La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle

Chapitre 2. Le commissariat canadien et la revue Paris-Canada

Table des matières

Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle, quelques cent ans après la Conquête, que la France reprend officiellement contact avec le Canada. En 1855, la mission de la corvette La Capricieuse, commandée par Paul-Henri de Belvèze, inaugure la reprise de ces relations. Trente ans plus tard, le Canada dispose d’une agence permanente dans la ville de Paris et d’une revue spécialisée sur les questions franco-canadiennes. En 1882, la nomination de Hector Fabre en tant que commissaire du Canada et agent de la province de Québec initie une période fructueuse dans les échanges entre les deux pays. Pendant 28 ans il travaille à la promotion du commerce, de l’immigration et de la culture canadienne en France. Ses actions, que l’on peut situer entre les relations publiques et la propagande, ont largement contribué à faire connaître le Canada en France. Ce chapitre vise à situer les actions du commissaire Fabre et de sa revue dans le contexte du rapprochement franco-canadien de la fin du XIXe siècle. Après un rapide survol de l’histoire du rapprochement franco-canadien, nous aborderons la création du commissariat ainsi que le rôle et l’évolution de ce poste. Une troisième partie sera consacrée à la personnalité de celui qui en fut le premier titulaire. Une dernière section présentera la revue Paris-Canada ainsi que ses objectifs.

La France et le Canada : une redécouverte périodique

Si la signature du Traité de Paris le 10 février 1763 marque la fin de l’implication directe de la France en Amérique du Nord, elle ne signifie pas pour autant la disparition de la vie française sur les rives du Saint-Laurent. L’influence française continue de se faire sentir de plusieurs manières. La vie quotidienne s’organise toujours autour des institutions héritées du régime français telles que la paroisse et le régime seigneurial. Les journaux diffusent des nouvelles d’Europe et des ouvrages français sont présents en librairie dès le début du XIXe siècle.1 De nombreux religieux français, surtout après 1840, viennent renforcer le clergé canadien2. Surtout, la France constitue toujours un point de repère obligé de la vie intellectuelle et culturelle de la colonie. Dans l’ensemble, les Canadiens français demeurent très attachés à la France. Même si, dans la plupart des cas, il s’agit d’une France de l’ancien régime qui n’a rien à voir avec la France contemporaine avec laquelle ils entretiennent un rapport ambigu. Les élites du Canada français vénèrent l’ancienne mère patrie, faite de tradition et de religion, mais ils se méfient de la France contemporaine qui expulse ses congrégations et enseigne l’école sans dieu. L’ultramontanisme ne cesse de fustiger cette France persécutrice et impie issue de 1789.   

De son côté, la France a longtemps négligé cette ancienne colonie de l’Amérique du Nord. Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, le Canada ne suscite qu’un intérêt limité chez quelques érudits et voyageurs. Il est alors considéré comme un pays exotique parmi tant d’autres. En 1831, quelque temps après sa visite au Bas-Canada, Alexis de Tocqueville écrit dans sa correspondance avec l’abbé Lesueur : « Je m’étonne que ce pays soit si inconnu en France. Il n’y a pas six mois, je croyais, comme tout le monde, que le Canada était devenu complètement anglais »3. Cette phrase résume assez bien le niveau des connaissances françaises sur le Canada. Quelques années plus tard, les rébellions de 1837–1838, puis l’exil de Papineau à Paris entre 1839 et 1845, suscitent quelques articles dans la presse française.4 Mais la cause canadienne ne parvient pas à gagner l’appui des milieux officiels. La France, souhaitant demeurer en bons termes avec l’Angleterre, se garde bien de donner le moindre signe d’intérêt politique ou économique envers le Canada. Les liens qui existent alors entre les deux pays sont essentiellement le fait d’initiatives individuelles.  

L’année 1855 marque un tournant dans l’histoire des relations du Canada avec la France. En janvier, Joseph-Guillaume Barthe, un Canadien installé à Paris, fait paraître un ouvrage au titre programmatique : Le Canada reconquis par la France5. Barthe y propose une reconquête pacifique du Canada par l’immigration, la culture et les arts. L’idée est fantaisiste, mais le moment est réellement propice au développement de liens commerciaux entre le Canada et la France. L’alliance franco-britannique lors de la Guerre de Crimée, les rencontres entre Napoléon III et la reine Victoria et l’assouplissement des lois commerciales créent un climat politique favorable à l’ouverture.6 La même année le Canada se fait connaître du public français lors de l’exposition universelle de Paris : « le Canada est au 7e rang dans le monde par le nombre de ses exposants et qu’il y est présent dans 26 des 30 classes7 ». En avril 1855, Paul-Henry de Belvèze, commandant de la station navale de Terre-Neuve, est chargé d’une mission de reconnaissance au caractère strictement commercial au Canada.8 La Capricieuse, premier navire de guerre français à se rendre au Canada depuis la conquête, suscite l’enthousiasme partout où il passe. Au Canada français, La Capricieuse est considérée comme le symbole officiel du retour de la France dans le Saint-Laurent. Les retombées commerciales de la mission se font attendre, mais « du point de vue sentimental, la mission fut sans aucun doute un triomphe ».9 Ce succès devait mener en 1859 à la création d’un consulat français dans la ville de Québec10.

Les années qui suivent la création du consulat ne sont pas particulièrement fécondes sur le plan des relations officielles. Néanmoins, les voyageurs français et canadiens sont de plus en plus nombreux à traverser l’Atlantique. Les initiatives individuelles se multiplient, mais elles ne disposent toujours pas de l’appui du monde politique. Celui-ci prend forme en 1881 lors du séjour à Paris du premier ministre Adolphe Chapleau.11 La province de Québec avait déjà conclu un emprunt de quatre millions sur la place de Paris en 1880. Mais c’est le succès du Crédit foncier franco-canadien, négocié par Chapleau, qui initie une véritable reprise des relations avec la France. Modelé sur le crédit foncier de France et constitué avec un capital de 40 millions de francs, le Crédit foncier franco-canadien est une incontestable réussite du genre.12 Un an plus tard, le Québec se dote d’un agent permanent dans la ville de Paris. Le Canada profite de l’occasion pour créer le commissariat canadien quelques mois plus tard. Son titulaire, le journaliste Hector Fabre, doit s’occuper des intérêts canadiens et québécois en Europe. Jusqu’à sa mort en 1910, il sera au centre de la plupart des initiatives de rapprochement entre les deux pays.  

