La lettre et la presse : poétique de l’intime et culture médiatique

Le vers et le verbe : la correspondance poétique du Globe saint-simonien

Table des matières

PAUL ROWE

L’association universelle des Saint-Simoniens était, comme beaucoup de leurs idées, plutôt difficile à réaliser. Comment réconcilier le sentiment d’appartenir à une association, créer une forme d’intimité, de familiarité entre les adeptes, tout en s’adressant à l’ensemble de l’espèce humaine ? Comme l’ont montré Philippe Régnier, Michèle Riot-Sarcey et Antoine Picon1, le journalisme figurait en position d’honneur parmi les solutions envisagées par les Saint-Simoniens, qui tentaient de fonder cette intimité, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, sur la publicité. Les apôtres se servaient du Globe pour envoyer leurs épîtres à un public qu’ils espéraient convertir. À partir de septembre 1831,  ils ont poussé plus loin l’expérience en échangeant leur journal non plus contre l’abonnement traditionnel de 80 francs par an mais contre une nouvelle valeur, le témoignage écrit de leurs lecteurs, qu’ils invitaient à envoyer aux bureaux du Globe, rue de Monsigny, des lettres justifiant l’envoi gratuit du journal par l’expression de leur intérêt pour le saint-simonisme. Cette correspondance est conservée dans le Fonds Enfantin de la Bibliothèque de l’Arsenal2. En sélectionnant ainsi leur lectorat, les membres du collège saint-simonien responsables du Globe essayent en quelque sorte de développer une religion nourrie par l’interaction entre le journal et ses lecteurs. La tentative des Saint-Simoniens crée une communauté un peu plus intime, un peu plus réelle qu’imaginée, que celle des lecteurs de la plupart des autres journaux. Son intimité permet de resserrer les liens avec les nouveaux convertis ; la publicité permet de faire de la propagande et de viser à la conversion de nouveaux adeptes.

Il y aurait sans doute bien des choses à dire sur la poétique de cet espace à la fois intime et public, mais rappelons que le journalisme et la poésie ont des rôles analogues dans les stratégies de communication et de conversion des saint-simoniens. Dans la cérémonie saint-simonienne du 27 novembre 1831, Olinde Rodrigues fait un appel aux poètes qui sera relayé dans les pages du Globe :

Où est-il le poète qui aime vraiment le peuple, qui, glorieux d’avoir chanté Napoléon et le drapeau populaire, chantera désormais l’espoir du peuple qui travaille et ne veut plus faire la guerre ? Quand entendrai-je le peuple chanter l’hymne de la paix, plus électrisant que la terrible Marseillaise, plus joyeux que la simple Parisienne ? où est-il le Béranger Saint-Simonien, Thyrtée de la paix, dont les accents arrêteront l’horrible bataille, et convertiront les maîtres et les ouvriers à la foi nouvelle [sic]3.

Je me propose donc de mettre l’accent sur les poèmes inspirés par ces deux appels : l’épître dédicatoire « A Saint-Simon » et l’hymne « Au Travail », signés J.B., de J. Blanc ; « Aux Saint-Simoniens. Les signes du temps », signée « K. », de C. Boissier ; le poème de Papy fils, adressé à « Messieurs les Rédacteurs du Globe, Journal de la Religion Saint-Simonienne » ; et « Le Prolétaire », signé « Ph. E. P.4 ». Je les discuterai non pas en tant qu’œuvres littéraires mais comme manifestations des différentes réactions des quatre poètes face au contenu doctrinal du journal, et comme tentatives d’établir des liens de connivence et même d’une forme d’intimité à distance avec le mouvement. Je situerai donc les vers par rapport au contexte social, et même familial, dans lequel les poètes les composent, ainsi qu’à la correspondance qui les accompagne.

Ces poèmes expriment à différents degrés la nécessité du renouvellement social et religieux formulé dans le journal. En même temps, les lettres qui les accompagnent indiquent les réticences de ces chanteurs de la société de l’avenir. Les poèmes ne sont pas tous voués à la publication par leur auteur, et en fin de compte aucun ne sera publié dans un journal qui s’abstient en général, malgré l’appel de Rodrigues, de publier des vers, et d’ailleurs ne publie que très rarement le courrier de ses lecteurs. Ils nous donnent cependant un aperçu de la réception des idées saint-simoniennes, et des rapports au journal imaginés par ces lecteurs inspirés à y envoyer les « productions de [leur] pauvre génie5. »  

Avant d’aborder plus en détails les poèmes, tentons d’identifier nos poètes, à partir des indices internes à la correspondance qu’ils échangent avec le Globe. Ils sont plutôt jeunes : trois d’entre eux viennent de terminer ou vont bientôt commencer leurs études, et on ignore tout de l’âge du quatrième. Ils habitent loin de Paris, et à une exception, ne semblent pas être en contact direct et régulier avec un Saint-Simonien avant d’écrire au Globe. Ils connaissent le mouvement surtout à travers ce qu’ils ont lu dans Le Globe.

J. Blanc, propriétaire habitant le village de Volx près de Manosque dans le Gard, destine deux lettres au rédacteur du Globe, le 16 décembre 1831 et le 27 février 1832. On apprend peu dans les lettres sur ses circonstances personnelles : il vient de terminer ses études, et il a une sœur. Dans son premier envoi, il loue le journal, prédit la réussite de la doctrine saint-simonienne, et demande un abonnement au Globe. Pour lui, habitant de village, c’est le seul moyen de découvrir la doctrine, qu’il s’engage à propager par la suite. Blanc écrit donc dans le but de prolonger la lecture du Globe sur le plan spirituel. Il a l’impression d’entrer dans un véritable échange avec le mouvement. C’est à peu près le but qu’envisagent les Saint-Simoniens pour la distribution gratuite du Globe, mais les annotations sur la lettre montrent qu’ils rejettent son offre, avant tout parce que ce néophyte déclare dans sa lettre que « Saint-Simon est Dieu ». On se méfie de cette proclamation de foi intempestive, surtout à un moment où Enfantin tente de s’imposer comme incarnation de la « loi vivante ». Deux annotations, dans des mains différentes, indiquent qu’il faut une « réponse spéciale pour Saint-Simon est Dieu » et « [l]ui parler de don & de prêt. Si cet homme ne contribue matériellement il sera convenable de ne plus lui envoyer le globe, car il n’a point de contribution spirituelle à donner ». On envisage Blanc comme simple source d’argent, non comme prosélyte en herbe.

On devine dans la deuxième lettre de Blanc que les annotations un peu brusques ont été transformées en une réponse polie. Blanc n’a pas été découragé dans son enthousiasme et sa volonté de participer activement à la propagation de la doctrine. Il précise sa pensée sur le statut de Saint-Simon, en le qualifiant désormais d’homme divin, et il envoie ses vers dans l’espoir de les faire publier dans le journal. L’enthousiasme de Blanc ne va pas jusqu’à vouloir afficher ouvertement son identité au cas où Le Globe publierait ses écrits : il demande aux rédacteurs de les signer seulement de ses initiales. Cette réticence résulte en partie au moins du manque de confiance d’un débutant, mais aussi d’une certaine soumission devant l’opinion des Saint-Simoniens. Ce sont les deux premières « productions de [s]on pauvre génie », et il les offre au Globe en les autorisant « d’en user comme vous le jugerez convenable : vous pouvez corriger, ajouter, retrancher, ou enfin, si vous n’y trouvez rien de bon, purifiez-les par le feu ». Dans l’imagination ardente de Blanc, le rôle sacerdotal du journaliste saint-simonien se rapproche de celui d’un prêtre de l’Inquisition.

La correspondance de C. Boissier nous donne quant à elle plusieurs renseignements qui nous permettent de l’identifier avec un peu de précision. Il envoie au moins quatre lettres au Globe. Au moins une lettre non retrouvée date de fin 1831 ou des tout premiers jours de 1832. Cette lettre avait reçu une réponse du Saint-Simonien Justin, datée du 8 janvier, apprend-on dans la longue lettre de Boissier à Justin du 26 janvier 1832. Cette deuxième lettre de Boissier parle d’une « pièce que je vous ai envoyée », qui n’a pas été retrouvée. Suit, le 27 mars 1832, un accusé de réception du Globe adressé à Monsieur le Rédacteur. Enfin, le 6 avril 1832, Boissier envoie son poème, accompagné d’un « chapeau » signé « K. », destiné à l’introduire lors d’une éventuelle publication, et de quelques mots adressés à Michel Chevalier, directeur du Globe.

Boissier fait allusion le 26 janvier aux sacrifices de sa famille protestante qui le destinait au pastorat. En attendant d’atteindre l’âge requis, il est professeur. La bande d’adresse qu’il renvoie le 27 mars pour accuser réception du Globe nous précise la matière qu’il enseigne : « Monsieur / Boissier professeur de grec / à Ste Foy la Grande / Gironde ». Or, François Cadilhon nous apprend qu’un certain François Boissier enseigne le grec dans l’institution protestante de Saint-Foy-la-Grande en 1831. Il s’agit vraisemblablement de notre poète : l’initiale « C. » sur les lettres pourrait très bien être celle d’un autre prénom. Fondée comme pension en 1825, cette école est autorisée en 1828 à s’ériger en institution. Elle jouit d’un certain prestige dans la région, et non seulement parmi les familles protestantes. En 1831 elle est autorisée à accueillir des élèves catholiques. On y impose une rigueur inspirée des lycées impériaux, mais le programme d’études y est progressif, notamment dans l’enseignement des langues vivantes à côté des classiques6. Dans un tel contexte professionnel et familial, on comprend pourquoi Boissier tient à cacher son enthousiasme pour la doctrine saint-simonienne ; ce n’est qu’avec son frère, qui partage ses idées, et dans l’intimité de la correspondance qu’il peut s’exprimer librement.

