Frères ennemis : petites revues et grande presse pendant la Belle Époque
Table des matières
MAX MCGUINNESS
Une guéguerre médiatique
Les années 1880 virent l’émergence d’une nouvelle vague de périodiques mensuels, parfois bimensuels, que l’on nommait les « petites revues » qui jouèrent un rôle clé dans la vie des lettres françaises jusqu’à et même au-delà de la Première Guerre mondiale. D’habitude créées par de petits groupes de jeunes auteurs, ces publications servaient principalement à publier les poèmes et la prose des fondateurs (malgré l’étiquette revue, en général la critique y occupait, au moins initialement, une place secondaire). Dans leur grande majorité, les petites revues disparaissaient après quelques numéros, mais certaines eurent une vie plus longue et purent donc durablement marquer la culture de leur époque. C’est notamment le cas du Mercure de France (1890-1965), de La Revue blanche (1889-1903), de La Plume (1889-1904; 1905; 1911-14), des Cahiers de la quinzaine (1900-14) de Charles Péguy, des Soirées de Paris (1912-14) et de La Nouvelle revue française (Nrf), fondée en 1908, qui continue de paraître aujourd’hui.
À la différence des « grandes revues » déjà bien établies, telles que La Revue des deux mondes et La Revue bleue, les petites revues se définissaient par leur enthousiasme pour les nouvelles écoles et formes littéraires : d’abord la décadence et le symbolisme, ensuite les innombrables mouvements d’avant-garde dont le futurisme, le cubisme et le surréalisme. Tandis que les premières continuaient à louer Boileau et Bossuet comme parangons du bon français, les secondes se situaient d’emblée dans le sillon creusé par Villiers de l’Isle-Adam, Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé. Comme l’écrivit le directeur du Mercure de France Alfred Vallette dans le premier numéro de cette petite revue :
Il est pertinent qu’en tout, partout, à tous les étages sociaux, il y a évolution rapide, et qu’on ne voit plus aujourd’hui comme on voyait il n’y a pas vingt ans. Mais, soit respect de la tradition, soit flagornerie auprès d’un public inconsciemment hypocrite, la Presse se tait volontiers sur le fond des questions brûlantes. Or, ce que chacun pense et que personne ne formule, ces idées paradoxales et subversives en 1890, codifiées en 1900, il nous serait agréable d’en écrire1.
Pour Vallette, la presse existante ne tenait pas compte d’une actualité culturelle et intellectuelle en pleine transformation, ce dont le Mercure comme les autres petites revues se réjouissait. Mais dans ces périodiques on trouve également des écrits d’auteurs qui portaient un œil plus sceptique sur les bouleversements de leur époque, ceux qu’Antoine Compagnon appelle les « antimodernes2 », dont Léon Bloy, André Gide, Péguy et Marcel Proust. Eux aussi étaient des hommes de revue qui surent profiter de l’ouverture offerte par ce nouvel espace médiatique pour s’en servir comme laboratoire littéraire.
L’essor des petites revues a souvent été perçu comme une conséquence de la prétendue dé-littérarisation de la grande presse et de l’autonomisation parallèle des champs littéraire et journalistique, selon un schéma bourdieusien. D’après Alain Vaillant :
Tout se passe donc comme si, à la fin du XIXe siècle, l’univers du périodique se scindait en deux secteurs de plus en plus étrangers l’un à l’autre: d’un côté le monde des revues littéraires à faible tirage mais à forte légitimité littéraire, et d’où seront issus tous les auteurs reconnus du siècle suivant […] de l’autre la grande presse quotidienne, pour qui la littérature ne serait rien de plus qu’un objet de reportage parmi beaucoup d’autres3.
