La lettre et la presse : poétique de l’intime et culture médiatique

De la couventine à la débutante : signature féminine et mise en scène de soi dans la presse au XIXe siècle

Table des matières

JULIE ROY et CHANTAL SAVOIE

Au Québec, les couvents ont été le lieu privilégié de la formation littéraire des jeunes filles. C’est là qu’y est dispensé l’enseignement et qu’elles acquièrent l’habitus socio-littéraire qui marquera de manière durable leur rapport aux lettres. À partir du milieu du XIXe siècle, des sociétés littéraires s’organisent et des publications autonomes destinées à rendre publics les travaux des écolières apparaissent dans les couvents, naturalisant, par l’intégration au parcours scolaire, le geste de publier un texte dans un périodique et permettant un contact inédit avec les enjeux particuliers de la sphère publique.

L’étude de cette presse des couventines, au-delà de la curiosité que peut susciter le phénomène, semble toutefois permettre d’arrimer les éléments constitutifs de la formation aux pratiques d’écriture des femmes dans la presse périodique et ce, tant en regard de leur ancrage dans une certaine tradition que de leur réception et des moyens utilisés pour façonner l’acceptabilité des formes et du propos. Dans ce contexte, nous nous intéresserons à cerner dans la presse des couventines l’émergence de stratégies qui ancrent des manières de faire et aboutissent, dans certains cas, à des postures littéraires féminines dans la presse grand public. Nous examinerons notamment comment le modèle épistolaire, hérité de la tradition familiale, scolaire et littéraire, se module au contact de la sphère médiatique pour devenir le cadre privilégié permettant de négocier les modalités au sein desquelles les « femmes1 » peuvent, par le discours, dépasser le cadre privé de la pratique épistolaire. L’étude de ce processus est essentiel à une meilleure compréhension des pratiques scripturaires des femmes, dans la mesure où elle contribue à permettre de retracer les différentes étapes qui jalonnent, sur le plan de la forme et des pratiques, le parcours des femmes dans l’univers journalistique au tournant du XXe siècle.

L’écriture dans les couvents

Au Québec, les religieuses ont l’habitude de l’écriture et de la diffusion de cette écriture depuis l’époque de la Nouvelle-France. Elles sont d’ailleurs les principales représentantes de la femme lettrée jusqu’à la fin du XIXe siècle, produisant d’importantes correspondance et relations, publiant l’histoire de leur communauté, des biographies ainsi que d’ouvrages religieux manuscrits2. Les programmes d’enseignement qu’elles adressent aux jeunes filles donnent d’ailleurs une importance toute particulière à l’enseignement du français, des langues et des belles-lettres3. La première et la principale forme d’écriture enseignée est l’art épistolaire, qui se prête à toutes les occasions et qui est fortement associé au féminin. Les couventines sont également initiées à des pratiques plus mondaines, comme l’art du compliment, mais également à l’histoire et à la littérature, notamment grâce aux lectures qui leur sont proposées.

Depuis leur arrivée au pays, la volonté des communautés religieuses de démontrer leur utilité et l’impact de leur enseignement sur la société a favorisé la mise en place d’un système de reconnaissance qui passe par les représentations auprès des visiteurs étrangers, des dirigeants du pays et des personnalités en vue qui sont toujours de potentiels clients ou bailleurs de fonds. La structure même de l’enseignement, avec ses examens publics et les séances offertes aux hôtes de prestige témoignent de cette constante. Les couventines, malgré leur isolement au pensionnat, sont constamment en représentation. Pour la petite bourgeoisie, l’éclat des femmes réside dans leurs valeurs morales et leur grande piété. Elles doivent également savoir écrire et discourir sur divers sujets tout en restant modeste et s’adonner aux arts comme la musique, la broderie, le dessin. Elles apprennent ce que doit savoir une jeune fille, mais plus spécialement une jeune fille destinée à épouser un jeune homme de son rang et à faire briller celui-ci dans la société. Au sortir du couvent, le salon familial devient l’endroit tout désigné pour mettre en valeur les talents de ces jeunes filles éduquées à grands frais. L’art du compliment, l’essai au piano, le chant et l’art de la conversation servent de faire-valoir à une bonne éducation et les religieuses renforcent ces dispositions à l’intérieur des maisons d’enseignement.

Des comptes rendus des séances d’examens publics, avec leur assortiment d’activités littéraires, théâtrales et musicales, sont d’ailleurs fréquemment publiés dans la presse tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Il n’est donc pas étonnant que le premier texte signé par des femmesidentifiables dans l’histoire de la presse québécoise soit un compliment déclamé par les Petites pensionnaires l’Hôpital général lors de la visite du gouverneur en chef Sir Guy Carleton et de son épouse Maria Howard en 17744. Sa publication dans la Gazette de Québec du 27 octobre 1774 témoigne de l’acceptabilité de cette pratique qui constitue à la fois une forme d’émulation pour les couventines qui sont mises à l’honneur et un faire valoir pour les religieuses qui dispensent l’enseignement.

Ces pratiques donneront lieu, dès 1845, à la création, chez les Ursulines de Trois-Rivières, du journal L’Annuaire destiné à colliger les compositions des meilleures étudiantes. À partir de cette date, des sociétés littéraires, des concours et des journaux manuscrits destinés à rassembler et à diffuser les œuvres littéraires des couventines voient le jour dans divers pensionnats de la province et finissent par faire partie intégrante du paysage scolaire féminin. Le Papillon littéraire, qui paraît de 1855 à 1864 chez les Ursulines de Québec et qui devient l’Echo du cloître de 1869 à 1884, ainsi que La Glaneuse produite au pensionnat d’Hochelaga des Sœurs des Saints Noms Jésus et de Marie de 1871 à 1880, recueillent les meilleurs textes produits par les couventines tout en témoignant de la vie culturelle et littéraire qui s’anime au pensionnat.

