Chapitre 3. Intérêts économiques et liens affectifs : l’immigration, le commerce et la culture
Table des matières
Publié par le commissariat canadien, Paris-Canada constitue d’abord un instrument de travail au service des intérêts canadiens en France. Rappelons que le commissaire Hector Fabre a reçu des instructions spécifiques concernant le commerce et le recrutement d’immigrants en France. Ces deux aspects occupent naturellement une place de choix dans la revue du commissariat. Cependant, comme Hector Fabre l’exprime lui-même lors de son premier éditorial, Paris-Canada entend surtout jouer un rôle plus large de « trait d’union entre les deux pays »1. C'est-à-dire favoriser la compréhension et les contacts entre Français et Canadiens. Paul Fabre réaffirme cet objectif au retour d’une interruption de la parution. En 1896, il parle de la revue comme étant le « reflet des idées, des sentiments et des intérêts des deux côtés de l’Atlantique »2. Les idées, les sentiments et les intérêts sont d’ailleurs loin d’être étrangers les uns aux autres. C’est bien en raison de la vigueur des liens culturels, qui se fondent sur le partage d’une même langue et d’une même religion, qu’un rapprochement commercial est envisagé entre les deux pays. La revue du commissariat canadien construit donc son argumentation en fonction de ce fait. Le rapprochement culturel, marqué de part et d’autre par des élans nationalistes, constitue de fait le sujet dominant de la revue. Cette stratégie du commissariat, qui consiste à justifier les intérêts par les sentiments, eut-elle un impact positif sur le commerce et l’émigration ? On peut se demander si, au contraire, elle n’a pas conduit à sous-estimer l’importance des intérêts économiques en jeu. Quelle est la part exacte de chacun de ces domaines dans la revue du commissariat canadien ? Voilà les questions auxquelles nous tâcherons de répondre après avoir résumé les différents enjeux et l’importance respective des trois principaux aspects du rapprochement franco-canadien de la fin du XIXe siècle : le recrutement d’émigrants, le commerce et les liens culturels.
L’immigration française au Canada : les politiques irréconciliables
Les premières tentatives de la province de Québec afin d’attirer des immigrants francophones remontent au début de la confédération. La constitution de 1867 avait partagé les compétences en matière d’immigration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Le 30 octobre 1868, au cours de ce qui fut la première conférence intergouvernementale de la fédération, les délégués des provinces et d’Ottawa s’entendent sur un partage des pouvoirs et des responsabilités.3 Ottawa s’engage à créer et à soutenir une agence au Royaume-Uni ainsi que sur le continent européen. Le fédéral doit également entretenir un réseau de bureaux d’immigration à l’intérieur du Canada. De leur côté, les provinces doivent mettre en place une agence d’immigration sur leur territoire et elles peuvent, si elles le désirent, nommer des agents d’immigration à l’extérieur à la condition qu’ils soient accrédités par le gouvernement fédéral. Peu de temps après, Ottawa ouvre son agence d’immigration à Londres sous la direction de William Dixon. Il est considéré comme le premier agent du gouvernement canadien à l’étranger. La province de Québec n’est pas en reste puisqu’elle nomme deux agents en 1871. Édouard-A Barnard doit visiter le continent alors que M. Jones est chargé de la Grande-Bretagne. Le succès est mitigé. En 1872, un missionnaire belge, l’abbé Verbist, envoyé par la province, connaît quelques succès. Finalement, les agences de la province mettent fin à leurs activités en 1875 lors d’une convention qui cède tous les pouvoirs concernant l’immigration au gouvernement fédéral.4 Le peu de succès de ces campagnes de recrutement s’explique d’une part par l’absence d’investissement suffisant du gouvernement de Québec et d’autre part par la situation économique qui n’est guère favorable à l’émigration.
Pendant tout le XIXe siècle, le nombre de Français qui décident d’émigrer au Canada demeure largement inférieur à ceux qui prennent la route des États-Unis. Malgré une augmentation constante de leur nombre entre 1901 et 1910, les Français ne forment que 0,95 % de tous les immigrants reçus par le Canada lors de cette période5. L’année 1908 est la plus fructueuse avec un total de 2671 immigrants français.6 À titre de comparaison, au cours de la même année le total des immigrants reçus au Canada s’élève à 262 469.7 La répartition des immigrants français au Canada se modifie avec les années. Ils choisissent majoritairement de s’installer au Québec dans les années 1880. En 1911, ils ne sont plus que 33,64 % à choisir la belle province etl’Ouest canadien devient la destination privilégiée par 52,6 % des immigrants français.8
La politique officielle du gouvernement fédéral favorise nettement une immigration de langue anglaise. Il faut peupler l’ouest du pays tout en renforçant le caractère britannique du Dominion. Cette orientation est visible dans le rapport annuel de 1905 du sous-ministre de l’intérieur :
Les deux tiers des arrivées totales viennent des îles Britanniques et des États-unis. Je pense que c’est la récompense de tous ceux qui ont contribué à organiser notre politique actuelle d’immigration pour laquelle tous les Canadiens devraient éprouver de la reconnaissance. Quand près de cent mille anglais, parlant la même langue, et ayant les mêmes aspirations que nous-mêmes, sont ajoutés à notre population dans le court espace de douze mois, il n’y a guère lieu de craindre que le caractère national ne puisse jamais être altéré.9
Il va de soi que ce genre de propos est fort mal accueilli dans la province de Québec. L’afflux massif d’immigrants anglophones, en diminuant le poids relatif des Canadiens français, contribue à affaiblir la position de ceux-ci dans la fédération. Plusieurs nationalistes considèrent qu’il s’agit là d’une nouvelle menace qui s’ajoute à un autre phénomène inquiétant : l’émigration des Canadiens français vers les États-Unis. Vers la fin du XIXe siècle, le mouvement migratoire vers les États-Unis devient si important que l’on parle d’une véritable saignée démographique. De 1870 à 1900, environ 10 % de la population totale de la province émigre vers les États-Unis10. Dans ces conditions, le Canada français attend beaucoup de ses liens avec la France. On espère y trouver les émigrants catholiques et francophones qui permettront de maintenir l’équilibre des francophones dans le Canada.
Les années 1880, avec le renouveau du colonialisme en France, créent un climat favorable à la propagande canadienne. En France, on s’intéresse de plus en plus à cette ancienne colonie, seul exemple d’un peuplement français qui ait vraiment réussi. Au Canada, et particulièrement dans la province de Québec, l’on entend profiter de ce courant de sympathie. Nous avons vu que le recrutement de cultivateurs français et belges figure parmi les raisons invoquées lors de la création de l’agence de la province de Québec à Paris. Le Commissariat canadien distribue de façon permanente de la propagande en faveur de l’émigration au Canada. Il est aidé par diverses sociétés d’immigration comme cette « association nationale fondée en France, en Suisse et en Canada pour favoriser l’immigration française en Canada » créée au printemps 188711. Il peut également compter sur l’appui des « Amis du Canada » : « collectivité informelle des Français qui, à titre individuel ou au sein d’une société, vouent un intérêt particulier, à la fois intellectuel et patriotique, au Canada français et à l’Acadie »12. Cet intérêt de certains Français pour la colonisation du Canada, qui est pourtant une colonie britannique, s’explique essentiellement par l’admiration qu’ils portent au miracle de la survivance du Canada français ainsi qu’au désir de voir prospérer cette partie de l’Amérique demeurée française. Cela est particulièrement visible dans cette lettre que le géographe Onésime Reclus adresse au président de la société de colonisation en 1884 :
Si 150 000 Français, dispersés dans l’Argentine et la bande Orientale de l’Amérique du Sud, sont dignes que nous tenions compte d’eux, que nous en augmentions le nombre, que nous en fortifions l’assise, que dirons-nous des 1 million 500 000 Français du Canada ? Ceux-là ne sont-ils pas plus dignes encore d’être accrus, fortifiés ? […] Mille Bretons, envoyés par votre section sur le Saint-Laurent, c’est, dans deux cents ans, 250 000 Français en Amérique13.
Le désir de Reclus de voir la France peupler le Canada est bien loin de la réalité. En fait, le Canada et la France poursuivent alors des politiques d’immigration diamétralement opposées. Si le premier cherche à attirer des immigrants, la seconde, qui connaît alors un déclin démographique, tient surtout à conserver sa population intacte. La législation française en matière d’émigration est très stricte. Elle interdit formellement toute forme de prosélytisme sur son territoire. La France, qui possède le second empire colonial après l’Angleterre, préfère évidemment diriger les émigrants vers ses propres colonies. Toutefois le recrutement d’émigrants par le Canada demeure toléré du moment que les agents canadiens ne se fassent pas trop remarquer.14
L’hostilité française envers l’émigration canadienne devient plus manifeste après 1907 lorsque le député nationaliste Henri Bourassa réactualise le thème du recrutement d’immigrants francophones. En avril 1907, il prononce une conférence à l’Université Laval de Montréal qui fait grand bruit. Bourassa y constate la menace que représente l’immigration anglaise et dénonce l’absence de volonté du gouvernement fédéral pour attirer des immigrants francophones.15 Suite à cette conférence, il y a effectivement une augmentation de la propagande canadienne en France qui a tout pour déplaire aux autorités françaises.16 En août 109, le ministre de l’Intérieur Georges Clemenceau réagit en adressant à ses préfets une circulaire intitulée : « contre l’immigration au Canada »17. Cette circulaire commence ainsi : « Les journaux réactionnaires étaient, ces jours derniers, remplis d’annonces engageant les personnes qui voulaient émigrer à se rendre au Canada qui apparaissait comme une véritable terre promise »18.
En soi cette critique du travail des agences canadiennes de la part du gouvernement français n’a rien de nouveau.19 Ce qui l’est moins c’est l’ampleur que prend l’affaire une fois relayée par les journaux. Le ton polémique de la circulaire qui parle de « journaux réactionnaires » montre bien que la critique de l’émigration au Canada est fortement liée au contexte idéologique de la France du début du XXe siècle. Le déclin démographique de la France ainsi que les luttes anticléricales créent en effet une situation intérieure extrêmement défavorable au recrutement d’émigrants français par le Canada. Les positions se durcissent et il devient de plus en plus difficile pour les agents recruteurs d’effectuer leur travail. En 1910, le gouvernement français envisage même d’expulser l’agent Paul Wiallard pour non-respect de la législation.20 Finalement, l’intensification de la propagande canadienne, loin d’obtenir les résultats escomptés, eut surtout pour conséquence d’augmenter la méfiance des autorités françaises à l’égard du Canada.
Aussi, bien qu’il s’agisse du principal objectif du commissariat, la revue Paris-Canada est loin de se consacrer uniquement à la promotion de l’émigration française. Notre échantillon ne contient que 26 articles avec l’immigration française comme thème principal et 11 articles où il constitue une idée secondaire. Nous entendons par là un article où la volonté d’inciter à l’émigration au Canada se fait clairement sentir. La référence à l’immigration doit être explicite : appel à la population de France, conseils aux futurs colons ou description de la condition de vie de ceux qui sont déjà établis. Les articles qui ne visent qu’à informer sur les progrès de la colonisation et de l’agriculture dans l’ouest ne font pas partie de cette catégorie même s’ils correspondent au même objectif. Notons que le thème de la colonisation, indissociable de la promotion de l’émigration, est largement développé dans 20 de nos 26 articles. Cela n’a rien d’étonnant puisque c’est essentiellement une émigration agricole que le Canada souhaite recruter en France. Le Canada est avant tout présenté comme un pays de colonisation. Un endroit où les fermiers européens peuvent s’établir et devenir propriétaires à peu de frais. Compte tenu de la mission du commissariat, dont le premier objectif est le recrutement de nouveaux colons francophones, ces chiffres peuvent paraître bien faibles, mais Paris-Canada n’en constitue pas moins une revue profondément marquée par cet objectif. On y publie des textes de conférences sur l’immigration, des extraits d’études sur la colonisation de l’Ouest canadien ainsi que de nombreuses lettres de colons ayant réussi. Toutefois, le thème de l’immigration se présente rarement sous l’aspect agressif du pamphlet de propagande. Quelques éditoriaux de notre échantillon sont directement consacrés aux avantages de l’émigration au Canada, mais le plus souvent ce thème apparaît discrètement au détour d’une phrase sur la fertilité des terres du Nord-ouest ou à la suite d’un éloge de la population francophone des prairies. En fait le véritable prosélytisme se rencontre presque exclusivement lors de la publication des textes de conférences faites par différents agents d’immigration. D’autres appels à l’immigration prennent la forme de récits de voyage ou de correspondances entre les Français qui sont déjà établis et ceux qui sont restés en France. Bien qu’il ne s’agisse pas d’articles à proprement parler, il faut également prendre en compte les publicités sur les concessions gratuites de lots de terre systématiquement présentes à la fin de chaque numéro.
Une terre gratuite
La possibilité d’acquérir une terre gratuitement, depuis le Homestead Act de 1872, est naturellement le principal argument utilisé afin de promouvoir l’émigration au Canada. Dès 1884, l’on retrouve la publicité suivante dans les dernières pages de Paris-Canada :
Le Nord-Ouest canadien. Et le Manitoba – concessions gratuites – 60,000,000 d’hectare de terres à blé les plus fertiles du monde et 20,000,000 d’hectare en prairies. […] La grande région de terres à blé comprend les vallées de la Rivière Rouge, de la Saskatchewan, de la Qu’Appelle, etc., etc. Ces territoires sont également très riches en mines, notamment de charbon d’une excellente qualité. Climat très salubre. 65 hectares sont concédés gratuitement aux colons dans la province du Manitoba et les territoires du Nord-Ouest.21
Cette publicité, qui ne subit que peu de changement avec les années, figure dans presque tous les numéros. Les procédures à suivre et les conditions à remplir afin d’obtenir un lot gratuit sont également publiées, mais sur une base bien moins régulière. Lorsqu’il s’est fait accorder une concession par l’agence des terres publiques et a payé les droits de 10 $, le colon doit s’engager à « habiter cette concession et la cultiver, six mois au moins chaque année, pendant trois ans » et à « mettre en culture, au cours d’une durée de trois ans, une superficie d’environ 12 hectares »22.
Publicité pour l’immigration au Canada. On insiste sur le fait qu’il s’agit d’une ancienne colonie française et qu’il est possible d’y obtenir une concession de terre gratuite. Paris-Canada, 1er mai 1904, p. 7
Un récit de voyage de M. Latimer dans le Nord-Ouest, publié dans le numéro du 10 décembre 1884, fait les louanges de la politique canadienne qui « cherche à créer une classe de cultivateur-propriétaires qui ont très peu de choses à payer pour le devenir et auxquels il n'est pas nécessaire d'avancer de grosses sommes pour les aider à s'établir »23. À l’octroi de terre gratuite s’ajoute la facilité de l’agriculture dans la prairie canadienne. Dans le numéro du 1er septembre 1887, Auguste Bodard, agent de colonisation du gouvernement fédéral et de la province de Québec, résume ainsi les avantages de la colonisation de l'Ouest sur celle de l'Est : « Pas de bois à abattre, pas de chemin à faire, on arrive, on laboure la prairie et on sème. Le gouvernement pour 10 $ donne 160 acres »24. Ces arguments figurent dans presque tous les articles concernant le peuplement de l’Ouest. Naturellement, la prairie canadienne est présentée comme un pays de cocagne ; tout le monde y est propriétaire, le sol se laboure sans force et le blé pousse tout seul à une hauteur jamais atteinte ailleurs. Une conférence donnée par le Dr Mac Grégor, pasteur d’Édimbourg, parle de « terres superbes, sur lesquelles on est sûr de faire bonne aisance » et d’un « pays […] littéralement couvert de gibier »25. Il ajoute : « Le fait est que l’on ne se fait aucune idée, dans nos petits pays, de ces vastes espaces où des millions d’hommes trouveront bientôt l’aisance et le bonheur »26.
