Chapitre 23. La publicistique : considérations générales
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Les Allemands disent Publizistik, dérivé de Publizist, lui‑même emprunté au français publiciste1. En français, « publicistique » n'existe pas et « publiciste » ne se trouve plus aujourd'hui que dans le sens technique de « spécialiste du droit public » et dans le sens incorrect de « personne qui s'occupe de publicité commerciale » (syn. publicitaire, agent de publicité). Au siècle passé, on rencontre encore « publiciste » comme synonyme prestigieux de « journaliste » et particulièrement – mais les dictionnaires restent imprécis – comme auteur de livres traitant de questions d'actualité politique et sociale et d'opinion publique. « Publiciste » semble désigner alors, non pas d'abord « celui qui écrit dans les feuilles publiques », mais celui qui, par des articles ou par des livres, écrit sur l'actualité, façonne l'opinion publique et discute des questions « d'intérêt général ». Par ses objets – l'actualité et l'opinion – le publiciste n'est pas un littérateur, un homme de lettres, bien qu'on le gratifie volontiers de ces titres s'il a quelque prétention au style et aux belles idées, dans une société où le littéraire est doté d'un prestige fétichiste.
Le publiciste est l'écrivain qui s'adresse au « public » (lequel n'est pas, malgré la naïveté des dictionnaires, la « masse de la population » mais cette minorité alphabétisée et cultivée qui est censée posséder une opinion, un intérêt pour l'actualité et pour la « chose publique », que ceux‑ci soient objectivés par la Revue des Deux Mondes ou par le Petit Parisien). Le publiciste contribue à produire la « publicité ». Dans le sens où j'emploie ici de dernier terme, il est encore plus archaïque que « publiciste ». La « publicité » c'est, en un français très vieilli, l'ensemble des idées, des informations qui sont connues ou devraient être connues « de tous ou d'un assez grand nombre de personnes ». C'est dans ce sens que Fremy, 1878, analysant le développement du journalisme, oppose la littérature, qui est un « art », à la publicité qui est un « droit fondamental ». La publicité, diffusion dans le public des discours qui façonnent l'opinion publique, telle est l'affaire du publiciste. Par là, le publiciste est souvent proche de l'idéologue, du doctrinaire politique. Renversant l'ordre apparent des causes, G. Tarde, 1901, dit que « chaque public un peu nombreux se fait son publiciste » (p. 15) et l'exemple qui lui vient aussitôt, c'est le public antisémite qui a fait le « publiciste » Édouard Drumont lequel, profitant d'un « état d'esprit antérieur », a systématisé l'idéologie (c'est moi qui interpole ce terme) de ce public‑là.
À ce point, il faut poser la question de l'absence ou de la disparition en français de ces mots vivants en allemand : Öffentlichkeit (« publicité », mais on ne sait que dire quand on traduit J. Habermas. « Sphère publique » ?), Publicist/Publizist et Publizistik qui est à la fois l'ensemble des écrits –journalisme et « littérature » d'actualité et d'opinion – et la discipline universitaire qui fait l'étude de ce secteur : il y a en Allemagne des départements et des revues de « publicistique ».
Il est risqué de chercher à expliquer l'absence de certains mots dans un état de langue. Pourquoi en français, le rétrécissement de sens de « publicité » pour ne plus désigner que la réclame, l'annonce, l'affiche ? Pourquoi l'obsolescence de « publiciste » ? De quel nom désigner pourtant ces innombrables idéologues qui, aujourd'hui, dans l'imprimé ou dans les médias, produisent des « idées », de l'opinion, du commentaire d'actualité, en se laissant appeler « nouveau philosophes », essayistes, sociologues ou écrivains ? Il faut montrer que, dans la répartition des discours sociaux modernes, il existe bien un secteur central qui recoupe partiellement le « journalisme » et les publications périodiques, mais qui passe aussi par le livre, le livre de débats et de « questions actuelles ». Ce secteur, il faudrait le nommer et le terme de « publicistique » me semble pertinent et heureux. Puisque ce terme est un réemprunt et, d'une certaine façon, un archaïsme en français, il faut justifier cet emprunt et expliquer le flou qui entoure en français l'à‑peu‑près du « journalisme ». Il faut enfin dire quel rapport s'établit entre la notion de « secteur publicistique » et le marché de la presse quotidienne et périodique.
