La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle

Chapitre 4. Présenter le Canada : autonomie et statut colonial

Table des matières

Bien que les relations avec la France, économique et culturelle, constituent la majorité des articles de Paris-Canada, ce sont les sujets politiques qui font le plus souvent la une de la revue. En effet, 33 des 78 articles placés en première page dans notre échantillon traitent d’un sujet ou d’une question politique. Nous avons dénombré un total de 65 articles dont le sujet principal est la politique. L’immense majorité de ces articles sont de la plume du commissaire Fabre. Celui-ci revient fréquemment sur l’actualité politique canadienne dans ses éditoriaux. Il y développe sa propre vision de la fédération et de l’avenir de la nation canadienne. Les opinions du commissaire canadien occupent donc une place importance dans ce chapitre. Son avis sur les liens du Canada avec les États-unis et l’Empire britannique s’avère particulièrement intéressant. Nous voulons démontrer que Paris-Canada, et, plus particulièrement, les éditoriaux de Fabre, ont pour objectif de faire connaître le Canada, non pas uniquement en tant que colonie britannique, mais comme une nation autonome qui a sa place parmi les autres nations du monde. Nous allons d’abord tracer un portrait de la nation canadienne telle qu’elle est présentée au public français par le commissaire canadien. Quelles sont, selon lui, les caractéristiques de cette nouvelle nation ? Quelle place y occupe le Canada français ? Nous abordons ensuite la question des relations extérieures du Dominion avec les États-unis et la Grande Bretagne. Ces questions prennent une importance grandissante à la fin du XIXe siècle alors que le Canada et les États-unis connaissent de nombreux conflits et que les discussions au sujet de la fédération impériale posent la question de l’étendue des liens avec l’Empire britannique.

Le Canada vu par Fabre

La politique canadienne constitue un domaine privilégié des actualités de la revue Paris-Canada. Il n’est pas rare que le commissaire prenne la plume pour expliquer à ses lecteurs les subtilités du fédéralisme, la différence entre les partis politiques, ou, tout simplement pour présenter un homme politique qu’il connaît souvent personnellement. Il faut dire que Hector Fabre, qui fut candidat libéral avant d’être sénateur puis commissaire canadien à Paris, n’a jamais véritablement quitté le monde de la politique canadienne. Aussi, pratiquement tous les éditoriaux de Fabre contiennent au moins quelques lignes sur ce qui se passe à Ottawa ou à Québec. Il ne s’agit pas ici de relever tous les sujets de politique canadienne mentionnés dans notre échantillon, mais bien de tracer les grandes lignes du portrait politique du pays tel qu’il se présente dans la revue. En substance, nous cherchons à connaître la réponse de Paris-Canada à la question : Qu’est-ce que la nation canadienne ?

Le Canada français : liberté et loyauté

Il va de soi que la revue Paris-Canada, s’intéresse en premier lieu à la situation de la minorité francophone du Dominion. Or, parler des Canadiens français aux Français c’est d'abord souligner l’intensité et la pérennité de leur affection pour la France. Cela, nous avons déjà vu que le commissaire Fabre sait très bien le faire. Il connaît les mots et les formules capables de toucher le cœur des Français. Le goût de l’éloquence et l’enthousiasme quelque peu exagéré de Fabre au sujet de la francophilie des Canadiens français ne lui font toutefois jamais perdre de vue que le Canada s’est beaucoup éloigné de la France, par la Conquête, d’abord, puis par la Révolution. Le Commissaire explique cette différence dans le parcours historique des deux pays dans l’éditorial qu’il écrit à l’occasion de la célébration de la fête nationale de 1889 :

On ne pouvait oublier que pendant qu'en France l'on célèbre le centenaire de 89, les Canadiens célèbrent à Québec le troisième centenaire de la découverte du Canada […] Chacun, on le voit, reste dans son domaine. Le nôtre finit en 1761. Ce passé de deux siècles appartient à tous les Français. Mais ce qui a suivi la séparation nous échappe à nous canadiens : nous n'avons pas le droit d'en réclamer notre part, n'ayant participé ni aux épreuves, ni aux gloires de la France moderne.1

En effet, depuis la Conquête, l’évolution politique du Canada se confond avec l’histoire de l’Angleterre. À ce sujet Hector Fabre dit aux Français : « Si nous vous devons le premier des biens, l'existence, c'est à l'Angleterre que nous devons le second, la liberté. Sans elle nous n'aurions pu devenir ce que nous sommes, un peuple heureux, sage et libre »2. Hector Fabre fait ici référence à la chambre d’Assemblée obtenue par les Canadiens lors de L'Acte constitutionnel voté par le Parlement britannique en 1791.

Bien qu’il introduise le parlementarisme de type britannique au Canada, L'Acte constitutionnel de 1791 était loin d’être parfait. Ce n’est qu’en 1848, au terme d’une longue lutte, que le gouvernement responsable sera finalement obtenu par les Canadiens. C’est ce qui fera dire à Wilfrid Laurier lors de son fameux discours du 26 juin 1877 sur le libéralisme politique : « Mais si nous sommes une race conquise, nous avons aussi fait une conquête : la conquête de la liberté »3. Hector Fabre se montre en parfait accord avec l’affirmation de Laurier lorsqu’il écrit dans Paris-Canada : « Chez nous les vaincus sont devenus les vainqueurs, et la minorité, par la seule puissance de la liberté, en est arrivée à gouverner la majorité »4.

Les articles de Paris-Canada mentionnent à quelques reprises le profond attachement des Canadiens français au parlementarisme britannique auquel ils doivent, selon l’argumentation de Fabre, leur liberté et le respect de leurs droits. Hector Fabre parle des Canadiens français comme d’un peuple vivant carrément au rythme de la politique. Les Canadiens français auraient développé un goût pour les débats politiques qui les distingue des Français et des Anglais. Il suffit pour s’en rendre compte de lire la description de l’ouverture de la session provinciale qu’il fait dans le numéro du 29 novembre 1890 :

La session provinciale est commencée depuis le 4 novembre, et Québec, la vieille capitale, est en liesse. Rien ne la réjouit comme le retour du Parlement à l'automne. Elle en est aussitôt fort ragaillardie. Nous ne sommes pas désabusés du parlementarisme, comme les peuples sceptiques, nous ne nous en désabuserons jamais. L'éloquence qui s'exerce sur les thèmes chers aux hommes réunis sous un maître en cravate blanche a conservé à nos oreilles tout son charme.5

Hector Fabre développe davantage le thème du rapport des Canadiens à la politique à l’occasion de l’élection provinciale du 11 mai 1897.  La victoire de Félix-Gabriel Marchand sur Edmund James Flynn inaugure à ce moment un long règne de près 40 ans pour les libéraux de la province. L’éditorial de Fabre donne la description suivante du rapport des Canadiens français à la politique :

Les questions d'intérêt sont au second plan, les questions de sentiment priment sur tout. Les Américains ou les Anglais sont sensibles aux considérations d'ordre positif ; les Français rattachent d'instinct leur intense sentiment personnel à des idées sociales et humanitaires ; le Canadien français n'est touché que par des pensées de haut vol qui agrandissent l'horizon ouvert devant lui : il rêve pour sa province un empire.6

Le commissaire poursuit son article par un résumé des différents gouvernements qui se sont succédés à la tête de la province depuis la confédération. Il rend hommage au Parti conservateur et au Parti libéral, qui, chacun a sa manière, à « contribué à l’œuvre commune »7.  Mais le plus important demeure que, malgré leurs successions de quatre ans en quatre ans, les gouvernements de la province « ont gardé intactes les traditions d'honneur et de loyauté qui sont notre apanage le plus précieux »8.

