellectuel de la Nation ». La « science française » est devenue objet patriotique d'autant que, depuis 1870, l'idée que la France avait été défaite par la « science allemande » a engendré partout un esprit d'émulation, mais aussi de ressentiment. L'influence des savants allemands sur la recherche française est massive dans les sciences naturelles comme dans les sciences de l'homme, mais cette influence est soumise à une patriotique dénégation. V. Meunier dans ses Scènes et types du monde savant, livre consacré à décrire avec justesse la médiocrité étouffante des milieux scientifiques français et la tyrannie des gens en place, va encore répétant « c'est par la science que nous avons été vaincus ». Lui aussi en tire que les progrès de la science sont une affaire de « patriotisme ». C'est déjà être patriote que de vouloir « se dégager de l'influence » de la science allemande, de la philologie allemande, de l'historiographie allemande, ainsi que partout on l'exige. Les lieux communs sur le tempérament propre du Français reviennent à propos. Le savant français, dit‑on, peut « saisir l'ensemble des choses sans entrer dans le menu détail », – grand mérite face à la « science revêche », au « pédantisme » germaniques25. Un article sur le « germanisme dans l'enseignement secondaire », dans l'Instruction publique, donne l'alarme : depuis dix ans, la France a « germanisé » son plan d'étude, « démission intellectuelle » qui se perçoit par exemple dans ces grammaires scolaires où « sont doctement expliquées les lois les plus abstruses de la phonétique ». Même absurdité pour l'enseignement des lettres : « On nous inonde aujourd'hui d'éditions dites critiques, hérissées de notes et de sous‑notes ». L'argument est une fois encore celui du génie national bafoué : « Notre premier grief contre lui [le germanisme], c'est qu'il nous vient de l'étranger. L'imitation, en effet ne réussit pas à la France »26. Stapfer, dans son Rabelais, montre combien la méthode française s'oppose à la philologie allemande :

Il ne faut donc ni lire Rabelais avec suite ni le creuser profondément à l'allemande ! Il faut le goûter à petites doses, revenir éternellement sur cent passages délicieux, en laisser de côté mille qui sont insipides et c'est ce que les Français "nés malins" ont toujours eu l'esprit de faire27.

« Science et Patrie » titre la Revue rose, à bon droit : les progrès de la science sont des victoires patriotiques :

La France vient encore de remporter sur le terrain de la science une de ces grandes victoires pacifiques qui ont plus fait pour sa gloire que tous les triomphes remportés sur les champs de bataille...

Un tel chauvinisme n'est pas exclu des réunions savantes où les thérapeutiques étrangères adoptées en France doivent être répudiées par souci d'éliminer ce qui est contraire au génie français :

Tant que la France a eu le privilège d'échapper à la contagion étrangère, et que nous avons joui du loisir paisible de faire notre éducation gynécologique avec les faits de source étrangère, les erreurs et les excès de nos voisins faisant les frais de notre expérience et de notre sagesse, nous pouvions nous borner à des protestations platoniques. Mais l'épidémie s'étend jusqu'à nous, et c'est le devoir de ceux qui entendent la thérapeutique des affections féminines autrement que par le moyen de grands sacrifices chirurgicaux, de joindre hautement leurs protestations...28.

Paris, « Ville‑Lumière », c'est la France : grande équation de Victor Hugo. Paris est dès lors « le centre de l'Univers », « le cœur du monde » ; cette ville « est vraiment le résumé du globe, la quintessence du génie humain, le plus brillant symbole que l'on puisse rêver de la poésie terrestre »29. Dans une classe de Buenos‑Ayres, une main a pieusement écrit au tableau : « Paris est la capitale du monde civilisé », tribut signalé avec approbation par le Journal des Voyages.

À Paris [...] chacun moralement et physiquement se sent chez soi. Que l'on vienne de la Norvège ou de Tombouctou...30.

La parisomanie forme une sorte de genre mineur de la chronique et du journalisme. Son expression est celle de la litanie épique :

Paris, ville de tous les rêves et de toutes les féeries ; Paris, ville de l'héroïsme et de l'intelligence ; Paris, capitale des lettres et des arts ; Paris, palais du luxe, atelier du travail, foyer du patriotisme, tu es là avec tes merveilles, tes séductions, tes fascinations31.