Le commissariat canadien

Le 28 février 1882, un arrêté en conseil dote la province de Québec d’une agence dans la ville de Paris. Les raisons suivantes sont invoquées :

Que les relations d’affaires entre la province de Québec et le continent européen prennent tous les jours une extension croissante : que de grandes industries, des institutions financières, et d’autres entreprises fondées ou alimentées par le capital français, se sont développées considérablement depuis quelque temps : que des projets importants de colonisation s’élaborent, en ce moment sur le continent européen, dans le but de fonder dans cette province divers établissements, en y envoyant des cultivateurs français, belges et flamands : que pour faciliter les rapports entre les promoteurs de ces entreprises en Europe, et les personnes ou les compagnies qui, dans cette province, s’associent à ces entreprises, et surtout pour faciliter et donner les renseignements nécessaires au succès de ces opérations, il est important pour le gouvernement de cette province d’établir, sur le continent européen, une personne bien qualifiée pour remplir les devoirs de cette position.13

Nous pouvons constater l’absence d’instruction concernant la promotion des liens culturels et intellectuels avec la France. Ceux-ci ne sont tout simplement pas à l’ordre du jour. Officiellement, la décision de créer une agence de la province de Québec à Paris repose avant tout sur des raisons économiques. Il s’agit d’attirer les investisseurs et les colons français dans la province de Québec. Le sénateur Hector Fabre, propriétaire du journal l’Événement, est nommé agent général de la province. À ce titre, il est le « représentant attitré du gouvernement de Québec pour toutes les négociations qui ressortent des attributions de la province »14. Il doit établir à Paris un bureau où l’on pourra se procurer de la documentation officielle sur la province. Sa tâche consiste à servir « d’intermédiaire aux négociations des citoyens, des compagnies ou des corporations de cette province, sur le continent européen, chaque fois qu’il en sera requis ou qu’il y sera autorisé par le gouvernement de Québec »15.  Il doit rendre compte de son activité tous les six mois dans un rapport général. Son salaire annuel est fixé à 2000 dollars et une somme de 500 dollars lui est accordée pour ses frais de bureau.16 Le poste relève directement du bureau du premier ministre, mais il sera par la suite associé au ministère de la Colonisation et des Travaux publics.17 Les bureaux de l’agence sont d’abord installés au 19 rue de Grammont, puis peu de temps après, au 30 rue de la Rochefoucauld. En juillet 1885, il déménage au 76 boulevard Haussmann pour finalement se fixer au 10 rue de Rome en avril 1887.18

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Le commissariat canadien à Paris, 10 rue de Rome. Le Monde illustré, 27 octobre 1900

La situation de Fabre à Paris change rapidement.  En effet, quelques mois après son installation pour le compte de la province de Québec, le gouvernement fédéral décide lui aussi de se doter d’une représentation à Paris. Le 12 juillet 1882, un arrêté en conseil nomme Hector Fabre agent fédéral à Paris pour une période renouvelable de trois ans. Il cumule ainsi les fonctions d’agent de la province de Québec et de commissaire canadien. Fonctions qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1910.  En tant que représentant du gouvernement fédéral, Fabre reçoit un salaire de 2000 dollars par années et 500 dollars de frais de bureau. Le traitement annuel du commissaire s’élève ainsi à 4000 dollars auxquels s’ajoutent 1000 dollars de frais de bureau19.  Les deux gouvernements y contribuent à parts égales, bien que la représentation canadienne prenne rapidement le dessus.20 Pourquoi la province de Québec continue-t-elle de payer pendant toutes ces années pour une agence devenue essentiellement un commissariat canadien ? Gérard Parizeau donne une piste de réponse lorsqu’il écrit dans sa Chronique des Fabre que, bien qu’il agisse pour le compte du Canada, « Hector Fabre recherche constamment l’intérêt du Québec dans ses relations avec les Français »21. En effet, il ne faut surtout pas voir le double mandat de Fabre comme une tentative du gouvernement fédéral pour museler l’agence québécoise. En 1882, les intérêts du Canada et de la province de Québec en France sont sensiblement les mêmes.  Les Canadiens, terme qui est alors souvent confondu avec Canadiens français, recherchent des colons et des investisseurs en Europe. Ceux-ci apportent des capitaux au Canada tout en venant renforcer l’élément francophone du Dominion. Jusqu’à la mort de Fabre et son remplacement par Philippe Roy, le double mandat du commissaire semble n’avoir provoqué aucun conflit entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial22. Au contraire, les liens de la province de Québec avec son ancienne mère patrie et son désir d’y établir des relations commerciales étaient tout à l’avantage du Canada.  Il ne faut pas oublier que c’est d’abord la présence québécoise à Paris qui permet de faire découvrir le pays au public français. Comme le fait justement remarquer Guénard-Hodent en 1930 :

Elle [la province de Québec] jouait ainsi le rôle qui lui était dévolu d’être, l’intermédiaire naturel entre la France et le Dominion du Canada. Par elle seule, les Français pouvaient apprendre à connaître ce que le Canada est devenu, ses idées, ses mœurs, ses institutions, ses ressources23.