La lettre du 26 janvier commence par une allusion aux persécutions qui viennent de commencer contre le mouvement. Boissier accuse réception du journal, dont la lecture est devenue pour lui une « nécessité de la vie ». Il indique aussi qu’il voudrait faire un don pécuniaire au mouvement. Il passe ensuite aux vers envoyés au journal sous un autre nom, et que Justin lui aurait attribués ; il proteste devant cette indiscrétion, mais sans se fâcher, « car je vous aime ». Il se dit converti au saint-simonisme, puis fait part de son indignation à propos des persécuteurs du mouvement, et de ses idées sur la doctrine. Mais il ne saurait être propagateur de celle-ci, à cause de sa position délicate d’homme sans fortune indépendante. Suit une évocation de l’intolérance qui règne à Sainte-Foy, avant une conclusion qui annonce le départ pour Paris de son frère, qui leur apportera la lettre.

Sa lettre du 27 mars révèle que la rue de Monsigny a répondu de nouveau, que son frère est en relation avec le père Bouffard, et demande la continuation de son abonnement. Enfin, le 6 avril Boissier envoie à son « ami » Chevalier son poème et une note pour demander la protection de son anonymat en cas de publication, car il autorise les Saint-Simoniens à se servir de ses vers comme ils veulent, tout en se plaignant « d’être obligé de renfermer au fond de [s]on âme les sentimens qu[‘il] voudrai[t] pouvoir hautement exprimer ». Toujours, donc, le même souci de cacher son identité devant le monde qu’au mois de janvier ; mais il fait désormais assez confiance aux Saint-Simoniens pour reconnaître ses vers dans l’intimité de la correspondance. Et en cédant en quelque sorte ses droits d’auteur au mouvement, il agit comme l’avait fait Blanc. Si nous laissons de côté les considérations de modestie, de timidité et de secret qui les motivent sans doute aussi, il y a un élément d’inspiration idéologique à ces dons. Ne pouvant, ou pouvant peu contribuer matériellement au mouvement, ils offrent leur propriété intellectuelle dans le souhait de participer à l’apostolat saint-simonien.

Au contraire de Blanc, les rapports entre Boissier et le mouvement semblent être d’un intérêt réciproque. Sans doute le don d’argent qu’il propose y est-il pour quelque chose ; mais il y a chez Boissier des éléments qui manquent à Blanc : c’est un professionnel de l’enseignement et de l’apostolat ; et il y a un contact personnel à travers la présence à Paris de son frère. Les Saint-Simoniens ont donc quelques garanties quant aux qualités du nouveau prosélyte.

Ph. E. P. nous est connu seulement par ses initiales. Ce n’est pas un saint-simonien, mais il lit le Globe dans le salon d’une saint-simonienne, Francisca Prugneaux, à Nancy. C’est elle qui envoie son poème à Michel Chevalier. Elle a déjà échangé des lettres avec le père Hoart ; c’est donc dotée de cette autorité qu’elle parle de son ami et demande un mot d’encouragement pour ses efforts7.

P. Papy fils, de Saint-Pierre, Martinique, est, si je l’ai bien identifié, le mieux connu de nos poètes : il semble s’agir de Pierre-Marie Pory-Papy, qui sera député de la Martinique à l’Assemblée constituante de 1848 et aux Assemblées constituante et nationale de 1871, avant de mourir à Versailles en 1874. Quelques indices soutiennent cette hypothèse. Pory-Papy a publié des poèmes dans la Revue des Colonies de l’abolitionniste Cyrille Bissette, ancien ami de son père. Nous savons que Pory-Papy adopte la première partie de son nom de famille seulement en 1832, ce qui expliquerait pourquoi il signerait son poème « Papy fils ». Il est de Saint-Pierre, et il y est vers le 11 février 1832, date de composition du poème. Il y a un autre indice de taille : à coté de la lettre de Papy fils dans les archives du Globe, se trouve une autre lettre de Saint-Pierre, datée du 11 février 1832, et signée Pierre Papy – mais mal orthographiée, à la différence du poème, et écrite d’une autre main. Or, Pierre-Marie est le fils d’un métis libre, Pierre, dit Pory Papy. Il semble donc raisonnable de croire  que notre poète et le futur élu sont une seule et même personne. La mère de Pierre-Marie, Antoinette, était une esclave affranchie quelques mois après la naissance de son fils en 1805. Pierre-Marie participe aux troubles qui secouent les Antilles en 1831 et 1832 avant de partir en France métropolitaine, où il obtiendra une licence en droit. De retour à la Martinique, il sera le premier homme de couleur à y pratiquer le droit, avant de jouer l’un des premiers rôles dans la mise en application de l’abolition de l’esclavage en 1848. Il sera par la suite élu député de l’île avec Bissette et Victor Schoelcher, avant de se brouiller avec le premier et de perdre sa place lors des élections de mai 1849.

La lettre de Pierre Papy qui accompagne le poème de Papy fils mérite qu’on s’y attarde un peu. Papy père se présente comme membre de « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », se justifiant par son orthographe, qui est en effet celle d’un homme peu instruit. Cette captatio benevolentiae pourrait être compris comme soumission devant l’autorité des Saint-Simoniens à Paris, surtout comme il parodie l’évangile de Jean pour qualifier Saint-Simon d’homme envoyé de Dieu et la mission des Saint-Simoniens de providentielle. Il semble reprendre les idées saint-simoniennes dans un extrait, cité d’ailleurs par Michèle Riot-Sarcey dans Le Réel de l’utopie8 comme réaction devant la révolte des canuts lyonnais de novembre 1831, où il dit qu’il « faudra du temps pour décider le capitaliste à partager son trésort, mais vous donnez par votre style la clé des coffres forts au travailleur, les oisifs seront aux expédiant ! » À lire la suite de la lettre, des nuances s’imposent. Papy père y reprend la doctrine de la rétribution selon la capacité pour l’appliquer au contexte de l’esclavage. Ce n’est pas en premier lieu des canuts de Lyon qu’il parle, mais des esclaves de son île. Dans une leçon non exempte d’ambiguïté, il propose les pratiques des colons en exemple à la métropole : « que les grands proprietaires donnent comme le colon un arpent de terre à chaque malheureux cultivateur il sera riche des biens qu'il aura faits ». Nous sommes donc en présence d’un homme qui interprète la doctrine à sa manière, et dans son contexte de réception. S’il dit son admiration pour les principes saint-simoniens, c’est l’admiration d’un homme de raison, capable de les juger pour lui-même, sur un pied d’égalité intellectuelle qui lui permet, de l’autre côté de l’océan, de proposer ses opinions en échange de la doctrine développée dans Le Globe.

D’après les poètes, ce qui les inspire à célébrer en vers la doctrine saint-simonienne – ou plutôt leur interprétation personnelle de cette doctrine – est un mélange d’inspiration divine et de lecture du Globe. Dans la doctrine de la « loi vivante » enfantinienne, cela revient, en fin de compte, à la même chose. Nous avons déjà vu que les Saint-Simoniens ont cru nécessaire de tenter de calmer les excès de l’enthousiasme religieux de Blanc pour Saint-Simon dans ce domaine ; cela ne l’empêche pas d’envoyer son « hymne » à Saint-Simon. L’introduction au poème de Boissier exprime les mystères de l’inspiration poétique : dans un premier temps, la lecture du Globe l’avait incité à prendre la plume pour exprimer l’idée que l’avenir appartiendrait aux Saint-Simoniens ; par la suite, l’inspiration divine avait pris le relais : « [j]e voulais exprimer l’idée que désormais les grands hommes ne naîtraient que dans le St. Simonisme et je suis arrivé au bout de ma course sans y avoir plus songé. […] Aujourd’hui Dieu m’a soufflé autre chose et je vous le donne comme il est venu de lui9. » Cette notion du lien entre le divin et la poésie est bien sûr un lieu commun, que l’on trouvera d’ailleurs dans trois des quatre poèmes dont il est question ici, mais ici elle est quand même à comprendre dans le contexte précis de la correspondance d’un journal qui se présentait comme expression d’une doctrine religieuse, et celui des rapports conçus comme spirituels constitués par ces échanges entre rédacteurs et lecteurs.

Si les vers de Boissier sont inspirés par la lecture du Globe, ceux de P. Papy fils sont inspirés par le désir de continuer à lire le journal. Le poème qu’il envoie est en effet une demande d’abonnement en guise de poème, et non pas un écrit qu’il voudrait voir publier. Au début du poème il se présente comme « Un des enfans de la grande famille » et à la fin il propose un échange du Globe contre ses vers :

Puisque le sort si loin m'a confiné,
Que je ne puis vous voir ni vous entendre,
Conservez moi le titre d'abonné ;
Cette faveur, que de vous j'ose attendre,
Adoucira d'importuns souvenirs ;
Et quelquefois, enfans de mes loisirs,
Mes vers légers iront en confidence
Vous témoigner de ma reconnaissance.

À côté de la demande d’abonnement, il y a donc aussi un remerciement et une communication qui se présente comme intime, destinée à remplacer le contact direct. Cette écriture poétique de l’intimité fait ainsi écho au rôle sacerdotal de l’écriture journalistique telle qu’elle est conçue par les Saint-Simoniens.

À la différence des autres compositions, on ne trouve rien dans « Le Prolétaire » de Ph. E. P. ni dans la lettre de Francisca Prugneaux qui l’accompagne sur l’inspiration divine, si ce n’est indirectement par l’allusion à la lecture du Globe, et le poème n’a pas la tonalité religieuse des autres compositions. Il s’agit plutôt d’une réaction d’indignation face à la misère révélée par le journal et par les discussions dans ce salon provincial. C’est une preuve que la tactique des Saint-Simoniens d’envoyer leur journal à des personnes susceptibles de le faire lire et discuter par d’autres avait du potentiel. Dans ce cas au moins, la pratique sociable de lecture des journaux mène non seulement à la conversation mais aussi à l’inspiration d’un cœur sympathisant et à la composition littéraire.

Inspiré en partie par la lecture du Globe, le contenu idéologique des poèmes reprend des thèmes chers aux Saint-Simoniens, et les poètes s’associent ainsi à la lutte héroïque pour fonder la société de l’avenir. Cependant, ils le font à différents degrés et chacun à sa manière, et à l’exception peut-être de Boissier, le détail de la vision qu’ils présentent s’écarte autant qu’elle se rapproche de celle qui est présentée par Le Globe à cette époque.