Publicité pour des concessions gratuites dans l’Ouest canadien. Paris-Canada, 15 septembre 1887, p. 7
Les opportunités offertes aux travailleurs manuels sont également mentionnées à quelques occasions. Ainsi le numéro du 15 avril 1904, dans une rubrique intitulée « Impression de Colon », fournit des informations concernant le taux horaire des charpentiers, menuisiers, peintres et maçons.27 Ces salaires sont ensuite comparés au coût de la vie afin de montrer que l’ouvrier « sage et rangé » peut s’enrichir par le travail. De façon plus spectaculaire, la découverte de riches gisements aurifères dans la région du Klondike en 1896, près de Dawson City au Yukon, fournit de nouveaux arguments à la propagande canadienne. La publicité de la ligne de Navigation Allan, insérée dans chaque numéro, précise qu’elle offre le trajet jusqu’aux « mines d’or du Klondyke et de l’Alaska » via Vancouver.28 La revue reproduit plusieurs reportages, parus initialement dans Le Temps et Le Figaro, sur les conditions de vie des chercheurs d’or. On reproduit également un rapport de M. Auzias-Turenne, agent consulaire de France à Dawson-City.29 Il y décrit une ruée vers l’or qui, malgré des débuts désordonnés, se fait dans le respect du droit grâce à la Police montée. Toutefois, la vie aventureuse du chercheur d’or, qui est tout de même bien éloignée de l’idéal de la colonisation, ne fait l’objet d’aucun éditorial ou article écrit spécialement pour la revue. Le Klondike ne fait finalement que s’ajouter aux innombrables ressources mises de l’avant lors de la promotion du Canada. Ces articles ont surtout contribué à donner une image dynamique et moderne du Canada en Europe. Image toute favorable à la promotion de l’émigration. Comme son voisin du Sud, le Canada doit apparaître comme un pays libre où il est possible de refaire sa vie et, surtout, de s’enrichir par le travail.
La fascination pour l’Amérique
Afin d’inciter à l’émigration, on parle beaucoup de la prospérité canadienne, mais également de la liberté et de la véritable égalité que l’émigrant européen pourra découvrir en Amérique. Hector Fabre exprime parfaitement cette idée dans son éditorial du 15 décembre 1899. Il pose la question suivante : « Comment renoncer aux habitudes romaines ou parisiennes, aux musées, pour les champs ?»30. Sa réponse, parfait exemple du style de Fabre, mérite d’être citée au complet :
De même que ceux qui ont vécu librement en Amérique, ont quelque peine à se faire à l’existence plus enfermée en des règles immobiles en Europe, de même l'Européen est pris d'un léger refroidissement lorsqu'il sort des châteaux anciens et des vieilles cathédrales, pour parcourir les plaines de l'Ouest. Aussitôt l'imagination se glace. Mais qu'il secoue ce premier frison, et il sentira bientôt une autre sensation l'envahir, une sensation de bien-être et d'heureuse liberté. Il retrouvera, à la place de la chaleur du vieux foyer qu'il quitte, une autre chaleur également douce et plus forte qui donnera à ses nerfs une élasticité nouvelle. La sévérité et l'étroitesse des vieilles lois domestiques, familiales, a sans doute un grand charme ; mais quelle force on puise dans la liberté des relations et des moeurs, contenue et réglée uniquement par les moeurs elles-mêmes ? Quelle joie de n'être gêné par personne, et quelle satisfaction que celle de ne gêner personne.31
Nous pouvons constater que Hector Fabre sait demeurer original et amusant tout en utilisant les clichés habituels sur les différences entre l’ancien et le nouveau monde. Il sait profiter de la fascination des Européens pour l’Amérique, continent de la seconde chance où l’ascension sociale est réputée accessible à tous. Paris-Canada présente au lecteur français une sorte de version canadienne et francophone de l’Amérique égalitaire décrite par Tocqueville. Un pays neuf, démocratique, libéré des structures rigides de la vieille Europe. C’est également un pays qui profite de l’intense activité que lui procure la jeunesse. Une lettre en provenance de Calgary, publiée dans le numéro du 1er octobre 1904, parle ainsi du climat d’effervescence qui règne dans les régions de colonisation : « Partout dans les rues très animées, la foule des colons, ranchers, cow-boys, indiens, immigrants venus de tous côtés, traversent la ville pour gagner Edmonton et autres lieux. Cela donne comme la sensation d'une vaste contrée perpétuellement en mouvement : contraste absolu avec nos campagnes dès longtemps assises et nos villes qui sommeillent ! »32. L’émigrant, devenu propriétaire, y connaîtra la satisfaction de travailler à son seul profit. De retour d’un voyage au Canada M. Auguste Haymann, « administrateur de la société foncière du Canada », parle d’un pays « qui donne au courageux le bénéfice qu’ils attendent de leur travail »33. D’une certaine façon, et l’éditorial de Hector Fabre le montre bien, l’argumentation canadienne tente de récupérer à son profit la fascination qu’exerce la république américaine sur la population française. Il s’agit bien d’une autre version, britannique et francophone, du mythe américain.
Les mises en garde
Cependant, tout n’est pas rose pour le candidat à l’émigration. Le Canada a surtout besoin d’une main-d’œuvre agricole et le métier de colon ne convient pas nécessairement à tout le monde. Aussi Paris-Canada abonde de mises en garde visant à décourager ceux qui manquent de sérieux. Curieusement, les apologistes de la colonisation sont les premiers à émettre des réserves. Sans doute autant par souci de dire la vérité que pour éviter de froisser les autorités françaises. Il leur faut en effet éviter de donner raison aux critiques qui les accusent de cacher les difficultés du travail de la terre. Il est même arrivé que Paris-Canada publie une note afin de mettre en garde contre des agents de colonisation non autorisés qui recrutent en Angleterre.34 Auguste Bodard constate que seuls les immigrants ayant déjà été des cultivateurs réussissent : « Ceux qui se plaignent sont ceux qui ayant habité les villes et n'ayant jamais cultivé trouvent l'ouvrage dur […] sur neuf familles françaises à Whitewood, plus de la moitié n'ont jamais cultivé et elles se plaignent quand c'est de leur faute »35. Par contre, il soutient que les paysans français eux « réussissent toujours »36. Dans la conférence du Dr Mac Grégor, nous pouvons lire : « Au reste, mieux vaut dire de suite que ceux qui n'ont pas une forte dose d'énergie et de courage à leur disposition pour supporter les difficultés du commencement, font mieux de rester ici »37. Il ajoute « Je ne puis ni ne dois lui cacher qu'il éprouvera un froid dont on n'a aucune idée ici »38.
Les idées reçues concernant le climat canadien semblent en effet constituer un obstacle de taille à l’émigration. Pratiquement tous les articles tentent de rassurer le lecteur sur ce point. En règle générale, on fait valoir les avantages du froid sec des prairies sur l’humidité de l’hiver français. Certes, l’hiver est froid, mais il est surtout « sain et vivifiant »39 et le climat est « d'une salubrité sans pareille »40. Et puis la saison froide n’a pas que des désavantages. Comme le fait si bien remarquer Darbois : « L'hiver c'est la vie et la joie du Canadien ».41 Paris-Canada ne manque jamais une occasion pour démontrer que le prétendu climat rigoureux tient plus de la légende que d’autre chose. À cette fin, la revue publie assez fréquemment des informations sur la météo des différentes provinces. De toute façon, comme le mentionne une lettre attribuée à un pionnier de l’Ouest, « la prodigieuse fertilité du sol compense largement la rigueur des hivers »42.
Un pays francophone
Comme nous pouvons le constater, Paris-Canada favorise nettement l’émigration dans le Nord-Ouest aux dépens de la province de Québec. Sur les 26 articles incitant à l’émigration française, un seul, composé de lettres de colons établis à Verdun, Verchères et Sainte-Anne de la Pocatière, est consacré exclusivement à la province de Québec.43 Pourtant, à partir de l’année 1899, la province de Québec dispose elle aussi d’une publicité dans les pages de Paris-Canada. Elle fournit les informations suivantes :
Canada. Gouvernement de la province de Québec. – Vastes territoires à coloniser- Riches régions minières et forestières de toutes sortes. Terres d’une fertilité reconnue, climat sain et favorable à toutes cultures, communications faciles avec les marchés locaux et étrangers. Les colons agriculteurs peuvent pour quinze cents francs environ acheter un lot de 40 hectares dont 4 ou 5 en terre défrichée. Les terres du gouvernement valent de 1 franc à 1 fr. 50 l’acre. Les lots sont de 100 acres (environ 40 hectares). La forêt couvre des millions d’hectares, où l’on trouve, entre autres, du bois propre à la fabrication de la pâte à papier (pulpe), d’une qualité supérieure. […] La population de la province de Québec est de langue française surtout. […]44
Cette publicité, sans le vouloir, montre les avantages de l’émigration dans l’Ouest sur celle de l’Est du Canada. On peut en effet se demander pourquoi le colon potentiel choisirait de payer pour une terre partiellement défrichée alors qu’une autre publicité, placée sur la même page, lui offre une terre complètement gratuite. On donne parfois de brèves informations sur les régions de colonisation de la province, mais elles font rarement l’objet d’articles de fond.
Publicité pour la colonisation de la province de Québec. Paris-Canada, 1er janvier 1901, p. 7
D’un autre côté, les différentes régions de l’Ouest peuplées par des francophones sont à l’honneur. Il s’agit évidemment de montrer que le colon français ne sera pas totalement isolé au milieu d’une population anglaise. Dans une lettre qu’il écrit lors d’un voyage d’études sur les possibilités de colonisation, Foursin Escandre remarque l’importance de la présence francophone dans l’Ouest canadien : « Je rencontre partout des Canadiens français et des Français. Dans le delta de l'embouchure du Fraser, près de New-Westminster, j'ai fait la connaissance d'un Savoyard, M. Guichon, dont la fortune est estimée à un million de francs, il a une terre de 1,100 acres et des propriétés en ville. C’est un très brave homme et très français »45. Il est donc possible, en suivant l’exemple de cet homme et des Canadiens français déjà installés, de demeurer français dans l’Ouest du pays. Évidemment, la plupart des colons donnés en exemple dans Paris-Canada ont des patronymes francophones. Des nouvelles sur la production agricole canadienne sont souvent tirées de journaux francophones de l’Ouest comme Le Manitoba de Saint-Boniface.46 La revue publie fréquemment des chiffres tirés du recensement informant sur le nombre de francophones et de catholiques au Canada47. Auguste Bodard se montre particulièrement enthousiaste face au développement des régions francophones de l’Ouest : « Il y a une école française avec 20 élèves, tout prouve qu’il y a de l’avenir pour nos Canadiens dans ces parages »48. L’on publie également une lettre de l’écrivain français Rameau de Saint-Père, sur lequel nous reviendrons, qui prédit que « la rivière Rouge deviendra un jour un second Saint-Laurent »49. Ces arguments sont constamment appuyés par la publication de témoignages de colons déjà installés.
Témoignages de réussites
Selon l’historien Bernard Pénisson, les lettres de colon constituent l’un des moyens de propagande les plus efficaces de la revue.50 Il émet toutefois des doutes sur l’authenticité de l’une de ces lettres, qu’il qualifie de « tract publicitaire habilement déguisé »51. Il est vrai que ces lettres, loin de se limiter à la description des conditions de vie et de réussite matérielle, donnent fréquemment des conseils sur la marche à suivre afin d’émigrer au Canada. Certaines, comme cette « Lettre d'un colon du Nord-Ouest »52 publiée dans le numéro du 20 janvier 1886, reprennent presque mots à mots les arguments de conférences sur l’immigration publiée ultérieurement. Attribuée à un colon anonyme, elle cherche visiblement à attirer des émigrants potentiels :
« Je pense que si beaucoup de gens savaient combien le voyage est en somme peu difficile, ils se décideraient bien plus facilement à émigrer. Les hommes de peine de toutes classes, les servantes et les laboureurs sont sûrs de trouver de l'emploi en peu de temps. […] nos fermiers du pays de Galles auraient tout avantage à venir s'établir ici. […] Qu'il y ait eu ça et là quelques mécomptes, cela était inévitable, car tous les hommes n'ont pas les mêmes aptitudes ni la même persévérance. Mais celui qui veut travailler, et se contenter du nécessaire pendant deux ou trois ans, est sûr de réussir »53.
L’invitation à l’émigration, la mise en garde habituelle sur la difficulté du travail et l’absence de signature peuvent en effet nous faire douter de l’existence de ce colon. Pourtant cette lettre n’est pas nécessairement fausse. Peut-être que ce colon a simplement gardé en mémoire les paroles de l’agent d’immigration ou du tract qui l’a décidé à partir. Peut-être est-il réellement satisfait de son sort. Nous ne croyons pas que l’authenticité de ces lettres doit systématiquement être mise en doute. Il faut prendre en compte que les lettres publiées dans la revue ne sont pas spontanées. Il s’agit surtout de témoignages demandés par les agents d’immigration afin de servir un but précis : inciter leurs compatriotes à émigrer dans l’Ouest canadien. Dans ces conditions il est normal que le contenu de ces lettres soit imprégné de propagande.