Parmi les textes recensés dans les journaux de couventines, on retrouve essentiellement des lettres, des poèmes, des analyses littéraires, des récits historiques et des biographies de femmes célèbres, dont les sujets sont fortement influencés par les matières enseignées aux couventines et le contenu du cours de littérature. On trouve également des résumés des activités de la société littéraire et de celles du pensionnat, notamment les événements entourant la rentrée scolaire, les retraites, les sermons et les séances littéraires et musicales. L’emprunt d’un appareillage épistolaire au sens large fait souvent partie intégrante de la mise en forme de ces textes présentés d’abord aux maîtresses de classe et aux consoeurs.

Le Papillon littéraire et L’Écho du cloître

Le Papillon littéraire reprend la formule du cahier d’honneur qui a cours chez les Ursulines et qui vise à reproduire les meilleurs textes produits par les jeunes filles au cours de l’année scolaire. Il est toutefois bien plus que cela. Il est né de l’initiative du chapelain de la communauté, Louis-Georges Lemoine. À son arrivée au couvent, le nouveau chapelain avait raconté aux couventines comment, jeune étudiant, il meublait ses heures de loisir avec ses jeunes collègues en recréant une chambre d’assemblée qui donnait lieu à d’innombrables débats et offrait l’avantage d’être un divertissement offrant de grandes vertus pédagogiques. Il avait suggéré aux couventines de trouver une façon utile et agréable équivalente de contrer l’oisiveté qui siérait toutefois davantage à une jeune fille. L’idée de créer une société littéraire où elles pourraient exercer leur esprit avait émergé. Ainsi était née la Société littéraire des Ursulines de Québec et l’organe de diffusion de ses travaux, Le Papillon littéraire.

Le Papillon littéraire est avant tout un lieu d’émulation et de développement des habiletés littéraires des couventines. Non seulement leurs textes sont-ils soumis aux maîtresses, aux membres de la Société littéraire et à l’œil aguerri du chapelain5, mais il devient un objet de diffusion destiné au « public du cloître » constitué de l’ensemble des élèves, de leurs parents et des nombreux visiteurs de la communauté. La Société littéraire est un lieu d’apprentissage et Le Papillon un lieu de dépassement de soi et de reconnaissance des talents littéraires des couventines. On en retrouve l’essentiel dans le poème d’Adèle Nault intitulé « Mes premières rimes ».

Qu’elle est difficile ma tâche!
Rimer!... Oh! Moi, je ne saurais.
Pourtant on va me dire lâche…
Mais voilà quatre vers parfaits!
Essayons encore une stance
Qui sait? Je pourrais réussir
La Rime... allons de la constance
Avec elle on en peut finir.

Puis, je ne veux pas du Parnasse
Atteindre les lieux enchanteurs
Je me trouverais hors de place
Parmi le groupe des neuf sœurs
Assez ma tâche j’ai remplie
J’admire mon début Pompeux
Rimons le donc nom de Marie
Quel poète jamais fit mieux
Ah! Oui, reçois ma bonne mère
De ma muse le faible essor
Si je croyais par la te plaire
Longtemps je rimerais encore6.

À cette position, moins caractérisée par l’humilité que par la mise en scène du statut d’apprentie, répond celle que se construit le chapelain Lemoine, toujours représenté comme un père bienveillant envers ces talents fraîchement éclos. Il écrit régulièrement aux présidentes de la Société littéraire pour leur faire part de ses impressions et leur fournir son soutien et ses encouragements. Ses lettres sont lues aux réunions de la société littéraire puis reproduites au début de chaque livraison dans une chronique intitulée « Revue Critique » dans laquelle il commente le style, l’orthographe et les progrès des couventines.  En 1864, Le Papillon littéraire cesse ses activités. Après quatre années de flottement, la Société littéraire des Ursulines, devenu le Cercle littéraire de Sainte-Angèle, reprend du service avec l’Écho du cloître qui perdurera jusqu’en 1884, perpétuant ainsi la tradition inaugurée par le Papillon littéraire.

Le journal Le Couvent (1886-)

L’importance didactique de ces journaux de couventines est indéniable. Or la presse elle-même vise également à instruire et à divertir son public, et amorce une diversification de ses clientèles. La multiplication des périodiques, facilitée par des procédés techniques de plus en plus performants à la fin du XIXe siècle, ainsi que l’intérêt grandissant pour l’éducation des jeunes, incitent Frédéric-Alexandre Baillargé7, un prêtre de Joliette, qui souhaitait offrir un journal d’éducation et encourager les jeunes issues des écoles de la province à publier leurs essais de littérature, à fonder deux publications. En 1886, il crée L’Étudiant et Le Couvent, des journaux destinés respectivement aux jeunes garçons des collèges et aux jeunes filles qui fréquentent les couvents. Alors que L’Étudiant connaît un succès mitigé, le mensuel sous-titré « La bibliothèque de la jeune fille » connaîtra un franc succès au moment où la plupart des journaux de couventines se sont éteints. Le journal perdurera jusqu’en 1899.

Baillargé s’adresse régulièrement aux jeunes lectrices sur des questions de morale alors que la chroniqueuse attitrée du journal, Mme Adelina Bonconseil, s’occupe de fournir des conseils d’économie domestique. Plusieurs textes que signe la rédaction abordent d’ailleurs des sujets liés à la vie domestique, constituent une sorte d’encyclopédie des tâches ménagères où les jeunes filles apprennent à faire des bouillons, à récupérer la nourriture, à coudre, etc. Le reste du journal est toutefois consacré à reproduire des textes de jeunes filles issus de différentes maisons d’éducation de la province et de maisons d’éducation françaises, dont la plupart proviennent de L’Écho de Saint-Alyre8. Les couventines des pensionnats de la province ne tardent pas à faire du Couvent un espace de publication, encouragées par les religieuses de diverses communautés enseignantes qui multiplient les abonnements à la feuillepériodique.

