« De quel droit ma jambe appartient-elle à Villemessant ? » Flaubert en lutte contre la circulation médiatique de ses biographèmes
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STÉPHANIE DORD-CROUSLÉ
« C’est fini. Il est trois heures. Je reviens du cimetière monumental de Rouen. Le parfait écrivain qui a dérobé le plus qu’il a pu de sa vie privée au reportage rongeur de notre époque, a été descendu, sans biographie en plein air, ainsi qu’il en avait souvent manifesté le désir, dans le caveau de sa famille, au sommet de la colline qui domine la ville où il grandit, à trois pas du monument élevé à son frère d’élection, Louis Bouilhet. Aucun discours n’a été prononcé. » Ernest d’Hervilly, « Obsèques de Gustave Flaubert », Le Rappel, 13 mai 1880, p. 2.
Flaubert a toujours éprouvé une forte aversion à l’égard de la presse1. Dès 1846, le jeune écrivain confiait son « dégoût profond du journal, c’est-à-dire de l’éphémère, du passager, de ce qui est important aujourd’hui et de ce qui ne le sera pas demain2 ». C’est un positionnement de principe sur lequel il ne reviendra jamais. Mais la presse l’irritera davantage encore – et de manière plus intime – lorsqu’elle se mettra à évoquer sa personne dans ses colonnes, lorsqu’elle s’autorisera à parler de l’homme Gustave Flaubert au-delà de l’auteur.
Certes, en remettant le manuscrit de Madame Bovary à la Revue de Paris au printemps 1856, l’écrivain avait déjà renoncé à une idée longtemps caressée, « celle du gaillard qui jusqu’à 50 ans n’aurait rien publié et qui d’un seul coup ferait paraître, un beau jour, ses œuvres complètes, et puis qui s’en tiendrait là3 ». Flaubert appartenait dès lors à la catégorie des gens de lettres, par nature offerte au regard et à la curiosité des journalistes. Cependant, cet accommodement ou ce reniement ne revenait pas, selon le romancier, à délivrer un « permis d’imprimer » le concernant. Pendant toute son existence, il s’est donc élevé contre la diffusion d’informations relatives à sa vie privée dans les journaux ; jour après jour, il a combattu la circulation médiatique de ses biographèmes.
Après avoir rappelé les raisons éthiques et esthétiques pour lesquelles l’écrivain s’est opposé à cette exposition de sa personne, on verra de quels aspects de la vie de Flaubert la presse est parvenue à se saisir et quelles ont été les réactions du romancier, en particulier selon que les informations diffusées étaient vraies ou fausses.
Poétique impersonnelle de l’œuvre et biographie en farce de l’auteur
Tout un pan de la poétique flaubertienne repose sur la nécessaire impersonnalité de l’œuvre : « C’est un de mes principes, qu’il ne faut pas s’écrire. L’artiste doit être dans son œuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant ; qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas4. » Sont donc proscrites – dans l’œuvre – les déclarations, confessions et autres prises de position, tout autant que les préfaces, avis ou manifestes qui l’accompagneraient5. Cette abstention à laquelle Flaubert n’entend pas déroger se joue sur les deux tableaux : l’écrivain ne doit pas apparaître dans son œuvre et l’auteur ne doit rien livrer de lui au public. Cet idéal esthétique s’applique également – et d’abord – dans le quotidien. C’est la doctrine d’Épictète – que son jeune amant prêche à Louise Colet : « Ne te mêle de rien, reste dans ton trou, le plus tranquillement possible à faire de l’Art. […] Ne donne prise à rien : Cache ta vie6. » Flaubert ira même jusqu’à affirmer que « [l]’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu7 ». Du moins la personne de l’auteur doit-elle complètement s’effacer derrière ce qu’elle laisse après elle, c’est-à-dire ses productions8.
Dans les notes que le romancier a prises sur le Dictionnaire philosophique de Voltaire se trouve cette sentence révélatrice : « Je ne considère les gens après leur mort que par leurs ouvrages. Tout le reste est anéanti pour moi9. » Si Flaubert a relevé ce jugement avec soin, c’est sûrement parce qu’il consonait avec le sien et confirmait les principes d’une « Esthétique contraire à celle de Sainte-Beuve ». Car « la valeur intrinsèque d’un livre n’est rien dans l’école S[ain]te-Beuve-Taine. On y prend tout en considération sauf le talent. De là, dans les petits journaux, l’abus de la personnalité, les biographies, les diatribes. Conclusion : irrespect du public10. »
Cette égale exigence de retrait11, dans ses deux dimensions (interne à la poétique de l’œuvre et relativement à la vie en société et à la postérité de l’auteur), est profondément mise à mal par l’intervention d’un tiers médiatique qui ne se considère en rien lié par le désir d’invisibilité exprimé avec constance par l’écrivain. Pour le journaliste, Flaubert n’est qu’une célébrité comme une autre, susceptible d’intéresser le lecteur en raison d’une actualité réelle ou supposée : s’il peut faire vendre du papier, il n’y a aucune raison d’hésiter d’autant plus que l’écrivain va recevoir en retour une exposition qui lui sera profitable en termes de notoriété.
Mais Flaubert refuse d’entrer dans cette logique : sa vie n’appartient qu’à lui ; elle ne peut servir à la valorisation (ou à la dévalorisation) de son œuvre. Aussi se trouve-t-il assez décontenancé quand on lui réclame de quoi alimenter une notice biographique. Il répond d’abord – sur le mode de l’évidence – à Ernest Feydeau qui relaie la demande : « Je n’ai aucune biographie12. » Puis, pensant qu’il vaut peut-être mieux ne pas opposer une fin de non-recevoir que le demandeur ne saurait comprendre, il se corrige et incite son ami à inventer lui-même quelques traits – pourvu qu’ils se présentent d’emblée comme extravagants : « Communique-lui, de ton cru, tout ce qui te fera plaisir. Dis que j’ai trois couilles et un canal rayé, comme les canons, nouveau-modèle13. » Et l’écrivain de poursuivre en réaffirmant les principes auxquels il n’entend pas déroger :
On ne peut plus vivre maintenant ! du moment qu’on est artiste il faut que messieurs les épiciers, vérificateurs d’enregistrement, commis de la douane et les bottiers en chambre & autres s’amusent sur votre compte personnel ! Il y a des gens p[ou]r leur apprendre que vous êtes brun ou blond, facétieux ou mélancolique, âgé de tant de printemps, enclin à la boisson, ou amateur d’harmonica. – Je pense, au contraire, que l’Écrivain ne doit laisser de lui que ses œuvres. Sa vie importe peu. Arrière la guenille !