Lettres de colon. Paris-Canada, 1er mai 1905, p. 4
La revue publie parfois une pleine page de ces lettres de colons. Par exemple, trois longues lettres sont publiées dans le numéro du 1er mai 1905 sous le titre « opinion de colon »54. Elles proviennent de Français ayant bien réussi leur installation dans l’Ouest canadien. Le fait qu’elles aient été demandées par J. Obed Smith, commissaire à l’immigration à Winnipeg, explique leurs ressemblances sur le fond. Ces colons savent très bien ce que l’on attend d’eux : « Le monsieur qui m’approche à ce sujet, ayant réussi à me convaincre qu’il est de mon devoir de faire connaître le Nord-Ouest canadien à mes compatriotes, je vais me mettre à l’œuvre et répondre à la liste des questions auxquelles il m’a demandé de répondre »55. Ce questionnaire devait être assez précis puisque tous mentionnent des débuts modestes sur un lot gratuit, la fertilité du sol et la réussite qui vient après quelques années. Chacune des lettres mentionne les préjugés de certains Français concernant la colonisation du Canada. L’un d’eux écrit : « Je n’ignore pas qu’en France on reçoit avec incrédulité les rapports qui viennent d’ici concernant les grands avantages qu’offre le Nord-Ouest canadien aux colons ; mais à cela je ne connais pas de remède : que les incrédules fassent comme l’apôtre Thomas, qu’ils y viennent voir »56. Il décrit le Canada comme un pays égalitaire, « dépourvu des préjugés de nationalité ou de religion » où « les Français sont tous à l’aise et contents d’être venus »57. Un autre écrit : « Personne ne semble songer à s’en retourner. Il n’y a guère que la première année qu’on est atteint du mal du pays qu’on a quitté »58. Ces lettres constituent la meilleure parade contre ceux qui accusent les agents d’immigration d’attirer les Français par des mensonges sur les possibilités de réussite. Toutefois, sans mettre en doute l’authenticité de ces lettres nous reconnaissons avec Bernard Pénisson qu’elles ont tout du tract publicitaire. Nous pouvons y relever la plupart des thèmes chers à la propagande canadienne ; les lots gratuits, l’égalité, les libertés politiques et même les mises en garde sur le climat et la difficulté du travail des champs. Ces lettres, en fournissant des exemples crédibles de réussite française dans la prairie canadienne, servent à merveille l’objectif de la revue. Elles montrent que ces Français ont eux raison de quitter leur pays pour l’Ouest canadien, où ils contribuent au dynamisme des communautés francophones déjà installées. S’ajoutant aux articles sur l’Ouest francophone, ces témoignages servent également à confirmer une idée qui revient fréquemment dans les pages de Paris-Canada : peupler le Canada c’est aussi participer à l’expansion du fait français et à la grandeur de la France.
Colonisation et colonialisme
L’un des aspects les plus intéressants des relations franco-canadiennes de cette époque tient au lien qui existe entre l’intérêt pour le Canada et l’essor de l’idée coloniale dans la IIIe république. Le directeur de Paris-Canada n’ignore pas les avantages qu’il peut tirer en inscrivant son action dans la continuité du mouvement colonial français. Aussi, dès 1886, les pages de publicité de la revue contiennent des réclames pour les revues coloniales françaises L’expansion coloniale et La revue française de l’étranger et des colonies.59 Mais ce lien avec le colonialisme français produit également des effets négatifs. La crainte de voir les Français émigrer au Canada provoque en effet de vives réactions de la part des autorités françaises. Le problème se pose de la façon suivante : la France ne devrait-elle pas s’occuper de ses propres colonies avant de songer à peupler celles de la Grande-Bretagne ? Paris-Canada répond évidemment par la négative à cette interrogation légitime. Le 15 mai 1899, la revue publie en première page une lettre de Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères de France de 1890 à 1898, consacrée à ce problème.60 Ce dernier constate, avec une certaine amertume, les avantages offerts par l’émigration vers le Canada sur celle dirigée vers les colonies françaises « peu connues » et trop exotiques.61 Selon l’ancien ministre, le Canada a pour lui l'avantage de disposer d'une importante population francophone et, surtout, d'être une colonie déjà faite : « les conditions de la vie y sont connues, normales ; c'est une de ces régions où la vie civilisée se confond, pour ainsi dire, avec la vie d'aventures, et, en somme, si hardi pionnier que l'on soit, on n'est pas fâché de sentir, non loin, la puissance de la société et l'autorité de la loi »62. Gabriel Hanotaux souhaite vivement le développement des colonies françaises, mais en attendant il considère que l’émigration au Canada est un demi mal. Car, somme toute, le Canada « quoique séparé de nous, nous est toujours cher, et qu'il entretient, en terre américaine, l'orgueil et l'honneur du nom français »63. Dans l’éditorial du 1er mars 1903, Hector Fabre expose sa propre conception des avantages offerts par le Canada sur les colonies françaises. Avec ironie, il se moque de la nostalgie du boulevard parisien qui, selon lui, frappe systématiquement les coloniaux français. Selon Fabre, le problème « c'est que la Tunisie est trop près de la France. Les facilités pour en revenir et y retourner, sont trop grandes. »64. De façon péremptoire, Hector Fabre soutient que les colons français qu’il a envoyés au Canada ne songeraient jamais à revenir en France. Séparés de la France par l’Atlantique, les colons canadiens n'entretiennent pas cette nostalgie du boulevard, « ils lui préfèrent la prairie ! »65. Aussi, selon Paris-Canada, la colonisation française au Canada constitue, à l’image du Canada français, un succès durable. Cependant, le peuplement du Canada est loin d’être la priorité des Français intéressés par les questions coloniales. Pour eux, l’ancienne colonie française, exemple d’une colonisation de peuplement réussi, revêt surtout une valeur symbolique. L’héroïsme du temps de la Nouvelle-France et la perte de la colonie aux mains des Anglais constituent un exemple et un avertissement pour la colonisation actuelle. Une conférence du vice-amiral Thomasset, qui a effectué une mission au Canada à bord de la Magicienne en 1874, publiée dans le premier numéro de la revue résume parfaitement l’impression, teintée d’admiration et de regret pour la colonie perdue, que les partisans du colonialisme français ont du Canada :
Le Canada ! Qui de nous, en prononçant ce nom, ne se sent pas profondément ému ? Le Canada ! C'est l'oeuvre française par excellence ; c'est la plus belle colonie que nous ayons fondée, et, disons-le hautement nos compatriotes ne sont pas les coupables, si en débarquant sur les rives du Saint-Laurent, nous éprouvons l'amer regret de fouler un sol anglais. Nos colons, mais ils ont lutté jusqu’à la mort, pour conserver à la couronne de France son plus riche joyau. La couronne les a laissés mourir sans autre préoccupation. Le Canada, c'est la réponse à faire à cette ineptie : Les Français sont incapables de coloniser.66
Tournée vers ses propres colonies, la France n’en oublie pas le Canada pour autant. Alors que les milieux intéressés par les questions coloniales, pourtant sympathiques au Canada, s’opposent au recrutement massif d’émigrants français, la mise en place de liens commerciaux, dans le sillage de la mission de la Capricieuse, bénéficie de son côté d’un appui constant.
Le commerce : la bonne volonté s’avère insuffisante
Malgré les appuis dont elles disposent dans le milieu politique français les relations commerciales entre la France et le Canada ne connaissent guère plus de succès que les tentatives de recrutement d’émigrants. En dépit de l’action des consuls en poste à Québec et Montréal, ce commerce demeure en effet fort marginal. De 1876 à 1880, les importations françaises au Canada ne totalisent que 1,7 % du commerce canadien. Elles atteindront 2,7 % pour la période 1906 - 1910.67 Les exportations canadiennes vers la France sont encore plus insignifiantes puisqu’elles ne dépasseront jamais les 0,8 % du total des exportations canadiennes68. Grâce à l’initiative du premier ministre québécois Adolphe Chapleau, les liens se resserrent au début de la décennie 1880. Afin de développer les liens commerciaux, Pierre René Georges Dubail, consul de France à Québec, fonde en 1886, avec l’aide de Chapleau et du commissaire Fabre, une chambre de commerce française à Montréal69. Elle connaît un certain succès, mais ne réussit pas à faire véritablement décoller les importations françaises. Le fait est que de nombreux Canadiens français sont favorables à l’essor du commerce avec la France, mais, comme le fait remarquer Guénard-Hodent : « au Canada, les milieux anglais qui détenaient alors toutes les affaires importantes montrèrent peu d’empressement à suivre l’élan des Canadiens français70 ».
Deux traités de commerce sont tout de même conclus entre le Canada et la France : la convention du 6 février 1893 et le traité du 19 septembre 1907. Ces deux traités ont en commun une mise en œuvre extrêmement longue et laborieuse. La convention de 1893 est ratifiée par la Chambre des communes le 4 octobre 1895, soit deux ans après sa négociation.71 Elle consiste en une série de réductions douanières que s’accordent mutuellement la France et le Canada. Son application pose le problème de l’absence de lignes de navigation directe. Les réductions douanières négociées par le traité ne s’appliquent qu’aux marchandises importées ou exportées directement. La mise en place d’une telle ligne devient rapidement la condition nécessaire à tout essor du commerce. La faiblesse du trafic ainsi que les investissements nécessaires rendent l’opération extrêmement risquée. Plusieurs tentatives sont faites à partir de 1883. En 1893, la Compagnie Franco-Canadienne installe une ligne qui fait le parcours Rouen – Québec-Montréal en passant par Saint-Pierre et Miquelon. En 1901, la Franco-Canadian Steam Navigation, compagnie franco-canadienne, bénéficie d’une subvention du gouvernement fédéral pour une ligne, Le Havre-Montréal.72 Ces lignes périclitent en raison de la faiblesse des échanges entre les deux pays. De plus, il apparaît que des marchands anglais s’opposent à la création d’une ligne directe qui ne peut que nuire au trafic entre Montréal et Liverpool.73 Ce n’est qu’en 1905, grâce à une subvention offerte à la compagnie Allan, qu’une ligne directe peut être établie de façon durable.74
En 1907, les gouvernements canadiens et français veulent conclure un nouveau traité pour remplacer la convention de 1893 devenue obsolète. Négocié le 19 septembre 1907, le traité n’est signé que le 23 janvier 1909.75 Outre le fait qu’il touche un plus grand nombre de marchandises, ce second traité se distingue de la convention de 1893 par la part occupée par le Canada lors de sa négociation. En fait, la participation de la Grande-Bretagne se limite à signer le traité une fois la négociation terminée.76 Cela constitue sans aucun doute un moyen pour les libéraux d’affirmer la marge de manoeuvre dont dispose le Canada au sein de l’empire britannique. Il faut toutefois mentionner que ces traités reposent également sur des motifs bien plus prosaïques. Les recherches de l’historien Philippe Prévost soulignent en effet le caractère électoraliste que peut avoir l’ouverture sur la France dans le contexte des conflits linguistiques canadiens de la fin du XIXe siècle. Le premier ministre Laurier en 1907, tout comme Thomson en 1893, aurait imaginé un projet d’accord commercial avec la France afin de conserver l’appui des éléments francophones de son parti. Dans les deux cas, le développement des relations commerciales avec la France a en quelque sorte servi à ménager l’élément francophone du Canada dont les droits linguistiques étaient attaqués au Manitoba.77
En résumé, malgré l’existence d’un commissariat canadien à Paris, puis d’une Chambre de commerce française à Montréal à partir de 1886, le commerce entre les deux pays demeure un phénomène fort marginal. Le développement du commerce avec la France est loin de faire partie des priorités du gouvernement fédéral. La lenteur de la ratification des deux traités en témoigne. Malgré, ou peut-être en raison de ces difficultés, le thème des échanges commerciaux avec la France occupe une place importante dans les pages de Paris-Canada. Rappelons que dès le premier numéro, Hector Fabre invitait les Français à venir au Canada « y reprendre pied dans le commerce et l’industrie »78. Ce n’est pourtant qu’à partir de l’année 1893, date de la négociation du premier traité de commerce, que le sujet commence à être véritablement développé dans la revue. Dans notre échantillon nous avons dénombré 35 articles consacrés à la question du commerce franco-canadien. Vingt-six de ces articles ont été classés avec la catégorie économie comme sujet principal. La question de la ligne directe figure dans 11 articles alors que 9 articles sont consacrés aux traités de commerce. Le reste consiste en différents rapports sur les possibilités d’investissement et sur les opportunités commerciales offertes au Canada. Ces chiffres ne prennent pas en compte le « Bulletin financier », colonne de chiffres placée en dernière page de façon intermittente. Celui-ci donne la valeur des chemins de fer canadiens et du Crédit foncier franco canadien, mais également le rendement de certains fonds d’État français et des actions du canal de Panama.79
Ce sont surtout les éditoriaux consacrés aux traités de commerce et à la création d’une ligne de navigation directe qui retiennent notre attention. Le commissaire sait parfaitement profiter de la sympathie des Français pour le Canada en présentant la question du commerce avec le Canada comme une sorte de devoir patriotique de la part de la France. Plus souvent qu’autrement, le passé de la colonie et l’affection qu’elle porte à la France remplacent comme argument le rendement et les profits anticipés par le commerce.
« Faire agir les intérêts derrière les sentiments »
L’objectif des manœuvres commerciales du Canada en France peut se résumer à cette idée que Guénard-Hodent attribue au premier ministre Chapleau : « faire agir les intérêts derrière les idées et les sentiments »80. Le développement du commerce franco-canadien, contrairement au recrutement d’émigrant, bénéficie en effet de nombreux appuis dans les milieux officiels français. Nous savons que les consuls français en poste à Québec, ceux-là même qui s’appliquent à contrer l’émigration française au Canada, encouragent activement le développement du commerce.81 Ce qui fait dire à l’historien Bernard Pénisson : « n’y a-t-il pas cependant contradiction à vouloir développer le négoce tout en freinant le maigre filet migratoire»82. Contradiction ou pas, Paris-Canada profite de cette sympathie et publie à quelques occasions les commentaires de Français favorables aux échanges commerciaux avec le Dominion britannique. Par exemple, à l’occasion de l’inauguration de l’une des premières tentatives de création d’une ligne de navigation directe, la revue publie une lettre du Syndicat Maritime et Fluviaux de France qui fait part de son intention de former une délégation « avec le ferme espoir qu’il se trouvera dans nos rangs un nombre notable de représentants de notre commerce et de notre industrie pour aller, en cette circonstance, affirmer au Canada la vitalité de notre pays »83. Paris-Canada publie également les articles de la presse française favorables au commerce franco-canadien. Ainsi, dans le numéro du 15 juillet 1901 nous pouvons lire dans un article extrait du quotidien Le temps :
La mise en valeur de notre domaine colonial […] ne doit pas nous faire perdre de vue l'intérêt qu'il peut y avoir à développer nos échanges avec les autres nations des deux continents. Parmi elles, il en est une qui, tout en étant placée sous l'autorité politique de l'Angleterre, doit nous attirer d'une manière toute particulière, parce que l'âme qui y domine est l'âme française : nous voulons parler du Canada. Il ne peut être indifférent pour nous, aussi bien du point de vue moral qu'au point de vue économique, de voir se resserrer de plus en plus les liens traditionnels qui nous attachent à notre ancienne colonie.84
Il est vrai que les enjeux du commerce franco-canadien, tel que présentés dans les pages de Paris-Canada, dépassent largement le domaine des seuls intérêts économiques. Un peu comme le voyage de La Capricieuse en 1855, la conclusion d’un traité de commerce et la mise en place d’une ligne de navigation prennent, du côté canadien, une valeur symbolique qui dépasse largement les intérêts économiques en jeu. Hector Fabre le mentionne déjà en 1885 : « Aux yeux des Canadiens français, des paquebots venus de France, chargeant ou déchargeant des cargaisons sur les quais de Montréal ou de Québec, sont l'image même des liens qui, après un siècle et quart de rupture, ont de nouveau réuni la France au Canada »85. Cette phrase, qui allie les intérêts économiques au patriotisme, est un bon exemple de la stratégie de la revue en ce qui concerne la promotion du commerce. Il s’agit de montrer que la France a le devoir d’être présente dans l’économie de ce pays où une grande partie de la population lui demeure si attachée. Comme lors de la promotion de l’émigration, la revue souhaite profiter du nationalisme et des sympathies françaises pour le Canada. Nous pouvons également affirmer que cet investissement émotif des Canadiens cache une forme de mise en garde à peine voilée : un manque d’intérêt de la France pourrait facilement blesser l’orgueil national des Canadiens français. Les nombreux appels au sentiment et à la solidarité nationale seraient-ils une forme de chantage émotif auquel se livre Paris-Canada ?