Un statut mal défini, entre propagande et relation publique

La nomination de Fabre par le gouvernement fédéral est elle aussi le fait de Joseph-Adolphe Chapleau. Celui-ci, devenu secrétaire d’État à Ottawa en 1882, veut favoriser la situation de son ami Fabre en le faisant nommer par Ottawa. Le premier ministre Macdonald refuse d’abord, puis il se ravise en prétextant que la nomination de Fabre, en provoquant sa démission comme sénateur libéral, permettrait à un conservateur de prendre sa place.24 C’est donc une question de partisanerie politique qui serait à l’origine de la création du poste de commissaire canadien à Paris. Hector Fabre devient le représentant, non officiel et sans titre diplomatique, à la fois des intérêts du Canada et de la province de Québec en France. Sa position est toutefois inférieure à celle du Haut-commissaire de Londres de qui il reçoit ses instructions et son salaire. Le 27 octobre 1911, lors de la succession de Fabre, le sous-secrétaire d’État aux affaires extérieures, Joseph Pope, présente un mémoire qui résume ce que l’on attendait de l’agent du Canada : « It is clear from the foregoing that the office was at that time regarded as purely an emigration and commercial agency, subordinate as regards the latter function, to the High Commissioner in London, and possessing no quasi-diplomatic character25 ».

Ce statut non officiel n’était pas sans causer quelques difficultés puisque Pope ajoute : « his status has always been more or less undefined and unsatisfactory.»26.  Mentionnons également que le gouvernement français n’accorda aucune forme de reconnaissance particulière au commissariat canadien. Une note rédigée en 1912 par le ministre des Affaires étrangères de France indique la position officielle du gouvernement français envers l’agence du Canada : « En vue d’éviter tout froissement au gouvernement britannique nous avons toujours refusé au dit agent un caractère officiel ; il est seulement considéré comme un délégué officieux du Canada »27. Cette réserve du gouvernement français s’explique aisément. Le Canada est alors un membre à part entière de l’empire britannique. En tant que colonie de l’Angleterre il ne pouvait être représenté officiellement dans un autre pays. Les relations officielles avec la France passent obligatoirement par l’ambassade britannique à Paris. Malgré la lente évolution du statut international du Canada et la création d’un Département canadien des Affaires extérieures en 1909, la France aurait risqué de créer un incident diplomatique en accordant un semblant de reconnaissance officielle à l’agence du Canada.

L’absence de statut officiel et le rôle mal défini du commissaire sont à l'origine de nombreuses critiques.  Elles viennent d’abord des ultramontains qui s’opposent alors à toute forme de rapprochement avec la France républicaine. Le premier avril 1882, Jules-Paul Tardivel écrit dans La Vérité : « Enfin, M. Fabre est nommé par le gouvernement de la province de Québec à un emploi quelconque à Paris. C’est probablement la nomination la plus scandaleuse qui ait jamais été faite »28. Wilfrid Laurier, alors député de Québec-Est, parle de « dépense inutile »29. Il apparaît également que les Canadiens anglais soient nombreux à ne pas comprendre la nécessité d’établir un commissariat à Paris alors que l’on venait tout juste de mettre en place le haut-commissariat de Londres.30 Par la suite, des critiques concernant le rôle et l’utilité du commissariat canadien à Paris apparaissent périodiquement dans les débats parlementaires. Ainsi le 3 avril 1884, lors d’un débat sur les honoraires de M. Fabre, les libéraux Laurier et Mackenzie jugent qu’il n’est pas nécessaire de renouveler le mandat de Fabre comme agent du Canada puisqu’il n’a réussi à attirer qu’un seul immigrant au cours de l’année. L’absence de rapport de Fabre provoque l’ironie de Mackenzie : « Si le rapport est en proportion du travail fait, il sera très facile de le lire, et très facile de le produire »31. Heureusement Sir Charles Tupper, alors Haut-commissaire du Canada à Londres, est présent pour prendre la défense du commissariat de Paris :

J’ai eu l’occasion de rencontrer cet officier [Hector Fabre] plusieurs fois, et j’ai trouvé qu’il était très dévoué aux intérêts de ce pays. J’ai trouvé les tables de son bureau couvertes d’ouvrages littéraires canadiens, et je sais que ce bureau est constamment le rendez-vous de tous les Canadiens visitant Paris, comme le bureau que je tiens à Londres est le rendez-vous des Canadiens qui visitent la métropole anglaise.32

Ce débat, qui est loin d’être le dernier, s’avère fort intéressant puisqu’il permet déjà de distinguer les points forts et les points faibles de la représentation canadienne à Paris. Il est vrai qu’en matière d’immigration et de commerce les critiques des libéraux peuvent être justifiées. Dans ces domaines, le commissariat n’obtint jamais les résultats escomptés. Mais, comme le fait remarquer l’intervention de Sir Charles Tupper, le commissariat remplit parfaitement le rôle de foyer de la vie canadienne dans la capitale française. Le commissariat serait en quelque sorte devenu un centre d’information, un club pour Canadiens et un bureau de relations publiques. Or, nous avons vu que la mission de Fabre consistait précisément à attirer des colons potentiels et ne comportait aucune instruction concernant la promotion de la culture canadienne en sol français. Hector Fabre aurait-il pris quelques libertés par rapport à son mandat initial ? Aurait-il négligé son travail de propagandiste afin de devenir une sorte d’animateur de la vie culturelle ?

Il faut dire que le peu de succès du commissariat à attirer de nouveaux immigrants n’est pas dû à un manque d’initiative de Fabre, mais aux conditions difficiles dans lesquelles il travaille. Disposant de peu de ressources, il doit faire seul un travail considérable : il fait de nombreuses tournées de conférences à Paris comme en province, il reçoit les Canadiens de passage à Paris, il organise les réceptions lors des visites officielles et il doit répondre à tous les Français qui viennent demander de l’information sur le Canada. Ajoutons à cela tout le travail de rédaction et de correction nécessaire pour faire paraître la revue Paris-Canada sur une base régulière.  Hector Fabre est aidé dans sa tâche par son fils Paul qui est d’ailleurs nommé secrétaire du commissariat de la province de Québec en 1896.33