On pourrait croire que Flaubert en a alors terminé avec la question. Mais à la fin de cette même lettre, il y revient. Il propose, sous la forme d’un long post-scriptum, douze faits marquants de sa vie dont on ne reproduit ici que les deux premiers :
P.-S. – après mille réflexions, j’ai envie d’inventer une auto[bio]graphie chouette, afin de donner de moi une bonne opinion 1° dès l’âge le plus tendre j’ai dit tous les mots célèbres dans l’histoire – « nous combattrons à l’ombre – retire-toi de mon soleil – quand vous aurez perdu vos enseignes et guidons – frappe mais écoute, etc. ! »
2° J’étais si beau que les bonnes d’enfants me masturbaient à s’en décrocher les épaules & la duchesse de Berry fit arrêter son carrosse p[ou]r me baiser (historique). […]
Si Flaubert livre subitement une telle liste de hauts faits, c’est bien entendu parce qu’ils sont entièrement fictifs : il s’agit « d’inventer une auto[bio]graphie chouette ». Pour éviter à Feydeau la peine de le faire, il s’est donné à lui-même le plaisir de composer sa propre geste, résultat d’une accumulation d’actes imaginaires à la coloration souvent grivoise. On est dans l’écriture de la farce, sous le signe de l’excès, tellement l’idée de livrer au public des traits biographiques réels est pour Flaubert dénuée de tout rapport avec ce que ses principes pourraient l’amener à faire. C’est pour l’écrivain un pur exercice de style : il produit là l’un de ces morceaux de bravoure dont il affectionnait la rédaction lorsqu’il se sentait « le bourrichon monté ». Mais c’est une production à usage strictement privé, destinée au seul Ernest Feydeau et évidemment pas à une diffusion publique par voie de presse14.
Gustave Flaubert, personnage public à son corps défendant
Or, les années passant et le succès grandissant, Gustave Flaubert est devenu un personnage public à qui on a cessé de demander des informations qu’il pouvait refuser de donner. La presse s’est dorénavant chargée de les trouver elle-même, parfois de les inventer, et surtout de les diffuser largement15.
L’un des premiers biographèmes dont elle s’est saisie est la description physique de l’auteur. Comme Flaubert était un ennemi convaincu des illustrations et de la technique photographique en général16, les journaux ne disposaient pas de portraits-cartes le représentant. En décembre 1864, Le Monde illustré a même pu le menacer plaisamment, en représailles, de faire de lui le sujet d’une des premières photos volées de l’histoire :
[…] que M. Flaubert prenne garde ! Il ne sait pas de quoi est capable un photographe dédaigné. Si nos informations sont exactes, l’un d’eux vient d’inventer un appareil grand comme une lorgnette de théâtre et pouvant fonctionner pendu à la boutonnière. On vous arrête, on cause assez de temps pour donner au petit objectif la direction convenable, et crac ! le tour est joué. On n’a plus qu’à rentrer dans l’atelier pour grossir l’épreuve par les procédés connus17.
Flaubert n’a pas cédé à cet odieux chantage de moderne paparazzi – pour peu qu’il ait eu connaissance de la menace – et, en 1876, le jeune Maupassant pouvait toujours affirmer que « Les journalistes ne connaissent pas sa figure18. » C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que Paul Hadol cache sous un capuchon le visage, inconnu ou mal connu, d’un auteur qu’il croque en ermite19.

Fig. 1 : « La semaine comique, par Hadol » [détail], L’Éclipse, 12 avril 1874, p. 4. Retronews
Si Flaubert a pu contrôler la diffusion de son image, il n’a pas pu s’opposer à ce que des journalistes décrivent sa figure et sa silhouette. Ces portraits « à la plume20 », que l’on trouve dans les journaux, sont d’ailleurs assez concordants. Ils évoquent en général sa haute taille, sa carnation colorée, ses yeux proéminents et son système pileux évolutif, la longueur croissante des moustaches venant pallier la raréfaction grandissante des cheveux21.
Les « traits physiques22 » de Flaubert restent néanmoins peu connus du public jusqu’à sa mort, alors que son nom apparaît de plus en plus fréquemment dans les journaux, bien au-delà des rubriques consacrées à ses productions littéraires, en particulier à partir de la publication de Salammbô. On mentionne sa présence à des manifestations culturelles, au premier rang desquelles se trouvent des représentations théâtrales qui ont lieu à Paris mais aussi à Rouen, comme la première de L’Assommoir au théâtre La Fayette le 1er avril 187923. Flaubert participe aussi fréquemment à des événements officiels ou mondains dont la presse rend compte. C’est souvent le cas durant le Second Empire, en raison de la fréquentation assidue de la princesse Mathilde par l’écrivain, mais aussi une fois la République établie : le 6 janvier 1878, il assiste à « un grand dîner au ministère de l’instruction publique24 », rapporte L’Estafette, et le 23 février suivant, il honore de sa présence une « réception fort brillante » chez l’éditeur Charpentier où se presse « un grand nombre de représentants de la politique, des lettres et des arts25 », relate le quotidien La France. La venue de ses amis à Croisset est elle aussi l’objet d’articles : la visite de Zola, de Daudet, de Goncourt et de Charpentier, le 26 mars 1880, est ainsi détaillée dans Le Progrès de la Somme26 et moquée dans le Gil-Blas qui évoque un « conciliabule supernaturaliste où on adopterait quelques graves résolutions27 ».
Les déplacements de Flaubert sont eux aussi scrutés. Croisset – qui est pourtant sa résidence principale, devient, dans les journaux, son lieu de villégiature estival à l’instar des séjours qu’effectuent « la comtesse de Beaumont, à Marly-le-Roi28 » ou « Mme de Chasseloup-Laubat, à Dinar29 ». Personnage public, Flaubert voit ainsi ses faits et gestes portés à la connaissance de tous, comme il le déplore dans une lettre à George Sand en juillet 1874 : « j’ai lu dans “une feuille” que vous avez été voir Les Deux Orphelines, fait une promenade au Bois de Boulogne, dîné chez Magny, etc., ce qui prouve que, grâce à la liberté de la Presse, on n’est pas maître de ses actions30 ».
Flaubert ne peut donc plus se déplacer incognito et il habite dorénavant l’imaginaire de ses contemporains grâce aux informations plus ou moins vérifiées continûment distillées par la presse. En particulier, après le succès de Salammbô, les journalistes de la petite presse en sont venus à créer une sorte de personnage fictif, de complexion éminemment plastique, épousant n’importe quelle situation. Son acte de naissance est peut-être l’article d’Adrien Huart dans le Charivari du 10 février 1863, intitulé « M. Flaubert costumier31 », qui mêle habilement le vrai et le faux dans une saynète moqueuse : si l’on a effectivement beaucoup questionné l’écrivain sur le costume de son héroïne au moment de la parution du roman, la scène telle qu’elle est dépeinte par le journaliste est certainement fictive. Mais par la suite, Flaubert ne pourra plus être évoqué sans que Carthage s’en mêle : s’il s’agit d’indiquer la fréquentation régulière par l’écrivain du Café Riche sur le boulevard des Italiens, l’article du Soir précise qu’il « venait [y] commander des boissons carthaginoises, pendant qu’il écrivait Salambô [sic]32 » ; et si Flaubert est absent ce matin de mars 1879 où Goncourt réunit quelques intimes pour leur lire son nouveau roman, c’est que, « cloué sur une chaise longue, il fait retentir la Normandie de formidables jurons [nécessairement !] carthaginois33 ». Flaubert est devenu une sorte de personnage-lieu commun du discours journalistique, qui se présente inévitablement accompagné d’attributs puniques récurrents ; c’est le principe de la scie.