On peut commencer en posant que, dans la division du travail discursif, l'ainsi nommé secteur publicistique, se définit d'abord négativement par rapport aux divers champs de la littérature, de la philosophie, des disciplines scientifiques, c'est‑à‑dire à l'ensemble des discours ésotériques. Ces champs discursifs requièrent de leurs destinataires des compétences acquises qui vont de pair avec des intérêts particuliers. La publicistique est, elle, d'ordre exotérique : on en revient à la qualification de discours « public », en précisant toujours que « le public » n'est pas une réalité démographique qui préexisterait à la production des discours mais cela même qu'un système moderne de discours engendre et institue, – réalité qui est sans rapport avec les gazettes, les chroniques, les libelles (et aussi les rumeurs) qui formaient le « réseau public » de la cour et de la ville sous l'Ancien Régime.
La publicistique fonctionne comme un espace‑carrefour (un espace « trivial ») où certaines notions, certaines idées, certaines valeurs sont « vulgarisées » par emprunt aux champs discursifs ésotériques. En provenance des disciplines scientifiques, des notions banalisées sur l'hystérie, le criminel‑né, les dégénérescences, la crise économique, la question sociale, l'émancipation des femmes, sont diffusées dans le journalisme et le livre pour « grand public ». La question sera de voir ce qui se passe lorsque ces objets se trouvent exposés ainsi au public non spécialisé. La publicistique produit deux entités discursives correlées, l'Actualité et l'Opinion. Ces objets sont des artefacts conditionnés par des codes et des conventions : tout ce qui se passe n'est pas « actualité » et toutes les opinions ne sont pas de l'opinion publique. Ces classes d'objets discursifs ne forment pas un système homogène : l'actualité du Temps et du Journal des Débats n'est pas celle de la « presse à un sou ». L'opinion publique est le lieu où se heurtent et s'antagonisent les « idéologies » au sens banal de ce mot : les doctrines politiques, polarisées entre les discours extrêmes de la réaction légitimiste « ultra » et du « socialisme révolutionnaire », mais, au‑delà, toutes les allégeances, tous les systèmes, toutes les « idéologies » de la société civile qui débattent et dogmatisent sur le rôle des Églises, le développement de l'enseignement – public –, la santé – publique –, la « question sociale », le statut juridique ou moral des femmes, le rôle de l'État, l'évolution souhaitée de toutes les institutions de la société. Sur ces objets, il existe d'une part des discours spécialisés, ésotériques ; de l'autre, une thématisation d'ordre « public » qui s'exprime notamment dans la presse et les « grandes revues ». La publicistique est le secteur central du système discursif où se polarisent tous les degrés de distinction, de compétences culturelles et où s'antagonisent les visions du monde concurrentes qui s'offrent au public, y compris les grandes doctrines « totales », libéralisme, idéologie républicaine anticléricale, « nationalisme » (mot que nous voyons apparaître en 1889), antisémitisme, socialismes...
Le terme de « journalisme » est inadéquat pour désigner le secteur que nous circonscrivons. « Journalisme » fait nécessairement penser au journal, quotidien, avec ses faits‑divers, sa chronique judiciaire et ses éditoriaux. Certes, ces « genres » du quotidien font partie de la publicistique, mais il faut noter aussitôt que quelque cinq cents livres en 1889 traitent de questions d'actualité et d'opinion publique et ne relèvent pas de la littérature, de la philosophie ou des sciences. Dans la presse périodique, il y a d'une part des revues littéraires, des journaux scientifiques, des mémoires de sociétés savantes : toutes ces catégories ne sont pas des supports publicistiques. Il y a d'autre part, depuis L'Illustration jusqu'à la Revue des Deux Mondes, les publications qui, avec leur style propre, leur public‑cible et leur statut social, produisent de l'actualité et de l'opinion. Tout ce qui s'imprime dans le journal quotidien, y compris la « publicité » commerciale (voir chapitre 27) relève de la publicistique. Une partie de la presse périodique s'y adjoint. Une partie aussi du commerce du livre. Le secteur publicistique n'est donc pas à définir d'abord comme une simple affaire de support matériel et de périodicité.
Dans une société bourgeoise‑démocratique, les limites sont floues entre la publicistique et le champ politique. Cependant, s'il y a superposition partielle et perméabilité, il n'y a pas identité ni continuum. Il existe des complexes discursifs politiques ésotériques. La « petite actualité », l'actualité mondaine, boulevardière, « parisienne » ne sont pas reconnues comme politiques. Bien plus, en 1889 en tout cas, l'antisémitisme qui ne s'exprime d'ailleurs doctrinairement que par des livres (la Libre parole, quotidien de Drumont, ne sera créée qu'en 1892), n'est pas intégré au champ politique restreint. C'est même la « grande idée » de quelques « boulangistes de gauche » de découvrir quel capital politique le nationalisme pourrait tirer de la sociogonie antijuive. Cependant, l'antisémitisme est largement le fait de « publicistes » sans appareil, – Drumont, Chirac, Kimon, Corneilhan, – qui travaillent l'opinion bourgeoise sans relever d'un domaine politique reconnu.
