1889. Un état du discours social

Chapitre 33. La propagande boulangiste

Table des matières

« Moi si j'avais voté, j'aurais voté pour Boulanger » (E. de Goncourt, Journal, 27 janvier).

Les histoires du boulangisme sont nombreuses (sans compter les romans du boulangisme, comme l'Appel au soldat de Barrès et le Mystère des foules de Paul Adam). Je ne reprendrai pas l'analyse des événements, me contentant de renvoyer notamment à l'ouvrage classique mais fiable de Dansette, 1938, et de placer en appendice de ce chapitre un rappel chronologique. Le parti boulangiste est censément organisé en un « comité » (c'est le mot préféré de l'époque pour désigner une entité politique), le Comité républicain national, l'union de ces deux épithètes étant la clé de sa propagande. On lit aussi parfois « Parti républicain national » et ce parti coordonne l'activité d'un grand nombre de comités locaux dont les désignations varient d'une circonscription à l'autre : à Marseille, « Comité républicain national révisionniste », à Paris (XIVe arrondissement), « Comité républicain socialiste révisionniste ». « Révisionniste » est clair : il s'agit de se dire partisan de la convocation d'une constituante et de la révision de la constitution bâtarde de 1875. Quant à « socialiste », oui : le boulangisme, qui se déclare pour le Peuple contre les Gros, contre la Haute banque et ses complices « parlementaires », use volontiers de cet adjectif – à Paris et dans les grandes villes ; le boulangisme de province a une allure beaucoup moins « rouge », cela va de soi.

Le boulangisme n'est guère un parti au sens moderne, ni même une concentration de groupes sur une doctrine et des « principes » comme le sont les républicains « parlementaristes » ; c'est une coalition lâche de forces hétérogènes et de personnalités diverses autour d'une sorte de programme, d'une énorme propagande et de l'image d'un chef qui promet une « République honnête ». Il faut distinguer la synergie boulangiste « au sommet », action commune de personnalités du Parlement et de la presse pour promouvoir le « Brav' général », de l'action locale, – à Paris d'une part où la propagande boulangiste atteint sa forme typée, et en province : à quelques villes près (Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Angoulème...), le boulangisme de province apparaît comme un réalignement des forces réactionnaires et rien d'autre. Le boulangisme provincial recueille les voix réactionnaires à quoi s'adjoignent des « mécontents », les voix des gens touchés par la crise économique et indignés par l'« inertie » des notables républicain1. L'étiquette de « boulangiste », de « révisionniste », est de celles qui accommodent tout réactionnaire provincial qui veut ratisser large. À Paris et dans les quelques villes mentionnées ci‑dessus, le boulangisme est cependant autre chose ; il offre un langage nouveau, bien différent de celui des conservateurs. Les boulangistes au Parlement siègent à l'extrême‑gauche. Pour en analyser la propagande et la doctrine politique, il faut distinguer les alliances qui forment la coalition boulangiste et le discours propre qui émane de sa presse et de ses porte‑parole. Il y a donc d'une part une adhésion hétéroclite à la personne de Boulanger qui promet d'abattre la République parlementaire (après quoi chacun se flatte qu'il tirera les marrons du feu), d'autre part une sorte de groupe d'où émane une idéologie spécifique.

Les gens de droite ont longtemps hésité à soutenir le général Boulanger, créé ministre de la guerre en 1886 par Clemenceau et soutenu par les radicaux. Puis ses succès massifs et l'affollement des républicains en place ont convaincu. Boulanger est « un homme qui s'est fait dans le pays l'interprète et le vengeur de tout ce qui crie contre vous [les républicains] »2. La droite se rallie à cet homme‑là, lui apporte sa presse et ses subventions. Les catholiques n'aiment pas trop Boulanger, il n'est pas des leurs, mais ils se laissent tenter. Le général promet « un pouvoir à poigne, qualité très prisée de la masse du peuple français. Tout lui réussit, « ne serait‑ce pas la preuve qu'il est dans la main de Dieu et choisi par lui ? »3. Beaucoup de monarchistes, approuvés par le Comte de Paris, poussent à la roue du boulangisme, à commencer par Arthur Meyer, directeur du plus influent quotidien aristocratique, Le Gaulois. Les royalistes voient dans l'élection du 27 janvier « la défaite de la République » : comment ne pas y applaudir ?4. Le boulangisme, comme le définit pompeusement A. Meyer, est une « aspiration vague et mystique d'une nation vers un idéal démocratique, autoritaire, émancipateur ». Il « rallie à la recherche de l'inconnu tous les mécontents, tous les déshérités, tous les vaincus »5. Il y a place pour les monarchistes dans cet inconnu‑là. Et ceux‑ci ouvrent leurs caisses. Le boulangisme qui, dans la seule année 1889, dépense plusieurs millions en propagande, a d'ailleurs besoin de subventions abondantes6. Mermeix‑Terrail, transfuge du boulangisme, révélera en 1890 (voir Mermeix, 1890) les transactions qui ont alimenté la caisse « noire » tenue par le Comte Dillon. La Duchesse d'Uzès est entrée dans la combinaison avec 300 000 francs en juillet 1888. Elle a mis encore un demi‑million au moins dans l'aventure en 1889. Le Comte de Paris, le Prince Victor Napoléon ont obtenu le soutien financier de leurs partisans. Cependant, cette alliance à droite n'était pas sans arrière‑pensées. Il fallait que Boulanger livre la marchandise. Après le demi‑échec des législatives d'octobre, les monarchistes le lâchent avec éclat7 et le bonapartiste Paul de Cassagnac fait de même. Les bonapartistes ont marché dans la combine tant qu'elle semblait prometteuse. Boulanger se réclamait de la « Volonté nationale » : « c'est la moitié de l'Empire cela ! »8. Conclusion : « Boulanger d'abord, Napoléon après »9. L'Autorité de Cassagnac, le Petit Caporal du commandant Blanc (« Tout pour le peuple et par le peuple ») soutiennent le général, non sans laisser paraître parfois du mépris pour ses erreurs et ses « pusillanimités ». Certains exbonapartistes, au Pays et à la Souveraineté (de Lenglé) se sont d'ailleurs ralliés à l'idée d'une « république autoritaire » et ont abandonné leurs anciennes fidélités à l'Empire.

Cependant, le boulangisme au sens strict, ce ne sont pas ces alliances, compromettantes mais nécessaires, bien exploitées par ses adversaires républicains. Le Parti national est formé d'une coalition de personnalités qui viennent presque toutes de l'aile gauche radicale en allant vers des blanquistes et des socialistes isolés. On y trouve les activistes de la Ligue des Patriotes dirigée par Déroulède, Naquet et Laguerre ; fondée en 1882 dans un esprit chauvin de gauche républicaine, elle est devenue peu à peu un instrument contre le régime. Les ligueurs sont mobilisés en faveur de l'agitation boulangiste et le pouvoir sévit en dissolvant la Ligue, « association non autorisée » (il aurait pu s'en rendre compte depuis longtemps), et en poursuivant ses directeurs à la suite des imprudentes protestations qu'elle a émises lors de « l'incident Atchinoff ». Le boulangisme est né à gauche, dans le parti radical ; jusqu'en 1888, La Lanterne a soutenu Boulanger. Elle s'est ressaisie et est aujourd'hui activement hostile. Cependant, les idéologues du boulangisme proviennent tous de ce qu'on nomme alors « l'extrême‑gauche », à commencer par Alfred Naquet, sénateur, ancien ministre, promoteur de la loi rétablissant le divorce (1884), publiciste abondant et confus, « bras droit » du général. (Naquet est israélite : cela permettra plus tard à Édouard Drumont d'« expliquer » par cette influence fâcheuse l'échec du boulangisme). L'appui exalté d'Henri Rochefort, avec son populaire journal l'Intransigeant, est aussi, censément, un appui de l'extrême gauche, puisque telle est la position qu'assigne l'opinion à l'homme de La Lanterne de 1869, le Marquis de Rochefort‑Luçay. Georges Laguerre, « l'avocat des socialistes », dirige le journal La Presse, quartier général des boulangistes. René Le Hérissé anime La Cocarde, il se définit comme « républicain d'origine [...], mais aussi socialiste pratique [et] patriote ardent10. Andrieux, ancien préfet de police, propriétaire de la Petite République française et d'autres journaux, est aussi de « gauche » ; habile, il veut bien se rapprocher du Parti national, mais non s'inféoder et se voit in petto comme le challenger possible du général : « l'état d'esprit qu'on appelle boulangisme peut se passer du général Boulanger11.

