Presse et épistolaire au XIXe siècle : la scansion des Lettres parisiennes de Mme de Girardin (1836-1843)
Table des matières
JOSÉ-LUIS DIAZ
En complément à une étude antérieure1, j’aimerais proposer ici une vision synthétique des rapports du journal avec la correspondance au XIXe siècle. Pour schématiser un peu les choses, je vais partir de l’hypothèse que les Lettres parisiennes du vicomte de Launay constituent une ponctuation décisive dans cette chronologie, puisque, ne serait-ce que par leur titre, elles opèrent pour la première fois l’épistolarisation du feuilleton, forme alors stratégique. Je vais donc proposer une histoire binaire : essayer de comprendre la révolution en matière de journalisme qu’ont signifié ces chroniques, révolution qui se perçoit mieux en regardant vers l’avant, puis vers l’après. Cela pour mieux évaluer l’influence de Mme de Girardin et du genre journalistique qu’elle invente, en sa réception contemporaine comme chez ses imitateurs.
Presse et épistolaire avant 1830
Depuis le Mercure galant2 ou la « gazette épistolaire » de Loret3, les rapports de la presse et de la lettre sont natifs. Sans pouvoir ici suivre leur histoire avant le début du XIXe siècle, remarquons que ce siècle s’ouvre avec la publication de deux grandes Correspondances littéraires, celle de La Harpe (1801-18074), puis surtout celle de Grimm et de Meister, accédant à la forme imprimée en 18125, et dont Stendhal s’amuse à reprendre le cadre et l’ethos en 1824-1825, dans son Courrier anglais6. Mode concomitante d’une autre mode éditoriale concernant les correspondances : « Il pleut des lettres de femmes », note la Revue philosophique en 18067.
Le marquage épistolaire de la presse de la Restauration reste très fort, ne serait-ce que dans les titres de périodiques : de gros calibre – Le Courrier français (à partir de juin 18198), Le Correspondant (1817, puis à partir de 1829) –, ou bien éphémères, tels que ce Masque de fer, journal de 1825 qui s’intitule lui-même Journal épistolaire, et qui a pour sous-titre : Correspondance adressée au prince-duc de *** sur la littérature, les beaux-arts, les mœurs, les théâtres et les journaux9. La pression de la censure condamne certains journaux à se déguiser en correspondances. Aux deux bords opposés de l’échiquier politique, c’est le cas de deux organes lancés en 1817 : les libérales Lettres normandes10 et les monarchiques Lettres champenoises11. Les deux fleurons de ce journalisme épistolarisé sont incontestablement les Hermites de Jouy (1812-181712) et les « Lettres de Paris par le petit fils de Grimm » de Stendhal (1824-1825). Leur différences sont visibles, ne serait-ce que par l’attention pré-bourdieusienne que Stendhal accorde au champ littéraire, tandis que Jouy a plutôt en vue une sociologie de la vie quotidienne. Mais leur trait commun est – déjà – de vouloir donner aux étrangers ou aux provinciaux une vision alerte et précise de la vie parisienne, en la regardant avec les yeux du Huron. C’est déjà la focale qui sera celle de Mme de Girardin. Dans les deux cas, la forme épistolaire – systématique chez le petit neveu de Grimm, occasionnelle chez l’Hermite mais relayée par ses constants dialogues avec ses lecteurs – permet une liberté de ton spirituelle et un regard décapant sur le monde tel qui va.
Mais qu’on ne croie pas pourtant que, dès ces années 1810-1825, ce type d’articles est la norme. Certes, déjà le feuilleton est né avec le passage du quotidien au grand in-folio, dès l’an de grâce 1800 — mais dans la forme initiale, critique, polémique, et assez austère que lui donnent les rédacteurs du Journal des Débats, Geoffroy au premier chef. Certes, déjà aussi les « Lettres sur Paris » sont à la mode, comme en témoignent le journal qui porte ce titre pendant huit numéros en 1817-1818, les « Lettres parisiennes » signées Antimèle parues d’abord dans le Mercure de France puis réunies en volume en 181413, enfin les célèbres « Lettres sur Paris » qu’un journaliste libéral, Étienne, publie dans La Minerve (1818-1819), et que lui aussi réunit en deux volumes en 182014.
Mais si la presse tire ainsi profit de la liberté de ton épistolaire et si elle a déjà choisi la focale parisienne, on est loin pourtant de Mme de Girardin et de l’ère de courriérisme qu’elle va inaugurer. Étienne lui-même s’en écarte du fait du caractère de polémique politicienne qu’ont la plupart de ses « Lettres sur Paris » – dont on signale pourtant longtemps le ton nouveau comme typiquement journalistique. L’Hermite, en revanche, en est plus près, n’était le personnage auctorial tout différent qu’il se donne : un bon bourgeois de la Chaussée d’Antin, âgé et bonhomme, et non un jeune vicomte efféminé, au fait de la mode et des causeries de salons. Reste que, déjà, comme ce sera le cas pour Mme de Girardin avec son vicomte de Launay, le journal a recours, chez Jouy comme chez Stendhal, à un tel personnage fictif. Signe précurseur de cette littérarisation, aux divers sens du mot, qui va caractériser la presse d’après 1830.