Enfin, la progressive accession de l’écrivain au statut de personnage public est sanctionnée par son entrée dans les dictionnaires. Elle s’est d’abord faite sous une forme plaisante dans la petite presse qui raffole de ces listes de définitions entrelaçant les piques et les traits d’esprit. Le Tintamarre est particulièrement friand de l’exercice. En 1858, dans un « Plutarque-pocket » sous-titré « Études de biographie universelle (et sur le pouce) ancienne et moderne »34, Flaubert est défini comme un « Romancier bovarycateur35 » ; en 1863, c’est dans un « Supplément au Dictionnaire de l’Académie » que la figure de l’écrivain est convoquée :
Agaçant, e. — Adj. Qui agace : le piano de la voisine ; la queue au théâtre ; une mouche sur le nez ; un chapitre de Flaubert ; un gros qui marche tout doucement devant vous sur le trottoir quand vous êtes pressé36.
En 1866, toujours dans Le Tintamarre, l’écrivain prend son tour dans la liste des « décorés d’hier » : « FLAUBERT (Gustave). – 45 ans . – Il est entré à la Revue de Paris en donnant le bras à Madame Bovary37. » Le Charivari n’est pas en reste. Dès 1868, il introduit l’écrivain dans son « Panthéon de poche des célébrités contemporaines » :
GUSTAVE FLAUBERT. — Le Courbet de la littérature — un maître. — A eu le bonheur d’être riche avant d’écrire, ce qui lui a permis d’enrichir son éditeur tout en faisant deux repas par jour38.
Et en 1858, le quotidien s’étonnait déjà, sous la plume de Louis Ulbach, que l’écrivain ne soit pas mentionné dans le Dictionnaire universel des contemporains que venait de publier Gustave Vapereau :
Puisque nous chicanons M. Vapereau sur les oublis, constatons avec stupeur et indignation que le nom de M. Gustave Flaubert manque complètement. Quoi ! l’auteur de Madame Bovary ! Passe encore pour M. Feydeau qui n’était pas inventé lors de l’impression du dictionnaire et qui peut attendre ; mais Flaubert, la gloire la plus grande, la moins contestée, Flaubert lui-même ! Que va dire Rouen ? L’ombre de Mme Bovary va en tressaillir dans le bocal d’arsenic où cette Manon Lescaut du ménage s’est ensevelie !
Avis donc pour une seconde édition39 !
Cependant, si Flaubert devient un personnage public à son corps défendant, il entretient une relation parfois ambiguë avec le refus de la médiatisation. Au moment du procès qui a suivi la parution de Madame Bovary, l’écrivain n’a pas rechigné à ce que soit promue dans la presse sa qualité de fils et frère de deux célèbres médecins rouennais ; il a aussi laissé circuler des estimations excessives sinon mensongères lorsqu’il s’agissait de signer le contrat d’édition de Salammbô avec Lévy – afin d’en augmenter le montant40. Enfin, s’il n’aimait pas en être l’objet, Flaubert était loin de se désintéresser complètement des nouvelles colportées par la presse : « Tiens-moi au courant des cancans de la Revue contemporaine », demandait-il ainsi à Ernest Feydeau en 1859, car « Ça m’amuse41 » !
Le biographème médiatique vain ou outrancier, perpétuelle cause d’allégresse
Effectivement, Flaubert affectionne la position du sage épicurien regardant de loin et sans en être ému les déchaînements de la presse. La présomption dont celle-ci fait preuve en pensant le connaître et les exagérations dont elle est coutumière provoquent souvent son hilarité. C’est par exemple le cas en octobre 1857 lorsque Toni Révillon publie un article42 à son sujet dans la Gazette de Paris. Inséré dans une rubrique intitulée « Figures de la semaine », le portrait excède largement la question de la publication déjà ancienne de Madame Bovary et évoque le physique de l’auteur, ses antécédents, sa méthode de travail et la moralité de son premier roman. La lecture de cet article engendre chez Flaubert une allégresse aussi vive que le propos lui paraît éloigné de la réalité, comme il l’écrit à son ami Duplan :
Je suis ce soir d’une gaieté folle. L’article de cet excellent Tony Révillon, dans la Gazette de Paris, m’a mis, depuis ce matin, dans une humeur impossible à décrire, comme un enthousiasme politique : moi, un viveur de province43. Ah ! C’est trop beau ! Et l’histoire de mes nombreux colis, en voyage ! Ce portrait de moi en gentleman revenu des erreurs de la jeunesse et qui a écrit un roman par désillusion, pour chasser l’ennui ! Hénaurme ! Quinze mille fois Hénaurme, avec trente milliards d’H ! « Je me suis mis à travailler44 ! » Le Malheureux ! Quand est-ce donc que j’ai commencé ! Et mon air sévère ! Mon sourire sans bienveillance45 ! Je vous assure que tout cela m’a flatté46.
L’article suscite en Flaubert une irrépressible hilarité. Le rire vient mettre à distance l’atteinte narcissique qui aurait pu résulter d’une évocation pour le moins malveillante. Mais Flaubert ne se sent presque pas concerné par ce portrait censé révéler au public sa personnalité. La seule assertion relativement exacte est d’ailleurs celle qui concerne « sa manie des bagages47 » lors de son voyage en Orient, une anecdote dont l’écrivain peine à comprendre en quoi elle pourrait bien intéresser les lecteurs du périodique.
De manière plus surprenante, certaines évocations de sa vie privée ne provoquent pas l’ire de Flaubert. Il en va ainsi d’un petit article qui paraît le 12 septembre 1870, à la fois dans Le Gaulois et dans Le Nouvelliste de Rouen. Y est loué l’élan patriotique dont fait preuve « notre illustre romancier48 » qui non content de s’être « fait incorporer dans la garde nationale », aurait juré, « si un Prussien s’avise jamais de vouloir passer le seuil de [s]a maison », de la « fai[re] sauter », aidé en cela par sa vieille mère. Et le journaliste de conclure : « Ah ! si tous les Français étaient coulés dans ce moule-là ! » La lecture de cet article n’a pas particulièrement ému Flaubert. Certes, son engagement dans la défense du territoire français contre les menées prussiennes était alors réel, mais jamais il n’aurait imaginé dynamiter son domicile qui, au grand dam de son propriétaire, a d’ailleurs été effectivement occupé par l’envahisseur quelques mois plus tard. Flaubert ne voit dans cet article qu’une facétie dont il cherche l’origine (est-ce « une plaisanterie de Lapierre – ou du Gaulois49 » ?) et dont il apprécie les retombées (« Je ne sais pas qui m’a fait cette plaisanterie – qu’on a prise au sérieux & dont j’ai reçu des compliments50 »). Ici encore, c’est le côté farcesque du propos51 qui en gomme la dimension désagréablement biographique – et le fait que certains de ses contemporains aient pu croire en sa véracité n’est pas pour rien dans l’indulgence dont l’écrivain paraît faire montre au moins cette fois.