Le boulangisme fait une percée dans le monde intellectuel avec le ralliement de Maurice Barrès (et de son alter ego, Paul Adam) qui va fonder à Nancy le Courrier de l'Est et se faire élire triomphalement dans Nancy III, après avoir mené à Paris la « violente campagne qu'on sait pour rallier la jeunesse lettrée au Général Boulanger »12. D'autres adhérents du Parti boulangiste sont encore plus résolument marqués à l'extrême gauche et ce sont eux, avec Naquet, Laguerre et Rochefort, qui en sont les idéologues les plus actifs et les plus « originaux ». Ce sont Charles Laisant (qui passera plus tard à l'anarchisme), Francis Laur, auteur de La Mine au mineur, spécialiste des questions ouvrières et parlementaire très actif contre la « Haute banque », Georges Thibaud (qui lâchera Boulanger après sa fuite du premier avril, se ralliant à la Jeune République de G. de Labruyère, où se concocte un « socialisme révisionniste » sans Boulanger).

De proche en proche, on aboutit aux « révolutionnaires ». Michel Morphy, anarchiste et auteur de romans‑feuilletons a mis sa plume au service de Boulanger13. Les blanquistes Ernest Roche, Granger, Planteau sont passés à un boulangeo‑blanquisme provoquant la scission du « Comité révolutionnaire central »14. Des communards patriotes rallient le drapeau de l'ancien colonel versaillais ! Il n'est dans ce secteur de la « gauche nationale » que le groupe des antisémites exclusifs, – Drumont, le Marquis de Morès – pour marquer leurs distances : trop de Juifs autour de Boulanger !15

Les moyens de propagande

Le boulangisme, création ex nihilo qui n'existe que depuis quelques années, a mis en place à l'échelle nationale une énorme presse et une édition de propagande. Il peut compter à Paris, outre les journaux de droite, sur l'Intransigeant, la Cocarde, la Presse et une quinzaine d'autres quotidiens ; sur un journal à sa solde au moins dans toutes les grandes et moyennes villes de France16. Le boulangisme est vigoureusement soutenu par une demi‑douzaine d'hebdomadaires satiriques très violents et, comme Le Pilori, fort colorés d'antisémitisme. La propagande se diffuse encore à travers quelques douzaines de périodiques éphémères, souvent distribués gratuitement aux passants17. Et puis il y a les brochures par centaines, les pamphlets, les feuilles volantes, les images d'Épinal. Il y a les biographies épiques et adulatrices comme celle de Charles Chincholle, le Général Boulanger (Paris : Savine), les almanachs boulangistes pour la France rurale, une Histoire du Général Boulanger in‑quarto en 258 fascicules18. On n'a pas encore fait le relevé exhaustif de cette inépuisable production imprimée.

Il y a enfin l'affiche, pendant les campagnes électorales et en tous temps. Le boulangisme semble avoir découvert l'efficace « américaine » du matraquage par affiches19. La campagne de janvier à Paris fait coller plusieurs millions d'affiches vantant le Brave Général. Cent colleurs d'affiche ont travaillé jours et nuits, tandis qu'une centaine de camelots ont distribué avant le 27 janvier un million de prospectus et cinquante mille journaux illustrés.

Le Comte Dillon avait rameuté tous les chansonniers prêts à lui vendre des paroles à la gloire du général. Quelques centaines de chansons ont été ainsi produites et diffusées. Dans Paris, une nuée de chanteurs ambulants dégoisent une complainte, « Pauvre Jacques » (Jacques est l'adversaire de Boulanger à l'élection partielle) et « J'adore un joli mitron ». Raoul Ponchon, poète bohème et désargenté, donne une chanson par semaine contre « Ferry le sinistre requin » et contre le personnel républicain, à La Presse de Laguerre. Antonin Louis publie une chanson dans chaque numéro de La Diane et compose une « Marche boulangiste ». Louis (qui est appointé par la caisse boulangiste comme chansonnier officiel du parti) a aussi composé « les Pioupous d'Auvergne » et offert cette chanson à Bourgès qui en a fait un grand succès du caf'conc' : « Car faudra manger/On n'se pass'ra pas d'Boulanger... ». Au nom du patriotisme, le café‑concert fait sa propre politique, politique détestable aux yeux du gouvernement ; la censure interdit depuis 1887 toute allusion au « Brav' général », mais le café‑concert joue au plus fin.

D'autres moyens de propagande encore ? La lithographie avec Boulanger en grand uniforme sur son cheval noir ; le buste de plâtre, la tête de pipe ; le « Jeu de l'oie du général » ; les jeux de cartes avec Boulanger comme roi de cœur et pour « dames », l'Alsace et la Lorraine...

L'idéologie boulangiste

On a dit que Boulanger avait du panache et peu d'idées. Ses idéologues en ont eu pour lui. La propagande boulangiste est, formellement, républicaine. Ses affiches le crient : « Vive la République ! » Tout le symbolisme démocratique est mobilisé pour le général, partant à l'assaut de la « Bastille du parlementarisme », un siècle après 1789. Le boulangisme est au service de la « volonté souveraine » du peuple. Il veut une « vraie république », une « république honnête » et pas cette chose corrompue par le « parlementarisme ». Sur les affiches, Marianne s'appuie sur Boulanger avec soleil levant et drapeaux tricolores : « la Force et le Droit ». Les boulangistes chantent une « Marseillaise des Patriotes » :

Contre nous de la tyrannie,
L'étendard ferryste est levé20.

Les « parlementaires » s'efforcent de lire entre les lignes ; ils déclarent que Boulanger veut détruire cette République qu'il prétend défendre. Ses partisans protestent avec hauteur :

Ce n'est pas nous qui sommes les transfuges de la République que nous avons fondée et que nous voulons assainir21.

C'est vrai : le boulangisme n'a pas de programme, ou son programme est confus ; il tient en un slogan que l'on interprète comme on veut : « Dissolution‑Révision‑Constituante ». Une révision de la constitution « monarchique » de 1875, tout le monde la réclame à gauche, des radicaux aux possibilistes. D'ordinaire cela veut dire : suppression de la présidence et suppression du Sénat, une seule chambre ! Chez les boulangistes, quand ils acceptent de préciser, cela sous‑entend autre chose : suppression du Sénat certes, mais exécutif « fort » et référendum populaire.

Citoyens, [...]
Révision, Constituante, Référendum, tel est le programme des revendications et des espérances du pays. Ce programme que je jure de maintenir exclusivement, est celui du général Boulanger22.

Le référendum, c'est donc la grande idée. On ne précise jamais dans quelles conditions et sur quoi. Mais cela plaît aux bonapartistes, qui entendent « appel au Peuple », et certains radicaux qui y voient le moyen de régénérer le suffrage universel confisqué par les parlementaires.

Pour le reste, il n'y a pas grand‑chose au fond du programme : un « gouvernement stable », un exécutif renforcé après la révision constitutionnelle soumise à référendum, le modèle souvent évoqué du système politique des États‑Unis, une « large décentralisation administrative » et des « mesures sociales », comme tout le monde en promet. Faisant flèche de tout bois, on flatte les cléricaux en déplorant trop de laïcisations. Plus de sectarisme, la réconciliation nationale ! Un programme aussi vague, dans son hostilité au système, ne peut mécontenter aucun des mécontents.

Si le boulangisme n'a qu'un embryon de programme, il a mieux : une rhétorique, des slogans et une vision claire et simpliste de la conjoncture, un projet d'avenir formé d'images parlantes et d'« idées‑forces ». Une rhétorique incandescente, où le ton véhément d'Henri Rochefort a servi de modèle et qui signe et identifie le discours boulangiste :

Ce gouvernement de voleurs, depuis qu'il est passé aux mains de Constans, est devenu un gouvernement d'ASSASSINS et d'INCENDIAIRES.
Décidément, leur agonie est immonde ! Ces gens‑là meurent salement. Au spectacle de ce cancer [etc.]23.