Les femmes et la grande presse

L’enseignement dispensé dans les couvents a contribué à former des femmes pour qui la littérature et l’écriture au sens large sont désormais intégrés au cursus scolaire. L’idée de la publication, encouragée par les exercices conventuels et, plus tard, par l’apparition des journaux de couventines, a sans doute contribué à inciter certaines femmes à utiliser leurs talents littéraires dans leur cercle social, rappelant l’étendue du cercle des couvents. Or, l’écriture publique que permet la grande presse dépasse largement l’univers autorisé du pensionnat, y compris celui de son réseau élargi qu’incarne le lectorat d’un journal comme Le Couvent. Comme le mentionne une jeune élève dans La Glaneuse, le journal du pensionnat des sœurs des saints noms de Jésus et de Marie en 1875 :

De même dans ce vaste jardin des sciences et des lettres, il faut se développer selon la nature de son esprit, et selon l’espèce de fruit que l’on doit porter. Puisque Dieu nous a créées petites violettes, n’essayons pas d’imiter l’arbrisseau. Modestes fleurs, étudions la littérature pour en recueillir la grâce, le bon goût, l’aisance et le tact qui augmentent l’heureuse influence des femmes sur leur famille, font leur charme et la règle de la société où elles vivent, en les mettant à portée d’apprécier ou d’inspirer les talents d’autrui9.

La grande presse n’est pas ouvertement hostile à la parution de textes écrits par des femmes. On y trouve quantité de textes d’auteures étrangères depuis les premières années de la Gazette de Québec et graduellement, les Canadiennes s’y font de plus en plus présentes. L’importance de cette production varie d’un journal à l’autre et d’une période à l’autre et elle se manifeste sous diverses formes, poésie, récits, chroniques, lettres à l’éditeur ou à un correspondant sur des sujets d’actualité. Même les œuvres relevant de formes plus littéraires sont accompagnés d’une lettre motivant cette collaboration inattendue. Qu’elles soient écrites pour faire part d’une situation particulière ou qu’elles jouent le rôle de justificatif de l’œuvre qui va suivre, ces lettres semblent permettre de camper une identité et d’encadrer l’intervention féminine dans l’espace public.

Dans la majorité des cas, les femmes, ou les hommes en mal de travestissement qui publient dans la presse ne dévoilent pas leur véritable identité au public. Malgré sa parenté avec la lettre réelle, la « lettre au journal » participe d’une stratégie possédant ses mécanismes propres. Elle s’adresse non seulement au destinataire singulier visé, mais également à l’ensemble du lectorat anonyme du journal. L’épistolière doit donc déployer une double stratégie de communication. Elle crée d’abord un univers intimiste permettant la complicité avec un destinataire identifié, mais doit également inclure cet univers restreint dans un espace discursif plus vaste. Cet arrimage de deux univers se fait grâce à des marques implicites, mais parfois explicites, destinées à un lectorat qui devient le témoin privilégié de cette relation épistolaire au final accessoire, puisque l’objectif ultime est d’obtenir l’assentiment du lectorat et son soutien.

L’absence de données biographiques sur ces auteures pseudonymes, restées pour la plupart non identifiées, rend difficile l’analyse du portrait des femmes impliquées dans la publication périodique par des repères sociologiques. Or, l’hypothèse d’une construction identitaire textuelle, telle qu’elle s’érige grâce aux spécificités du régime épistolaire, permet, au-delà des liens à la biographie de la personne réelle, d’identifier des postures d’écriture récurrentes. L’épistolière, même dans l’espace médiatique, ne peut pas ne pas dire « je ». L’utilisation de la lettre implique donc l’adoption d’une posture, réelle ou fictive, qui prend d’abord ses assises dans la féminisation de la signature. Par ce choix énonciatif, l’épistolière personnifie et sexualise une identité qui apporte avec elle toute une série d’attentes et de préjugés10. Dans le cas de la lettre au journal signée d’un pseudonyme, ces noms ne renvoient jamais à un référent réel mémorisé préalablement, comme dans la lettre familière s’adressant à un proche. Le nom d’emprunt sert plutôt à cacher l’identité de son auteur, tout en ne conservant que quelques traces d’identité, dont le sexe, réel ou fictif, dans les cas qui nous occupent. Bien que le lectorat puisse parfois se référer à un document antérieur signé du même pseudonyme, et peu importe la fréquence des interventions, l’auteur pseudonyme n’existe qu’à l’intérieur du discours. Il se construit dans le texte, à l’aide du texte, au mieux, à l’aide d’une série de textes. Qu’elles soient des femmes ayant réellement existé ou qu’elles soient issues de l’imagination masculine, les pseudonymes, qui les distinguent et les masquent à la fois, et les indices d’identité laissés dans la lettre qui accompagne leurs productions suggèrent plus qu’une absence de référent. Comme le remarque Michel Delon: « Toute œuvre littéraire s’ouvre par une mise en scène de l’auteur, à travers un nom ou son absence11. »

Qu’il s’agisse d’une lettre où l’épistolière intervient sur un sujet d’actualité ou d’une autre qui présente un texte littéraire qui va suivre, la mise en scène épistolaire apparaît essentielle. Certains éditeurs ou correspondants qui transmettent des productions féminines aux journaux ajoutent bien souvent quelques éléments identitaires justifiant l’intervention féminine12. L’importance de la lettre dans la production littéraire des femmes suggère qu’au-delà de l’habitus familial et conventuel, l’intervention féminine doit être justifiée et accompagnée d’indices biographiques pour être prise au sérieux. Ces lettres d’accompagnement permettent aux femmes de prendre position en tant qu’auteures, inattendues bien souvent, aux hommes qui empruntent son masque d’établir les assises qui donneront à l’intervention un caractère réaliste et aux éditeurs de donner leur assentiment et de justifier la publication.