Les assertions de la presse à l’endroit de Flaubert, quand elles ne se décrédibilisent pas elles-mêmes par leurs excès, se ridiculisent par leur vanité voire leur entière fausseté. On en trouve un exemple patent en 1874, au moment où l’écrivain fait représenter sa pièce Le Candidat. Il y avait pourtant déjà beaucoup à dire, en mal, à propos de l’œuvre elle-même. Mais les journalistes ne s’en sont pas satisfaits. Ils ont ajouté à leurs articles moult détails personnels concernant l’auteur. Flaubert s’en émeut auprès de George Sand : « on a fait des articles sur mes domiciles, sur mes pantouffles [sic] & sur mon chien52 ! » À un autre destinataire, il mentionne des articles sur ses pantoufles et son chien, mais aussi « sur [s]on pantalon53 » ! Effectivement, dès le 12 mars, Le Figaro a souhaité « présenter [l’écrivain à ses lecteurs] en pantoufles et en robe de chambre54 ». Le lendemain, c’est L’Événement qui décrit un Flaubert « vêtu d’une veste rouge serrée aux hanches par une ceinture de soie ornée de franges, d’un pantalon noir à la hussarde, tombant à la façon de ceux de Léo Lespès [Timothée Trimm] sur de petites pantoufles de velours noir ornées de rosettes55 ». Et le même jour, un autre article, repris lui-même dans d’autres journaux56, offre son heure de gloire – sous pseudonyme – au chien de l’écrivain. En effet, Paris-Journal, au cours d’une « petite excursion dans la vie privée de Gustave Flaubert57 », évoque sa manière de s’habiller à Croisset (« pantalon très large et tunique de couleur, nouée au milieu du corps par une cordelière ») et ses siestes diurnes « sur un tapis en compagnie de son grand chien Salambô [sic] ». Or, non seulement ces diverses informations n’ont aucune raison d’être divulguées au public, d’après Flaubert, mais elles sont en grande partie fausses puisque le lévrier que son ami Laporte lui a offert en 1872 s’appelle Julio, et qu’« il n’y a rien du tout sur [l]es murs » de son appartement parisien alors que « les chroniqueurs » y ont vu « des tableaux et des bronzes58 ».
Flaubert est certes parfois scandalisé par ces révélations irrespectueuses de sa vie privée59. Mais il est surtout profondément étonné de l’aplomb avec lequel la petite presse invente ou se saisit de détails insignifiants, les gauchit et les monte en épingle jusqu’à leur donner une importance sans aucun rapport avec la réalité. Il avait déjà ressenti ce quasi-émerveillement en 1869 à propos de la fameuse « boîte » contenant le manuscrit de L’Éducation sentimentale. Tout a commencé par un article du Rappel, en date du 18 août, qui relate l’arrivée de Flaubert chez son éditeur Lévy : il vient lui remettre le manuscrit de son roman en vue de son impression, un manuscrit qu’il transporte dans « une belle boîte à clous dorés60 ». Or, quelques jours plus tard et sans qu’on sache s’il y a ou non une filiation avec l’article du Rappel, le feuilleton de Louis Ulbach dans L’Indépendance belge ajoute pléthore de détails à la description de cette boîte, détails qui sont ensuite repris à l’identique par Le Figaro, et en tout ou en partie, entre autres, par Le Petit Figaro61 ou La France62. La boîte se trouve transfigurée : les initiales de Flaubert se détachent sur le couvercle dont les charnières sont « fixées dans le bois au moyen de clous d’or » ; dotée d’un « ingénieux système d’engrenage », elle forme pupitre tandis que capitonné de « soie grise mouchetée de boutons écarlates », son intérieur la fait ressembler au « boudoir d’une jolie femme ». Dans la droite ligne de cette évocation fantaisiste, Paul Rambler ira jusqu’à célébrer le « livre-pierre précieuse de M. Flaubert63 ». Pourtant, l’écrivain ne s’en formalise pas outre mesure. Fataliste, il écrit seulement à sa nièce : « Les petites feuilles s’occupent beaucoup de moi, & disent pas mal de bêtises sur mon compte. Rien que quatre articles sur la Boîte qui contenait mon ms [manuscrit]64 ! »
Néanmoins, peut-être à l’instigation de Lévy, paraît dans Le Figaro du 8 septembre un article venant « [r]ectifi[er] et complét[er le] racontar de l’Indépendance belge » : le manuscrit « est enfermé, non pas dans une boîte de bois précieux capitonnée à l’intérieur, mais dans une modeste boîte de bois blanc à fermoirs en cuivre65 ». Pour autant, ce correctif ne met pas un terme à la légende de la « boîte » : elle renaît dès le lendemain, dans le même Figaro, sous la forme d’« un bijou à clous d’or, à doublure de satin gris-perle, à serrure de sûreté », d’une « cassette désopilante ou effrayante, à volonté66 ». Le Charivari n’est pas en reste, lui qui se moque de ce « riche écrin gris perle67 ». Mais la boîte trouvera évidemment son apothéose sous la plume acérée de Barbey d’Aurevilly qui ridiculise, dans sa critique du roman, le « soin tabernaculaire » qu’a pris l’auteur de sa copie :
M. Flaubert a inventé une boîte pour son manuscrit, et par ce temps de bibelots niais, c’était là une idée. À défaut d’un autre, il aura toujours eu ce génie. On l’appellera désormais « l’homme à la boîte » en littérature, et ce sera une distinction68.
L’article de Barbey comporte bien d’autres critiques qui excèdent la reprise malveillante de l’épiphénomène biographique que constitue cette boîte. Mais il nous intéresse ici en ce qu’il marque aussi le point de bascule entre le biographème médiatisé déconnecté de la réalité, simple source d’hilarité ou objet d’émerveillement pour Flaubert, et le biographème médiatisé préjudiciable, combattu ou fui par l’écrivain.
Nocivité du biographème médiatisé
On l’a vu, Flaubert n’a pas pu empêcher que sa silhouette et ses traits soient décrits par les journalistes. Mais il n’a jamais accepté qu’une évocation physique désobligeante, constituant une attaque personnelle (argumentum ad personam), puisse se substituer à la réflexion sur le fond ou les faits, c’est-à-dire sur l’œuvre (argumentum ad rem). Et le principe ne vaut pas seulement pour lui. Ainsi, il se désabonne de La République des Lettres quand celle-ci attaque Renan, non pas sur ses idées, mais sur « [s]es cheveux rouges qu’il n’a pas, & sa famille pauvre en l’appelant domestique des princes69 » : « On s’attaque [là] à l’homme de la façon la plus grossière70 », dénonce Flaubert.