Si l’on veut résumer cette première période, mises à part les deux exceptions signalées, soit on y reste dans le registre des correspondances littéraires du siècle antérieur, soit la lettre devient une arme de polémique politique ou d’esquive. Le recours à la forme-lettre se joue dans le registre d’une fidélité archaïsante à la presse ancienne, celle de Fréron, et aux élégances de la communication mondaine. Il suppose surtout permission donnée à une écriture plus libre : celle qu’est censée favoriser cette « conversation entre absens » qu’est la correspondance, selon les manuels épistolaires du temps15. Mais si le lien journal/lettre de Paris est déjà fait, point encore de lien lettre/feuilleton ou lettre/chronique. Bien des lettres qui paraissent sont souvent de très sérieuses « Lettres au rédacteur » (du Journal des Débats, du Globe doctrinaire, etc.), qui dialoguent de préférence avec le Premier-Paris ou son équivalent dans les revues ; parfois déjà de fausses lettres que le rédacteur s’envoie à lui-même pour permettre une fiction de dialogue. Point encore non plus de spécialisation de la lettre-causerie dans le registre des mondanités, de la mode et de l’éphémère. Point non plus de féminité ou à tout le moins de frivolité obligée de l’énonciation. Politique ou littéraire, la lettre de journal, tout aussi lettre que causerie, a certes une aisance aristocratique de bon ton ; mais non cette fantaisie capricante qui va caractériser le feuilleton tel qu’il se redéfinit après 1830, puis la chronique.
Naissance du nouveau feuilleton (1829-1836)
Sans attendre Mme de Girardin, un tel mouvement se dessine dès 1829-1830, à la création de revues telles que La Mode, La Silhouette ou la Revue de Paris. Mouvement double : naissance du feuilleton nouveau, nouvel usage du modèle épistolaire. Dès la création de l’« Album » de la Revue de Paris, en 1829, Jules Janin, acteur décisif de la révolution en cours, insiste sur la liberté de ton de ces chroniques hebdomadaires dont il se fait le maître de cérémonies, mais aussi sur leur rapport à l’écriture épistolaire. Dans cette revue nouvelle lancée quelques mois plus tôt, l’« Album » aura fonction de consigner « les détails plus fugitifs de chaque jour » de manière à rassembler d’avance les « mémoires autographes du dix-neuvième siècle » :
[...] il y aura donc une place pour les dieux de la circonstance, de l’à-propos et du moment, un cadre, un Album, pour refléter ces mille détails de toutes choses qui doivent être observées, par cela seul qu’elles sont [...]. Cet Album sera en quelque sorte un salon à côté de la tribune, un boudoir adossé au portique ; ce sera encore, si l’on aime mieux, le post-scriptum du livre, en style épistolaire [...]16.
« Un salon à côté de la tribune ». Voici admirablement défini déjà un nouveau style journalistique, dont Mme de Girardin fera mieux que d’hériter : une écriture ne prétendant avoir d’autre légitimité que la saisie instantanée du pur être-là des choses. Et le remarquable dans l’affaire, c’est que cette entrée de la parole journalistique dans le royaume de l’éphémère, de l’eccéité comme disent les philosophes, éprouve le besoin de faire allégeance à ce concentré de négligence, mais aussi d’acuité épistolaire, qu’est le post-scriptum. Ainsi, tandis que le Janin préfacier des Français peints par eux-mêmes (1839) cherchera ses modèles d’instantanéité du côté du daguerréotype, la lettre, non certes seule mais aux côtés de ce modèle en miroir qu’est la causerie de salon, se fait à la fois vecteur et emblème de la fugacité sensible à laquelle aspire l’écriture journalistique nouvelle. Avec, dans ce programme, une insistance (assez peu fréquente, il est vrai, pour l’instant) sur sa frappe intimiste, que notent ici le terme d’« album » mais aussi ces deux mots que reprendront plus tard les Goncourt : « mémoires autographes17 ».
À la même époque, cette complicité lettre-journal se retrouve chez le Balzac qui, dans La Mode a recours, en avril 1830, à la forme lettre pour tenir au courant une dame provinciale des derniers « vertigos » de la mode littéraire parisienne18. Ainsi Balzac témoigne, lui aussi, de la profonde révolution que représente l’actualisation, sur le registre du transitoire, de l’ensemble du vécu collectif, y compris littéraire et intellectuel, sous la double influence de la mode et du journal19. Le procédé revient de manière plus systématique dans ses dix-neuf Lettres sur Paris (septembre 1830-mars 1831), dont le caractère postal et millésimé se veut comme l’écho littéraire de l’instabilité qui, par contagion, affecte alors une autre sphère du vivre ensemble 1830 : la politique20. Comme si la lettre, douée de naissance pour le transitoire, avait fonction d’emblématiser une nouvelle écriture journalistique, soumise aux hasards, déstabilisée par les révolutions qui passent, mosaïquée par un présent en miettes.
La nouveauté, c’est que déjà la complicité lettre/journal se spécialise dans le registre du feuilleton nouvelle manière, annonciateur de la chronique. C’est ce que confirme en 1843, lourdement mais sûrement, un critique de la Revue des Deux Mondes, très hostile à ce nouvel ethos journalistique, comme il est normal en cette maison :
Peut-être, en tenant compte, bien entendu, de la distance des temps et des manières, y a-t-il place dans le feuilleton [...] pour quelque chose d’analogue à ce que le xviie siècle mettait dans la correspondance ; peut-être le feuilleton, cette lettre envoyée par le bel esprit à l’adresse de tout le monde, qui a lui-même tant d’esprit, s’il faut en croire un mot célèbre, est-il appelé à continuer, de loin ou de près, ces autres feuilles légères qui amusaient les salons de la chronique de leurs scandales, ou allaient porter à de malheureuses petites cours allemandes, toujours tournées vers Paris dans leur détresse et leur ennui, le parfum subtilisé de nos choses littéraires21.