Laurier et la création des agences

La représentation du Canada en France est sensiblement modifiée par l’élection des libéraux de Laurier en 1896. Avant cette date, la province de Québec a somme toute joué un rôle de premier plan dans le rapprochement entre le Canada et la France. De nombreuses personnalités québécoises ont effectué des voyages en France à titre officiel ou privé. Certaines de ces visites sont l’occasion de réjouissances perçues comme les moments forts des relations franco-québécoises. Citons entre autres les visites de Joseph-Adolphe Chapleau en 1881 et en 1893 ; ainsi que celles de Honoré Mercier en 1888 et 1891. Les tournées de propagande de 1885 et de 1890 du coloré curé Labelle ont également été remarquées.  Mais après l’élection de Wilfrid Laurier en 1896, la province de Québec perd assez rapidement son rôle d’interlocuteur privilégié des relations entre la France et le Canada.34 Sur le plan politique, l’initiative appartient désormais à Ottawa. Cela s’explique d’une part par la personnalité et la popularité du nouveau premier ministre ; Laurier, premier Canadien français à occuper ce poste, qui apparaît en effet comme l’authentique représentant d’une nouvelle nation alors en pleine croissance. D’autre part, la France républicaine, qui s’est lancée dans une série de réformes scolaires qui l’oppose à l’Église catholique, s’attire fort peu de sympathie de la part des Canadiens français. Il faut toutefois nuancer l’influence du différend religieux. Comme le faisait remarquer l’historien Jean Hamelin en 1968, les divergences sur la question de la place de la religion dans la société, qui existent déjà dans les années 1880, n’ont jamais empêché le Québec d’accepter les capitaux français35. Hamelin explique plutôt le déclin des relations officielles du Québec avec la France par la situation économique, qui, après avoir stagné de longues années, connaît enfin une reprise vers la fin du XIXe siècle grâce à l’afflux de capitaux américains. Il n’était donc plus aussi nécessaire pour la province de Québec de chercher des appuis et des investissements en France. La faiblesse du lien économique avec la France et l’essor des investissements américains détournent petit à petit les hommes politiques québécois de ce pays. Le gouvernement fédéral va rapidement prendre le relais.

La présence accrue du gouvernement fédéral s’observe surtout par la création d’une agence commerciale en 1902 et d’une agence d’immigration en 190336. Constatant la faiblesse du commerce et de l’immigration française, le Parti libéral décide de doter la représentation canadienne en France de ces deux agences spécialisées. Elles sont chargées d’assister le commissaire Fabre dans les domaines où, croit-on, il ne possède pas toutes les qualités requises. Ces nouveaux postes sont confiés à des Français : Anatole Poindron et Paul Wiallard.  Les activités du commissariat canadien s’en trouvent considérablement modifiées. L’historien Bernard Pénisson, décrit la représentation canadienne du début du XIXe siècle de la façon suivante : « le Canada était donc représenté à Paris par une sorte de monstre à trois têtes : le commissariat, au rôle surtout représentatif et culturel, l’agence commerciale et l’agence d’immigration, indépendante en fait, sinon en droit, du commissariat »37. Les agences, en occupant des secteurs d’activités jusqu’alors sous le contrôle du commissariat, ont largement contribué à confiner celui-ci au domaine des relations publiques. Il est vrai que dans ce domaine Hector Fabre excelle. Son tempérament jovial ainsi que sa vaste culture lui permettent d’entrer facilement dans le milieu parisien.

Hector Fabre : journaliste et « diplomate »

Bien qu’il fût le représentant du Canada en France pendant vingt-huit ans, c’est essentiellement comme journaliste qu’Hector Fabre a marqué son époque. Le Dictionnaire pratique des auteurs québécois le décrit comme étant, avec Arthur Buies, l’un des plus éminents journalistes du XIXe siècle du Canada français.38 Cette comparaison n’est pas fortuite ; comme Buies, qui fut un de ses amis, Fabre se fit le défenseur des idées libérales et publia de nombreuses chroniques au ton souvent humoristique. Cependant, contrairement à Buies, qui cherchait délibérément la polémique et la provocation, Fabre savait modérer ses opinions et se positionner au-dessus des querelles de partis.  En 1911, Laurent-Olivier David en fait le portrait suivant :

Petite taille, figure agréable, physionomie empreinte d’intelligence, tête blonde, manières distinguées, parole vive, alerte, piquante, caractère modeste, bienveillant, nature d’élite, esprit d’une perspicacité, d’une souplesse, admirable, l’esprit d’un parisien lettré, enclin au scepticisme, à la raillerie, à ne croire que ce qu’il voyait de ses yeux ou entendait de ses oreilles, à saisir du premier coup le côté absurde ou ridicule des choses de ce monde ou les conséquences illogiques d’une question, d’une théorie.39

Hector Fabre est né à Montréal le 7 août 1834. Son frère, Édouard-Charles, né en 1827, sera le premier archevêque de Montréal et sa soeur Hortense née en 1828, épousera George Étienne Cartier en 1846. Son père, Édouard Raymond Fabre, possède une importante librairie à Montréal.40 Entre 1821 et 1823, Édouard Raymond effectue un stage aux galeries Bossange en France afin d’y apprendre le métier de libraire. À son retour, il achète le fond de commerce de la librairie Bossange de Montréal afin d’en faire son magasin. Il demeure lié aux Bossange avec qui il entretient une relation d’affaire et d’amitié. Sa sœur, Julie Fabre, est d’ailleurs mariée au libraire Hector Bossange. La famille Fabre occupe ainsi une place de choix dans les réseaux qui existent alors entre la France et le Canada. Les intérêts de Édouard Raymond ne se limitent pas qu’à son commerce. En politique, il est un fervent défenseur du Parti patriote. Il est l’un des membres fondateurs de la société Saint Jean-Baptiste. Il finance La Minerve à même ses revenus et est propriétaire du Vindicator.41