Âge et acceptabilité

En plus de se définir femme et de réclamer la bienveillance des éditeurs, les épistolières de la presse se présentent au lectorat, pour une majorité d’entre elles, en adoptant la posture de la jeune fille. Si quelques intervenantes identifiées sont encore à l’âge de fréquenter les couvents ou viennent tout juste d’en sortir, comme c’est le cas d’Odile Cherrier alias Anaïs13, on ne peut toutefois se fier à ces exemples, trop peu nombreux, pour en faire un cas de figure puisque que pour la plupart des collaboratrices de la presse, l’identité réelle demeure une énigme. Qu’elle soit réelle, comme dans quelques cas avérés, ou que cette posture soit une habile mise en scène, l’insistance sur la jeunesse des intervenantes de la presse constitue un topos qui mérite d’être exploré.

Dans plusieurs cas, les correspondantes indiquent leur âge exact : « Dorothée Attristée », jeune mariée désillusionnée dit avoir vingt ans, alors que « Sophie Frankly » s’affiche comme une célibataire de vingt-huit ans. « Lucie L’éveillée » montre sa fierté d’avoir treize ans bientôt quatorze, « Félicité Canadienne » indique qu’elle n’a que dix-neuf ans, alors qu’Améla insiste sur le fait qu’elle n’a que quinze ans. « Clélie Arbrune » n’a que vingt ans, malgré sa grande expérience de la vie, « Climène » explique qu’elle a eu « treize ans accomplis le 9 du mois dernier » tandis qu’« Elvire Léger » dit avoir dix-huit ans. Si la mention de l’âge est relativement importante, on note également que la plupart des interventions offrent des indices qui permettent de situer les intervenantes dans la catégorie des jeunes filles et jeunes adultes — elles habitent chez leurs parents, ont une panoplie de jeunes soupirants ou utilisent le pseudonyme « Mademoiselle » et les fraîches thématiques de l’adolescence pour camper leur identité et faire valoir leur point de vue14.

Cette caractéristique n’est pas propre aux textes des Canadiennes. Suzan Van Dijk précise qu’il s’agit d’une particularité importante des textes publiés sous pseudonyme féminin dans les journaux européens15. Les correspondantes de la presse sont jeunes et, généralement, plus savantes que les jeunes filles de leur âge, mais aussi arborent une naïveté qui leur confère à la fois l’innocence et l’inexpérience. Les sources de ce modèle sont également à trouver dans les portraits des héroïnes des romans de l’époque qui sont bien souvent des jeunes filles débutant sur la scène de la vie16. Les hasards de l’amour naissant et l’inexpérience sont souvent prétextes aux aventures romanesques. Transposée dans l’univers de la presse, cette inexpérience inscrit les femmes dans un univers familier aux lecteurs de romans, mais favorise aussi le dépassement des attentes du lectorat et la subversion des codes de la construction sociale de la féminité. On pardonnera plus facilement à une jeune demoiselle inexpérimentée quelques fautes de style, quelques erreurs d’orthographe et certaines entorses aux règles de la bienséance. Au contraire, la maturité promet un respect plus important des rôles associés au féminin, une liberté restreinte quant au sujet permis ainsi qu’une perfection plus grande de l’écriture. Le refus des éditeurs de la Gazette de Québec de publier un texte signé « La grande mère canadienne » en raison du mauvais exemple qu’elle offre aux jeunes filles en témoigne17.

L’apparition de la couventine et de la jeune fille comme modèle social et littéraire

Au sein de la bourgeoisie, qui envoie ses filles dans les couvents, le passage de l’enfance à l’âge adulte est consacré aux apprentissages liés à l’art de plaire en vue du mariage. Il s’agit d’une période charnière dans la vie des femmes. La multiplication des maisons d’enseignement à partir du milieu du XIXe siècle contribue d’ailleurs à faire de la couventine l’équivalent de la jeune fille en voie d’accomplissement et les questions entourant l’éducation des femmes prennent souvent l’avant-scène dans la presse. Alors qu’au XVIIIe siècle, les préoccupations touchaient essentiellement le sort fait aux femmes dans le mariage et l’utilisation abusive, par les hommes, de leur autorité, à partir du XIXe siècle, c’est le clivage entre l’éducation policée des couvents, où les jeunes filles ont une relative autonomie et s’intéressent aux choses de l’esprit et aux arts d’agréments, et celui du mariage où elles sont recalées à des tâches domestiques, qui posent problème. Les journaux de couventines semblent avoir largement contribué à former cette posture qui devient une stratégie de légitimation dans l’univers de la presse. Pour écrire, il faut avoir un certain habitus qu’offre le couvent, mais la sortie de cet univers rassurant, au sens réel comme métaphorique, pose des difficultés de taille pour celles qui désirent poursuivre sur la voie de la littérature.

Une lettre publiée dans L’Opinion publique et signé Marguerite Deschamps le 24 novembre 1883 offre « le résumé des joies, des tristesses et toutes les impressions qui peuvent traverser la vie d’une jeune fille depuis sa sortie du couvent jusqu’au jour où sa destinée cesse d’être en suspens18. » Marguerite Deschamps, fraîchement diplômée du pensionnat des Ursulines de Québec, écrit à son amie Amélie pour lui raconter son retour difficile au sein du foyer familial et le destin d’épouse qu’on souhaite lui imposer. Son amie et ses activités, particulièrement celles de l’esprit, lui manquent. Le seul espace où elle se sent à l’aise est celui de sa chambre où elle entretient son journal et sa correspondance avec sa jeune amie. Elle pose un regard à la fois amusé et dégoûtée sur les jeux de séduction et trouve fort étrange qu’après lui avoir fournis une instruction solide, on la recale aux tâches ménagères :

Car papa, qui au sujet de l’éducation des femmes, partage les théories de Napoléon 1er, désire me voir initiée à tous les détails du ménage, voire même aux secrets de l’art culinaire que peu de personnes possèdent, quoique toutes en reconnaissent les avantages. Pour appuyer cette dernière assertion, maman me signifie à l’instant de descendre à la cuisine. Le bas-bleu s’efface devant le cordon-bleu et t’embrasse affectueusement19.