Au fond c’est le rôle salvateur de Saint-Simon que célèbre Blanc, plutôt que les idées des Saint-Simoniens. Dans son épître dédicatoire « A Saint-Simon », Blanc fête cet « astre nouveau » qui jette une nouvelle lumière sur le monde, enrichit le pauvre et accorde l’égalité à la femme. Sur ce dernier point, rappelons que c’est à Enfantin, non pas à Saint-Simon, qu’il faut associer l’appel aux femmes dans la doctrine saint-simonienne. Dans son hymne au travail il reprend la représentation de Saint-Simon comme sauveur du monde, descendu d’en haut animer le travail, réveiller les beaux-arts, chasser la misère et terrasser « l’hydre de la paresse ». Cet individu établira l’ordre, la nature présentera aux hommes ses trésors, l’harmonie règnera. L’harmonie en question est dans un premier temps celle qui existera parmi les hommes et entre l’homme et la nature, l’esprit et la matière sous la société saint-simonienne. Le sens musical du mot permet aussi une transition vers l’expression du rôle de la poésie et de la chanson dans cette société, et de la place accordée à Saint-Simon par Blanc dans les trois dernières strophes de l’hymne :

Sainte fille du ciel, ô divine harmonie
Préside nos accords !
Ravis, ravis nos cœurs, aimable poésie,
Exprime nos transports.

Riez, chantez, dansez sous la voûte des mondes,
Peuples, dansez en rond ;
Chantez, dites, chantez vos délices fécondes,
Tous, tous à l’unisson.

Honneur à l’éternel, honneur à son prophète,
Honneur, gloire et amour ;
A l’homme, à Saint-Simon, au dieu grand qui nous prête
Son bras et son secours.

Nous sommes donc bien dans le genre de l’hymne, d’abord dans le sens moderne d’un chant lyrique exprimant l’enthousiasme pour Saint-Simon, avec toutefois un teint de la religiosité de l’hymne classique à la gloire des dieux et des héros. Mais c’est un hymne à la personne de Saint-Simon, non pas à la version enfantinienne de la doctrine, tout juste présente par quelques allusions, ce qui explique en grande partie l’accueil peu chaleureux réservé aux vers de Blanc.

Boissier adresse son poème aux Saint-Simoniens, non pas à Saint-Simon. Il proclame aussi, comme nous l’avons vu, son inspiration divine, mais à la différence de Blanc, ce n’est plus Saint-Simon qui est le prophète, c’est lui-même en tant que poète saint-simonien, et ses vers sont proches du Verbe des Saint-Simoniens, c’est-à-dire du Globe :

Marchez! – A la table nouvelle
Je ne suis pas encore assis;
Mais à la voix de Dieu fidèle
Moi je chante quand il m’appelle,
Je suis prophète, et je vous dis:

Marchez ! Marchez ! A vous le monde!
A vous les siècles à venir !
Qu’importe que la foudre gronde ?
Que votre Verbe lui réponde,
Géants, vous saurez l’asservir.

Pour Boissier ce sont donc les géants Saint-Simoniens qui transmettent le Verbe divin ; Saint-Simon lui-même est évoqué une seule fois dans le poème, et cela dans la périphrase « fils aîné de Saint-Simon », qui désigne Enfantin comme légitime héritier, ce qui est significatif dans le contexte des schismes qui viennent de secouer le mouvement.

Boissier donne une dimension épique à son poème en établissant une comparaison entre le rôle de Jules César au moment de la naissance du Christianisme et celui de Napoléon aux débuts de la nouvelle religion saint-simonienne. L’empire romain représente dans sa lecture de l’histoire une association des peuples ; les routes romaines coupent les campagnes et percent les montagnes dans le but providentiel de laisser circuler la parole du Christ. Il y a ici en effet un parallèle frappant avec les idées développées dans Le Globe depuis quelques mois. Je pense avant tout, bien sûr, au « Système de la Méditerranée » de Michel Chevalier, publié dans le Globe le 12 février 1832, et évoqué de nouveau dans l’article de Chevalier du 30 mars 1832 qui inspire la composition du présent poème. Boissier peut ainsi déclarer dans la dernière strophe :

Croyez ! – Les jours du Fils de l’Homme
Devaient venir, ils sont venus !
Napoléon, Maître dans Rome,
Fut de César le Second tome
Précurseur du Second Jésus !

Avant d’en arriver là, ce poète et prophète avait insisté sur les traits enfantiniens de ce Second Jésus. Le « Nouveau Messie » sera un « Couple-Prêtre », un « Pontife-Roi ». Dans son œuvre de pacification du monde il va racheter l’âme du prolétaire et de la femme. Boissier est donc tout-à-fait dans l’orthodoxie enfantinienne.

L’inspiration saint-simonienne est évidente à un moindre degré dans le vocabulaire et les idées de Papy fils, qui critique les « oisifs » en se qualifiant de prolétaire, et proclame son appartenance à l’association universelle en évoquant la « Grande famille ». Cependant, et comme son père, il la détourne en partie pour l’appliquer au contexte de la Martinique et de l’esclavage. Cette question était sans aucun doute toujours d’actualité pour ce fils d’esclave, mais elle l’était probablement encore plus à un moment où les Antilles étaient secouées par un soulèvement d’esclaves à la Jamaïque. Sans se prononcer directement sur ces événements ou sur la question de l’abolition, son poème dégage une sympathie générale pour les esclaves, eux aussi membres de la « Grande famille » saint-simonienne à ses yeux. Le contexte de l’esclavage explique sans doute pourquoi il insiste davantage sur le caractère sacré de la liberté que ne le feraient ses destinataires, plus soucieux de l’ordre et de la hiérarchie que de la liberté. Mais cela reste aux dires de Papy fils « une digression » par rapport au but de son envoi, qui est de s’associer au mouvement. C’est ici qu’on trouve l’exemple le plus frappant de son appropriation créatrice d’un élément de la doctrine : le raisonnement par syllogisme qui lui permet de se servir de son ethnicité pour s’identifier au prolétariat. Il est mulâtre ; il est donc prolétaire ; les Saint-Simoniens sont partisans des prolétaires ; il est donc partisan des Saint-Simoniens. Au lieu de servir de marque de différence, la couleur de sa peau sert de marque d’identité, un peu comme la mauvaise orthographe de son père. Père et fils se sentent tous les deux exclus, chacun à sa manière, mais ils se servent justement de cette exclusion pour s’identifier à une secte qui prône l’association universelle et l’amélioration du sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.  

Comme Boissier, Papy parle des paroles saint-simoniennes – et encore une fois, il faut entendre ici les paroles du Globe – comme d’une parole sacrée, salvatrice.

Depuis six mois que je lis leurs paroles
J'y trouve espoir et sublime raison.
Ce ne sont pas des louanges frivoles,
Je vous le dis, et sans nul commentaire,
Oui votre Globe est pour moi salutaire.

Papy évite cependant de réclamer l’inspiration divine pour ses propres vers. Ils n’auront pas à soutenir la comparaison avec le Verbe saint-simonien dans la sphère publique, car ils sont destinés à un usage privé :

Et quelquefois, enfans de mes loisirs,
Mes vers légers iront en confidence
Vous témoigner de ma reconnaissance.

Papy est donc plus modeste que Blanc et Boissier quant à son inspiration et à l’usage de ses vers, mais il partage avec eux la notion que les vers permettent de dépasser l’espace qui sépare l’individu isolé des Saint-Simoniens à Paris, voir de l’association universelle dans son ensemble. Sa poésie fait partie de cet échange qui sert la cause de la communion, de ce principe de liaison qui est au cœur du saint-simonisme et qui anime leur journalisme.

Le poète nancéien est peut-être le plus éloigné de l’esprit saint-simonien, parce que la vision de l’avenir qu’il présente est plutôt pessimiste, et parce que la sympathie qu’il montre pour « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » est teintée de méfiance à son égard. Il partage l’analyse du manque d’intérêt de ceux qu’il appelle « les heureux de la terre, / Elus de l’aveugle destin » pour le sort des prolétaires ; et comme les Saint-Simoniens il attire l’attention sur le contraste entre les privilèges des riches et les souffrances des pauvres. Les Saint-Simoniens cèdent parfois comme lui à la tentation de présenter les prolétaires comme condamnés à l’immoralité par leur situation. Mais au lieu de prêcher une solution à ce problème à travers l’association des classes, comme le font les Saint-Simoniens, son poème présente le problème social comme simple menace, menace d’ailleurs d’ordre révolutionnaire. Là où Boissier évoque l’histoire romaine pour exprimer sa foi saint-simonienne en un meilleur avenir, en la venue d’un nouveau Messie de la paix capable d’unir les peuples dans une association universelle, Ph. E. P. y fait allusion à la fin de son poème pour anticiper la venue d’un nouveau Spartacus. Mais cet homme révolté n’est pas présenté comme héros, comme libérateur. Il figure plutôt dans les cauchemars des privilégiés : « souvent, écrit-il, vous voyez dans vos rêves de crainte / Surgir un autre Spartacus ». Cette vision dystopique rappelle l’avertissement de Saint-Marc Girardin dans le Journal des Débats du 8 décembre 1831 devant la « menace barbare » des ouvriers. Ph. E. P. ne l’épouse peut-être pas, mais son message reste celle de la division et de l’antagonisme, là où les Saint-Simoniens prônaient la réconciliation et l’harmonie.