La fédération canadienne entre dans « Une ère nouvelle »

Dans ses éditoriaux, le commissaire ne tarit pas d’éloge pour la fédération canadienne qu’il avait pourtant sévèrement critiquée en 1871. Dans son éditorial du 15 juillet 1901, alors que le Canada célèbre le 34e anniversaire de la confédération, il soutient que « Le rapprochement amené par le libre consentement de tous, a fait miracle »9. Le miracle canadien consiste, selon Fabre, à avoir réussi la création d’un nouveau pays à partir de colonies anglaises disparates et peu liées entre elles. Il affirme que cette diversité qui aurait pu être préjudiciable à la jeune nation est aujourd’hui tout à son avantage : « De cette diversité de provinces, de cette variété de population, est née une sorte d’émulation dont la modération et la sagesse de tous, l’intérêt commun supérieur aux intérêts isolés, ont écarté toutes causes irritantes de froissement »10.  Quelques années plus tard, à l’occasion du 40e anniversaire de la confédération, Fabre rappelle que ses débuts furent modestes, sa création « à peine sensible même en Angleterre, seulement remarquée par les esprits attentifs dans le monde politique, distraitement voté au Parlement »11. Ce n’est plus le cas en ce début de siècle qui constitue selon lui « une ère nouvelle pour le Canada »12.

Il est vrai que le pays profite alors d’une forte croissance économique. La crise économique qui a marqué le dernier quart du XIXe siècle s’achève en 1896, les investissements étrangers sont en progression et l’immigration au Canada est plus importante que jamais. Les changements sont tels que l’historien Henry Vivian Nelles n’exagère en rien lorsqu’il écrit qu’à ce moment « un nouveau pays sortit de la défroque de l’ancien »13. Ce dernier explique la croissance du pays de la façon suivante :

Le Canada ressentit simultanément les effets de la première révolution industrielle (textile, fer et acier) et ceux de la deuxième révolution industrielle (électrochimie) – le tout accéléré par l’expansion rapide d’un secteur agricole très productif -, de la montée de nouvelles industries primaires et, enfin, d’une vague d’investissement venu en grande partie de l’étranger.14

La nouvelle prospérité du pays est donc soutenue par le rapide développement de l’agriculture dans les plaines de l’ouest que favorise le développement du réseau ferroviaire. Symbole de la croissance du pays, deux nouvelles provinces, l’Alberta et la Saskatchewan, sont créées en 1905 à partir des anciens Territoires du Nord-Ouest. Sur le plan politique, cette période de prospérité économique correspond au long règne de Wilfrid Laurier.  Jusqu’en 1911, le parti libéral domine la scène fédérale.

Hector Fabre aime rappeler que le développement du Canada est particulier, puisque « Dans le passé, cette sorte d’évolution surgissait à la suite d’une guerre heureuse, d’une révolution, ou de l’apparition d’un grand homme »15. Le Canada ne suit pas le cheminement normal puisqu’il « prend sa place parmi les nations »16 en suivant une lente évolution « sans violence, sans rompre aucun lien, en suivant tout simplement sa destinée »17. Hector Fabre attribue la nouvelle prospérité du pays au développement ferroviaire et plus particulièrement au projet du Grand Tronc Pacifique, troisième chemin de fer transcontinental du pays.18 En avril 1904, il écrivait d’ailleurs au sujet de ce projet : « Le Grand Tronc a été le premier facteur de notre prospérité. Distançant le Pacifique, qui a été le second, il va reprendre la place qu'il n'aurait jamais dû se laisser enlever »19. Un long dossier intitulé « Le Développement du Canada»20 publié dans le numéro du 15 novembre 1905 commente le projet d’une nouvelle ligne transcontinentale et la création des nouvelles provinces. L’auteur se montre particulièrement enthousiaste quant à l’avenir du pays : « C'est une ère de magnifique développement qui va s'ouvrir devant l'Ouest canadien et devant le canada tout entier, car les villes de l'est seront les fournisseurs de ces pays nouveaux et tout fait prévoir dans les vieilles provinces un développement industriel parallèle au développement agricole des nouvelles »21. L’auteur de ce dossier, s’il se laisse facilement griser par cette vague de prospérité, n’oublie pas pour autant la situation des Canadiens français. Il conclut le dossier sur un souhait :

Il faut espérer qu'avec le développement de l'industrie dans l'est du Canada les Franco-canadiens, trouvant à s'employer chez eux, cesseront d'émigrer vers les usines de la Nouvelle-Angleterre. Gardant ainsi toutes leurs forces, leur vitalité est assez puissante pour qu'ils continuent à former un bloc inattaquable au milieu de la florissante société canadienne de demain et qu'ils établissent définitivement une Nouvelle-France dans cette Amérique où la vieille France a joué un si grand et si beau rôle.22

La question des écoles

Naturellement, les articles de Paris-Canada adoptent un point de vue plutôt optimiste quant à l’avenir des Canadiens français dans la fédération canadienne. Rappelons qu’il s’agit de donner une image positive du Canada afin d’attirer les immigrants français. Il est préférable d’insister sur les libertés dont jouissent les francophones ainsi que sur le respect de leurs droits dans la Confédération. Aussi, la question des écoles catholiques du Manitoba, qui met sérieusement à mal les droits de la minorité francophone, est très peu abordée dans les pages de la revue. Un seul article de notre échantillon est entièrement consacré à ce problème.

Le Manitoba disposait depuis 1870 d’un système double d’écoles protestantes et catholiques. L’arrivée massive d’immigrants anglo-saxons au cours des décennies suivantes marginalise les francophones et en 1890 le gouvernement du Manitoba abolit le français comme langue officielle et cesse le financement pour les écoles catholiques. Le compromis Laurier-Greenway règle la question en 1896, sans rétablir le système d’école séparé, en permettant l’enseignement du français à certaines conditions. Hector Fabre traite du problème dans le numéro du 1er mai 1905 alors que la question des écoles séparées resurgit à l’occasion de la création de deux nouvelles provinces dans l’Ouest canadien. Hector Fabre prend résolument parti en faveur des écoles séparées. Selon lui, il en va de la survie des Canadiens français, mais également du Canada en tant qu’entité distincte des États-Unis :

L'élément français tient à cette formule des écoles séparées par deux attaches, attache religieuse, attache patriotique, étroitement liées l'une à l'autre. Nous ne pourrions les rompre sans abdiquer notre personnalité nationale. Aussi, nous voit-on résister au même degré et par le même effort à ce qui affaiblirait la croyance ou le patriotisme. […] Lorsqu’on aurait effacé de notre esprit la tradition catholique et française, qu’est-ce qui pourrait y maintenir la tradition canadienne, d’ordre plus récent ? Ce sont les racines même de l’esprit canadien qu’on aurait desséchées en nous. […] Si l'on altérait dans l'âme des Canadiens français les signes vivants de leur origine morale, on ébranlerait du même coup les fondements du nouvel édifice que nos efforts communs, depuis 1867, tendent à élever aux côtés des vastes domaines des États-Unis ; on y ferait brèche, et par cette brèche ouverte dans ce fragment de nationalité qui ne dépare pas le monument ni s'affaiblit sa solidité, entrerait de toutes parts le flot américain.23

L’argumentation de Hector Fabre mérite d’être observée dans le détail. Elle nous révèle le fond de la pensée du commissaire concernant le rôle des Canadiens français dans la confédération. Nous voyons que, selon Fabre, la loyauté des Canadiens français envers le Canada tient d’abord au respect de leur « personnalité nationale » qui se réfère à « la tradition catholique et française ». S’attaquer à cette tradition revient à trahir l’esprit de 1867 qui garantit l’égalité entre Anglais et Français. Il croit que l’assimilation des Canadiens français serait fatale à la fédération canadienne qui perdrait alors une bonne partie de ce qui fait sa spécificité face aux États-unis. Cette position du commissaire est à rapprocher de la pensée de Henri Bourassa qui considère la fédération canadienne « comme une totalité britannique ayant la spécificité d’être franco-anglaise »24. Pour Hector Fabre comme pour Bourassa, le maintien des droits religieux et linguistiques des francophones est essentiel pour préserver l’unité nationale de la jeune nation canadienne.  Fabre est par ailleurs convaincu que le bon sens va l’emporter dans cette affaire qu’il compare à une fièvre passagère : « Cette fièvre éclate avec une certaine violence, sous l’impulsion de sentiments religieux et patriotiques en éveil, puis, chacun envisageant l’ensemble de la situation, la fièvre retombe, l’apaisement se fait et l’esprit de justice et de tolérance reprend son paisible empire sur tous les esprits »25. Il écrit d'ailleurs le 15 novembre de la même année : « Cette affaire des écoles, qui avait agité les esprits plutôt au dehors qu'au sein des territoires, s'est dénouée à la faveur de l'apaisement qui, du Nord-Ouest même, s'est répandu sur le reste du pays »26.