En 1876, une chronique signée Amélie Deschamps témoigne d’ailleurs de l’espace intellectuel restreint auquel les femmes ont accès au sortir du couvent et réclame que les journaux leur donne l’occasion de nourrir et de faire briller leur esprit, de dépasser en quelque sorte cette posture de la couventine et ses thématiques inoffensives :

Au sortir du pensionnat, une jeune fille qui a aimé la lecture sait à peu près par cœur la bibliothèque de Tours. Innocentes lectures ; plus innocents auteurs, mais pas du tout malins, vous le savez : livres pieux, moraux, soit ; mais amusants ? La seule lecture qu’elle ait habituellement sous la main est celle du journal qui imprime tout ce qu’elle ne doit pas lire : politique, chemins de fer, agriculture, chiffre, commerce, statistiques, banques ; que sais-je, moi ? Tout ce qu’il y a de plus positif, de plus réel, de plus aplatissant. L’imagination d’une femme a des ailes. Il lui faut de l’air, de l’espace, de la lumière. Elle veut chanter, voltiger parmi les rayons et les fleurs, on l’enferme dans une cage. Les niais passent, regardent et disent. « Tiens, c’est singulier. Voilà un oiseau qui ne vole pas ! » […] Dans votre air chargé de la fumée des locomotives, manufactures, des steamboats, nous étouffons. Laissez-nous respirer, laisser nous chauffer nos esprits et nos cœurs à la flamme de l’intelligence, nous épanouir aux rayons de la pensée, de la pensée qui nous convient, de la pensée féminine, aimante, poétique20.

Si la posture de la couventine donne un accès à l’univers lettré et à la presse, les difficultés sont immenses lorsqu’il s’agit de dépasser cette période-charnière pour entreprendre une carrière dans le monde des lettres. Posture rassurante et acceptée, elle devient peu à peu un frein à la poursuite d’activités littéraires.

Transition et persistance

Bien que la plupart des couventines qui signent dans les journaux de leur couvent et les « jeunes filles » qui s’illustrent dans la presse aient rarement entrepris une longue carrière dans le monde des lettres, il existe des exceptions dont la plus importante est sans doute Félicité Angers. Celle qui deviendra Laure Conan a fréquenté les Ursulines de Québec et offert plusieurs textes dans Le Papillon littéraire avant de quitter le pensionnat et chercher sa vocation de femme adulte. Le 11 novembre 1884, elle envoie une lettre à sa confidente, la sœur St François-Xavier, dans laquelle elle indique avoir enfin trouvé sa voie : « Je n’ai pas l’ombre d’une inclination pour le cloître – également pas le moindre pour le mariage – ce grand sacrement ne m’attire pas. … Ah ! Que j’y souffrirais ! » Cette vocation, elle finira pas l’assumer, sera celle de l’écriture, inventant ainsi, et peut-être pour la première fois, un modèle féminin de femmes de lettres qui s’apparente toutefois étrangement à celui de la couventine qui se serait traîné les pieds plus longtemps que les autres dans les couloirs du pensionnat. Outre ses publications dans les périodiques et ses romans, Laure Conan, par un étrange retour des choses, sera pensionnaire et rédactrice de la revue la Voix du Précieux Sang édité par les religieuses du Précieux Sang à partir de 1894. Si elle continue de « pousser » ses œuvres romanesques, en quatre ans elle publie 80 textes dont plusieurs biographies de saints qu’elle consignera en 1913 dans Physionomies de Saints, rappelant ainsi l’univers de la couventine et les formes littéraires qui y étaient pratiquées.

Au tournant du XXe siècle, l’urbanisation, le développement des communications et l’essor considérable de la presse à grand tirage viennent transformer l’espace public. Pour les femmes, ce sera le moment privilégié pour entreprendre une carrière dans le monde des lettres par la voie du journalisme. Plusieurs des jeunes filles qui avaient fréquenté les couvents prennent d’assaut les pages féminines des grands quotidiens. Les modèles littéraires et les postures qui en découlent se transforment inévitablement au contact de ces nouvelles réalités.

Pour les femmes de lettres qui prennent le virage de l’écriture journalistique au tournant du XXe siècle, l’univers de la couventine et ses attributs restent une référence. D’une manière qui rappelle l’univers lettré féminin exploité dans l’œuvre de Laure Conan, la posture littéraire que se construit Fadette, chroniqueuse au Devoir (quotidien catholique et nationaliste), semble bien une posture découlant des modèles issus du milieu du XIXe siècle. Alors que la chroniqueuse signe de différents pseudonymes dans plusieurs périodiques depuis une douzaine d’années, c’est la posture de nouvelle venue sur la scène littéraire qu’elle crée en signant Fadette et qui lui apporte le succès (75 000 lecteurs dans le journal ; cinq recueils en 10 ans21)22. Outre la référence à George Sand, ce pseudonyme lui permet de renouer avec la jeune couventine qu’elle avait été une vingtaine d’années plus tôt, et qu’on découvre dans son journal intime (paru en 1971), et devenu un classique de la littérature intime au XIXe siècle.