Nos quatre poètes ont donc chacun une conception particulière de la doctrine saint-simonienne articulée par le journalisme du Globe. Avant de conclure, il faudrait dire quelques mots sur les rapports entre ces poèmes et le journalisme en général. Il y a, bien entendu, quelque part derrière ses envois un désir de se faire publier dans un quotidien à la renommée nationale, de se faire entendre dans la sphère publique. Ce qui est plus intéressant que ce procédé banal de poète débutant est le fait que sans être des poèmes de circonstance, les poèmes qu’ils écrivent sont marqués par l’actualité, et par le journalisme. Inspirés par un journal, ils se servent du genre de la poésie pour tenter d’entamer un débat, non seulement avec la doctrine saint-simonienne en évolution dans les pages du Globe, mais aussi en interpellant d’autres journaux. Chez Boissier on retrouve des allusions à la situation politique de l’Europe après la Révolution de Juillet, et aux persécutions subies par le mouvement. Le poète nancéien et Papy sortent des conventions poétiques pour incorporer des notes de bas de page afin de situer leurs vers par rapport à la réalité quotidienne et dans la sphère publique. Le premier parle des dépenses extrêmes du Baron Louis, tandis que Papy cite, référence très précise à l’appui, un jugement du Journal du Havre sur les prolétaires, et renseigne son lecteur sur les revenus qu’un maître peut attendre d’un esclave à loyer. Quel que soit l’impact de ce procédé sur les qualités esthétiques des poèmes, les poètes ne se privent pas des ressources du journalisme pour montrer le bien-fondé de leur polémique contre les maux de la société.

Le caractère satirique des deux journaux, Figaro et Némésis, cités dans le corps du poème de Papy, les recommande sans doute comme alliés dans la dénonciation de l’ordre établi, mais se servir du premier, qui avait attaqué à plusieurs reprises les Saint-Simoniens, laisse un peu perplexe dans un éloge du Globe. Le choix du second, hebdomadaire satirique d’Auguste Barthélemy, fondé en 1831 et écrit entièrement en vers, s’explique plus facilement. Sauf erreur, Barthélemy n’évoque qu’une fois Saint-Simon et cela de manière assez neutre dans le numéro du 25 décembre 1831 qui porte le titre « Emeute universelle », et s’adresse « aux égoïstes » :

Je ne viens point ici prêcher les lois agraires,
Ni, dans les longs versets d'un mystique sermon,
Convertir l'homme riche aux lois de Saint-Simon10.

La solidarité de Barthélemy avec les classes les plus pauvres à l’occasion du soulèvement des canuts de Lyon est celle d’un républicain plutôt que celle d’un Saint-Simonien, mais évoquer ces journaux permet à Papy d’étaler sa connaissance de la presse métropolitaine, de se positionner en interlocuteur informé ; et l’exemple de ce journalisme en vers a pu lui servir de modèle dans sa création poétique.

Essayons de résumer ce que ces quatre poèmes et les lettres qui les accompagnent nous indiquent comme pistes de réflexion sur les rapports du lecteur au journalisme saint-simonien. En échangeant des vers contre des articles, nos poètes insistent implicitement sur la valeur de ces derniers. Il me semble qu’il y a ici de la part de ces anonymes une tentative de trouver un équivalent de la vision intellectuelle et du niveau littéraire de leurs nouveaux correspondants à Paris. Le journalisme saint-simonien n’est pas pour eux une forme de littérature dégradée : elle a sa part de l’inspiration divine, du don de la prophétie que la tradition assigne à la poésie. Pour Boissier et Blanc, c’est d’ailleurs l’inspiration divine qui les autorise en quelque sorte à proposer leurs poèmes aux rédacteurs, à vouloir participer à l’œuvre d’apostolat du journal. L’échange est donc au moins possible, s’il n’est pas d’égal à égal : nos quatre poètes acceptent une position d’infériorité qui va plus loin que la modestie d’usage dans la correspondance et l’humilité du poète inconnu devant l’héritier du grand journal littéraire et politique de la Restauration ; ils acceptent en quelque sorte leur place dans la hiérarchie saint-simonienne.

Il ne faut cependant pas confondre cette humilité avec de la soumission. Nos poètes acceptent l’invitation à entrer dans un rapport d’intimité, de familiarité, de connivence avec le journal et avec le mouvement dont il est l’expression. C’est en premier lieu l’idéologie d’association portée au niveau de la religion qui inspire leur création littéraire, mais cela est étroitement liée à une conception du journalisme comme moyen non seulement de faire circuler mais aussi de développer les idées, comme étape dans l’échange entre rédacteurs et lecteurs plutôt que comme texte doctrinal définitif. C’est un échange qui commence dans la sphère publique pour se prolonger dans la sphère privée, avec espoir d’un retour à la sphère publique. La réception des idées saint-simoniennes est ainsi active. Nos poètes sont inspirés et prennent la plume, mais en le faisant ils interprètent et expriment la doctrine, le mouvement de l’histoire, et l’actualité à leur manière, ce qui les éloigne parfois de l’orthodoxie saint-simonienne. Ils acceptent, peut-être un peu vite au gré des Saint-Simoniens, qui ne donnent aucune publicité à leurs écrits, le rôle identifié dans les pages du journal de chanter l’avènement du nouveau monde en même temps que Le Globe le raconte. Si ces poètes nous rappellent quoi que ce soit sur le fonctionnement de la poétique de l’intime dans les journaux du dix-neuvième siècle, c’est que les tentatives des journalistes de se glisser dans l’intimité des lecteurs sont vouées, non pas obligatoirement à l’échec, mais parfois à des réactions inattendues de la part de correspondants dont la pensée saint-simonienne libère les capacités poétiques et, plus généralement, créatrices11.

(University of Leeds)

Annexes

Voici la retranscription annotée des lettres dont il vient d’être question.

Lettre 1

J. Blanc à Monsieur le rédacteur, le 16 décembre 183112

Monsieur le rédacteur,

L’entreprise que votre journal a commencé est belle, elle tend au bonheur du genre humain ; c’est une lumière qui doit l’éclairer.

Un jour viendra, et ce jour n’est pas loin, que vous retirerez le prix de la doctrine que vous publiez, car une bonne semence ne peut que germer et se fructifier ; ne vous lassez donc point de générosité.

Saint-Simon est Dieu13

Ne connaissant la doctrine que superficiellement et peu instruit des vérités qu’elle publie, je suis dans un état d’ignorance duquel mon esprit ne peut sortir ; il est ambitieux à la vérité et en cela on ne peut le taxer d’indifférence ; c’est ce qui m’engage à m’adresser à vous, Monsieur le rédacteur : je vous prie donc, et vous saurai bon gré, de m’adresser une feuille de votre apostolique journal, afin que je voie clairement et que je devienne un homme meilleur. Si j’étais dans une grande ville je n’aurais pas besoin d’avoir recours au moyen que j’employe : j’irais entendre avec empressement la parole de vos apôtres ; mais habitant de village, à cause de la modicité de mes revenus, vivant ainsi dans la solitude il ne me reste que cet espoir d’instruction ; ayez donc la bonté de m’adresser votre journal qui sera l’évangile que j’annoncerai au village.

Je suis encor néophite mais j’espère devenir un jour apôtre même de Saint-Simon et lui faire de nombreux prosélites. C’est dans ce désir que j’ai l’honneur d’être

Monsieur,

Votre très soumis serviteur

Blanc J.

Le 16 décembre 1831.

Daignez m’honorer au plu tôt d’une réponse.

Mon adresse est.

Mons. Blanc, propriétaire.

à Volx près Manosque14

Basses-Alpes

Monsieur / le Rédacteur du Globe / Rue Monsigny, no 6. / Paris.

Lettre 2

J. Blanc à Monsieur le rédacteur du Globe, le 27 février 183215

Volx, 27 février 183116.

Le ton de bienveillance et d’amitié  sur lequel vous avez répondu à mes lettres m’impose la douce obligation de vous écrire aujourd’hui. Vous me parliez de mademoiselle Aillaud : elle est de Volx, nous sommes compatriotes ; mais il y a longtems qu’elle a quitté ce pays et comme je ne fais presque que de terminer mes études je ne la connais pas ; ma sœur la connait particulièrement, elle lui a écrit. Cette demoiselle est depuis au moins deux ans marié à un petit village près Forcalquier elle se nomme maintenant Brun17.

Je vous avais dit dans ma dernière lettre que j’enverrais parfois quelques articles au Globe, je tiens à remplir ma promesse. J’ai réfléchi attentivement sur Saint-Simon, sur cette homme divin sur cet homme qui mérite à juste titre le surnom de grand et dans les transports d’une imagination se portant vers l’avenir heureux qui est réservé à l’univers, j’ai adressé un hymne à celui qui doit le régénérer.

La loi vivante, le travail m’a paru la plus sublime conception pour le salut de l’humanité ; j’ai  compris que l’homme  ne serait heureux que lorsqu’il vivrait de la vie et, plein de cette idée, j’ai essayé de faire l’éloge du travail.

Je vous envoye donc, Monsieur le Rédacteur, ces deux productions de mon pauvre génie ; ce sont là ses premières, il vous les offre. Je vous autorise d’en user comme vous le jugerez convenable : vous pouvez corriger, ajouter, retrancher, ou enfin, si vous n’y trouvez rien de bon, purifiez-les par le feu. Si dans votre très grande indulgence vous daigniez les insérer dans vos colonnes, signez-les seulement des initiales J.B.

J’ai en apprenant les persécutions intentées contre votre doctrine18 sympathisé avec tous vos amis, que je regrette de ne pouvoir en cette occasion, vous aidant de secours pécuniaires19, vous montrer que j’y suis vraiment attaché ! ne vous découragez pas le tems vous fera justice ! votre innocence et la bassesse de vos persécuteurs seront produits au grand jour.

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération,

Blanc J

Quoique j’aie employé dans une lettre la phrase Saint-Simon est Dieu je n’ai cependant jamais cru que Saint-Simon fût l’être absolu, nécessaire, en qui tout est, par qui tout est, çà été pour dire que St Simon était un homme divin, un révélateur.

Monsieur /Monsieur le Rédacteur du Globe / Rue Monsigny, no 6. / Paris.

A Saint-Simon

Je te salue, ô Saint-Simon, astre nouveau et je t’adresse un hymne d’allégresse : telle l’alouette matinale de ses chants joyeux salue l’aurore d’un beau jour et le soleil levant.

Ta lumière a tombé sur nos yeux et nos paupières appesantis se sont ouvertes.