Ce qui se met au point ici, c'est le style d'action du fascisme : pas de déclarations ampoulées, pas d'argumentation tempérées ; des insultes, des menaces, des appels à l'énergie, le martèlement de slogans, l'impudeur de la haine et du mépris de l'adversaire. Le boulangisme, c'est notamment des cris (qui vous envoient au poste de police aussitôt) : « Vive Boulanger ! » et « À bas les voleurs ! » (c'est des parlementaires qu'il est question). Ces cris ont été poussés des milliers de fois par les foules, avec le schibboleth toujours scandé : « Dissolution, Révision, Constituante ! ». C'est une ritournelle qu'on braille :

C'est Boulange, lange, lange,
C'est Boulange qu'il nous faut !
Oh ! oh ! oh ! oh !

C'est « Vive la République ! » parfois ; toujours « Vive la France » et de plus en plus souvent, quand la foule s'enhardit : « À bas les Juifs ! »24. Ce sont encore deux symboles : le balai (pour balayer le parlementarisme) et l'œillet rouge :

Nous autres aujourd'hui nous avons une fleur qui pour nous est sacrée : il faut s'en montrer digne25.

Le parlementarisme

L'ennemi du peuple français, le système que combat Boulanger, c'est le « parlementarisme odieux », le « parlementarisme aux abois », « la république parlementaire » qui n'est pas la vraie République. Dans les feuilles populaires, on dit volontiers : « le parlementarisme bourgeois ». « Écrasons le parlementarisme ! », s'écrient les uns. « Le Parlementarisme, voilà l'ennemi ! », clament les autres (retournant la formule célèbre de Gambetta contre les cléricaux). La haine de la démocratie parlementaire devient à partir de 1889 le point de ralliement de tous les partis et factions écartés des bénéfices du pouvoir et désireux d'explorer une alliance « ni droite ni gauche ». Depuis 1880, il s'est développé un antiparlementarisme et un antilibéralisme dans les rangs radicaux : c'est de lui que Naquet et Laisant tirent le cheval de bataille boulangiste. Qu'est‑ce que le parlementarisme ? Ce ne sont pas tous les gens qui siègent au Parlement parmi lesquels bon nombre de boulangistes et d'alliés ! Ce sont d'abord les « opportunistes » – ainsi désigne‑t‑on le centre‑gauche, issu de Gambetta, longtemps dominé par Jules Ferry, les républicains de gouvernement. C'est la « pieuvre opportuniste », « la république opportuniste », « la bande ferryste qu'on attaque, tout en ménageant les radicaux qu'on plaint d'être alliés à cette « tourbe », à cette « canaille ».

Le système parlementaire, tous le prédisent, est « à l'agonie », l'aube va se lever d'une vraie république ; en attendant « le spectacle des convulsions et des scandales confirme que la fin est proche. Ce qu'on reproche au « parlementarisme » forme une séquence de prédicats, passablement contradictoires, mais qui ont une belle force de persuasion et de l'avenir. 1° Le Parlement, c'est la « parlote », l'irresponsabilité et l'impuissance. Les Députés « promettent », mentent et ne tiennent jamais. Le langage parlementaire est le vide et l'imposture. 2° Ce système irresponsable et inefficace est aussi néfaste et criminel. Il l'est d'abord parce que les parlementaires seuls en profitent : ce sont des « ambitieux » et des « repus » qui se gavent autour de l'« assiette de beurre » ; ils coûtent chaque année 1 200 000 francs pour ne rien faire ; ce sont des « budgétivores, des « budgétivauriens », des « vampires » :

Tous ces vampires qui ont sucé depuis vingt ans le meilleur de son or [à la France], de son patriotisme, de sa foi, de sa gloire, de sa grandeur26.

3° Impuissants et repus, les députés ne sont pas moins les « pires des despotes ». Ce régime où « aucune responsabilité n'existe » est une « oligarchie, une aristocratie de hasard » pire que les aristocraties de naissance27. Le parlementarisme est bavard, lâche, incohérent ; il est aussi sectaire, corrompu et despotique. 4° Corrompu en effet. C'est le noyau de l'acte d'accusation. Les parlementaires sont des « tripoteurs », ils forment « la république des tripoteurs » ; ils « trafiquent », ils « tripatouillent ». Andrieux a lâché l'accusation à la Chambre et c'est devenu le slogan du Parti national : « À bas les voleurs ! ». Ainsi se trouvait stigmatisé « ce régime parlementaire que la voix populaire a baptisé : 'la République des voleurs’ »28. G. Laguerre développe cette accusation en une menace du haut de la tribune :

Prenez garde ! – s'il existe encore une justice en ce pays – aux fournées de députés avant trafiqué de leur mandat pour la correctionnelle et pour Mazas29.

Tous les délits et les crimes sont représentés au Parlement, à en croire la propagande boulangiste : Ferry est un repris de justice ; Thévenet, un voleur ; Constans un escroc et un assassin (voir chapitre 30). Une image synthétise tout ceci : le Parlement est pourri ; « la pourriture parlementaire est une formule qui a été lancée par Rochefort. Étudier le parlementarisme du « Palais Bourbeux », c'est « remuer de la boue ». 5° Au bout du compte, la Patrie et son salut sont invoqués. Impuissant, parasite, sectaire, corrompu, voleur, le parlementarisme « affaiblit la France », il conduit le pays tout droit « à la ruine ». Il exploite la nation, il discrédite la République, il « déshonore la France ». Son rôle est thématisé en une déperdition : vide de paroles, impuissance à gouverner, corruption (pourriture), gaspillage, et finalement, « gâchis », « anarchie » et « faillite » :

Le Parlementarisme conduit la France à sa ruine morale et matérielle30.

On aboutit toujours, dans la logique de la déterritorialisation, au même sème : la mort imminente. Le parlementarisme est « le mal dont la France est en train de mourir »31. Le tout est de voir si le système parlementaire « à l'agonie » crèvera avant d'avoir tué la Patrie en l'épuisant :

Pour sortir du gâchis, la révision par la Constituante s'impose immédiatement. Les parlementaires la promettront, mais seul le général Boulanger la tiendra32.

Les diatribes se terminent par une sermocination à l'égard des députés tripoteurs où le « rôle providentiel » de Boulanger est mis en valeur :

Aujourd'hui la France entière se soulève contre vous pour acclamer un vaillant soldat que vous avez chassé des rangs de notre armée dont il était l'honneur et l'espoir.

Les scandales

Au‑delà du parlementarisme qui est un scandale en soi, il y a une entité dont nous analysons la logique ailleurs (voir chapitre 18) : les scandales, que le régime favorise et dissimule. Le boulangisme tire un immense parti de ce sentiment général de tripotages occultes, partiellement découverts, de ruine du pays ourdie par des « triporteurs » alliés à la « Haute banque », de « krach » menaçant, qui est si bien orchestré dans la doxa. Partout des Macaire, des intrigants, des pot‑de‑viniers. La France politique est devenue les Écuries d'Augias et il faudra un immense balai pour balayer cette pourriture. Les « truands, malandrins et coupe‑jarret » du Parlement sont au service de la Haute banque, ils en sont les « souteneurs ». Il existe un complot politico‑financier qui pousse à la ruine nationale et les boulangistes vont intrépidement nommer ceux qui manipulent tout derrière le rideau :

[Francis Laur, à la chambre :]
Cette association internationale que je désignerai d'un mot en disant que MM. de Rothschild en sont les chefs. (Applaudissements sur quelques bancs à l'extrême‑gauche et droite. – Protestations au centre et à gauche.)
M. le Président. Je prie l'orateur de s'abstenir autant que possible de prononcer des noms de personnes qui ne sont pas ici pour se défendre.
(Très bien ! Très bien !)33.

Ainsi le pot‑aux‑roses est découvert :

Le personnel corrompu de la République parlementaire est lié à la haute banque par une ancienne complicité. La haute banque, les Rothschild avaient défendu de sauver Panama. Il est mort.
Ils ont ordonné de sauver le Comptoir d'escompte et les métaux, parce que le Comptoir et les métaux sont à eux. – Le gouvernement les sauve.
Les financiers gouvernent, c'est leur oligarchie que les parlementaires veulent maintenir et que le Parti national veut détruire.