Or, pour la génération suivante de femmes qui a fréquenté les mêmes établissements, le couvent cesse graduellement de constituer une référence culturelle positive. D’une part, cette génération milite dès le début du XXe siècle pour l’accès à l’enseignement supérieur des filles. D’autre part, sur les différentes tribunes qu’elles occupent, dont les courriers qu’elles signent périodiquement et dans lesquelles elles s’approprient le rôle de mentor à l’égard des jeunes écrivaines en herbes qui les consultent23 le couvent est associé à un univers scolaire un peu rigide. On y imite des modèles mais le style personnel y est peu encouragé. Françoise, Madeleine et Gaétane de Montreuil, qui sont de la même génération, jugent souvent les compositions des jeunes filles qui leur sont soumises en les qualifiant de « trop couvent24 ».

Ainsi, bien que les postures littéraires utilisées par ces femmes de lettres continuent à puiser à l’imaginaire de la jeunesse, elles le font désormais, moins en référence à leur âge biologique que pour qualifier leur âge « littéraire ». Lorsqu’elle accèdent à des tribunes qui leur permettent de stimuler la production littéraire de jeunes auteurs dans le contexte d’un champ littéraire en émergence, les productions qu’elles commentent sont quant à elles présentées à l’aide des attributs d’une jeune fille qui fait son entrée dans le monde.

Outre la présence d’une rhétorique de l’humilité, largement présente chez les femmes de lettres de son époque mais qui trouve son origine il y a plusieurs siècles, on note une forte présence de mots associés à la beauté, au charme, au caractère plaisant du point de vue visuel. La vision du monde de Madeleine semble ainsi se parer d’attributs qu’elle ramène inlassablement à des adjectifs qui servent habituellement à qualifier une jeune fille : « gentil » / « gentille », « charmant », « jolie », sont les plus récurrents ; suivent « élégance », « goût délicieux », « naturel », « vif », « pétillant », « gracieuse ». La présence de ces adjectifs n’étonne guère dans les colonnes d’une page féminine, mais il est assez révélateur de constater que s’opère un déplacement du monde féminin de la mode à celui de la littérature. En effet, Madeleine convertit le vocabulaire féminin associé à l’importance d’une belle apparence en proto-appareil critique pour décrire les productions littéraires. Ce déplacement devient alors un procédé rhétorique visant à qualifier ou à valoriser les œuvres. Il est possible nous semble-t-il d’interpréter ce déplacement comme une stratégie, consciente ou spontanée, de la chroniqueuse cherchant à construire une position d’énonciation qui rend possible le fait, pour une femme, de commenter publiquement les productions littéraires de ses contemporains. Madeleine procède pour sa part en se dotant d’un appareil critique minimaliste certes, mais avant tout calqué sur l’univers de la débutante, filant la métaphore qui associe les textes à commenter à des jeunes filles qui font leur entrée dans la société, ou dans les salons. En filigrane, la chroniqueuse récupère ainsi en partie l’héritage des salonnières, marqué tant par l’art des belles manières que par l’importance du capital social, en jouant dans les pages du quotidien le rôle d’hôtesse et d’intercesseure, tout en faisant valoir son goût et son jugement à propos de différentes phénomènes culturels. Ce faisant, elle inscrit son mentorat dans une tradition féminine.

Or, il existe des lieux où le recours à la posture de la couventine persiste. Les premières décennies du XXe siècle voient les pratiques littéraires des femmes croître en nombre et gagner en diversité. Si le journalisme est l’activité d’écriture qui domine le tournant du siècle, nombre de femmes profiteront de l’expérience, de la visibilité et de la reconnaissance acquise dans ce milieu pour faire leur entrée dans le champ littéraire en publiant des recueils de chroniques, de la littérature pour la jeunesse, des textes régionalistes, et des contes. L’expérience, individuelle et collective, acquise depuis une trentaine d’années permet aux femmes, et surtout à celles qui signent des textes dans des genres moins reconnus dans la hiérarchie littéraire, d’assumer une certaine assurance. Toutefois, les postures d’étudiantes et, plus largement, celles associées à la jeunesse, se perpétuent dans certains secteurs. L’émergence d’une génération de femmes poètes à la fin des années 1920, permet aux attributs de la jeunesse de revenir en force, alors qu’elles investissent collectivement le genre littéraire le plus valorisé par l’institution. Également, le genre de l’essai offre un exemple de la durabilité de la figure de jeunesse studieuse au féminin. À titre d’exemple, le recueil Études de Marguerite Taschereau, paru en 1921 et couronné par le Prix d’Action intellectuelle (1920) rappelle, dans son titre comme dans l’ensemble de son contenu,  des compositions faites à l’école, alors que l’auteure a une trentaine d’années.

Conclusion

Les postures littéraires25, les mises en scène de soi par l’écriture et les images d’auteures26 permettent de cerner les conditions et les modalités qui autorisent l’émergence de pratiques d’écriture publiques des femmes, notamment par la voie de la presse. Tout particulièrement dans le cas des femmes, dont l’héritage littéraire fait une large place aux genres intimes comme la correspondance où le « je » du texte s’appuie principalement sur le socle de l’identité de la signataire, on a longtemps sous-estimé le rôle des stratégies de mise en scène de soi lorsqu’elles se posaient, directement ou non, en contradiction avec la réalité.