Nos regards ont embrassé un nouvel horizon ; nous avons marché sur une terre rieuse et féconde, couverte de fleurs et de fruits ; l’homme s’est promené dans un vaste attelier, dans le temple de l’univers.

Ta voix a parlé aux mondes ; les mondes t’ont entendue et les cœurs ont bondé et ils l’ont répété avec leurs échos doux et sonores.

La loi du bien règne sur le grand trône, et le génie du mal s’est évanoui.

Le pauvre, le souffrant est enrichi, ne souffre plus ; la loi de travail et d’amour l’a fait honneur, et son front s’est déridé au bonheur qui lui a souri.

La femme, la femme aussi a levé sa tête humiliée, semblable à la fleur languissante et flétrie sur la tige que la rosée du matin ranime et vivifie.

Elle aussi a recouvré sa fraîcheur, sa beauté, le suave parfum de ses œuvres et son plus bel éclat l’égalité.

Compagne, sœur de l’homme, son égale et jamais son esclave, elle marchera avec lui, le dévancera peut-être.

O loi de justice et d’amour ! sa bouche te bénisse, et les feux sublimes de ton intelligence s’échapperont de ton cœur !

J. B.

Le Travail

1
Enfanté par le tems l’héritier légitime
De ce monde souffrant
Est descendu d’en haut, et nos maux dans l’abîme
Vont évanouissant.

2
Le travail aux bras d’or donnait à son empire
Les peuples et les voix ;
Tout s’anime et se meut, tout aime et tout respire
Sous ses vivantes lois.

3
Sa voix a retenti comme un bruyant tonnerre ;
Soudain se sont levés
Les peuples languissans, ces enfans de la terre
De repos fatigués

Le génie enflammé déroulant sa bannière
La montre à nos regards,
Et ralliés enfin l’esprit et la matière
Suivent ses étendards

Les beaux arts réveillés, secouant la poussière,
Sortent de leurs tombeaux ;
Ils vont créant autour de leur vaste carrière
Des prodiges nouveaux.

La cité jette au loin son manteau de misère
Quitte ses vieux haillons ;
Et le chagrin doré dont l’ennui fut le père
Est chassé des salons.

Terrassé sans retour, l’hydre de la paresse
Est détruit par le sort ;
Avec le crime affreux, court l’antique molesse
Au néant à la mort.

Au loin fuit la discorde, à la pomme fatale,
Etouffons ses brandons ;
Cette sombre furie emporte en son dédale
Ses serpens ses tisons.

De suaves parfums la nature embaumé
Présente à tous ses dons ;
De ses nombreux trésors notre mère est chargée
Heureux, nous les cueillons.

Sainte fille du ciel, ô divine harmonie
Préside nos accords !
Ravis, ravis nos cœurs, aimable poésie,
Exprime nos transports.

Riez, chantez, dansez sous la voûte des mondes,
Peuples, dansez en rond ;
Chantez, dites, chantez vos délices fécondes,
Tous, tous à l’unisson.

Honneur à l’éternel, honneur à son prophète,
Honneur, gloire et amour ;
A l’homme, à Saint-Simon, au dieu grand qui nous prète
Son bras et son secours.

J.B.

Lettre 3

C. Boissier à Monsieur Justin, le 26 janvier 183220

Ste. Foy21 26 janvier 1832

Monsieur

Il ya plusieurs jours que je me proposais de vous écrire et le numéro d’aujourd’hui22 de me permet pas de différer plus longtemps. J’ai d’abord à vous accuser réception du Globe. Il m’est parvenu à dater du 4 janvier, quoique vous m’eussiez averti que je le recevrais à partir du 1er. Je vous dis ceci pour vous mettre à même de juger de la fidélité du service des postes23. Vous dire que je le lis avec plaisir, ce serait parler faiblement. La lecture du Globe est maintenant un devoir, un besoin pour moi, une nécessité de ma vie. N’attendez pas pour continuer à me l’envoyer, n’attendez pas que je vous le redemande ; il sera toujours le très-bien venu. Je n’entends cependant pas le recevoir gratis. Je ne veux pas pouvoir me dire que ce sont les travaux du peuple qui vous entourent qui procurent à mon oisiveté inutile la lecture de votre journal. Je vous enverrai donc, aussitôt que je le pourrai, une faible somme que vous recevrez au titre qu’il vous semblera bon.

J’arrive maintenant à la lettre que m’a écrite Mr Justin sous la date du 8 janvier24. J’ai un reproche à vous faire. Vous m’attribuez la pièce que je vous ai envoyée25 et c’est une petite indiscrétion. Car, à supposer même que j’en fusse l’auteur, puisque je la mets sous le nom d’un autre, je devais avoir mes raisons et vous deviez parler dans mon hypothèse. Ceci soit dit comme simple avertissement et sans colère aucune : il me serait impossible de me fâcher contre vous, car je vous aime. Je rentrerai donc dans ma première disposition pour vous presenter les réflexions que j’ai à faire sur votre lettre. Une personne qui comme moi lisait le Globe depuis quelque temps était assez imbue de vos principes pour juger à l’avance quel serait l’accueil que vous feriez aux vers en question. Je connaissais vos sentimens et votre langage tout pacifique : je dirai plus, je l’avais appris et je prédisis à l’auteur que sa pièce ne paraîtrait certainement pas dans le Globe ; aussi n’en aura-t-il pas été surpris. Et moi j’ajouterai qu’il serait à souhaiter que vos prédications eussent auprès des masses le même accueil que votre dernière lettre a eu auprès de moi. Vous prêchiez à un converti. Je suis entièrement convaincu que vous avez pris la meilleure route et qu’on ne saurait convertir le monde avec la menace et le fer.

Et l’on vous persécute ! je vous l’avoûrai : je n’ai pu me défendre d’un vif mouvement d’indignation ou plutôt de fureur. Des hommes qui pendant 15 ans ont combattu pour la liberté renient aujourd’hui leurs principes. Cet article 29126 pour lequel ils n’ont pas eu assez de flétrissements, qu’ils ont accusé et conspué, qu’un ministre de la restauration, un Guizot27, a condamné comme mauvais du haut de leur tribune nationale, ce même article infâme, ils ont osé le ramasser de la boue et s’en faire une arme contre vous. Je les comprends ; ils sont conséquens et voient ce qu’ils veulent ; ils nous donnent la liberté, oui la liberté de nous retirer, de nous enfermer dans nos maisons, de discuter au coin de notre feu, de nous isoler de ce qui fait la vie ; ils nous donnent la liberté de mourir. Etrange liberté, étrange association de peuple que celle qui vous défendent de vous réunir au nombre de 22 personnes à moins que ce ne soit pour danser, manger et boire et jouer. Mais ils ne triompheront pas, car vous êtes forts : vous êtes les seuls dans notre société bâtarde, les seuls qui entourés de l’égoisme ayez conservé du dévouement, les seules hommes francs au milieu d’une tourbe dissimulée, descendue au dernier degré de l’hypocrisie et du mensonge ; les seuls hommes admirables, estimables, au milieu de ce qui ne mérite que risée et mépris, les seuls hommes moraux au milieu de l’immoralité universelle. Et ce serait un crime que d’attaquer le mensonge, l’égoisme, et l’immoralité quand la société toute entière s’y plonge et s’y abime ! ce serait un crime de vouloir transformer cette matière adultère et souillée qui vous prenant au berceau vous élève dans l’art de feindre et vous apprend à faire consister la souveraine sagesse dans l’habileté à bien porter son masque et à le garder jusques au fond du tombeau.

Quant au role de propagateur dont vous me parlez, mon cher monsieur, je ne puis l’accepter sans me compromettre d’une manière grave. Si j’avais une fortune indépendante, je m’élèverais facilement au dessus de toutes les considérations. Mais  je suis ministre du St. Evangile ; mais tous les membres de ma famille qui sont chrétiens et ont fait beaucoup de sacrifices pour me faire parvenir s’attendent à me voir bientôt pasteur d’une église. En attendant l’âge requis je me suis fait professeur : et si je continue à parler de vous je risque de perdre ma place. Que les gens ici sont ignorans et mauvais ! vous étiez indignement outragés, j’osai prendre votre défense, soutenir que vous étiez probes, que le St. Simonisme pouvait être une religion et j’en ai été vertement blâmé même par mes amis ; on m’a conseillé de me taire si je voulais rester ici et de ne plus laisser apercevoir que je sympathise avec vous, que je vous estime et vous honore. J’aurais bien des misères à révéler : j’ignore si je ne le ferai pas un jour. Puis concevez d’après cela de quelles précautions il est nécessaire que je m’environne et combien grande est ma confiance en vous pour que j’ose vous parler ainsi. Vous y verrez une obligation sacrée de laisser tout ceci entre vous et moi. Déjà parce qu’on m’a vu lire le Globe, parce que j’ai repoussé avec vivacité les ignoble attaques que l’on dirigeait contre vous, parce que j’ai témoigné de l’admiration pour la grandeur de vos vues, pour votre générosité et votre dévouement, on a crié au St. Simonien, ce dont je ne m’inquiéterais guères si je devenais indépendant car je conseillerais aux crieurs de se mêler de leurs affaires et d’acquérir la capacité de juger les hommes et les doctrines avant de venir d’un ton tranchant parler de choses où ils n’entendent rien. Mais nous, Monsieur, nous sommes comme les filles : avant notre établissement il ne faut pas même que nous puissions être soupçonnés. – J’ai appris que Mr. J. Benzelli28 à qui vous aviez proposé d’envoyer vos brochures avait craint les frais de transport, pour moi je serais enchanté de les recevoir avec vos principaux ouvrages entr’autres le 2e. Volume de l’Exposition s’il est publié. Marquez-moi leur prix et me les expédiez, je vous en ferai parvenir le montant. – Soyez persévérans ; avec le temps les calomnies tombent, déjà l’on n’ose plus ici suspecter votre probité. Le Globe grandit parmi les journaux. C’est un chef d’œuvre de rédaction. Il m’a dégoûté de tous les autres. Il est temps que je termine. Ce que je ne vous dis pas, mon frère29 qui vous apporte cette lettre vous le dira. Il a été plus indépendant que moi et vous êtes cause de son voyage à Paris, ce qui ne lui fait pas beaucoup de peine, car la place qu’il occupait lui était insupportable. Il désirerait passer  quelque temps à Paris s’il y trouve quelque emploi. Je ne vous prierai pas de le servir car vous n’êtes pas sur le trône, et je suis d’ailleurs persuadé que si cela vous était possible, il n’aura pas besoin de recommandation. J’espère par son moyen connaître beaucoup de particularités qui vous concernent et qu’il apprendra dans les conversations qu’il aura avec vous. Veuillez agréer l’assurance de mes sentimens non de fraternité  mais de considération et affection je dois dire, car vous êtes dévoués et grands.