Nous nous étions posé plus haut la question : s'il existe une entité sociodiscursive qu'il est à propos de dénommer « publicistique » pourquoi ce secteur, au contraire de la littérature, la philosophie etc., n'est‑il pas identifié ? Cette occultation est quelque chose d'axiomatique dans la culture française : elle fait montre d'un aveuglement devant la structure fondamentale des discours sociaux, d'une incapacité de voir « le journalisme » autrement que comme une forme basse de la littérature et d'identifier la production idéologique publique et triviale dans sa position centrale. En tant qu'elle forme un tout où se diffusent la chronique de l'actualité, les « idées » du jour, la popularisation des esthétiques et des théories spécialisées et les « idéologies » qui prétendent offrir une herméneutique de la conjoncture, la publicistique n'est jamais bien identifiée. Édouard Drumont sous‑titre son grand succès de 1888, la Fin d'un monde, « étude sociologique » : le mot de « sociologie », peu fixé institutionnellement, sert à quiconque écrit sur la société2. Emile Bergerat, publiciste humoristique de L'Amour en République, classe aussi sans hésiter son ouvrage comme « sociologie » de la vie conjugale et de l'adultère. Auguste Chirac, autre doctrinaire antisémite fameux, baptise ses élucubrations « économie sociale ». « Laur, le sociologue », dit le Parti ouvrier de Francis Laur, le principal idéologue du boulangisme3. Nul n'aurait appelé Drumont un « journaliste » : il n'avait pas de « journal » d'une part, et de l'autre (voir chapitre 20) le terme même de « journaliste » était notoirement déconsidéré. Sociologue, passe ! Mais surtout et d'ailleurs simultanément, « écrivain », « littérateur », « homme de lettres » ! Ce sont ces désignations prestigieuses qui refoulent le terne et ambigu qualificatif de « publiciste » et le péjoratif « journaliste ». Les publicistes les plus distingués sont, après tout, à l'Académie française. Quiconque discourt sur l'opinion et l'actualité cherche à se désigner par rapport aux institutions de prestige : « sociologue », « philosophe », « homme de lettres », « homme d'État », « historien » peut‑être. La sphère publique et ses discours n'ont cessé de se développer, jusqu'à occuper le premier plan du système discursif, sans que l'identité du phénomène soit pleinement reconnue. C'est surtout l'idée floue de « littérature » qui a servi de manteau de Noé. Le système s'est servi de l'alibi des belles‑lettres pour ne pas identifier ce lieu central de production idéologique. Le journalisme de 1889 prétend innocemment à l’« impartialité » tout en mettant au point l'idéologie sectorielle moderne de 1'« information à outrance ». Quant à la France juive, c'est de la « littérature » ; Drumont est un essayiste (terme lui‑même trop pédant pour les distinctions culturelles de l'époque). Drumont à la fin du siècle songera sérieusement à se présenter à l'Académie française.
Notre catégorie de la publicistique restitue donc comme totalité cohésive ce qui s'élabore dans les « lieux neutres », que P. Bourdieu et L. Boltanski nomment avec une heureuse ambiguïté les « lieux communs » où se produit « l'idéologie dominante » sous les efforts conjugués de 1'« orchestration spontanée et de la concertation méthodique »4. Dans le polysystème sociodiscursif, la publicistique est le carrefour, « abreuvé » par de la politique, de la science, de la littérature, de la philosophie, où tout le doxique passe, se recycle et remigre vers les champs spécialisés. Ce n'est pas un secteur institutionnel délimité, mais un « espace » plus amorphe où il y a du fait‑divers, de l'article de revue, de l'affiche commerciale, de la chanson de caf'conc', de la propagande politique, des ouvrages au goût du jour, des recueils de chroniques et de la vulgarisation philosophique ou scientifique. C'est tout autour de cet espace public, que les différents systèmes génériques spécialisés sont établis.
