American Mysterymania

Cadres urbains – Les mystères américains, du film noir au steampunk

Table des matières

DAVID L. PIKE

« C’est une grande ville, belle et terrible. Essayez donc de m’y trouver! »
(Willie Garzah dans The Naked City [La Cité sans voiles, 1948])

Ce chapitre examine les tropes caractéristiques des romans de mystères urbains au dix-neuvième siècle et leurs transpositions dans l’Amérique de la seconde moitié du vingtième siècle jusqu’à nos jours1. L’enquête porte sur les variations des cadres temporels et des décors urbains que mettent en œuvre les genres de la culture populaire, du film noir d’après-guerre (des années 1940 aux années 1960) jusqu’aux mystères steampunk qui offrent une vision alternative de l’histoire (des années 2000 jusqu’à nos jours), en passant par le film noir futuriste (des années 1980 aux années 2000). Dans un premier temps, je reviendrai sur la trajectoire de la ville ténébreuse que mettent en scène le film noir, puis le futur noir, trajectoire que j’ai retracée dans le troisième chapitre de mon ouvrage Metropolis on the Styx2. Dans le film noir classique, le recours à l’iconographie mythique de la ville en ruines et de ses habitants déchus et amoraux remet en question l’idéologie dominante, dans les années d’après-guerre, de la prospérité et de la domesticité. Le film noir futuriste qu’inaugure le Los Angeles dystopique de 2019 mis en scène dans l’exemplaire Blade Runner (1982), et dont la trilogie Matrix (1999–2003) des Wachowski offre l’incarnation parfaite, utilise quant à lui la ville-archétype du genre noir pour en faire l’emblème d’un passé authentique dont on éprouve la nostalgie et qui ne peut être reconnu qu’en négatif dans un présent dégradé, lui-même projeté dans le futur. Plutôt que de m’en tenir à cette lecture, je voudrais mettre à jour la présence d’une voie alternative dont l’origine se situe dans les mystères urbains et que l’on peut percevoir en marge et à l’arrière-plan de la trajectoire typique du film noir; on le verra, cette voie se révèle intégralement dans le steampunk. C’est parce qu’elle se révèle totalement dans le steampunk qu’il nous est plus facile de reconnaître une voie qui avait néanmoins toujours été présente dans les autres genres. Au lieu de figurer un univers de bas-fonds urbains qui fait retour en marge du présent dans lequel évolue le lecteur, dans le roman steampunk, c’est le passé qui est présenté comme le lieu mystérieux vers lequel nous mène la fiction. Le recours à un passé urbain, qui s’étend des années 1840–1850, période à laquelle apparaissent les premiers mystères urbains, au New York de la Prohibition, suggère qu’à l’heure actuelle, les vérités en quête desquelles sont les mystères urbains ne sont plus à chercher dans un espace transposé dans le présent, mais plutôt dans un imaginaire alternatif de l’histoire de la ville; le mode fantastique constitue un outil nécessaire à leur découverte.

Les mystères urbains en tant que genre ont traditionnellement combiné fonction critique et représentation mystificatrice du temps et de l’espace urbains. D’une part, l’intrigue des mystères tourne autour de l’exhumation de secrets enfouis et de terribles vérités sur le crime urbain et la corruption; d’autre part, elle inscrit ces derniers dans un espace en marge de la ville « ordinaire » dans laquelle ils ont néanmoins cours. D’un côté, les mystères laissent clairement voir leur inscription dans le présent de par leur intérêt pour les infrastructures et le renouvellement urbains, mais de l’autre, ce souci s’exprime à travers les anxiétés et les scandales de la génération précédente. Les mystères ont longtemps joué un rôle clé dans l’expression d’un appel à la dissidence et de modes alternatifs selon lesquels penser et vivre la ville, mais les conventions génériques qui les régissent les ont généralement contraints à exprimer ces modes de pensée et ces expériences en termes négatifs, violents et destructeurs. La transposition des mystères dans le contexte américain suit également ce schéma. Comme l’attestent les productions du vingtième siècle, la version états-unienne a exercé une influence bien plus considérable que celle de versions européennes analogues. Cela s’explique en partie par le contrôle dont jouit le cinéma sur le genre des mystères urbains au vingtième siècle et, ce qui n’est pas sans rapport, par l’influence sur l’imaginaire urbain qu’exercèrent, à un niveau mondial et durant la majeure partie du vingtième siècle, les villes américaines.

Dans le contexte présent, ce qui m’intéresse au sujet du steampunk est le fait que celui-ci signale une nouvelle phase dans le développement historique du genre des mystères urbains en ce qu’il inverse radicalement la temporalité de ces derniers. À la place de la traditionnelle tension entre nostalgie des quartiers populaires et des bas-fonds, et la course à la modernisation, on retrouve dans le steampunk un rejet du progrès, à la fois en tant qu’outil narratif et en tant que question d’urbanisme. Dans le steampunk, on revient vers les villes des mystères urbains à leurs origines pour y déceler de nouveaux secrets qui auraient toujours été là, mais sont seulement maintenant prêts à être exhumés. Ce qui avait été un trope spatial dans la ville diégétique des mystères du dix-neuvième siècle devient un trope temporel : les espaces tapis juste au-dessous ou au coin de la ville familière laissent place à des espaces dissimulés dans les interstices et les chemins non parcourus d’un passé urbain, que l’on croyait pourtant connaître3. Les fictions steampunk préservent à coup sûr la dynamique spatiale verticale propre aux mystères urbains, mais elles refondent la relation du lecteur à cette dynamique en proposant un rapport à la subjectivité historique qui est à la fois plus immédiat – le passé, à la différence des lieux de pouvoir, est quelque chose auquel nous avons un accès direct – et moins immédiat que dans les mystères urbains. Cela n’est pas seulement dû au fait que, dans le steampunk, le récit se fonde sur un contexte historique qui a suivi un développement différent de celui que nous connaissons, mais aussi au fait que la résolution des contradictions narratives y repose sur l’injection à forte dose des fantaisies contrefactuelles et des pensées magiques typiques des mystères urbains.

Le sentiment que l’Amérique est dépourvue d’histoire ou de sens historique est un lieu commun auquel adhèrent tant le film noir, que le futur noir ou encore le steampunk. Ce sentiment tend néanmoins à se manifester avec virulence dans un effort souvent désespéré, aux sens narratif et épistémologique du terme, pour recouvrer l’histoire au sein même de la ville américaine. Autrement dit, cette volonté de trouver un sens historique constitue en soi une image de l’interrogation relative à la possibilité de la subjectivité et de « l’agentivité4 » dans la ville américaine moderne. Jusqu’à récemment, on aurait répondu à cette question par un non retentissant, en accord avec la lecture traditionnelle qui est donnée du film noir, en l’assortissant même des formules consacrées et en invoquant le « fatalisme », les « vues obscures » et les « cauchemars »5 propres au genre. Je voudrais néanmoins aller à l’encontre de cette lecture classique. Pour ce faire, j’étudierai l’image du pont dans le film noir classique en tant qu’élément d’infrastructure urbaine et symbole de réussite se moquant des morts alors qu’est simultanément affirmée la survie de leurs aspirations par-delà la mort. Je démontrerai en second lieu que dans le futur noir des années 1980 et 1990, ce sont les traces de l’ancienne ville qui perdure tant bien que mal dans un futur méconnaissable et dénaturé qui continuent de soulever la possibilité de la subjectivité et de l’agentivité, alors même que la nouvelle ville qui les encercle semble la nier. Enfin, dans le steampunk, il nous est maintenant facile (peut-être trop facile) de reconnaître ce passé qui aurait mené à un futur non aliéné. Le défi consiste alors à déterminer comment libérer le passé du domaine de l’imaginaire et comment combler l’intervalle entre histoires possibles et possible historique.

À la recherche des ponts du film noir

Dans Metropolis on the Styx, j’ai affirmé que « le film noir rend compte de la métamorphose de la ville, de centre productif de représentations spatiales qu’elle fut dans un premier temps à un univers souterrain archétypal de bas-fonds formés des déchets que déposent les rêves, espoirs et représentations d’avant-guerre, qu’on délaisse à mesure que le capital poursuit sa marche, loin des usines et des ateliers du monde occidental, vers le tiers-monde, l’économie de services et un univers de loisirs et de marques »6. Cette affirmation me semble encore juste, mais il est possible de l’affiner davantage en prêtant une plus grande attention aux tropes convoqués au service de la représentation de ce qui fut délaissé, et à la manière dont le film noir intègre son protagoniste dans l’espace urbain tout en affirmant simultanément l’indépendance de cet espace vis-à-vis du destin tout tracé du personnage, en même temps que la persistance de cette trajectoire. Ainsi donc, quand bien même les mondes souterrains littéraux du film noir fonctionnent comme indices d’une aliénation absolue et quand bien même, du point de vue stylistique, les clairs-obscurs donnent à voir l’envahissement par les ténèbres, il existe cependant un certain nombre d’images d’infrastructures qui perdurent, comme c’est le cas des ponts qui, de temps à autre, font une apparition dans la scène finale des films noirs, images qui nous rappellent la persistance d’une tendance utopique propre à cette même modernité productive de ténèbres.

Peut-être plus qu’aucun autre produit de la modernité urbaine – et à coup sûr de manière plus visible qu’aucun autre – le pont suspendu est l’incarnation même des aspirations utopiques et égalitaires de la modernité [Figure 1]. Et surtout aux États-Unis où l’édification de ponts monumentaux accompagne l’accession de villes comme New York et San Francisco à un statut mondial, le pont représente un idéal fédéraliste de parties discrètement enchâssées, un maillage de ferraille et de pierre baigné de soleil, suspendu dans les airs, et reposant cependant sur de solides fondations. Les mystères du dix-neuvième siècle s’intéressaient peu aux ponts de Londres et de Paris qui, bien que plus anciens, étaient néanmoins bien moins spectaculaires, excepté en tant que lieux d’où l’on saute et d’où l’on peut être jeté, ou bien pour leurs arcs et les ombres qu’ils projettent à leurs pieds. Il y a néanmoins, dans le film noir, une certaine fascination pour les ponts – de la même manière que pour le paysage urbain dans les mystères – parce qu’ils ne semblent pas faire partie intégrante de l’intrigue, mais y apparaissent plutôt de manière fortuite, comme une parenthèse, ou quasiment comme une apostrophe à l’adresse du spectateur, signalant sa présence incongrue dans un paysage de ténèbres et d’aliénation dans lequel il ne devrait pas figurer [Figures 2 et 3].

Figure 1 : Sous le Golden Gate Bridge, dans Vertigo, (dir.) Alfred Hitchcock, Alfred Hitchcock Productions / Paramount, 1958, Universal Studios Home Entertainment, 2012. DVD.

Figure 2 : Le Golden Gate Bridge introduit le prisonnier évadé que joue Humphrey Bogart dans l’abri plus ou moins sûr que lui offre le San Francisco de Lauren Bacall dans Dark Passage,(dir.) Delmer Daves, Warner Brothers, 1947, Warner Home Video, 2006. DVD.

Figure 3 : Le pont de Brooklyn en rétroprojection sur la fenêtre de la baraque de South Street dans laquelle se cache le pickpocket incarné par Richard Widmark, dans Pickup on South Street [Le Port de la drogue], (dir.) Samuel Fuller, Twentieth Century Fox, 1953, Criterion, 2004. DVD.

Selon la relation établie entre le discours du film et les autorités – son degré de cynisme, en d’autres termes – l’image du pont prend des inflexions différentes. Dans la scène finale de Force of Evil (L’Enfer de la corruption, littéralement La Force du mal, 1948) d’Abraham Polonsky (réalisateur qui allait être inscrit sur la « liste noire »), le jeune avocat ambitieux qu’incarne John Garfield découvre le cadavre de son frère aîné, « croupier » à la petite semaine s’occupant de paris équestres, au pied d’un des piliers de soubassement du pont George Washington. Polonsky consacre deux minutes de ce court long-métrage à l’interminable et spectaculaire descente de Joe Morse, depuis Washington Heights jusqu’à la rive. « Je continuais de descendre jusqu’en bas, ça n’en finissait pas », la voix-off de Joe déclare-t-elle, « c’était comme descendre jusqu’au fin fond de l’univers. Pour trouver mon frère ». Aussi accablé qu’il soit par des forces qu’il ne contrôle pas, Joe s’avère néanmoins capable, dans un tel cadre, de retrouver son humanité perdue. [Figures 4-8] Le plan final du film le donne à voir aux côtés de la jeune femme qui lui a permis, tout comme la banale décence de son frère, d’échapper au destin typique du protagoniste de film noir; ils sont tous deux encadrés par deux infrastructures iconiques : le pont, inauguré en 1931, et le petit phare rouge (Little Red Lighthouse), installé là en 1921 et immortalisé dans un livre pour enfants quelques années avant que Polonsky ne le fixe sur la pellicule [Figure 9]. La descente est une image bouleversante, typique de celles que l’on trouve dans le film noir classique. Néanmoins, Polonsky fait entrevoir une issue alors que les deux personnages, bras dessus, bras dessous, tournent finalement le dos au monde du film noir et à ses spectateurs pour prendre à la place le chemin du phare et du pont.

Figure 4 : Descente « jusqu’au fin fond du monde », au pied du pont George Washington, Force of Evil, (dir.) Abraham Polonsky, Enterprise Studios / Metro-Goldwyn-Mayer, Olive Films, 2012. DVD.

Figure 5 : Force of Evil (1948).

Figure 6 : Force of Evil (1948).

Figure 7 : Force of Evil (1948).

Figure 8 : Force of Evil (1948).

Figure 9 : … De retour au sein du monde, Force of Evil (1948).

La séquence de film noir la plus spectaculaire à mettre en scène un pont est probablement la scène finale du film de Jules Dassin sorti en 1948, The Naked City [La Cité sans voiles], qui fut tournée à Manhattan sur le pont Williamsburg, érigé sur le fleuve East River entre 1893 et 1903 [Figure 10]. Le film de Dassin capte avec habileté la tension caractéristique des mystères entre, d’une part, l’anonymat urbain et le caractère impénétrable de la modernité –dont le fait, par exemple, qu’il soit impossible de retrouver quelque criminel que ce soit dans New York – et, d’autre part, la singularité des individus, qui permet aux forces de l’ordre de capturer un meurtrier. Réalisateur de gauche engagé qui se verra rapidement contraint de s’exiler en Europe afin d’échapper à la « liste noire », Dassin distingue avec subtilité et précision les espaces sociaux des travailleurs de ceux des nantis et pseudonantis; ces derniers sont caractérisés par leur tendance innée au mensonge, l’enfermement dans leurs espaces privés et de patents désirs matérialistes7. En comparaison, le Lower East Side de Willie Garzah fourmille d’une sociabilité chaleureuse et ethniquement diversifiée sur laquelle Dassin s’appuie de manière à humaniser son protagoniste [Figures 11-12]. Bien que Garzah ait tué de sang-froid, au café on garde de lui un souvenir bienveillant, les gamins le connaissent bien, et chacun dans le quartier le connaît comme l’homme à l’harmonica8. À y regarder de plus près, c’est un personnage pittoresque bien plus qu’un tueur, pittoresque au point qu’il aurait pu figurer sur les photographies à sensations de la vie new-yorkaise que le photographe Weegee recueille en 1945 dans l’ouvrage dont le producteur du film de Dassin, Mark Hellinger, reprend le titre. Ainsi, lorsque le narrateur supplie Garzah à l’entrée du pont de sauver sa peau en gardant son calme et en se fondant dans la foule, celui-ci, plutôt que de l’écouter, tire sauvagement sur le chien d’un aveugle. Notre compassion se retourne alors du côté des forces de l’ordre, tandis que notre attention se porte à nouveau sur le pont et que nous sentons intuitivement qu’en accord avec les lois de la morale cinématographique, Garzah sera bientôt mort. [Figure 13]

Figure 10 : Vue vers le Sud depuis le pont de Williamsburg en direction des ponts de Manhattan et de Brooklyn, dans The Naked City, (dir.) Jules Dassin, Universal, 1948, Criterion, 2007. DVD.