Sans remettre en cause la bonne foi des Canadiens, nous devons admettre qu’il y a un peu de ça. Paris-Canada ne manque jamais une occasion pour souligner l’influence positive des liens culturels et ethniques sur toutes opérations financières ou commerciales. Les appels aux sentiments, que l’historien Bernard Pénisson n’hésite pas à qualifier de « pressions psychologiques »86, constituent en effet le principal argument utilisé en faveur du commerce franco-canadien. Pénisson parle même d’une « arme utilisée non sans roublardise »87 par les Canadiens afin de profiter de « la mauvaise conscience des Français »88 coupables d’avoir abandonné le Canada en 1763. Bien que notre échantillon ne comporte aucun exemple d’une accusation aussi poussée, nous devons reconnaître que Paris-Canada s’est effectivement livré à une forme de chantage émotif. Le passé français de la colonie britannique constitue l’arrière-plan obligatoire de tous les discours sur les possibilités de commerce. Il arrive même que la revue triche un peu avec la réalité du sentiment francophile des Canadiens, par exemple, en 1905, lorsque la diminution des importations canadiennes en Allemagne est attribuée à l’intérêt de sa population pour la France.89 En réalité, l’augmentation des importations françaises et la diminution des importations allemandes sont le résultat de l’imposition en 1903 d’une taxe de 33,3 % sur les produits allemands.90 Quoiqu’il en soit, et même s’il s’agit d’une sympathie intéressée, la sincérité des sentiments canadiens ne doit pas être mise en doute. Les liens économiques sont tout simplement considérés comme l’aboutissement normal des liens qui existent déjà sur le plan culturel. Comme le mentionne Hector Fabre dans un discours prononcé en 1893 lors des fêtes de Champlain à Larochelle : « L’influence des intérêts est sans doute dominante, à notre époque ; mais, dans un pays d’origine française, on peut toujours compter que les sentiments ne seront pas réduits à l’impuissance : à certains jours ils prennent pied et mènent les intérêts »91. Fabre réaffirme cette idée de la supériorité des sentiments sur les intérêts lors d’un éditorial de 1898 au sujet de la création d’une ligne directe de navigation franco-canadienne. Tout en flattant l’orgueil patriotique de ses lecteurs, Fabre souhaite les convaincre qu’en matière de commerce :
Ce qui prime tout le reste, c’est le désir du Canada de nouer avec la France des relations intimes et plus constantes, c’est de se rapprocher du grand pays dont le génie l’attire. L’affaire serait médiocre, qu’il faudrait tout de même la faire, mais elle est bonne, excellente même, et il souhaite la voir sur pied. […] Le Canada n’oublie pas un instant, la France ne saurait ignorer le sentiment qui nous guide dans nos tentatives de rapprochement et d’ententes avec elle, qu’il s’agisse de relation comme celles que crée la visite de nos ministres en France ou des marins français au Canada, de traité de commerce ou de création d’un service maritime. C’est toujours et plus qu’un mouvement d’intérêt ; c’est un mouvement général de sympathie, un élan d’inaltérable affection.92
Une approche pragmatique
Le culte du passé colonial et les appels au sentiment permettent sans doute de faire de beaux discours, mais est-ce vraiment la stratégie à adopter pour convaincre les investisseurs français du dynamisme de l’économie canadienne ? En perpétuant l’image d’un Canada plus sensible à l’affection de l’ancienne mère patrie qu’aux intérêts économiques se pourrait-il que Paris-Canada s’éloigne de son objectif ? Il ne faut pas oublier que la fin du XXe siècle, ponctuée par ces grandes fêtes du progrès que sont les expositions universelles, est une époque marquée par le triomphe de la science, de la technique et du pragmatisme. Il apparaît évident que les sentiments et la sympathie envers le Canada ne peuvent justifier à eux seuls la mise en place d’un vaste mouvement d’échange commercial. La revue adopte donc un double discours qui, malgré ses contradictions apparentes, s’assemble en un tout cohérent. D’une part, on entretient le culte du passé colonial et de l’autre, on parle d’un pays jeune à l’économie dynamique. Paul Fabre, lors de l’éditorial du retour de la revue en 1896, donne les raisons qui justifient ce discours plus pragmatique sur le commerce franco-canadien :
Nous sommes cependant en un siècle pratique. La première place appartient moins aux livres qui portent la lumière dans les esprits, qu’aux intérêts qui apportent la prospérité dans les affaires. Par le fait des exigences de la vie moderne, les capitaux sont plus recherchés que les chefs-d’œuvre. […] Sans rester moins passionnée pour le mouvement intellectuel pour ce côté si séduisant du génie français dont le monde entier subit le charme, l’attention doit toujours être ouverte sur le côté positif des choses, source de la prospérité et de la force93.
Le commissaire Hector Fabre, sans jamais véritablement abandonner les appels aux sentiments, adopte quelquefois un discours qui se veut plus pragmatique. Dans un article sur le pavillon canadien lors de l’exposition universelle de 1900, il écrit : « C’est comme pays d’avenir que nous devions nous révéler aux spectateurs »94. Sans doute influencé par l’esprit de l’exposition, il tient alors un discours complètement opposé à ses habituelles envolées sur les liens historiques entre la France et le Canada. Il va jusqu’à se réjouir du caractère pratique de la section canadienne : « Nos mines, nos forêts, toutes nos ressources, en un mot, voilà ce qu’il fallait montrer »95. Hector Fabre ne peut toutefois s’empêcher d’ajouter : « Le souvenir flotte au-dessus de ces réalités » et « ceux qui ont le culte du passé n’auront qu’à se souvenir pour retrouver, derrière le rideau tiré sur le passé, les horizons d’autrefois »96.
« Au pavillon canadien », lors de l’Exposition universelle de 1900. Paris-Canada, 1er juin 1900, p. 1
Un an plus tard, la revue publie une conférence prononcée par Darbois lors des fêtes canadiennes de Rouen dans lequel il décrit le Canada comme un pays qui a « En même temps, le charme de l'ancienne France et la vie débordante d'un peuple jeune »97. Darbois soutient que si le mot « Progrès » est celui qui convient le mieux pour définir le Canada, il s’agit d’« Un progrès français, un progrès sûr de soi, qui n'a pas rompu avec la tradition de la race, mais la continue au contraire, la pousse en avant, pour toutes les conquêtes de la vie matérielle et pratique, élargit ses horizons »98. Le Canada, pays jeune dont la population française remonte pourtant au XVIIe siècle, serait tout à la fois ancien et moderne. De cette façon, la nécessité d’émouvoir les Français en présentant le Canada comme un morceau demeuré intact de la vieille France n’entre pas en contradiction avec le discours économique qui doit insister sur le dynamisme et la modernité du Canada. Il s’agit d’une approche réaliste qui, sans nier la force des sentiments, ne leur fait pas jouer le premier rôle. Cette approche réaliste des relations franco-canadiennes s’incarne tout particulièrement dans les traités de commerce et la création d’une ligne de navigation directe.
Les traités et la ligne de navigation directe
La signature d’une convention commerciale entre la France et le Canada le 6 février 1893 fait naturellement l’objet d’une attention toute particulière de la part de la revue. Au début, Hector Fabre ne tarit pas d’éloges pour ce traité, qui est « le premier que notre pays ait conclu avec un pays d’Europe. »99. Il écrit dans son éditorial du 11 février 1893 : « Cette convention, qui va être tout de suite soumise aux parlements des deux pays et ratifiés sans retard, nous en sommes convaincus, marquera une ère nouvelle dans leurs relations commerciales. […] Notre patriotisme se réjouit que ce soit avec la France que le Canada ait fait sont premier traité de commerce »100. Dès le départ, cette convention s’accompagne d’un projet de ligne de navigation directe dont la mise en place, selon Fabre, est imminente. Ce sera l’éphémère Compagnie Franco-Canadienne inaugurée le 24 août à Rouen.101 Elle occupe la place laissée vacante par la Compagnie Canadienne-Française de navigation à vapeur auquel la revue avait consacré quelques articles lors de sa création en juillet 1885.102 L’échec commercial de ces lignes de navigation, puis la lenteur de la ratification du traité ont dû rapidement insuffler une bonne dose de réalisme à l’enthousiasme initial du commissaire canadien. Lorsque la convention est enfin ratifiée, le 4 octobre 1895, Hector Fabre exprime sa satisfaction, mais également une exaspération bien compréhensible. La publication de Paris-Canada étant suspendue lors de la ratification, il écrit dans sa chronique du 1er septembre 1896 :
Pour ceux qui ont suivi les diverses phases des négociations qui ont fini par aboutir, après quinze ans d'attente, à la conclusion d'un traité de commerce, la satisfaction a été complète lorsqu'enfin cette convention si lente à venir a été mise en opération. Ils n'ont pas songé à se dire qu'elle était incomplète et qu'elle aurait pu s'étendre à plus d’objets d’échanges. Ceci n’est plus qu'une affaire de temps et de graduel développement. Le premier pas est heureusement franchi ; on croyait par moment y arriver jamais. Vous souvient-il, par exemple, de la rupture des négociations Galt ?103
Toutefois, les difficultés rencontrées n’empêchent pas Paul Fabre d’écrire dans le même numéro que : « Le mouvement de rapprochement entre le Canada et la France que symbolise notre titre est maintenant accompli. Le traité de commerce, en pleine opération, le consacre de façon définitive »104. Paul Fabre exprime parfaitement l’ampleur des attentes que Paris-Canada met dans ce traité. Avec un enthousiasme immodéré il ajoute : « C’est une date décisive dans nos relations : les intérêts prennent la place qu’occupaient jadis les sentiments seuls »105. Or, pour que cela devienne une réalité il faudrait pouvoir compter sur une ligne de navigation directe rentable et, surtout, durable. Ce qui n’est pas encore le cas en cette année 1896. En attendant, Hector Fabre continue inlassablement d’user de l’argument sentimental afin de justifier la création de cette fameuse ligne directe. Le premier avril 1898, il rappelle que « Dans cette entreprise, comme dans le traité de commerce, la France ne traite pas avec partie adverse, mais avec un allié déjà conquis […] Ce n’est plus le débat engagé entre deux compétiteurs désireux de se ravir mutuellement quelqu’avantage, mais une entente tacite entre deux associés prêts à se concéder ce qui est de nature à assurer le succès commun, l’éclat du Pavillon »106. Est-il écouté ? Les arguments de Fabre réussissent-ils vraiment à attirer les investisseurs vers un commerce qui demeure, somme toute, marginal ?
Il faut croire que non. Les discours patriotiques et les appels au sentiment du commissaire Fabre, pas plus que les rapports de l’agent commercial Anatole Poindron publiés et commentés dans la revue, n’ont pu venir à bout des difficultés et du manque d’intérêt des parties concernées. Après un décollage en force en 1880, les liens financiers entre la France et le Canada n’ont guère évolué depuis la fondation du Crédit Foncier Franco-Canadien. Nous pouvons lire dans le bulletin de la Chambre de commerce de française Montréal publié dans le numéro du 1er novembre 1898 : « Le champ offert par le Canada au placement des capitaux français est encore peu connu et par conséquent peu exploité. »107. Pourtant, Paris-Canada multiplie les appels et conseille même de placer soi-même son argent au Canada au moyen du prêt hypothécaire et du prêt aux municipalités. On soutient que les Français devraient prendre exemple sur les Anglais dont le montant des investissements au Canada « se chiffre par centaine de millions ».108 Ce genre d’argument fait bien peu de cas de la nature du lien colonial qui justifie la prépondérance des investissements anglais. Nous constatons que, à l’exception de l’achat de l’île d’Anticosti par le français Henri Menier en 1896, peu d’investissements français importants sont mentionnés dans les pages de la revue.109
Le commerce, quant à lui, souffre toujours de l’absence d’une ligne de navigation directe. Dans un rapport commenté dans le numéro du 15 avril 1904, l’agent commercial Poindron explique les échecs répétés des différentes compagnies de navigation par la vision trop générale que l’on se fait du commerce franco-canadien. Des deux côtés de l’Atlantique, les idées reçues en limitent grandement la portée :
Au Canada, on a trop longtemps cru que les produits que la France peut avantageusement exporter sont limités aux vins, eaux de vie, spiritueux, conserves, articles de Paris, tissus, modes et nouveautés pour dames, objets d'art et de luxe. Réciproquement, en France, un trop grand nombre en sont encore à se figurer que le bois et la pâte de bois constituent tout ce qu'on peut utilement tirer du Canada pour satisfaire les besoins d'importation française.110
Cette conception du commerce correspond pourtant à une réalité puisque le consul Henry Dallemagne écrit lui-même en janvier 1908 : « Notre commerce […] est un commerce tout spécial, presque limité aux objets de bon goût, de luxe et d’art ».111 En outre, Poindron considère que le principal problème du commerce franco-canadien tient surtout au trop grand nombre d’intermédiaires, situation due à l’absence d’une ligne de navigation, et au peu de représentants de commerce présents en France.112 Force est de constater que les difficultés du commerce, des traités et de la ligne directe offrent alors un contraste saisissant avec les appels aux sentiments des éditoriaux de Paris-Canada.
Les déceptions
L’enthousiasme des premières années semble s’être largement émoussé au contact de la réalité. Aussi, lorsqu’une ligne de navigation sérieuse est enfin mise en place grâce au concours de la compagnie Allan, Paris-Canada n’y consacre qu’un court article qui constate : « Le service direct entre la France et le Canada a été inauguré lundi, le 24, par le Samartian, qui, pour rompre avec les fâcheuses habitudes des précédentes compagnies, est parti au jour fixé, à l'heure dite »113. Quelques années plus tôt, le commissaire se déplaçait en personne pour assister à l’inauguration, faire des discours et rencontrer les promoteurs du projet. Cette fois, Hector Fabre ne fait même pas mention de l’événement dans son éditorial. Il faut croire que les résultats décevant des entreprises précédentes l’empêchent de se réjouir trop vite. Deux ans plus tard, la négociation d’un second traité de commerce est tout de suite accueillie comme une excellente nouvelle. Hector Fabre en apprécie particulièrement la portée symbolique : « Le traité de commerce conclu avec la France en toute liberté, avec assentiment implicite de l'Angleterre, met en relief encore plus frappant notre situation vis-à-vis des autres États. Qu'est-ce donc qui nous différencie d'eux ? »114 Dans le dernier numéro de Paris-Canada, quelques jours avant la signature définitive du traité, Hector Fabre doit répondre aux impérialistes qui considèrent que celui-ci « enlèverait toute valeur à la préférence accordée aux articles anglais »115. Constatant le peu d’intérêts de la France et les retards dans la ratification, il écrit : « Il n’y aurait donc qu’en Angleterre que les considérations de principe comme les appels de sentiments seraient mieux écoutées que la voix d’intérêts trop timorés, trop facilement alarmés point assez conscients de leur force devant les évocations de la concurrence »116. Définitivement, contrairement à ce qu’avait affirmé Paul Fabre, les intérêts sont encore loin de remplacer les sentiments. Ces derniers, de peu d’impact sur les relations commerciales, eurent pourtant un effet durable dans le domaine des liens culturels et intellectuels.