Il suffit aux socialistes les plus résolus de gauchir cette thématique pour y inscrire un triomphalisme révolutionnaire. Paris est toujours capitale du monde, la « capitale de l'univers républicain et socialiste » ; elle « est et demeurera le foyer de la Révolution universelle ». Comme quoi on ne se dégage pas sans effort des lieux communs « bourgeois »...32

Le culte du drapeau

Le drapeau tricolore n'est pas un simple « morceau d'étoffe », il est « la France ». Ce mystère de la transsubstantiation fait partie du dogme patriotique. « La patrie c'est le drapeau, c'est l'idéal. Or, nous ne pouvons vivre sans idéal »33. M. Bonnefoy publie un ouvrage catéchétique sur Le culte du Drapeau :

Le drapeau, c'est le titre de noblesse du soldat.
Le drapeau, c'est le signe de l'honneur militaire.
Le drapeau, c'est le symbole de la grandeur nationale.
Le drapeau, c'est la relique sacrée de la foi patriotique.
Le drapeau, c'est l'âme de la France34.

« Culte », « vénération », « religion du drapeau », ces expressions reviennent sans cesse ; même les catholiques, méfiants au détournement du lexique religieux, les emploient. Cela se dit aussi en vers de mirliton :

Car le drapeau, c'est la patrie
Qu'on aime avec idolâtrie...35.

Identifié à la Patrie, « relique sacrée », le drapeau est désormais aussi identifié à l'armée. Symbole unique au milieu de tous les symptômes de division, il est la synecdoque de cette armée, idéalement unie « au‑dessus de nos querelles ». On enseigne à l'école primaire le respect du drapeau, lequel « éveille au cœur de tout Français des sentiments [...] élevés de générosité et d'honneur »36. L'actualité montre de fréquents incidents où l'honneur du drapeau est en cause. En février, c'est l'affaire Atchinoff, illuminé russe qui se retranche avec les siens et prétend occuper un fortin français à Sagallo (du côté d'Obock). Pour « l'honneur du pavillon », la marine française le bombarde au risque d'assombrir les perspectives de l'alliance franco‑russe. Mais le drapeau commande : « Pouvions‑nous faire autrement ? »37.

Le culte de l'armée

Les revues politiques et littéraires consacrent de longues études chiffrées à « notre Marine », « notre Artillerie ». La presse populaire et les magazines pour la jeunesse sont pleins d'actes de bravoure, de faits d'armes de 1870. Il y a une littérature d'émotion patriotique, de contes et nouvelles militaires, de souvenirs de campagnes. L'histoire militaire est un secteur florissant. Les journaux parisiens et régionaux offrent fréquemment un « Bulletin militaire ». Entre 1886 et 1890, il paraît dans ce secteur 174 ouvrages techniques : armes, tirs, balistique.

« La France a plus que jamais le culte de son armée », constate le Figaro. La mystique de l'Armée française, réceptacle d'honneur et intouchable, remonte aux années 1872‑1873, à l'instauration du service obligatoire. Il y a des journaux et des revues spécialisées dans l'adulation des militaires mais, encore partout, le patriotisme reste inséparable du militarisme : une crise forte et durable est en gestation ici. D'autant que désormais, en divers lieux, l'Armée sacrée, unie et pure est opposée à une France civile de décadence, de chienlit, de scandales et de tripotages. « Pour tous les Français, l'armée devrait être sacrée. Laissez‑la donc à jamais en dehors et au‑dessus de nos querelles ! » L'armée, « en dehors des vaines agitations et des efforts des partis », est généralement représentée comme l'antipolitique38.

La larme à l'œil, Jules Claretie fait l'éloge de « ces petits troupiers de France, étrangers à la politique, fidèles au devoir... ». « Moi qui, ajoute‑t‑il, dans l'écroulement de la politique, m'accroche à ces nobles débris, le patriotisme et les lettres »39.

Du côté du boulangisme, auquel nous allons venir, la proportion « Armée : honneur : Société politique : corruption » est en train de faire son chemin. La Cocarde le proclame en vers :

Cette Oasis jamais envahie... est l'armée !
Dans la terre livrée à la corruption,
Seule elle garde encore la semence enflammée,
De vigueur patiente et d'abnégation.

Le Courrier de l'Est de Barrès développe brillamment ce paradigme crépusculaire :

Sur les ruines accumulées de notre fortune nationale, de nos administrations délabrées, [...] au milieu de l'effondrement de tout et de tous, de l'écroulement universel, l'affaissement des caractères, elle est demeurée intacte, jamais souillée40.