En ces années 30, ce rapport du feuilleton à la forme épistolaire est généralement vu sans l’angle de l’influence, de la lettre sur le journal ; avec, pour résultat positif, une transformation novatrice de l’écriture journalistique. De la lettre, le journal ne retient surtout pas le cérémonial empesé, dont se méfiaient déjà, en 1721, les nouveaux directeurs du Mercure galant22et dont se méfiera encore La Petite Revue en 186523. Mais il retient en revanche ce qu’elle est susceptible d’apporter à la « spontanéité du journalisme », comme on dit déjà24 : liberté de ton, aisance, discontinuité, qu’elle partage avec son double oral, la causerie. Ce n’est point la lettre au sens propre qu’on veut capter, mais l’esprit de la lettre. Y compris quand on s’attache à mettre en scène des dispositifs épistolaires réglés, tels ceux de Balzac, déjà évoquées, ou ceux du modeste Ernest Alby, qui, reprenant le cadre de Balzac, publie, en janvier 1840, une série de lettres intitulée : « À une jolie femme. Des lettres et des arts25 » dans La France littéraire.
Ce qui importe, c’est le ton autre, libéré des carcans de l’éloquence et du jugement critique, que donnent à ces articles leur amorce épistolaire et leur adresse à des femmes du monde provinciales, aux aguets des « échos de Paris ». Plus que de l’intime au sens propre, la lettre apporte donc du naturel, du sensible, des effets de présence, et aussi un brin de sociabilité. Mais convenons que la lettre alors ne vaut pas par elle-même, mais par le supplément d’aura que, liée à la causerie, elle est susceptible d’apporter à cette « forme neuve » qu’est, selon Balzac, le feuilleton. Le voici défini par lui, en 1842, – et féminisé… – comme étant cette « parade hebdomadaire incessamment oubliée, [...] qui doit avoir l’infaillibilité de l’almanach, la légèreté de la dentelle, et parer d’un falbalas la robe du journal tous les lundis26 ». Le feuilleton comme colifichet, mais aussi comme commérage, anti-éloquence ; comme structure poétique ad hoc propre à introduire en littérature « une forme de plus ». C’est le mot auquel aura recours lui aussi Barbey : une « forme svelte, rapide, retroussée », que le livre ne connaissait pas27. Mais avant Balzac et Barbey, c’est l’obscur Auguste Bussière qui l’a compris, lorsqu’il analyse en 1837 comment Janin a révolutionné le feuilleton, et se félicite de ce que « si, au xviie et au xviiie siècle, il y avait eu des journaux pour la littérature, il y ait désormais une littérature pour les journaux » :
On n’avait pas encore imaginé alors que le feuilleton pût être autre chose que de la critique et de la didactique, autre chose qu’une espèce de héraut attaché à la suite de la littérature pour annoncer les sorties et les entrées, avec le droit de représentation, mais qui ne pouvait, en aucun cas, franchir les limites de cette fonction. On n’avait pas imaginé qu’il pût être lui-même un genre de littérature à part, ayant son indépendance et son originalité. Il y avait une chose qui n’était pas encore comprise : c’est que, si, au xviie et au xviiie siècle, il y avait eu des journaux pour la littérature, il y avait désormais une littérature pour les journaux. De membre qu’il était, le journal s’était fait estomac. Or, le journal ne pouvait se conquérir cette position en se bornant, comme par le passé, à l’analyse des matériaux qui lui étaient fournis par la littérature en titre d’office. C’eût été se résigner à une fonction secondaire et dépendante. Il fallait qu’il s’adjugeât une partie du champ où les autres genres, ses aînés, étaient en possession de moissonner. Il fallait qu’il choisît, dans l’esprit public, une fibre oisive dont il pût réveiller et occuper l’activité. Pour la consommation de cette œuvre, la critique, et surtout la critique de feuilleton, était de tout point insuffisante. Aussi, je n’hésite pas à le dire, M. Janin n’est pas un critique28.
Et voici donc le journal – représenté en son essence esthétique, le feuilleton – devenu à lui seul « un genre de littérature à part ». Le vicomte de Launay peut venir.
La scansion des « Lettres parisiennes » et leur réception
Voici donc la porte ouverte à Mme de Girardin, mais aussi à tous ces courriéristes de profession qui découleront d’elle. À la fois lettre et causerie, le nouveau genre se trouve défini par le vicomte lui-même, qui se fait la leçon quand il s’en écarte :
Mais nous oublions que le lecteur n’aime pas nos réflexions; les commentaires le fatiguent ; il lui faut de petites phrases légères, des périodes écourtées, un commérage rapide, un style sautillant, des niaiseries vivaces, des mensonges courants29.