La nation canadienne

Car le Canada décrit par Hector Fabre est avant tout un pays de liberté, tolérant et ouvert à toutes les nationalités. En 1884, il écrit à ce propos « Nos pères étaient Français, Anglais, Écossais, Irlandais ; nos enfants seront tous Canadiens, sans cesser pour cela d’être bons Français ou bons Anglais »27. Selon Fabre, la diversité d’origine des Canadiens serait l’une des grandes forces du pays : « Ce n'est peut être pas trop s'avancer que de dire qu'une population composée de diverses races est, par cela même, plus apte à réaliser une destinée moyenne, qui est bien l'objectif que doit poursuivre un peuple bien équilibré »28. Hector Fabre explique à ses lecteurs que les Canadiens français, malgré un statut minoritaire, ont su tirer parti de la confédération de 1867. En janvier 1901, commentant un discours de sir George William Ross, alors premier ministre de l’Ontario, Hector Fabre donne l’explication suivante : « C’est que les Canadiens français avaient confiance aux autres, c’est surtout que nous avions confiance en nous-mêmes. Et les événements nous ont donné raison : tous nos droits ont été respectés et notre influence n’a fait que grandir »29. Selon Hector Fabre, c’est une erreur de considérer que le Canada est divisé entre français et anglais : « On tient mordicus, ici, qu’il y ait un parti français, là, qu’il y ait un parti anglais, en défiance vis-à-vis l’un de l’autre. Eh bien ! C’est faux »30. Il montre, citant les noms de La Fontaine, Baldwin, Cartier et Macdonald, que la tradition politique canadienne est plutôt du côté de l’interpénétration des deux communautés.31 Il ajoute que « ce qui est vrai des chefs est vrai des populations dont ils s’inspirent et qu’ils dirigent »32.  On comprend que Hector Fabre est en faveur d’un plus grand rapprochement entre francophones et anglophones au sein de la nouvelle nationalité canadienne.

En juin 1906, il écrit à ce sujet : « Le rêve de La Fontaine et de Baldwin, conçu au lendemain de nos déchirements, va se réalisant, et la figure, comme historique dès maintenant de Laurier, le symbolisera dans l’avenir »33. Mais de quoi exactement est fait l’avenir du Canada et de ses différentes communautés ? Hector Fabre nous en donne ici son interprétation personnelle : « Voici un pays nouveau, un territoire infini ; tâchons d’y implanter une nationalité nouvelle formée d’éléments variés ; tâchons que ce soit un pays où l’on s’aime ! »34. Pour ce faire, il est préférable que les Canadiens, français et anglais, oublient définitivement leurs anciennes querelles : « Laissons dormir ce passé dans son glorieux linceul et ne soulevons pas d’inutiles controverses »35. Hector Fabre rêve pour le XXe siècle d’une nouvelle nation canadienne qui serait une synthèse des éléments Anglais et Français :

Si ce n’est pas une vison trop lointaine pour que nous la puissions approcher, quelle chose admirable ce serait qu'un enseignement où les deux langues marcheraient de pair, et comme conséquence la formation intellectuelle d'une nation qui admettrait à la fois l'esprit français et l'esprit anglais, la solidité anglaise et la grâce française, le sense of justice britannique et la générosité française.36

Comme Hector Fabre le mentionne lui-même, cette vision lui est largement inspirée par la figure politique de Wilfrid Laurier. En effet, qui, mieux que le premier ministre libéral, Canadien français admirateur des institutions anglaises, peut personnifier cet idéal de bonne entente et de partenariat entre francophones et anglophones ?

Après l’élection de Laurier en 1896, le Canada est d’ailleurs souvent présenté par la revue comme étant un pays où règne l’entente cordiale entre francophones et anglophones.  L’expression n’est pas innocente, elle fait directement référence à la série d'accords bilatéraux signée le 8 avril 1904 entre la France et l’Angleterre que l’on désigne sous le terme Entente cordiale37. Après tout, le Canada, où cohabitent depuis longtemps Français et Anglais, n’est-il pas le meilleur exemple de la bonne entente entre les peuples, symbolisée par ces traités ? Mieux encore, il apparaît que le Canada en serait à l’origine. Citant les paroles de Laurier lors d’un banquet de la Chambre de commerce britannique, Hector Fabre rappelle que le Canada a d’ailleurs « contribué beaucoup à préparer cet événement si heureux pour le monde entier »38. Cette entente cordiale qui existe au Canada entre francophones et anglophones est surtout célébrée dans les textes consacrés aux commémorations d’événements historiques. Le 15 août 1908, revenant sur les fêtes du tricentenaire de la ville de Québec, Hector Fabre écrit avec fierté dans son éditorial : « Où donc ailleurs que dans ce pays du Canada et cette ville de Québec eut-on offert au monde ce spectacle de races différentes et si longtemps ennemies, rapprochées dans un même élan, uni sur le terrain même de leurs derniers combats !  Il a fallu pour cela un accord parfait, et aussi l'heure du monde à laquelle est parvenue notre commune histoire »39.  

Nous avons vu que Paris-Canada présente le Canada comme une jeune nation qui a la particularité d’unir deux peuples longtemps opposés sur le continent. On minimise les dissensions qui existent entre francophones et anglophones, sur la question des écoles, afin de pouvoir affirmer que le Canada est un exemple d’ « entente cordiale ». Hector Fabre considère toutefois que la loyauté des Canadiens français à la Fédération est conditionnelle au respect de leurs droits et de leurs traditions. Cela ne l’empêche pas de faire la promotion d’un nationalisme canadien formé de l’union des anglophones et des francophones. C’est en tant que jeune nation autonome, modèle de tolérance et de démocratie, que le Canada est présenté dans Paris-Canada. Fondé en 1867 sur les principes d’égalité et de liberté, le Canada aurait tranquillement prospéré au cours du XIXe siècle au point de prendre la place qui lui revient parmi les nations du monde. Cependant, ce sont les articles sur les relations avec les États-Unis et, dans une plus grande mesure, avec l’Empire britannique qui permettent au commissaire Fabre de véritablement se prononcer sur les ambitions nationales du Canada.

Les États-Unis et le Canada

Les États-Unis occupent une place importante dans les Pages de Paris-Canada. Quoi de plus normal compte tenu de la position géographique du Canada en Amérique du Nord et, surtout, des liens économiques qui existent entre les deux pays. Aussi, les différents litiges qui opposent les deux pays au tournant du XIXe siècle sont souvent commentés par le commissaire canadien. Ajoutons que le fait qu’une importante communauté de Canadiens français ait élu domicile aux États-Unis n’est pas non plus étranger à cet intérêt.   

Les litiges Canada/États-Unis

Au cours du dernier tiers du XIXe siècle, la question de la restauration du Traité de réciprocité de 1854, abrogé par les Américains en 1866, domine les relations entre les deux pays. Relations qui, ne l’oublions pas, impliquent obligatoirement la Grande-Bretagne. Au Canada et aux États-Unis la question des tarifs douaniers est au centre d’une longue querelle entre partisans du libre échange et partisans du protectionnisme. Les droits de pêches accordés aux Américains dans les eaux canadiennes et le conflit de la mer de Béring constituent d’autres points de litige entre les deux pays. Mais le conflit le plus important est sans aucun doute l’affaire des frontières de l’Alaska. La ruée vers l’or du Klondike, qui débute en 1897 fait prendre une importance considérable à cette question qui n’avait jusqu'alors posé aucun problème. Les Américains, qui avaient acheté l’Alaska à la Russie en 1867, revendiquent alors le contrôle des fjords du nord de la Colombie-Britannique. L’affaire, qui avait déjà été discutée sans que l’on s’entende lors de la haute commission mixte de 1898-1899, est portée devant un tribunal international en 1903. Le tribunal, composé de 3 Américains, deux Canadiens et d’un Anglais tranche finalement la question en faveur des États-unis.