L'Armée française incarne les qualités de stabilité, d'honneur, d'enracinement, de tradition qui ailleurs s'en vont à‑vau‑l'eau. Quoi de plus logique que de s'appuyer sur elle pour reterritorialiser la Nation en déshérance ? Drumont dans La fin d'un monde oppose dans les mêmes termes l'Armée à la Finance et G. Corneilhan dans Juifs et Opportunistes met en garde l'armée, « ce foyer d'honneur et de patriotisme » contre les Juifs omniprésents41. Parmi les sacrilèges qui font monter des clameurs indignées, il y a Toucher‑à‑l'armée. Oh ! il suffit de peu :

Toucher à l'uniforme de la gendarmerie et surtout au tricorne, [...] porterait atteinte au prestige des soldats de la loi.

À l'instar de l'argument patriotique, l'argument de l'armée‑tabou est largement utilisé dans la polémique. La Lanterne a eu la fâcheuse idée d'écrire que l'armée au Tonkin, « excellente dans la bataille [est] déplorable dans l'administration ». Aussitôt Andrieux accuse : « Vous insultez l'armée ! ». Le procureur Quesnay de Beaurepaire est chargé de requérir contre le général Boulanger :

Ce maniaque [Q. de B.] a osé toucher à l'armée, la seule chose demeurée sacrée au milieu de l'avilissement de toutes nos autres institutions42.

Les républicains ne sont pas en reste ; eux aussi montrent leur patriotisme en reprochant au factieux Boulanger, « le funeste exemple donné à l'armée française ».

Affrontements politiques et captation du patriotisme

Nous avons traité jusqu'ici du vecteur Patrie‑Drapeau‑Armée comme de fétiches s'imposant hégémoniquement, excluant toute contestation. Cependant, en raison même de l'excellent rendement de ce complexe, de son efficace sociale, il fait l'objet d'affrontements dont l'enjeu est son appropriation et son remaniement en fonction d'idéologies adverses. Vers 1889, la montée de ce nouveau discours politique identifié comme « boulangisme » va bouleverser toute l'économie de ce secteur (v. chap. 33).

Le complexe thématique du culte de la Patrie, du Drapeau et de l'Armée relève d'abord de l'idéologie d'État ; la classe régnante républicaine s'est employée à lier fortement République et Patrie, à faire bénéficier la thématique républicaine de cette connexion avec l'axiome, le « réflexe » patriotiques. Cela a été l'œuvre de la Nouvelle Revue de Juliette Adam d'assurer dans la classe régnante cette connexion‑là. Depuis les origines de la République, l'amour de l'armée française, le deuil de l'Alsace‑Lorraine, le « pensons‑y toujours » de la Revanche font partie du matériau idéologique de l'État républicain, et dès lors de l'enseignement public, de la propagande civique. L'amalgame jacobin Patrie – République – Révolution française a été largement bénéfique à la légitimation, à la stabilisation du régime. Dans la presse républicaine rurale, les républicains sont désignés par antonomase comme « les bons patriotes »43 ; toute la presse populaire cultive les « souvenirs patriotiques ». Selon la stratégie de la polémique républicaine, la République peut être légitimée par sa lutte contre la réaction, l'obscurantisme, l'ancienne France, ou bien présentée, au‑dessus des querelles et des « divisions », comme synonyme de la Patrie française. Attaqué sur la loi de finance, le rapporteur s'exclame à l'adresse des oppositions :

Il ne s'agit pas en définitive des finances de la République, mais des finances de la France !44.

Ainsi la République s'offre sous deux faces, l'une militante, de lutte contre les oppositions, l'autre idéalement unitaire et iréniste, de commun dénominateur patriotique. Cette autre face sert la propagande dans les tactiques de ralliement et de consensus : « tel est le pays du Centenaire, la patrie des Républicains, la France de l'Exposition... »45.

Avant que le mot n'apparaisse dans le lexique politique, le nationalisme a été largement le bien propre, l'affaire de la gauche radicale. Cependant lorsque ce mot de « nationalisme » apparaît – et nous le voyons attesté pour la première fois en 1889 – c'est dans le discours boulangiste, contre la « République parlementaire », pour identifier une nouvelle droite, antiparlementaire, antidémocratique et autoritaire. Ce mot de « nationalisme », je le vois attesté pour la première et seule fois (et bien marqué comme néologisme) chez un éditorialiste de la mouvance boulangiste, M. Marck dans le quotidien Le Petit Caporal.