Mais encore faut-il être en situation d’analyser convenablement les articles qui parlent de soi. Ainsi, Flaubert demande à Feydeau, le 1er septembre 1866 : « Quel est l’individu qui signe, SIMPLEX, dans L’Événement ? Il a écrit, m’a-t-on conté, des infamies sur mon compte71 ? » Effectivement, la livraison du 25 août72 présente un article intitulé « M. Gustave Flaubert », signé non pas Simplex mais Simplice, qui appartient à la série « Marbres et Plâtres ». Or, le rédacteur de ce portrait est Émile Zola, alors jeune journaliste, qui admire Flaubert mais ne le connaît pas encore personnellement. Alors, quelles « infâmies » a-t-il pu écrire sur son aîné ? Ce n’est vraisemblablement pas la description peu flatteuse de son « allure épaisse et presque commune » le faisant ressembler à « un riche maquignon de Normandie » qui a indigné l’informateur de Flaubert, pas plus que cette affirmation reprise un peu partout que le fils de chirurgien aurait « commencé par étudier la médecine » (peut-être par confusion avec le parcours de son ami Bouilhet73 ?). C’est bien plutôt le ressort dramatique de la saynète imaginée par Zola qui a fait tiquer. En effet, celle-ci décrit Flaubert en pleine visite de candidature à l’académicien Nisard et acceptant de répondre à ses questions toutes plus ineptes les unes que les autres. Zola a beau commencer et finir son article en reconnaissant que Flaubert est fort peu sujet à la « fièvre académique », il n’empêche qu’il le place dans une situation de sollicitation74 contraire à ses principes et susceptible d’être taxée d’ignominie par l’un de ses amis. Mais pour le reste, dans cet article, on en apprend sûrement plus sur Zola que sur Flaubert75, et le jugement du critique sur l’œuvre et sur l’écrivain est extrêmement louangeur.
La charge malveillante de certaines évocations biographiques doit donc être parfois relativisée, mais c’est le principe même de leur diffusion qui est posé et rejeté par Flaubert dès lors qu’un préjudice peut en découler, au premier chef une atteinte affective pour ses proches. C’est ce que désapprouve surtout l’écrivain dans l’article qui paraît le 8 janvier 1863 dans Le Figaro. Au détour d’une sévère critique de Salammbô, Théophile Silvestre se permet des considérations qui excèdent la seule production littéraire du romancier. Il évoque un écrivain « [r]obuste, mais porté à la mollesse », qui « n’a guère d’esprit et de conversation, même avec les femmes » et qui « port[e] son style dans le regard, un style visqueux et batracien qui s’enfle76 » ! Flaubert a pensé répondre publiquement à ces bassesses, mais Du Camp et Bouilhet l’en ont dissuadé77.
Et s’il est conscient que d’autres raisons expliquent ces attaques78, l’écrivain s’émeut surtout de leurs effets sur sa vieille mère :
J’avais pris toutes les précautions imaginables p[ou]r qu[’elle] ne sût rien de l’article du Figaro. Deux amies à elle […] n’ont eu rien de plus pressé que de lui réciter l’article par cœur. – Elle en a eu un mouvement nerveux assez vif dimanche soir & elle s’imagine dès qu’elle me voit sortir que je vais aller sur le terrain79.
Un autre épisode illustre parfaitement les répercussions néfastes de la diffusion médiatique d’un biographème : à la fin du mois de janvier 1879, Flaubert, « en glissant sur le verglas » à Croisset, se donne « une très forte entorse avec fêlure du péroné80 ». Or, cet accident a connu une extraordinaire fortune dans la presse. Le nombre de journaux reprenant la nouvelle de cette « jambe cassée » et ses mises à jour successives sous forme de bulletins de santé est une démonstration incontestable du phénomène de la viralité81 dans la presse – au grand dam de Flaubert qui redoute d’abord que sa nièce ne reçoive la nouvelle de sa chute par voie médiatique avant qu’il ait pu la rassurer82 et doit ensuite répondre à d’innombrables missives alarmées :
Le Figaro ayant eu la bêtise de publier mon accident, tous mes amis se sont inquiétés, & j’ai reçu hier quinze lettres, & ce matin onze. Voilà les bienfaits du journalisme. De quel droit ma jambe appartient-elle à Villemessant ? Notez qu’il croit m’honorer et me faire plaisir. Cet entrefilet m’a été très désagréable. Je n’aime pas à « intéresser » le public avec ma personne83.
Une nièce effrayée, des amis inquiétés, et un frère presque poussé dans la tombe (« L’annonce de mon accident a failli tuer mon frère qui est à Nice – malade d’une affection nerveuse84 »), voilà les résultats désastreux de la diffusion d’un biographème par la presse. On comprend la supplique que formule alors Flaubert : « Si Villemessant voulait consentir à ne jamais s’occuper de ma personne, il me rendrait un beau service85. »
Mais cette divulgation a eu des conséquences professionnelles encore plus préjudiciables. L’épisode de la jambe cassée a généré un trafic épistolaire intense qui a empêché l’écrivain de se remettre au travail, au moins autant que les séquelles physiques de l’accident lui-même. Et c’est encore pire quand un article se permet des indiscrétions au sujet de l’œuvre en chantier. Ainsi, fin décembre 1879, Le Voltaire publie un article anonyme qui révèle partiellement le titre (« B… et P… ») du « nouveau roman de l’auteur de Madame Bovary86 » et colporte une anecdote que Flaubert réfute :
Une réclame dans Le Voltaire, inventée par je ne sais qui, m’a gêné durant trois jours. – (Est-ce Charpentier qui en est l’auteur ?) En tout cas, j’en veux au coco inconnu qui livre au public les initiales de mes deux bonshommes – et qui soutient que j’ai prôné Rochefort ! – par-devant LL. MM. Impériales ! – Ce qui eût été d’un joli goût ! – Oh ! le reportage ! quelle merde87 !
Si l’écrivain n’a pas le pouvoir d’empêcher les intrusions de la presse dans sa vie personnelle et son activité professionnelle, il peut cependant réduire leur nombre et leur fréquence en renonçant aux situations qui en favorisent la naissance. C’est l’une des raisons qui l’ont longtemps retenu de solliciter une aide alors que sa situation pécuniaire devenait de plus en plus périlleuse. La parution d’un article dans Le Figaro, le 15 février 1879, révélant les démarches vaines engagées par ses amis pour qu’il succède à Silvestre de Sacy à la bibliothèque Mazarine, a été une lourde épreuve : « Cette pitié que Le Figaro sollicite p[ou]r moi est une nouvelle coupe d’amertume88 ! », confie-t-il alors à son ami Lapierre. Aussi s’opposera-t-il ensuite avec véhémence à toute autre tractation :
Une pension déguisée sous le nom d’« hommage » serait p[ou]r moi d’une pesanteur intolérable. Le « titre honorifique » qui l’accompagnerait sentirait trop la pitié. Notez que cette nomination doit être insérée à l’Officiel ! Alors je retombe dans les mains de MM. les journalistes. La mesure serait critiquée, discutée, & votre ami bafoué89.