Les divers litiges entre le Canada et les États-unis font fréquemment la première page de la Revue. Hector Fabre profite habituellement de ces questions pourexpliquer aux lecteurs français que le Canada, malgré sa proximité géographique, constitue une entité autonome et distincte. Dans le numéro du 5 décembre 1891, à l’occasion de la récente tournée de conférence de M. Chapleau et M. Laurier aux États-Unis, il écrit : « C'est un fait quasi nouveau, car, quoique voisins, politiquement nous ne voisinons guère. Chacun reste chez soi et les deux politiques, si différents d'allure et d'origine, n'ont guère eu jusqu'ici de point de contact »40.

Il est vrai que les différends sur la question de l’union douanière et la loyauté canadienne envers l’Angleterre ne favorisent guère les contacts politiques. En septembre 1887, alors que la question d’une union douanière entre le Canada et les États-Unis connaît un regain d’intérêt suite à la campagne de Erastus Wyman, la revue publie l’opinion du premier ministre et du chef de l’opposition sur le sujet. Hector Fabre écrit que MacDonald est en faveur d’un renouvellement de l’ancien traité, mais que l’union proposée qui « repose sur l’assimilation des tarifs »41 reviendrait à « admettre que notre politique fiscale soit décrétée, non pas à Ottawa, mais à Washington »42. Cette position en faveur d’une indépendance fiscale du Canada s’accompagne d’un profond respect pour le lien colonial : « Libre échange avec les États-Unis, protection contre l'Angleterre sont des conditions évidemment incompatibles avec le maintien de notre union avec la Grande-Bretagne »43. Puis, Fabre se permet de faire de l’ironie sur les positions de Laurier qui « se rapprochent à tel point de celles de Sir John, qu'on pourrait dire, s'il était permis de plaisanter en si grave matière, qu'une alliance entre le chef du cabinet et lui, si invraisemblable qu'elle soit, est vraiment encore plus dans l'ordre des probabilités qu'une union douanière entre le Canada et les États-Unis »44.  Il y a en effet unanimité dans la classe politique canadienne sur le fait que les liens commerciaux avec les États-unis doivent se faire dans le respect de la Grande Bretagne.

Hector Fabre, qui est par ailleurs un partisan du libre-échange, ne cache pas ses positions en faveur d’un nouveau traité avec les États-unis. Le 8 mars 1888, alors que la question des pêcheries semble se résorber, il écrit dans son éditorial :

Que nous devions établir avec les États-Unis des relations différentes de celles que nous avons à l'heure qu'il est : c'est un point sur lequel tout le monde est d'accord au Canada. On est divisé que sur le degré de rapprochement ; les unes désirent en revenir aux dispositions du traité de réciprocité de 1854, les autres en arriver à une union douanière. Personne ne veut continuer, si la nécessité ne nous y oblige, la guerre de tarifs qui sévit actuellement.45

Enthousiaste, il affirme que « Le traité actuel nous semble le préliminaire obligé du traité de commerce »46. Toutefois, il ajoute que sur cette question « il faut avant tout le bon vouloir des Américains »47. Or, avec l’adoption du Bill Mac Kinley en 1890, les États-Unis adoptent plutôt la voie du protectionnisme. Dans son éditorial du 29 novembre 1890, Hector Fabre s’amuse de la réaction de l’Europe face à la politique protectionniste des Américains : « L'Europe un peu naïvement s'est trahie. Fort en colère, elle a reproché aux Américains de ne songer qu'à leurs propres intérêts et de négliger les siens. Comme cri d'âme populaire, c'est absolument ravissant »48. Il ajoute que le Canada, pourtant le pays le plus menacé par cette mesure, à fort bien réagit. Sir MacDonald « Au lieu de se fâcher, il s'est franchement réjoui d'un changement de relations qui allait nous démontrer la nécessité de nous rendre tout à fait indépendants de nos voisins, obliger nos industriels à s'ouvrir de nouveaux débouchés »49. Hector Fabre partage l’avis de MacDonald, les États-unis, en montrant leurs muscles de la sorte, ne font que favoriser « l’indépendance industrielle du Canada »50.

Investissements américains

D'ailleurs, les articles de Paris-Canada ne manquent pas de mentionner que les Américains eux-mêmes participent au développement du Canada par leurs capitaux, mais aussi, par l’émigration de fermiers américains dans l’Ouest canadien. Hector Fabre note, dans son éditorial du 15 février 1902, que l’attitude des Américains envers le Canada a évolué depuis quelques années. Jadis indifférent, « l’élément américain, toujours à l’affût des occasions d’étendre son domaine industriel, est entré en lice ; c’est un nouveau facteur »51.  Le 1er mars 1903, la revue publie un article tiré du Globe de Toronto sous le titre « L’invasion américaine »52. On y fait mention des nombreux Américains qui investissent au Canada ou qui viennent s’installer dans l’Ouest du pays. La conclusion se veut très optimiste : « Nous nous sentons capables de prendre soin des Américains et d’en faire de bons Canadiens par l’influence de l’esprit national qui nous anime de plus en plus »53. Cela semble trop beau et certains journaux de Londres commencent à croire que l’afflux de capitaux américains signifie à terme l’américanisation du Canada. Hector Fabre réfute cette thèse dans son éditorial du 1er décembre 1906. Il se moque gentiment des Anglais de la métropole « Après avoir jeté un coup d’œil rapide sur nous, aussitôt ils le reportent vers l’horizon accoutumé ; ils regardent du côté de New York, et ils se persuadent que nous faisons comme eux et considérons les choses avec la même optique »54. Puis, Hector Fabre reprend son argumentation habituelle en faveur de la nation canadienne : « Nous existons, nous nous développons en dehors des influences américaines, sans leur rien emprunter, à peine quelques exemples. C'est ce que l'Europe doit savoir. Notre existence, malgré la similitude des situations est différente. Dans tous les cas, nous maintenons notre entière indépendance, non seulement politique, mais aussi économique et sociale »55.

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Éditorial de Hector Fabre, évoquant « l’américanisation du Canada ». Paris-Canada, 1er décembre 1906, p. 1