Quand on me dit : vous faites du boulangisme, je réponds : non je fais du NATIONALISME46.

Le Petit Caporal, dont la politique est issue du bonapartisme, a renoncé à prôner le retour au pouvoir d'un Bonaparte ; il a conservé l'essentiel, les principes : un État militariste, un exécutif puissant, césarien et plébiscitaire, antilibéral, comme correctif à la « gabegie » parlementaire. Sur ces bases, le journal a consenti à faire un bout de chemin avec Boulanger. Ce que l'éditorialiste veut dire c'est que, pour le courant qu'il représente, la personne de Boulanger importe peu. Ce sont les principes du « Parti national » auxquels il adhère. Si d'autre part, les boulangistes de gauche n'éprouvent pas d'embarras à se désigner comme « socialistes » ou avec un correctif, « socialistes révisionnistes » (c'est‑à‑dire pour une révision de la constitution dans le sens présidentiel et plébiscitaire indiqué plus haut), Le Petit Caporal ne peut endosser ces termes. Ni boulangiste, ni socialiste, M. Marck identifie sa position de droite en opposant le « national » au « social » et en tirant du fétiche « Nation » le dérivé doctrinaire « nationalisme », calqué sur socialisme. Ainsi, ces compagnons de route de Boulanger forgent‑ils, sous la contrainte d'une double dénégation, un mot gros d'avenir.

Une certaine phraséologie autour de la Patrie, la Nation et l'Armée française, construisant la Nation, qu'on veut unie et puissante, comme incompatible avec les « divisions politiques » engendrées par les partis au pouvoir, est en train de devenir l'apanage d'un mouvement qui prétend déborder le camp républicain à la fois sur sa gauche et sur sa droite : « socialiste » contre la bourgeoisie libérale en place, « nationaliste » contre la partisanerie radicale et les collusions des opportunistes et de la « Haute finance sans patrie » (v. chap. 33).

Le « patriotisme ardent » des républicains est mis en question par un ultra‑patriotisme qui lui est hostile et qui réévalue aussi le legs de 1789. Il y avait un patriotisme de filiation jacobine chez les républicains, et un patriotisme communard à l'extrême‑gauche ; ce qui naît et qui commence à trouver un langage, c'est un « nationalisme » autoritaire, anti‑démocrate, antiparlementaire, que la gauche boulangiste nuance en « socialisme national ».

La doxa républicaine a donné prise à cette dépossession, elle qui faisait du patriotisme un synonyme d'unanimité nationale avec antonymes : luttes des partis, querelles, divisions... Écoutez le discours bien conventionnel de religion patriotique, du ministre Fallière à la jeunesse des écoles :

Dites‑vous bien, d'abord que cette âme de la France, déposée dans vos âmes, exige la fin des querelles et des divisions, et, qu'elle vous fournit le moyen d'en finir avec elles. Faites le compte de ce qu'elle contient de moral, sentiments et idées d'honneur, la justice, la liberté, la tolérance, le respect de la personne humaine, et dites‑moi s'il n'y a pas là, au‑dessus de l'égoïsme des partis, une région supérieure de pensée et d'action, où tous les esprits, toutes les volontés peuvent s'unir dans un commun amour de la vérité et de la patrie47.

Voyez l'axiome civique d''unité suprême, omniprésent dans la propagande républicaine :

Au‑dessus de nos querelles et de nos divisions, il y a la Patrie. Faisons toujours passer l'amour de la Patrie Avant la République, avant la royauté48.

On comprend alors que la classe régnante dans ses polémiques interminables, dans les « divisions » que produit la politique anticléricale notamment, paraisse aux mécontents réaliser fort peut l'unité qu'elle prêche. La droite le lui dit volontiers :

Vous parlez des intérêts de la République, mais jamais de ceux de la France, M. le Président.

Les républicains eux‑mêmes placent au‑dessus du « parti » républicain, le patriotisme, commun dénominateur, et le culte de l'Armée, incarnation de la Patrie :

Vous voyez que ce n'est pas là une question de parti, mais bien une question de patriotisme qui intéresse la force de notre Armée.