À défaut de maîtriser les conséquences, Flaubert tente de supprimer les causes – quand il le peut…
Mais il aurait surtout fallu ne jamais donner de prise à la publicité et Flaubert ne peut que déplorer de n’avoir pas réussi à respecter son plan initial :
Maudit soit le jour où j’ai eu la fatale idée de mettre mon nom sur un livre ! – Sans ma mère & Bouilhet, je n’aurais jamais imprimé ! – Comme je le regrette maintenant ! – Je demande à ce qu’on m’oublie, à ce qu’on me foute la paix, à ce qu’on ne parle jamais de moi ! Ma personne me devient odieuse ! – Quand donc serai-je crevé, p[ou]r qu’on ne s’en occupe plus. – Tu veux que je te dise la Vérité, ma chère fille – eh bien, la voilà – mon cœur éclate de rage – & je succombe sous le poids des avanies90.
L’existence de Flaubert est la preuve éclatante de l’échec de son système idéal en temps médiatique. À partir du moment où l’on a publié91, il est impossible d’espérer dissimuler sa vie à la presse. Et c’est encombrée de ces biographèmes plus ou moins sujets à caution, cristallisés de son vivant, que la figure de l’écrivain a commencé son parcours posthume, en premier lieu par les notices nécrologiques qui ont immédiatement suivi son décès92.
Notes
1 Voir par exemple le numéro spécial « Flaubert médiatique », dirigé par Marie-Astrid Charlier et Marie-Ève Thérenty, de la revue Flaubert (n° 25, 2021).
2 Lettre de Flaubert à Louise Colet, 26 août 1846. La Correspondance est citée d’après l’édition en ligne sur le site Flaubert de l’université Rouen Normandie (éd. Yvan Leclerc et Danielle Girard).
3 Lettre de Flaubert à Maxime Du Camp, mai 1846.
4 Lettre de Flaubert à Marie-Sophie Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857.
5 En dépit de cette impersonnalité revendiquée, les œuvres de Flaubert présentent de nombreuses références à sa vie plus ou moins cryptées. Voir Éric Le Calvez : « “Cache ta vie”, Flaubert et les biographèmes », dans La Littérature et la Vie, éd. Christophe Ippolito, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 187-201.
6 Lettre de Flaubert à Louise Colet, 3 janvier 1853.
7 Lettre de Flaubert à Louise Colet, 27 mars 1852.
8 « Il voulait laisser des livres et non des souvenirs », explique Guy de Maupassant (« Gustave Flaubert dans sa vie intime », La Nouvelle Revue, 1er janvier 1881, p. 143).
9 BM Rouen, g226 (6) f° 45. En ligne sur le site : Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet (dir. Stéphanie Dord-Crouslé), 2012-...
10 Lettre de Flaubert à George Sand, 12 octobre 1871.
11 « Je hais cette petite manière de publier sa pensée [dans les journaux] et je témoigne ma haine par une abstention complète, en dépit de l’argent que je pourrais gagner » (lettre de Flaubert à la princesse Mathilde, 7 janvier 1869).
12 Lettre de Flaubert à Ernest Feydeau, 21 août 1859.
13 Flaubert paraît jouer ici sur la paronymie de son patronyme avec celui d’un armurier, Louis-Nicolas Flobert (1818-1894), inventeur en 1845 de la première cartouche métallique à percussion annulaire. Depuis cette époque, la quatrième page des journaux présente de nombreuses publicités pour des pistolets ou des carabines « système Flobert » (pour un exemple parmi tant d’autres : Journal des débats politiques et littéraires, 17 juillet 1872, p. 4). Les ressorts comiques de cette équivoque sont mis à profit par les publications satiriques comme Le Tintamarre qui raille le roman carthaginois en publiant ces vers : « Flobert inventa la cartouche / Qui, pour l'éternité, vous couche / Raide et glacé dans le tombeau. / Flaubert, – l'autre, – à ce qu'on raconte, / Découvrit une mort moins prompte, / Mais plus sûre : Salammbô » (1er février 1863, p. 4). En 1921, à l’occasion du centenaire de la naissance du romancier, le dessinateur Gil Baer s’en est lui aussi encore servi pour son « éloge de Flaubert par Monsieur Masson ».
14 Comme l’indique Jean Bruneau dans son édition de la Correspondance (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1980, p. 1361), cette autobiographie en farce a pourtant été reproduite, après la mort de Feydeau mais du vivant de Flaubert, dans un article de Paris-Journal (Jean de Chelles : « Gustave Flaubert », 8 avril 1874). Voir aussi « Une esquisse d’autobiographie », L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 25 octobre 1886, col. 639-640.
15 Maupassant voudrait croire qu’il en a été autrement pour Flaubert : « Aussitôt qu'un homme arrive à la célébrité, sa vie est fouillée, racontée, commentée par tous les journaux du monde ; et il semble que le public prend un plaisir spécial à connaître l'heure de ses repas, la forme de son mobilier, ses goûts particuliers et ses habitudes de chaque jour. Les hommes célèbres se prêtent d'ailleurs volontiers à cette curiosité qui augmente leur gloire : ils ouvrent aux reporters la porte de leur maison et le fond de leur cœur à tout le monde. / Gustave Flaubert, au contraire, a toujours caché sa vie avec une pudeur singulière ; il ne se laissa même jamais portraiturer ; et, en dehors de ses intimes, nul ne le put approcher » (« Gustave Flaubert dans sa vie intime », art. cit., p. 142).
16 Voir Yvan Leclerc : « Portraits de Flaubert et de Maupassant en photophobes », Romantisme, n° 105, 1999, p. 97-106.
17 Le Monde illustré, 3 décembre 1864, p. 2.
18 « Gustave Flaubert », La République des Lettres, 23 octobre 1876, p. 95.
19 « La semaine comique, par Hadol », L’Éclipse, 12 avril 1874, p. 4.
20 Expression employée à propos de Flaubert par Edouard Drumont dans un article portant sur Trois contes (La Liberté, 23 mai 1877, p. 3).
21 En 1857, pour La Chronique parisienne, Flaubert est « rouge comme un marchand de vins, cinq pieds six pouces, la quarantaine, des moustaches comme les pinceaux de Doré » (n° 1, février, reproduit dans l’Histoire anecdotique et critique de la presse parisienne, 1857 et 1858, par Firmin Maillard, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859, p. 177 ; évocation reprise dans La Lune du 19 août 1866 qui donne, p. 2, la biographie des « décorés de la littérature et de la musique ») ; en 1863, dans le Figaro, « [i]l est de haute taille, charpenté en gendarme […]. Moustache à la Sambre-et-Meuse, humide et pendante ; tête carrée aux longs cheveux égaux, quelque peu tonsurée ; yeux d’objectif » (8 janvier, p. 1-2) ; en 1866, Zola – sous pseudonyme – pointe « cette face haute en couleur et comme couturée, ces yeux ronds et saillants, cette moustache rude » (« Marbres et Plâtres - M. Gustave Flaubert », L’Événement, 25 août, p. 1) ; en 1869, il apparaît, pour Le Rappel, « grand, robuste, face colorée » (« Les on-dit du boulevard », 18 août, p. 1) ; et en 1874, Le Figaro, après avoir rappelé qu’« [o]n connaît peu à Paris la physionomie de Gustave Flaubert », célèbre « sa belle tenue de gendarme obèse, ses moustaches tombantes et ses yeux à fleur de tête, ressemblant vaguement à ce que les bourgeois appellent des boules de loto » (12 mars, p. 1). Le lendemain, Georges Duval se trouve quant à lui « en face d’un homme immense, aux épaules carrées, orné d’une grosse moustache grise, qui lui donnait l’allure d’un officier de cavalerie en retraite » (L’Événement, 13 mars 1874, p. 1).