Les Canadiens français aux États-Unis

Si le Canada ne s’américanise pas, peut-on en dire autant des Canadiens français qui, à cette époque, sont de plus en plus nombreux à traverser la frontière pour travailler en Nouvelle-Angleterre ? Paris-Canada ne nie pas le phénomène. Mais, suivant en cela le raisonnement de certaines élites francophones, la revue préfère considérer que les Canadiens qui immigrent prolongent la nation canadienne aux États-Unis. On admire ceux qui conservent leur nationalité et on ne parle pas de ceux qui s’assimilent.  Pratiquement aucun numéro de la revue ne se passe sans que l’on donne quelques nouvelles en provenance des populations canadiennes françaises des États-unis. Elles ne sont pas oubliées, même s’il s’agit, la plupart du temps, que de quelques phrases positives insérées dans une suite de faits divers. La revue Paris-Canada montre que les Canadiens français vivants aux États-Unis compensent l’éloignement du foyer national par une vie associative intense. Par exemple, le 10 février 1887, elle rapporte que les Canadiens français de Kensington dans l’état de l’Illinois viennent de fonder un club national.56  Le numéro du 1er juillet 1889 contient une liste des journaux canadiens français publiés aux États-unis classés selon leurs allégeances politiques.57 On retrouve dans le même numéro un article nommé « Les Canadiens aux États-Unis » consacré à la participation des Canadiens de Nouvelle-Angleterre aux institutions démocratiques américaines.58 D’ailleurs, Paris-Canada rapporte fréquemment les succès électoraux de Canadiens immigrés aux États-unis. Il ne s’agit pas de célébrer leur intégration, mais l’influence grandissante qu’ils ont sur leur pays d’accueil.  Il arrive parfois que Paris-Canada se porte à la défense des Franco-américains menacés par l’assimilation. Nous pouvons observer que, selon le commissaire Fabre, il en va des Franco-Américains comme des Canadiens français de l’Ouest. Rien ne doit les empêcher de conserver leur langue et leur religion. Il donne son opinion sur la question dans son éditorial du 18 juin 1982 dans lequel il commente une conférence donnée à Paris par l’évêque de Saint-Paul au Minnesota. L’évêque américain se montre intraitable sur la question des sièges épiscopaux distribués selon la nationalité. Il déclare être en faveur de « la doctrine de Monroë appliquée aux choses de l’Église »59. Ce que Hector Fabre traduit par « l’Amérique aux Américains. C’est-à-dire l’exclusivisme sous prétexte d’indépendance et l’intolérance sous couvert de liberté »60. Puis Fabre souligne à quel point la déclaration du prélat représente tout ce qu’il exècre des États-unis : « En matière économique, ces idées aboutissent au tarif Mc Kinley. En matière de foi, elles tendent à réserver l’école et l’église aux catholiques américains seulement. Et cela ressemble à s’y méprendre à la vieille conception de l’absolutisme sous un masque moderne ! »61.

Les relations entre le Canada et les États-Unis sont assez particulières. Occupant le même espace géographique, les deux pays possèdent peu de liens politiques. Pourtant, le Canada, et plus particulièrement le Canada français, est présent aux États-unis en raison d’une forte émigration de sa population vers les usines de Nouvelle-Angleterre. Paris-Canada fait l’éloge de l’attachement des franco-américains au foyer national. D'un autre côté, les investissements américains, de plus en plus importants au Canada à partir du début du XXe siècle, font croire à une américanisation du Canada. Hector Fabre, conscient de la confusion qui peut exister chez les Européens lorsqu’il est question de l’Amérique, doit alors rappeler que le Canada poursuit un développement distinct. Les différents litiges, sur la question de la réciprocité et des pêcheries, lui en donnent d’ailleurs l’occasion à quelques reprises. Le Canada se distingue en effet des États-Unis par son statut colonial ainsi que par ses liens avec l’Empire britannique. Cependant, au début du XXe siècle les Canadiens sont de plus en plus divisés sur le sens à donner au lien colonial.

Le Canada et l’impérialisme britannique

L’extension coloniale européenne de la fin du XIXe siècle provoque un renouveau de l’idéologie impériale en Angleterre. Ce nouvel impérialisme britannique se fonde d’abord sur des motifs économiques, mais il repose également sur la croyance empruntée au darwinisme social de la supériorité de l’homme blanc et plus particulièrement de la civilisation anglo-saxonne sur les autres nations du monde. La Ligue de fédération impériale est créée à Londres en 1884 afin de promouvoir un rapprochement entre les différentes parties de l’Empire. Une branche canadienne est inaugurée l’année suivante. Le mouvement des impérialistes canadiens bénéficie également de l’appui de nombreuses associations, clubs et cercles de discussion. La sociologue Sylvie Lacombe fait remarquer que les Canadiens anglais membres de ces associations « ne prônent pas à proprement parler l’extension de l’Empire britannique ; ils ne militent pas non plus pour la seule gloire de l’Angleterre ou de son Empire. Ils cherchent plutôt à opérer l’union intime des diverses parties de l’Empire, et ce, tant au plan économique et militaire, que politique et moral »62. L’impérialiste apparaît pour eux comme un moyen de renforcer le Canada en lui permettant de jouer un rôle à sa mesure au sein des politiques internationales de l’Empire britannique.

En Angleterre, Joseph Chamberlain, qui est nommé secrétaire aux colonies en 1895, se fait le champion de l’idée de fédération impériale. Il s’agit surtout d’unir les colonies sur le plan militaire afin de répartir le fardeau de la défense impériale. En 1897, profitant du Jubilé de Diamant de la reine Victoria, Chamberlain organise une conférence coloniale où il pose la question de la participation des colonies à la défense de l’Empire. Le premier ministre canadien Wilfrid Laurier, pourtant fervent admirateur des institutions anglaises, se montre peu enthousiaste. Il est plutôt un partisan du statu quo et de l’autonomie canadienne.  Quelques années plus tard, la guerre des Boers pose de façon concrète la question de la participation canadienne aux guerres de l’Empire. Laurier cède sous la pression des mouvements impérialistes canadiens et autorise l’envoi d’un contingent de volontaires le 13 octobre 1900. Mais la participation canadienne à la guerre fait surgir de profondes dissensions dans le pays. Même à l’intérieur du Cabinet du gouvernement Laurier elle ne fait pas l’unanimité. En octobre 1899, Henri Bourassa, alors jeune député libéral, démissionne afin de montrer son opposition à la participation militaire canadienne. Le mouvement nationaliste, personnifié par Bourassa, fait passer les intérêts canadiens avant ceux de l’Empire. En mars 1903, des intellectuels canadiens français disciples de Bourassa fondent la Ligue nationaliste. Au cours des années qui suivent, nationalistes et impérialistes s’opposent à différentes reprises sur la question de la participation du Canada à défense de l’Empire. Cette question gagne en importance avec la course aux armements en Europe et la menace que représente la nouvelle marine Allemande pour l’Angleterre.

L’établissement de liens privilégiés entre le Canada et la France n’est possible qu’à la condition de respecter le cadre de l’Empire britannique. Aussi, la revue Paris-Canada, tout en demeurant critique face à l’impérialisme, rappelle constamment à ses lecteurs français les liens profonds et la loyauté sincère qui lient le Canada à la mère patrie britannique. Elle publie des comptes rendus des activités des Canadiens à Londres ainsi que des nouvelles tirées de journaux anglais. On mentionne les activités de Sir Charles Tupper, haut commissaire du Canada à Londres63, ainsi que celles de l’ambassade de l’Angleterre à Paris64.  Il ne faut pas oublier que la représentation canadienne de Paris passe officiellement par cette dernière. Les conférences coloniales et les positions de Chamberlain sont commentées dans les éditoriaux de Hector Fabre. Il arrive même que la revue donne des nouvelles concernant d’autres parties de l’Empire. Par exemple, les négociations entourant la création d’une fédération australienne font l’objet d’un article dans le numéro du 15 mars 189765.  Mais, de façon générale, la revue se limite aux sujets qui touchent plus directement le Canada et ses liens avec l’Empire. La participation du Canada à la « Colonial and Indian Exhibition » en 1886 constitue une des manifestations les plus spectaculaires de ce lien colonial.  

Le Canada à la « Colonial and Indian Exhibition »

Cette exposition, essentiellement tournée vers l’Orient et les Indes, a pour objectif de faire connaître aux habitants des îles Britanniques les portions les plus lointaines et les plus exotiques de leur Empire. La revue publie à cette occasion une série de « Lettres de Londres »66 écrites par Hector Fabre. Ce dernier participe à l’exposition en tant que commissaire honoraire malgré son titre sans portée diplomatique de représentant du Canada à Paris. Il conçoit cet événement comme une sorte de revanche des colonies sur la mère patrie : « À l'avenir, on ne dira plus : l'Angleterre à de bien jolies colonies ; mais les colonies anglaises ont, de l'autre côté de la manche, d'importantes possessions »67. L’article de Fabre insiste sur la fierté que devrait ressentir tout Canadien d’être ainsi le centre d’intérêt du public anglais : « Ces colonies ! Qui donc les croyait si intéressantes, si variées d'aspect, si remplies de ressources diverses ! Tout le public anglais défile sous nos yeux, et bientôt nous connaîtra aussi bien que nous nous connaissons »68. Hector Fabre mentionne au passage sa participation aux différents banquets et activités protocolaires dans la cité anglaise. Après tout, même sans titre officiel, il est tout de même le représentant d’une colonie britannique. La revue publie dans le même numéro le discours de Sir Charles Tupper, grand responsable de l’organisation de la section canadienne, ainsi que l’opinion du Times de Londres sur la participation canadienne69. La revue publie également une liste des personnalités européennes ayant visité la section canadienne. Tout est mis en place pour montrer que les liens avec l’Angleterre, renforcés par cet événement, sont essentiels au peuplement ainsi qu’au développement économique de la colonie. L’enthousiasme de la couverture de l’événement par la revue ne laisse aucun doute concernant la loyauté et la fidélité des Canadiens envers la mère patrie britannique.  On montre que les Canadiens sont fiers de faire partie de cette vaste étendue peinte en rouge sur les cartes du monde que l’on nomme l’Empire britannique.