Côté réception critique, un des mieux préparés à comprendre la révolution que constitue ce « Courrier de Paris », ne nous étonnons pas que ce soit Jules Janin lui-même. Au « Martial en jupon » parlant politique, il préfère le « La Bruyère rose », sachant, par son commérage, faire exister à vie « deux capotes de satin blanc » aperçues à contre-saison aux Tuileries, le 28 septembre 183630. Cela au détriment de cinq autres événements du jour, en principe plus dignes d’entrer dans l’Histoire : « une révolution en Portugal, une apparence de république en Espagne, une nomination de ministres à Paris, une baisse à la Bourse, un ballet nouveau à l’Opéra ». « De ces six grands événements, conclut-il admiratif, un seul est important, un seul a résisté à la tempête, c’est la capote de satin. » Avec une complicité jalouse, Janin va à l’essentiel – qui est en apparence l’accessoire : la capture de l’éphémère par le feuilleton, grâce à une focale différente de celle des « auteurs de profession ». La formule de Mme de Girardin, décapante, a de la réussite. De quoi inquiéter prince Janin en personne, et dégoûter à vie tous ces littérateurs qui, prétendant faire œuvre, soignent leur phrase, rabotent leur style. Une non-littérature est née, aux antipodes de l’enflure romantique et de l’éloquence ambiante, mais qui est aussi promesse d’une autre littérature, jaillie de l’esprit du journal. Revanche du salon sur le cénacle, mais d’abord du journal sur le livre. De quoi inspirer pourtant de la mélancolie à qui relit à distance la chronique de ces riens passés : « L’effet produit par l’histoire des années qui ne sont plus [...] est celui [...] d’une lettre d’amour oubliée au fond d’une cassette. » C’est ce à quoi songe Janin, nostalgique mais au fond rasséréné de la rapide obsolescence de ces charmantes chroniques, rivales des siennes…
Le modèle épistolaire importe aussi aux autres critiques du vicomte de Launay. N’y allant pas par quatre chemins, Villemessant n’hésite pas à introniser Mme de Girardin comme « la Sévigné de notre siècle31 ». Gautier l’admire lui aussi pour être la « Sévigné du chiffon, la Saint-Simon du falbalas32 ». Moins complice, le Lagevenais de la Revue des Deux Mondes, se méfie d’un retour au « cailletage épistolaire » des siècles précédents : « On a un courrier à écrire ; la matière manque, il faut bien s’en tirer par d’ingénieux expédients. » Et de proposer un parallèle injuste entre les prétendus détours épistolaires du vicomte feuilletoniste et la vitesse de Mme de Sévigné, dont elle-même était la première surprise : « Mes pensées, mon encre, ma plume, tout vole33. » Jugement d’autant plus déplacé que cette exclamation définit au plus juste l’esthétique qu’invente le « mondain vicomte », avec sa « plume jetée au vent » (Gautier), esthétique qui revient à introniser la grâce du parlage parisien dans l’univers guindé qu’instituent dans la première page du Journal 1830 les phrases de tribune du Premier-Paris. Mais c’est Barbey d’Aurevilly qui rétablit la juste perspective, en promouvant Mme de Sévigné comme la feuilletoniste du grand siècle, et, en retour, Mme de Girardin comme la seule qui pouvait reprendre ce flambeau épistolaire34. Ce qu’il fait en rappelant les passerelles entre lettre et causerie : « Car les lettres, cela s’écrit comme cela se causerait. C’est de la causerie qui passe par les yeux au lieu de passer par les oreilles35. » Et Barbey d’admirer les « mots de conversation » qui émaillent ces lettres de feuilletoniste.
À la suite de Barbey, la critique de la fin du siècle n’en finira pas de se retourner vers ce véritable âge d’or, où « le commerce épistolaire remplaçait la Presse, les journaux, les revues36 » – tout en faisant, en retour, de Mme de Sévigné « la patronne charmante des chroniqueurs de journaux37 ». Ce qui permet à Octave Uzanne de définir le journalisme comme « une sorte de conversation épistolaire du journaliste avec le public38 ».
L’influence des « Lettres parisiennes »
Finissons par quelques remarques, à reprendre une autre fois, sur le modèle contagieux du « courriérisme », qui découle des Lettres parisiennes et de leur publication en recueil, à partir de 1843. La première à le savoir, c’est Mme de Girardin elle-même. Le 29 juin 1839, elle s’émerveille d’être imitée, en France mais aussi à l’étranger. Et elle nomme quelques-uns de ses doublons : « L’Écho de Paris, feuilleton du Journal de Rouen ; la Revue de Paris, feuilleton du Siècle ; le Courrier de la Ville, feuilleton du Temps ; la Cour et la Ville, feuilleton du Constitutionnel; Causeries, feuilleton de La Quotidienne, etc., etc.39 ». Avant quiconque, elle sait qu’elle a créé un genre, sitôt baptisé « Courrier de Paris ». Gautier a beau dire que personne à La Presse n’a jamais réussi à faire son intérim, même pas lui40, le genre une fois lancé passe, pendant un bon demi-siècle, au rang des rubriques obligatoires de la presse, à titre de sous-genre majeur de la nouvelle souveraine, la chronique. Gautier lui-même le note : « Ce fut l’ambition de tous les journaux d’avoir un Courrier de Paris41. »Cette contagion participe de ces autres pandémies journalistiques que sont le feuilleton42 puis la chronique. Désormais, le courriériste tient un emploi majeur dans la distribution du journal ; le courriérisme43 devient un mal obligé, auquel cède jusqu’à Jules Vallès, tout en se moquant de ces « forçats du bon mot44 ». À la mode et donc rentables, il y a compétition entre les divers « Courriers de Paris » : l’expression désigne d’abord la rubrique puis, par métonymie, l’emploi de ceux qui la tiennent45. Revers de la médaille : le courriériste n’a plus qu’un rapport très relatif avec l’épistolaire, puisqu’il est à la fois « causeur, chroniqueur et échotier46 ». « Chroniqueur, courriériste ou causeur », confirme la revue La Critique en 1866 : autant d’espèces du « fantaisiste » de presse, qui « est au véritable écrivain ce qu’au comédien de talent est le danseur de corde47. »
On voit alors « s’abattre sur Paris une nuée de courriéristes », observe Jules Cairon en 1860. « C’étaient des hommes à peu près comme les autres, seulement ils possédaient une manie qui les rendait insipides. Ils prétendaient posséder la charmante amabilité du vicomte de Launay (Mme de Girardin première), l’ancienne verve de Pierre Durand, le charmant esprit de Jules Lecomte48. » D’où l’idée qui lui vient d’écrire un Manuel du courriériste, en tant que « guide-âne » qui se propose de mettre au jour les trucs de la profession à l’intention du quidam qui voudrait « courriériser » : parler salons, cancans, modes, temps qu’il fait, avec bons mots, pirouettes, coq-à-l’âne, formules à l’emporte-pièce, le tout dans un « style étincelant », respectant le « cahier des charges », ainsi que déjà le nomme un autre observateur49. Malgré la promesse de sa capricante fantaisie, voici donc l’épistolaire de presse prisonnier d’un genre hypernormé. Ou bien le voici utilisé, par le Figaro de Villemessant, de manière à animer un courrier des lecteurs aussi assidu et palpitant ‑ que truqué…
La lettre se voit ainsi sauvée de son assassinat annoncé par le journal, mais au prix de son apprivoisement aux normes médiatiques. Asservie par le journal, absorbée par lui. C’est là un couplet que reprend toute la fin-de-siècle, répétant à satiété un autre Ceci tuera cela. Ceci : le journal ; cela, la lettre. Oui, selon la Revue bleue comme selon Gustave Lanson50, « le genre épistolaire se meurt », tué par le journal :
Nous voudrions donner à notre plume la rapidité, à notre style le laconisme télégraphique. C’en est fait, messieurs ; le genre épistolaire se meurt entre le journal et la carte-poste. […] Il y a deux choses, je le dis avec regret, deux choses bien françaises auxquelles la diffusion des journaux me paraît avoir porté un très-grave préjudice : l’une est l’esprit de conversation, l’autre est le genre épistolaire. À quoi bon des courses dans tout Paris, des visites, des compagnies, des entretiens, pour s’apprendre mutuellement les nouvelles, comme au temps de Mme de Sévigné, quand chacun de nous les apprend en dix minutes par son journal ? Et qui pourrait avoir l’idée d’écrire à des absents pour apprendre ce que le journal leur fera savoir avant que notre lettre leur soit parvenue51 ?