L’avènement des petites revues marque certes une étape inédite dans l’histoire de la littérature française qui mènera à un nouveau système éditorial dominé par des maisons telles que Mercure de France, Grasset et Gallimard dont les origines se trouvent dans ces publications4. Cela ne signifie toutefois pas une rupture définitive entre la littérature et la grande presse. En effet, tout au long de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, les liens entre les journaux et les petites revues restaient étroits quoique rarement cordiaux. Le mépris réciproque y était même de rigueur tant et si bien que se moquer l’un de l’autre faisait partie du discours habituel à la fois des journaux et des petites revues. Dans beaucoup d'entre elles on trouve par exemple des chroniques régulières où il est question de tourner en dérision la bêtise et l’inattention des journaux. Mais de telles railleries inter-journalistiques ne font que souligner la proximité, l’intimité même de ces deux espaces médiatiques. Car si les petites revues et la grande presse s’éreintaient avec autant de vitriol, c’est parce qu’elles se connaissaient trop bien. Et si elles se connaissaient aussi bien, c’est parce que loin d’être scindés en deux camps mutuellement exclusifs, il y avait de nombreux écrivains qui s’impliquaient pleinement à la fois dans la grande presse et dans les petites revues (qui, après tout, ne payaient pas généralement assez pour vivre).
Prenons le cas du Mercure de France dont les débuts sont racontés dans Le Journal de Jules Renard. La réunion fondatrice en décembre 1889 aurait, par exemple, donné lieu à l’échange suivant entre les jeunes poètes rassemblés autour d’une table de bistrot :
– Et nous donnerons le dessous au Figaro.
– Il ne faut pas blaguer le Figaro. Aurier en est.
– Et Randon aussi5.
Aurier, c’est Gabriel-Albert Aurier qui devient le critique d’art du Mercure avant de mourir en 1892 ; Randon, c’est Gabriel Randon, un poète plus connu sous le nom de Jehan Rictus. À croire Renard, ils dépendaient tous les deux à cette époque de l’argent qu’ils gagnaient en vendant des échos anonymes au Figaro. Le désir de leurs co-fondateurs de publier des morceaux similaires dans le Mercure est donc frustré pour des raisons éminemment pratiques. Se moquer de la grande presse ici risque de coûter bien trop cher.
De tels croisements entre la grande presse et les petites revues sont tout aussi apparents dans le parcours de Renard lui-même. Car l’auteur du Poil de carotte donnait de la copie partout : au Mercure comme au grand quotidien populaire Le Journal, à La Revue blanche comme au quotidien littéraire L’Écho de Paris. Et vient le jour où il doit admettre à Vallette qu’il ne pourra plus contribuer à sa petite revue, faute de paiements plus généreux. Vallette n’en était pas content et il exprima un peu de son amertume à Paul Léautaud qui rapporte les propos suivants dans son propre journal :
J’ai jugé Renard du jour qu’il est venu me dire qu’il ne pouvait plus rien nous donner parce qu’on lui payait sa copie à l’Écho de Paris. [...] Ah ! la, la, la, ne me parlez jamais de ces gens-là, des gens qui nous ont lâchés dès qu’ils se sont sentis connus au boulevard. Parlez-moi de gens comme [Remy de] Gourmont. Il a longtemps donné sa copie pour rien, Gourmont. On n’a commencé à payer qu’en 1896, je crois6.
Or cette tirade pourrait faire penser au mot d’ordre de Jésus-Christ : que celui qui n’a jamais pêché jette la première pierre. Car Vallette avait écrit lui aussi pour ce même Écho de Paris, ayant contribué une chronique régulière sur l’actualité des petites revues à son supplément littéraire en 1892-3. Quant à Gourmont, il n’écrivait pas pour L’Écho de Paris mais il avait beaucoup publié dans d’autres journaux dont Le Journal. Par exemple, les pré-originaux de ses Histoires magiques (1894) qui sont parmi ses plus beaux écrits parurent tous soit dans Le Journal, soit dans Le Mercure. Il s’agissait d’une prépublication partagée entre un grand quotidien et une petite revue dont la seconde bénéficiait donc d’une subvention implicite de la part du premier. Si Gourmont pouvait donner certains contes gratuitement au Mercure, c’est parce que Le Journal lui payait pour d’autres. Parfois le Mercure se vantait même de tels liens comme dans la chronique d’Aurier consacrée à l’actualité des journaux et des revues en septembre 1892 :
Le Parti Nationalvient de confier à notre ami et collaborateur Charles Morice la critique artistique et littéraire. […]
Avec Jean Jullien au Paris, Sainte-Croix à la Marseillaise, Charles Morice au Parti National, il semble que les idées qui nous sont chères commencent à être vraiment représentées dans ce qu’on appelle la Grande Presse7.