Loyauté et autonomie canadienne

Dans ses articles et éditoriaux, Hector Fabre souligne fréquemment la loyauté des Canadiens à la couronne britannique. Cela s’observe tout particulièrement dans les discours prononcés lors d’événements officiels. Lors de la célébration de la fête nationale qu’il donne au commissariat le 24 juin 1899, Hector Fabre lève son verre et porte comme il se doit un toast à « S.M la reine d’Angleterre et M. le président de la République »70. Paris-Canada rapporte les paroles du discours qui a suivi : « Notre gracieuse souveraine a vu le Canada devenir un grand État et prendre rang auprès des nations grâce à un régime qui unit tout les avantages du lien colonial à tous les bienfaits de l'indépendance »71. Il est intéressant de constater que pour Hector Fabre la fidélité des Canadiens à la couronne britannique est directement liée à la demi-souveraineté dont jouit la Colonie. Cette idée d’un lien colonial flexible, permettant l’autonomie de la colonie, Hector Fabre l’avait déjà émise lors du premier éditorial de Paris-Canada. Nous avons déjà fait remarquer que ce discours anticipe largement sur la réalité du statut de la colonie. Le Canada, s’il contrôle effectivement sa politique intérieure, dépend presque entièrement de l’Angleterre pour tout ce qui relève de la politique extérieure. Or, il est difficile de parler d’indépendance dans le cas d’un pays qui ne contrôle pas ses relations extérieures.

Les limites de la loyauté canadienne

Comme nous avons pu le constater avec le toast du 24 juin porté à la reine Victoria, Hector Fabre considère que le statut particulier du Dominion du Canada, ainsi que le caractère non contraignant de ses liens avec l’Empire britannique constituent la grande force et la fierté de la jeune nation canadienne. Dans le numéro du 15 mai 1899, il écrit que le Canada, pays libre et autonome sans être indépendant, peut même constituer un exemple pour les peuples « voulant sortir d’un état de dépendance coloniale trop absolu »72. Être considéré comme un modèle à suivre par les autres nations est flatteur pour les Canadiens, mais cela doit aussi constituer un avertissement, il faut « garder notre bien tel qu’il est, nous ôter surtout toute tentation de le gâter pour désirer l’embellir par l’indépendance ou quelque chimère »73. Hector Fabre fait ici référence au goût pour l’expansionnisme et plus particulièrement aux États-Unis d’Amérique qui sont devenus une puissance coloniale depuis leur victoire lors de la guerre hispano-américaine de 1898.

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Éditorial de Hector Fabre, qui fait du Canada « un exemple [pour les peuples] voulant sortir d’un état de dépendance coloniale trop absolu. » Paris-Canada, 15 mai 1899, p. 1

Fabre précise que la fidélité du Canada aux traditions libérales le garde bien de s’engager dans cette voie : « Même si nous pouvions en faire, les conquêtes ne nous tenteraient pas »74. Résolument pacifiste, Fabre est persuadé que le Canada, dont il voit l’avenir dans le développement économique, n’a aucun goût pour les aventures militaires qui sont « glorieuses, mais périlleuses »75. Celles-ci peuvent entacher à jamais la réputation du pays qui s’y livre : « il faut tant de sagesse, de modération et de veine, pour les préserver de ces taches sanglantes, qu’on peut effacer un jour, mais qui reparaissent dans l’histoire »76. Hector Fabre croit que le Canada doit adopter une position isolationniste face à la course aux armements des puissances européennes et à la montée de l’impérialisme. La critique du militarisme qu’il fait dans sa chronique du 1er mars 1903 mérite d’être longuement citée :

L'Europe succombe sous le fardeau des armements. Tous les peuples du continent sont armés jusqu'aux dents. Ce militarisme effroyable écrase tous les budgets. Il absorbe le plus clair des ressources qu'on devrait consacrer aux améliorations publiques, au progrès. Quel peuple, resté en dehors de la tourmente, pourrait, de gaieté de coeur, songer à s'y laisser entraîner ? […] Quelle erreur il commettrait si, devant cette concurrence agricole, commerciale, industrielle active acharnée, il arrachait ses fils à la charrue pour les envoyer au loin verser leur sang pour des querelles ou des ambitions qui lui seraient étrangères, pour des gloires dont une faible part rejaillirait sur lui, et dont la plus grande du reste ne vaudrait pas un jour de soleil dans la prairie, une heure de repos dans le bien-être et la prospérité !77

Le commissaire canadien assure que le Canada ne suivra jamais l’exemple des rêves de gloire des puissances européennes. Hector Fabre croit que l’ambition nationale du Canada, pays démocratique attaché aux libertés comme aux traditions, se doit d’être à la fois plus modeste et plus noble :

notre place est petite, notre rôle modeste, et suffirait cependant à plus grande ambition : faire briller les agréments d'une démocratie mitigée, agréer les rigueurs d'un protectionnisme édulcoré, admettre les lois d'un mouvement méthodique et d'un progrès mesuré, vieilles lois et vieilles moeurs ; de sorte que lorsque les yeux fatigués et inquiets de l'Europe se reportent sur l'Amérique, pour y chercher le secret de l'avenir, ou y retrouver le vieil idéal entrevu par Lafayette et classé par Tocqueville, ils puissent s'arrêter sur un coin de terre que dorent encore les feux du vieux monde.78

Opposition à la fédération impériale

Avec un tel discours, on comprend que Hector Fabre est fermement opposé au principe d’une fédération impériale qui ne pourrait signifier qu’une perte d’autonomie pour le Canada. Sur ce point les positions qu’il développe dans ses éditoriaux correspondent à celles de Laurier qui, lors des conférences coloniales de 1897 et 1902, défend le statu quo au nom du principe de l’autonomie coloniale. Dans son éditorial d’août 1902, Hector Fabre justifie d’ailleurs son point de vu en citant les paroles prononcées par Laurier lors de la conférence de 1897 : « L'empire colonial britannique n'est plus une famille d'enfant soumis à leurs parents, mais une réunion de nations indépendantes les unes des autres, unies cependant entre elles et se rattachant à la métropole par les liens d'une grande affection au souverain »79. Selon Fabre, la loyauté des colonies envers l’Empire n’est valable qu’à la condition que l’indépendance et l’autonomie de chacune de ses parties soient respectées. Il est admiratif de cet Empire qu’il considère comme « le plus libre qu’ai vu le monde ; un assemblage de peuples qui s’aiment sans se voir, qui vivent dans une entière indépendance les uns des autres »80. Il est de l’avis qu’une fédération impériale serait fatale à cet état jugé idéal : « À les réunir, à les presser, à trop presser les uns vers les autres, on ferait surgir plutôt les discordes que les unions bien assorties »81. Notons que l’intransigeance des positions de Fabre sur les questions militaires le rapproche des nationalistes qui refusent catégoriquement toute participation canadienne à la défense impériale. À plusieurs reprises, les éditoriaux de Paris-Canada critiquent ouvertement le secrétaire aux colonies et son « impérialisme militant »82. Hector Fabre décrit Joseph Chamberlain comme un homme politique sans tact qui « discourt toujours à Londres comme s’il n’était entendu que de ses fidèles amis de Manchester ; il casse les vitres et en jette les éclats au nez des potentats et des peuples étonnés et plutôt fâchés de cette façon d’agir »83. En janvier 1908, commentant la conférence coloniale de 1907, Hector Fabre se réjouit de l’échec du projet de confédération commerciale de M. Chamberlain : « Cet essai de retour en arrière s’est brisé sur l’impossibilité même de combiner ensemble des intérêts tout différents, souvent opposés. Métropoles et colonies, chacun garde son rôle »84. Le commissaire canadien considère que cette conférence « a défini le véritable caractère des relations nouvelles entre l’Angleterre et ses colonies, érigées de fait en sorte d’État semi-souverain »85. Les Canadiens doivent être fiers de ce statut qui n’est ni l’indépendance ni la soumission à l’Empire britannique, car « cette voie large et sûre, personne ne la traçait hardiment devant nous, il nous a fallu la déblayer nous-mêmes »86.