De cette division du travail, résultent des conflits entre la sphère publique et les divers ésotérismes. La doxa lettrée générale conçoit le mandat des lettres bien différemment de la façon dont les avant‑garde symboliste ou naturaliste défendent leurs rôles et leurs prestiges. « Le crime d'accaparement, regardé comme chimérique aujourd'hui par tous les économistes »5, est cependant conçu comme parfaitement réel et redoutable par l'opinion publique. L'espionnage, objet d'effroi pour le public patriote, est connu par certains diplomates, – non moins patriotes, – comme une chose qui a ses règles et ses traditions non écrites ; le Constitutionnel le dit, dans un article « ésotérique » : l'espionnage militaire est fondé en droit international, reconnu (à quoi serviraient les attachés militaires ?), nécessaire et réciproque6. Entre les secteurs spécialisés et la sphère publique, des intermédiaires sont cependant établis : les vulgarisateurs scientifiques par exemple, mais aussi un grand nombre de chroniqueurs qui font la synthèse des connaissances sur les « questions sociales » ou qui font de la philosophie pour gens du monde. Enfin, les grands critiques littéraires, – Lemaître, Faguet, Sarcey, France, Brunetière, – ne sont pas des « sorbonnards », mais les arbitres du goût distingué, les juges mandatés par le public pour apprécier et éventuellement censurer la nouveauté littéraire et dramatique.
Le développement de la publicistique suit pas à pas l'histoire même du siècle alors écoulé. Le plus ancien quotidien français de parution continue, le Journal des Débats n'indique‑t‑il pas pour année de fondation « 1789 » ? Depuis quinze ans environ, une mutation qualitative et quantitative de la chose imprimée s'est opérée sous la poussée de la publicistique. C'est d'abord la presse périodique qui a subi une croissance accélérée des tirages, du nombre des titres, une saturation géographique des journaux, une concurrence effrénée des formules, des nuances d'opinion, des publics visés.
Le développement de la presse
Rien de plus fluctuant que le nombre total des périodiques publiés en France ; il en naît et il en meurt plus de mille chaque année. Rien de moins fiable pour qui veut être « exhaustif », d'autre part, que les grands annuaires de la presse, à commencer par l'Annuaire de la presse française d'Avenel et, pour Paris, l'Annuaire des journaux de Le Soudier. Leurs critères de sélection et de classement ne sont pas explicités : ils relèvent du sens pratique propre aux milieux de la presse et du commerce de l'imprimé. Très précis pour les titres stables et connus, ils deviennent de plus en plus incomplets et inexacts à mesure qu'on va vers les marges : 1. la Province, (notamment la presse régionale d'érudition et de sociétés savantes), 2. la presse « vulgaire » : feuilles de café‑concert, gaudriole et pornographie par exemple, 3. les « extrêmes » politiques : carlistes, naundorfistes, collectivistes ou anarchistes, 4. les titres éphémères : journaux qui battent de l'aile et meurent en quelques semaines sinon en quelques jours... On peut cependant, par comparaisons et corrections, arriver à un ordre de grandeur précis. Il paraît en 1889 à Paris environ 2000 feuilles périodiques mises dans le commerce (du quotidien au bisannuel). Il paraît au moins 3300 périodiques en Province, en notant ici une sous‑estimation des « feuilles de choux » (feuilles de villégiature, journaux de chefs‑lieux de canton) et des bulletins de « sociétés historiques » et autres, locales et régionales. Il se crée en outre chaque année un millier de publications dont 80 % meurent après quelques numéros (il y a dans cette catégorie notamment d'innombrables tentatives de lancer des quotidiens dont certains ne dépassent pas le deuxième numéro)7.
Le dernier coup de croissance du nombre de périodiques est postérieur à 1880 ; ce nombre ne cessera de croître, plus lentement, jusqu'au tournant du siècle. En 1895, Avenel compte 2 401 « organes » paraissant à Paris dont 192 quotidiens et polyhebdomadaires (et on se souviendra que son Annuaire néglige les feuilles éphémères). Il note cependant à cette date un certain « tassement », notamment une baisse des titres de Province, d'environ 10 % globalement. Le nombre des journaux quotidiens va aller en décroissant jusqu'à la Guerre mondiale. Les innombrables feuilles politiques qui vivotaient des « fonds secrets » et de subventions occultes diverses finiront par disparaître et une certaine restructuration de la presse au profit des grands titres d'information va s'opérer. 57 journaux paraissent seulement à Paris à la veille d'août 1914 : une première étape de la concentration s'est alors opérée et conduit à la petite dizaine de publications quotidiennes dans le Paris d'aujourd'hui.
C'est au cours des années 1875‑1890 que s'est produite en France la grande mutation – quantitative d'abord – du système de la chose imprimée : une véritable explosion de titres périodiques nouveaux, une saturation jusque dans les chefs‑lieux les plus reculés et une spécialisation par « sensibilités » politiques, par intérêts professionnels, culturels et régionaux, par degrés de distinction, véritablement exacerbée.