Or justement, le parti boulangiste et ses alliés, ex‑radicaux ou ex‑bonapartistes, prend à la lettre cette formule rhétorique de la Patrie/Nation au‑dessus de la République même, des partis, de la « politique ». Ils vont faire de la « Nation » la contrepartie idéale de la France des politiciens, selon une opposition qui s'énoncera plus tard : Pays Réel us Pays légal. Ils n'inventent pourtant pas cette distinction qu'on peut rencontrer dans la presse républicaine « modérée » :

Pauvre chère Nation ! comme elle vaut bien mieux que ceux qui la gouvernent et ceux qui la dirigent !49

La « république nationale » prônée par Boulanger, contre la « république parlementaire » vilipendée, c'est un régime où les principes républicains (s'ils subsistent) doivent être surbordonnés à une unité national(ist)e qui ne peut souffrir ces querelles de parti, qui affaiblissent la Patrie.

Séduisante pour les classes populaires à sensibilité communarde et chauvine, déçues par le parlementarisme bourgeois, la thèse boulangiste plaît à la droite qui n'a cessé de dénoncer l'ordre des priorités idéologiques de la classe régnante :

Ils mettent la république au dessus de la Patrie. Nous ne mettons rien au dessus de la France ; non rien, pas même la royauté50.

Le patriotisme boulangiste

La stratégie boulangiste revient à accaparer les idéologèmes Patrie, Armée, Alsace, Revanche, et à capitaliser là‑dessus contre le pouvoir en place, L'Intransigeant et la presse boulangiste, transfuge du radicalisme, se posent constamment en défenseurs attitrés de ces grands fétiches. Les slogans du « Parti national » travaillent exclusivement ces connexions :

Votez pour les trois couleurs,
Votez pour le drapeau,
Votez pour le général Boulanger.

Candidat des Patriotes
Général Boulanger
Vive la France !
Vive la République !51.

Boulanger est un « grand patriote », il est, depuis une fameuse chanson de café‑concert, le « Général Revanche », il est enfin pour les mécontents et les indignés ce « soldat patriote dont on a brisé l'épée [...] cette épée glorieuse qui était devenue pour notre ardente et vaillante jeunesse un symbole d'espérance ! »52. La longue immunité de Boulanger provient du reste du tabou militariste : on ne peut attaquer en quoi que ce soit un « loyal soldat » ; « briser l'épée du soldat » était un crime contre la patrie.

La Ligue des Patriotes

Parmi les groupes qui se sont laissé absorber dans le mouvement boulangiste, il y a au premier rang la « Ligue des Patriotes » fondée en 1882 par Paul Déroulède qui se laissait appeler le « Président des patriotes de France » avec les bénédictions des chefs de file républicains. Depuis 1887 environ, la « Ligue » est devenue une machine antigouvernementale, en même temps qu'elle s'efforçait de s'approprier et de monopoliser les formulations extrêmes de l'idée patriotique. Elle est désormais identifiée au boulangisme. Déroulède, poète de la Revanche, avec ses vers chevillés et creux, passe désormais chez les républicains pour un énergumène qu'il faut cependant ménager car le patriotique talent du « Sonneur de clairon » lui crée une sorte d'immunité. Le pouvoir s'avise, un peu tard, en mars 1889, que la Ligue, fonctionnant au grand jour depuis sept ans, est une association non déclarée ! Il la dissout et on poursuit le Comité directeur, Déroulède, Naquet, Laguerre. Cette opération politico‑judiciaire fera long feu. La « Ligue » se jette à fond dans le combat nationaliste. À la fois parti ultra‑chauvin et organisation paramilitaire entraînée pour tenir la rue, la Ligue est en voie d'inventer le matériau de la propagande fasciste : le symbole visuel et le slogan bref, martelé, d'un sémantisme obscur et lancinant :

Qui vive ? France ! L. Quand même !
D.P.

Aux reproches de subversion et d'illégalité, les Ligueurs répliquent par l'argument de l'idéal patriotique : « les patriotes de la Ligue n'ont songé qu'à parfaire la République et à venger la France »53. Le moniteur de la Ligue, Le Drapeau, offre une collection de numéros éperdument chauvins, militaristes et revanchards, bellicistes à un degré de violence que la presse républicaine ne peut concurrencer ; il connecte cet ultra‑patriotisme à la haine du « naturalisé Reinach », de Ferry, des opportunistes, des parlementaires. Au vecteur idéologique républicain République => Patrie => Culte de l'Armée, la « droite révolutionnaire » répond par un vecteur Nation/Patrie => Armée => Unité nationale [=> antiparlementarisme], Le patriotisme, conçu depuis 1870 comme « communion morale » et grand commun dénominateur de toutes les classes et de toutes les opinions, devient une arme de combat pour une faction politique conquérante, de même que le respect pour l'armée est en train de se muer en « appel au Soldat ».