Figure 11 : Willie Garzah (Ted de Corsia) sur la rue Delancey dans le quartier du Lower East Side, The Naked City (1948).

Figure 12 : Willie Garzah (Ted de Corsia) sur la rue Delancey dans le quartier du Lower East Side, The Naked City (1948).

Figure 13 : Garzah perd définitivement la sympathie du public au profit des perdants et des outsiders, The Naked City (1948).

Les policiers, eux aussi, en appellent à notre compassion, et plus particulièrement Muldoon, le vieux détective bourru joué par Barry Fitzgerald. À la différence de cet inspecteur de la vieille école dont le minuscule appartement se situe à seulement deux pas d’un immeuble des quartiers populaires, son jeune partenaire novice, Jimmy Halloran, vit dans une maison douillette du Queens. Il représente le futur en marche et il n’est pas surprenant que Garzah, lors d’une confrontation en intérieur, se montre plus malin que lui et que la caméra, elle aussi, le délaisse une fois de plus en faveur du pont. Observons le pont d’un peu plus près, ainsi que la caméra nous invite à le faire [Figures 14-16]. Tout d’abord, il constitue une extension et une amélioration du quartier dont il émerge. Dassin nous le donne à voir fourmillant de gamins en patins et d’individus différents vaquant à leurs occupations, l’assimilant à une rue sans circulation, réservée aux piétons, tel un parc urbain. Un plan moyen sur Garzah et Halloran qui courent en direction de la caméra nous permet de nous attarder sur leur effort physique sans perdre de vue l’activité qui se déroule sur le pont. Les deux protagonistes doivent se frayer un chemin entre une corde à sauter de la largeur de la chaussée, plusieurs landaus, une nichée de patineurs, et quelques gamins s’amusant à cheval sur un chariot comme s’il s’agissait d’un canon. Au cas où l’on perde de vue la raison de leur course effrénée, chacun brandit un pistolet, accessoire typique des mystères urbains transposé au cœur même des activités très ordinaires des bas quartiers par une chaude journée d’été.

Figure 14 : L’espace public sur le pont de Williamsburg et son esplanade originelle. The Naked City (1948).

Figure 15 : L’espace public sur le pont de Williamsburg et son esplanade originelle. The Naked City (1948).

Figure 16 : L’espace public sur le pont de Williamsburg et son esplanade originelle. The Naked City (1948).

Lorsque Garzah atteint finalement la première tour, la dynamique s’inverse, passant de l’horizontalité de la vie quotidienne à la verticalité des infrastructures spectaculaires et d’une modernité d’acier [Figures 17-18]. La chaussée sur laquelle nous l’apercevons ensuite est déserte et son transfert à l’arrière-plan du cadre est contrebalancé par l’apparition d’une rame de métro qui s’avance en vrombissant vers la caméra. Pris au piège par les policiers qui se précipitent sur lui de toutes parts, il lève un regard fixe vers l’enchevêtrement de ferraille qui constitue sa seule issue de secours [Figures 19-20]. Avant qu’il n’atteigne le sommet, et précisément parce qu’il l’atteint, nous est donné à voir un époustouflant panorama du sud de l’île de Manhattan (tout du long, nous constatons que l’acteur Ted de Corsia était vraiment un bon grimpeur, car il grimpe pour de vrai sous nos yeux, comme a dû le faire le directeur de la photographie, William Daniels, lequel devait être perché plus haut encore). Cette scène dépasse de loin les vues aériennes sur lesquelles s’ouvre le film, car c’est une vue accessible à l’homme. Dassin cadre de plus une série de plans pris au-dessus de la tête de Garzah qui regarde dans le vide, presque à pic, nous offrant un aperçu des forces de l’ordre à peine visibles depuis la perspective du monument d’acier [Figure 21]. Plus haut encore, dépassant la tête d’un Garzah épuisé et avachi, nous bénéficions d’une plongée sur la demi-douzaine de courts de tennis de l’East River Park; les joueurs y sont semblables à des insectes, mais sont pourtant clairement visibles [Figure 22]. Garzah poursuit néanmoins son ascension et atteint finalement une plate-forme d’observation de laquelle Dassin le fait se tourner de 240 degrés, justifiant ainsi la saisie panoramique de l’horizon qu’effectue la caméra, englobant l’Empire State Building, brillant alors solitairement au cœur de la ville, les quartiers populaires du Lower East Side, ou encore les mastodontes de Wall Street [Figure 23-25]. Malgré le choix de gratte-ciels possibles sur lesquels se poser, c’est néanmoins sur la centrale électrique plus au nord du fleuve que vient s’arrêter la caméra [Figure 26]. Garzah, à ce moment, n’en voit rien – trop épuisé et en proie à la panique, il se vide de son sang à la suite d’une blessure par balle –, mais c’est son statut de criminel, ainsi que sa fuite frénétique, qui nous ont donné l’occasion de nous émerveiller face à ses vues de la ville. Nous avons là, résumé de manière claire et nette, tout le paradoxe des mystères : la meilleure vue et la plus grande connaissance de la ville et de ses mystères ne nous sont accessibles que si nous suivons les déambulations du meurtrier, car les forces de police, quant à elles, sont assignées à demeure le long de la chaussée, tandis que les gens ordinaires se trouvent encore plus éloignés de la scène principale. Comme pour souligner ce paradoxe, Dassin donne à voir la chute inéluctable de Garzah vers la mort à travers un cadre esthétique abstrait, moderniste [Figure 27]. Sans transition, il passe à un nouveau plan de Wall Street, aperçu au loin, comme s’il attendait que le corps passe devant la caméra [Figure 28]. À la place, c’est le perchoir sur lequel s’était trouvé Garzah l’instant d’avant. Le plan semble injustifié tandis que l’image se dissout progressivement, laissant place à la nuit, et la voix-off du début se fait entendre à nouveau pour nous dire que tout est si rapidement oublié, au moment où des images des principaux survivants du drame surgissent sous nos yeux, les unes à la suite des autres9.

Figure 17 : Garzah entame son ascension. The Naked City (1948).

Figure 18 : Garzah entre dans l’espace même du pont. The Naked City (1948).

Figure 19 : Garzah entame son ascension. The Naked City (1948).

Figure 20 : Garzah entame son ascension. The Naked City (1948).

Figure 21 : Vue d’en haut à travers l’armature de ferraille, The Naked City (1948).

Figure 22 : Vie quotidienne le long de East River, The Naked City (1948).

Figure 23 : Arrière-plan en panorama, The Naked City (1948).

Figure 24 : Arrière-plan en panorama, The Naked City (1948).

Figure 25 : Arrière-plan en panorama, The Naked City (1948).

Figure 26 : Encadrement par les fumées des cheminées de la centrale électrique sur East River, The Naked City (1948).

Figure 27 : L’infrastructure comme art constructiviste, The Naked City (1948).

Figure 28 : La perspective depuis le pont survit à la chute de Garzah, The Naked City (1948).

Arrêtons-nous pour réfléchir aux différents effets produits ici par la figure du pont. Le pont crée tout d’abord un effet spectaculaire, en accord avec la tradition de la scène de bravoure propre aux mystères. Il produit également un effet ironique propre au film noir : quels que soient les plaisirs que cette vie puisse offrir, le prix à payer est toujours trop élevé. Cela n’est pas sans rappeler un désir de réussite sous-jacent, que l’on retrouve même chez un voyou comme Garzah qui, avant de se retrouver mêlé à de menus (et pas si menus) délits, avait débuté comme joueur de catch à l’harmonica – on se rappelle le cri triomphant de Cagney du haut du réservoir d’essence à la fin de L’Enfer est à lui (White Heat, 1949) : « Suis au sommet du monde, Ma, j’y suis arrivé! », avant de disparaître dans une gigantesque boule de feu. Et cela suggère que l’espoir de la ville et des hommes pour lesquels fut érigé le pont se trouve toujours parmi les masses grouillantes du Lower East Side. Si les agents de police s’avèrent efficaces et performants, et on éprouve de la sympathie pour eux, ils restent néanmoins statiques. On ne trouve rien de comparable à cette perspective fugace dans les mystères du dix-neuvième siècle et il n’est pas censé y avoir quoi que ce soit de similaire dans le film noir, mais cette perspective s’inscrit dans la lignée des mystères qui émerge à la fin du vingtième siècle. Le pont qui écrase l’homme et fait de ses rêves (qu’ils soient de succès, ou tout simplement d’évasion) une vaste plaisanterie nous rappelle encore où ce dernier aurait pu finir. Le temps d’un instant, il le prend au sérieux et lui accorde pour ainsi dire une minute de silence, avant qu’il ne sombre dans la nuit à jamais.

Si, comme le propose à juste titre Dimendberg, le film noir classique recourt au genre des mystères pour documenter le moment où l’Amérique s’est éloignée des centres urbains, le dénouement manifeste des films met en valeur qu’il n’est pas si aisé de s’affranchir du fléau de la modernité ancré dans l’imaginaire urbain. L’argument sous-jacent des films noirs, et qui fait que l’on continue encore aujourd’hui à les regarder, est que ce même fléau comprend aussi tout ce qui, dans l’Amérique d’après-guerre, reste désirable et attractif, même si cela ne peut que s’exprimer à travers les ténèbres urbaines, comme le faisaient les mystères du dix-neuvième siècle10. Ponts et autres infrastructures fonctionnent ainsi comme contrepoints de cet argument, comme une affirmation de ce que cette société en ruine, en 1948, est toujours capable de faire, à savoir construire des ponts. Ce sublime industriel prodigue une leçon d’humilité, mais il perdure (en un sens, nous savons que même Cagney n'en fait sauter que quelques-uns parmi les centaines de réservoirs de pétrole du paysage industriel dans lequel il se trouve); il magnifie en même temps qu’il déprécie. À la différence des mystères du dix-neuvième siècle, le film noir américain ne s’intéresse pas tant au renouvellement urbain qu’aux traces physiques de l’ingénierie héroïque qui exerce sur lui une secrète fascination et qui survit longtemps après l’oubli des quartiers populaires qu’elle a fait raser et des vies qu’elle a coûtées.

Persistance des traces de la ville disparue dans le futur noir

On trouve peu de ponts fonctionnels dans le futur noir ou le cyberpunk (et peu d’infrastructures dans le néonoir, mais c’est là l’objet d’un autre essai); la cause ou l’événement qui a produit le monde que nous y découvrons a mis fin à tout lien entre passé, présent et futur. Le Los Angeles que donne à voir Ridley Scott dans Blade Runner (1982) est un bric-à-brac postmoderne (et, à ce point, un véritable cliché postmoderne). Ses tours sont encore plus dénuées d’âme que celles du Metropolis des années 1920; l’existence de ponts y est superflue, les véhicules se déplaçant sans effort à travers l’air, tandis que les nantis ont délaissé les banlieues pour s’exiler dans un monde « au-delà ». [Figures 29-30] Le seul lien conséquent de la ville au passé est des plus frappants : il s’agit du Bradbury Building, construit à la fin du dix-neuvième siècle, et qui figure dans un certain nombre de films noirs classiques. Il abrite ici le seul vestige d’émotion humaine du futur, à savoir le généticien J. F. Sebastian et les deux « répliquants » survivants qu’il décide de recueillir11. [Figures 31-34] L’espace de Sebastian (ne serait-ce que brièvement) constitue non seulement une enclave d’humanité au cœur d’un monde aliéné, il sert aussi de contrepoint communautaire à l’appartement, certes non aliéné, mais résolument solitaire, du blade runner Deckard. Cependant, Scott filme le Bradbury Building moins comme un décor de film noir que comme une enclave du dix-neuvième siècle; Sebastian y figure de manière étrange, bien qu’indéniable, un steampunk survivant péniblement dans un océan de pur futurisme12. Le premier plan de l’intérieur du bâtiment donne à voir la gigantesque toiture de verre et d’acier de l’immeuble, véritable vestige des passages intérieurs et des marchés couverts du dix-neuvième siècle; un dirigeable publicitaire du futur obscurcit néanmoins la vue [Figure 35]. L’immeuble de Sebastian est plein à craquer d’automates et d’engins sophistiqués bricolés, de toutes formes et de toutes tailles : précisément le genre de technologie inutile et désuète chère au mouvement steampunk. [Figure 36]

Figure 29 : Cadrer le nouveau Los Angeles de 2019, Blade Runner, (dir.) Ridley Scott, Ladd Company / Warner Brothers, 1982, Warner Home Video, 2013. DVD.

Figure 30 : Cadrer le nouveau Los Angeles de 2019, Blade Runner, (dir.) Ridley Scott, Ladd Company / Warner Brothers, 1982, Warner Home Video, 2013. DVD.

Figure 31 : Le Bradbury Building et son enseigne saillante dans le LA de 2019, Blade Runner (1982).

Figure 32 : La chute d’un corps motive un survol vertical de l’armature de fer de l’atrium,  Shockproof, (dir.) Douglas Sirk, Columbia Pictures, 1949, in The Samuel Fuller Film Collection, Sony Pictures, 2009. DVD.

Figure 33 : Le protagoniste  condamné rencontre son assassin dans les ombres intérieures du Bradbury Building, D.O.A., (dir.) Rudolph Maté, Cardinal Pictures, 1950, Image Entertainment, 2012. DVD.

Figure 34 : L’assassin d’enfants se refuge dans le Bradbury Building dans le remake, situé à Los Angeles, du film classique de Fritz Lang, M., (dir.) Joseph Losey, Superior Pictures, 1951, Nostalgia Family, 2015. DVD.

Figure 35 : La célèbre verrière de verre et de fer du Bradbury survit dans le futur, Blade Runner (1982).

Figure 36 : L’appartement/atelier de J. F. Sebastian, précurseur du steampunk, Blade Runner (1982).