Le livre d'actualité
Environ 20 % des titres de librairie (mais un plus grand pourcentage du tirage global brut) relèvent de la publication pratique (guides, manuels) et de la publicistique, information générale et débats d'opinion, en symbiose avec le journalisme. Tout propriétaire d'une chronique dans les journaux –mondanités, critique littéraire, polémique politique – recueille ses « meilleures pages » et vient les offrir à un libraire, accélérant par le fait même la crise de surproduction qui va faire crouler le marché du livre à la fin du siècle8. Les ouvrages pratiques sont, eux, une source de stables revenus pour la librairie : indicateurs, annuaires, guides touristiques (en pleine expansion), almanachs, manuels (manuels de photographie, forme de loisir en progrès, manuel du « magicien de salon », guides des travaux du ménage, arts de passer les examens, livres de cuisine, règles du billard, ouvrages qui traitent d'arrangement des fleurs, de moralisation des enfants, de soins d'urgence et se substituent peu à peu aux « savoirs » de tradition orale, féminine notamment). L'Exposition universelle à elle seule a suscité quelques douzaines de guides, almanachs, chroniques et ouvrages illustrés agrémentés de signatures connues, publications d'une vente facile et abondante à en juger par la concurrence de tous les éditeurs établis9. Si on en vient aux ouvrages d'actualité, on trouvera, également poussées par toutes les libraires, de ces compilations de tout repos : les Sports à Paris, Causes criminelles et mondaines, Lettres d'Irlande (le récit de voyage est à la frontière indécise du journalisme et de la littérature), les Courses de taureaux, Paris qui roule (recueil sur les transports parisiens, les cochers de fiacre...), les Vanderbilt et leur fortune, les Femmes de Paris (potins pour les « viveurs »), la Police parisienne, [...] toute une « littérature » documentaire, avec du sensationnel, de l'érudition aimable, de l'anecdote curieuse. On rencontre aussi de la vulgarisation sérieuse ; ainsi le secteur très demandé de la publicistique militaire : effectifs des armées d'Europe, nouveaux armements, histoires régimentaires etc. De proche en proche, on arrive ainsi aux ouvrages, peu nombreux mais de grand retentissement, qui se présentent comme des synthèses de la conjoncture autour d'une idéologie donnée ; ils forment le noyau même des discours de la sphère publique.
Les chapitres qui suivent aborderont la structure d'ensemble, les genres, les styles, l'analyse de la production du secteur publicistique et, d'abord, ils chercheront à décrire l'état de développement du journal et de la revue d'information.
Notes
1 « I. Sammelbegriff für ail öffentl. Wort- u. Bildaussagen dem Gebiet der Berichterstattung, Meinungsbildung u. Unterhaltung : durch Zeitung u. Zeitschrift öffentl. Rede. Démonstration, Hörfunk, Fernsehen u. Film durch aktualitatsbezo-gene Bûcher oder Broschiiren, aber auch durch Plakate u. aile Ausdrucksformen der wirtschaftl., ideellen u. polit. Werbung (Mission, Propaganda, Agitation).
II. Die Publizistik als Wissenschaft untersucht ail publizist. Erscheinungen [...] »(Bertelsmann Universal Lexikon, 1976).
2 « Pour nous autres, sociologues... », Fin d'un monde, p.263.
3 Parti ouvrier, 30.10 : p. 1.
4 « La production de l'idéologie dominante », in Actes de la recherche, 2-3 :1976 : p. 4.
5 H. Fouquier, Revue de famille, p. 96.
6 Feuilleton du Constitutionnel, 3, p. 1.
7 Polybiblion, 56 (1889) : p. 275 donne une « statistique mondiale » produite à l'occasion de l'Exposition, fort aléatoire, très sous-estimée pour la France. Avenel, Annuaire 1889 (pour 1888) donne : périodiques/Paris : 1811 plus Province 3300 plus nouveaux périodiques 660, total 5771. Avenel, Annuaire 1890 (pour 1889), donne, cette fois pour Paris : 1961 titres (+8 %). Corroboré à peu près par Le Soudier, 1889 :1840 titres. (Chez Le Soudier quelques titres édités en province mais ayant un bureau à Paris sont absorbés.)
8 Voir par exemple Charle, 1979, p. 31.
9 Même les académiciens sont sollicités ; voir le banal recueil de E. de Voguë, Remarques sur l'Exposition du Centenaire. (Paris : Plon).