À cet égard, la situation des collaborateurs du Mercure était tout à fait représentative.
À La Revue blanche, des personnages-clé dont Paul Adam, Tristan Bernard, Gustave Kahn et Lucien Muhlfeld écrivaient parallèlement pour des journaux tels que L’Écho de Paris, Le Journal, Le Figaro et Paris. Ici les rapports avec la grande presse prirent même une tournure quelque peu mélodramatique. Car l’épouse de Thadée Natanson (un des trois frères qui avaient fondé la revue) Misia Godebska devint la maîtresse du très sulfureux Alfred Edwards, ancien directeur du Matin et bien d’autres journaux dont Le Soir, pour lequel on trouve des réclames dans La Revue blanche et dont la rédaction comprenait Natanson lui-même. On voit donc à quel point les rapports entre les petites revues et la grande presse pouvaient être quelque peu incestueux, ce qui créait parfois de vives tensions internes. Par exemple, les liens entre La Plume et le quotidien Le Gaulois faillirent provoquer un duel entre le directeur-rédacteur en chef de la petite revue Léon Deschamps et son co-fondateur Georges Bonnamour. Ce dernier avait en effet persuadé Deschamps de consacrer un numéro spécial de La Plume au sujet du Gaulois afin de s’y obtenir un poste8, ce que Deschamps vint à regretter, décrivant cette action comme une « lâcheté » dans une lettre au poète René Ghil où il évoque l’envoi de ses témoins à son ancien collaborateur9.
D’autres petites revues influentes dont Les Soirées de Paris, Les Cahiers de la quinzaine ainsi que La Nrf avaient également de nombreux collaborateurs proéminents qui écrivaient parallèlement pour la grande presse. En ce qui concerne la dernière de ces publications, la fortune personnelle de Gide – homme-clé de la La Nrf – l’épargnait d’une telle besogne mais de proches collaborateurs tels que Jacques Copeau, Jacques Rivière et Alain-Fournier étaient tous contraints de faire du journalisme alimentaire. Partout les hommes de revue étaient aussi des hommes de presse.
Publicité
Les petites revues étaient également liées aux journaux par leur besoin de publicité. Et malgré ses regrets au sujet du numéro spécial consacré au Gaulois, les talents promotionnels de Deschamps à cet égard devinrent vite légendaires, ce qu’admettait volontiers son vieux frère-ennemi Bonnamour. Comme il le dit plusieurs décennies plus tard lors d’une enquête menée par la revue Belles-Lettres :
De dons littéraires médiocres, Léon Deschamps possédait, en revanche, d’exceptionnelles qualités d’animateur et d’organisateur. Ses « tendances », auxquelles je me suis pleinement associé, peuvent se résumer en une seule formule : « [sic] créer autour des œuvres littéraires, et principalement de celles des jeunes, un mouvement de curiosité assez vif, une agitation assez profonde pour obliger la grande presse et en particulier les journaux littéraires comme le Gil-Blas [sic] et l’Écho de Paris – le Journal n’était pas encore fondé – à s’y intéresser10.
De petites revues telles que La Plume avaient beau insister sur le fait que les journaux n’étaient que des moulins à idées reçues, Bonnamour et Deschamps, qui, à la différence des frères Natanson, de Gide et du co-fondateur de La Nrf Jean Schlumberger, ne possédaient aucun appui financier indépendant, étaient suffisamment réalistes pour se rendre compte qu’ils ne pouvaient pas espérer survivre en l’absence de leur soutien. L’année après l’humiliation du numéro spécial consacré au Gaulois, Deschamps échafauda donc une astuce promotionnelle pour attirer la presse vers lui – les dîners de La Plume – qui s’avéra étonnamment réussie11. Le flair publicitaire de Deschamps était exceptionnel mais il semble qu’il fût normal pour ces petites revues qui réussirent à perdurer au moins d’envoyer des exemplaires aux confrères dans les journaux12. Même Gide, dont l’attitude envers le journalisme pouvait être particulièrement hautaine, prenait soin de cultiver Paul Souday, l’influent feuilletoniste du Temps13, dont, par exemple, l’article sur La Jeune Parque de Paul Valéry, publié par les Éditions de la N.R.F, transforma l’accueil de cet ouvrage14.