C. Boissier

Monsieur /  Monsieur Justin, rue Monsigny / no. 6. Paris

Lettre 4

C. Boissier à Monsieur le Rédacteur, le 27 mars 183230

Ste. Foy ce 27 mars 1832

Monsieur le Rédacteur

Je n’avais pas attendu l’arrivée de la circulaire no. 931 pour vous manifester le désir que j’éprouve de continuer à recevoir le Globe. Je vous ai exposé dans une lettre du 26 janvier les jugemens que je porte sur la doctrine St.-Simonienne et les sentimens qu’elle m’inspire; et sous la date du 28 février vous m’avez écrit en réponse une lettre dont je ne veux extraire que les mots suivans : nous vous avons expédiée un exemplaire de toutes nos publications et vous continuerez à recevoir le Globe32. Souffrez donc que je vous renvoie aux deux lettres mentionnées ci-dessus : vous y verrez et ma position et ma croyance et le jugemen que vous-même en avez porté. Je n’ai pas changé depuis lors. J’attends une réponse aux questions que je vous ai adressées depuis peu par l’intermédiaire de mon frère qui se trouve en relation avec le père Bouffard33. Permettez-moi de joindre à mes anciens témoignages de sympathie pour vos doctrines l’expression d’une vive admiration pour le talent avec lequel vous les présentez.

C. Boissier

Monsieur / Monsieur le Directeur du Globe / rue Monsigny no. 6 / Paris.

Globe / Monsieur / Boissier professeur de grec / à Ste Foy la Grande / Gironde

Lettre 5

C. Boissier à [Michel Chevalier], le 6 avril 183234

Aux Saint-Simoniens. Les signes du temps
Riez de la chaîne impuissante
Qu’ils jettent sur vos bras nerveux:
Dans votre ardeur envahissante
C’est Dieu lui-même qui fermente.
Marchez, car vous êtes des dieux.

Marchez! – A la table nouvelle
Je ne suis pas encore assis;
Mais à la voix de Dieu fidèle
Moi je chante quand il m’appelle,
Je suis prophète, et je vous dis:

Marchez! Marchez! A vous le monde!
A vous les siècles à venir!
Qu’importe que la foudre gronde ?
Que votre Verbe lui réponde,
Géants, vous saurez l’asservir.

Leurs Dieux s’en vont ; leur pied chancelle ;
Leur voix bégaie en foudroyant :
Leur Foi jadis vivant et belle
Se meurt la pauvre et bat de l’aile
Sur les rivages du néant.

Paix lui soit et douce agonie !
Et vous, et vous, hommes de feu.
Bâtissez, au nom du génie
A l’Universelle Harmonie,
L’Autel nouveau du nouveau Dieu.

Le temps est Beau, l’heure est propice ;
L’homme se tait, le monde errant
Fait halte au bord du précipice,
Car il faut qu’un Sauveur surgisse,
Le monde le sait et l’attend.

Silence donc aux bruits de guerre !
Silence à vous, chants que j’aimais !
Paix dans les airs ! Silence, ô terre !
Silence même au Sanctuaire !
Voici le Dieu que j’annonçais.

Parais, parais, Nouveau Messie,
Couple-Prêtre, Pontife-Roi :
Porte la Parole de Vie :
Le monde entier se pacifie,
Et la Paix marche devant Toi !

C’est Dieu qui parle : qu’on écoute :
Oui, la Guerre et Napoléon,
Juillet vainquant, la Paix absente
N’ont fait que préparer la route
Du fils aîné de Saint-Simon.

Voilà pourquoi dans nos murailles
Après l’élan des Jours Fameux
Les fiers émules de Saintrailles35
Ont amorti loin des batailles
Le sang qui bouillonnait en eux.

Voilà pourquoi l’Europe armée,
Sur le cratère d’un Volcan,
Prête à s’élancer enflammée
N’a jeté qu’un peu de fumée
Et les foudres du Vatican.

Et maintenant dans le silence,
Cherchant d’où le Seigneur viendra,
Paisible et mûr pour sa présence,
Prêtant l’oreille par avance
Le monde écoute, Il entendra !

Aussi quand les jours arrivèrent
Du Christ promis au genre humain
Soldats et Dieux, tous s’en allèrent
Et mille peuples se mêlèrent
Dans l’Unité du nom romain.

Voilà César ! Aigle fidèle,
Vole, conduit ses légions.
Pour écouter la voix nouvelle,
Fais, de ta foudre et de ton aile
Faire silence aux nations.

Combats, César ; va, sois l’idole
De l’Univers sois le vainqueur ;
Monte superbe au Capitole ;
Que l’Orient, comme la Gaule,
N’ait plus que toi pour Empereur.

Foule à tes pieds les deux Espagnes ;
Les peuples doivent s’embrasser :
De routes couper les campagnes
Et perce même les montagnes,
Jésus est là qui veut passer !

Et quand ce colossal génie
Du Christ eût tracé le chemin,
Le Seigneur visita Marie
Et de César livra la vie
Aux couteaux du Sénat romain.

A vous, Saint Paul ! à vous, Saint Pierre !
A vous, Chrétiens au cœur brûlant !
Allez, il n’est plus de barrière,
Allez, courez votre carrière
De l’Orient à l’Occident.

Conquérez le Pont et l’Asie
Et que des hauteurs  du Cédar,
Traînant captive Alexandria
Votre foi vole en Italie
Aussi rapide que César.

Allez ! – l’Humanité guidée
Par l’instinct de son avenir,
De ses longs doutes obsédée,
Les yeux fixés sur la Judée
Attend celui qui doit venir36.

Et moi, qui me sens tout de flamme,
Qui crois en Dieu, qui le bénis
De ce qu’il vient racheter l’âme
Du Prolétaire et de la Femme,
A ceux qui doutent, je leur dis :

Croyez ! – Les jours du Fils de l’Homme
Devaient venir, ils sont venus !
Napoléon, Maître dans Rome,
Fut de César le Second tome
Précurseur du Second Jésus !

Fama percrebuerat fore ut valesceret
Oriens, profectique Judeâ rerum potirentur
Tacite37

Cette pièce que je vous envoye, mon cher Chevalier, est une véritable inspiration. Avant-hier je pris la plume, après avoir lu dans le Globe que vous aviez eu dans vos salons près de deux cents Polytechniciens38. Je voulais exprimer l’idée que désormais les grands hommes ne naîtraient que dans le St. Simonisme et je suis arrivé au bout de ma course sans y avoir plus songé. C’est alors seulement que j’ai mis un titre. Une autre fois je reviendrai à mon premier projet. Aujourd’hui Dieu m’a soufflé autre chose et je vous le donne comme il est venu de lui. J’ai foi à ce que j’ai chanté. Je vous aime tous : mais laissez moi encore pour un peu de temps dans le vieux monde pour me préparer à sortir doucement de ses liens ; car ceux que je porte ne sont pas de nature à pouvoir être violemment brisés. Je vous embrasse.

K.

Ceci est pour vous : Faites de ce qui précède l’usage que vous trouverez bon : et non seulement ne parlez pas de mon véritable nom, mais encore abstenez-vous de tout ce qui pourrait me trahir, et plaignez-moi d’être obligé de renfermer au fond de mon âme les sentimens que je voudrais pouvoir hautement exprimer.

Votre ami,

C. Boissier

Monsieur / Monsieur le Directeur du Globe / rue Monsigny no. 6 / Paris

Lettre 6

Pierre Papy à Messieurs, le 12 février 183239

St Pierre Martinique40 12 février 1832

Messieurs,

il vous sera facile de juger par mon ortographe que je suis de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre: lhommage que je vous rends à vos principes est franc. Jai parodié lévangille de St Jean41, il fut un homme envoyé de Dieu qui S.S. oui messieurs votre mission est providentielle. il faudra du temps pour décider le capitaliste à partager son trésort, mais vous donnez par votre style la clé des coffres forts au travailleur, les oisifs seront aux expédiant!