La Haute banque forme le syndicat des « accapareurs », analogue, en pire, à celui qu'on dénonçait en 1789. Un « syndicat de financiers cosmopolites » s'est donné pour tâche de ruiner la France et les députés républicains le protègent et y prêtent la main. « À bas les Accapareurs ! » Tout s'explique. L'ennemi du général patriote est d'ailleurs « toujours un rastaquouère » :

Kryzanowsky, Spuller, Thomson [« jeune sang‑mêlé »], Strauss, Cernuschi, Reinach, Meyer, Dreyfus...34.

Derrière le parlementarisme, il y a le Juif, la « bande juive ». « Les Juifs et les Tonkinois ont ouvert le CHEMIN DE LA GUERRE CIVILE »35. Parmi les « hommes néfastes », on ne trouve que « Juifs de naissance » et « judaïsant »36. En attaquant le système, le « Général Boulanger mérita la haine du juif [...] qui [...] résolut sa perte, sa perte irréparable »37. On a vu « tous les journaux l'attaquer avec une violence inouïe, une véritable rage juive »38. Le général lutte contre les Juifs par « instinct de race » : « c'est un Celte ». Le parti opportuniste est « le parti des Juifs issus de Pologne, de Coblentz ou de Francfort »39. La République en place n'est au fond ni parlementaire ni « ferryste », elle n'est que « la République d'Israël. « Nous vivons dans la République d'Israël [...], les Juifs et les hommes d'argent qui en dépendent détiennent le pouvoir »40 (voir chapitre 18).

Une République honnête

Heureusement face aux opportunistes et aux Juifs, il y a encore les « honnêtes gens » : tout le peuple français qui, uni à Boulanger, s'apprête à donner un « coup de balai » gigantesque. L'espoir renaît, l'aube va paraître. « Une ère nouvelle se lève sur l'horizon éclairci, lumineux »41. Il va y avoir un « réveil national », un « sursaut national ».

Le parti des honnêtes gens, les ennemis du parlementarisme, du vol et du bavardage sont assurés du succès42.

Ce qui va naître, c'est la « république régénérée », la « république honnête », cent ans après 1789. Elle sera « ouverte à tous », alors que la République actuelle n'en est pas une, mais « la coterie des gens les plus tarés et les plus autocrates »43. Le boulangisme appelle « sous le drapeau de la République affranchie, dans la famille française réconciliée et pacifiée tous les enfants de la Patrie »44. C'est cela une république « ouverte » qui ne se fermera qu'aux mauvais patriotes, aux sectaires, aux corrompus. Boulanger a promis dans sa profession de foi de janvier « une République composée d'autre chose que d'une réunion d'ambition et de cupidité ».

Une République nationale

Ouverte à tous, arrachée à un parlement qui l'exploite et vend le pays à la banque cosmopolite, dirigée par des patriotes (et le général est le type même du patriote), la vraie république sera « nationale » ou ne sera pas. Boulanger ne cesse de rappeler qu'il fait son « devoir de soldat, de Français, de patriote » et qu'il l'accomplira « jusqu'à son dernier souffle ». Les boulangistes sont avant tout des patriotes ; la République honnête doit réconcilier tous ces patriotes (« ajourner » les laïcisations, promet‑on aux cléricaux) et refaire « l'unité nationale » contre les divisions, les coteries, les sectes. Le parti de Boulanger, ce n'est pas un parti comme ceci ou comme cela, il est « simplement national ». Sa république étant à tous ne sera à personne. Elle aussi sera « simplement nationale », ce qui veut dire « ouverte à toutes les honnêtetés, fermée à tous les appétits »45. « Nationale », nous assure‑t‑on, revient à dire « sans épithète ».

C'est vers 1889 que « national » se substitue à « patriote » (alors que la « Ligue des Patriotes » vient se fondre dans le « Parti national ») et se met à connoter une coalition contre le système parlementaire au nom de l'unanimité patriotique. C'est aussi l'année où semble se créer le néologisme « nationaliste », chez un allié (l'éditorialiste du Petit Caporal) qui veut bien du programme national de Boulanger, mais pas de la personne de celui‑ci ; alors boulang‑iste ? non : national‑iste46 (voir chapitre 10). Le boulangisme s'auto‑définit non comme un parti (les partis « divisent »), mais comme un « mouvement » venu des profondeurs, qui correspond au « réveil du sentiment national », couplé à « l'indignation populaire » contre « une politique d'abdication et de tripotages qui », etc. Le boulangisme exprime la « volonté nationale » (l'expression est ici orthodoxement jacobine) contre l'« oligarchie » de la banque et des corrompus. Il se nomme « Parti républicain national » et parfois tout court « Parti national »47. Le régime politique qu'il promet est la « République nationale », adjectif qui peut se combiner en « République ouverte et nationale » ou en « République nationale et honnête »48. L'expression « République nationale » calque une formule américaine ; rien de plus normal puisqu'on veut un régime présidentiel, tolérant sur le plan religieux, référendaire, calqué sur les États‑Unis49.

Cependant « national » ne semble pas se suffire ; il faut l'étayer d'indices qu'on a de l'intérêt pour le peuple et pour les « petits ». P. de Susini promet par exemple d'aider à « fonder la République nationale, démocratique et sociale »50.

Le socialisme des boulangistes

C'est un enjeu essentiel dans la symbolique politique : le boulangisme doit se déclarer « de gauche ». Très concrètement, le groupe boulangiste à la Chambre siège à gauche : « nous siégeons à gauche et nous y resterons », clame Francis Laur51. Les républicains qui ne se connaissent d'ennemis qu'à droite veulent à tout prix mettre les « nationaux » à cette place. Rochefort proteste :

Tout l'esprit des imbéciles de la presse à Constans consiste en ceci : inscrire les boulangistes dans la colonne des réactionnaires52.

Que les boulangistes soient à gauche est évident... dans leur phraséologie. Boulanger a pour devise qui « résume son programme » (de fait !) : « Tout pour le peuple, par le peuple »53. Ce « Peuple » rhétorique, c'est parfois l'opinion publique, parfois le suffrage universel (« Le Peuple a la parole »), parfois l'intérêt général (contre la « coterie » parlementaire), mais c'est aussi Populo, personnage allégorique qui appuie Boulanger dans l'iconographie de propagande, ce sont les « masses laborieuses » sur lesquelles compte le général54, c'est la masse de la nation spoliée par les gros, les « ploutocrates » et les « politiciens ».

Le Peuple a entrepris de guérir la France malade, sa volonté est bien arrêtée, il ne faillira pas, il ne tergiversera pas55.

Le « Peuple » n'est pas une globalité civique, c'est une majorité bonne et opprimée, opposée à une minorité malfaisante : « parti né du peuple, nous ne voulons plus recruter que dans le peuple »56.

C'est ici que va se glisser près de « national », l'adjectif, plus risqué et qui effarouche le petit électeur en province, de « socialiste ». Les boulangistes dénoncent « l'esclavage capitaliste », « l'accaparements de Rothschild et consorts » contre lesquels le général prend « en mains la cause des petits »57. N'est‑ce pas du socialisme ? Pour Barrés, les boulangistes sont des « socialistes révisionnistes », c'est un mot qui porte : socialisme, c'est le mot où la France a mis son espoir58. Cet « emprunt » a le don d'indigner les journaux révolutionnaires :

Michelin, Susini et autres boulangistes qui ont le toupet de mettre à la suite de leur nom abhorré l'épithète sonnante de socialiste59.

Il est bien exact que la fraction de gauche boulangiste, venue du radicalisme, se réfère avec constance à son appartenance « socialiste » quoique « nationale » ; le composé « socialisme national » n'est pas loin de se former ici :

[Mermeix, candidat à Montmartre :]
« Je me contenterai d'opposer au programe possibiliste le programme socialiste du Parti national »60. [Le même Mermeix publie une série « Politique et socialisme populaires » dans la Cocarde, à partir du 5 juillet, avec de grands coups de chapeau à Marx et à Guesde...]