Tout au long et même au-delà de la Belle Époque, les petites revues et les maisons d’édition qu’elles enfantèrent continuaient donc à dépendre de l’appui publicitaire souvent crucial que pouvait fournir la grande presse. Comme les écrivains-journalistes individuels qui y écrivaient, si elles voulaient survivre, ces publications n’avaient pas la possibilité de tourner le dos au Léviathan journalistique qu’elles aimaient tant mépriser.
Le reportage dans les petites revues
Quels sont les rapports entre ces deux approches au périodique ? Plus précisément, quelle était l’influence de ces liens professionnels sur les contenus des petites revues ? Pour adapter le bon mot de Tchékhov sur sa carrière de médecin, pour de nombreux écrivains, le journalisme leur sert d’épouse légitime tandis que la littérature est une maîtresse ruineuse. Et avec un peu de chance, les deux ne se rencontreront jamais. Or, en ce qui concerne les petites revues et la grande presse, on a souvent affaire à une situation comme celle de Misia, de Thadée Natanson et d’Alfred Edwards – c’est-à-dire un véritable ménage à trois. Car la petite revue pouvait être un espace médiatique très éclectique que pénétraient des formes d’écriture associées avec la grande presse, notamment le reportage.
C’était surtout le cas du sous-genre de reportage qu’est l’enquête où il s’agit d’interroger un grand nombre de personnes sur un sujet particulier et puis de publier leurs réponses in extenso, l’enquête de Jules Huret sur l’évolution littéraire pour L’Écho de Paris en 1891 en étant le premier exemple de grande envergure dans la presse française qui puisait dans des modèles anglo-saxons existants. Par la suite, il y eut une telle explosion d’enquêtes dans la presse française que certains parlent d’« enquêtomanie15 » et les petites revues n’en étaient nullement exceptées.
Parmi les exemples les plus connus sont les « congrès des poètes » (on évite souvent d’employer le mot « enquête » lui-même, peut-être pour échapper à ses connotations de vulgarité journalistique) qu’organisa La Plume en 1894 et 1896 pour choisir d’abord Verlaine et ensuite Mallarmé comme doyens de la poésie française, ce qui fit beaucoup de bruit dans les journaux à l’époque (c’était notamment grâce à cette enquête que la presse commença à appeler Mallarmé « le prince des poètes16 »). Mais le rôle de la grande presse ne se limita pas simplement à en faire l’écho car cette initiative débuta dans les pages du Journal tandis que La Plume ne fit que terminer l’enquête, en reprenant des pans de texte entiers qui avaient déjà paru dans ce quotidien17. Un exercice qui servait surtout à faire parler la grande presse de ces poètes avait donc ses origines dans cette même grande presse.
La Plume mena d’autres enquêtes sur des sujets tels que les affiches illustrées, le mariage et Émile Zola18. Dans le Mercure de France il y en avait sur des sujets tout aussi divers dont les vingt-cinq pires livres jamais écrits, les rapports franco-allemands, l’Alsace-Lorraine et l’usage de la photographie dans le roman19. Pour sa part, La Revue blanche organisa une enquête bien plus conséquente au sujet de la Commune de Paris en 1897, interviewant beaucoup de participants pour la première et la dernière fois20. Cette enquête est également d’une incontestable valeur historique de sorte qu’on la cite régulièrement dans des études sur la Commune21.