Dans ce contexte, le passage à l’écriture publique marque certainement un moment où l’acceptabilité de l’écriture constitue un enjeu crucial pour transférer le droit d’écrire en s’adressant à des destinataires multiples, anonymes. La mise en scène de soi ne vise plus uniquement à amadouer un destinataire ou des destinataires à portée de réseau, et insiste nécessairement pour négocier des postures littéraires qui reposent sur les représentations collectives les plus largement partagées. Ces personnages, mi-réels, mi-fictifs, éminemment rhétoriques, s’avèrent ainsi en quelque sorte des condensés d’acceptabilité d’une parole féminine publique dans la presse. C’est ainsi qu’au-delà des individualités et des signatures27, ce sont les personae qu’elles peuvent incarner qui sont les plus révélatrices des possibles littéraires féminins et de leur évolution depuis le milieu du XVIIIe siècle. Au final, la posture de la couventine, ainsi que ses dérivés associées à la jeunesse lettrée et studieuse, met peut-être moins en scène l’âge réelle des signataires qu’elle ne mime l’âge littéraire des femmes dans la sphère publique du Québec au XIXe siècle. C’est ainsi du statut de l’écrivaine que témoigne, au final, cette posture.

(Bibliothèque et Archives Canada)

(Université Laval)

Notes

1  Les guillemets rappellent ici que nous n’avons pas toujours la certitude que les textes inclus dans notre base sont bel et bien l’œuvre de femmes.

2  Julie Roy, « Des femmes de lettres avant la lettre. Les religieuses et le livre manuscrit à l'époque de la Nouvelle-France », Actes du Congrès européen des études québécoises de l’Association internationale d’études québécoises (AIEQ), « Le Québec au miroir de l’Europe », Paris, octobre 2003, avril 2004. Disponible en ligne.

3  Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid, Les couventines : l’éducation des filles au Québec dans les congrégations religieuses enseignantes 1840-1960, Montréal, Boréal-Express, 1996.

4  Les petites pensionnaires de l’Hôpital général, Gazette de Québec, 1774.

5  La première année, le père Le Moine se contente de faire parvenir ses commentaires par lettre qui sera lue aux membres de la société littéraire. La deuxième année, il signe la section intitulée « Revue critique » qui clôt chacun des numéros du Papillon littéraire. Dans L’Écho du cloître qui suivra, il notera ses impressions à même le journal.

6  Adèle Nault, « Mes première rimes », Le Papillon littéraire, 2 octobre 1855, vol. II, no 6, p. 228. Adèle Nault deviendra religieuse enseignante chez les Ursulines de Québec sous le nom de Sainte-Monique.

7  Frédéric-Alexandre Baillargé est très impliqué dans le domaine de l’éducation. Il a publié plusieurs manuels scolaires et en parallèle de la publication du journal Le Couvent il a fait paraître L’étudiant, destiné aux jeunes garçons des collèges. Ce journal n’aura toutefois pas la même longévité que Le Couvent sans doute en raison des tribunes multiples sur lesquelles ils pouvaient faire valoir leurs talents.

8  Il s’agit du journal littéraire des couventines des Ursulines de Clermont-Ferrand.

9  La Glaneuse, 15 mai 1875, p. 10-11.

10  Sans le nom auquel est attribué presque invariablement ungenre sexué, cette correspondante demeurerait une entité fantomatique, comme c’est le cas dans l’anonymat qui rend délibérément l’auteur innommable ou dans les pseudonymes épicènes.

11  Michel Delon, « Le nom, la signature », dans Jean-Claude Bonnet (dir.) La carmagnole des muses. L’homme de lettre et l’artiste dans la Révolution, Paris, Armand Colin, 1988, p. 277.

12  C’est le cas par exemple dans la lettre d’un jeune homme anonyme présentant le poème de « M. D. M., A Ladie » dans la Gazette canadienne du 21 janvier1808 ou celle de « A. P. » accompagnant l’œuvre de Mary Donnelly dans le Canadien du 26 octobre 1831.

13  Selon Lucie Robert, 82,9 % des « premières » journalistes et écrivaines du tournant du XXe siècle ont d’ailleurs fréquenté des écoles qui dispensaient une telle formation, les mêmes qui au cours du XIXe siècle créent des sociétés littéraires et publient des journaux étudiants. Lucie Robert, « Les écrivains et leurs études. Comment on fabrique les génies », Études littéraires, vol. 14, n° 3, 1981, p. 527-539.

14  « Pierre-André », qui fait ses premières armes dans Le Populaire, insiste souvent sur son âge. Le 11 décembre 1837, il propose un texte écrit lorsqu’il avait treize ans et sept mois, le 18 septembre 1837, un autre lorsqu’il avait quatorze ans et le poème « À ma sœur » aurait été écrit lorsqu’il avait quinze ans.

15  Suzan Van Dijk, Traces de femmes. Présence féminine dans le journalisme français du XVIIIe siècle. Amsterdam & Maarssn, APA-Holland University Press, coll. « Études de l’institut Pierre Bayle », no 18, 1988.

16  Les héroïnes sont généralement de jeunes filles nubiles. Paméla, de Richardson, Julie, de Rousseau, Corine, de Mme de Staël, etc. Suzan Van Dijk, Traces de femmes. Présence féminine dans le journalisme français du XVIIIe siècle, Amsterdam & Maarssn, APA-Holland University Press, coll. « Études de l’institut Pierre Bayle », no 18, 1988.

17  Le 28 juillet 1766, les éditeurs refusent de publier une pièce envoyée par « La Grand mère canadienne ». Ils prennent la peine de souligner sa réception et de noter qu’ils s’abstiendront de la publier, celle-ci étant trop imparfaite : « Il n’y a presque pas un mot d’orthographe pour la recommander, et n’étant pas lisible en plusieurs endroits : nous serions charmés d’obliger la Bonne Mère, mais nous pensons que si nous l’exposions au public habillé comme elle est à présent, ce serait un modèle peu digne d’être imité par des enfants, qui d’ordinaire ont coutume de suivre l’exemple de leur Mère ».

18  Marguerite Deschamps, « Quatre années dans le monde. Étude de mœurs canadiennes », L’Opinion publique, 24 novembre 1883.