22 « Il est peu de personnalités plus originales et plus sympathiques que celle de Gustave Flaubert […]. Il en est peu de moins connues de la foule, par les traits physiques, bien entendu » (La Liberté, 23 mai 1877, p. 3).
23 Voir La France, 2 avril 1879, p. 3.
24 « Échos de partout », L’Estafette, 10 janvier 1878, p. 3.
25 Voir La France, 24 février 1878, p. 3.
26 Voir Le Progrès de la Somme, 27 mars 1880, p. 3.
27 Gil Blas, 28 mars 1880, p. 1.
28 La Liberté, 15 août 1879, p. 3.
29 Le Globe, 14 août 1879, p. 4.
30 Lettre de Flaubert à George Sand, 3 juillet 1874.
31 Le Charivari, 10 février 1863, p. 1-2.
32 « Variétés – Le boulevard des Italiens », Le Soir, 13 janvier 1878, p. 4.
33 « Revue bibliographique », Le Figaro, 19 mars 1879, p. 5.
34 Ce titre démarque évidemment celui de la Biographie universelle de Michaud.
35 Le Tintamarre, 8 août 1858, p. 3.
36 Le Tintamarre, 16 août 1863, p. 6.
37 Le Tintamarre, 19 août 1866, p. 4.
38 Le Charivari, 17 novembre 1868, p. 2.
39 « Promenade à travers un dictionnaire », Le Charivari, 24 décembre 1858, p. 2.
40 À ce propos, voir Stéphanie Dord-Crouslé : « Événement littéraire et culte de l’art éternel chez Flaubert – Rigueur des principes et petits arrangements pratiques », dans Corinne Saminadayar-Perrin (dir.), Qu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle ?, Saint-Étienne, PUSE, 2008, p. 75-91.
41 Lettre de Flaubert à Ernest Feydeau, 27 janvier 1859.
42 Toni Révillon : « Figures de la semaine : Gustave Flaubert », Gazette de Paris, 18 octobre 1857 (texte donné par Jean Bruneau, Correspondance, éd. citée, t. II, p. 1405-1406).
43 Toni Révillon écrit : « Pauvre, il eût travaillé. Riche et indépendant, il a mené l’existence des viveurs de province. » (Ibid.)
44 « M. Gustave Flaubert, à son retour, s’est mis à l’étude. » (Ibid.)
45 « Sa taille est élevée. Sa physionomie est sérieuse, presque sévère ; le sourire est sans bienveillance, le regard profond. » (Ibid.)
46 Lettre de Flaubert à Jules Duplan, 20 octobre 1857.
47 « Il avait la manie des bagages. À chaque départ et à chaque arrivée, le dénombrement homérique de ses malles, coffrets, cartons et nécessaires nous amusait fort » (Toni Révillon cité par Jean Bruneau, op. cit.)
48 Gaston de Pressac : « Les Nouvelles », Le Gaulois, 12 septembre 1870, p. 2.
49 Lettre de Flaubert à sa nièce Caroline, 12 septembre 1870.
50 Lettre de Flaubert à la même, 15 septembre 1870.
51 Avec raison, Jean Bruneau relève cependant aussi dans cet article une dimension « un peu ironique » (Correspondance, éd. citée, t. IV, 1998, p. 1175).
52 Lettre de Flaubert à George Sand, 15 mars 1874.
53 Lettre de Flaubert à un destinataire inconnu, 20 mars 1874.
54 « Échos de Paris », Le Figaro, 12 mars 1874, p. 1.
55 L’Événement, 13 mars 1874, p. 2.
56 Voir par exemple La Gazette de France, 13 mars 1874 (« Chronique », p. 3) ou Le Petit Moniteur universel, 14 mars 1874 (« Théâtres et Concerts. Nouvelles », p. 4).
57 Jehan Valter : « Gazette parisienne. Le Candidat, au Vaudeville », Paris-Journal, 13 mars 1874.
58 Lettre de Flaubert à George Sand, 15 mars 1874. Les domiciles de Flaubert ont donné lieu à diverses évocations fantaisistes. Voir par exemple dans Le Gaulois du 27 décembre 1878 : « Son habitation de Paris est une merveille d’art. Je cite, à la volée, le magnifique plafond de la princesse Mathilde, et une collection d’estampes du dix-huitième siècle, qui est à coup sûr, une des plus riches de France » (p. 1). L’article est signé « Montjoyeux ». Jules Poignand (1851-1921) connaissait pourtant bien Flaubert et Zola qui pointe lui aussi les nombreuses inexactitudes de l’article dans une lettre à Léon Hennique du 28 décembre. Peut-être est-ce à propos de cet article que Flaubert écrit à Maupassant : « Merci p[ou]r l’envoi ! – c’est bien beau cet article ! Mon dieu ! mon dieu ! mon dieu ! que les journalistes sont bêtes ! » (31 décembre 1878-1er janvier 1879). Dans ses mémoires, Émile Bergerat accuse Pierre Giffard d’être à l’origine du courroux de Flaubert : « Un jour, et si rebelle qu’il fût aux indiscrétions bêtes du reportage, il s’était laissé aller à recevoir chez lui l’un de ses jeunes compatriotes rouennais, son zélateur passionné du reste, mon camarade Pierre Giffard. Or dans le compte rendu de son exploration, le journaliste, croyant plaire au maître, l’avait enrichi d’une collection de tableaux rothschildienne où les anciens disputaient aux modernes les centimètres de ses lambris. La fureur de Flaubert, à la lecture de l’article, était montée à la congestion. — Des tableaux chez moi !… Il en a vu !… Oh ! le scélérat !… Et c’est un “pays !”… La haine de la littérature !… M’accuser de galerie de peinture ? Que lui ai-je fait ? — Et il resta longtemps convaincu que c’était un coup de la municipalité de Rouen, dont le petit Giffard était le spadassin breveté, à moins que Villemessant n’en fût l’instigateur, ce qui était encore bien possible !… » (Souvenirs d’un enfant de Paris, Paris, Fasquelle, 1912, t. 2, p. 139). Mais le seul article contemporain de Giffard portant sur Flaubert ne mentionne qu’un « petit salon » qui « n’avait pour tout ornement qu’un papier à ramages chinois, et, sur la cheminée, un gros poussah, branlant la tête avec mélancolie » (Le Gaulois, 5 mars 1874, p.1). Flaubert semble bien plutôt avoir à l’esprit l’article de Georges Duval dans L’Événement : « Nous voici dans son cabinet de travail. Sur la cheminée, des bronzes ; aux murs, des tableaux et autres objets d’art » (13 mars 1874, p. 2 ).