Dans son livre La Jeune Critique des petites revues symbolistes, Yoan Vérilhac a bien noté ces parallèles entre les petites revues et la grande presse :
[...] le phénomène des petites revues fin-de-siècle peut être lu, aussi, comme le signe le plus criant de la profonde compromission des décadents et symbolistes avec le siècle… Cette génération, qui se donna visiblement pour tâche d’achever et parfaire la construction d’une arche salvatrice à l’art pur, est aussi celle que l’on peut décrire comme une foule de « professionnels du journalisme »22.
Le nombre d’hommes de revue qui travaillaient parallèlement pour la grande presse prouve qu’il s’agissait bien de professionnels du journalisme. Et il y avait certes un élément de compromission dans le recours qu’avaient certaines petites revues à la forme de l’enquête, ce que dénonça le poète et critique Léon Bocquet dans le tout premier numéro de La Nrf : « Que d’enquêtes ! On fait assaut d’idées ingénieuses et réponses hâtives et spirituelles. Tout cela ne prouve pas grand’chose, mais contribue à lancer habilement une revue23. » En revanche, leur pratique de l’enquête pouvait s’avérer aussi très originale, comme c’était le cas de l’enquête sur la Commune dans La Revue blanche. Du reste, la publication de cette enquête reflétait les préoccupations politiques de son secrétaire de rédaction Félix Fénéon, militant anarchiste qui était tout sauf un homme de compromis.
Il en va de même pour d’autres formes de reportages dans La Revue blanche qui partagent cet esprit de contestation. On y publiait, par exemple, plusieurs reportages écrits par des soldats ou d’anciens soldats critiquant l’armée française, vue de l’intérieur, qui semblent anticiper des classiques du genre tels qu’Étrange défaite (1940, 1946) de Marc Bloch et Lieutenant en Algérie (1957) de Jean-Jacques Servan-Schreiber24. Dans un de ces articles, il est notamment déjà question de l’usage systématique de la torture en Algérie25. Plus saisissant encore était un exposé sur les conditions dans le bagne militaire du château d’Oléron près de La Rochelle qui fut écrit en 1901 par un ancien forçat, le militant anarchiste Gaston Dubois-Desaulle (tué un court temps après en Abyssinie26), après s’être infiltré dans cette prison, avec un appareil de photo caché, pour documenter les tortures que l’on y infligeait sur les bagnards27. Ces révélations provoquèrent un tel scandale à travers toute la presse parisienne que le ministre de la Guerre se dépêcha sur place avant de déclarer, de manière peu convaincante, que ces abus avaient déjà été spontanément corrigés. Sans surprise, Dubois-Desaulle n’en était nullement persuadé et promit dans un second article d’écrire un réquisitoire encore plus extensif, qui fut publié l’année même par les Éditions de la Revue Blanche28.
Dans « Le Bagne militaire d’Oléron », comme dans d’autres articles du même acabit publiés dans La Revue blanche, on trouve tous les indices stylistiques et techniques du reportage : l’usage de la première personne, le témoignage, l’interview, voire la photographie et le plan succinct. Mais le journalisme de Dubois-Desaulle est aussi clairement en avance sur son temps. Son scepticisme absolu vis-à-vis de l’État, sa volonté de se servir du reportage comme outil antiautoritaire, sa farouche indépendance et sa capacité d’employer des ruses pour dévoiler des vérités scandaleuses le différencient des grands reporters volontiers crédules de la Belle Époque et le rapprochent de la génération suivante dont Albert Londres qui fera lui aussi des révélations sur les conditions déplorables dans les bagnes en Guyane et en Afrique du Nord aux années 1920. Ce que fait Dubois-Desaulle dès 1901 ne relève en effet pas seulement du reportage mais du journalisme d’investigation militant, genre qui ne deviendra familier dans les journaux français qu’après la Première Guerre mondiale. Ici, une petite revue, La Revue blanche, paraît donc être au creuset de l’innovation journalistique.