19 L’Opinion publique, 24 novembre 1883.

20  Amélie Deschamps, « Chronique des Dames », L’Opinion publique, 8 juin 1876.

21  Fadette pseud. d’Henriette Dessaulles-Saint-Jacques domine à son époque le marché des recueils de chroniques en signant cinq volumes de ses « Lettres » (c’est le titre de sa chronique), initialement publiées dans Le Devoir, en 1914, 1915, 1916, 1918 et 1922 ; c’est près du quart de l’ensemble des chroniques publiées en recueils durant les mêmes années. Quant à la diffusion des lettres dans leur support premier, les pages du Devoir, le frère Marc-Antonin Lamarche évalue le lectorat des « Lettres » à 75 000 lecteurs en 1919.

22   Rappelons que c’est à la suite du décès de son mari, en 1897, qu’Henriette Dessaulles-Saint-Jacques amorce une carrière de journaliste, d’abord en répondant au courrier de graphologie du quotidien La Patrie, puis en collaborant à plusieurs journaux et magazines, dont Le Journal de Françoise (de 1906 à 1909), Le Canada (de 1906 à 1914) et La Femme (1908-1912). Outre le pseudonyme de Fadette qu’elle utilise pour signer ses « Lettres » dans Le Devoir, Henriette Dessaulles signe Jean DesHaies (ou DesHayes), Danielle Aubry, Hélène Rollin, Claude Ceyla, Marc Lefranc et Mécréant. Voir notamment Chantal Savoie, « "Moins de dentelle, plus de psychologie et une heure à soi" : les Lettres de Fadette et la chronique féminine au tournant du xxe siècle », dans Denis Saint-Jacques (dir.), Tendances actuelles en histoire littéraire canadienne, Québec, Nota bene, 2003, p. 183-199.

23  Voir Chantal Savoie, « La page féminine des grands quotidiens montréalais comme lieu de sociabilité littéraire au tournant du xxe siècle », Tangence, no  80 (hiver 2006), Michel Lacroix et Guillaume Pinson (dir.), « Sociabilités imaginées : représentations et enjeux sociaux », p. 125-142.

24  « Votre article a trop le genre "couvent" […], vous n’avez pas eu encore le temps de débarrasser votre style, de formules par trop enfantines. Cela viendra, et en disant genre "couvent" je ne veux nullement déprécier les travaux faits dans nos institutions » (Madeleine, La Patrie, 31 mai 1902). « Je suis sortie du couvent jeune, et je n’ai vraiment cultivé la littérature que depuis ce temps, en lisant les auteurs, en observant êtres et choses, et en "commettant" des essais qui n’ont jamais été publiés » (Madeleine, La Patrie, 20 septembre 1902). « C’est trop personnel, trop "couvent", et vous avez totalement négligé la question "intérêt", au point de vue du public. Néanmoins vous avez de la facilité, votre style est gracieux, travaillez vos sujets longuement » (Madeleine, La Patrie, 5 mars 1904). « Je souhaite l’éclosion de tous les talents sur notre terre canadienne, et je voudrais aider aux "jeunes", mais d’une manière intelligente, afin de leur être vraiment utile. Les poètes me font peur. Il y en a tant qui se croient inspirés, et qui, hélas ! ne le sont pas, nous sommes payés pour le savoir. J’ai des "consœurs" amies des Muses, qui vous accueilleraient sans doute plus gracieusement : entre poètes, on se doit des égards. Mais je ne veux pas être absolument méchante, et j’appréhende les reproches de "votre âge mûr". Aussi, inspirez-vous dans notre "royaume", et offrez-nous des vers sublimes, qui enchanteront, non seulement "elle", mais toutes » (Madeleine, La Patrie, 13 avril 1901). « Votre article n’est pas mal, seulement il aurait besoin d’être retouché à [?] endroits, malgré toute votre jeunesse, vous écrivez comme une vieille. Soyez plus vingtième siècle » (Madeleine, La Patrie,21 février 1903). « Son ton un peu jeune me permettrait de l’insérer dans l’une de mes pages, ainsi que je le fais pour nombre de compositions » (Madeleine, La Patrie, 2 juillet 1904). « […] mais, au point de vue mondain, je désespère de voir un si beau talent muré en un couvent » ; « Elle a fait son éducation aux Ursulines de Québec, – ça se voit aussi [parlant de Laure Conan] » (Françoise, La Patrie, 24 juillet 1897). Françoise, annonçant le début de cours de littérature française à l’Université Laval donné par M. de Labriolle, en profite pour dénoncer l’éducation faite en matière de littérature dans les couvents (La Patrie, 31 octobre 1898).

25  Telles que les définit Jérôme Meizoz dans Postures littéraire. Mises en scènes modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2006.

26  Nous nous référons ici aux travaux de Dominique Maingueneau (Le discours littéraire : paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Collin, 2004) et à ceux de Ruth Amossy (Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999).

27  Françoise, Madeleine, Gaétane de Montreuil, Colette, Colombine, Ginevra, etc., toutes ces femmes qui signent le plus souvent d’un pseudonyme prénom et qui sont étudiées dans Chantal Savoie, « Persister et signer : les signatures féminines et l’évolution de la reconnaissance sociale de l’écrivaine (1893-1929) » dossier « Le pseudonyme au Québec », sous la direction de Pierre Hébert et Marie-Pier Luneau, Voix et images, vol. 30, no 1 (automne 2004), p. 67-79.

Pour citer ce document

Julie Roy et Chantal Savoie, « De la couventine à la débutante : signature féminine et mise en scène de soi dans la presse au XIXe siècle», La lettre et la presse : poétique de l’intime et culture médiatique, sous la direction de Guillaume Pinson Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/la-lettre-et-la-presse-poetique-de-lintime-et-culture-mediatique/de-la-couventine-la-debutante-signature-feminine-et-mise-en-scene-de-soi-dans-la-presse-au-xixe-siecle