Gardons néanmoins à l’esprit que ce doux créateur excentrique est aussi l’un des concepteurs principaux de la technologie de pointe qui anime les répliquants. Scott insiste sur ce fait en accentuant la ressemblance croissante du personnage Pris (jouée par Darryl Hannah) à un mannequin à mesure que se déroule le film jusqu’au point où, Deckard ayant suivi leur trace jusqu’à l’immeuble, elle est assise parmi les autres créations de Sebastian et s’anime comme transformée en une poupée quasiment mortelle – transposant sur le mode de la science-fiction la nouvelle de Hoffmann, « L’homme au sable » (1816) [Figure 37]. Dans ce Los Angeles de 2019, l’échelle humaine du Bradbury Building et sa technologie ordinaire en font le contrepoint souterrain de la sublime et colossale néoziggourat de la Tyrell Corporation. Si les mystères apparaissent puis disparaissent dans les hautes tours modernistes des bureaux de la corporation, le cœur et l’âme du film se situent au dix-neuvième siècle. Mais c’est un dix-neuvième siècle à bout de souffle que figure Blade Runner : à la fin, J. F., Pris et Roy sont tous morts, tandis que Deckard et Rachel font quant à eux face à un futur de courte durée, typique des protagonistes de films noirs. L’immeuble constitue pourtant ce qu’il y a de plus vivant dans cette société qui tourne à vide, c’est l’un des décors du film à exister à la fois dans le Los Angeles de 2019 et dans la ville telle qu’elle existe en 1982. C’est aussi le seul à garder dans chaque ville son nom et sa fonction propres; enfin, le seul capable de garantir une continuité historique ininterrompue à la ville, de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’au futur de 2019, coïncidant parfaitement avec l’inspiration utopique de l’architecte dans le roman d’anticipation d’Edward Bellamy, Looking Backward (Le Futur antérieur, 1887), ancré en l’an 2000. [Figure 38]

Figure 37 : Les répliquants  et leurs origines iconographiques, les automates du dix-neuvième siècle, Blade Runner (1982).

Figure 38 : Le Bradbury comme pont entre le passé, le présent et l’avenir, Blade Runner (1982).

Le Bradbury Building n’abaisse ni ne magnifie les acteurs des mystères urbains du film, il nous permet seulement de les distinguer de l’ensemble de cet univers d’anticipation. Fredric Jameson décrit l’espace utopique comme « une poche d’inactivité au cœur de l’agitation et des forces actives du changement social […] une enclave imaginaire au sein de l’espace social réel […] Mais c’est un dérivé aberrant », continue-t-il, « et ses conditions de possibilité dépendent de la formation momentanée d’une sorte de tourbillon ou de remous autonome au sein d’un processus plus vaste de différentiation et d’élan vers l’avant irréversible, qui accompagne ce dernier13 ». Selon Jameson, de telles enclaves se trouvent coupées de toute possibilité de changement, mais nous permettent pour cette raison précise de nous représenter des possibles différents hors de l’ordre normal du possible, autorisant par là même un imaginaire utopique. « De telles enclaves sont comme un corps étranger au cœur de l’espace social : en elles le processus de différenciation s’est momentanément suspendu de telle manière qu’elles demeurent pour ainsi dire momentanément hors du champ d’action du social et témoignent de son impuissance politique en même temps qu’elles fournissent un espace dans lequel élaborer et expérimenter de nouvelles visions imaginaires du social14 ».

« Corps étrangers au cœur de l’espace social » : cette formulation constitue une description pertinente des « répliquants » dans Blade Runner, ainsi que des citadins du film noir dans lequel les images d’infrastructure – notamment les ponts qui instaurent une relation que dénient les aléas de l’intrigue – travaillent à accommoder ce statut d’étranger. Dans le futur noir, c’est le passé lui-même qui constitue l’enclave utopique et assure plus ouvertement la mise en relation de l’intrigue de science-fiction et d’un fantasme plus mystérieux et plus puissant. C’est dire que l’intrigue du futur noir, de Blade Runner à Matrix, en passant par Children of God et District 9, vise à défendre la capacité d’agir des individus que menace l’emprise des machines, des corporations aliénantes, des gouvernements totalitaires, ou des trois à la fois. De même, l’intrigue des mystères urbains se fondait sur l’exhumation de secrets et la réparation des maux du monde. Ce qui rend ces corps étrangers au cœur de l’espace social si puissants est le fait que les mystères les ancrent dans des lieux bien réels de la ville, prenant en compte leur historicité et leur matérialité. Ainsi, dans le très lointain futur de la Metropolis de Lang, nous voyons le jeune héros Freder occupé à lire un livre publié au début des années 1920, ou encore dépassant une affiche inspirée par le Dadaïsme. L’historicité et la matérialité que laissent entrevoir les mystères nous rappellent que la ville, en soi palimpseste de strates temporelles, se compose aussi de corps étrangers à l’image du Bradbury Building. Ainsi, tandis que le film noir développe l’idée clé des mystères (et celle du néo-Marxisme de Jameson) selon laquelle la ville tisse une toile implacable de relations sociales inégales étroitement liées les unes aux autres, une autre idée s’y fait jour, bien que de manière moins directe et moins observable, selon laquelle, au cœur de cette ville, se trouvent d’innombrables vides, failles et brèches temporelles, qui font néanmoins partie de ce qui compose cette toile. Ainsi, l’intrigue de film noir sur laquelle repose Blade Runner consiste à éliminer rituellement, et à valoriser, l’image alternative du passé qu’incarnent les hommes artificiels du futur; mais elle revendique en même temps, à un niveau sous-jacent, cette image en tant que potentiel positif aperçu en négatif. Le Bradbury Building marque ce renversement.

Il serait tentant à cet égard de considérer Blade Runner et son enclave de nostalgie néovictorienne comme rétrogrades, si ce n’est que le court instant qu’il accorde au Bradbury Building nous apparaît aujourd’hui comme un présage du mouvement steampunk émergeant au cœurde visions postmodernes de la technologie.Car alors même que le steampunk renverse la relation des mystères à l’histoire de fond en comble, il signale en même temps une issue hors de l’anomie du futur noir entrevue dans le Bradbury Building. Les traces matérielles de la ville victorienne, aussi volatiles qu’elles soient au vingt et unième siècle, signalent néanmoins, et ce pour un laps de temps limité, la présence d’une sorte d’enclave à partir de laquelle penser la ville dans le présent à partir de ses mystères.

Le steampunk en Amérique au tournant du siècle

Le steampunk en tant que genre s’inscrit manifestement dans la tradition des mystères urbains de par sa fascination pour les menus détails de la vie urbaine et l’usage qu’il fait d’intrigues et de personnages galvaudés pour cartographierles facettes technologiques et spatiales de ses décors. Toutefois, si le recours à des cadres historiques se fait déjà au dix-neuvième siècle, la relation contrefactuelle que le steampunk instaure avec ces cadres est des plus nouvelles. Bien qu’il fonde ses fantasmes de monde alternatif sur des rêves de technologie au vrai conçus au cours du dix-neuvième siècle, le steampunk fera dérailler ces derniers au mépris des lois de la probabilité. Pensons aux Casse-Cou de Thomas Pynchon qui, suivant la théorie fétiche de la fin-de-siècle sur la terre creuse, empruntent un raccourci pour se rendre d’un pôle à l’autre ou se déplacent au-dessous du Sahara à bord d’un « vaisseau sous-sablin15 »; ou aux Nouveaux Vénitiens de Jean-Christophe Valtat qui dénigrent « la théorie de ce cinglé de Jakob Lorber [d’après un ouvrage spéculant sur le futur publié par le mystique en 1846] d’après laquelle le pôle Nord serait “la bouche de la terre” et le pôle Sud “le canal éliminatoire” » (ch.7, loc. 966-67) dans les rues d’une ville dont l’existence est rendue possible par une « Architecture Aérienne » capable de produire une atmosphère artificielle à partir du méthane extrait du permagel16.

Alors que le ressort narratif du « surnaturel expliqué », propre au roman gothique dont héritent les mystères, permettait à des évènements impossibles en soi d’exister, à condition que l’on puisse en rendre compte de manière rationnelle avant la clôture de l’intrigue, le steampunk se complaît dans son refus de tout dénouement réaliste. Plutôt que de fournir de banales explications à des événements extraordinairement improbables, le steampunk préfère ainsi octroyer d’une voix impassible des explications historiquement plausibles à des phénomènes d’une improbabilité sensationnelle. Par exemple, dans son roman Boneshaker (2009), Cherie Priest peuple le Seattle alternatif des années 1880 de Crapules zombies conçues à la suite d’une fuite de gaz pestifère causée par une foreuse steampunk à la pointe de la technologie, et déployée pour piller des chambres fortes. Plutôt que de rechercher les causes du fléau, que tout le monde connaît, l’intrigue examine l’écologie urbaine qui se développe dans la zone infestée de trois kilomètres carrés dans le centre-ville de Seattle et enclose derrière un gigantesque mur; le narcotique populaire dénommé le Fléau y est mis en circulation, et une bande d’étrangers au style de cowboy a tout juste commencé à gagner de quoi vivre parmi les zombies de ces nouveaux bas-fonds urbains. De manière similaire, Valtat part du postulat singulièrement improbable d’une ville prospère du cercle arctique quadrillée de canaux, dont l’évolution suit pourtant parfaitement les rêves fiévreux des symbolistes de la fin du dix-neuvième siècle et les rêves de technologie des débuts de l’électricité : « On ne pourrait, par quelque acrobatie mentale que ce soit, imaginer architecture moins adaptée à son environnement. Ville Idéale châtiée et excommuniée au fin fond du Pôle Nord pour son hybris de marbre,elle s’élevait, titanesque et folle de rage; ses boulevards, arches et palaces, formaient un vaste terrain de jeux pour les courants d’air qui miaulaient en s’aiguisant les griffes le long des façades qui tombaient en lambeaux » (ch. 5, loc. 623-25). Son univers diégétique intègre, comme phénomènes matériels, la sagesse inuite, des explorateurs arctiques morts-vivants, des rêves véridiques et Kiggertarpok, le kangourou polaire. Le steampunk peut se lire comme le déploiement de l’inconscient urbain du dix-neuvième siècle s’éveillant à l’historicité, comme si Le Livre des passages de Walter Benjamin  contenait en fait le plan des bouleversements qui allaient marquer le vingtième siècle, plutôt que les ruines de tout ce qui ne s’est pas produit pas comme prévu.

Le collectif radical établi dans le quartier du Lower-East Side de Manhattan sous le nom de Catastrophone Orchestra définit le steampunk comme « une critique non-luddite de la technologie » qui « rejette la dystopie hyper-tendance des cyberpunks – pluie noire et affectation nihiliste – tout en abandonnant simultanément le fantasme du “noble sauvage” de l’ère pré-technologique » (« Coloniser le passé pour mieux rêver le futur » loc. 36-37)17. Tous comme les mystères urbains, le steampunk affiche sans complexe une fascination pour les villes retorses qu’il conçoit et rend compte de ce penchant de manière digressive. Parfois, comme c’est le cas du Catastrophone Orchestra qui s’efforce par ses récits de revitaliser le genre victorien oublié du « seasonal » à l’adresse d’un Bas-Manhattan radicalisé, ou encore des fantasmagories fin-de-siècle de Valtat et de Pynchon, un goût de l’archive s’y fait jour, traduisant un effort lucide pour reconquérir les « délices » et « l’insatiable créativité » de la période, sans perdre de vue pour autant ses horreurs et ses injustices. La ville est à la fois l’emblème de la prolifération des délices et horreurs de la technologie en même temps que le garant de sa pertinence actuelle dans le monde d’aujourd’hui. D’une part, la ville est le lieu du plaisir et du possible, d’autre part, sur son existence même pèse constamment la menace des forces oppressives de l’autorité et de supervilains déments, souvent flanqués de forces surnaturelles qui mettent en danger la fabrique du multivers. Comme dans Matrix, la ville est le lieu d’un affrontement sur la signification de l’espace planétaire, figuré comme un affrontement ayant pour enjeu le droit à la ville héritée du vingtième siècle. Ce que le film noir présentait comme une lutte vaine contre un déclin visiblement inexorable et que le futur noir figurait comme la perte de la matérialité urbaine, le steampunk l’historicise, projetant la lutte dans le passé, au siècle où tout débuta, et affirmant, comme Benjamin l’avait fait, que la lutte doit être menée dans l’imaginaire du passé, alors même que les résultats se font sentir dans la réalité du présent. Dans le steampunk américain en particulier, l’heure de l’affrontement se situe à la fin du siècle, à l’heure où la lumière plus vive de l’électricité permit d’établir un récit unique de la ville et de la technologie industrielle, un récit d’emprise impériale, de standardisation et d’aliénation.

Il n’est pas surprenant que New York constitue le décor urbain le plus fréquent dans le steampunk. New Amsterdam d’Elizabeth Bear, par exemple, premier volume d’une série de mystères urbains mettant en scène le vampire-détective aristocrate Sebastian de Ulloa, convoque toute une série de clichés caractéristiques desrécits érotiques de la tradition gothique concentrés autour de la figure de Lady Abigail Irene Garrett, magicienne médico-légale de La Nouvelle-Amsterdam et royaliste invétérée, tout droit sortie d’un roman noir. Bear expose consciemment les différences d’attitude entre ancien et nouveau mondes dans un temps historique alternatif où la technologie magique surpasse celle aux rouages bien connus. Alors que Bear intègre nombre d’éléments caractéristiques des histoires de vampires actuelles au cadre victorien de sa fiction, Catastrophone Orchestra s’immerge plus directement et foncièrement dans les mystères comme genre du dix-neuvième siècle. Préférant à la forme longue du roman celle d’un recueil de nouvelles plus ou moins reliées les unes aux autres, leur fiction semble chercher à promener le lecteur dans le New York d’antan, l’entraînant à percevoir la ville de manière alternative. Ainsi, dans « Mère des Dépossédés » qui se tient un lendemain de Noël dans les années 1880, un groupe de gamins féroces surnommés les Nabots kidnappe un riche homme d’affaires, le traînant jusqu’à leur tanière, dans un complexe souterrain situé au-dessous des écuries désaffectées de la trente-cinquième rue. « Il n’était qu’à quelques mètres de son bureau », peut-on lire, « mais c’était déjà un autre monde » (loc. 551). Les Nabots attendent de lui qu’il guérisse Mama, une femme-à-vapeur savamment conçue, dont les pièces métalliques variées furent soigneusement assemblées par un horloger au grand cœur; on apprend que certaines pièces proviennent de la « Métallurgie Schneider et Harlowe, le plus large atelier de la côte Est » (loc. 593) à la tête duquel avait été autrefois l’homme d’affaires kidnappé. Désormais retraité, Chester Harlowe s’absorbe plus que jamais dans la tâche de réparer l’automate, mais est interrompu par une intervention de police. Le schéma du type « si seulement les riches savaient… » se complique sous l’effet de deux topoï steampunk : la figure de Mama, d’une part, qui, pendant des années, a servi de Fagin bienveillant pour plusieurs générations de gamins perdus; Harlowe, d’autre part qui se découvre une conscience sociale en utilisant ses mains et son esprit à la remise en marche de l’automate. Les secrets dans le cas présent, plutôt que de fonctionner comme allégorie sociale, révèlent une signification immédiate et positive. Pour reprendre les mots du Professeur Calamité, dont la voix d’accro à l’opium berce les pages du dernier essai, « Ma machine, mon camarade », « toutes les machines, mécaniques ou autres, proviennent avant tout du monde physique – ainsi que nous tous – et sont par conséquent investies d’une existence, profonde et immanente, qui commande le respect, qu’il s’agisse d’une rivière, d’un enfant, ou encore d’une batteuse à vapeur » (loc. 2087-88). Le secret que découvre Catastrophone Orchestra dans le New York du dix-neuvième siècle et que transmettent les mystères urbains est une relation autre à la technologie et à la nature. Le « monde au loin… juste sous nos pieds » du dix-neuvième siècle et dont nous avons hérité apparaît comme le monde utopique que nous avons laissé derrière, enseveli.