Ce n’est pas la seule petite revue qui devance la grande presse en matière d’information brûlante. Les Cahiers de la quinzaine de Péguy, qui était lui-même passé par La Revue blanche, publia également un grand nombre de reportages sur les crimes du colonialisme en Indochine et Afrique29. Péguy consacra notamment tout un Cahier au reportage de l’universitaire Félicien Challaye sur la mission Brazza au Congo français en 1905 qui révéla la brutalité du système concessionnaire dans cette colonie et dont des parties avaient auparavant été en effet refusées par Le Temps et La Revue de Paris30.
Les Cahiers et La Revue blanche se démarquent par la qualité de leurs grands reportages. Mais on trouve de tels articles un peu partout dans les petites revues, notamment dans Les Soirées de Paris et La Nrf d’avant la Première Guerre mondiale. Il est normal aussi de trouver du petit reportage ou des échos dans les petites revues où il s’agit de relater de menus faits sur la vie littéraire parisienne. « L’universel reportage » décrié par Mallarmé était donc très présent dans les mêmes petites revues, notamment La Revue blanche, qui accueillaient ses propres écrits.
Croisements journalistiques et littéraires
Dans de petites revues telles que La Revue blanche, Les Cahiers de la quinzaine, La Nrf et Les Soirées de Paris, des textes typiquement journalistiques se trouvent côte à côte avec de la poésie et de la prose littéraire. Qu’en advient-il ? Quoique les deux formes d’écriture ne soient guère liées explicitement, il y a de nombreux cas où des écrits littéraires semblent être marqués par cet éclectisme médiatique.
Romans
Par exemple, des romans tels que Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau, Jean Coste ou l’instituteur de village d’Antonin Lavergne, Jean-Christophe de Romain Rolland et Les Caves du Vatican de Gide, qui furent tous publiés pour la première fois en feuilleton dans de petites revues, présentent des parallèles spécifiques avec du reportage et des articles polémiques qui parurent dans les mêmes petites revues. À cet égard, le livre de Mirbeau, publié dans La Revue blanche durant 1900, est particulièrement riche en allusions politiques et journalistiques. On y trouve de nombreuses références à l’Affaire Dreyfus en cours dans laquelle cette petite revue s’était pleinement impliquée depuis la publication de sa « Protestation » en février 1898 (un mois après le « J’accuse » de Zola). Joseph, le sinistre cocher et jardinier, voire meurtrier présumé, que l’héroïne Célestine finit par épouser, est ainsi dépeint comme un antidreyfusard fervent qui ne cesse de murmurer des imprécations antisémites. Toute une série de grotesques aristocrates et bourgeois sont de même définis par leur antidreyfusisme virulent. Certains d’entre eux y apparaissent même sous leurs vrais noms dont le poète-journaliste François Coppée, le caricaturiste Jean-Louis Forain, l’ancien ministre de guerre Auguste Mercier et le chroniqueur Jules Lemaître. La dimension journalistique de l’Affaire est également mise en avant : Joseph lit quotidiennement La Libre Parole, qui paraît dicter la plupart de ses opinions nauséabondes, tandis que le monde des antidreyfusards salonniers tourne autour du Gaulois et sa pétition pour ériger un monument à la mémoire du colonel Hubert-Joseph Henry (qui s’était suicidé en août 1898 après avoir contrefait des documents dans le but d’incriminer Dreyfus) ; par contre, l’amant de Célestine William est un lecteur de L’Autorité et partisan de son directeur Paul de Cassagnac, l’homme politique bonapartiste qui, en dépit de son propre antisémitisme, était parmi les premiers à avoir douté de la culpabilité de Dreyfus. Tout cela indique que la publication du Journal d’une femme de chambre représentait une extension de l’engagement dreyfusard de Mirbeau et de La Revue blanche. Avec ce roman, ils essayaient en effet de discréditer leurs ennemis politiques et donner du secours à leurs alliés au sein d’une lutte politico-journalistique plus large. Le Journal d’une femme de chambre poursuit donc la polémique entamée par la « Protestation » de la petite revue ainsi que par le « J’accuse » de Zola (dont Mirbeau payait une partie des frais de justice31). En outre, lors de sa publication en feuilleton, La Revue blanche publia plusieurs autres articles sur l’Affaire dont « Le général Mercier falsificateur de textes », écrit par le journaliste militant Jean Ajalbert, de tel sorte que Mercier, le premier accusateur de Dreyfus dans la politique française, fut concurremment attaqué en fiction et dans un texte factuel (l’ironie étant qu’on le visait à cause de ses propres fabrications)32. La section du roman où Mercier est caricaturé parut même dans le numéro publié deux semaines après celui contenant l’article d’Ajalbert33.