L'Intransigeant de Rochefort publie des chroniques régulières sur le mouvement ouvrier ; il passe pour socialiste dans les faubourgs parisiens. Le marquis de Rochefort‑Luçay laisse son journal prôner « la candidature socialiste de Rochefort » à Belle‑ville61. Francis Laur, porte‑parole des revendications ouvrières à la Chambre et Alfred Naquet sont les prolifiques idéologues « socialistes » du camp boulangiste. Si le discours du boulangisme roule souvent sur d'autres thèmes que ceux de la presse socialiste, son antiparlementarisme, son appel au « coup de balai », son cri d'« À bas les voleurs », sa démagogie en faveur des « petits » contre la Banque en cheville avec le parlementarisme opportuniste, sa « France aux Français » colorée d'antisémitisme exercent une séduction bien vive sur certains blanquistes et sur certains anciens communards. Boulé, candidat ouvrier, qu'une manœuvre des boulangistes alliés en sous‑main aux guesdistes avait promu l'adversaire de Jacques aux élections partielles du 27 janvier se retrouve candidat boulangiste dans la Haute‑Marne en septembre (et... blackboulé). Le « Comité révolutionnaire central » blanquiste éclate à la même époque sur la question du soutien des révolutionnaires à Rochefort, candidat à Belleville. Granger, favorable à ce soutien, crée alors un parti blanquiste‑boulangiste, la « Ligue intransigeante socialiste ». La presse boulangiste arbore largement le qualificatif de « socialiste », par exemple :

Le Patriote de Pantin, Journal républicain, organe socialiste et révisionniste, qui définit son socialisme comme ayant pour but de « rendre à chacun la part légitime du bien être qui lui est dû en compensation de la somme des forces qu'il dépense au service de la société ».

Laguerre, en rupture avec l'exilé de Jersey, fondera également en 1890 un « Parti républicain socialiste révisionniste ».

Il faut l'admettre, le boulangisme n'est pas homogène, sa phraséologie tire à hue et à dia. Certains préfèrent se dire « patriotes » et « nationaux », d'autres « socialistes » (avec l'emprunt du matériau phraséologique ad hoc, prônant « la régénération sociale contre la corruption oligarchique »)62. Vergoin battu aux législatives, fait une colère et trouve soudain le ton et le paradigme idéal du socialisme national :

À NOS VAINQUEURS !
Vous êtes la réaction bourgeoise, capitaliste, juive, parlementaire. Déjà derrière vous les pas cadencés de la revanche socialiste résonnent. Écoutez !63

Le Brave Général

Nous avons cherché jusqu'ici à circonscrire une idéologie en laissant dans l'ombre son objet central, le moins sujet à controverse, le plus parlant et plus mythique qui est la personne de Boulanger même, le culte du sauveur, du héros providentiel. Le boulangisme et son culte du chef préfigurent l'esthétisation du politique par quoi Walter Benjamin caractérisera le fascisme. Ce culte passe largement par l'image, de la lithographie au buste en plâtre. La « sale bobine » de Barbenzingue (comme disaient les anarchistes) se voit partout, son omniprésence en images finit par avoir un effet persuasif, de même que ses faits et gestes font couler un flot d'encre. Il y a des Boulanger équestres et des Boulanger à pied, l'épée dégainée, défendant la France.

Voici le général en lutteur de l'arène athlétique des Folies‑Bergères, défiant les tombeurs les plus illustres, dont il est prêt à faire des tombés, et comme légende explicative les mots : Un contre tous. Il y a Ferry, Floquet, Ferrouillat et jusqu'au président Carnot dans ces tous‑64.

Boulanger a reçu une mission : « défendre le Peuple et la Patrie ». Il est le « serviteur des volontés nationales et, par une curieuse dialectique, dès lors « le Chef du Parti national ». Il réclame de ce peuple, qu'il sert, « une confiance absolue » et la France « place sa confiance en lui ». Elle voit en lui « l'espoir suprême de la Nation », « celui qui doit être appelé à balayer la tourbe » parlementaire65.

Le Général Boulanger est la dernière carte, l'espoir suprême de la République trahie, menacée par les hommes de parti66.

Tout converge vers un énoncé‑clé : Boulanger est « l'homme providentiel ». Sa « destinée » est de sauver la France. Les parlementaires aux abois ont « brisé l'épée » du général patriote, mais il demeure l'ultime espérance, le « Général Revanche » pour les uns et le « Général Nettoyage » pour les autres. Il poursuivra jusqu'au bout son « œuvre de salubrité publique » et sa « grande pensée d'union nationale »67. Le peuple l'aime, les intrigants lui font la guerre. Il est l'avenir alors que les conservateurs sont le passé : « le Peuple ne veut plus de rois, mais des Chefs »68. La fuite du Général à Bruxelles le premier avril, – fuite niée pendant plusieurs jours par la presse boulangiste consternée –, a beaucoup terni l'image de ce Chef ; le charisme du Führerprinzip y a perdu de son mordant. L'échec du boulangisme (suivi, il est vrai, de cinquante années de tentatives nationalistes et fascistes) peut s'expliquer par la force intacte, la profondeur mémorielle en France de l'idée de légitimité républicaine. Le boulangisme recule aux législatives de septembre‑octobre. Il ne se maintient relativement bien qu'à Paris. Il y a eu un « réflexe » républicain démocratique. La classe au pouvoir s'en est félicitée non sans quelque surprise soulagée. On peut s'en surprendre en effet. Dans ce que nous nommons le discours social hégémonique, la propagande boulangiste, avec ses promesses de réaction, de restabilisation sur des fétiches – le Chef, la Nation – avec son diagnostic « crépusculaire » de gabegie et de corruption, avec ses thèmes de la Conspiration occulte était dans la doxa dominante comme un poisson dans l'eau. C'est bien ce qu'ont pensé et dit les observateurs : le triomphe du boulangisme, tôt ou tard, leur apparaissait comme une nécessité de la conjoncture :

Le général Boulanger – c'est le gouvernement de demain ou d'après demain, la date n'y fait rien69.

Le boulangisme n'était pas un parti, expliquait‑on, mais un « état d'esprit » universel... Et pourtant non ! la République parlementaire a tenu, alors même que son discours, l'épopée de 1789, la topique du progrès et de l'égalité sont à la fin du XIXe siècle en porte‑à‑faux par rapport à la vision du monde qui se dégage du discours social, avec les corrélations établies entre les sciences, les lettres et les écrits d'actualité. Si les Républicains parlent de progrès, le discours dominant parle de décadence, de dégénérescence. L'idée d'égalité est en parfaite contradiction avec la pensée de la hiérarchie et l'idéologie darwinienne‑évolutionniste dominante dans les sciences médicales et dans les sciences sociales. Dans la doxahégémonique, ce qui se fait entendre n'est donc pas la louange du Progrès, nous l'avons montré. C'est une mélopée de l'angoisse, de la déréliction, où tous les investissements symboliques semblent subir tour à tour une déterritorialisation qui entraîne la civilisation dans un à vau‑l'eau sans fin ni borne. On constate donc simultanément dans la conjoncture, une crise de régime (dans la formation politique) et une crise d'hégémonie et de consensus (dans la « superstructure »). Le boulangisme peut passer pour l'avatar en forme de programme politique de cette grande mélopée de la déréliction qui gémit dans la doxa. G. Hugelmann, – pamphlétaire non inféodé au boulangisme, – dans ses Écuries d'Augias, montre bien le rapport « logique » entre vision crépusculaire et espérance (proto)fasciste. Après avoir déploré « l'impéritie de nos classes gouvernantes », « l'abaissement moral », avoir dépeint la dissolution de toutes les valeurs, en 300 pages, il conclut :

La révolution nécessaire suppose donc une reconstitution totale fondée sur des principes en tout étrangers à ceux qui nous régissent et qui ne peuvent nous conduire qu'à la décomposition, – finis Galliae ! (p. 340).

Le boulangisme a cependant été contenu, le « nationalisme » a été provisoirement brisé. Se demander pourquoi revient à développer ma distinction entre hégémonie sociodiscursive et idéologie dominante (voir chapitre 1 et 5).

Idéologie républicaine et propagande boulangiste

La situation idéologique en 1889 offre le paradoxe apparent que voici : l'idéologie républicaine de progrès démocratique est en décalage et perte de crédibilité, par rapport à ces thèmes à forte dynamique interdiscursive qui saturent la presse, le commentaire d'actualité, mais aussi les belles‑lettres, les sciences sociales, les philosophies, les écrits médicaux et que relaient les premiers rôles de la scène doxologique censément « apolitiques ». La doxa hégémonique n'a évidemment pas pour mandat de maintenir en survie l'acceptabilité des idéologies de la coalition dominant l'appareil d'État. Elle reflète plus directement que celles‑ci, en une synthèse dynamique, les états d'âmes des classes ayant accès à la production symbolique, avec leurs négativités, leurs angoisses et leurs hostilités, combinés à des essais d'interprétation collective du mouvement de l'histoire.