Parallèlement, un témoin des plus aigus remarque dans le Figaro que le salon, cet autre fleuron culturel du bon vieux temps, noble cousin de la lettre, ne survit plus qu’à titre de thème pour chroniqueurs en mal de copie :
Il a été inventé par les chroniqueurs de journaux de modes.
« Il n’y a plus guère à Paris que deux ou trois salons où l’on cause, où l’on sache causer… »
Ce poncif, rajeuni par M. Prudhomme, date du Mercure de dix-sept cent et quelques.
L’esprit des salons a donné sa représentation de clôture définitive, et sans aucune remise, au cercle de madame Récamier, à l’Abbaye-aux-Bois.
[…] Depuis que madame de Girardin est morte, les furets de la Chronique en sont réduits à inventer le salon de madame X…, celui de la marquise Z…, ou de la baronne trois étoiles52.
Nombreux alors les observateurs qui confirment de telles vues. Mais à d’autres, parmi les collaborateurs du présent volume, de dire si leur witz voit juste, et de compléter ce panorama.
(Université de Paris 7)
Notes
1 « "Un salon à côté de la tribune" : l’écriture journalistique entre correspondance et conversation », dans Dominique Kalifa, Philipe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011.
2 « Le rédacteur a adopté la forme épistolaire : il rend compte à une dame de province des nouvelles du mois, et il cherche à la divertir en outre par des jugements sur les écrits et les auteurs », Félix Deltour, Les Ennemis de Racine au XVIIe siècle, Paris, Didier, 1859, p. 52. Voir également la contribution de Mélinda Caron au présent dossier.
3 Aussi a t-il bien soin d’ajouter : « Mais sache, lecteur débonnaire, / Encor que des mains du rimeur / Cette gazette épistolaire / Passe en celles de l’imprimeur », cité par Louis-Eugène Hatin, Histoire du journal en France (1631-1853), 2e éd., Paris, P. Jannet, 1853, p. 31.
4 Jean-François La Harpe, Correspondance littéraire, adressée à Son Altesse Impériale Mgr le grand-duc, aujourd’hui Empereur de Russie, et à M. le Cte André Schowalow,... depuis 1774 jusqu’à 1789, 2e éd., Paris, Migneret, 1804-1807, 6 vol. in-8°.
5 Friedrich Melchior Grimm, Correspondance littéraire..., Première partie depuis 1753 jusqu’en 1769, Paris, 1812-1813, 6 vol. in-8°. Correspondance littéraire depuis 1770 jusqu’en 1782, Deuxième partie, Paris, F. Buisson, 1812, in-8°.
6 C’est sous le titre de « Lettres de Paris par un petit-fils de Grimm », que Stendhal envoie des chroniques parisiennes à la presse anglaise en 1825-1826. Voir ma réédition de ces Lettres, Paris, Le Sycomore, 2 vol., 1983, ainsi que la contribution de Brigitte Diaz au présent dossier.
7 La Revue philosophique, littéraire et politique, 11 novembre 1805, p. 296.
8 Le Courrier français, 1819 (juin)-1851 (mars), in-4° puis in-fol. puis gr. fol. Voir aussi Le Courier [sic] de Paris, ou le Publiciste français. Journal politique, libre et impartial, 14 oct. 1789-14 mars 1790 (I-III, n° 1-152), Paris.
9 Voir Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris, Firmin Didot, 1866, p. 354. Au XVIIIe siècle déjà, un Journal épistolaire (1755) parut de manière éphémère. Voir L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, Paris, Duprat, 1864, p. ccxxiii.
10 Lettres normandes, ou Petit tableau moral, politique et littéraire, adressées par un Normand, devenu Parisien, à plusieurs de ses compatriotes, t. I, n° 1 (18 septembre 1817)-t. XI, 97e livraison (11 septembre 1820), Paris, Foulon et compagnie, 1817-1820, 11 vol. in-8°. Autre forme du titre : Lettres normandes, ou Correspondance politique et littéraire, t. VI-XI (1819-1820).
11 Lettres champenoises, ou Correspondance politique, morale et littéraire adressée à Mme de *** à Arcis-sur-Aube, t. I, n° 1 (1817)- t. III, n° 36 (1818) ; [2e s.] t. I, n° 1 (1820)- t. XXI, n° 190 (mai 1825), Paris, Pillet, 1817-1825, 24 vol. in-8.