Bien que le royalisme romantique du vampire steampunk de Bear et l’utopisme anarchique de Catastrophone Orchestra se situent historiquement en amont des débuts de l’électricité, le steampunk new-yorkais a, pour la majeure partie,largement recours à l’électricité et s’inscrit principalement dans les premières décennies du siècle suivant. Cela s’explique par  l’imaginaire moderniste de la ville de New York,et ces villes en reprennent les termes : protagonistes noirs, juifs et irlandais, gangsters et superhéros précurseurs, et nombre de monstres extraterrestres issus du mythe de Cthulhu élaboré dans les années 1920 par l’écrivain d’horreur, H. P. Lovecraft, en guise d’apothéose grand-guignolesque. Je vais montrer que ce sont les éléments les plus incongrus de cet imaginaire moderniste qui fondent l’approche révisionniste du steampunk, comparée aux différentes voies empruntées par le film noir, le futur noir et le cyberpunk à partir des mystères urbains.

La série des Joe Golem (2012) de l’écrivain Mike Mignola et de l’illustrateur Christopher Golden, reconnaît explicitement sa dette envers le dix-neuvième siècle en associant le héros réincarné Golem à M. Church, un gentleman détective à la Sherlock Holmes du Londres fin de siècle, et qui s’est maintenu en vie pendant des décennies grâce à des prothèses à vapeur. Comme cela est souvent le cas dans le steampunk, le cadre temporel ne s’inscrit pas dans le présent, mais dans une époque éloignée du passé qui permet de déterminer la référence historique principale. Il s’agit, dans le cas présent, d’un tremblement de terre et d’un déluge « cataclysmiques » qui eurent lieu en 1925, mais épargnèrent les beaux quartiers et transformèrent le bas-Manhattan en une Venise des bas-fonds. À la manière des mystères classiques, l’apogée a lieu sous terre, dans la tanière labyrinthique qui s’étend à partir de la station de métro du vieil hôtel de ville où le dément Docteur Cocteau en appelle à un Grand Ancien comme chez Lovecraft, pour lui permettre de passer dans une autre dimension via une faille spatio-temporelle. « Il n’avait que de brefs aperçus de l’entrée d’une large grotte gravée dans le schiste qui constituait la roche mère de Manhattan. Le sous-marin se faufila dans l’univers souterrain dissimulé de la ville. Il vit d’impressionnantes barres de fer et des blocs de pierre, et un mystère se révéla à lui. Ils se trouvaient dans des égouts immergés, vieux de plusieurs siècles, dont ni lui ni Church ne soupçonnaient l’existence. Le Hollandais, pensa-t-il. Dans le passé, au dix-septième siècle, New York était la Nouvelle Amsterdam, sous législation hollandaise. Ça devait être eux, en quelque sorte18». Prévenir la fin du monde a pour effet collatéral d’inonder l’autre moitié de New York, offrant aux occupants des bas quartiers – leur talent au parkour perfectionné par le réseau de ponts délabrés en perpétuel mouvement, par les embarcations perforées et les fenêtres à demi submergées de la Ville Engloutie – un avantage momentané sur leurs voisins privilégiés. « S’ils voulaient survivre », fait remarquer le jeune protagoniste, « les gens devraient aller vers le Sud » (p. 266).

Dans Empire State (2012) et sa suite, The Age Atomic (2013)19, d’Adam Christopher, le point divergent a lieu quelques années plus tard, en 1930, lorsqu’une faille spatio-temporelle ouverte par un superhéros transforme Manhattan en une bulle qui n’est accessible (en quelque sorte) que par la « Fissure » dans Battery Park, lequel fournit – par un jeu de mots urbain inspiré – du courant électrique à l’Empire State, ainsi qu’est nommé ce New York alternatif. Cet univers dystopique (mais aussi, en fin de compte, utopique) n’est surtout qu’images à sensation, poudre aux yeux, clichés et néant. Néanmoins, la « déchirure spatio-temporelle » (ch. 29, loc. 2901), quant à elle, illustre très clairement les contradictions propres à l’espace urbain qu’explorent fructueusement les mystères urbains depuis les années 1840, plus particulièrement l’impossibilité d’une coexistence parfaite de tous les espaces urbains. « La Poche. Rien qu’à l’entendre, c’était ridicule. L’Empire State était une ville, un gigantesque et tentaculaire complexe industriel, débordant d’hommes et d’infrastructures, de rues et d’immeubles. Une ville impossible sans histoire. Une ville sans ressources à l’économie impossible. Quelle quantité d’air y avait-il dans la Poche? D’où la nourriture provenait-elle? Le courant? C’était peut-être effectivement de la magie, la conséquence d’être retenu par – d’être un reflet de – l’Origine – ce que l’Origine avait créé ou produit,ainsi cela se reflétait dans la Fissure » (ch. 33, loc. 3411). Tout comme The City and the City de China Miéville, un roman noir de fantaisie situé à l’époque de la Guerre froide, Empire State réinvestit le topos des mystères concernant l’interdépendance des deux moitiés de la ville et l’impossible distance qui les sépare pour le transformer en une idée métaphysique. C’est un topos qui reste cependant ancré dans l’iconographie familière du passé urbain, alors même qu’il convoque des êtres, des lieux et des choses qui n’avaient seulement existé que dans l’imaginaire de ce passé.

Le New York de Pynchon se trouve lui aussi en prise avec une force digne de l’imaginaire de Lovecraft aux alentours de la fin de siècle, « une Figure aux pouvoirs surnaturels » (Against the Day, p. 151)20. Cette figure, recueillie sous forme de météore dans l’arctique, est, aux dires d’un conseiller eskimo et d’une équipe d’experts scientifiques, capable d’adaptation à son environnement urbain et sanctionne le manque de respect qu’on lui a montré par un « châtiment… plus adapté au nouvel environnement – feu, ravage des structures, terreur populaire, perturbation des services généraux » à la place des « châtiments habituels – gel, tempêtes de neige, fantômes malveillants » (p. 151). Contrairement à ce qui se produit dans les récits steampunk traditionnels, la catastrophe n’est pas évitée et elle frappe la ville de plein fouet, détruisant à égale mesure infrastructures et contraintes sociales. Comme dans les récits de l’histoire américaine que Pynchon transforme à sa manière dans Contre-jour (Against the Day), la ville de New York survit, aussi bien l’île de Manhattan que les municipalités intégrées plus récemment, ce « territoire au-delà du pont ». Pour autant, elle porte les cicatrices de ce traumatisme comme s’il s’agissait d’un péché originel inscrivant la trace de son éloignement des idéaux du dix-neuvième siècle, et de son entrée dans le monde déchu du vingtième siècle : « Ainsi, la ville devint l’expression physique d’une perte de l’innocence particulière – une innocence ni sexuelle, ni politique, mais comme un rêve partagé de ce qu’une ville au meilleur d’elle-même aurait pu être –, ses habitants devinrent, et demeurèrent, une race amnésique aigrie, blessée, mais incapable de se relier, par le biais de la mémoire, au moment de la blessure, incapable de convoquer le visage de son agresseur » (p. 153). Il ne s’agit pas tant ici d’un point de divergence qui ouvrirait sur une histoire alternative que de la répétition de l’inscription d’un monde alternatif au cœur de celui que l’on pensait connaître. Pynchon donne à voir ce processus par l’expérience de Hunter Penhallow, l’un des membres de l’expédition responsable du désastre, pour qui la ville, cette nuit-là, prend des airs de mystère urbain : « Il se trouva tout à coup perdu dans un coin de la ville qui ne lui était pas familier – le quadrillage de rues numérotées qu’Hunter pensait avoir compris ne rimait plus à rien. Le quadrillage avait en fait été déformé, devenant l’expression de besoins municipaux d’un autre temps, avec ses rues qui n’étaient désormais plus numérotées de façon séquentielle, se croisaient à angles inattendus, se rétrécissaient en de longs passages informes menant nulle part, grimpaient et dévalaient de manière abrupte les flancs des collines que l’on n’avait pas remarquées jusqu’alors » (p. 154). Au lieu de découvrir les secrets qui permettraient à la ville de fonctionner et de corriger ses erreurs, Penhallow se trouve plongé dans « un mystère opaque », confronté à une ville intime, « ancienne » et « étrangère », abritant un groupe de personnes rassemblées là dans le seul but d’en sortir. Penhallow se joint à eux à bord d’un « étrange convoyage de masse » qui voyage à travers tout un réseau de tunnels, se déplaçant de ce qui semble avoir été le lointain passé de New York (ou peut-être de la Ville au sens large, surtout si l’on considère que la scène ressemble en de nombreux points au Blitz de Londres sur lequel s’ouvre Gravity’s Rainbow), non seulement en direction d’un refuge, mais aussi en direction de son futur (p. 155). Nous retrouvons ensuite Penhallow, une centaine de pages plus loin, « cherchant à s’abriter du temps » à Venise (p. 576).

On ne peut pas à proprement parler inscrire Against the Day dans le genre des mystères urbains. Pour reprendre la formulation d’Ickstadt, « bien que les mystères n’y manquent pas, le texte lui-même est moins mystérieux, et par conséquent moins “difficile”, que ses prédécesseurs. Il met moins à l’épreuve l’adresse herméneutique de son lecteur que sa bonne volonté à suivre les retournements spatiaux et les bonds temporels effectués du récit21 ». Pourtant, en raison de la manière dont il combine tant d’espace-temps différents tout droit sortis de trente ans d’Americana, il pourrait bien s’intituler Les Mystères des E. U. d’A., surtout si l’on considère que c’est au cours de ces années que les ambitions de l’Amérique prirent un tour résolument mondial22. Le seul texte du dix-neuvième siècle auquel il ressemble par la magnitude de son champ spatio-temporelserait Underground; orLife Below the Surface de Thomas Wallace Knox, compendium de mille pages de souterrains littéraux et métaphoriques qui applique le genre des mystères de la vraie vie à une échelle mondiale23. Mais ce qui intéresse Pynchon avant toute autre chose c’est d’offrir aux mystères un cadre nouveau plutôt que de les renouveler, et il recourt aux tropes caractéristiques des mystères comme à d’autres importants marqueurs de changement. En d’autres termes, s’il existe un point de divergence historique, il se situe quelque part au cours des décennies que couvre le roman,de l’Exposition universelle de Chicago de 1893 sur laquelle il s’ouvre, à sa clôture dans le Paris et le Lwow des années 1920. Il me semble que nous pouvons à présent avancer une explication provisoire de la fonction remplie par le recours du steampunk américain de l’ère-du-néant à une période ultérieure en le reliant à ses emprunts aux mystères et à l’inclusion systématique d’un surnaturel apocalyptique au cœur du récit (au-delà de la commune utilité générique de chacun).

Aborder une réflexion sur le présent des villes américaines par la période s’étendant des années 1880 aux années 1920 semble un choix cohérent. Le Seattle de Cherie Priest ne devint une très grande ville que vers la fin du siècle, au même moment où Chicago et New York commençaient à rivaliser avec les capitales européennes sur le devant de la scène mondiale. Le steampunk londonien tend à faire appel à l’époque victorienne et aux tropes des mystères de cette époque afin de formuler une réponse idiosyncratique, personnalisée et autochtone à la première révolution industrielle24. Le steampunk fin-de-siècle, et, en particulier, celui des villes américaines, s’intéresse au tournant de la mondialisation et aux différentes formes de répression et d’aliénation qui en résultent. Nous ne devrions pas perdre de vue que, malgré l’impression qu’ils donnent d’appartenir à une réalité autre que celle du modernisme, les Grands Anciens de Lovecraft sont le fruit d’un auteur qui publie abondamment à la même époque, de 1917 à sa mort en 1936. Face à un monde en pleine mutation, la réponse de Lovecraft, qui est le contemporain de Raymond Chandler et Dashiell Hammett à quelques années près, n’est pas d’offrir une résistance don-quichottesque à la corruption et à l’aliénation urbaines typiques du roman policier, mais plutôt d’enrichir la dichotomie caractéristique des mystères urbains entre normalité de surface et secrets souterrains en l’élargissant à un niveau cosmique et multidimensionnel. Le film noir réussit à montrer à quel point le mode d’appréhension de la ville en tant que mystère, caractéristique du roman policier, pouvait être puissant. L’histoire y était présentée comme une impasse existentielle, alors que toute résolution diégétique, ne serait-ce que momentanée, était rejetée en faveur du tourment, puis de la mort, de toute âme assez malchanceuse pour se retrouver par mégarde dans les rues obscures tapies aux côtés de celles du monde officiellement normal. Comme je l’ai démontré plus haut, la seule lueur d’espoir, autant dans le film noir que dans le futur noir (bien moins, cependant), s’incarnait dans les traces visibles de l’infrastructure urbaine, dans ces mêmes ponts des décennies d’avant-guerre qui avaient engendré le désespoir caractéristique du genre.