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Hector Fabre en 1879

C’est dans ce milieu nationaliste, imprégné de culture européenne et profondément marqué par les événements de 1837 que le jeune Hector fait son apprentissage. Après un passage chez les frères des écoles chrétiennes puis au petit séminaire de Montréal, Hector entreprend des études en droit. C’est alors le cheminement normal des élites qui se destinent aux professions libérales ainsi que le prélude à une carrière politique. Il est reçu avocat le 5 mai 1856 après une cléricature effectuée dans le bureau de son beau frère George Étienne Cartier.42 Mais, comme il le mentionne lui-même dans ses Chroniques, il se montre plus passionné à étudier les auteurs romantiques et à entretenir des polémiques politiques qu’à l’étude du droit.43 C’est dans l’écriture qu’il désire véritablement faire carrière. Ses premiers écrits pour l’Institut canadien, notamment Esquisse biographique sur Chevalier Delorimier44, sont fortement imprégnés de l’idéologie patriote. Il collabore à l’organe du parti rouge Le Pays. Il voyage en France ainsi qu’en Italie où il assiste aux funérailles d’Alfred de Musset.45 En 1858, il marque sa rupture avec le libéralisme radical en démissionnant de l’Institut canadien pour participer à la fondation de l’Institut canadien français.  Sylvain Simard note que ses idées politiques le rapprochent du libéralisme catholique : « il admire Montalembert dont il cite les principaux articles et avec qui il correspond lors de la visite de Jérôme Napoléon. […] en politique française, on le verra donc orléaniste, admirateur de Thiers et de Mgr Dupanloup »46. L’historien Yvan Lamonde le décrit comme étant « l’homme qui façonne le libéralisme modéré et prépare le terrain pour Laurier »47.

En 1861, Fabre est rédacteur en chef de L’Ordre de Joseph Royal. Il écrit également des articles pour Le Canadien dans lesquels il s’oppose au projet de confédération.48 À 33 ans, Hector Fabre fonde à Québec son propre journal, L’Événement. Il en est propriétaire de 1867 à 1875, puis rédacteur jusqu’en 1883. C’est dans ce journal que son talent littéraire prend toute son ampleur. En 1867 il appuie finalement la Confédération en précisant toutefois que le nouveau régime a tout d’un mariage de convenance.49 Quelques années plus tard il change encore d’avis puisqu’il attaque violemment la Confédération lors d’une conférence en 1871.50  En 1911, L-O David parle de L’Événement comme un journal qui se lisait « comme on lit un roman », il ajoute que L’Événement a beaucoup contribué à rendre le Parti libéral populaire et à discréditer le Parti conservateur51. Hector Fabre a tenté sans succès de se faire élire sous la bannière libérale lors d’une élection partielle fédérale en 1873.52 Finalement, le Parti libéral de Mackenzie reconnaît son dévouement en 1875 et le nomme sénateur.  Ce sont pourtant les conservateurs de son ami Chapleau que Fabre appuie lors des élections provinciales de 1879. Il ne s’agit pas de sa première volte-face. Hector Fabre, qui sait prévoir lorsque le vent va tourner, ne se laissera jamais enfermer dans une position dogmatique. Du libéralisme radical de sa jeunesse, il est rapidement passé aux modérés, dans ses éditoriaux de L’Événement, il a appuyé les libéraux comme les conservateurs, et pour finir, il est devenu l’un des plus fervents promoteurs de la Confédération, régime qu’il avait pourtant maintes fois critiqué.

Sa nomination comme agent de la province de Québec et du Canada ne tient pas uniquement à son amitié avec Chapleau. Par son poste de sénateur et son journal, Fabre est alors un homme influent. En raison de sa vaste culture, de son sens politique ainsi que de sa connaissance de l’Europe, il s’avère le candidat idéal pour ce poste. Il connaît déjà très bien la France pour y avoir séjourné à plusieurs reprises. Déjà en septembre 1879, il avait été chargé par le gouvernement fédéral d’une mission d’études sur les possibilités de commerce avec la France.53 Il a également participé aux négociations ayant mené à la création du Crédit foncier franco-canadien54. Dans sa Chronique des Fabre, Gérard Parizeau mentionne les qualités politiques qui permettent au libéral Fabre d’être nommé par le gouvernement conservateur de Macdonald : « Hector Fabre est rouge, donc acceptable par l’opposition. Il est également influent auprès des bleus par son ami Chapleau et par le souvenir de son beau-frère George-Étienne Cartier»55. Évidemment le fait que son frère Édouard-Charles ait remplacé Mgr Bourget comme évêque de Montréal depuis 1876 ne gâche rien.  Ajoutons à cela que Fabre, homme cultivé, journaliste de talent, français de goût et d’esprit, possède toutes les qualités requises pour représenter la culture canadienne en Europe. En 1911, quelque temps après la mort de Fabre, L.-O. David écrit :

Quelle que soit l’opinion que l’on se fasse du rôle de M. Fabre en France, de l’efficacité de ses efforts en faveur d’une immigration française, il est certain que personne ne pouvait nous représenter en France avec plus d’éclat et de distinction et n’avait plus le don de convaincre les Français que nous savons écrire et parler leur langue56.

Paris-Canada : organe international des intérêts canadiens et français

En 1884, soit deux ans après son installation à Paris, Hector Fabre réalise qu’une revue serait un bon moyen de faire la promotion des intérêts canadiens en France. Il fonde alors Paris-Canada, première revue entièrement consacrée au rapprochement franco-canadien. Le sous-titre « organe international des intérêts canadiens et français »57 montre bien qu’il a l’intention de s’adresser à la fois aux lecteurs français et canadiens. À cette fin, la revue possède, en plus des bureaux parisiens situés au commissariat, des bureaux dans la ville de Québec ainsi qu’à Montréal. Plus tard la revue proposera des abonnements dans les villes de Londres, Bruxelles et Genève.58

Elle est vendue 25 centimes en France et cinq cents au Canada. Sa publication est suspendue à quelques reprises suivant les ressources et les circonstances. Elle est d’abord publiée sous la forme d’un hebdomadaire de 8 pages jusqu’au mois de février 1887. La revue connaît alors une période de publication irrégulière et devient bimensuelle. Des problèmes financiers ont dû se présenter puisqu’un seul numéro paraît au cours de l’année 1889. Elle revient en novembre 1890 sous une nouvelle formule hebdomadaire de 4 pages puis reprend la formule bimensuelle en 1893. La revue adopte finalement la forme définitive d’un bimensuel de 8 pages à partir du numéro du 1er février 1896. À partir de cette date, elle paraît régulièrement le 1er et le 15 de chaque mois.  Son dernier numéro est daté du 15 janvier 1909.59 La mort de Paul Fabre en décembre 1902 provoque une dernière interruption de courte durée. Toutes ces années la direction est assurée par Hector Fabre sauf entre 1894 et 1902 où son fils Paul prend la relève.