Je suis dans un paÿs où la classe la plus nombreuse se compose d'esclaves42, on peut dire a la louange des leurs maitres que les principes St Simoniens, ne seraient pas impossibles pour eux, car les propriétaires habitant donnent de la terre à leurs esclaves, la nourriture et le vêtement donc le grand travailleur peut accquérir là le bien-être suivant la capacité. Tel est le but de votre admirable institution, vous pouvez offrir incessamment les colonis à l'Europe pour modeles, que les grands proprietaires donnent comme le colon un arpent de terre à chaque malheureux cultivateur il sera riche des biens qu'il aura faits,

Je suis honnoré messieurs de recevoir votre estimable journal Croyez que vous n'avez pas damirateur plus sincère

Messieurs

que votre dévoué serviteur

Pierre Papy

Lettre 7

P. Papy fils à Messieurs les Rédacteurs du Globe, Journal de la Religion Saint-Simonienne, le 12 février 183243

A Messieurs les Rédacteurs du Globe, Journal de la Religion Saint-Simonienne

Un des enfans de la Grande famille
Dont vos talens revendiquent les droits,
Homme à peau brune, habitant cette Antille
Où les oisifs sont reconnus pour Rois.
J'entends oisifs, ces riches insulaires,
Ces magistrats par droit d'hérédité
Qui vont criant négrophiles, pamphlétaires
Aux noms sacrés de Loi, de Liberté!
J'appelle oisifs, nos grands sinécuristes!
J'appelle oisifs, nos gros capitalistes!
Qui font l'écrire en un certain journal
Qu'un prolétaire est un être inutile44
Pour qui le nègre est un bon capital,
D'autant meilleur que la rente est facile45
J'arrête ici cette digression
Qui déplairait à maint propriétaire.
Et bref, j'arrive à ma conclusion.
Je suis mulâtre de même prolétaire.
Donc, partisan des fils de St Simon;
Depuis six mois que je lis leurs paroles
J'y trouve espoir et sublime raison.
Ce ne sont pas des louanges frivoles,
Je vous le dis, et sans nul commentaire,
Oui votre Globe est pour moi salutaire.
Pas de journal à mon gré mieux écrit:
Plus fort, plus pur, plus correct, plus logique,
Figaro46 seul brille d'autant d'esprit,
Némésis47 seule est aussi magnifique.
Puisque le sort si loin m'a confiné,
Que je ne puis vous voir ni vous entendre,
Conservez moi le titre d'abonné;
Cette faveur, que de vous j'ose attendre,
Adoucira d'importuns souvenirs;
Et quelquefois, enfans de mes loisirs,
Mes vers légers iront en confidence
Vous témoigner de ma reconnaissance.

Journal du Havre48 du 23 novembre 1831. Lettre de Mr C.... ligne 33e

Un esclave à loyer rapporte ordinairement trente francs par mois à son maitre, ce qui fait 30 p %

P. Papy fils,

Saint Pierre Martinique le 12 février 1832

Lettre 8

Francisca Prugneaux à Michel Chevalier, le 30 janvier 183249

Mon mari étant absent j’ai l’honneur de vous accuser reception de votre circulaire du 6 de janvier du Globe et de vos brochures50 : Je vous remercie infiniment de tous vos envois, me reservant de vous exprimer ma vive reconnaissance  verbalement avant deux mois. Je sens le besoin de voir la famille St Simonienne de près. Je souffre de la résistance que je suis obligée d’opposer à la force centrale qui m’attire vers cette source de la vie. ma vocation n’est pas d’écrire, ainsi je ne vous écrivez pas une longue lettre. Je suis en correspondance avec le Père Hoart51 depui long-tems il ne m’a pas répondu, mais je ne m’en plains pas je suis sure qu’il fait un meilleur emploi de son tems, j’en ai la preuve pas la profession de foi de Jean Terson52, je suis fière d’être sa fille53 il me semble que sa gloire réjaillit sur moi, et que je dois seconder ses travaux, non en vous disant beaucoup des mots qui vous prouvent ma sympathie mais en le manifestant par mes actions autant que ma position de femme du vieux monde me le permet car je suis encore sans avoir affranchie que le seuil de la porte.

Un Mr non St Simonien, mais qui lit le Globe chez moi, il y a quelques jours se trouva inspiré, et fit les vers ci-joints il y a des fautes mais ils son d’un premier jet. Je serais bien aise qu’il fût encouragé par un mot dans votre journal. Je désirerais aussi avoir le nouveau Cristianisme54.

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération.

Francisca Prugneaux

Nancy le 30 janvier 1832.

Monsieur / Monsieur Michel Chevalier / rue Monsigny no. 6 / à Paris

Le Prolétaire

Les voilà, les voilà les heureux de la terre,
Elus de l’aveugle destin !
Pour eux des mets choisis, un vin qui désaltère,
Couvrent la nappe du festin.
Pour eux les riches dons du luxe de la ville,
Pour eux la science et les arts ;
Pour eux seuls le relief d’une vertu facile,
Et la joie et les doux regards ;
Pour eux, tout. Mais la foule avide, décharnée,
De sueur mouillant un pain noir,
En stériles efforts consume la journée
Qui ne lui lègue pas d’espoir.
Elle est là, dans la boue, à l’angle de la rue,
Hideuse d’immoralité.
Sale prostituée, en plein jour apparue,
Vil rebut de l’humanité,
Le soir elle se traîne en de sombres repaires
Où le crime jamais ne dort,
Où le besoin aigu, de ses nœuds de vipères,
L’enserre, l’étouffe et la tord.

Oh ! j’en atteste ici la justice suprême !
Des droits sacrés sont méconnus.
Qui donc sur tout ce peuple a lancé l’anathème ?
Pourquoi ces hommes demi-nus
Haves, les yeux cavés, spectres à face humaine,
Aux longs bras maigris par la faim,
Dont  la rauque poitrine où fermente la haine
Demande la mort ou du pain.

C’est que le riche est froid. C’est que l’orgueil l’isole
De celui dont il boit le sang.
C’est qu’il n’a pas à lui cette voix qui console,
Echo d’un cœur compatissant.
C’est qu’il serre son or dans une main avare
Sans qu’il en tombe sur ses pas.
C’est que, sans en rougir, un seul homme accapare
La sueur de cent mille bras.
En vain le peuple plie, et pousse un cri sinistre ;
Un seul homme, dans un seul an,55
Reçoit cent mille francs qu’il dévore en Ministre
Et douze mille en courtisan !

Oh ! c’est avec  raison, qu’au nom de Prolétaire,
Hommes pétris de luxe et d’or,
Tout votre cœur s’émeut ; car, de l’histoire austère
La leçon vous instruira encor.
Vous savez ce qu’il faut de prudence et de feinte
Contre des esclaves vaincus,
Et, souvent, vous voyez dans vos rêves de crainte
Surgir un autre Spartacus56.

Ph. E. P.

Le Bon Louis, par exemple57.

Notes

1  Voir Antoine Picon, Les saint-simoniens: raison, imaginaire et utopie, Paris, Belin, 2002 ; Philippe Régnier, « Pratique et théorie saint-simonienne de la presse », dans Marie-Eve Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Presse et plumes : journalisme et littérature au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2004, p. 223-239 ; Michèle Riot-Sarcey, Le Réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1998.

2  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, Ms7601à Ms7609. Pour une vue d’ensemble de la correspondance du Globe, voir les ouvrages de Riot-Sarcey et de Picon, op. cit.

3  Anon., « Religion Saint-Simonienne. Cérémonie du 27 novembre », Le Globe, 28 novembre 1831, p. 1-3 (p. 2).

4  Ces poèmes, ainsi que les lettres au Globe qui les accompagnent, sont reproduits en annexes.

5  J. Blanc, lettre du 27 février 1832, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, Ms 7601.

6  Voir à ce sujet François Cadilhon, De Voltaire à Jules Ferry: l’enseignement secondaire en Aquitaine aux XVIIIe et XIXe  siècles, Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, 1995, p. 80-86.

7  FE Ms 7608. La lettre, sans le poème, est reproduite dans Michèle Riot-Sarcey, De la liberté des femmes. Lettres de dames au Globe (1831-1832), Paris, Côté-femmes, 1992, p. 97.

8  Riot-Sarcey, Le Réel de l’utopie, op. cit., p. 185.

9  Dans son « chapeau », « K. » précise que l’inspiration lui était venue après avoir lu le compte rendu d’une réunion de plus de 200 Polytechniciens dans les salons saint-simoniens. Cela permet de localiser l’article en question, où Michel Chevalier développe ses idées sur la nécessité d’associer les riches au projet d’association universelle, notamment pour créer les réseaux de communication envisagés dans son célèbre « Système de la Méditerranée ». Voir Michel Chevalier, « Politique de déplacement – politique d'association », Le Globe, 30 mars 1832, p. 357-358. 

10  Auguste Barthélemy, « Emeute universelle. Aux égoïstes », Némésis : satire hebdomadaire, deuxième édition, Paris, Perrotin, 1833, p. 331-339 (p. 331).

11  Je tiens à remercier la Faculty of Arts et le Centre for Canadian Studies à l’Université de Leeds pour le soutien financier qui m’a permis de poursuivre mes recherches.

12  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, Ms7601, Correspondance du Globe ; 4 p. ; l’adresse p. 4 ; cachet postal : Manosque 18 DEC 1831.Texte:Plusieurs annotations, dans diverses mains, en haut de la première page : globe  / abt continuer / ajourné au Ier Janvier / réponse spéciale pour St Simon est Dieu / J. Blanc / répondu Gautier 20 janvier / Lui parler de don & de prêt. Si cet homme ne contribue matériellement il sera convenable de ne plus lui envoyer le globe, car il n’a point de contribution spirituelle à donner.

13  Prosper Enfantin exprime sa conception de la divinité ainsi, lors de la communion générale du 8 juillet 1831 : « Le Dieu du Saint-Simonien est tout ce qui est. Tout est en lui, tout est par lui. – Nul de nous n’est hors de lui. – Mais aucun de nous n’est lui. Chacun de nous vit de sa vie, – et tous nous communions en lui ; – car il est tout ce qui est ». Par la suite Enfantin se mettra de plus en plus au centre de la vie spirituelle de la doctrine, en attendant l’arrivée de la Femme-Messie. Identifier Saint-Simon à la divinité est donc hétérodoxe à plusieurs niveaux. L’annotation indique que les Saint-Simoniens tiennent à corriger les propos de Blanc, qui auraient pu servir d’arme supplémentaire dans les dénonciations de la nouvelle religion, et qui prennent un caractère plus violent lors de cette fin d’année 1831.

14  Le village de Volx est situé à environ sept kilomètres au nord-est de Manosque, et compte vers 1831 un peu moins de mille habitants, selon P. M. Barbichon, Dictionnaire complet de tous les lieux de la France et de ses colonies, Paris, Tétot, 1831, t. II, p. 1081.

15  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7601, Correspondance du Globe ; lettre de 4 p., l’adresse p. 4, poème joint sur 2 p. séparées ; cachet postal : Forcalquier 28 février 1832 et 5 mars 1832. Texte: Plusieurs annotations de d’autres mains sur la première page. En haut à gauche : Globe / correspondance. Après cela, numérotée 3639. Sous ces annotations : Réponse très courte qui lui serve de  découragement à l’envoi de ses vers. En haut, au centre : rép. Surbled 14 mars A côté de la date : Blanc. En dessous : 161

16  Le contenu de la lettre, les registres de la correspondance des Saint-Simoniens et les cachets de la poste prouvent que Blanc se trompe d’année, et qu’il s’agit en fait de 1832.