Les républicains sont pris à leur propre piège. Ils vont s'efforcer tant bien que mal de retourner la tendance, non en lâchant l'axiome patriotique, mais en traitant leurs ennemis de faux patriotes. Boulanger est l'homme qui « a cherché à déshonorer le patriotisme »54. « Contre la Patrie », « Trahison des faux patriotes » titre la presse républicaine après les déclarations de la Ligue sur l'incident Atchinoff55. Ils répètent à qui veut les entendre que Déroulède et les siens ont utilisé « le patriotisme et l'Alsace‑Lorraine [...] pour mener les gobe‑mouches à l'assaut de la République »56. Ils reconnaissent qu'ils sont partiellement impuissants à contrer ce détournement d'idéologèmes. Ils ont trop dit eux‑mêmes que le patriotisme est au‑dessus de tout soupçon. Il faut à grands frais disqualifier la « Ligue dite des patriotes », « ligue des déroulédistes », des « patrouillotes », des « patriotards », des « ligueulards »... Certains républicains ne trouvent de meilleure stratégie que la surenchère : créer des mouvements et des publications plus patriotardes que celles du Parti national, mais progouvernementales. J'en vois trois : L'Union patriotique, organe d'une Ligue du même nom, dissidente de la Ligue des patriotes et contrepartie officieuse de celle‑ci, avec son slogan : « Tout pour l'Alsace‑Lorraine ». La France aux Français : titre d'une autre revue (et slogan à multiple usage), revue pleinement gouvernementale, mais d'une germanophobie, d'une xénophobie extrêmes, soutenant la politique en place tout en surenchérissant sur le chauvinisme pathologique. L'Alliance franco‑russe enfin, revue soutenue par les fonds secrets ou par le gouvernement tsariste, et belliciste.

Notes

1  Léo Taxil : France chrétienne, p. 11.

2  Le Père Martin, n°15 : p. 7.

3  C. de Lestrade, Éléments de sociologie, p. 182 ; cf. aussi Ad. Franck, Almanach de la paix, p. 70, comme « extension naturelle » de « l'amour de la famille ».

4  « Ce cher grand pays » : Correspondance républicaine, 23.1 ; « Ce sentiment... » : J. Delafosse, Matin, 6.8 : p. 1.

5  J. Simon, Matin, 16.1 : p. 1 ; Correspondance républicaine, 3.2.

6  Cahu, L'Europe en arme, I ; Figaro, 4.1 : p. 1.

7  Reinach, Catilinaires, II, p. 228.

8 Réforme de l'orthographe : Journal des Débats, 31.5 : 3 ; Anglicismes : Magasin pittoresque, p. 16 ; Angélus : Pt. Moniteur universel, 9.7 : p. 1 et A. Wolff, Figaro, 2.7 : p. 1.

9  Goncourt : Petit Journal, 22.3 : p. 1 ; « Émotion patriotique » : Triboulet, 17.3 : p. 5 ; Massenet : Petit Parisien, 17.5 : p. 3 ; « ...si française » : Radical, 1.1 : p. 3 ; Gaudriole : La France, 11.5.

10  « La France fournira » : Lejeune (gauche), Journal Officiel, p. 1075 ; « Concurrence » : M. le Rapporteur, Journal Officiel, p. 1086 ; Passy, Journal Officiel, 29.1.

11  Journal Officiel, p. 1070 ; Laisant : cf. Évènement, 5.10 et Gil‑Blas, 19.10 : p. 2.

12  Bouctot, Histoire du socialisme, p. 249 ; La Charge, 10.3 ; Rochefort, L'Intransigeant, 1.3 : p. 1 ; « Tout pour l'Allemagne » : Intransigeant, 27.10 ; Pilori, 11.8 ; Intransigeant, 23.8 ; « Désormais... » : M. de Licques, Nouv. Éclaireur de Beauvais, 20.10 : p. 1.

13  « D'où vient l'argent » : Lanterne, 2.6 : p. 1 ; Radical, 4.1 :1 ; 27 janvier : Lanterne, 29.1 : p. 1 ; « Il a préféré » : Journal Officiel, Chambre, 4.4 (828).