Hector Fabre se réserve la première page où il donne son avis sur les évènements se rapportant à l’actualité française et canadienne.  Sa chronique, intitulée « Au jour le jour », est l’occasion pour lui d’initier les Français à la politique canadienne.  Fabre ne manque pas de réflexions personnelles sur ce milieu qu’il a fréquenté de nombreuses années. Il passe en revue le personnel politique des deux paliers de gouvernement, revient sur les luttes politiques passées et commente celles du présent. Habituellement, cette première page est suivie d’une série de courtes nouvelles publiées sous différents titres : « Notes diverses », « Information », « Échos », ou simplement « Notes ». D’abord rédigées par Foursin-Escande, secrétaire de la rédaction et ancien conseiller municipal de Paris, elles seront plus tard écrites par Darbois et par Paul Fabre. Ces différentes rubriques contiennent des informations au contenu plutôt hétéroclite.  On y trouve des extraits de lettres de colons, des chiffres concernant la démographie canadienne, des rapports sur la production de blé du Nord-Ouest, diverses nouvelles de la colonisation du pays, ainsi que l’annonce de spectacles et de variétés Parisiennes. Ainsi, il n’est pas rare que la dernière pièce du Chat noir côtoie dans la même rubrique un éloge de l'industrie laitière du Québec ou un extrait du rapport des douanes de Montréal.60 Fréquemment, Paris-Canada publie une courte revue des articles de la presse française qui ont fait mention du Canada. Fréquemment, la revue publie, parfois suivies d’un commentaire, des articles sur le Canada tirés de journaux français. Évidemment, Paris-Canada publie les textes de la plupart des conférences sur le Canada données par Fabre ou les amis du Canada en France. Ces conférences, ainsi que quelques longs dossiers, sont habituellement publiées sur plusieurs numéros.

Le premier éditorial daté du 11 juin 1884 résume ainsi les intentions de la publication : « Ce journal poursuivra un double but : faire connaître le Canada à la France, faire mieux connaître la France au Canada »61. Cet objectif implique de dépasser les préjugés et les lieux communs qui nuisent à la compréhension mutuelle. Même si la France n’a pas oublié le Canada, elle s’en fait souvent une fausse idée « éclairée seulement du côté du passé »62.  D’un autre côté, Hector Fabre reconnaît que le Canadien, « habitué à se passer de la France, et à rester français seul et par lui-même »63, a parfois de la difficulté à comprendre la France contemporaine.  Il identifie clairement ce qui différencie les deux nations : « Entre les deux pays, dont l’un a fait tant de révolutions, et dont l’autre n’en a point encore fait une seule, les malentendus, sans un intermédiaire, sont toujours possibles »64. La revue Paris-Canada sera cet intermédiaire : « Ce serait trop d’ambition que de prétendre servir de trait d’union entre les deux pays ; c’est pourtant quelque chose de ce rôle que, modestement, sans s’exagérer son efficacité, en regrettant au contraire qu’elle ne soit pas plus grande, le Paris-Canada cherchera à remplir»65.

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Éditorial de Hector Fabre dans le premier numéro de Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1

Pour mener cette mission Hector Fabre doit d’abord démontrer que le Canada – Dominion britannique - est plus qu’une simple colonie. Qu’il peut, en toute légitimité, entretenir des relations avec d’autres États. Cela est possible en raison de la magnanimité de la politique coloniale de l’Angleterre :  

L’Angleterre, en émancipant ses colonies, a donné l’exemple. Elle les a admises à prendre rang, non au-dessous, mais à côté d’elle. Elle les traite comme elle désire qu’elle soit traitée par les autres États, c’est-à-dire en pays indépendant.  Le Canada, en particulier, est aujourd’hui une sorte d’état souverain dont la seule servitude est de rendre foi et hommage à la suzeraineté qui lui a gracieusement accordé tous les avantages de l’indépendance, non comme des privilèges que l’on concède, mais comme des droits qu’on reconnaît et devant lesquels on s’incline.66

Cette conception du lien colonial peut en effet paraître étrangère aux Français qui ont plutôt tendance à considérer les colonies comme une dépendance de la métropole. Selon Fabre, les relations entre États doivent être repensées sur un mode égalitaire : « L’ère moderne a élargi la sphère au sein de laquelle se meuvent, à côté des vieilles nations, les jeunes peuples. Ceux-ci ne sont plus vis-à-vis de celles-là dans un état d’infériorité : une sorte d’égalité s’est établie entre grands et petits »67. Comme le mentionne Daniel Chartier, ce discours permet à la revue de « rompre le modèle du lien colonial »68. Si l’Angleterre considère le Canada comme un pays indépendant, la France peut parfaitement faire de même. Elle peut ainsi « sans éveiller aucune susceptibilité, y reprendre pied dans le commerce et l’industrie »69. Dans les faits, Hector Fabre anticipe largement sur la situation réelle du Canada. Le Dominion du Canada ne dispose alors ni du jus tractuum, du jus legationis et du jus belli70. Aussi, bien qu’il jouisse d’une indépendance complète sur sa politique intérieure, il demeure largement dépendant de l’Angleterre sur tout ce qui relève de la politique extérieure.