Du reste, la version livresque contient une longue dédicace à Jules Huret où le romancier reconnaît ouvertement l’influence du journalisme de son ami : « J’ai toujours présentes à l’esprit, mon cher Huret, beaucoup des figures, si étrangement humaines, que vous fîtes défiler dans une longue suite d’études sociales et littéraires34. » Cela souligne que, quoique n’étant pas une œuvre de reportage lui-même, Le Journal d’une femme de chambre possède de réelles affinités avec ce genre dont l’usage de la première personne, la prééminence du thème du voyage et une fascination pour des crimes spectaculaires. Le journalisme, la littérature et la politique s’y entrecroisent donc d’une manière qui semble en prise avec l’esprit éclectique de La Revue blanche. D’ailleurs, l’entrée de Mirbeau dans le cercle de cette petite revue au zénith de l’Affaire (selon Léon Blum, il passait par leurs locaux presque tous les jours35) eut très clairement un effet décisif sur le développement du roman, dont il avait commencé une version des années plus tôt, en déclaration dreyfusarde. Et c’est précisément l’habileté de La Revue blanche à emprunter à la grande presse tout en la critiquant qui semble avoir déteint sur Le Journal d’une femme de chambre. Lui-même journaliste chevronné, dans ce roman Mirbeau confronte le rôle parfois héroïque mais pour la plupart abject que ses confrères jouèrent dans le plus grand scandale politique de l’ère. Et à travers le personnage psychopathe de Joseph, il brosse un portrait prescient des effets délétères de la propagande des journaux sans scrupules sur une populace à demi-instruite.
Poésie
Fondée par plusieurs journalistes de plein exercice en 1912, Les Soirées de Paris ne rechignait pas à publier des articles aux accents de la grande presse. Par exemple, on y trouve deux articles sur la Première Guerre des Balkans (grand événement journalistique de ces années-là) écrits par André Tudesq (un de ses fondateurs) et Jérôme Tharaud36. Dans ces cas, à la différence des articles de Challaye et de Dubois-Desaulle pour les Cahiers et La Revue blanche, il n’y a aucun esprit critique ni désir de contestation. Tudesq et Tharaud étaient des va-t-en-guerre dont les reportages remplis des pires clichés du journalisme de guerre auraient pu être publiés dans n’importe quel quotidien de l’époque. Et Tudesq avait été en effet envoyé aux Balkans comme correspondant du Journal tandis que Tharaud le joignit à la recherche d’aventures37. Or l’intérêt de ces articles tient à ce qui les entoure. Le deuxième de ces reportages est ainsi immédiatement précédé dans les pages des Soirées de Paris par « Zone » d’Apollinaire qui comporte une déclaration esthétique célèbre concernant la littérature et le journalisme :
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux38[.]
Non seulement Apollinaire signale-t-il ici son ouverture à la culture des journaux, il affirme, de façon jubilatoire et provocatrice, que la prose est même devenue synonyme du journalisme, ce qui est directement juxtaposé avec un morceau de prose hautement journalistique, à savoir l’article de Tudesq. Cela suggère que l’allusion à la prose dans les journaux est une mise en abyme des rapports entre Les Soirées de Paris et la grande presse pour laquelle la plupart de ses collaborateurs écrivaient en parallèle. Car en publiant du reportage de guerre à côté d’un morceau de poésie expérimentale, Les Soirées de Paris réalise elle-même la vision de la littérature qu’exprime « Zone ».
Le dernier numéro de cette petite revue, publié en juillet 1914, comprend similairement le poème de Blaise Cendrars « Titres » qui, dans une autre mise en abyme, évoque l’ambition de créer le :
Premier poème sans métaphores sans images
Simples nouvelles
Les accidents des féeries39[.]