De façon médiée, la doxa reflète les luttes de classes sous forme de leurs résultantes et occultations dans les discours. L'idéologie dominante, officielle, est au contraire chargée d'une mémoire, de la préservation « religieuse » des plus anciens et plus légitimes préceptes idéologiques de la classe régnante, avec un bricolage, une mise à jour toujours précaire. L'idéologie dominante récapitule et adapte partiellement l'ontogenèse évolutive des formes idéologiques de cette classe (esprit des Lumières, jacobinisme, libéralisme, humanitarisme quarante‑huitard, saint‑simonisme, positivisme...). Elle doit enfin remplir synchroniquement sa fonction de légitimation du pouvoir et de ses politiques. Elle a des monopoles, dans l'appareil scolaire par exemple et joue un rôle d'apparat qui lui conserve un statut officiel. Mais elle a aussi une lourdeur spécifique, elle est constamment pénétrée par la doxa et obligée de composer avec elle et ses thèmes chargés d'actualité. Le rapport entre l'idéologie dominante et les effets déstabilisants de l'hégémonie est d'autant plus problématique que l'idéologie républicaine doit à la fois consolider et remotiver des thèses anciennes tout en faisant face à des « temps obscurs » où son amour de la Patrie est contesté par les forces nationalistes – boulangistes, son prétendu souci d'égalité par la montée des socialismes, des syndicalismes (sinon du féminisme) et son axiomatique du progrès par le concert décadentiste des lettres et des sciences. L'idéologie républicaine officielle promue par le centre‑gauche proche du combinat économico‑politique est constituée d'un patch‑work de fragments récapitulés des idéologies de l'ascension bourgeoise depuis 1789. Ce collage idéologique, régulé par le mythème du progrès scientifico‑démocratique, présente deux versions ; l'une adaptée à une gestion stabilisatrice (« opportuniste » et « modérée »), et l'autre, version revendicatrice et combative (« radicale ») qui comporte une part de thèmes de diversion pour républicains mécontents. La masse de l'électorat républicain issu des classes dominées se trouve invitée ainsi à soutenir la fraction qui occupe le pouvoir au prix de bénéfices marginaux, notamment de bénéfices symboliques, que celle‑ci lui concède. Au contraire, le boulangisme, – même s'il n'est pas parvenu à la grande synthèse dont rêvaient pour lui les Francis Laur, les Vergoin, les Marquis de Morès et les Barrès, – est, en tant que doctrine politique, bien installé dans la doxa.

Cependant, si le boulangisme semble dans la doxa comme un poisson dans l'eau, on devra objecter que le « Parti national » après des victoires électorales fracassantes va reculer et presque s'effondrer, en dehors de Paris, aux législatives d'octobre 1889. Les pressions et tripotages avérés d'un ministre de l'intérieur dépourvu de scrupules n'expliquent pas tout. Ceci est vrai. Le discours social tel qu'il est manifesté, ne traduit aucunement la diversité des mentalités, des espaces de styles de vie, des thèmes de l'interaction orale, dans les diverses classes de la société et dans les disparités géographiques de la France. Tout le spectre des dicibles subit une distorsion ; il est fortement déporté vers « l'ultraviolet ». Dans une large mesure les « mentalités provinciales, rurales, ouvrières, petites‑bourgeoises mêmes, sont scotomisées ; elles n'ont pas la place qui leur reviendrait dans une écoute intersociale de l'oralité. Le succès des républicains, impossible à prévoir pour qui lit la presse, la littérature, les savants et les moralistes, tient à ce que la propagande démocratique, combinée à la haine de l'« aristo » et du « curé », avec son folklore et son panthéon, reste bien puissante sur des secteurs sociaux avides de promotion, pleins de bonne volonté civique, secteurs qui ne se font guère entendre dans les institutions productrices d'imprimé.

L'idéologie républicaine conserve une position hégémonique dans la « France profonde », artisanale, petite bourgeoise, rurale, paysanne, dans certaines régions de cette France dont la géographie électorale de la IIIe République fait connaître les délimitations constantes. Les doctrines et le « folklore » républicains se diffusent par l'école (les instituteurs, dit‑on, sont les « apôtres de la République »), mais aussi à travers les réseaux de base des notabilités locales liés aux associations, aux ligues et aux loges. Par contre dans la France qui écrit, imprime et lit, dans la France cultivée, c'est une toute autre vision du monde qui a émergé et ne cesse de se renforcer – vision du monde axée sur l'angoisse de la déterritorialisation. Le succès de sa thématique est favorisée par le fait que les agents sociaux installés dans les appareils de pouvoir et de contrôle doxique (culture‑littéraire, politique, scientifique) ne peuvent guère soutenir leur rôle de surveillance d'une société effectivement déstabilisée par des « progrès » divers ni, subjectivement, donner cours à leur désenchantement en se référant à un discours triomphaliste et égalitaire, discours qui se trouve dès lors dégradé en didaxis exotérique destinées aux classes subordonnées, intégrées à la défense du régime.

Les discours républicains, – opportuniste et radical, – mis sur la défensive, sont obligés à un ravaudage d'énoncés jacobins, libéraux, saint‑simoniens, progressistes, constamment infiltrés de ces thèmes de la déterritorialisation qui les obligent à des acrobaties idéologiques difficiles. Il résulte de ce tableau que l'idéologie républicaine de combat progressiste se trouve folklorisée, trivialisée, mais adoptée de ce fait fortement par des strates inférieures en quête d'intégration sociale. De larges masses populaires alliées à la fraction politiquement dominante ont fait leur ce discours égalitaire, laïque et progressiste que l'hégémonie fait apparaître comme une mystification ad usum populi.

Au contraire, la presse républicaine bourgeoise, en sa version « opportuniste » de gestion et de légitimation, est pénétrée du pessimisme décadentiste venu de la doxa et se donne des mandats de reterritorialisation rattachés tant bien que mal aux vieux thèmes jacobins, saint‑simoniens et quarante‑huitards qui lui servent de pavillons idéologiques. À la limite, toutes les classes dominantes sont perméables au crépuscularisme dénégateur et donnent les expressions les plus multiples du désenchantement. La classe règnante, si par fiction on lui prêtait des intentions, semble abandonner aux groupes sociaux qu'elle a associés à elle et dont elle requiert l'appui, l'idéologie progressiste à laquelle elle ne « croit » plus, mais qui conserve un statut légitimant et reste une force irremplaçable de consensus civique. Dans un discours à l'Hôtel Continental (le 23 décembre 1888), Jules Ferry semble concéder que la France, après treize ans de règne des républicains, avait tourné le dos aux idéologies de progrès : « La France de 1888 [...] est profondément atteinte de passions réactionnaires ; ce n'est pas une invasion d'idées nouvelles et de novateurs qui nous menace... », avouait-il70.

Au contraire, la propagande boulangiste est en forte prise, en position d'absorption optimale et de synthèse « historiosophique » par rapport aux idéologèmes les plus actifs et les plus répandus qui modèlent l'interdiscursivité du temps. Le boulangisme – même si après une irrésistible ascension, il est mis en échec électoralement par la Province, avide d'ordre et de tranquillité – est l'écho politique direct des thèmes les plus actifs du discours social. Le boulangisme est un grand dispositif producteur de ressentiment, d'angoisse, de haine. Les blanquistes n'ont pas vu plus loin et ont « marché »71. (Au reste, l'histoire électorale fait apparaître que les élections d'octobre 1889, gagnées haut la main en nombre de sièges par les républicains antiboulangistes, ne leur ont été acquises que par une majorité de quelques milliers de voix à l'échelle nationale et que le boulangisme restait une force menaçant spécifiquement des régions de vieille implantation républicaine, dont Paris. (Voir Odile Rudelle, La République absolue,1982.) Le boulangisme aura été la première tentative, menée par une coalition de challengers du pouvoir, de mettre de l'avant une idéologie nouvelle dont la mystique était en prise directe avec la doxa hégémonique, à l'heure où la classe dominante, face à la « montée des périls », s'identifie plus que jamais à ce que Karl Marx après Goethe avait montré être son personnage‑mythe : l'Apprenti‑sorcier.