59 « […] Rien ne l’irrite comme lorsqu’il trouve dans les journaux des détails sur son intérieur ou son intimité : il entre en fureur. Jamais il ne permettrait qu’on fît son portrait, et il a l’horreur des endroits où l’on est reconnu » (Juliette Adam, Mes souvenirs, Paris, A. Lemerre, t. III, 1905, p. 416).
60 Le Rappel, 18 août 1869, p. 1.
61 Francis Magnard : « Notes d’un liseur », Le Petit Figaro, 24 août 1869, p. 2.
62 « Chronique », La France, 24 août 1869, p. 2.
63 Paul Rambler : « Choses du jour », Paris, 1er septembre 1869, p. 2.
64 Lettre de Flaubert à sa nièce Caroline, 8 septembre 1869.
65 « Échos de Paris », Le Figaro, 8 septembre 1869, p. 1. L’article paraît aussi le même jour dans Le Petit Figaro, p. 1-2. Le manuscrit, décrit avec une grande précision, correspond en tous points au manuscrit du copiste conservé aujourd’hui à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (Rés. Ms 99).
66 « Chronique du remplaçant », Le Figaro, 9 septembre 1869, p. 1.
67 Le Charivari, 17 septembre 1869, p. 1.
68 Jules Barbey d’Aurevilly : « Variétés littéraires », Le Constitutionnel, 29 novembre 1869, p. 3. À propos de cette boîte, voir aussi Stéphanie Dord-Crouslé : « Les archives de Flaubert : conserver pour prouver », dans Claude Millet (dir.), Les Archives au XIXe siècle. Nouveaux partages, nouveaux usages, Paris, Centre de ressources Jacques-Seebacher, 2017.
69 Lettre de Flaubert à Émile Zola, 25 juillet 1876. Voir aussi la réaction de Flaubert au traitement reçu par Guizot : « Il y a [dans La Revue de Paris] un article d’Hippolyte Castille sur Guizot, ignoble. Ne sachant comment l’éreinter, il lui reproche d’aller à pied dans les rues de Londres. Il l’appelle marcassin. – C’est aussi bête que canaille. – Quel joli métier ! » (lettre de Flaubert à Louise Colet, 6 avril 1853).
70 Lettre de Flaubert à Guy de Maupassant, 25 juillet 1876. Voir aussi : « Catulle […] n’aurait pas dû l’insérer [l’article], tant il est plein de grossièretés, d’attaques à la personne » (lettre de Flaubert à Edma Roger des Genettes, juillet 1876).
71 Lettre de Flaubert à Ernest Feydeau, 1er septembre 1866.
72 L’Évènement, 25 août 1866, p. 1.
73 Sur la proximité et les confusions fréquentes entre Flaubert et Bouilhet, voir Stéphanie Dord-Crouslé : « La correspondance entre Bouilhet et Flaubert, à partir de L’Éducation sentimentale – et au-delà… », dans Crossed Correspondences: Writers as Readers and Critics of their Peers, ed. Vanessa Guignery, Cambridge Scholars Publishing, 2016, p. 196-214 [texte de la communication disponible sur HAL-SHS].
74 Il y a là aussi un échange de questions-réponses qui s’apparente à une interview, format médiatique auquel Flaubert n’a jamais voulu sacrifier, lui qui « ne pardonnait pas d'ailleurs au reportage moderne, et il n'avait pas toujours tort, ses indiscrétions, ses maraudes dans la vie privée. Il se défendait contre lui, répétant qu'il n'appartenait au public que par ses œuvres, et que, pour juger de son mérite littéraire, on n'avait besoin de connaître ni sa figure et son costume, ni la façon dont il bourrait ses petites pipes. Les porteurs de questionnaires intimes étaient aussi bien consignés à la porte de la maison de Croisset que ceux qui venaient offrir leur collaboration pour les pièces de théâtre » (Charles Lapierre : « Gustave Flaubert à Croisset », Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche, 13 juillet 1889, p. 1).
75 Voir Florence Pellegrini : « “Je les hais” : formules et sentences dans l’argumentaire zolien », dans Marie Blaise, Sylvie Triaire et Alain Vaillant (dir.), L’Histoire littéraire des écrivains. Paroles vives, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2009.
76 Théophile Silvestre : « M. Gustave Flaubert », Le Figaro, 8 janvier 1863, p. 1-2.
77 Voir la lettre de Louis Bouilhet à Flaubert du 9 janvier 1863.
78 « Lévy a refusé à Silvestre de lui imprimer une brochure contre Ingres » (lettre de Flaubert à Jules Duplan, 12 janvier 1863).
79 Lettre de Flaubert au même, 13 janvier 1863.
80 Lettre de Flaubert à sa nièce Caroline, 27 janvier 1879.
81 Le nombre d’articles mentionnant l’accident entre le 29 janvier et le 19 mars 1879 est très supérieur à 50 selon un relevé loin d’être exhaustif.
82 « Mon Loulou, / J’ai peur que Le Nouvelliste n’insère un entrefilet qui te donnerait de l’inquiétude » (lettre de Flaubert à sa nièce Caroline, 27 janvier 1879).
83 Lettre de Flaubert à Ivan Tourgueneff, 30 janvier 1879.
84 Lettre de Flaubert à Ernest Daudet, 16 février 1879.
85 Ibid.
86 « Échos de Paris », Le Voltaire, 20 décembre 1879, p. 2.
87 Lettre de Flaubert à Edmond de Goncourt, 2 janvier 1880. Flaubert a découpé cet article dans Le Voltaire sans qu’on sache ce qu’il avait vraiment l’intention d’en faire, mais il est conservé dans les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet (g226 (7), f° : 289).
88 Lettre de Flaubert à Charles Lapierre, 16 février 1879.
89 Lettre de Flaubert à Guy de Maupassant, 7 mars 1879.
90 Lettre de Flaubert à sa nièce Caroline, 21 février 1879.
91 « j'ai été lâche – j'ai manqué à mes Principes (car moi aussi, j'en ai) et j'en suis puni. Il ne faut pas se plaindre – mais j'en souffre – oui – cruellement. Pas de pose. Toute la dignité de ma vie est perdue. Je me regarde comme un homme souillé. » (Ibid.)
92 Voir Marina Girardin, La Mort écrite de Flaubert. Nécrologies, Paris, Honoré Champion, 2021. Comme le constate Jules Claretie, dès le 18 mai 1880, dans sa chronique : « Cet homme qui, de son vivant, déroba soigneusement, avec un souverain dédain, sa vie au reportage et au caquetage des biographes, est en proie, depuis sa mort, aux anecdotes et aux jugements des chasseurs d’actualités » (Le Temps, p. 3 ; repris dans La Vie à Paris : 1880. Première année, Paris, Victor Havard, 1881, p. 131-132).