Hector Fabre souligne le rôle de premier plan joué par l’ancien premier ministre de la province de Québec dans le renouveau des relations entre la France et le Canada : « Dans ces dernières années, sous l’impulsion du plus jeune et du plus hardi de ses hommes d’État, M. Chapleau, il a fait un pas vers la France et tenté de renouer des relations si longtemps interrompues »71. L’initiative de la création de l’agence de Paris est attribuée au gouvernement de la province de Québec, qui a « obtenu, pour cette création, le concours du gouvernement fédéral »72. En fait, le Canada dont il est question dans ce premier éditorial se limite au Canada français. Fabre poursuit en énumérant les avantages mutuels que les deux pays peuvent tirer de ces relations. La France trouvera au Canada « des débouchés pour ses produits, un emploi fructueux de ses capitaux »73. De son côté, le Canada souhaite établir de nouveaux liens avec la France « pour se dédommager un peu de leur trop longue interruption, et y puiser un élément de force utile à son développement »74. Toutefois, il indique une limite au rapprochement souhaité. Le souvenir de l’ancienne mère patrie ne doit pas rendre nostalgique, car : « De part et d’autre, les situations sont faites, et on ne saurait rien y changer »75. Évidemment, cela ne doit pas empêcher la France de reconnaître que le Canada est aussi « son œuvre » et qu’il « ne serait pas sans profit d’aider à son complet épanouissement »76. Cette aide peut prendre la forme d’investissements, de relations commerciales, mais surtout elle doit se concrétiser par une émigration française importante. Émigration qui, malheureusement, « ne donne pas encore cependant des résultats sensibles »77. Mais Fabre est optimiste, cela ne saurait tarder si l’on se fie à l’accroissement des liens d’amitiés et de sympathie entre les deux pays depuis les dernières années. La publication en France d’un organe dédié aux intérêts canadiens constitue déjà un gage de la vitalité de ces liens.

La mission de la corvette La Capricieuse en 1855, puis la création d’un consulat français dans la ville de Québec en 1859 permettent à la France de renouer officiellement avec son ancienne colonie. Ce premier rapprochement franco-canadien possède surtout une valeur symbolique. La France, qui désire avant tout conserver les bonnes grâces de l’Angleterre, n’entretient aucune politique à l’égard du Canada. Les relations entre les deux pays demeurent l’affaire de quelques initiatives privées parmi lesquelles nous comptons la famille de libraires Bossange. Ce n’est qu’à partir de 1880, grâce à l’initiative du premier ministre québécois Adolphe Chapleau que ces relations connaissent un véritable départ. En 1882, encouragé par le succès récent du Crédit foncier franco-canadien, ce dernier conçoit l’idée de doter la province d’une représentation permanente dans la ville de Paris. Quelques mois plus tard, le gouvernement fédéral emboîte le pas en créant un commissariat canadien. Le titulaire du poste, le journaliste Hector Fabre, cumule ainsi les fonctions d’agent de la province de Québec et de commissaire canadien et est chargé de faire la promotion du commerce et de l’émigration française au Canada.  

À cette fin, le commissaire Fabre fonde en juin 1884 la revue Paris-Canada. À la fois branchée sur la vie parisienne et sur la colonisation du Canada, cette revue ne se limite pas au rôle d’organe officiel du commissariat. Elle informe sur tout ce qui touche les liens entre la France et le Canada, que ce soit sur le plan de l’émigration, du commerce ou de la culture. Nous avons vu que le commissaire Fabre accomplit à sa tâche bien au-delà de son mandat initial. Placé au centre de la petite colonie formée par les Canadiens de Paris, Hector Fabre fut rapidement amené à jouer le rôle d’animateur culturel en plus de ses fonctions de commissaire. Ajoutons que la création d’une agence commerciale et d’une agence d’immigration au début du siècle ont largement contribué à cantonner les activités du commissariat au domaine des relations publiques. La diversité des sujets traités dans Paris-Canada montre bien que le commissaire ne se limite pas aux questions d’immigration et de commerce. Il s’agit d’abord de faire connaître le Canada, ses opportunités et ses ressources mais également son histoire, sa culture et sa littérature.  Au cours du prochain chapitre nous allons voir quelle est la part occupée par chacun de ces domaines dans les pages de Paris-Canada.

Notes

1  Gilles Gallichan, « La Page avant la voile : le livre et l’imprimé dans les relations France-Québec (1840-1855) » dans Yvan Lamonde et Didier Poton (dir.), La Capricieuse (1855) : poupe et proue. Les relations France-Québec (1760-1914), Québec, PUL, 2006, p. 178

2  Guy Laperrière, « Les communautés religieuses française au Québec (1792-1914) » dans ibid., p. 308-325.

3  Alexis de Tocqueville, Regards sur le Bas-Canada, Montréal, Typo, 2003, p. 194 (je souligne).

4 Yvan Lamonde, « L’exil dans l’exil : le séjour de Louis-Joseph Papineau à Paris (1839-1845) » dans La Capricieuse (1855), op. cit., p. 136.

5  Joseph-Guillaume Barthe, Le Canada reconquis par la France, Paris, Ledoyen, 1855.

6  Armand Yon, Le Canada français vu de France (1830-1914), Québec, PUL, 1975, p. 26.

7  Jean Vinant, De Jacques Cartier à Péchiney : Histoire de la coopération économique franco-canadienne, Paris, Chotard & associés éditeurs, 1985, p. 48.

8  Jean-François de Raymond, « La Capricieuse dans les archives diplomatiques française. L’initiative de la décision », dans La Capricieuse (1855), op. cit., p. 221.

9  Armand Yon, op. cit., p. 37.

10  Savard, Le consulat général de France à Québec et à Montréal 1859-1914, op. cit., p. 14.

11 Armand Yon, op. cit., p. 186.

12  Prévost, Les relations franco-canadiennes de 1886 à 1911, op. cit., p. 45.

13  Rapport du conseil exécutif du 28 février 1882, Documents de la session, 15, (1881-1882), 2, (no 27).

14  Ibid.

15  Ibid.

16  Ibid.

17 Bernard Pénisson, « Le commissariat canadien à Paris (1882-1828) », Revue d’histoire de l’Amérique française, 34, 3, (décembre 1980), p. 358.

18  Maurice Guénard-Hodent, La tradition renouée. Les relations entre la France et le Canada depuis soixante années, Paris, Éditions Paris-Canada, 1930, p. 7.