Jameson définit le genre de la « fantasy » (le fantastique) négativement, comme un attachement à la disparition de la nature, de la religion, et de toutes solutions utopiques positives. La science-fiction, à l’opposé, se caractérise par une adhésion à la technologie, la critique et l’utopie au sens que lui donne Adorno : ce qui ne saurait être entrevu que négativement dans quelque futur25. Cette dichotomie n’est pas totalement fausse, mais il me semble que l’on peut interpréter de manière plus fructueuse les dernières découvertes dans les deux genres – en particulier la façon dont le steampunk associe éléments de science-fiction et de « fantasy » de manières imprévues – si l’on dépasse le jugement de valeur vis-à-vis de la question du « refuge dans la fiction » et de l’« authenticité » pour arriver à une formulation dialectique qui permettra également d’expliquer en quoi le steampunk s’apparente aux mystères urbains. Je corrigerai donc la formulation de Jameson en ces termes : tandis que la « fantasy », en tant que version positive des littératures à sensation d’horreur ou d’exploitation, postule l’existence de nouveaux phénomènes en termes de leur pouvoir immédiat dans le présent, sans expliciter les moyens d’y accéder dans la pratique (d’où le recours à la magie, à l’occulte, à la métaphysique), la science-fiction a quant à elle recours à la technologie afin de rendre compte des moyens d’y accéder dans la pratique, mais a néanmoins besoin de la reporter quelque part dans le futur, là où elle pourrait peut-être exister. Dans les premiers mystères urbains, la technologie était si riche de potentiel qu’aucun de ces deux modes n’était nécessaire à sa représentation du présent : on l’y voit intégrée dans le contexte des mystères de la vie réelle, et en tant que rapide changement urbain auquel répondent les mystères. La science-fiction et le fantastique sous leur forme actuelle sont tous deux apparues à la fin du dix-neuvième siècle, chacune fournissant des modèles génériques particuliers capables de représenter le changement à une échelle planétaire.

Comme je l’ai affirmé ailleurs, le steampunk classique s’intéresse moins à l’époque victorienne en tant que telle qu’à la question de savoir comment nous en avons hérité par le biais des modernistes26. Le steampunk américain de la dernière décennie quant à lui semble s’intéresser davantage à la nécessité d’arracher le genre des mystères et ses cadres urbains au monde existentiellement déchu du film noir et aux futurs sans lendemains de films néonoirs comme Blade Runner. Le recours à des dieux extra-terrestres incroyablement puissants, physiquement inimaginables et totalement amoraux, tels qu’on en trouve dans l’univers de Lovecraft, signale une foi renouvelée en la technologie qui se double d’une prise de conscience de la faible connaissance que nous avons des forces que nous mobilisons. Comme les mystères urbains, le steampunk postule l’existence d’espaces familiers – les technologies indigènes du steampunk qui se maintiennent dans les limites de la métaphysique – et d’espaces inconnaissables – les lieux du pouvoir réel que les mystères suggèrent, mais ne représentent pas. Ainsi donc, d’une part ces nouveaux mystères urbains ont trouvé une manière de figurer la teneur impénétrable des technologies et des flux planétaires actuels; mais d’autre part, ils ne peuvent les figurer que selon les termes fantastiques (mais non moins puissants et souvent terrifiants) du mythe de Cthulhu et autres arcanes païens auxquels est lié ce dernier. Pynchon les intègre presque comme forces actives au sein d’un espace-temps viable, ce qui entraîne le rejet de la ville comme force positive. Malgré toutes ses fautes et ses contradictions, le steampunk fournit au vingt et unième siècle une préhistoire selon des modalités dont la différence par rapport à la veine réaliste qui anime les mystères urbains, le roman policier, le film noir, le futur noir et le cyberpunk, a quelque chose de vivifiant, même s’il s’agit d’une histoire qui est aussi redevable, bien que différemment, aux cadres urbains des mystères.

(American University)

Traduit de l’anglais par Frédérique Guy et Catherine Nesci

[EN] City Settings: American Urban Mysteries from Film Noir to Steampunk

“This is a great big beautiful city. Just try and find me.”
(Willie Garzah in Naked City [1948])

This chapter surveys tropes of the nineteenth-century novel of urban mysteries as translated into the United States from the second half of the twentieth century to the present27. My focus is on changing temporalities in the use of urban settings in popular culture genres from postwar film noir (1940s to 1960s) through future noir (1980s to 2000s) to the alternative history mysteries of steampunk (2000s to the present). I begin with a look back at the trajectory of the dark city from film noir through future noir that I traced in chapter three of Metropolis on the Styx (211–19). Classic noir employed the mythic iconography of the crumbling city and its fallen and amoral inhabitants to challenge the ideology of postwar prosperity and domesticity. Future noir, inaugurated by Ridley Scott’s influential dystopian Los Angeles of 2019 in Blade Runner (1982) and epitomized in the Wachowski siblings’ Matrix series (1999–2003), employed archetypal noir cities as emblems of a desired, authentic past that could only be recognized negatively in a degraded present projected into the future. Rather than focus on that reading, however, I want to draw out the presence of an alternate thread from the urban mysteries that is visible around the margins and in the background settings of the noir trajectory, but which emerges fully in steampunk. This emergence in steampunk then makes it easier to see that the same thread had also always been present in the other trajectory. Rather than a recidivist urban underworld existing around the reader in the present, steampunk novels posit the past itself as the mysterious spaces into which their fictions lead us. Recourse to the urban past, which ranges from the original mid-nineteenth-century period of the first urban mysteries through to prohibition-era New York, suggests that at the present moment, rather than a displaced space in the present, the truths sought by the urban mysteries are to be found in an alternate imagination of the city’s own history and that the mode of fantasy is a necessary tool for finding them.

As a genre, urban mysteries have tended to combine a critical function with a mystifying representation of urban time and space. So, on the one hand the plotting of the mysteries unearths buried secrets and hard truths about urban crime and corruption, but on the other hand it sources them in a space apart from the “normal” city in which they actually exist. On the one hand, the mysteries are resolutely contemporary in their concern with urban infrastructure and urban renewal, but on the other hand, they mediate this concern through the scandals and anxieties of a prior generation. The mysteries have long been a key genre for the expression of dissent and alternate modes of thinking and experiencing the city, but are generally constrained by generic conventions to expressing those thoughts and experiences in negative, violent, and destructive terms. The American translation of the urban mysteries follows this pattern, and in its twentieth-century manifestations has proven to be substantially more influential than analogous European versions. This is partly because cinema dominated the urban mysteries genre in the twentieth century and—in a not wholly unrelated phenomenon—partly because American cities dominated the global urban imaginary during much of the twentieth century.

What interests me about steampunk in this context is that it marks a new development in the history of the urban mysteries genre, for it turns the temporality of the urban mysteries inside out. Rather than the familiar tension between slumming nostalgia and modernizing improvement, steampunk rejects progress either as a plot device or as a question of urbanism. Instead, it returns to the original cities of the urban mysteries in order to seek a whole new set of secrets that would always have been there but that only now are ready to have been unearthed. What had been a spatial trope within the diegetic city of the nineteenth-century mysteries—the spaces hidden just beneath or around the corner from the familiar city—becomes a temporal one—the spaces hidden in the interstices or paths not taken of an urban past that we thought we knew.28 To be sure, steampunk fictions retain the verticalized spatial dynamics of the urban mysteries, but they recast the reader’s relationship to those dynamics, proposing a relationship to historical agency that is simultaneously more direct—the past is something we have direct access to in a way that we often do not have to spaces of power—and less immediate than in the urban mysteries. This happens not only because the steampunk narrative depends on a history that has developed differently than ours did, but also because the steampunk resolution of narrative contradictions throws in a heavy dose of counterfactual fantasy along with the wishful thinking typical of urban mysteries.

It is a commonplace about America that it has neither history nor a sense of history, and film noir, future noir, and steampunk all partake of this sentiment. However, this sentiment tends to manifest itself combatively, in the determined if not desperate (in both a narrative and an epistemological sense) attempt to discover history in the American city. Or, put differently, the attempt to discover history is a trope for the question of whether subjectivity and agency are possible in the modern American city. Until recently, the usual reading of the noir tradition would have answered that question with a resounding “no,” framed by such familiar noir phrasings as “fatalism,” “dark visions,” and “nightmares.”29  But I want to read this tradition against the critical grain. So, in classic film noir, I examine images of the bridge as an aspirational piece of urban infrastructure that mocks the dead even as it asserts the survival of their dreams beyond death. Then, in the future noir of the nineteen-eighties and ’nineties, I argue that it is the traces of the old city itself, somehow enduring into an unrecognizable and denatured future, that continue to raise the possibility of subjectivity and agency even as the newer city around them appears to deny it. And in steampunk, we are now able easily (almost too easily) to find the past that would have led to a non-alienated future; the challenge is how to remove that past from the realm of fantasy, to bridge the gap between possible histories and historical possibility.

Finding the Bridges in Classic Noir

In Metropolis on the Styx, I argued that “Film noir documented the transformation of the city from the productive center of representations of space it had previously been to an archetypal underground—the waste heap of prewar dreams, wishes, hopes, and representations, left behind as capital began its move out of the Western factories and workshops and into the third world, the service economy, and the world of leisure and branding.” (214) I still agree with that statement, but I also think it can be refined with a closer look at the tropes it uses to represent what was left behind, the ways in which it simultaneously incorporates the noir protagonist into the urban space and asserts the space’s independence from and survival beyond the trajectory of his doomed life. So, if the literal undergrounds in film noir signal absolute alienation and the stylistic undergrounds of chiaroscuro shadows signal encroaching darkness, we also find tropes of enduring infrastructure, such as the bridges that manifest themselves periodically in the conclusions of noir films, tropes that remind us of the enduring utopianism of that same darkness-producing modernity.

Perhaps more than any other element of urban modernity—and certainly more visibly than any other element—the suspension bridge embodies its utopian and egalitarian aspirations [Figure 1]. Especially in America, where the construction of monumental bridges accompanied the rise of cities like New York or San Francisco to world status, the completed bridge signifies a federalist ideal of discrete but interlocking parts, a sun-drenched latticework of steel and stone hanging as if in mid-air but resting on solid foundations. The nineteenth-century mysteries have little time for the often older and less spectacular bridges of London or Paris, except as places to jump or be thrown off or for the arches and shadows they create beneath them. But noir is fascinated by them, and in the way of the urban mysteries to the cityscape, for they appear not as integral to the plot but incidentally and almost as distractions to it, and as an almost direct address to the viewer’s anomalous place in a dark and alienated scene in which she would otherwise have none. [Figures 2-3]

Depending upon the relationship of the film’s narrative with forces of authority—the degree of its cynicism, you might say—the trope of the bridge is inflected differently. In the conclusion of soon-to-be-blacklisted director Abraham Polonsky’s Force of Evil (1948), John Garfield’s ambitious young lawyer finds the body of his elder brother, a small-time “banker” for racetrack betting, dead at the base of a foundation tower of the George Washington Bridge. Polonsky devotes two full minutes of this short film to Joe Morse’s long and spectacular descent from Washington Heights down to the riverside. “I just kept going down and down there,” Joe’s voiceover tells us, “It was like going down to the bottom of the world. To find my brother.” Dwarfed as he is by forces beyond his control, Joe nevertheless is able in this setting also to recover his lost humanity. [Figures 4-8] The final shot of the film frames him with the girl who, along with his brother’s common decency, has saved him from the noir protagonist’s usual fate, between two icons of infrastructural support: the bridge, opened in 1931, and the Little Red Lighthouse, placed here in 1921 and immortalized in a children’s book a few years before Polonsky filmed it [Figure 9]. The descent is as devastating an image as any to be found in classic noir, but Polonsky shows us the way out of it again, the two characters arm in arm, turning their backs on the noir world and on us, and walking instead into the world of the lighthouse and the bridge.

Figure 1 : Beneath the Golden Gate Bridge in Vertigo. Alfred Hitchcock Productions / Paramount, 1958. Dir. Alfred Hitchcock. Universal Studios Home Entertainment, 2012. DVD.

Figure 2 : The Golden Gate Bridge ushers Humphrey Bogart’s escaped convict to the relative safety of Lauren Bacall’s San Francisco in Dark Passage (1947). Warner Brothers, 1947. Dir. Delmer Daves. Warner Home Video, 2006. DVD.

Figure 3 : The Brooklyn Bridge back-projected into the window of the South Street shanty of Richard Widmark’s pickpocket in Pickup on South Street. Twentieth Century Fox, 1953. Dir. Samuel Fuller. Criterion, 2004. DVD.

Figure 4 : Down to “the bottom of the world” at the foot of the George Washington Bridge….  Force of Evil (1948). Enterprise Studios / Metro-Goldwyn-Mayer, 1948. Dir. Abraham Polonsky. Olive Films, 2012. DVD.

Figure 5 : Force of Evil (1948).

Figure 6 : Force of Evil (1948).

Figure 7 : Force of Evil (1948).

Figure 8 : Force of Evil (1948).

Figure 9 : … and back out again into the world. Force of Evil (1948).

Perhaps the most spectacular bridge sequence in film noir, the denouement of Jules Dassin’s 1948 noir The Naked City, was shot on Manhattan’s Williamsburg Bridge, erected across the East River between 1896 and 1903 [Figure 10]. Dassin’s film adroitly captures the mysteries’ tension between urban anonymity and the unknowability of modernity—the impossibility of finding a criminal in New York—and the singularity of individuals that allows the police to succeed in their search for a murderer. A left-wing filmmaker who would soon flee the blacklist to exile in Europe, Dassin subtly but sharply distinguishes between the social spaces of working people and those of the wealthy or would-be wealthy, all of the latter mendacious in character, isolated in their apartments, and graspingly materialistic in their desires.30 In contrast, Willie Garzah’s Lower East Side teems with a sympathetic and ethnically diverse social life, which Dassin uses to humanize his antagonist [Figures 11-12]. Garzah may be a cold-blooded murderer, but he is also remembered complacently in the coffee shop, familiar to the kids, and associated by everybody in the neighborhood as the man who plays the harmonica.31 At second-hand, he is a picturesque character more than a killer, picturesque enough that he could easily have figured in photographer Weegee’s tabloid photographs of life in New York, collected in 1945 in the book from which producer Mark Hellinger got the title for Dassin’s film. Even the narrator begs Garzah at the entrance to the bridge to save himself by keeping his cool and fading into the crowd. Instead, he brutally shoots a blind man’s dog, our sympathy immediately shifts back around to the forces of law and order, and our attention refocuses on the bridge itself as we intuitively recognize that, according to the laws of movie morality, he will soon be dead. [Figure 13]

Figure 10 : Looking south from the Williamsburg to the Manhattan and Brooklyn Bridges. The Naked City (1948). Universal, 1948. Dir. Jules Dassin. Criterion, 2007. DVD.

Figure 11 : Willie Garzah (Ted de Corsia) on Delancey Street in the Lower East Side. The Naked City (1948).

Figure 12 : Willie Garzah (Ted de Corsia) on Delancey Street in the Lower East Side. The Naked City (1948).

Figure 13 : Garzah definitively loses audience sympathy for the underdog. The Naked City (1948).