12 Dont le plus célèbre est L’Hermite de la Chaussée-d’Antin, Paris, Pillet, 1813-1816.
13 Voir Schmidt (rédacteur du Mercure de France, sous le pseudonyme d’Antimèle), Lettres parisiennes, par Antimèle, Paris, G. Mathiot, 1814, in-8°, 288 p. Le Mercure annonce l’ouvrage en janvier 1815 (t. LXII, p. 128). Voir aussi Joseph-François-Nicolas Du Saulchoy de Bergemont, (pseud. Joseph), Lettres parisiennes, Paris, Delaunay, 1817, 7 livraisons en 1 vol. in-8°.
14 Charles-Guillaume Étienne, Lettres sur Paris, ou correspondance pour servir à l’histoire de l’établissement du gouvernement représentatif en France, Paris, Delaunay, 1820, 2 vol. in-8°. Réimpression d’une série d’articles de La Minerve. L’accent est mis dans la préface sur la rentabilité de l’énonciation épistolaire : « Outre les questions d’intérêt public, les sujets essentiellement historiques que l’Auteur des Parisiennes a traités, [...] on sent que la forme épistolaire a nécessairement amené dans son cadre une foule de détails épisodiques et de ces traits qu’on saisit avidement à leur passage [...] », p. xi.
15 C’est l’expression de Louis Philipon de la Madelaine : « Puisqu’une lettre et sa réponse ne sont qu’une conversation entre absens, écrivez comme vous leur parleriez s’ils étaient là, c’est-à-dire avec ce naturel, cette facilité, cet agrément, cette négligence même que demande ou permet un entretien familier », Manuel épistolaire à l’usage de la jeunesse, 5e éd., Paris, Ferra et Delaunay, p. 12-13. Cette conception persiste dans la seconde moitié du siècle. Voir Barbey d’Aurevilly : « Les lettres, cette causerie par écrit, l’écho prolongé et soutenu de cette autre causerie de vive voix dont il ne reste plus rien quand elle est finie ; les lettres, cette immortalité de la causerie, sont d’ordinaire le triomphe des femmes », Le XIXe siècle. Les Œuvres et les Hommes. Littérature épistolaire, Paris, A. Lemerre, 1893, p. 190.
16 « Album », Revue de Paris, 1er novembre 1829, t. VIII, p. 47.
17 Edmond est fier d’avoir acquis un fragment des Mémoires autographes de Sophie Arnould, postérieurement à la publication de la première édition de Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses mémoires inédits (2e éd., Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859). Dans la préface de leurs Portraits intimes du dix-huitième siècle, les deux frères avaient écrit un véritable hymne en l’honneur de la « lettre autographe ‑ ce silence qui dit tout ! », Paris, Dentu, 1857, p. x.
18 « De la mode en littérature », La Mode, 29 mai 1830, Œuvres diverses, éd. R. Chollet et R. Guise, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, p. 755-762.
19 Voir sur ce point mon article : « Balzac face aux révolutions de la littérature », L’Année balzacienne 2008, numéro consacré à « Balzac critique », p. 25-42.
20 Voir Œuvres diverses, op. cit., t. II, p. 867-981.
21 E. Forcade, « Les Essayistes anglais, I. Macaulay, Critical and historical Essays », Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1843, t. IV, p. 498.
22 « En 1721 le privilège du Mercure fut donné collectivement aux sieurs Dufresny, de La Roque et Fuselier, qui firent précéder cette nouvelle série d’un avertissement où ils jugent qu’“il faut rejeter entièrement du Mercure […] le style épistolaire, qu’il a si longtemps affecté : ce style répandrait trop d’uniformité dans notre journal, et y amènerait infailliblement toutes les phrases fastidieuses que le compliment traîne à sa suite” », Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris, Firmin Didot, 1866, p. 25.
23 « Comme la Petite Revue a la prétention (qu’on la lui pardonne !) d’être lue à petits coups, et non tout d’un trait, nous avons prié notre collaborateur de renoncer à la forme épistolaire, et de diviser ses communications suivant la méthode usitée dans le petit journalisme contemporain. Cet écrivain qui nous aime, et est d’ailleurs multiforme, y a consenti facilement », La Petite Revue, 18 février 1865, p. 19.
24 « Ce que nous nommons aujourd’hui la publicité, se composait, au temps où nous nous transportons, de l’opinion émise par ces hommes supérieurs dans ce cercle ouvert par une femme illustre ; on attendait, on répétait leurs jugemens ; on se les transmettait de ville en ville, de contrée en contrée, par la voie épistolaire. L’éloquence de la chaire, la discussion de la tribune, la spontanéité du journalisme, toutes les formes essayées depuis deux siècles, travaillaient dans ce germe curieux ; Mlle de Scudéry couvait Fontenelle, comme Fontenelle couvait Voltaire, qui couva un siècle », Léon Gozlan, « Les châteaux de France. Rambouillet. Seconde partie », Revue de Paris, septembre 1840, t. XXI, p. 159.
25 Janvier 1840, p. 107-117. L’incipit de ce premier article d’une série justifie, de manière manifestement spécieuse, la forme épistolaire : « Je me trouve dans la nécessité, madame, de vous écrire, au lieu de vous rendre la visite que je vous avais promise. Une malencontreuse entorse me retient cloué dans mon fauteuil. »
26 Monographie de la presse parisienne, dans La Grande Ville. Nouveau Tableau de Paris, comique, critique et philosophique, Paris, Au Bureau des publications nouvelles, t. I, 1842, p. 183. Voir sur cette belle analyse datée du journalisme, mon article : « Balzac analyste du journalisme (selon la Monographie de la presse parisienne) », L’Année balzacienne 2006, p. 215-235.