Le rapprochement culturel
Les relations culturelles entre la France et le Canada, qui reposaient jusqu’alors sur des réseaux interpersonnels comme celui de la famille du libraire Bossange, connaissent un véritable essor dans le dernier quart du XIXe siècle.117 L’intérêt des Français pour l’ancienne colonie est alors en nette augmentation sous l’effet conjugué d’une volonté canadienne et des politiques coloniales françaises. Dans son livre sur l’image du Canada français, Sylvain Simard constate que « le Canada passe alors du Cabinet de quelques érudits à une partie non négligeable de ce qu’il est convenu d’appeler le grand public»118. Cette redécouverte du Canada par la France s’accompagne naturellement des débordements lyriques et affectifs caractéristiques des discours de l’époque. Pour de nombreux Canadiens français, nouer des liens avec la France constitue une tâche patriotique qui permet d’assurer la légitimité du fait français au Canada. Au-delà des intérêts économiques, c’est une reconnaissance de leur nationalité que les Canadiens français cherchent en France. Comme l’écrit Maurice Guénard-Hodent en 1930 :
Les Canadiens français éprouveront toujours le besoin de se rattacher à leurs origines, de montrer qu’ils sont une branche vigoureuse, mais issue du tronc français commun. Ils manifesteront une satisfaction un peu naïve, mais sincère, d’entendre proclamer que cela est vrai et qu’ils ont même conservé la tradition française avec une pureté plus grande, puisqu’ils ont sauvegardé leur foi119.
De son côté, la France, humiliée par sa défaite lors de la Guerre franco-prussienne, se montre particulièrement intéressée par tout ce qui touche ses anciennes possessions d’Amérique. Le sort de la colonie perdue est souvent mis en parallèle avec la perte de l’Alsace-Lorraine120. Le Canada, où l’on parle encore français presque 150 ans après la conquête anglaise, est considéré comme un modèle de ténacité, un exemple de colonisation française réussie. Des intellectuels comme Rameau de Saint-Père, le géographe Onésime Reclus et le professeur de droit Claudiot Janet consacrent une partie de leurs œuvres au Canada français, à son histoire et à sa culture.121 Quelques écrivains canadiens français profitent de cet intérêt pour le Canada et réussissent à obtenir un certain succès en France. En 1880, le poète Louis Fréchette se voit attribuer un prix Montyon de l’Académie française pour son ouvrage Les fleurs boréales. Oiseaux de neige.122 En 1889, l’abbé Henri-Raymond Casgrain obtient un prix Marcelin-Guérin pour Un pèlerinage au pays d’Évengéline.123 En 1906, l’existence et la valeur de la jeune littérature canadienne sont au centre d’une polémique entre le critique français Charles ab der Halden et le journaliste canadien Jules Fournier124. Ce dernier prétend que les quelques ouvrages publiés au Canada ne permettent pas de parler d’une littérature véritablement canadienne. Au contraire, pour ab der Halden, qui a publié deux études sur le sujet, l’existence d’une telle littérature ne fait aucun doute. Quoi qu’il en soit, c’est à cette époque que certains Français prennent conscience du potentiel du Canada en tant que colonie intellectuelle.125
Le commissaire du Canada à Paris est évidemment situé aux premières loges de cette rencontre culturelle entre la France et le Canada. Il constitue l’intermédiaire indispensable entre les Français intéressés par le Canada et les Canadiens de passage dans la capitale française. Dans les pages de Paris-Canada, le commissaire annonce les activités des différents groupes qui oeuvrent au rapprochement franco-canadien, il publie les comptes rendus des réunions, des textes de conférences ainsi que le nom et l’adresse des Canadiens de passage. Mais surtout, le commissariat est au centre de la communauté des Canadiens installés à Paris. La liste annuelle des Canadiens inscrits au commissariat, qui passe de 200 à 2000 noms entre 1882 et 1896, peut donner une idée approximative de l’importance de leur nombre.126 Plusieurs Canadiens sont en effet des habitués de la Ville lumière. Parmi ceux-ci on compte plusieurs artistes : le sculpteur Louis Philippe Hébert, les peintres Suzor-Côté et Henri Beau ainsi que des écrivains tels que l’abbé Casgrain, Louis Fréchette et William Chapman. Les étudiants, en médecine surtout, sont également nombreux à venir parfaire leur formation à Paris.127 Il faut également compter un bon nombre de religieux qui, lors de mission à Rome, ne manquent pas de visiter les congrégations françaises au retour. Depuis 1887, Hector Fabre, qui a fondé une section de la Société Saint-Baptiste à Paris, prend l’habitude de souligner la fête nationale par un banquet où sont conviés Canadiens et amis du Canada.128 Avec Louis Philippe Hébert, il crée en 1884 le cercle La boucane où les étudiants canadiens prennent l’habitude de se retrouver mensuellement pour discuter, assister à des représentations artistiques et des conférences.129
Le commissaire du Canada participe également à des événements à caractère plus officiel. Entre autres choses, il organise les visites d'hommes politiques canadiens en France. C’est ainsi qu’il accompagne Honoré Mercier en 1891 et Wilfrid Laurier lors de ses visites de 1897 et de 1902130. Le commissaire prend également part à de nombreuses manifestations d’amitié franco-canadienne. Celles-ci sont de plus en plus fréquentes à partir du début du XXe siècle. En 1900, l’exposition universelle de Paris fait définitivement connaître le Canada au grand public. En 1908, la célébration du tricentenaire de Québec, si elle est l’occasion d’affirmer la loyauté à la couronne britannique, constitue l’apothéose de ces manifestations d’amitié franco-canadienne. Ces manifestations ont passablement élargi les appuis du Canada en France. En 1902, est fondée la société La Canadienne.131 Dirigée par Jean Lionet, cette société qui regroupe Français et Canadiens, publie jusqu’en 1914 une revue du même nom. Une autre association, le Comité France-Amérique, est fondée en 1910, peu de temps avant la mort du commissaire Fabre.132 Bénéficiant de l’appui du sénateur Dandurand, cette association jouera un rôle important dans les relations franco-canadiennes de l’après-guerre.
Hector Fabre, qui est avant tout un homme de lettres, sait parfaitement l’importance de la dimension littéraire, artistique et culturelle dans le rapprochement franco-canadien. Agissant bien au-delà de son mandat initial, le commissaire n’a jamais limité ses activités aux seuls domaines du commerce et de l’immigration. Comme l’a écrit Daniel Chartier, le commissariat et son organe Paris-Canada, ont constitué « à la fois une vitrine du Canada en France, une porte d’entrée pour les artistes canadiens et un refuge qui leur permet de se rencontrer et de développer des réseaux d’amitié, de soutien et d’influences dans la capitale française »133. Les relations culturelles et intellectuelles, seuls domaines où les relations franco-canadiennes connaissent un véritable succès, sont effectivement largement privilégiées par rapport au commerce ou à l’émigration. Notre échantillon contient 63 articles consacrés d’une façon ou d’une autre à des sujets artistiques, littéraires et intellectuels. Ce chiffre élevé s’explique, d’une part, par la stratégie des Canadiens qui souhaitent justifier les liens économiques en insistant sur la parenté culturelle, de l’autre, par la nature même des liens culturels. Ils regroupent en effet plusieurs aspects du rapprochement franco-canadien. En effet, l’aspect culturel ne se limite pas aux succès de quelques auteurs canadiens en France, mais s’étend également aux livres français portant sur le Canada, aux fêtes commémoratives, aux voyageurs, artistes et étudiants canadiens présents en France, et, de façon plus large, à tout discours célébrant l’amitié entre la France et le Canada. En comparaison, le commerce et l’émigration au Canada apparaissent comme des sujets beaucoup plus limités. Aux articles faisant référence aux aspects artistiques, intellectuels et littéraires du rapprochement culturel nous devons ajouter les articles consacrés aux diverses activités sociales de la colonie canadienne de Paris et les textes exclusivement consacrés à la célébration de l’amitié franco-canadienne. Ils constituent respectivement 69 et 18 des 325 articles de notre échantillon. Les premiers sont composés des divers articles que Paris-Canada consacre à la vie des Canadiens à Paris, à la célébration de la fête de la Saint-Jean Baptiste, ainsi qu’aux diverses fêtes et banquets en l’honneur du Canada ou de Canadiens. Le nombre élevé de ces articles cache le fait qu’il s’agit surtout de petits résumés, d’invitations publiques et de listes de présence. Les seconds sont essentiellement composés des textes des différents discours patriotiques prononcés lors des commémorations et des fêtes franco-canadiennes. Le style particulier de ces allocutions, qui célèbrent à la fois les origines françaises, la survivance et les retrouvailles dans le cadre colonial britannique, nous oblige à en faire une catégorie à part. Prise dans son aspect le plus large, en y incluant les articles sur les activités de la colonie canadienne de Paris, la dimension culturelle couvre ainsi 46 % des articles de notre échantillon.
Le monde des lettres
Rapidement, la revue montre son intérêt pour le monde des lettres avec une chronique intitulé « Bibliographie ».134 Il s’agit d’abord de présenter en quelques lignes divers ouvrages pouvant intéresser le lecteur. Aux petits résumés de lecture des premières années s’ajoutent assez rapidement de véritables comptes rendus. Paris-Canada s’intéresse surtout aux livres sur l’histoire canadienne, mais également aux récits de voyage, aux ouvrages de poésie ainsi qu’aux romans. Il arrive aussi que l’on propose la lecture de divers petits ouvrages de morales destinés aux « jeunes filles » ou aux « mères de famille canadiennes ».135 Naturellement, la revue insiste sur les auteurs canadiens, mais les auteurs français et même anglais et américains y ont également leur place. Une attention toute particulière est consacrée aux livres traitant d’un aspect de la Nouvelle-France. Sans doute parce que l’on considère que le sujet, en rappelant l’étendue de la colonisation française en Amérique, est le plus à même de développer l’intérêt des Français pour le Canada. Mais aussi parce que l’histoire de la Nouvelle-France a alors un attrait considérable au Canada français.
Les ouvrages historiques. Les comptes rendus d’ouvrages historiques, loin d’être toujours complaisants, sont l’occasion de donner un point de vue canadien français sur l’histoire du pays. Ainsi ,le compte rendu par Eugène Réveillaud du livre The Fall of the New France de Gerard E. Hart conteste point par point les arguments de l’auteur concernant la nécessité de la déportation des Acadiens.136 Par contre, l’ouvrage de Thomas Chapais, Jean Talon, intendant de la Nouvelle France, tout à la gloire du personnage, s’attire une critique élogieuse.137 Cette dernière est accompagnée de longs extraits du livre qui prouvent que la Nouvelle-France, loin de n’être qu’un réservoir de ressources, était considérée comme le prolongement de la France en Amérique. On en profite pour faire remarquer la continuité qui existe entre la Nouvelle France d’hier et le Canada d’aujourd’hui dans lequel le Canadien français, « fier de son origine, fier de ses traditions, marche d’un pas assuré vers l’accomplissement de ses destinées providentielles »138. En plus de ces comptes rendus, Paris-Canada publie également de courtes études écrites par les principaux historiens du Canada. Par exemple, le 8 mars 1888, on publie une étude de Thomas Chapais au sujet d’une tentative du gouverneur de Boston en 1647 pour créer une union commerciale entre les États-unis et le Canada.139 En 1909, un article publié sur plusieurs numéros, « À travers l’histoire », de l’écrivain canadien Alfred Duclos De Celles, présente les principaux historiens canadiens ainsi que les grands axes de leurs recherches respectives.140 Tous ces articles et ces comptes rendus d’ouvrages consacrés au régime français constituent une sorte de célébration permanente des liens historiques qui existent entre la France et le Canada. Le lecteur, constamment ramené à l’époque où la France possédait un empire en Amérique, est bien forcé de reconnaître l’origine française des Canadiens. Devenus sujets britanniques, ils n’ont pas oublié leur passé français dont ils affirment avoir conservé le goût et l’esprit. Le compte rendu que Darbois consacre à L’histoire des États-Unis de A.D. De Celles dans le numéro du 1er février 1896 donne un bon exemple de la force et de la permanence de l’influence française sur la pensée des Canadiens :
L'histoire des États-Unis devait un jour ou l'autre tenter un écrivain canadien. […] En réalité, nos maîtres dans notre jeunesse ne nous ont rien appris que le vieux monde. Connaissaient-ils le nouveau ? Il est permis d'en douter. Washington, Jefferson, et encore ! Ils étaient absorbés par l’Antiquité, les Croisades, le Moyen-Âge, la Renaissance, par tout ce qui parle à l’imagination d’une façon si grandiose. Comment résister à cette fascination pour suivre le cours monotone d’une existence toute populaire, et le terne développement d’une démocratie puritaine à l’origine, bientôt sordide. Français, Latins, Classiques, Romantiques, nous n’avons pu y songer.141