The cops, too, demand our sympathy, especially Barry Fitzgerald’s crusty old detective Muldoon. Unlike the old-school Muldoon, whose tiny apartment is just a step up from a tenement, his callow young partner Jimmy Halloran lives in a cozy house in suburban Queens. He is the wave of the future, and it is no surprise that Garzah easily outwits Halloran in an apartment showdown before even the camera abandons him, again, in favor of the bridge. Let’s take a close look at the bridge, as the camera implores us to do. [Figures 14-16]. First of all, it forms an extension of, and an improvement on, the neighborhood it emerges from. Dassin films it full of kids skating and other people at leisure, a street without traffic, only for pedestrians, like a city park. The camera frames Garzah and Halloran in medium shot running towards the camera so that we can study their physical exertion at the same time as we can watch in passing the park-like activity along the bridge. They must negotiate a spinning jump rope spanning the walkway, any number of baby carriages, a clutch of roller skaters, and some boys playing on a wagon as if it were a cannon. In case we forget why they are running so hard, each keeps in his hand a waving pistol, the stuff of urban mysteries right in the middle of the mundane activities of a hot summer day in the crowded slum.

Figure 14 : Public space on the Williamsburg Bridge: the original esplanade. The Naked City (1948).

Figure 15 : Public space on the Williamsburg Bridge: the original esplanade. The Naked City (1948).

Figure 16 : Public space on the Williamsburg Bridge: the original esplanade. The Naked City (1948).

Then Garzah reaches the first tower and the dynamic switches from the horizontality of everyday life to the verticality of spectacular infrastructure and wrought iron modernity [Figures 17-18]. The next walkway we see him on is empty and his passage into the back of the frame is balanced by a subway train roaring towards the camera. Trapped by police rushing at him from both sides, he stares up into the lattice work that represents his only escape [Figures 19-20]. By the time he reaches the top, and because he reaches the top, we are granted stunning vistas of the lower half of Manhattan island (all the while wondering in the back of our minds just how good a climber Ted de Corsia was—he is doing it for real, as, presumably, was the director of photography William Daniels, who had to have been even higher up). It easily tops the stock aerial footage that opens the film because it is a humanly accessible view. Moreover, Dassin frames several shots from above Garzah’s head looking almost straight down: we glimpse the lawmen barely visible amid the ironwork perspective [Figure 21]. Higher up, we see beyond the back of the head of a slouched, exhausted Garzah far down onto a half-dozen East River Park tennis courts, the players like insects, but clearly visible [Figure 22]. And still Garzah climbs. He finally reaches an observation platform, and Dassin makes him stumble a good 240° to motivate the camera’s full panorama of the skyline, from the Empire State Building in its then solitary midtown glory past the tenements of the Lower East Side and down to the behemoths of Wall Street [Figures 23-25]. With all the skyscrapers to choose from, however, the camera comes to rest instead on the power station northward along the river [Figure 26]. Now Garzah doesn’t see any of it—he’s too exhausted and panicked and he’s bleeding out from a bullet wound—but his criminality and his mad flight are what enable us to marvel in passing at the views. This is a neat encapsulation of the mysteries paradox: the best view and the most knowledge of the city and its secrets are only available to us if we follow the murderer, for the police stay down at the roadway level, and the everyday people are even more distant from the scene. As if to stress the paradox, Dassin frames Garzah’s plummet to his death through an abstract, modernist gridwork. [Figure 27] He cuts to a new shot of distant Wall Street, as if waiting for the body to fall past it. [Figure 28] But instead it’s the perch where Garzah had been, and so the shot is wholly unmotivated as the image dissolves into nighttime and the opening voiceover returns to tell us how quickly it is all forgotten as images of the surviving principals of the drama flash by us, one after the other.32

Figure 17 : Garzah enters the bridge’s own space. The Naked City (1948).

Figure 18 : Garzah begins his ascent. The Naked City (1948).

Figure 19 : Garzah begins his ascent. The Naked City (1948).

Figure 20 : Garzah begins his ascent. The Naked City (1948).

Figure 21 : Looking down through the ironwork. The Naked City (1948).

Figure 22 : Everyday life along the East River. The Naked City (1948).

Figure 23 : Taking in the view. The Naked City (1948).

Figure 24 : Taking in the view. The Naked City (1948).

Figure 25 : Taking in the view. The Naked City (1948).

Figure 26 : Framed by the smokestacks of the East River power station. The Naked City (1948).

Figure 27 : Infrastructure as constructivist art. The Naked City (1948).

Figure 28 : The perspective from the bridge survives Garzah’s fall. The Naked City (1948).

Let’s pause a moment to consider the different work the bridge is doing here. It is spectacular, in the mysteries tradition of a bravura sensation scene. And it is ironic, in the noir tradition: whatever pleasures the noir life offers, the payment is always too high. It reminds us of the aspirational substrate even in a thug like Garzah, who started off as a harmonica-playing wrestler before getting embroiled in petty (and not-so-petty) crime – think of Cagney’s triumphant cry of “Made it Ma, top of the world” from atop a gas tank as he explodes in a great ball of fire at the end of White Heat (1949). And it suggests that the hope of the city and of the people the bridge was made for still resides in the teeming masses on the Lower East Side. The cops are efficient and effective and even a bit sympathetic, but they are static. There is nothing like that momentary vista in the nineteenth-century mysteries, and there is not supposed to be anything like it in noir. But this vista is essential for the mysteries thread that will emerge at the end of the twentieth century: the bridge that dwarfs the man and mocks his dreams (of success or simply of escape) reminds us also of where he might have ended up; for an instant, it takes him seriously and gives him a moment of silence, as it were, before he passes into the night forever.

If, as Dimendberg persuasively argues, classic film noir was using the mysteries form to document the moment when America had moved out of the cities, the overt conclusion of these films was that it was not such an easy task to escape the scourge of modernity rooted in the urban imaginary. But the underlying argument, and arguably the one that keeps us watching noir today, was that that scourge still also held everything that remained compelling and desirable in postwar America, even if it had to be coded with urban darkness, just as the nineteenth-century mysteries had done.33 And the bridges and other infrastructure are like the deep bass counterpoint to that argument, the closest we can get in 1948 to a positive assertion that there is something this damaged society is still capable of doing : building bridges. This industrial sublime is nothing if not humbling, but it abides (somehow we know that even Cagney blows up only a few of the hundreds of gas tanks in the industrial landscape in which he finds himself), and it elevates even as it diminishes. Unlike the nineteenth-century mysteries, American noir was not much interested in urban renewal, but it was covertly fascinated by the physical traces of the heroic engineering that endured long after the slums they had demolished and the lives they had cost to build had faded into oblivion.

Persistent Traces of the Vanished City in Future Noir

There are not much in the way of functional bridges in future noir or cyberpunk (and there’s not a lot of infrastructure in neo-noir, but that’s a different essay); whatever happened to make our world into the world we are seeing put an end to anything like a direct connection between the past, the present, and the future. The Los Angeles of Ridley Scott’s Blade Runner (1982)is a postmodern mash-up (and, by this point, a clichéd postmodern mash-up), its towers are even more soulless than the ones in Metropolis back in the 1920s, and it doesn’t even need bridges anymore—its vehicles move effortlessly through the air and the wealthy appear to have moved all the way past the suburbs into “off-world.” [Figures 29-30] But its single substantial link to the past is a striking one: the Bradbury Building, built in the late-nineteenth-century, featured in several classic noir films, and the focal point of the future’s seemingly only remnant of human feeling, designer J. F. Sebastian, and the two surviving Replicants that he decides to shelter.34 [Figures 31-34] Sebastian’s space is not only (albeit briefly) an enclave of humanity in an alienated world, the communal counterpart to blade runner Deckard’s non-alienated but decidedly solitary apartment. Scott also films the Bradbury Building less like a noir location than as a nineteenth-century enclave, with Sebastian bizarrely but unmistakably a steampunk barely surviving in a sea of pure futurity.35 The first shot of the interior of the building features the giant iron-and-glass roof, remnant of the arcades and covered market sheds of the nineteenth century, but with the future’s advertising blimp obscuring the view [Figure 35]. Sebastian’s apartment is replete with automata and sophisticated homemade contraptions of all shapes and sizes, just the kind of useless and outmoded technology dear to the steampunk movement. [Figure 36]

Figure 29 : Establishing the new L.A. of 2019. Blade Runner. Ladd Company / Warner Brothers, 1982. Dir. Ridley Scott. Warner Home Video, 2013. DVD.

Figure 30 : Establishing the new L.A. of 2019. Blade Runner. Ladd Company / Warner Brothers, 1982. Dir. Ridley Scott. Warner Home Video, 2013. DVD.

Figure 31 : The Bradbury Building prominently signed in 2019 L.A. Blade Runner (1982).

Figure 32 : A falling body motivates a vertical survey of the atrium’s ironwork. Shockproof . Columbia Pictures, 1949. Dir. Douglas Sirk. In The Samuel Fuller Film Collection. Sony Pictures, 2009. DVD.

Figure 33 : The doomed protagonist confronts his killer in the shadowed interior of the Bradbury Building. D.O.A. Cardinal Pictures, 1950. Dir. Rudolph Maté. Image Entertainment, 2012. DVD.

Figure 34 : The child-killer seeks refuge in the Bradbury Building in the L.A.-set remake of Fritz Lang’s classic. M. Superior Pictures, 1951. Dir. Joseph Losey. Nostalgia Family, 2015. DVD.

Figure 35 : The Bradbury’s celebrated iron-and-glass roof survives into the future. Blade Runner (1982).

Figure 36 : J. F. Sebastian’s proto-steampunk apartment / workshop. Blade Runner (1982).

But let us not forget that this gentle and eccentric inventor is also a principal creator of the cutting-edge technology of the Replicants, a fact Scott stresses by making Pris (Darryl Hannah) resemble more and more a mannequin as the picture proceeds until, when Deckard tracks them to the building, she is seated amidst Sebastian’s other creations, only to spring to life as a nearly lethal doll in a science fiction retelling of Hoffmann’s 1816 story The Sandman [Figure 37]. In this Los Angeles, the human scale and familiar technology of the Bradbury Building make it the underground counterpart of the Tyrell Corporation’s sublimely mammoth neo-ziggurat. The mysteries may begin and end in the high modernist towers of the corporate offices, but the movie’s heart and soul are in the nineteenth century. It is dying out in Blade Runner—by the end of the film, J. F., Pris, and Roy are all dead, with Deckard and Rachel facing the short-lived future typical of noir protagonists.  But the building is still the most living part of this evacuated society, one of a handful of the film’s settings to exist both in the film’s future L. A. and in the 1982 city. It is the only one to retain its proper name and function in both, and the only one to bridge the city’s material history, from the late nineteenth century all the way through to the future of 2019, in a neat symmetry to the architect’s utopian inspiration in Edward Bellamy’s 1887 novel Looking Backward, set in a futuristic year 2000 [Figure 38].

Figure 37 : The iconographic roots of the Replicants in 19th-century automata. Blade Runner (1982).

Figure 38 : The Bradbury as bridge between past, present, and future. Blade Runner (1982).

The Bradbury Building neither mocks nor elevates the actors of the film’s urban mysteries; it simply allows us to see them distinctly from the rest of this future world. Fredric Jameson writes of utopian space as a “pocket of stasis within the ferment and rushing forces of social change … an imaginary enclave within real social space … But it is an aberrant by-product,” he continues, “and its possibility is dependent on the momentary formation of a kind of eddy or self-contained backwater within the general differentiation process and its seemingly irreversible forward momentum” (15). For Jameson, such enclaves are severed from the possibility of change, but for this very reason allow us to visualize potentialities outside of what is normally possible—that is, they allow for utopian imagining. “Such enclaves are something like a foreign body within the social: in them, the differentiation process has momentarily been arrested, so that they remain as it were momentarily beyond the reach of the social and testify to its political powerlessness, at the same time that they offer a space in which new wish images of the social can be elaborated and experimented on” (16).

“Foreign bodies within the social”: this is a fitting description of the Replicants in Blade Runner as much as it is of the inhabitants of the noir city. In noir, this foreignness is mediated through infrastructural figures like bridges, which evoke a connection denied by the workings of the plot. In future noir, it is the past itself that creates the utopian enclave and that mediates more overtly the relationship between the science fiction plotting and a more mysterious and compelling kind of wish image. That is, the plot of any future noir film from Blade Runner to The Matrix to Children of God to District 9 is about the preservation of autonomous and subjective individual agency from the encroachment of machines or of suffocating corporations or of totalitarian governments (or of all three), just as the plot of any urban mysteries was about digging up secrets and righting the wrongs of the world. But what makes these foreign bodies within the social so powerful is the way the mysteries locate them in the actual spaces of the city, in their historicity and materiality. Even in the supposedly far-flung future of Lang’s Metropolis, we catch a glimpse of the young hero Freder reading a book published in the early 1920s and walking past a Dada-inspired poster. The historicity and materiality we glimpse in the mysteries remind us that the city itself, in its palimpsest of time periods, is composed of foreign bodies like the Bradbury Building. So, while noir develops the key conceit of the mysteries (as also of Jameson’s neo-Marxism), that the city is one tightly wrought and inescapable net of interconnected and uneven social relations, there is another, less directly articulated and less frequently observed conceit: that within that city there are numerous gaps, rips, and time lapses that nevertheless are part of what compose that net. In this case, Blade Runner’s noir plot enacts a ritual elimination cum valorization of the alternative image of the past embodied in the artificial humans of the future, but its undercurrent lays claim to that same image as a positive potentiality glimpsed negatively. It is the Bradbury Building that signals the switch.

It would be tempting to think of Blade Runner and its enclave of neo-Victorian nostalgia as retrograde in this regard if it weren’t for the fact that its Bradbury Building moment now looks like an early rumbling of steampunk in the midst of postmodern attitudes towards technology. For while steampunk turns the mysteries’ relationship to history inside out, it also suggests a way out from the anomie of future noir glimpsed in the Bradbury Building. The material traces of the Victorian city, vanishing as they may be in the twenty-first century, nevertheless, and very likely for a limited period of time, provide a different sort of enclave for thinking about the city in the present in terms of its mysteries.

Steampunk in America at the turn of the century

As a genre, steampunk recognizably belongs to the tradition of the urban mysteries in its fascination with the minutiae of city life and in its use of timeworn plotting and character to map the technology and spaces of its urban settings. But although its use of historical settings does have a precedent in the nineteenth century, the counterfactual relationship it takes to those settings does not. And although it tends to base its alternate world fantasies on dreams of technology that were in fact conceived within the nineteenth century, steampunk will spin them out in willful disregard of the laws of probability, as when Thomas Pynchon’s Chums of Chance take a short cut from one pole to the other through that favorite fin-de-siècle theory, the hollow earth, or travel beneath the Sahara in an “undersand vessel”; or, when Jean-Christophe Valtat’s New Venetians speak disparagingly of “Jakob Lorber’s crackpot theory [from a book published by the mystic in 1846 speculating on the future] that the North Pole was ‘the mouth of the earth’ and the South Pole ‘the eliminatory canal’” (ch. 7, loc. 966-67) on the streets of a city whose existence is made possible by an “Air Architecture” that creates an artificial atmosphere out of methane gas in the permafrost.