14  Pilori, 10.3 : p. 2.

15  « Développer... » : Télégraphe, 2.4 : p. 1 ; « en toutes choses... » : Bulletin de la Ligue de l'enseignement, p. 147 ; « avec la chaleur... » : L'Éducation nationale, p. 83 ; « Sujet à traiter » : Manuel général de l’enseignement primaire, cours complémentaire, 2e année, 19.1.

16  H. Piquet, « le Jouet allemand », Cri‑cri, 51 : p. 3 ; « Le Polichinelle » : Chansons illustrées, p. 61.

17  Tous ces textes sont tirés du dossier de chansons F18 1616 (Arch. nationales).

18  Chansons illustrées, n°38.

19  L'Instruction publique, p. 663 et p. 662.

20  Pougin, Méhul, p. 365 ; Constitutionnel, 14.2 : p. 3.

21  Fallière, Lanterne, p. 7.8.

22  Nemo, Union franco‑russe, p. 8.

23  La Cocarde, 28.2 : p. 2.

24  « Elle ignore... » : Pailleron, Augier, p. 7 ; « Génie de la langue » : Manuel général de l’enseignement primaire, p. 178‑179 ; « Langue universelle » : Lanterne, 18.10 : p. 2.

25  Meunier, Scènes, p. 2 ; « Saisir l'ensemble » : Gérard, Grande névrose, II.

26  Instruction publique, p. 660‑662.

27  Stapfer, Rabelais, p. 441.

28  « Victoires pacifiques » : Frollo, Petit Parisien, 30.9 : p. 1 ; « Tant que la France » : N. Arch. de gynécologie, p. 258.

29  « Centre » : Blavet, Vie parisienne, p. 124 ; « Cœur » : Silhouette, 16.6 : p. 2 ; « Résumé du globe » : Ph. de Grandlieu, Figaro, 3.7 : p. 1.

30  Journal des voyages, p. 416 ; « À Paris » : Pt. Moniteur, 22.7.

31  Du Seigneur, Paris, voici Paris, VI.

32  Parti ouvrier, 10.7 : p. 1 et ibid, 22.7 : p. 1.

33  V. Modeste, Nuit du 4 août, p. 240 ; G. Tissandier, Science et Patrie, p. 9.

34  Bonnefoy, Culte du drapeau, p. 3.

35  Étendard national, n°1 : 2 (catholique).

36  Bulletin de la Ligue de l'enseignement, p. 145. Le jeune Français est censé dire au petit nègre des colonies : « le drapeau, c'est l'image sacrée de la patrie, de cette patrie qui sera un jour la tienne » (Dupuis, Autour du Monde, p. 42).

37  Matin, 5.3 : p. 1.

38  Figaro, 25.7 : p. 1 ; « Pour tous les Français » : Correspondance républicaine, 13.12 ; « En dehors des agitations » : Revue des Deux Mondes, v. 91 : p. 713.

39  Claretie, in Danrit, Guerre de demain, p. 5.

40  Cocarde, 14.1 : p. 1 ; C. de l'Est, 29.12 : p. 2.

41  Corneilhan, p. 154.

42  Gendarmerie : Matin, 19.6 : p. 3 ; Lanterne, 4.11 : p. 1 ; Quesnay : Pilori,18.8 : p. 2.

43  Le Père Martin, nº8 : p. 3.

44  Journal Officiel, p. 1031.

45  Chronique de la Tour Eiffel, n°5 : p. 1.

46  Petit Caporal, 10.2 : p 1.

47  Cit. Lanterne, p. 7.8.

48  Union patriotique, 19.1 : p. 1 ; Poème anonyme, Constitutionnel, 5.1 : p. 2.

49  M. de Baudry d'Asson, Journal Officiel, Chambre, 31.1 ; M. Keller, ibid., 15.1 ; « Pauvre chère Nation... » : Aug. Filon, R. bleue, II 803.

50  L'Univers (cath.), 22.1 : p. 3.

51  Slogans : Le Drapeau, 27.1 : p. 3 et couverture.

52  Morphy, Boulanger, p. 5.

53  Richard, Procès de la Ligue des P., p. 9.

54  Reinach, Catilinaires, II 291.

55  Radical, 2.3 : p. 1.

56  Cahu, Déroulède, IV.

Pour citer ce document

, « Chapitre 10. Le fétiche patriotisme», 1889. Un état du discours social, ouvrage de Marc Angenot Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/1889-un-etat-du-discours-social/chapitre-10-le-fetiche-patriotisme