« Protofascisme »

J'ai utilisé plusieurs fois la notion de « protofascisme », inspirée des travaux de Zeev Sternhell notamment. Elle implique que l'on peut, avec un anachronisme pertinent, repérer dans l'essence du boulangisme ce qui caractérisera les fascismes du XXe siècle : idéal autoritaire, culte charismatique du Chef (falote et mondaine, la personnalité de Boulanger a été le grand malheur objectif du parti), nationalisme et antisémitisme, combinaison, dans une thématique du « Peuple contre les Gros », de thèmes pris à la droite et à l'extrême gauche, pétris de ressentiment et de rêves d'« épuration » sociale générale. Ce protofascisme avait quelque chose à offrir à toutes les classes et à toutes les sensibilités « modernes ». Dansette l'avait constaté (1938, p. 75) : « issu de toutes les classes, le boulangisme opéra à travers les partis une coupe verticale ». Les gens de 1889 ont été à la fois aveugles (parce qu'ils ont essayé d'expliquer Boulanger dans d'anciens cadres : « César de pacotille », « Saint‑Arnaud de café‑concert », « soudoyé par les monarchistes pour préparer une restauration conservatrice », « Soulougue », « Général de pronunciamento »...) et clairvoyants, ayant saisi parfois l'essentiel : une tactique pour contourner le libéralisme et le républicanisme de gouvernement par la droite et par la gauche, pour créer un parti au‑dessus des partis et des factions. La classe au pouvoir a ironisé là‑dessus, mais sans bien comprendre.

Admirateurs de la Commune et partisans de la royauté ou de l'Empire vont aux urnes la main dans la main. Des hommes appartenant aux partis conservateurs [...] partent en guerre contre le capitalisme et la propriété individuelle, derrière les révolutionnaires et les socialistes [...] adaptent leurs principes en y mêlant quelques fois d'une manière étrange, l'esprit de réaction et des rêves de restauration archéologique72.

Un littérateur satirique fait parler un ouvrier syndiqué et montre en une formule qu'il a compris l'essence du phénomène « au‑dessus des classes » :

C'est tout de même un peu épatant ! Voilà le premier coup que le patron vote comme nous !73.

On peut dire cependant que ce « protofascisme » n'est pas arrivé à la fusion de tous les éléments énoncés plus haut. Boulanger n'a pas voulu jouer la carte antisémite ; il a laissé faire certains de ses idéologues, mais tous n'ont pas marché. L'union des protofascistes potentiels n'était pas réalisée. Les chrétiens sociaux (De Mun, La Tour du Pin) n'étaient pas chauds pour Boulanger, alors qu'ils apportaient avec le « corporatisme », une pièce intéressante du puzzle. Les antisémites (Chirac, Drumont) qui travaillent en plein dans le mixage droite/gauche restent sur leurs gardes. Le Marquis de Mors, revenu à Paris à l'été 1889, se lance dans l'organisation de la « Ligue antisémitique » et de la bande de « chemises noires » avant la lettre dans le quartier de la Villette74. Un journal comme la France nouvelle veut une révolution populaire, « antibourgeoise », monarchiste. Ils ne jouent pas la carte Boulanger :

« Nous ne voulons ni aventurier repus, ni jouisseurs affamés », « la Monarchie » seule !

Cependant le boulangisme en attirant à lui l’« intellectuel » et romancier moderniste Maurice Barrès qu'il mue en doctrinaire « national », en rencontrant les sympathies de Gustave Le Bon et en ralliant la moitié la plus chauvine des « blanquistes » opérait dans la bonne direction de l'union de droite révolutionnaire. Il a manqué son coup, s'il s'agissait de prendre le pouvoir, mais de peu. L'esprit boulangiste ne cessera de revenir hanter le champ politique et l'opinion française pendant un siècle.

Annexe

Petite chronologie du boulangisme
1884 – Boulanger est nommé général de division
1886 – Boulanger est ministre de la Guerre, dans le cabinet Freycinet (janvier).
– Revue du 14 juillet. Chanson de Paulus « En Rev'nant de la revue ».
1887 – Le Gouvernement éloigne Boulanger en le nommant Clermont‑Ferrand.
1888 – Boulanger mis en non‑activité par retrait d'emploi (mars).
– Député de la Dordogne (avril), puis élu dans trois départements.

1889

27. I Élections partielles à Paris. Boulanger se présente ; le Congrès républicain désigne le radical Jacques comme son adversaire tandis que les socialistes révolutionnaires désignent Boulé. Campagne électorale agitée, dépenses d'affichage inégales. Boulanger est élu par 244 070 voix contre Jacques (165 520) et Boulé (16 760). Consternation des républicains. Ultérieurement les ex‑boulangistes ont accrédité le mythe selon lequel Boulanger « n'avait qu'à lever le doigt » pour prendre le pouvoir dans la nuit du 27 janvier. (L'Ordre, 13.10 : p. 1 le dit le premier.) Le coup d'État n'était aucunement envisagé et le Général comptait se laisser porter par la faveur populaire jusqu'aux élections.

5. II Le gouvernement décide de frapper tous les fonctionnaires qui manifestent des sympathies boulangistes : pluie de révocations de février à septembre.

14. II Chute du Ministre Floquet, renversé par une coalition occasionnelle de réactionnaires, boulangistes et opportunistes. Installation, le 22, du 2eministère Tirard qui sera un cabinet de combat, avec Constans à l'Intérieur. Loi rétablissant le scrutin d'arrondissement.

l. III Des protestations de la Ligue des Patriotes relatives à l'action du gouverneur d'Obock contre l'illuminé orthodoxe Atchinoff retranché dans le fort de Sagallo servent de prétexte à la dissolution de la « Ligue ». La chambre vote ensuite les poursuites contre le comité directeur de la L.d.P., Déroulède, Naquet, Laguerre.

17. III Fameux Discours de Boulanger à Tours : il prône une république « ouverte et nationale ».

l. IV Le 30 mars, « des rumeurs circulent que le cabinet serait sur le point de prendre des mesures de rigueur envers Boulanger ». (Temps, 31.3 : p. 1) Inquiété par d'habiles manipulations policières, Boulanger s'enfuit à Bruxelles. Les boulangistes cherchent à le faire revenir puis feignent d'approuver ce « bon tour » joué au gouvernement. Ils sont consternés en réalité. Thibault et Michelin démissionnent du Comité républicain national.

5. IV La Chambre vote l'autorisation de poursuites devant le Sénat réuni en Haute cour contre Boulanger, Rochefort et Dillon pour « attentat à la sûreté de l'État ».

8. IV Le procès de la Ligue des Patriotes se termine (piteusement pour le gouvernement) par une amende de 100 francs.

14. VIII Boulanger, Dillon et Rochefort sont condamnés par contumace à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée. Rien dans le dossier ne démontre juridiquement l'« attentat » (mais les républicains parlaient de « flagrant délit perpétuel »). Toute la procédure est basée sur des faux et des affirmations péremptoires (voir J.P. Machelon, La République contre les libertés. Presses de la F.N.S.P., 1976, qui conclut à la pure et simple forfaiture).

6. X Le deuxième tour des élections de septembre‑octobre est défavorable aux boulangistes (qui conservent cependant de bonnes positions à Paris). La Chambre nouvelle est formée de :
17 « socialistes »,
349 républicains, du centre‑gauche aux radicaux‑socialistes,
166 réactionnaires,
44 boulangistes, dont plusieurs vont être invalidés. [Ces chiffres varient un peu selon les sources, étant donné le flou de nombreuses affiliations]

11. X Arthur Meyer du Gaulois « prend congé » de Boulanger, maintenant en exil à Jersey ; quelques jours plus tard l'Autorité de Cassagnac rompt également avec lui.
XI-XII Débats d'invalidation : Boulanger, contumace, est déclaré inéligible bien que gagnant haut la main l'élection à Montmartre ; c'est le « possibiliste » Joffrin, minoritaire, qui est proclamé élu. Invalidations de Mery, Naquet, Laur. L'agitation boulangiste se poursuit en 1890 avec les campagnes de réélection des boulangistes parisiens. Le Parti national connaît cependant un nouvel échec aux municipales. Mermeix‑Terrail se met à publier au Figaro en août ses révélations sur les « Coulisses du boulangisme ».
– Le 30 septembre 1891, le Général Boulanger se suicide à Ixelles sur la tombe de sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains.