19  Ce salaire augmente à trois reprises. Il est porté à 5000 $ en 1896, 6000 $ en 1903 et à 8000 $ en 1910. Il s’agit du montant total payé à part égale par les deux gouvernements. Voir Bernard Pénisson, « Les commissaires du Canada en France (1882-1928) », Études Canadiennes, no 9, (décembre 1980), p. 15.

20  Gérard Parizeau, La chronique des Fabre, Montréal, Fides, 1978, p. 172.

21  Ibid., p. 173.

22  Louise Beaudoin fait remarquer que ce n’était déjà plus le cas en 1912. Elle cite un ordre ministériel du Cabinet Borden qui explique : « It is undesirable that the representative of the Dominion government should represent one of the nine provinces as distinct…The prime Minister recommends that Roy required to relinquish the position of the representative of the Province of Quebec and his directorships ». Elle ajoute que l’attitude de Borden à ce moment est celle d’un précurseur de Pierre Elliot Trudeau (Louise Beaudoin, « origines et développement du rôle international du gouvernement du Québec », dans Paul Painchaud (dir.) Le Canada et le Québec sur la scène internationale, Montréal, Presses de l'Université du Québec, 1977 p. 447).

23  Maurice Guénard-Hodent, op. cit., p. 7.

24  Bernard Pénisson, « Le commissariat canadien à Paris (1882-1828) », loc. cit., p. 359.

25  Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, vol. I, 109-1918, Ministère des affaires extérieures, 1967, p. 9.

26  Ibid., p.10.

27  Cité par Pénisson , « Le commissariat canadien à Paris (1882-1828) », loc. cit., p. 366.

28  Cité par Savard, Pierre, Jules-Paul Tardivel, La France et les Etats-Unis 1815-1905, Québec, PUL, 1967, p. 170.

29  Yon, Armand, op. cit., p. 187.

30  Ibid.

31  « Débat de la chambre des Communes du Canada, 3 avril 1884 », Débats des communes, 3 avril 1884, p. 1385.

32  Ibid., p. 1386.

33  Hector Fabre essaie en vain de le faire nommer agent de la colonisation par le gouvernement fédéral. Voir Pénisson, « Les commissaires du Canada en France (1882-1928) », loc. cit., p. 7.

34  Pénisson, « Le commissariat canadien à Paris (1882-1828) », loc. cit., p. 357.

35  Jean Hamelin, « Québec et le monde extérieur 1867-1967 », dans Martin Yves et Denis Turcotte (dir.), Le Québec dans le monde : texte et document 1, Sainte-Foy, Québec dans le monde , 1990, p. 114.

36  Bernard Pénisson, « La représentation du Canada en France au début du XXe siècle », Études canadiennes, no 33, 1992, p. 60.

37  Ibid., p. 60.

38  Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, Dictionnaire pratique des auteurs québécois, Montréal, Fides, 1976, p. 234.

39  L.-O. David, Souvenir et biographies 1870-1910, Montréal, Beauchemin, 1911, p. 179.

40  Jean-Louis Roy, Édouard-Raymond Fabre, libraire et patriote canadien (1799-1854), Montréal, Hurtubise HMH, 1974.

41  Ibid., p. 15.

42  Sylvain Simard et Denis Vaugeois, « Fabre, Hector », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIII, Québec, PUL, 1994, p. 355.

43 Hector Fabre, Chroniques, Montréal, Guérin, 1980, p. 67.

44  Hector Fabre, Esquisse biographique sur Chevalier Delorimier, Montréal, Imprimerie du pays, 1856.

45  Simard et Vaugeois, loc. cit., p. 355.

46 Paul Wyczynski, François Gallays et Sylvain Simard, L'Essai et la prose d'idées au Québec, Montréal, Fides, 1985, p. 283.

47 Yvan Lamonde, Allégeance et dépendance : l’histoire d’une ambivalence identitaire, Québec, Édition du Nota Bene, 2001, p. 143.

48  Wyczynski, Gallays et Simard, op. cit., p. 283.

49  Fabre Hector, Chroniques, Montréal, Guérin, 1980, p. 168.

50  Hector Fabre, Confédération, Indépendance, annexion, Québec, L’Événement, 1871.

51  L.-O. David, Souvenir et biographies 1870-1910, Montréal, Beauchemin, 1911, p. 182.

52  Simard et Vaugeois, loc.cit., p. 355.

53  Pénisson, « Le commissariat canadien à Paris (1882-1828) », loc, cit., p. 359.

54  Simard et Vaugeois, loc.cit., p. 355.

55  Gérard Parizeau, La chronique des Fabre, Montréal, Fides, 1978, p. 173.

56  L.-O. David, op. cit., p. 358.

57  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1. Le sous-titre change à quelques reprises afin de correspondre au rythme de parution de la revue. La revue est successivement sous-titré : Organe hebdomadaire des intérêts Canadiens et Français, Organe des intérêts Canadiens et Français puis Organe bi-mensuel des intérêts Canadiens et Français. 

58  Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 1.

59  Nous n’avons malheureusement pas trouvé d’information sur le tirage de la revue.

60  Paris-Canada, 31 mars 1894, p. 3.

61  Paris-Canada, 11 juin 1884, p.1.

62  Ibid.

63  Ibid.

64  Ibid.

65  Ibid.

66  Ibid.

67  Ibid.

68  Chartier, loc. cit., p. 55.

69  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.

70  Jean-Charle Bonenfant, « Le développement du statut international du Canada», dans Paul Painchaud (dir.) Le Canada et le Québec sur la scène internationale, Montréal , Presses de l’Université du Québec, 1977, p. 34.

71  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.

72  Ibid.

73  Ibid.

74  Ibid.

75  Ibid.

76  Ibid.

77  Ibid.

Pour citer ce document

, « Chapitre 2. Le commissariat canadien et la revue Paris-Canada », La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle, ouvrage de Philippe Garneau Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/la-revue-paris-canada-1884-1909-et-les-relations-franco-canadiennes-la-fin-du-xixe-siecle/chapitre-2-le-commissariat-canadien-et-la-revue-paris-canada