27 Barbey d’Aurevilly, Le XIXe siècle. Les Œuvres et les Hommes. Ire série, t. I : Les Philosophes et les écrivains religieux, Préface, novembre 1860, Paris, Amyot, 1860, p. iii.
28 Auguste Bussière, « Poètes et romanciers modernes de la France. XXI. M. Jules Janin », Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1837, t. IX, p. 209.
29 La Presse, 27 octobre 1837, Lettres parisiennes,par Mme Émile de Girardin, Paris, Charpentier, 1843, t. I, p. 197.
30 Jules Janin, « De l’esprit. Lettres parisiennes, par Mme de Girardin », Revue de Paris, octobre 1843, t. X, p. 43.
31 « […] le vicomte de Launay, c’était cette adorable Delphine Gay (madame Émile de Girardin), la Sévigné de notre siècle, dont les Courriers de Paris sont restés des modèles d’atticisme, d’esprit, de grâce […] », Jean-Hippolyte-Auguste Delannay de Villemessant, Mémoires d’un journaliste, Paris, Dentu, 1884, t. I, p. 94. – Déjà Balzac se moquait dans les Petites misères de la vie conjugale (1846) de « la baronne Schinner, à qui l’on prête des talents épistolaires, et qualifiée de la Sévigné du billet » (La Comédie humaine, éd. P.-G. Castex, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. XII, p. 137.
32 « Elle était la Sévigné du chiffon, le Saint-Simon du falbala, et dans le Courrier de Paris l’avenir retrouvera avec toute leur fraîcheur les élégances disparues de toute une époque », « Introduction » aux Œuvres complètes de Mme Émile de Girardin, Paris, Henri Plon, 1861, t. I, p. ix.
33 « C’est alors que viennent en chœur les petites apostrophes, les petites exclamations, les petites énumérations, les petites invocations, toute une rhétorique gentille, minaudière, quintessenciée, mais fatigante, et qui n’est, malgré le précieux de ses déguisemens, que de la rhétorique toute pure. Trop souvent donc la phrase s’étire et languit, l’idée vient et revient avec insistance, afin d’atteindre l’étendue prescrite. Cela taquine, et, par contraste, le mot de Mme de Sévigné ne manque pas de revenir à la mémoire du lecteur », Charles Labitte (sous le pseudonyme-omnibus de Lagevenais), « Simples essais d’histoire littéraire. III. Le Feuilleton, Lettres parisiennes », Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1843, t. IV, p. 146. Repris dans ses Études littéraires, Paris, Joubert, s.d., t. II, p. 307.
34 « Une femme seule dans ce temps épais, dans cette littérature sans élégance, pouvait être le svelte vicomte de Launay. Une femme seule pouvait nous donner dans ces feuilletons, qui feront certainement suite, dans l’histoire de la société française, aux lettres de Mme de Sévigné, cette feuilletoniste du grand siècle de Louis XIV, et déplier au regard qui craint qu’elles ne s’envolent, ces fragiles peintures d’éventail », Jules Barbey d’Aurevilly, Les Bas-bleus, in Œuvre critique, t. II, éd. Pierre Glaudes et Catherine Mayaux, Paris, Les Belles-lettres, 2006, p. 72.
35 Ibid., p. 76.
36 Charles Rocher, Les Vieilles histoires de Notre-Dame du Puy, Le Puy, Société agricole et scientifique de la Haute-Loire, 1890, p. lxxv.
37 « Mme de Sévigné est la patronne charmante des chroniqueurs de journaux. Cela pourrait se prouver sans trop solliciter les faits. Elle faisait la chronique de la cour, la chronique de la ville, [...] », Jules Lemaître, Les Contemporains : série Louis Veuillot. Lamartine. Influence récente des littératures du Nord. Figurines. Guy de Maupassant. Anatole France, Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1898, p. 291.
38 « Pour le journalisme courant, je me sers de papier vert du format de papier à lettres. J’ai la sensation alors d’écrire simplement une lettre intime, et qu’est-ce, en effet, que le journalisme, sinon une sorte de conversation épistolaire du journaliste avec le public ? », Le Livre, revue du monde littéraire, archives des écrits de ce temps, Paris, A. Quantin, 1886, t. VII, p. 70.
39 « […] on vient de fonder à Londres un journal ayant pour titre le Courrier de Paris, revue du continent. Ceci est très-flatteur pour nous. Ce pauvre Petit Courrier de Paris que nous avons imaginé, il y a trois ans, a déjà subi bien des imitations. L’Écho de Paris, feuilleton du Journal de Rouen ; la Revue de Paris, feuilleton du Siècle ; le Courrier de la Ville, feuilleton du Temps ; la Cour et la Ville, feuilleton du Constitutionnel ; Causeries, feuilleton de la Quotidienne, etc., etc. Voici que maintenant apparaissent les imitateurs d’outre-mer. Nous sommes donc très-fier de ce succès », La Presse, 29 juin 1839, Lettres parisiennes,par Mme Émile de Girardin, Paris, Charpentier, 1843, t. II, p. 164.
40 « Ce fut l’ambition de tous les journaux d’avoir un Courrier de Paris. — Mais le vicomte de Launay n’eut pas de rivaux. Cette plume jetée au vent sembla plus lourde que la massue d’Hercule aux audacieux qui essayèrent de la prendre, et ils la laissèrent bientôt retomber. — Quand le vicomte, occupé de quelque comédie ou tragédie, obtenait un congé, cet intérim impossible découragea successivement Marc Fournier, Méry, Sandeau, Alexandre Dumas fils, Roqueplan et nous-même ; et à nous tous nous ne faisions pas la monnaie de cette pièce d’or »,« Introduction » aux Œuvres complètes de Mme Émile de Girardin, Paris, Henri Plon, 1861, t. I, p. ix-x.