*

Nous pouvons constater que la tendance générale de Paris-Canada est à l’éloge du fédéralisme, du parlementarisme britannique et de la bonne entente entre Canadien français et anglais. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Après tout, Hector Fabre, commissaire payé par le gouvernement canadien, ne fait que son travail qui consiste, rappelons-le, à vendre le Canada au public français. Les actualités politiques, les élections, ainsi que les commémorations sont autant d’occasions pour Hector Fabre de faire les louanges du Dominion. Faut-il pour autant assimiler les éditoriaux complaisants du commissaire à de la simple propagande ? Bien sûr que non. Au début du XXe siècle, le Canada connaît une période d’intense développement économique et l’enthousiasme est grand dans le pays. Le premier ministre Laurier, incarne pour un temps l’unité et l’avenir du pays. En louant la modération et l’esprit de compromis du Canada, Hector Fabre ne fait finalement qu’expliquer au public français les conceptions et le projet politique du premier ministre libéral. L’affirmation de l’autonomie canadienne, dans le respect du lien colonial, constitue une part essentielle de ce projet.

Paris-Canada présente le Canada comme une jeune nation qui possède son identité propre. Cela est particulièrement vrai dans les articles consacrés aux questions internationales qui touchent le Dominion. Hector Fabre explique à ses lecteurs les différents enjeux des conférences coloniales de Londres ainsi que ceux des nombreux litiges avec les États-Unis qui émaillent la fin du XIX et le début du XX siècle. Les relations avec les États-Unis, si elles sont l’occasion d’affirmer l’autonomie du Canada, sont mentionnées avec tous les égards dus à la mère patrie britannique. La revue revient d’ailleurs fréquemment sur les liens du Canada avec l’Empire britannique. Dans ses éditoriaux, Hector Fabre démontre que le statut colonial du Canada n’a rien d’une relation de dépendance. Considéré comme un état intermédiaire entre l’indépendance et le lien colonial, le statut du Canada est décrit comme un idéal que rien ne doit changer.   

Conclusion

Vingt-sept années se sont écoulées entre la visite du vaisseau français La Capricieuse dans les eaux du Saint-Laurent et la création d’une agence permanente dans la ville de Paris en 1882.  De peu d’impact sur le commerce, la mission commerciale de La Capricieuse en 1855 et la création d’un consulat français dans la ville de Québec en 1859 avaient surtout revêtu une importante valeur symbolique. La France, sous l’œil bienveillant de son allié britannique, renouait officiellement avec son ancienne colonie. Au cours des trois décennies qui ont suivi, les relations entre la France et le Canada sont demeurées pour l’essentiel le fait d’initiatives individuelles. Le nombre de voyageurs canadiens et français qui ont traversé l’Atlantique connaît alors une augmentation constante. L’idée coloniale, qui se développe en France dans le dernier quart du XIXe crée un climat propice à la redécouverte des anciennes possessions en Amérique du Nord.  En 1882, un poste de commissaire du Canada à Paris est confié à Hector Fabre, sénateur et journaliste propriétaire de L’Événement. À ce titre, Fabre doit s’occuper essentiellement de l’immigration et des questions touchant le commerce.  En 1884, il fonde la revue Paris-Canada qui, pendant vingt-cinq ans, joua le rôle de « trait d’union entre les deux pays »87.

Le dynamisme du rapprochement franco-canadien de cette époque doit beaucoup à la personnalité du commissaire canadien. En homme de lettres doté d’une vaste culture, Hector Fabre comprend que son rôle à Paris ne doit aucunement se limiter à son mandat initial de propagandiste du Canada. En plus d’être un centre d’information, le commissariat devient assez rapidement un lieu de rencontre pour les Canadiens en visite dans la capitale française. Les maigres succès du commissaire dans le domaine économique, les difficultés du recrutement d’émigrants français et, surtout, la création par le gouvernement fédéral d’agences spécialisées en 1902 et 1903 vont peu à peu restreindre l’action du commissaire au domaine des relations publiques. Domaine dans lequel Hector Fabre excelle. Le rôle du commissaire Canadien se situe ainsi entre la propagande, l’information et les relations publiques. La revue Paris-Canada, outil du commissariat pour faire connaître le Canada, permet de suivre l’actualité du rapprochement franco-canadien de la fin du XIXe siècle.

Ce rapprochement se divise en trois domaines concomitants : les relations commerciales, le recrutement d’émigrants français et les liens culturels. Au cours de notre recherche nous avons démontré que la revue consacrait davantage d’articles aux domaines culturels qu’aux questions d’immigration et de commerce. Ceci s’explique d’abord par la nature des liens qui existent entre la France et le Canada, liens fondés sur une histoire, une langue et une culture commune. Il faut également y voir un acte délibéré du commissaire canadien. La revue utilise l’argument de la parenté culturelle afin de faire la promotion de liens commerciaux et de l’émigration. Paris-Canada joue à la fois sur la solidarité culturelle et sur les remords de l’abandon du Canada par la France. Ainsi, les articles sur l’histoire de la Nouvelle-France et la culture française au Canada sont l’occasion de rappeler, de façon détournée, les devoirs de la France envers ce peuple qui lui doit son existence. Cette stratégie néglige cependant un aspect important des relations entre les états : en affaires, les intérêts l’emportent habituellement sur les sentiments. Les divergences idéologiques, le statut colonial du Canada et l’absence d’une ligne de transport constituent alors des obstacles de taille au rapprochement commercial franco-canadien. Dans ces conditions, il est normal que Paris-Canada cherche à compenser ces faiblesses par un discours enthousiaste et de vibrants appels au patriotisme français.

Force est d’admettre que Paris-Canada eut peu d’impact sur l’émigration française au Canada et le développement d’un commerce transatlantique conséquent. Par contre, il est certain que les articles sur le développement de l’Ouest, la publicité sur les offres de terres gratuites, les lettres de colons et les nombreuses conférences publiées dans la revue ont contribué à faire connaître le Canada en France. Paris-Canada, revue sur le Canada, mais également revue des Canadiens de Paris, permet également au public français de se familiariser avec la culture et l’actualité canadiennes. Elle fait la promotion des auteurs canadiens en publiant des critiques et des extraits de leur oeuvre. Mais surtout, Paris-Canada informe sur les différentes activités des Canadiens et amis du Canada installés dans la capitale française. Elle permet de connaître certains aspects de la vie des Canadiens résidants à Paris : leurs succès, la fréquence de leurs déplacements ainsi que leurs fréquentations de cercles canadiens. Ajoutons que Paris-Canada ne se limite pas au Canada, plusieurs de ses articles et chroniques sont consacrés aux arts, à la littérature et aux variétés parisiennes. Dans le domaine culturel, la revue remplit effectivement son rôle de trait d’union entre les deux pays.