Notes

1  Sur l'influence durable de l'« esprit » boulangiste dans la France rurale voir : Burns, Michael. Rural Society and French Politics : Boulangism and the Dreyfus Affair. Princeton U.P., 1984.

2  Jules Delafosse (droite), Chambre, Journal Officiel, p. 845.

3  L'Univers, 20.10 : p. 1 et d°, 19.7 : p. 1

4  Titre, Moniteur universel, 28.1.

5  Gaulois, 11.10.

6  « On peut évaluer à trente millions de francs au moins l'argent dépensé par le comité boulangiste dans cette campagne » (Petit Marseillais, 25.9.1 - ce chiffre est évidemment fort exagéré).

7  Gaulois, 11.10 : p. 1.

8  Signal français, 16.3 : p. 1.

9  Ibid., 2.4 : p. 1.

10  Cocarde, 15.10 : p. 1 (« les nouveaux élus »).

11  Andrieux ; Petite République Française, 28.1 : p. 1.

12  Hommes d'aujourd'hui, n°340.

13  Voir Lanterne, 19.4 : p. 1.

14  Alfred Gabriel, le journaliste du boulangisme nancéien, est un ancien collaborateur du Cri du Peuple.

15  « Boulanger… se perd dans les Naquet et les Meyer » (Drumont, Dernière bataille (1890), p. 137).

16  Autres journaux boulangistes à Paris : le Pays et la Souveraineté, rachetés par P. Lenglé avec le concours du Comte Dillon ; l’Indépendance, devenant en septembre l’organe du boulangiste Victor Lesté ; L’Ordre, le Combat, à partir d’avril ; Le Patriote, La République, à partir d’août ; la France, proche de la Ligue des patriotes, de même que le Clairon ; La Rue, version en « petit journal » de la Cocarde, L’information du soir d’H. Michelin, qui disparaît en avril ; l’Action, du même ; les éphémères Union démocratique et Le Plaisir Paris. Plus des « correspondances » : Tablettes d’un spectateur, Correspondance indépendante quotidienne, Résumé quotidien de la presse étrangère. On y adjoindra La Ligue, propriété d’Andrieux et la Petite république française du même, qui conservent une certaine indépendance de manœuvre. La Jeune république, fondée par G. de Labruyère, abrite une « gauche » socialiste antiparlementaire, un boulangisme dissident. On mentionnera en province leCourrier de l’Est (dir. M. Barrès, Nancy), le Petit Provençal (Marseille), la France (de Bordeaux), leRéveil de l’Ain, le Révisionniste de Chaumont, la Souveraineté du Peuple (Toulouse), Le Peuple souverain (Clermont), Le Beffroi (Amiens)…  

17  On citera L’Étoile du Général Boulanger, La Situation révisionniste, Le  Journal du Peuple, Le Bonhomme français, Le Révisionniste, Le Grand Parti, La Gazette nationale, le Boulangiste catholique, La Lutte, L’École primaire (pour instituteurs), Le Ralliement national (destiné à la jeunesse des écoles)…

18  BN : Ln 27 40599

19  Des mœurs nouvelles dans cette campagne électorale (Indépendance belge, 29.1 : p. 2)

20  La Charge, 22. 9 : Couverture

21  Rochefort, l’Intransigeant, 10.1 : p. 1. Tout cela est évidemment plein d’ambiguïtés. Dans le Nord, Boulanger est républicain en français et… patriote seulement dans ses affiches flamandes : Leve Franckryk Vive la République ! Leve het vaderland ! (Temps, 10.1 : p. 2)

22  O. Justice, Gazette nationale, 22.9 : p. 1

23  L’Ordre, 8.10 : p. 1et La Bombe, nº2 : p. 2. Ce n’est pas le style de Boulanger lui-même (ou de ses « nègres ») dont les discours sont une platitude de comices agricoles : « Il est de toute évidence que le sort de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, des sciences, des lettres et des arts dépend des institutions, qui doivent assurer leur développement en deçà des frontières, et favoriser leur expansion au-delà.
C’est le peuple qui laboure, qui ensemence, qui aménage ! (Gal. Boulanger, L’Invasion, I p.6)

24  « À bas les Juifs », en réunion électorale, relevé approbativement par le Courrier de l’Est, 1.9 : 2.

25  Cocarde, 1.7 : p. 2.

26  Provence nouvelle, 17. 2 : p. 1.

27  Barrès, Courrier de l’Est, 14.2 et 11.3 et 25.1

28  Lenglé, Le Pays, 5.4 : p. 1

29  Laguerre, Journal officiel, Chambre, 16.3

30  Morphy, Histoire du Général Boulanger, p. 5

31  Dugué de la Fauconnerie, Pourquoi je suis boulangiste, p. 4

32  Morphy, op. cit., p. 120. (32) Du Hemme, Boulanger (brochure), p. 40.

33  Journal Officiel, chambre, p. 638. (34) Le Hérissé, Cocarde, 9.3.

34  Petit Caporal, 11.2 : p. 1.

35  Petit Caporal, 14.3 : p. 1.

36  Gibert, Hommes et choses néfastes, p. 3.

37  Le Vérité sur le boulangisme (anonyme), p. 21

38  Ibid., p. 36

39  Courrier de l’Est, 25.8 : p. 1.

40  Id.

41  P. Adam, Courrier de l’Est, 20.10 : p. 1. Drumont le répètera dans La Dernière Bataille (1890), p. 66 : « la troisième République, la République juive. »

42  L’autorité, 29.1 : p. 1. (Cassagnac)

43  Courrier de l’Est, 31. 1 : p. 1.

44  La Marseillaise, 22.9 (Saccoman)

45  La Bombe, 22.9 : p. 2 et p. 3.

46  La République (J.), nº1 : 29.8 : p. 1.

47  Petit Caporal, 10.2 : p. 1.

48  Réveil national, 5.1 : p. 1.

49  Profession de foi de Lalou (Dunkerque) : « Vive la République nationale ! » « Ouverte et nationale » : Toast de Delehaye au fameux banquet de Tours, 16.3. « Nationale et honnête » : Juglart, Angoulème, p. 319.

50  Cf. H. Michelin, Information du soir, 6.2 : p. 1.

51  L’Action, 5.4 : p. 1.

52  Journal Officiel, Chambre, p. 325.

53  Intransigeant, 11.10.

54  Juglart, Vive la France!, p. 53.

55  Mermeix, Cocarde, 18.10 : p. 1.

56  Signal français, 9.2 : p. 2.

57  Mermeix, Cocarde, 19.10 : p. 1.

58  Laguerre, La Bombe, p. 9.

59  Courrier de l’Est, 24.11 : p. 1.

60  Norange; Égalité, 5.9 : p. 1.

61  Cocarde, 1.7 : p. 2.

62  Intransigeant, 27.8 : p. 1.

63  L. Pemjean, Cent ans après, p. 8.

64  La République, 8.10 : p. 1.

65  L’Illustration, 12.1 : p. 6.

66  Nouvelles de Paris, 6.1 et 13.1.

67  Bonhomme français, 6.1.

68  Du Hemme, Boulanger, p. 7.

69  Le Pays, 19.4 : p. 1.

70  Revue britannique, I.

71  Cité par Clemenceau, Journal Officiel, 8.6 : p. 1332, qui accuse Ferry de défaitisme.

72  Journal des Débats, 24.9 : p. 1. Et A. École libre de Science politique, p. 598

73  J. de Marthold, « Panificator », L’année dans un fauteuil, février, 17. Cf. J. Simon, Matin, 21.5 : p.1 : « L’extrême-droite est devenue la fidèle amie de l’extrême-gauche.

74  Cf. Tweton, D. Jerome, The Marquis de Morès, Dakota Capitalist, French Nationalist. Fargo, ND : Institute for Regional Studies, 1972.

Pour citer ce document

, « Chapitre 33. La propagande boulangiste», 1889. Un état du discours social, ouvrage de Marc Angenot Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/1889-un-etat-du-discours-social/chapitre-33-la-propagande-boulangiste