And, while the “explained supernatural” plotting that the urban mysteries inherited from the gothic permitted events to be self-evidently impossible as long as they could be accounted for rationally before the final curtain, steampunk tends to revel in its refusal of the realistic denouement. So, rather than spectacularly unlikely events receiving mundane explanations, steampunk favors giving historically plausible explanations for sensationally unlikely phenomena in a deadpan voice, as when Cherie Priest inhabits the alternative 1880s Seattle of her 2009 novel Boneshaker with zombie-like Rotters created when a high-tech steampunk mining machine deployed to rob bank vaults releases a gaseous plague. Rather than investigate the cause of the plague (which is common knowledge), the mysteries plot investigates the urban ecology that develops within the plague-filled two-square mile area of downtown Seattle, once it has been enclosed with an enormous wall, the Blight has been commercialized as a popular narcotic, and a wild-west-style band of outsiders has begun to eke out a living among the zombies in the new urban underworld. Similarly, Valtat begins from the singularly unlikely premise of a thriving, canal-seamed city within the Arctic Circle, but develops it strictly according to the fever dreams of late nineteenth-century symbolists and technological reveries of early electricity: “You could not, by any stretch of the mind, imagine an architecture less adapted to its surroundings. An Ideal City punished and banished to the Far North for its marble hubris, it loomed titanic and mad, its boulevards, arches, and palaces a playground for the caterwauling draughts that sharpened their claws on its flaking façades.” (ch. 5, loc. 623-25) Moreover, his story world incorporates as material phenomena Inuit lore, undead arctic explorers, true dreams and Kiggertarpok, the polar kangaroo. Steampunk thus reads like the unfolding into historicity of the nineteenth-century urban unconscious, as if Benjamin’s Arcades Project contained the blueprint for the actual events of the twentieth century rather than the ruins of everything that didn’t happen the way it might have done.

The Lower-East-Side-based radical collective known as the Catastrophone Orchestra defines steampunk as “a non-luddite critique of technology,” which “rejects the ultra-hip dystopia of the cyberpunks—black rain and nihilistic posturing—while simultaneously forfeiting the ‘noble savage’ fantasy of the pre-technological era.” (“Colonizing the Past So We Can Dream the Future,” loc. 36-37) Like the urban mysteries, steampunk is unabashedly fascinated by the warped cities it creates, and like them it tends towards the digressive in registering its appreciation. Sometimes, as with Catastrophone Orchestra, whose stories attempt to reinvigorate the little-remembered Victorian genre of the “seasonal” for a radical lower Manhattan, or with Valtat’s and Pynchon’s end-of-the-century phantasmagorias, there is a strong archival component, a self-conscious effort to recover both the “delight” and “relentless inventiveness” of the period without thereby losing sight of its abundant horrors and iniquities. The city is both the emblem of the proliferation of technology’s delights and horrors, and also the guarantor of the ongoing relevance of that technology to our own world. On the one hand, the city is the site of pleasure and potential; on the other hand, it is under constant threat to its very existence from oppressive forces of authority and crazy arch-villains accompanied quite frequently by otherworldly forces that threaten the fabric of the multiverse. As in The Matrix, the city is the setting for a battle over the meaning of global space that is troped as a battle over the right to the city inherited from the twentieth century. What film noir had cast as a futile struggle against a seemingly inexorable decline, and future noir represented as the loss of urban materiality, steampunk historicizes.  It retrojects the struggle into the century in which it all began and argues, as Benjamin had, that the battle needs to be waged in the imagination of the past, even as the results will be felt in the reality of the present. For American-based steampunk in particular, the moment of the battle is the end of the century, when the harsher illumination of electricity began to fix a single narrative for the city and for industrial technology, a narrative of empire, standardization, and alienation.

Not surprisingly, New York is the most common American steampunk city setting. Elizabeth Bear’s New Amsterdam, for example, one of a series of city mysteries featuring the aristocratic vampire detective Sebastian de Ulloa, invokes a cluster of bodice-ripper clichés around a hard-boiled New Amsterdam forensic sorceress and staunch royalist, Lady Abigail Irene Garrett. Bear self-consciously contrasts new- and old-world attitudes in an alternate history where magical technology trumps the more familiar nuts-and-bolts kind. Whereas Bear imports a strong dose of present-day vampire romances into her Victorianism, Catastrophone Orchestra is more directly and exclusively immersed in the mysteries as a nineteenth-century genre. Eschewing the longer novel form for a group of loosely related short stories, their fiction seems designed to tour the reader through old New York and to train the reader to see that city in alternative ways. So, in “Mother of the Dispossessed,” set on Boxing Day in the 1880s, a band of feral children called the Runts kidnaps a wealthy businessman, taking him to its crib in the sub-basement complex beneath the disused 35th Street stables. “He was only a mile or so from his study,” we read, “but it was a world away.” (loc. 551) The Runts want him to heal Mama, who turns out to be an ingeniously designed steamwoman, painstakingly assembled by a kind-hearted clockmaker from assorted metal parts, including some that were manufactured by “Schneider & Harlowe Metalworks, the largest machine shop on the Eastern Seaboard” (loc. 593), which the kidnapped businessman had once presided over. Now retired, Chester Harlowe becomes absorbed as never before in his life by the task of repairing the automaton, but is interrupted in his work by a police rescue. A classic “if the rich only knew …” scenario is spiked by two steampunk conceits: the figure of Mama herself, who has served for years as a benevolent Fagin for generations of lost boys; and Harlowe, who discovers a social conscience through using his hands and his mind to make something work. Rather than secrets as a social allegory, the secrets here impart a direct and positive meaning. In the words of Professor Calamity, the opium-addicted voice in which the concluding essay “My Machine, My Comrade” is written, “All machines, mechanical or otherwise, come most originally from the physical world—as do all of us—and thus are imbued with inherent profound existence that requires respect, be it a river, a child, or a steam-powered thrasher.” (loc. 2087-2088) The secret discovered by Catastrophone Orchestra in nineteenth-century New York, and imparted through the means of urban mysteries, is a different relationship to technology and nature. The “world away … just beneath the feet” of the nineteenth century we inherited is figured as the utopian one that we left behind, buried away.

The romantic royalism of Bear’s vampire steampunk and the anarchist utopianism of Catastrophone Orchestra find their historical moment before the onset of electricity, but the lion’s share of New York-based steampunk is heavily electricity-based and set primarily in the first decades of the next century. This makes sense in terms of the modernist imaginary of New York City, and these cities have large doses of this imaginary: Black, Jewish, and Irish protagonists, gangsters, early superheroes, and a tendency to bring in other-dimensional monsters out of horror writer H. P. Lovecraft’s 1920s-era Cthulhu mythos for the grand guignol finale. It is the more unusual components of that modernist imaginary, I will argue below, that are essential to steampunk’s revisionary take on the very different path taken from the urban mysteries by noir, future noir, and cyberpunk.

Writer Mike Mignola and illustrator Christopher Golden’s Joe Golem series (2012-present) makes explicit its debt to the nineteenth century, pairing the reincarnated golem hero with Mr. Church, a Holmes-like turn-of-the-century London gentleman detective who has kept himself alive for decades via steam-driven prosthetics. As is often the case with steampunk, the time is established not in the present but in the divergent moment of the past that determines the primary historical reference. In this case it is a “cataclysmic” earthquake and flood in 1925 that left uptown untouched and turned downtown into a slum version of Venice. In classic mysteries fashion, the climax occurs underground, in the labyrinthine lair spreading out from the old City Hall subway station where the mad Doctor Cocteau is attempting to summon a Lovecraftian Old One to take him through a space-time rift into another dimension. “He caught only glimpses of a vast cave opening carved into the schist that made up the bedrock of Manhattan. The submarine slid into the city’s hidden underworld. He saw massive iron bars and stone slabs, and a mystery unfurled itself. They were in a centuries-old, sunken sewer system that neither he nor Church had ever known existed. The Dutch, he thought. Back in the seventeenth century, New York had been New Amsterdam, and under Dutch rule. Had to be them, somehow” (145). Averting the end of the world has the side effect of flooding the other half of New York, giving the slum-dwellers, with their parkour skills honed on the ever-changing network of ramshackle bridges, leaky boats, and half-submerged windows of the Drowning City, the momentary advantage over their privileged neighbors. “If they wanted to survive,” the young protagonist muses, “the people would have to look south.” (266)

The divergent moment in Adam Christopher’s Empire State (2012), and its sequel The Age Atomic (2013), occurs a few years later, in 1930, when a superhero-created space-time rift generates a bubble Manhattan accessible (sort of) through the Fissure in Battery Park. This provides, in an inspired urban wordplay, electric power to Empire State, as the alternate New York is known. This dystopian (but eventually, also, utopian) world is composed mainly of pulp tropes, all fog and clichés and nothingness. But the “tear in space-time” (ch. 29, loc. 2901) does neatly visualize the concept of contradictions in urban space that have been so profitably mined by the mysteries since the 1840s – the impossibility for all of urban space neatly to coexist: “The Pocket. It sounded ridiculous. The Empire State was a city, a huge, sprawling industrial complex, full of people and architecture, and streets and buildings. An impossible city with no history. A city with no resources and an impossible economy. How much air was there in the Pocket? Where did the food come from? The power? Maybe it really was magic, a side effect of being tethered to – being a reflection of – the Origin – what the Origin had made or produced, so this was reflected through the Fissure.” (ch. 33, loc. 3411) Like China Miéville’s hard-boiled Cold-War fantasy The City and the City, Empire State opens out the familiar mysteries topos of the simultaneous interconnectedness of and impossible distance between the two halves of the city into a metaphysical conceit. But it’s a conceit that remains grounded in the reliable iconography of the urban past even as it summons forth persons, places, and things that had only ever existed in the imagination of that past.

Pynchon’s New York, too, is invaded by a Lovecraftian force sometime around the turn of the century, “a Figure with supernatural powers” (151).36  Collected as a meteor in the Arctic, this Figure adapts to its urban setting, according to an Eskimo advisor and a team of scientific experts, and sanctions the disrespect it has been shown, in lieu of “the usual sanctions—bad ice, blizzards, malevolent ghosts,” with “retribution … more suitable to the new surroundings—fire, damage to structures, crowd panic, disruption to common services.” (151) In contrast to the typical steampunk narrative, catastrophe is not averted; it strikes the city full force, shattering infrastructure and social restraints alike. Like the other American histories Pynchon tells aslant and askew in Against the Day, New York City survives, both the island of Manhattan and the recently incorporated outer boroughs, the “territory across the bridge”; however, it bears the scars of its trauma as something like an original sin marking its departure from nineteenth-century ideals and its entry into the fallen world of the twentieth: “So the city became the material expression of a particular loss of innocence—not sexual or political innocence but somehow a shared dream of what a city might at its best prove to be—its inhabitants became, and have remained, an embittered and amnesiac race, wounded but unable to connect through memory to the moment of the injury, unable to summon the face of their violator.” (153) This is not a moment of divergence into alternative history so much as the iteration of the imbrication of an alternate world within the one we thought we knew. Pynchon elaborates this moment in the experience of Hunter Penhallow, a member of the expedition responsible for the disaster, for whom the city, that night, takes on the character of an urban mystery: “He was abruptly lost in an unfamiliar part of town—the grid of numbered streets Hunter thought he’d understood made no sense anymore. The grid in fact had been distorted into an expression of some other history of civic need, streets no longer sequentially numbered, intersecting now at unexpected angles, narrowing into long, featureless alleyways to nowhere, running steeply up and down hills which had not been noticed before.” (154) Rather than discovering the secrets that could make the city run properly and right its wrongs, he encounters, “in unlighted mystery,” an “ancient,” “foreign,” and intimate city, containing a group of people assembled for the purpose of getting out. Penhallow joins them on “a curious mass conveyance” that travels, through a system of tunnels, from what appears to have been the distant past of New York (or perhaps of the City writ large, especially as the scene bears a strong resemblance to the London Blitz opening of Gravity’s Rainbow), not only into refuge but into its future (155). We next encounter Penhallow, “seeking refuge from time” some hundreds of pages later, in Venice (576).

One cannot, strictly speaking, place Against the Day within the genre of urban mysteries; as Ickstadt puts it, “While there is no lack of mysteries, the text itself is less mysterious, therefore less “difficult” than its predecessors—a test less for the reader’s hermeneutic ingenuity than for her willingness to follow the text’s spatial shifts and time leaps” (37). Still, one could perhaps call it The Mysteries of the U. S. of A. in the way it assembles so many space-times out of thirty years of Americana, especially if we consider that these were the years in which American ambitions truly turned global.37 The only nineteenth-century text it resembles in spatiotemporal range would be Thomas Wallace Knox’s Underground; or Life below the Surface, a 1000-page compendium of literal and metaphorical subterranea [noun here?] that applied the real-life mysteries genre on a global scale.38 But Pynchon is more concerned with giving a new context to the mysteries than with updating them; he uses the mysteries tropes as one among a number of important markers of change. If there is a moment of historical divergence, in other words, it is located within the several decades covered by the novel, from the World Columbian Exhibition with which it opens, in Chicago in 1893, to its close in 1920s Paris and Lwów. And here I think we can also posit a tentative explanation for the function of nought-era American-set steampunk’s recourse to a later timeframe, for its borrowings from the mysteries, and for its consistent incorporation of an apocalyptic supernaturalism into its narrative (beyond the familiar genre utility of both).

For thinking about the present day through American cities, the 1880s-1920s epoch is a logical choice. Cherie Priest’s Seattle didn’t even become a major city until late in the century, the same moment when Chicago and New York began to compete with the European capitals on a world stage. London-based steampunk tends to use the Victorian period and the mysteries tropes of that period to evoke a local, individualized, and idiosyncratic response to the first industrial revolution (Pike, “Steampunk”). Steampunk set during the turn of the century and especially in American cities is concerned with the global turn and the different kinds of repressions and alienations resulting therefrom. We should not forget that, despite their appearance of belonging to another reality altogether than that of modernism, Lovecraft’s Old Ones were the product of an author who was actively publishing during the same period, from 1917 until his death in 1936. A near exact contemporary of Raymond Chandler and Dashiell Hammett, Lovecraft’s response to a changing world did not follow their hard-boiled and quixotic resistance to corruption and alienation rooted in the city. Instead, he chose to elaborate on a cosmic and multi-dimensional level the urban mysteries dichotomy between ostensible aboveground normality and proximate belowground secrets. Film noir showed how potent the hard-boiled mode of rendering the city as mystery could be. It represented that history as an existential dead end, eschewing even temporary plot resolutions in favor of the torment and death of any soul hapless enough to blunder into the dark streets lurking just beside those of the ostensibly normal world. The only glimmer of hope, as I argued earlier, here, and in future noir (although even less there), was embodied visually in traces of urban infrastructure, the bridges of the same pre-war decades that had birthed noir despair in the first place.