Faire connaître les auteurs canadiens en France. Cette prédominance de l’esprit français sur la pensée des Canadiens est particulièrement visible dans les articles que Paris-Canada consacre à la littérature canadienne. Le monde des lettres constitue en effet un domaine propice à l’affirmation de la parenté culturelle entre les deux pays. D’une part, les courants littéraires et les auteurs français sont discutés au Canada, de l’autre, la littérature canadienne, surtout depuis l’attribution d’un prix Montyon de l’Académie française au poète Louis Fréchette en 1880, commence à être considérée comme un rameau de la littérature française.142 Les articles de la revue qui font l’éloge des auteurs canadiens n’ont rien pour dissiper cette impression d’une littérature canadienne puisant dans les modèles français. Lors de la publication des Feuilles Volantes de Louis Fréchette en 1891, la revue reproduit un article du Messager qui rappelle qu’en honorant l’auteur des Fleurs boréales, le gouvernement français « reconnaissait là un français de cœur »143. On ajoute tout de suite après : « Français, c’est la marque dominante de M. Fréchette, dont on relira toujours avec émotion, aussi bien sur les rives du Saint-Laurent, que sur celles de la Seine, et de la Loire, cette admirable pièce : Vive la France ! si simple et si touchante »144. Il est vrai que Louis Fréchette, influencé par l’œuvre de Victor Hugo au point d’en reprendre la forme, est un cas à part dans la littérature canadienne de l’époque. L’enthousiasme excessif de sa francophilie et son statut de poète national l’ont érigé au rang de porte-parole officieux de la littérature canadienne en France. À quelques exceptions près, les auteurs canadiens sont pourtant bien peu connus du public français. L’appui du commissariat et la publicité que leur offre sa revue sont certainement appréciés. La promotion de la littérature canadienne en France constitue certainement un aspect essentiel du rapprochement culturel souhaité par Hector Fabre. Ce dernier fait tout ce qui est en son pouvoir afin d’aider ses compatriotes à se faire connaître du public français. Paris-Canada accorde une telle importance aux écrivains et à la littérature canadienne que Daniel Chartier, dans son article consacré au commissariat, en parle comme de véritables « archives des relations littéraires France-Québec »145. Dès la première année, les pages de publicité contiennent une réclame de la librairie montréalaise « Fabre & Gravel », ainsi qu’une proposition d’abonnement aux « Nouvelles soirées Canadiennes »146. Contrairement à ce qui se passe avec les ouvrages d’histoire, les comptes rendus de romans et de poésies canadiens que publie la revue se consacrent beaucoup plus à présenter les auteurs qu’à véritablement critiquer l’œuvre. Hector Fabre se montre indulgent envers les faiblesses du poète Alfred Garneau, fils de François-Xavier, qui « hésitait à écrire de crainte de distraire l’attention de l’œuvre de l’historien du Canada »147. Darbois, un des plus fidèles collaborateurs de la revue, tient un temps une chronique nommée « Revue littéraire »148. Son goût pour les œuvres canadiennes ne lui fait pas perdre de vue le fait que ces ouvrages, s’ils ont le mérite de faire connaître le Canada, contiennent de nombreuses références qui peuvent échapper au lecteur français. Aussi, lorsqu’il présente L.-O. David il précise que ce dernier écrit d’abord pour son propre pays.149 En plus de ces comptes rendus, la revue publie à plusieurs reprises de courts textes ou des extraits d’œuvres canadiennes. Le mois de décembre 1899 apparaît comme un bon moment pour présenter de larges extraits d’un conte de Noël de Pamphile Le May.150 On souligne au passage la « malice normande » ainsi que l’influence des auteurs de roman populaire alsacien Erckmann et Chatrian sur le style de Le May.151 À une autre occasion, c’est l’intégralité d’un texte de A.D. De Celles sur la beauté du paysage des Milles Îles qui est publiée.152 Ces textes et comptes rendus montrent que les canadiens, même s’ils vivent et écrivent en Amérique, ont conservé le goût et l’esprit français. On insiste sur les références à la culture française et on compare les œuvres canadiennes à leurs vis-à-vis françaises. La présentation, dans le numéro du 10 février 1887, des membres et des recherches de la Société royale du Canada, organisation « modelée sur l’Académie française »153, va également dans ce sens. Notons toutefois que cette référence à ce qui constitue pour les Canadiens une véritable seconde mère patrie, culturelle celle-là, ne se fait pas sans complexe. À cet égard, l’éloge que Paris-Canada publie, sans doute sous la plume de Hector Fabre, lors de la mort de l’écrivain Joseph Marmette s’avère très révélateur. Marmette aurait tout simplement eu le malheur de vivre et d’écrire au Canada plutôt qu’à Paris :
Nous ne saurions laisser partir sans un mot de regret et un salut d’adieu l’excellent ami Marmette, qui vient de mourir à Ottawa, loin de ce Paris vers lequel ses yeux étaient constamment tournés. C’est ici qu’il aurait dû vivre et écrire. Dans ce milieu troublant son talent eût acquis son plein rayonnement. Il possédait les qualités qui font les bons romanciers, et nous voyons très bien la place qu’il aurait pu prendre non loin de Paul Féval. Sans avoir atteint son plein essor, il n’en laisse pas moins des œuvres pleines d’intérêts et qui lui survivront.154
Les ouvrages français sur le Canada. Reconnaître que les bords de la Seine font éclore davantage de talents que les rives du Saint-Laurent n’empêche pas les Canadiens de tourner en ridicule les écrivains français qui colportent des idées reçues et des clichés sur le Canada. Le traitement réservé aux livres français ayant un sujet canadien est sans doute l’aspect le plus intéressant des comptes rendus d’ouvrages français publiés par la revue. Ils sont l’occasion rêvée pour réfuter, souvent avec ironie, les exagérations et les lieux communs sur le Canada. L’étude que Sylvain Simard a consacrée à ces ouvrages montre bien que les années d’activité du commissariat canadien coïncident avec une nette augmentation de l’information disponible en France sur le Canada. Mais, si l’on en croit Paul Fabre, le fait que l’information sur le Canada provienne surtout de source américaine ou britannique conduit souvent à « une façon absurde de présenter les choses »155. Aussi, Paris-Canada se donne pour mission d’apporter un « correctif constant à ces exagérations malveillantes » en présentant le Canada « tel qu’il est ».156 Présenter le Canada tel qu’il est c’est d’abord réfuter un ancien préjugé hérité de la célèbre boutade de Voltaire sur les neiges du Canada. Un article de Darbois se moque gentiment du philosophe qui n’aimait pas le froid : « Il avait vu quelque part qu'il neigeait chez nous plus encore qu'en Suisse, cela lui suffisait, et, grelottant dans sa retraite de Ferney, il se détournait transi d'une contrée si froide »157. Toujours sur le climat rigoureux, Hector Fabre corrige l’auteur d’un récit de voyage qui a écrit : « Le compagnon d'un de mes cousins, établi dans le pays depuis quelques années, a eu l'oreille gelée pour avoir, certaine nuit, laisser éteindre son poêle »158. Hector Fabre répond du tac au tac : « Cela est à peu près aussi raide que si un Canadien voyageant en France écrivait : Un de mes compagnons de voyage, étant entré impunément chez Bignon, y est mort de faim »159. Ce genre de démonstration par l’absurde et l’humour se répète à quelques occasions. À un article à la géographie fantaisiste sur les lieux de villégiature au Canada publié dans Le monde illustré, on oppose un article tout aussi loufoque sur la station d'été d'Asnières.160 Les erreurs et les idées reçues liées au mode de vie des Canadiens français sont toutefois réfutées de façon bien plus sérieuse. Le compte rendu du récit de voyage de l'abbé Lacroix, que Hector Fabre qualifie de « Charmant ouvrage, […] où le faux se mêle encore une fois au vrai »161, fournit de bons exemples des préjugés français. L’auteur, visiblement enthousiasmé par la piété des religieux canadiens, décrit les sulpiciens qu’il a visités comme une communauté conservatrice qui n’a pas changé depuis le XVIIIe siècle. Fabre répond que le directeur du séminaire, l'abbé Colin, s’il possède les vertus traditionnelles de sa communauté, y ajoute également « toutes les qualités nouvelles du prêtre moderne »162. Lorsque l'abbé Lacroix veut attribuer le sens de la prudence aux Canadiens anglais et la celui de la finesse aux Canadiens français, Fabre rappelle que les deux peuples ont emprunté les qualités l’un de l’autre. L’erreur frise l’insulte lorsque l’auteur, réfléchissant sur le sens du monument élevé à la mémoire de Montcalm et Wolfe, qualifie le Canada de « patrie factice »163. Hector Fabre doit alors expliquer patiemment le sens particulier de la loyauté britannique des Canadiens français : « Nous avons appris, mieux que vous, non pas à ruser, mais à nous prêter aux arrangements honorables, aux compromis justes et nécessaires »164. Il assure que « La patrie que nous servons est bien réelle et vivante ; sans oublier l’autre, la grande, celle d’où nous sortons, nous l’aimons comme bien nôtre »165.
La littérature française au Canada. Modèle et source d’inspiration pour les auteurs canadiens, la littérature française constitue une part importante des liens culturels qui existent entre les deux pays. Bien davantage que par l’émigration ou le commerce, c’est par l’imprimé que la France est présente au Canada. Évidemment, les Canadiens ont, en ce domaine comme ailleurs, des goûts et une sensibilité qui leur sont propres. En 1894, Paul Fabre publie dans Paris-Canada un récit du voyage qu’il a fait au Canada en compagnie de quelques Français dont l’humoriste Alphonse Allais. Paul Fabre note que ce dernier « a été stupéfait de voir connus, cotés, des écrivains à peine appréciés à Paris »166. Cet étonnement peut évidemment être compris de plusieurs façons. Un commentaire publié à l’occasion d’une leçon sur Baudelaire et Verlaine donnée à l’université Laval par M. Léger nous donne plus de détails sur le rapport des Canadiens à la littérature française. L’auteur exprime une position ambivalente, faite à la fois d’admiration et de méfiance envers les auteurs qui s’écartent de la tradition littéraire. Il se réjouit que le public de Québec puisse assister à une leçon sur ce qu’il considère comme « la vraie poésie du XIXe siècle », mais il précise que « Le Canada se prête peu d’ordinaire à des initiatives intellectuelles aussi grandes ; ce ne sont pas des incursions dans un domaine littéraire aussi réservé qu’on attend de lui. Il s’en effraierait peut-être s’il en mesurait toute l’étendue ; il y a lieu en tout cas de ne les point multiplier ».167 L’article se termine par un éloge des poètes romantiques et de la tradition littéraire française qui « suffit à nos curiosités naissantes »168. Bien qu’il souhaite que l’on s’en tienne « au culte des idoles »169, l’auteur de ce commentaire n’en est pas moins très favorable à la tenue de cours de littérature française au Canada. Ce commentaire, ainsi que la reproduction de la leçon dans les pages de Paris-Canada permet en quelque sorte de montrer au lecteur français tout l’intérêt que les Canadiens portent à la littérature de France.
Cet intérêt, Paris-Canada en prend compte en publiant à plusieurs reprises des articles et des comptes rendus consacrés exclusivement aux lettres françaises. Par exemple, le 1er septembre 1896, une chronique signée Hugues Delorme s’indigne contre les « fossoyeurs indélicats » et « spéculateurs de la tombe de Paul Verlaine » qui ont publié à titre posthume Les invectives en rassemblant les plus mauvaises feuilles du poète.170 Toutefois, comme nous venons de le voir, la référence à la littérature française ne se fait pas sans prendre les précautions morales qui s’imposent. Quoi qu’il en soit, il est certain que ces articles sur la littérature française ou canadienne, permettent de compenser l’impression, parfois un peu trop rustique, laissée par les éloges de la vie de pionnier et les statistiques sur le rendement agricole des plaines de l’Ouest. Ils montrent que le Canada ne se limite pas à ses forêts et ses vastes territoires, les arts et la culture font également partie des préoccupations de sa population. Dans ces domaines, la France est toujours considérée comme la mère patrie des Canadiens français. En plus de ces articles sur le monde des lettres, Paris-Canada montre également un intérêt pour de nombreux autres domaines de la vie culturelle française.
Les variétés parisiennes
Dès le premier numéro, un article signé Foursin Escandre est consacré aux débuts sur la scène parisienne de l’actrice montréalaise Mme Robert171. Il mentionne que le Commissaire Fabre, ainsi que « Tous les Canadiens présents à Paris étaient venus entendre leur compatriote. […] dont le triomphe rejaillit sur tous et fait si grandement honneur au pays »172. L’article se poursuit par la description de deux tableaux du peintre canadien M. Percy Woodcock qui « lui ont valu de la part de plusieurs critiques, des éloges très flatteurs dans les journaux parisiens »173. Les intérêts artistiques de la revue, d'abord limités au succès des Canadiens, s’étendent aux variétés parisiennes à partir du 11 février 1893 lorsque Paul Fabre remplace Hector à la rédaction. Ami de l’humoriste français Alphonse Allais, Paul Fabre est intéressé par le milieu artistique du Paris de la « Belle Époque ». Il est lui-même le président d’une société artistique et mondaine nommée Le Gardénia.174 Paris-Canada publie régulièrement dans ses pages les invitations aux spectacles et banquets organisés par cet amusant petit groupe. Sous la direction de Paul Fabre, Paris-Canada se dote de plusieurs chroniques qui ne dépareraient pas une revue consacrée aux arts et à la culture parisienne. En voici les différents titres : « Revue littéraire », « Chronique parisienne », « Courrier des Théâtres » et « Notes de musique ».175 Quasiment tous les domaines de la vie culturelle parisienne sont ainsi représentés. Ces nouvelles chroniques constituent un changement important pour une revue qui, nous le rappelons, devait « faire connaître le Canada à la France, faire mieux connaître la France au Canada »176. En vérité, jusqu’à ce que Paul Fabre en prenne la direction, la revue se consacre presque entièrement à la première partie de cet objectif. L’ajout d’articles sur les arts de la scène, ainsi que d’une « Chronique parisienne », « que justifie pleinement, d'ailleurs, le titre de ce journal », vise donc à étoffer le contenu parisien de la publication.177
Le « capitaine Cap », personnage loufoque que Paul Fabre, le fils du commissaire, présenta à son ami, l’humoriste Alphonse Allais. Celui-ci le mit en scène dans de nombreuses nouvelles humoristiques. Paris-Canada, 1er janvier 1903, p. 8
Il est à noter que ce contenu parisien est essentiellement limité au domaine des arts et du spectacle. Il n’est que très rarement question de politique française dans les pages de Paris-Canada. Il est assez étonnant de n’y rencontrer aucune allusion à l’affaire Dreyfus ou au Boulangisme, questions qui devaient pourtant intéresser tous les Canadiens préoccupés du sort de la France. Il faut croire que la France que l’on veut faire connaître au Canada se résume aux plaisirs que peut offrir la ville de Paris aux voyageurs canadiens.
Un programme des différentes salles de spectacle de Paris précède maintenant les pages de publicité. D’ailleurs, les publicités pour le « Casino de Paris » et le « Nouveau théâtre » voisinent celles des concessions de terre gratuite par le gouvernement fédéral.178 Bien que ces chroniques disparaissent rapidement et que les sujets artistiques soient moins présents après la mort de Paul Fabre, la revue n’en continue pas moins de fournir des informations sur les actualités culturelles de la ville de Paris. Ce double intérêt porté à la colonisation canadienne et aux variétés parisiennes peut à première vue sembler quelque peu paradoxal. Mais en définitive, et même si la partie parisienne se limite aux variétés, la revue ne fait qu’être fidèle à sa mission de trait d’union entre les deux pays. L’intérêt de Paris-Canada pour la littérature et les variétés montre bien que la France, et plus particulièrement la ville de Paris, est avant tout considérée comme une métropole culturelle par les Canadiens. C’est d’ailleurs en raison de ce statut de centre de la culture française, à laquelle s’identifient les Canadiens français, que la ville de Paris abrite alors toute une colonie d’artistes et d’étudiants canadiens dont Paris-Canada se fait l’écho.