17  Ce personnage ne nous est connu que par les renseignements donnés ici ; on ignore pourquoi la rue de Monsigny s’intéresserait à elle. Forcalquier se situe à environ 15 kilomètres de Volx.

18  Le 22 janvier 1832, les autorités judiciaires ferment la salle Taitbout pour empêcher la prédication saint-simonienne qui devait y avoir lieu, et arrêtent Prosper Enfantin et Olinde Rodrigues. Commence alors une série de persécutions contre les Saint-Simoniens, qui mettront assez rapidement fin à la phase active du mouvement.

19  Rappelons que la réponse à la première lettre de Blanc avait sollicité une contribution financière, en l’impossibilité d’une contribution spirituelle. Rappelons aussi que le mouvement connaissait des difficultés financières considérables à cette époque, dues en grande partie à la décision de distribuer gratuitement le Globe.

20  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7601, Correspondance du Globe ;4 p. ; l’adresse p. 4. Texte :Plusieurs annotations dans diverses mains en haut de la première page: 3109 / répondu par V. Desroches le 15 février 1832 / père Michel / père felicitations / Pereyre / à suivre très près / Boissier / Naquet envoyer un exemplaire de tous les ouvrages  / répondu / fo 171 / Nqt. La phrase soulignée à la fin du premier paragraphe l’est d’une autre plume, sans doute à la rue de Monsigny.

21  Ste-Foy-la-Grande, petite commune du département de la Gironde, entre Bordeaux et Bergerac.

22  Il s’agit fort probablement du numéro du 23 janvier, dans lequel on annonce que les autorités avaient commencé la persécution des Saint-Simoniens en interdisant la prédication à la salle Taitbout du 22 janvier.

23  La correspondance du Globe fourmille en dénonciations du service des postes, jugé coupable de la livraison souvent interrompue du journal.

24  Lettre non retrouvée.

25  Non retrouvée. Il ne s’agit pas du poème « Aux Saint-Simoniens. Les signes du temps », que Boissier compose plus tard.

26  L’article 291 du Code pénal interdit les réunions de plus de vingt personnes, et comme l’assistance aux cérémonies saint-simoniennes dépasse largement cette limite – et cela depuis plusieurs années déjà – cet article donne aux autorités le prétexte nécessaire pour commencer leurs poursuites contre le mouvement le 22 janvier 1832.

27  Comme on le sait, François Guizot (1787-1874) occupe plusieurs postes administratifs sous la Restauration, mais sera surtout connu comme l’un des ténors de l’opposition libérale ; après la Révolution de Juillet, il commencera une carrière ministérielle comme ministre de l’intérieur d’août à novembre 1830, et sera associé au parti de la « résistance », opposé à tout ce qui relève du « mouvement » et aux idées radicales. Il convient cependant de signaler qu’au moment de la composition de cette lettre, il ne fait pas partie du ministère Casimir-Périer. Ce n’est qu’en octobre 1832 qu’il deviendra ministre de l’éducation dans le ministère Soult.

28  Personnage inconnu.

29  On apprend par la lettre de Boissier du 27 mars 1832 que son frère se trouvera en relation avec le père Bouffard.

30  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7601, Correspondance du Globe ; lettre de Boissier de 2 p., l’adresse p. 2 ; cachet postal Sainte-Foy, 28 mars 1832 ; circulaire du Globe de 2 p. en pièce jointe, l’adresse de Boissier p. 2 ; cachet postal : 23 mars 1832.Texte : Plusieurs annotations dans diverses mains en haut de la première page: Globe continuer / 4074 / rar / Boissier / Env la réponse

31  Ces circulaires demandent aux abonnés de motiver la continuation de l’envoi du Globe, en parlant de leur réaction face à la doctrine.

32  Lettre non retrouvée.

33  Membre du collège saint-simonien, le père Bouffard et Michel Chevalier, ancien directeur du Globe, seront chargés par Enfantin de l’administration du mouvement pendant la retraite à Ménilmontant.

34  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7601, Correspondance du Globe ; 4 p., l’adresse p. 4 ; cachet postal : Sainte-Foy, 6 avril.Texte : Plusieurs annotations de d’autres mains en haut de la première page : 4447 / 181 / Boissier / [illisible].

35  Jean Poton de Xaintrailles, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc.

36  Ici l’auteur a inséré un appel de note, et rédigé la note suivante en latin, qui correspond à la dernière strophe (voir la note suivante pour la traduction) : « Fama percrebuerat fore ut valesceret / Oriens, profectique Judeâ rerum potirentur / Tacite ».

37  « De temps immémorial il régnait une tradition que l'Orient prévaudrait, et que de la Judée sortiraient les maîtres du monde ». Citation adaptée de Tacite, Histoires, livre 5, chapitre XIII.

38  Michel Chevalier parle d’une telle réunion dans un article de la rubrique « Politique industrielle » : « Politique de déplacement – politique d'association », Le Globe, 30 mars 1832, p. 357-358.

39  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7606, Correspondance du Globe ; 2 p. Texte : Plusieurs annotations en haut de la première page : Globe / acc. de réception / 4128 / RAR / 8

40  La ville de St-Pierre, maritime, est le centre du commerce de la plus riche des Antilles françaises.

41  Il y eut un homme envoyé de Dieu qui s’appelait Jean / Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. / Il n’était pas la lumière; mais il vint pour rendre témoignage à celui qui était la lumière. Jean 1 :6-8

42  Selon Barbichon (II p. 306), la Martinique compte vers 1831 9.857 blancs, 11.073 gens de couleur libres, 77.339 esclaves, et environ 15.000 personnes non-recensées.

43  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Enfantin, MS7606, Correspondance du Globe ; 4 p., p. 4 blanc. Texte : Plusieurs annotations en haut de la première page : RAR / 4141 / 7 / Passy.

44  Note insérée par l’auteur : « Journal du Havre du 23 novembre 1831. Lettre de Mr C.... ligne 33e ».

45  Note insérée par l’auteur : « Un esclave à loyer rapporte ordinairement trente francs par mois à son maitre, ce qui fait 30 p % ».

46  Journal satirique fondé en 1826 par Etienne Arago et Maurice Alhoy, qui est dirigé de 1830 à 1832 par Henri de Latouche dans un esprit républicain. Y contribuent de nombreux rédacteurs talentueux, dont George Sand. Sur Figaro, voir Frédéric Ségu, Le Premier Figaro (1826-1833), d’après des documents inédits, Paris, Les Belles Lettres, 1832.

47  Hebdomadaire satirique en vers, d’Auguste Barthélemy, publié de 1831 à 1832.

48  Le Journal du Havre, de tendance libérale,étaitconnu pour l’étendu de ses correspondances maritimes. À ce sujet, voir Claude Bellanger et al., Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1969, t. II, p. 292.

49  Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, FE7608 ; 8 p., p. 3 et 8 blanc, l’adresse p. 4 ; le poème p. 5-7 ; cachets de poste : Nancy, 31 janvier 1832 et 2 février 1832. Édition : Michèle Riot-Sarcey, De la liberté des femmes : Lettres de dames au Globe (1831-1832), Paris, Côté-femmes, 1992, p. 96-97 (uniquement la lettre de Francisca Prugneaux ; le poème est inédit).

50  Les Saint-Simoniens envoient souvent à leurs correspondants des brochures expliquant divers aspects de la doctrine.

51  Hoart, membre du collège, avait été envoyé visiter les églises saint-simoniennes du Midi.

52  Hoart était à la mi-janvier à Toulouse, où  il avait assisté à une séance saint-simonienne qui avait attiré cinq cents auditeurs, selon le Globe du 23 janvier 1832. Le journal reproduit l’allocution qu’il y avait fait, ainsi que la profession de foi saint-simonienne de l’ancien prêtre catholique Jean Terson. Terson y explique notamment qu’il avait renoncé à une religion dont le royaume n’était pas de ce monde et qui proclamait heureux ceux qui souffraient, en faveur du saint-simonisme dont le règne était terrestre et qui avait pour mission d’améliorer le sort des masses ici-bas. Terson sera du nombre des retraités de Ménilmontant.

53  Au sein de la « famille » – et de la hiérarchie – saint-simonienne.

54  Allusion au Nouveau Christianisme de Saint-Simon (1825).

55  Note insérée par l’auteur : « Le Bon Louis, par exemple. »

56  Il s’agit bien sûr du célèbre meneur d’esclaves lors de leur révolté contre leurs maîtres sous la Troisième Guerre servile (73-71 av. J.-C.).

57  Joseph-Dominique, baron Louis (1755-1837), homme d’état français, avait occupé plusieurs postes dans l’administration des finances sous divers régimes, avant de servir cinq fois comme ministre des Finances sous Louis XVIII et Louis-Philippe. S’il avait suivi Louis XVIII à Gand, il s’éloigne de Charles X, et son nom figure parmi les signataires de la fameuse « adresse des 221 » de mars 1830, par laquelle l’opposition libérale défie le régime de Polignac imposé par le roi. Il a 76 ans, et en est à son cinquième et dernier passage au ministère, dans le gouvernement Casimir-Périer, lors de la composition de la présente lettre. C’est l’homme des moments de crise financière, comme c’est le cas à cette époque, et l’on comprend dans ces conditions une certaine impopularité, exacerbée par le fait qu’il avait amassé une fortune personnelle considérable.

Pour citer ce document

Paul Rowe, « Le vers et le verbe : la correspondance poétique du Globe saint-simonien», La lettre et la presse : poétique de l’intime et culture médiatique, sous la direction de Guillaume Pinson Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/la-lettre-et-la-presse-poetique-de-lintime-et-culture-mediatique/le-vers-et-le-verbe-la-correspondance-poetique-du-globe-saint-simonien