41 Et le Rivarol de 1842 de confirmer : « Beaucoup de journalistes ont voulu imiter son Courrier de Paris, qui ne s’est arrêté qu’après avoir fait le tour du monde, mais on les a sifflés et désarçonnés comme de lourds postillons », Fortuné Mesuré, Le Rivarol de 1842 : dictionnaire satirique des célébrités contemporaines, Paris, Au bureau du Feuilleton mensuel, 1842, p. 9.
42 « Un bavard de beaucoup d’esprit comparait, l’autre jour, la puissance du feuilleton à l’invasion d’une maladie contagieuse qui d’abord sévit avec violence, dans un espace resserré, puis se répand, se propage, se communique au loin, et tout à coup se fatigue, s’affaiblit, s’épuise et disparaît en se divisant. Ce babillard, monsieur, assimilait ainsi, je ne sais trop pourquoi, l’histoire du feuilleton depuis 1830 à l’histoire du choléra de Paris », Louis Lurine, « Comédie-Française (8e lettre), La Camaraderie, comédie en cinq actes et en prose de M. Scribe. À monsieur Scribe », Le Monde dramatique, 1836, p. 36.
43 L’expression est employée par Jules Vallès dans une lettre à Hector Malot du 31 mars 1877 : « […] maintenant que je fais du courriérisme », Correspondance avec Hector Malot, Préface et notes de Marie-Claire Bancquart, t. IX des Œuvres complètes, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1968, p. 174. Elle devient ensuite commune. Voir par exemple : « M. Émile Henriot a élevé le "courriérisme littéraire" à la hauteur d’un genre, ou au moins d’une forme de la critique », Bibliothèque universelle et revue de Genève, 1925, p. 1798.
44 « Le forçat du bon mot ! Oh ! il n’est pas le moins à plaindre ! Je ne connais pas de métier plus fatigant parmi les métiers honnêtes que celui du “causeur” qui court après le calembour bizarre, l’épigramme aimable, le trait malin, comme un nain à califourchon sur les dents d’une scie ! Quand une fois on a cette réputation, si l’on n’a qu’elle, on est perdu ! […] Il existe ainsi dans Paris quelques hommes dont c’est la spécialité et qui ont succombé à la tache ; farceurs attristés, poètes finis dont le rire s’éteint dans les rides et le talent dans les albums », Jules Vallès, La Rue, Paris, Achille Faure, 1866, p. 217.
45 Pour cet usage, voir par exemple Privat d’Anglemont : « Mais qui donc invente la mode? d’où sort-elle ? Vient-elle d’en haut ? vient-elle d’en bas ? Nos collègues les courriers de Paris, ceux qui font des articles sur les faits et les gestes de la grande ville […] », Paris inconnu, Paris, Adolphe Delahays, 1861, p. 109.
46 « Feuilleton. Chronique départementale », L’Union médicale : journal des intérêts scientifiques et pratiques, 1864, t. XXII, p. 499.
47 « Le fantaisiste, en littérature, chroniqueur, courriériste ou causeur, est au véritable écrivain ce qu’au comédien de talent est le danseur de corde », Émile Daclin, La Mouche : petite revue du mois, juillet 1866, p. 6.
48 Claude-Antoine-Jules Cairon, La Vie en détail. Le 101e régiment, Paris, Michel Lévy, 1870, p. 101.
49 « Une des niaiseries le plus généralement admises parmi les jeunes feuilletonistes, c’est qu’ils ont besoin d’être démesurément spirituels ; c’est, suivant eux, une des conditions du cahier des charges ; et parce qu’il se trouve à la tète du feuilleton actuel un homme plein d’esprit, de verve et de saillies, un écrivain qui, dans ses mauvais jours, peut tout se permettre, sûr qu’il est de ne jamais rester court, on s’est imaginé que pour arriver à la réputation il n’y avait rien de mieux à faire que de le copier, que d’étudier non seulement son style, ce qui aurait été une étude profitable pour eux, mais encore de singer son rire et de calquer son tic favori. Pour atteindre ce but, on fait mentir son caractère, on se met un masque rieur; on travaille péniblement à se donner un air libre, hardi, moqueur ; et le feuilleton devient un tissu de plaisanteries nerveuses et maladives trouvées au fond d’un bol de punch ou d’une tasse de café », Joncières, article « Feuilleton » du Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, Belin-Mandar, t. XXVII, 1836, p. 48. ‑ À cette date, le feuilletoniste à la mode est bien évidemment Jules Janin.
50 « […] le journalisme a ôté aux lettres une bonne partie de leur intérêt, l’intérêt piquant des nouvelles. Au xviie siècle, même au xviiie siècle, il n’y avait pas de journaux, ou il n’y en avait guère ; leurs informations étaient rares, leurs nouvelles sèches, leur diffusion aussi lente que le transport des lettres. […] De nos jours, les journaux impriment ce que les lettres particulières contenaient seules autrefois. […] Les journaux, assistés du télégraphe, déflorent tous les événements ; c’en est fait de la lettre narrative comme Mme de Sévigné en écrivait sur Vatel ou sur Turenne », « Introduction » à son Choix de lettres du XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1909, reprise dans un recueil d’articles de Lanson rassemblé par Henri Peyre : Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, Paris, Hachette, 1965 (p. 278).
51 « Collège de France. Littérature française moderne. Cours de M. Anatole Feugère. Leçon d’ouverture : Mme de Sévigné et son temps », La Revue politique et littéraire (dite Revue bleue), 19 décembre 1874, p. 583.
52 Antonio Watripon, « L’esprit des salons », Figaro, 8 février 1857.