Les Canadiens à Paris
Paris-Canada, « organe international des intérêts canadiens et Français » pourrait tout aussi bien porter le sous-titre « organe officiel de la colonie canadienne de Paris » tant elle renferme d’informations sur les différentes activités des résidants canadiens de la métropole française. Ces informations se trouvent principalement dans des rubriques nommées « Notes diverses » ou « Échos », ainsi que dans la rubrique « les Canadiens à Paris » qui apparaît en 1889. Dans l’article qu’il consacre à Paris-Canada, Daniel Chartier considère que cette rubrique, qui donne la liste des Canadiens inscrits au commissariat, constitue l’un des aspects les plus intéressants de la revue. À son avis la « mise en relation de cette liste avec celle des hôtes parisiens permettrait de mieux comprendre l’étendue des réseaux interpersonnels franco-québécois qui sont souvent à la base des échanges entre les deux pays ».179 Ce vaste champ encore peu exploré par les historiens mériterait qu’une étude lui soit directement consacrée. Cette rubrique constitue en effet une véritable base de données pour le chercheur qui s’intéresse aux allées et venues des Canadiens en France. Pour notre part nous devons nous contenter d’en faire un rapide survol. Il n’est pas surprenant de constater que les mêmes noms reviennent fréquemment sur la liste des inscrits au commissariat. Après tout, les Canadiens qui voyagent en France forment alors un petit groupe de privilégiés pour la plupart issus de la bourgeoisie montréalaise francophone. En plus de leurs noms, la revue fournit l’adresse et, s’il y a lieu, l’itinéraire de voyage des Canadiens en Europe. Par exemple, nous apprenons dans le numéro du 15 juin 1895 que M. Beaugrand fait une saison au Mont-Dore et que P. Beaubien ainsi que plusieurs autres Canadiens sont actuellement en Italie.180 C’est dans cette rubrique que sont le plus souvent mentionnés les succès des étudiants et des artistes canadiens en France. On mentionne, outre leurs allées et venues entre la France et le Canada, le lieu où l’on peut admirer leurs œuvres ainsi que les critiques positives qu’ils ont reçues de la presse française. L’on apprend ainsi l’exposition aux Champs-Élysées de deux portraits du peintre Dubé et celle de plusieurs dessins de M. Jobson Paradis au Salon du Champ-de-Mars.181 Par le biais de cette rubrique, Paris-Canada adresse fréquemment des félicitations aux étudiants canadiens qui repartent au pays une fois leur formation complétée. Il arrive même, comme dans le cas du docteur Joseph Masson, reçu à la Faculté catholique de médecine de Lille, qu’un article soit directement consacré au succès d’un étudiant canadien.182 Il faut dire que les étudiants forment un élément particulièrement actif du petit groupe formé par les Canadiens installés à Paris. Ils organisent, sous le patronage de Hector Fabre, les fêtes de la Saint-Jean de 1892183 et prennent l’initiative en 1897 d’un banquet en l’honneur du français franc-maçon et ami du Canada Louis Herbette184. Mentionnons au passage que la revue contient également de nombreux faits divers sans véritable importance liés à la vie des Canadiens en France. Par exemple, la décision de décerner la médaille de la société de sauvetage au peintre canadien M. L-T. Dubé pour avoir évité la noyade à deux Parisiennes.185 Plus important, la rubrique « les Canadiens à Paris » constitue un moyen efficace pour donner des indications utiles aux Canadiens résidant à Paris, sur les moyens de faire suivre leur courrier par le commissariat par exemple.186 C’est également dans cette rubrique que sont annoncées les activités pouvant intéresser les Canadiens de Paris. On y trouve des invitations pour des conférences, pour des expositions d’œuvres canadiennes, ainsi que le compte rendu des réunions mensuelles de La Boucane, cercle des Canadiens de Paris, définit par son président comme « un pied-à-terre pour les Canadiens de passage en France »187.
Les associations et les liens individuels entre Français et Canadiens. Les réunions de cette association, ouvertes à tous les Canadiens et amis du Canada, se tiennent une fois par mois au café Fleurus, au Café Voltaire ainsi que dans divers autres établissements parisiens. Les artistes Philippe Hébert et Suzor-Coté en sont les plus fidèles animateurs, mais on peut également relever la présence de plusieurs autres personnalités canadiennes et françaises comme l’abbé Casgrain, Edmond de Nevers, Édouard Montpetit, le français Louis Herbette et, naturellement, les Fabre père et fils. On y donne des conférences sur des sujets canadiens et ses membres organisent parfois des petits concerts improvisés où l’on chante des morceaux de compositeurs canadiens.188 Cette association n’est pas la seule à regrouper les Canadiens de Paris. En effet, Paris-Canada donne des informations sur de nombreuses autres associations plus ou moins formelles et éphémères qui sont peu ou pas connues de nos jours. On apprend ainsi, sans en connaître davantage, qu’une société regroupant les Canadiens de Paris est fondée le 9 septembre 1896 dans les locaux du commissariat.189 Nous en savons un peu plus sur l’association La Canadienne que son président d’honneur, Louis Herbette, a fait placer sous le patronage de l’Alliance française dont elle utilise les locaux.190 Paris-Canada mentionne d'ailleurs l’Alliance française lorsque ses membres expriment le souhait que la France participe au cinquantenaire de l’université Laval.191 Paris-Canada permet également de connaître les différentes associations françaises fréquentées par les Canadiens. La revue mentionne entre autres les réunions de la société littéraire normande La Pomme192ainsi qu’un dîner de la Fédération bretonne de Paris193dont la présidence d’honneur est confiée à Israël Tarte. Dans ces deux cas précis, il s’agit de rencontres favorisées par l’importance de ces régions dans le peuplement de la Nouvelle-France. Les comptes rendus des rencontres de ces différentes associations nous permettent de retrouver de nombreuses traces des amitiés qui se sont nouées entre Français et Canadiens. Paris-Canada constitue en quelque sorte un véritable carnet mondain des Canadiens de Paris. Le dépouillement complet des comptes rendus des différentes réunions permettrait de savoir de façon précise les Canadiens qui se sont fréquentés à Paris et le nom des Français qu’ils ont fréquentés lors de leurs séjours.
Groupe Canadiens à Paris. Le Monde illustré, 12 septembre 1896, p. 311
La revue fournit de nombreux exemples de la vitalité de ces liens d’amitié. Elle suit la carrière des Français qui, d’une façon ou d’une autre, sont liés au Canada. Paul Le Cardonnel, l'architecte français qui a conçu le monument Champlain, est ainsi mentionné à plusieurs reprises.194 Elle publie des extraits de correspondance, comme celle de l’académicien Jules Simon qui remercie le secrétaire provincial de Québec, M. Blanchet, pour l’envoi du tome IV de la collection des manuscrits relatifs à la Nouvelle-France.195 La revue mentionne avec fierté que l’écrivain Maurice Barrès a offert un exemplaire de son dernier livre aux classes populaires de la province de Québec en lui ajoutant la dédicace suivante : « Aux Canadiens français, qui témoignent de la puissance de notre race »196. La plupart des événements ayant un rapport, même lointain, avec le rapprochement culturel franco-canadien y figurent. Chaque fois, la revue en profite pour souligner la profondeur des liens d’amitié et de sympathie qui existent entre les deux peuples. Ces liens prennent un aspect bien plus spectaculaire lors des nombreuses fêtes franco-canadiennes qui émaillent le début du XXe siècle.
Rubrique « Les Canadiens à Paris », dans laquelle la revue donne les adresse des canadiens de passage ; elle annonce aussi les activités de « La Boucane », le cercle des Canadiens de Paris. Paris-Canada, 1er juin 1900, p. 3.
Les visites d’hommes politiques et les fêtes franco-canadiennes. Nous pouvons, sans risque de nous tromper, affirmer que ces fêtes constituent la suite logique des nombreux liens individuels qui se sont noués entre Canadiens et Français dans le dernier quart du XIXe siècle. Apothéose du rapprochement culturel entre la France et le Canada, les fêtes données à Honfleur et à La Rochelle en souvenir de Champlain, les visites d’hommes politiques canadiens en France et, surtout, les fêtes du tricentenaire de Québec, sont l’occasion de célébrer à la fois le passé, le présent et l’avenir des Canadiens français. La revue Paris-Canada publie à chaque fois un compte rendu très complet de l’événement. Nous y retrouvons habituellement une description précise de la cérémonie, une liste des personnes présentes et, bien entendu, le texte des différents discours prononcés lors de l’événement. Ces derniers, accompagnés de formules ampoulées si caractéristiques de l’éloquence de l’époque, sont l’occasion idéale, pour les Français comme pour les Canadiens, de rappeler les liens historiques et culturels qui existent entre les deux peuples. Nous y retrouvons la plupart des grands thèmes chers aux Canadiens français ; c'est-à-dire le passé français de la colonisation de l’Amérique, la loyauté à la couronne britannique et la permanence de l’esprit français dans le Canada contemporain. Ces discours, bien davantage que tous les autres articles publiés par la revue, font une large place à l’aspect émotif et sentimental des retrouvailles franco-canadiennes. Le discours du Sénateur Mascuraud, président du Comité républicain du Commerce, de l’Industrie et de l’Agriculture, qui devait être prononcé lors d’un banquet en l’honneur de Laurier en 1907 constitue un exemple éloquent :
Vos noms seuls, le vôtre surtout, Monsieur Laurier, en même temps qu’il fait résonner aux oreilles françaises un écho de victoire et de gloire, évoque en nos âmes un long passé de chers souvenirs. […] Là-bas vécurent et agirent, là-bas s’immortalisèrent Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Frontenac, le chevalier de Lévis, le marquis de Vaudreuil et ce pur héros qui se nomme Montcalm. […] Voilà pourquoi, Messieurs, la sympathie cordiale que les Français éprouvent pour les plus notables parmi les fils de l’Angleterre se pénètre encore, quand il s’agit des Canadiens français, d’une sorte de tendresse fraternelle.197
Le fait que ce banquet, annulé par le départ précipité de Laurier pour l’Angleterre, n’existe que dans les pages de Paris-Canada, n’enlève rien à la nature des propos du discours du Sénateur Mascuraud. Les fêtes et banquet en l’honneur des Canadiens ont, comme dans ce cas, des allures de commémoration du passé de la Nouvelle-France. Il s’agit de montrer que les Canadiens, malgré l’épisode de la Conquête et la loyauté à la couronne britannique, appartiennent toujours à la grande famille française. L’usage du terme « tendresse fraternelle » est évidemment loin d’être innocent. La métaphore familiale est effectivement abondamment utilisée lors de ces événements. Cela tant du côté français que canadien.
Celle-ci peut même revêtir un caractère concret. La visite de Mercier en 1891 dans la ville de Tourouvre est entièrement motivée par son désir de connaître le village et les descendants de ses ancêtres. Paris-Canada publie à cette occasion une lettre d’un compagnon de voyage de Mercier, l'abbé Gosselin, qui le décrit comme « un enfant de famille qui revient visiter le pays de ses aïeux après une longue absence ».198 L’enthousiasme de la population est délirant. Toute la ville se presse pour accueillir Mercier lors de son arrivée. Des feux d’artifice sont organisés et les enfants poussent des cris de joie « Vive la France ! Vive le Canada ! Vive monsieur le ministre »199. Sans atteindre la même intensité, les autres étapes du voyage de Mercier ne laissent pas les Français indifférents non plus. L'abbé Gosselin mentionne que les discours de Mercier « trouvent de l’écho dans tous les cœurs vraiment français » et qu’il s’adresse à la population comme à des « compatriotes »200. C’est bien toujours l’appartenance des Canadiens français à la famille française, par les ancêtres ou par l’esprit, qui est célébré.
La métaphore familiale est encore utilisée lors des fêtes de Champlain à La Rochelle en 1893. M. Deforge, qui en est l’un des organisateurs, commence son discours ainsi : « Les Rochelais vous ont convié à une fête modeste, sans attaches officielles, toute de sympathie et de souvenir, à une véritable réunion de famille. »201. Hector Fabre, qui assiste à cet événement, accorde une grande importance à ces fêtes et plus particulièrement aux visites d’hommes politiques canadiens en France. Après tout, c’est grâce au voyage d’un homme politique, celui du premier ministre québécois Adolphe Chapleau en 1880, que le Canada a véritablement renoué avec la France. Fabre rappelle ce fait lors de son discours : « C'est à M. Chapleau que nous devons la reprise des relations entre les deux pays, suspendues pendant plus d'un siècle, et il m'a associé, dès le début, à son oeuvre »202. Quelques années plus tard, en juillet 1907, après avoir constaté les effets positifs de la visite du premier ministre Laurier sur l’image du Canada en France, Hector Fabre se livre à un véritable plaidoyer en faveur des rencontres entre hommes politiques des deux continents :
Et qui a opéré ce changement, […] sinon les voyages de plus en plus fréquents, de nos hommes politiques, orateurs et littérateurs, en Europe, sinon leur contact avec leurs pairs d’ici ? Ils ont donné une impression sensible et durable de ce que nous sommes ; du langage que nous parlons, des idées et des conceptions qui nous sont habituelles, des traditions qui nous sont chères, des aspirations que nous étendons au loin et comme à perte de vue. C’est ainsi qu’on peut dire que les Canadiens de toute marque ne sauraient trop souvent traverser l’Atlantique. En particulier, le temps que nos hommes publics distraient de cette façon de la politique locale est, dans une certaine mesure, aussi bien employé que celui qu’ils donnent aux affaires courantes.203
« On verra bien que nous sommes Canadiens, et seulement Canadiens ». À propos du second séjour de Laurier en France. Paris-Canada, 1er juillet 1907, p. 1
Hector Fabre termine son éditorial par une phrase qui en dit long sur l’objectif qu’il poursuit : « On verra bien que nous sommes Canadiens, et seulement Canadiens »204. Comme nous pouvons le constater, Hector Fabre est loin de limiter le rôle des visites d’hommes politiques canadiens en France à l’impact qu’ils peuvent avoir sur le dossier des relations franco-canadiennes. Ces visites, qu’il considère aussi importantes que la politique intérieure, font connaître le Canada, et, par le fait même, contribuent à la reconnaissance internationale du Dominion. Mais cela constitue déjà la matière de notre prochain chapitre.
La rencontre entre la France et le Canada à la fin du XIXe tient à la fois d’un désir de reconnaissance de la part de province de Québec et d’un intérêt renouvelé de la France pour son ancienne colonie. Cette rencontre tient bien plus du lien affectif que de la véritable communauté d’intérêts. C’est parce qu’ils ont conscience de partager la même histoire, la même culture, la même langue et, finalement, selon la métaphore habituelle, d’être de la même famille, que des liens se créent entre Canadiens et Français. Alors que les relations culturelles bénéficient de ce lien affectif, il en va tout autrement du commerce et de l’immigration. Ces domaines plus pragmatiques des relations entre états doivent en effet composer avec des obstacles difficiles à surmonter. La distance, la difficulté du transport des marchandises et la non-complémentarité des économies ne permettent pas l’existence d’un commerce important. La législation française impose de sévères limitations au recrutement d’émigrants français. Dans ces conditions, les relations culturelles, marquées de part et d’autre par le patriotisme et le colonialisme, constituent le seul domaine où les relations franco-canadiennes peuvent connaître un réel succès.