Ce rôle comprend également une dimension politique non négligeable. Paris-Canada souhaite faire connaître le Canada en tant que jeune nation, libre et autonome. Par ses éditoriaux, Hector Fabre entend prouver aux lecteurs français que le statut colonial du Canada ne comporte aucune forme de subordination.  Le Canada n’est pas indépendant, et il ne souhaite pas l’être, mais il forme une nation à l’égal des autres nations du monde. Il demeure attaché à l’Empire britannique car celui-ci respecte la liberté et l’autonomie des colonies. Aussi, Hector Fabre s’oppose fermement au projet des impérialistes qui se traduirait, selon lui, par une perte de souveraineté. Selon lui, l’autonomie canadienne est si parfaite qu’elle peut même servir de modèle pour les colonies en quête de plus de liberté. Distincte de la mère patrie britannique et du voisin américain, la fédération canadienne se caractérise par son esprit de tolérance, de liberté et par l’entente qui y règne entre francophone et anglophone. La revue du commissariat participe ainsi, à sa façon, à la reconnaissance internationale du Dominion tout en forgeant une image très harmonieuse de la nation canadienne.

Bien que la revue Paris-Canada soit souvent mentionnée par les historiens comme une source incontournable sur le rapprochement franco-canadien de la fin du XIXe siècle, aucune analyse de son contenu n’avait été effectuée. C’est cette lacune que nous avons voulu combler. La lecture de Paris-Canada permet d’évaluer de façon concrète les différents aspects du travail mené par le commissariat canadien à Paris tel que décrits par l’historien Bernard Pénisson. Surtout elle permet de mieux comprendre comment Hector Fabre percevait son rôle de commissaire et les arguments utilisés par celui-ci afin de favoriser un rapprochement entre la France et le Canada. Daniel Chartier avait déjà souligné le rôle de la revue dans la rencontre culturelle entre la France et le Canada à la fin du XIXe siècle. Cependant, son article ne mentionnait pas comment ce rôle culturel s’articulait avec les objectifs plus pragmatiques du commerce et du recrutement de colons français. C’est ce que nous avons démontré au cours de notre recherche. Le discours de la revue, qui mêle adroitement des intérêts économiques, le patriotisme et la solidarité culturelle, vise à établir une relation durable, qui ne se limite pas à la célébration de l’ancien lien colonial, entre le Canada et la France. Revue française d’une population d’origine française vivant dans une colonie britannique, Paris-Canada est à la fois un lieu de promotion du commerce et de l’émigration au Canada, une revue sur l’actualité canadienne et la vie parisienne et un espace de promotion de la culture canadienne. Le commissaire Hector Fabre, avec la revue Paris-Canada, pose à la fin du XIXe siècle les bases des relations entre la France et le Canada pour les années à venir.

L’impact de Paris-Canada est difficile à mesurer, mais l’analyse de cette revue, dont la longévité est remarquable, témoigne néanmoins de la volonté de Fabre de créer puis de consolider un réseau étroit de relations entre les Canadiens, surtout les Canadiens français, et les Français, surtout les Parisiens. Il apparaît cependant évident que cette revue, même si elle pouvait viser un large public notamment par sa volonté de promouvoir l’émigration, s’adresse à une certaine élite culturelle. Fabre aurait-il prêché face à un public déjà converti ? Une nouvelle analyse des réseaux culturels franco-canadiens du tournant du XXe siècle permettrait certainement de mieux situer Fabre et sa revue au sein de ces relations complexes.

Annexe. Premier numéro de Paris-Canada, 11 juin 1884

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 2

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 3

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 4

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 5

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 6

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 7

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Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 8.

Notes

1  Paris-Canada, 1er juillet 1889, p. 1.

2  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 4.

3  Wilfrid Laurier, « Le libéralisme politique », 26 juin 1877, cité par Yvan Lamonde et Claude Corbo, Le rouge et le bleu : une anthologie de la pensée politique au Québec de la Conquête à la Révolution tranquille, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999, p. 240.

4  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 4.

5  Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 1.

6  Paris-Canada, 15 mars 1897, p. 1.

7  Ibid.

8  Ibid.

9  Paris-Canada, 15 juillet 1901, p. 1.

10  Ibid.

11  Paris-Canada, 15 janvier 1908, p. 1.

12  Ibid.

13  Henry Vivian Nelles, Une brève histoire du Canada, Montréal, Fides, 2005, p. 197.

14  Ibid., p. 198.

15  Paris-Canada, 15 novembre 1905, p. 1.

16  Ibid.

17  Ibid.

18  Ibid.

19  Paris-Canada, 15 avril 1904, p. 1.

20  Paris-Canada, 15 novembre 1905, p. 5. Ce numéro fait exceptionnellement 16 pages et comprend de nombreuses photos des plaines de l’Ouest.  

21  Ibid., p. 6.

22  Ibid.

23  Paris-Canada, 1er mai 1905, p. 1.

24  Sylvie Lacombe, La rencontre de deux peuples élus. Comparaison des ambitions nationale et impériale au Canada entre 1896 et 1920, Québec, Presses de l'Université Laval, 2002, p. 85.

25  Paris-Canada, 1er mai 1905, p. 1.

26  Paris-Canada, 15 novembre 1905, p. 1.

27  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 4.

28  Paris-Canada, 15 juillet 1901, p. 1.

29  Paris-Canada, 1er janvier 1901, p. 1.

30  Paris-Canada, 15 juillet 1901, p. 1.

31  Ibid.

32  Ibid.

33  Paris-Canada, 15 juin 1906, p. 1.

34  Ibid.

35  Ibid.

36  Ibid.

37  Philippe Chassaigne, La Grande-Bretagne et le monde, Paris, Armand Colin, 2003, p. 41.

38  Paris-Canada, 1er Juillet 1907, p. 5.

39  Paris-Canada, 15 août 1908, p. 1.

40  Paris-Canada, 5 décembre 1891, p. 1.

41  Paris-Canada, 1er septembre 1887, p. 1.

42  Ibid.

43  Ibid.

44  Ibid.

45  Paris-Canada, 8 mars 1888, p. 1.

46  Ibid.

47  Ibid.

48  Paris-Canada, 29 novembre 1890, p. 1.

49  Ibid.

50  Ibid.

51  Paris-Canada, 1er février 1902, p. 2.

52  Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 3.

53  Ibid.

54  Paris-Canada, 1er décembre 1906, p. 1.

55  Ibid.

56  Paris-Canada, 10 février 1887, p. 2.

57  Paris-Canada, 1er juillet 1889, p. 5.

58  Ibid.

59  Paris-Canada, 18 juin 1892, p. 1.

60  Ibid.

61  Ibid.

62  Lacombe, op. cit., p. 27

63  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 3.

64  Paris-Canada, 15 juin 1895, p. 2.

65  Paris-Canada, 15 mars 1897, p. 6.

66  Paris-Canada, 26 août 1886, p. 1.

67  Ibid.

68  Ibid.

69  Ibid., p. 4.

70  Paris-Canada, 1er juillet 1889, p. 1.

71  Ibid.

72  Paris-Canada, 15 mai 1899, p. 1.

73  Ibid.

74  Ibid.

75  Ibid.

76  Ibid.

77  Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 2.

78 Paris-Canada, 15 mai 1899, p. 1.

79  Paris-Canada, 1er mai 1902, p. 1.

80  Paris-Canada, 1er octobre 1904, p. 1.

81  Ibid.

82  Paris-Canada, 1er mars 1903, p. 2.

83  Ibid.

84  Paris-Canada, 15 janvier 1908, p. 1.

85  Ibid.

86  Ibid.

87  Paris-Canada, 11 juin 1884, p. 1.

Pour citer ce document

, « Chapitre 4. Présenter le Canada : autonomie et statut colonial », La revue Paris-Canada (1884-1909) et les relations franco-canadiennes à la fin du XIXe siècle, ouvrage de Philippe Garneau Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/la-revue-paris-canada-1884-1909-et-les-relations-franco-canadiennes-la-fin-du-xixe-siecle/chapitre-4-presenter-le-canada-autonomie-et-statut-colonial