Jameson defines fantasy as a form negatively in terms of an affiliation with vanishing nature, religion, and positive utopian solutions, as opposed to science fiction’s affiliation with technology, critique, and utopia in the Adornian sense of what can be glimpsed only negatively in some future (64). This is not an incorrect polarity, but I think we can make better sense of recent developments in both genres—in particular in the way steampunk hybridizes science-fiction and fantasy elements in unforeseen ways—if we move beyond the value judgment between “escapism” and “authenticity” to make a more dialectical formulation, a formulation that may also help to explain what steampunk has to do with urban mysteries. I would revise Jameson’s formulation in this way: fantasy, like a positive version of pulp horror or exploitation, posits new phenomena in terms of their immediate power in the present, but without the means of getting to it in practice (hence the resort to magic, or the occult, or metaphysics), whereas science fiction uses technology to express the means of getting to it in practice, but needs to put it off in the future somewhere where it only ‘might’ exist. In the original urban mysteries, technology itself was so full of unrealized potential that neither mode was necessary to represent it within the present-day: we see it incorporated in terms of the real-life mysteries, and we see it as the rapid urban change to which the mysteries responded. Science fiction and fantasy in their modern forms both arose at the end of the nineteenth century; both provided generic models for representing change on a global scale.

As I have argued elsewhere, classic steampunk is less about the Victorian era than it is about how we have inherited that era from the modernists (Pike, “Steampunk”). The American-based steampunk of the past decade seems more about wresting the mysteries genre and its city settings away from the existentially fallen world of film noir and the dead end futures of neo-noir such as Blade Runner. The recourse to unconscionably powerful, physically unimaginable, and wholly amoral Lovecraftian gods from another dimension figures a new faith in technology along with the recognition of how little we know about the power of the forces we are harnessing. Like the urban mysteries, it posits knowable spaces—the local technologies of steampunk that remain within the metaphysical framework—and unknowable ones—the spaces of actual power to which the mysteries gesture but which they do not represent. So, on the one hand, these new urban mysteries have found a way to visualize the current unknowability of the technologies and flows of global space. On the other hand, they can only visualize them in the fantastic (if highly compelling and often terrifying) terms of the Cthulhu mythos and other related and non-Christian arcana. Pynchon comes closer to incorporating them as active forces within a viable space-time, but only with the consequence of rejecting the city as a positive force. For all its flaws and contradictions, the steampunk mode provides a bracingly different pre-history to the twenty-first century than the realist one that runs through the urban mysteries, hard-boiled fiction, film noir, future noir and cyberpunk, even if it is a history that is equally, although very differently, indebted to the city settings of the urban mysteries.

(American University)

Bibliographie/Works Cited

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Notes

1  Je tiens à remercier Catherine Nesci et Dominique Jullien de leur invitation au Colloque international sur les Mystères américains qui s’est tenu à l’Université de Californie à Santa Barbara, lors duquel j’ai présenté une première version de cet essai. Je remercie aussi tous les participants de leurs communications et de leurs questions et commentaires après ma propre communication. Enfin, je remercie tout spécialement Catherine Nesci et Frédérique Guy d’avoir pris le temps de produire la version française de cet essai.

2  David L. Pike, Metropolis on the Styx : The Underworlds of Modern Urban Culture, 1800–2001, Ithaca, Cornell, 2007, p. 211–19.

3  Au sujet du trope temporel dans le steampunk, voir en particulier Stefan Hantke, « Difference Engines and other infernal devices: History according to steampunk », Extrapolation, no40.3, 1999, p. 244–54; Rebecca Onion, « Reclaiming the Machine: An Introductory Look at Steampunk in Everyday Practice », Neo-Victorian Studies, no1.1, 2008, p. 138–63 ; Rachel Bowser, Brian Croxall, « Introduction : Industrial Evolution »,  Neo-Victorian Studies, no 3.1, 2010, p. 1–45 ; Rachel Bowser, Brian Croxall, (dir.), Like Clockwork: Steampunk Pasts, Presents and Futures,  Minneapolis, Minnesota UP, 2016.

4  Note des traductrices : nous utilisons ici le néologisme canadien « agentivité » pour traduire la notion américaine de « agency », que l’on peut aussi rendre par « capacité d’agir » ou « puissance d’agir » comme nous l’avons fait plus loin.

5  Je tire ces termes bien connus des titres de trois volumes publiés au cours des quatre dernières années : Mark Osteen, Nightmare Alley, Film Noir and the American Dream, Baltimore, The Johns Hopkins UP, 2014 ; Robert B Pippin, Fatalism in Film Noir, Some Cinematic Philosophy, Charlottesville, Virginia UP, 2012 ; Ronald Schwartz, Houses of Noir, Dark Visions from Thirteen Film Studios, Jefferson (NC) et Londres, McFarland, 2014. Pour prendre un exemple plus nuancé, Dimendberg, dans l’étude du film noir la plus approfondie et la plus réussie à ce jour de la critique des pratiques sociales urbaines en mutation telles que les met en scène le film noir, insiste aussi sur la teneur mélancolique de cette critique; voir Edward Dimendberg, Film Noir and the Spaces of Modernity, Cambridge (MA), Harvard, 2004, p. 259. Bien que je ne remette pas en cause la validité de la lecture de Dimendberg, je me concentrerai dans cet essai sur des épisodes qui, depuis notre position historique actuelle, se soustraient aux chaînes de cette mélancolie.

6  Pike, Metropolis, op. cit., p. 214.

7  Dassin souhaitait que le contraste soit bien plus marqué et il s’est plaint amèrement que le studio ait coupé au montage la majeure partie du commentaire social, suite aux audiences mises en place depuis peu par la HUAC (House of Un-American Activities Committee). Voir Rebecca Prime, « Cloaked in Compromise: Jules Dassin’s “Naked” City », in « Un-American » Hollywood, Politics and Film in the Blacklist Era, (dir.) Frank Krutnik et al, New Brunswick, Rutgers UP, 2007, p. 149–50. Je m’accorde néanmoins avec Gunning sur le fait que le film « continuait de projeter une image critique de la société américaine, contaminée par les tensions de classe et l’anomie »; Tom Gunning, « Invisible Cities, Visible Cinema: Illuminating Shadows in Late Film Noir », Comparative Critical Studies, no6.3, 2009, p. 324–25.

8  Dans son étude des multiplicités de la vie urbaine dans le film, Kember voit dans les qualités physiques « créatives et improvisatrices » de Garzah une « faculté enfantine à transformer la ville à ses propres fins » (p. 80). Voir Joe Kember, « Child’s Play: Participation in Urban Space in Weegee’s, Dassin’s, and Debord’s Versions of Naked City », in Adaptation in Contemporary Culture, Textual Infidelities, (dir.) Rachel Carroll, Londres, Bloomsbury, 2009, p. 72–84

9  Dimendberg signale que cette image est détachée du point de vue de Garzah et affirme qu’elle contribue à créer une tension entre la reconnaissance de « spectateurs en série » et la volonté du producteur de suturer « points de vue apparemment impersonnels et personnels » au sein de la voix narrative (op. cit., p. 72). Ma lecture indique la possible portée libératrice qu’offre cette tension initiale au spectateur du vingt et unième siècle.

10  Ici, mon argument rejoint l’analyse de Dussere sur le rôle de l’authenticité comme ce que le film noir créa « ailleurs », loin des espaces condamnés qu’il donne à voir. J’ajouterais néanmoins que les ponts rendent, à mon avis, visible cet ailleurs au cœur même du paysage urbain duquel l’authenticité s’est évanouie de façon flagrante. Voir Erik Dussere, America Is Elsewhere, New York, Oxford, 2014.

11  Andersen fournit un court historique du Bradbury Building dans l’iconographie cinématographique en se concentrant particulièrement sur le film noir dans Los Angeles Plays Itself; voir Thom Andersen (dir.), Los Angeles Plays Itself, 2003, Cinema Guild, 2014.

12  D’après Andersen, Scott gagna son cas contre le scénariste originaire de Los Angeles, Hampton Fancher, quant à l’utilisation du Bradbury Building que ce dernier considérait comme éculé au point d’en être cliché, à la différence de Scott qui paria qu’il pouvait l’utiliser de manière innovante (Los Angeles Plays Itself). Bukatman, comme la plupart des critiques du film, recourt à la terminologie traditionnelle de l’analyse de films noirs et décrit l’immeuble comme « un espace vide détérioré, en décomposition, aux canalisations éclatées, un espace rendu hallucinatoire par le balayage constant des projecteurs sur les fenêtres » (p. 69); voir, Scott Bukatman, Blade Runner, 2e éd., Londres, BFI, 2012. Cette lecture ne tient pas compte de la présence phénoménologique de l’immeuble dans le Los Angeles du futur, engagée qu’elle est dans la répudiation du modernisme utopique. Je considère pour ma part que la présence de l’immeuble en 2019 témoigne autant de la persistance de cette utopie que de sa disparition.

13  Fredric Jameson, Archaeologies of the Future, The Desire Called Utopia and Other Science Fictions, New York, Verso, 2005, p. 15.

14  Jameson, op. cit., p. 16.

15  Thomas Pynchon, Against the Day, New York, Penguin, 2006. Les références à l’œuvre seront désormais données dans le corps du texte

16  Jean-Christophe Valtat, Aurorarama : A Novel (The Mysteries of New Venice), Brooklyn, Melville House, 2010. Fichier Kindle. Les références à l’œuvre seront désormais données dans le corps du texte.

17  Catastrophone Orchestra, Catastrophone Orchestra, Combustion Books, 2011. Fichier Kindle. Les références à l’œuvre seront désormais données dans le corps du texte.

18  Mike Mignola, Christopher Golden, Joe Golem and the Drowning City, An Illustrated Novel, New York, St. Martin’s, 2012, p. 145. Fichier Kindle. Les références à l’œuvre seront désormais données dans le corps du texte.

19  Adam Christopher, The Age Atomic, Long Island City, Angry Robot, 2013 (fichier Kindle) ; Empire State, Nottingham, Angry Robot, 2012 (fichier Kindle).

20  Le premier volume d’histoires de fantômes de Mann, Ghosts of Manhattan (2010), qui se situe dans un New York steampunk de l’époque de la Prohibition, se conclut lui aussi sur l’apparition apocalyptique d’un monstre tentaculaire tout droit venu du multivers de Lovecraft.

21  Heinz Ickstadt, « Setting Sail Against the Day: The Narrative World of Thomas Pynchon » (p. 37), in Against the Grain : Reading Pynchon’s Counternarratives, (dir.) Sascha PÖHLMANN, Amsterdam, Rodopi, 2010, p. 35–47.

22  En rapport avec ce sujet, voir McHale au sujet de la question du roman comme « bibliothèque de la littérature de divertissement du début du vingtième siècle » (p. 20); Brian McHale, « Genre as History : Genre-Poaching in Against the Day », Genre, no52, 2009, p. 5–20.

23  Pour plus d’informations sur Knox, voir Pike, Metropolis, op. cit., p. 25–28. Au sujet des différentes sortes de « forces souterraines » dans les romans de Pynchon, voir Lovorka Gruič Grmuša, « The Underworld and Its Forces: Croatia, the Uskoks and Their Fight for Autonomy in Against the Day », in Against the Grain: Reading Pynchon’s Counternarratives, (dir.) Sascha Pöhlmann, Amsterdam, Rodopi, 2010, p. 266–68.

24  David L. Pike, « Steampunk and the Victorian City : Time Machines, Bryan Talbot, and the Center of the Multiverse », in Like Clockwork, Steampunk Pasts, Presents and Futures, (dir.) Rachel Bowser  et Brian Croxall. Minneapolis, Minnesota UP, 2016, p. 3-31.

25  Fredric Jameson, op. cit., p. 64.

26  David Pike, « Steampunk », art. cit.

27  I want to thank Catherine Nesci and Dominique Jullien for inviting me to the International Colloquium on American Mysteries at the University of California-Santa Barbara, at which I presented an earlier version of this essay. I also want to thank the other participants for their papers, and for their questions and comments on mine. And I especially want to thank Catherine Nesci and Frédérique Guy for taking the time to produce the French version of this essay.

28  On the trope of temporality in steampunk, see especially Hantke; Onion; Bowser and Croxall, “Introduction” and Like Clockwork.

29  I pull these familiar terms from three titles (Osteen, Pippin, Schwartz) published within the last couple of years. To give a more nuanced example, Dimendberg, in the most sustained and accomplished study to date of film noir as a critique of changing urban spatial practices, stresses the “melancholy tenor” of that critique (259). While I do not at all dispute the validity of Dimendberg’s reading, I focus in this essay on moments that, from our current historical retrospect, escape the bounds of that melancholy.

30  Dassin intended the contrast to be much starker; he would complain bitterly that the studio had edited out most of the direct social commentary in reaction to the recently begun HUAC hearings (Prime 149–50). However, I agree with Gunning that the film “still projected a critical image of American society, filled with class tension and anomie” (324–25).

31  Analyzing multiplicities of urban existence in the film, Kember finds in Garzah’s “creative and improvisatory” physicality the “childlike ability to transform the city for his own purposes” (80).

32  Dimendberg notes this image’s separation from Garzah’s perspective and argues that it established a tension between a recognition of “serial spectatorship” and the producer’s desire to suture “ostensibly impersonal and personal views” within the narrative voice (72). My reading suggests the liberating meanings that potentially open up for a twentieth-first century viewer out of that original tension.

33  Here, my argument converges with Dussere’s analysis of the function of authenticity as what film noir created “somewhere else” from the doomed spaces it shows, except that I see the bridges as visualizing that elsewhere within the very cityscape from which authenticity has ostensibly vanished.

34  Andersen gives a mini-history of the Bradbury Building in cinematic iconography, with noir at its focal point, in Los Angeles Plays Itself.

35  According to Andersen, Scott won a dispute with screenwriter and L.A. native Hampton Fancher over using the building, which Fancher considered overused to the point of cliché, and which Scott wagered he could use in a new way (Los Angeles Plays Itself). Bukatman, like most critics of the film, sees the Bradbury Building in classically noir terms as “an empty space of burst pipes, decay and deterioration, its space made hallucinatory by the searchlights that constantly sweep past its windows” (69). This reading overlooks the phenomenological presence of the building in future Los Angeles in favor of its repudiation of utopian modernism. I would argue that the endurance of the building in 2019 is testimony as much to the persistence of that utopianism as to its disappearance.

36  The first volume in Mann’s Ghosts series, Ghosts of Manhattan (2010), set in a prohibition-era steampunk New York, also wraps up with the apocalyptic appearance of a tentacled monster out of the Lovecraft multiverse.

37  On the related question of the novel as “a library of early-twentieth-century entertainment fiction,” see McHale (20).

38  For more on Knox, see Pike, Metropolis, 25–8. On the varieties of “underworld forces” in Pynchon’s novels, see Grmuša 266–68.

Pour citer ce document

David L. Pike, « Cadres urbains – Les mystères américains, du film noir au steampunk », American Mysterymania, sous la direction de Catherine Nesci, avec la collaboration de Devin Fromm Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2018, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/american-mysterymania/cadres-urbains-les-mysteres-americains-du-film-noir-au-steampunk