Aussi, il n’y a rien de surprenant à ce que la dimension culturelle du rapprochement franco-canadien, constitue, bien plus que les intérêts économiques, le thème dominant de la revue du commissariat canadien. Évidemment, cela ne signifie en aucun cas que Paris-Canada néglige la promotion de l’émigration et du commerce français. Bien au contraire. Nous avons vu que le commerce, l’immigration et les liens culturels sont largement interdépendants les uns des autres. Ils se justifient mutuellement. L’émigration et le commerce doivent venir renforcer les liens culturels sur lesquels repose déjà la légitimité du rapprochement franco-canadien. La prépondérance des articles sur les liens culturels, l’histoire, la littérature et les liens individuels entre Canadiens et Français s’explique par une stratégie délibérée de la part du commissariat canadien. Le commissaire Fabre espère sans doute que la France, émue par le souvenir des luttes héroïques de son ancienne colonie et regrettant sa perte aux mains des Anglais, se montre favorable au recrutement d’émigrants et à l’intensification des liens commerciaux. Stratégie que semblent justifier les articles favorables au Canada repris par la revue dans la presse française et les discours prononcés par des personnalités françaises lors des fêtes et banquets célébrant l’amitié franco-canadienne. Insister sur la vitalité et la pérennité des liens culturels et historiques constitue ainsi pour la revue le meilleur moyen de justifier un rapprochement commercial. Cependant, nous avons observé que la nécessité d’émouvoir les Français en insistant sur l’histoire de la Nouvelle-France a également pour effet de promouvoir une image fausse, tournée vers le passé, du Canada. Force est de constater que les efforts de Paris-Canada afin de corriger cette impression en donnant à ses lecteurs une image moderne et dynamique du Canada n’eurent que peu d’effet sur le commerce et l’émigration française. Lors de cette période, et pour plusieurs années encore, les sentiments dominent les intérêts. L’importance que la revue consacre à la littérature, aux arts et aux spectacles montre bien que la France constitue une référence culturelle bien avant d’être un partenaire économique. Il n’en demeure pas moins que Paris-Canada, fidèle à la mission du commissariat, a certainement contribué à faire connaître le potentiel économique et les opportunités offertes par cette jeune nation en devenir. Aussi, Paris-Canada, malgré le peu de moyens du commissariat, remplit parfaitement l’objectif fixé par Hector Fabre lors de son 1er éditorial de « faire connaître le Canada à la France »205. Nous verrons dans le prochain chapitre que cet objectif comprend également un volet politique des plus importants.
Notes
1 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.
2 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 1.
3 Jean Hamelin, « Québec et le monde extérieur 1867-1967 », dans Martin Yves et Denis Turcotte (dir.), Le Québec dans le monde : texte et document 1, Sainte-Foy, Québec dans le monde, 1990, p. 109.
4 Ibid., p. 110.
5 Bernard Pénisson, « L’émigration française au Canada 1882-1929», dans L’émigration française : étude de cas Algérie-Canada-Etats-Unis, Paris, Société française d’histoire d’outre mer, Publication de la Sorbonne, 1985, p. 51.
6 Ibid., p. 87.
7 Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec : 1896-192, Montréal, Fides, 2004, p. 31.
8 Pénisson, « L’émigration française au Canada 1882-1929», loc. cit., p. 96.
9 Rapport annuel du ministère de l’intérieur pour l’année 1904-1905, p. 31, cité par Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec : 1896-1929,op. cit., p. 31.
10 Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain : de la confédération à la crise (1867-1930), Québec, Boréal Compact, Tome 1, 1989, p. 36.
11 Savard, Le consulat général de France à Québec et à Montréal 1859-1914, op. cit., p. 85.
12 Trépanier, « Rameau de Saint-père, la France et la vie intellectuelle en Amérique française » loc. cit.,p. 292.
13 Lettre au président de la société française de colonisation (Juillet 1884), citée par Maurice Guénard-Hodent, La tradition renouée. Les relations entre la France et le Canada depuis soixante années, Paris, Éditions Paris-Canada, 1930, p. 8.
14 Pierre Savard attribue cette tolérance à un désir de ne pas heurter le sentiment national des Canadiens français (Savard, Le consulat général de France à Québec et à Montréal 1859-1914, op. cit., p. 87).
15 Pénisson, « L’Émigration française au Canada 1882-1929 », loc. cit., p. 57.
16 Cette intensification de la propagande canadienne est relatée par Raoul Dandurand dans ses Mémoires. Marcel Hamelin (éd.), Raoul Dandurand le sénateur diplomate : Mémoires 1861-1942, Québec, Presses de l’Université Laval, 2000, 2e éd., p. 136.
17 Ibid., p. 14.
18 Ibid.
19 Pierre Savard donne de nombreux exemples de l’attitude hostile des consuls et du gouvernement français envers la propagande canadienne (Savard, Le consulat général de France à Québec et à Montréal 1859-1914, op. cit., p. 87).
20 Pénisson, « L’Émigration française au Canada 1882-1929 », loc. cit., p. 65.
21 Paris-Canada, 10 décembre 1884, p. 7.
22 Paris-Canada, 1er décembre 1906, p. 5.
23 Paris-Canada, 10 décembre 1884, p. 2.
24 Paris-Canada, 1er septembre 1887, p. 3.
25 Paris-Canada, 10 décembre 1884, p. 1.
26 Ibid.
27 Paris-Canada, 15 avril 1904, p. 5.
28 Paris-Canada, 1er novembre 1889, p. 8.
29 Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 4.
30 Paris-Canada, 15 décembre 1899, p. 1.
31 Ibid.
32 Paris-Canada, 1er octobre 1904, p. 4.
33 Paris-Canada, 1er septembre 1896, p. 2.
34 Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 2.
35 Paris-Canada, 1er septembre 1887, p. 3.
36 Ibid.
37 Paris-Canada, 10 décembre 1884, p. 1.
38 Ibid.
39 Paris-Canada, 26 août 1886, p. 4.
40 Paris-Canada, 15 mars 1897, p. 5.
41 Ibid.
42 Paris-Canada, 20 Janvier 1886, p. 3.
43 Paris-Canada, 1er juillet 1889, p. 4.
44 Paris-Canada, 15 mai 1899, p. 7.
45 Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 4.
46 Paris-Canada, 8 mars 1888, p. 2.
47 Paris-Canada, 18 juin 1892, p. 2.
48 Paris-Canada, 1er septembre 1887, p. 3.
49 Paris-Canada, 18 octobre 1888, p. 5.
50 Pénisson, « L’Émigration française au Canada 1882-1929 », loc. cit., p. 60
51 Ibid.
52 Paris-Canada, 20 janvier 1886, p. 3.
53 Ibid.
54 Paris-Canada, 1er mai 1905, p. 4.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Paris-Canada, 20 janvier 1886, p. 7.
60 Paris-Canada, 5 mai 1899, p. 1.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 1.
65 Ibid.
66 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.
67 Pénisson, « Les relations commerciales franco-canadiennes 1880-1914 », loc. cit., p. 64.
68 Ibid., p. 66.
69 Jean Vinant, De Jacques Cartier à Péchiney : Histoire de la coopération économique franco-canadienne, Paris, Chotard & associés éditeurs, 1985, p. 55.
70 Guénard-Hodent, op. cit., p. 13.
71 Pénisson, « Les relations commerciales franco-canadiennes 1880-1914 », loc. cit., p. 53.
72 Guénard-Hodent, op.cit., p. 15.
73 Philippe Prévost, Les relations franco-canadiennes de 1886 à 1911, Mémoire de maîtrise, Paris,Université de Paris-Sorbonne, 1984, p. 126.
74 Pénisson, « Les relations commerciales franco-canadiennes 1880-1914», loc. cit., p. 63.
75 Ibid., p. 61.
76 Prévost, op. cit., p. 99.
77 Prévost, op.cit, p. 119, 141.
78 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.
79 Paris-Canada, 15 juillet 1885, p. 2.
80 Guénard-Hodent, op. cit., p. 5.
81 Il arrive que Paris-Canada publie les articles des consuls français sur le sujet. Comme celui de Henry Dallemagne dans le numéro du 15 janvier 1908, p. 2.
82 Ibid., p. 34.
83 Paris-Canada, 15 juillet 1885, p. 2.
84 Paris-Canada, 15 juillet 1901, p. 2.
85 Paris-Canada, 15 juillet 1885, p. 2.
86 Pénisson, « Les relations commerciales franco-canadiennes 1880-1914 », loc. cit., p. 45.
87 Ibid.
88 Ibid.
89 Paris-Canada, 15 novembre 1905, p. 2.
90 Pénisson, « Les relations commerciales franco-canadiennes 1880-1914 », loc.cit, p. 70.
91 Paris-Canada, 26 août 1893, p. 2.
92 Paris-Canada, 1er avril 1898, p. 1.
93 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 1.
94 Paris-Canada, 1er juin 1900, p. 1.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 Paris-Canada, 15 juillet 1901, p. 3.
98 Ibid.
99 Paris-Canada, 11 février 1893, p. 1.
100 Ibid.
101 Paris-Canada, 26 août 1893, p. 2.
102 Paris-Canada, 15 juillet 1885, p. 2.
103 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 1.
104 Ibid.
105 Ibid.
106 Paris-Canada, 1er avril 1898, p. 1.
107 Paris-Canada, 1er novembre, 1898, p. 2.
108 Ibid.
109 Paris-Canada, 1er septembre 1896, p. 4.
110 Paris-Canada, 15 avril 1904, p. 2.
111 Paris-Canada, 15 janvier 1908, p. 4.
112 Paris-Canada, 1er octobre 1904, p. 2.
113 Paris-Canada, 1er mai 1905, p. 1.
114 Paris-Canada, 15 janvier 1908, p. 1.
115 Paris-Canada, 15 janvier 1909, p. 1.
116 Ibid.
117 Au sujet des liens de la famille Bossange avec les Canadiens, voir Anthony Grolleau-Fricard, « Le réseau Bossange dans trois récits de voyage », dans Lamonde (dir.), La Capricieuse (1855), op. cit., p. 37- 71.
118 Simard, op. cit., p. 18.
119 Guénard-Hodent, op. cit., p. 9.
120 Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques (dir.), La vie littéraire au Québec, Tome 4, Sainte-foy, PUL, 1999, p. 474.
121 Sur les liens de Rameau de Saint-père et le Canada voir Pierre Trépanier, « Rameau de Saint-père, la France et la vie intellectuelle en Amérique française », dans Lamonde (dir.), La Capricieuse (1855), op. cit., p. 285- 305.
122 Lemire et Saint-Jacques (dir.), La vie littéraire au Québec, op. cit., p. 472.
123 Ibid.
124 Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques (dir.), La vie littéraire au Québec, Tome 5, Sainte-Foy, PUL, 2005, p. 438.
125 A ce sujet voir Pierre Hébert, « La littérature Canadienne-française en France vers 1880-1890 : la création d’une colonie intellectuelle », dans Cécile Cloutier-Wojciechowska et Réjean Robidoux (dir.), Solitude rompue, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1986, p. 166-175.
126 Gérard Parizeau, La chronique des Fabre, Montréal, Fides, 1978, p. 158.
127 Pierre Savard, « Les Canadiens français et la France de la cession à la révolution tranquille», dans Paul Painchaud (dir.), Le Canada et le Québec sur la scène internationale, Montréal, PUQ, 1977, p. 482.
128 Parizeau, op. cit., p. 176.
129 Maurice Guénard-Hodent, op. cit., p. 12.
130 Au sujet des voyages de Laurier voir Maurice Dupasquier, Les répercussions des voyages de Laurier en France , 1897 et 1902, dans la presse québécoise, Thèse Ph.D,Québec, Université Laval, 1967.
131 Armand Yon, Le Canada français vu de France (1830-1914), Québec, PUL, 1975, p. 191.
132 Ibid., p. 194.
133 Daniel Chartier, « Hector Fabre et le Paris-Canada au cœur de la rencontre culturelle France-Québec de la fin du XIXe siècle », Études françaises, vol. 32, no 3, 1996, p. 52.
134 Paris-Canada, 26 août 1886, p. 6.
135 Paris-Canada, 15 septembre 1894, p. 3.
136 Paris-Canada, 18 octobre 1888, p. 3.
137 Paris-Canada, 1er octobre 1904, p. 1-2.
138 Ibid., p. 2.
139 Paris-Canada, 8 mars 1888, p. 2.
140 Paris-Canada, 15 janvier 1909, p. 3.
141 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 3.
142 Hébert, « La littérature Canadienne-française en France vers 1880-1890 », loc. cit., p. 167.
143 Paris-Canada, 5 décembre 1891, p. 3.
144 Ibid.
145 Chartier, loc. cit., p. 57.
146 Paris-Canada, 10 décembre 1884, p. 7-8.
147 Paris-Canada, 1er décembre 1906, p. 5.
148 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 3.
149 Ibid.
150 Paris-Canada, 15 décembre 1899, p. 2.
151 Ibid.
152 Paris-Canada, 15 septembre 1903, p. 4.
153 Paris-Canada, 10 février 1887, p. 3.
154 Paris-Canada, 15 juin 1895, p. 3.
155 Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 1.
156 Ibid.
157 Paris-Canada, 1er janvier 1901, p. 3.
158 Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 1.
159 Ibid.
160 Paris-Canada, 15 septembre 1903, p. 4.
161 Paris-Canada, 15 juin 1895, p. 1.
162 Ibid.
163 Ibid.
164 Ibid.
165 Ibid.
166 Paris-Canada, 15 septembre 1894, p. 1.
167 Paris-Canada, 15 avril 1904, p. 4.
168 Ibid.
169 Ibid.
170 Paris-Canada, 1er septembre 1896, p. 3.
171 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 6.
172 Ibid.
173 Ibid.
174 Le Gardénia compte parmi ses membres, outres des Canadiens installés à Paris, de nombreux habitués du Chat noir tel que Alphonse Allais, George Auriol, Capitaine Cap, Paul Delmet, Jean-Louis Dubut de Laforest, Jacques Ferny, Maurice O’Reilly, Hugues Delorme, Georges Fragerolle, ainsi que Georges Courteline et plusieurs autres. C’est lors d’une soirée de théâtre du Gardenia que Alphonse Allais fait la rencontre d’un jeune homme excentrique, le Capitaine Cap, qu’il va mettre en scène dans plusieurs de ses nouvelles humoristiques. Voir François Caradec, Alphonse Allais, Paris, Belfond, 1994, p. 311.
175 Ces chroniques ne furent pas publiées très longtemps. Nous les retrouvons uniquement dans les numéros du 1er février 1896 et du 15 mars 1897 de notre échantillon.
176 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.
177 Paris-Canada, 1er février 1896, p. 6.
178 Paris-Canada, 11 février 1893, p. 4.
179 Chartier, loc. cit., p. 57.
180 Paris-Canada, 15 juin 1895, p. 3.
181 Ibid.
182 Paris-Canada, 6 juin 1891, p. 1.
183 Paris-Canada, 18 juin 1892, p. 1.
184 Paris-Canada, 15 mars 1897, p. 3.
185 Paris-Canada, 15 septembre 1894, p. 2.
186 Paris-Canada, 15 février 1902, p. 3.
187 Paris-Canada, 15 janvier 1909, p. 4.
188 Paris-Canada, 1er juin 1900, p. 3.
189 Paris-Canada, 1er septembre 1896, p. 6.
190 Paris-Canada, 15 avril 1904, p. 4.
191 Paris-Canada, 15 février 1902, p. 2,
192 Paris-Canada, 26 août 1886, p. 2.
193 Paris-Canada, 1er juin 1900, p. 1.
194 Paris-Canada, 1er avril 1898, p. 1.
195 Paris-Canada, 15 Juillet 1885, p. 2.
196 Paris-Canada, 15 septembre 1903, p. 1.
197 Paris-Canada, 1er juillet 1907, p. 3.
198 Paris-Canada, 6 juin 1891, p. 2.
199 Ibid., p. 3.
200 Ibid.
201 Paris-Canada, 26 août, 1893, p. 3.
202 Ibid., p. 2.
203 Paris-Canada, 1er juillet 1907, p. 1.
204 Ibid.
205 Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.