Les vers ici paraissent hachés ou décousus comme si, conformément au titre du poème, c’étaient des gros titres tirés des journaux qui avaient été rassemblés pêle-mêle (et la troisième ligne pourrait bien être le titre d’une rubrique dans n’importe quel quotidien). Ces affinités avec la typographie des journaux sont encore plus accentuées dans les deux derniers vers du poème :
Quand le journal fermente comme un éclair claquemuré
Manchette[.]
L’image du journal en train de fermenter suggère que son énergie comprimée soit sur le point d’éclater en une fulgurance poétique prenant la forme d’une manchette, c'est-à-dire un gros titre de journal. Cendrars va ainsi au-delà d’Apollinaire et supprime la distinction faite dans « Zone ». Car ici c’est la poésie elle-même, et non pas simplement la prose, qui passe sous le signe du journal. En outre, comme c’était le cas du numéro contenant « Zone », le poème de Cendrars est suivi d’un reportage traduit de l’anglais au sujet surprenant du « Baseball au [sic] États-Unis » qui met l’accent sur l’importance du journalisme pour ce sport, remarquant en particulier la manière dont « la première page annonce dans des énormes headlines et en types de noir et rouge le résultat du match40. » Ici encore, la fascination pour la grande presse exprimée dans le poème semble être donc en prise avec un article plus typiquement journalistique trouvé dans la même publication.
Formes hybrides – Jarry, Apollinaire, Mallarmé, Péguy
Cendrars a beau évoquer l’effacement de la distinction entre le journalisme et la poésie dans « Titres », ses contributions aux petites revues d’avant 1914 ne vont pas jusqu’à réaliser cette vision quelque peu utopique. Bien que « Titres » envisage de créer des poèmes consistant en « simples nouvelles » dont « les accidents des féeries », la frontière entre la poésie et le reportage est en réalité maintenue dans Les Soirées de Paris, ce que soulignent les articles hautement conventionnels de Tudesq et Tharaud. Or il y a d’autres écrits publiés dans les petites revues qui sont caractérisés par une véritable hybridité entre le journalisme et la littérature. C’est le cas notamment des « Spéculations » et « Gestes » qu’écrivit Alfred Jarry pour La Revue blanche en 1900-03 et qui furent par la suite édités dans le recueil La Chandelle verte. Comme l’a remarqué Julien Schuh :
Ces chroniques impliquent Jarry dans l’actualité et la saisie de l’éphémère, qui deviennent des éléments centraux de sa pratique littéraire. [...] Délaissant l’Être de la littérature symboliste, il s’engage avec bonheur dans la dynamique du Vivre journalistique41.
Cette dynamique relie souvent les articles de Jarry pour La Revue blanche au journalisme de la grande presse (pour laquelle lui-même n’écrivit que quelques articles). Cette parenté se voit en particulier dans les nombreux faits divers publiés dans les « Gestes » et « Spéculations » qui, quoique, de toute évidence, fictionnels, font néanmoins des clins d’œil satiriques à l’actualité journalistique. Par exemple, dans le contexte d’une vague d’hystérie « sécuritaire » (comme on le dirait de nos jours) largement alimentée par les journaux (ce que Dominique Kalifa a analysé en détail42), Jarry déclare avoir découvert un cas gravissime de ce que l’on commencera à appeler pendant la Première Guerre mondiale « bourrage de crâne » :
La cervelle du sergent de ville.– On n’a point oublié cette récente et lamentable affaire : à l’autopsie, on trouva la boîte crânienne d’un sergent de ville vide de toute cervelle, mais farcie de vieux journaux43.
La victime ici est précisément celui censé faire respecter la loi sans tenir compte des faits divers à sensation relatés par des journaux tels que Le Petit Journal. Jarry implique donc que le pouvoir de la presse est tel que même les forces de l’ordre sont en train de succomber aux mythes d’omniprésents « rôdeurs » et « apaches » colportés par la grande presse. Ce qui paraît être une anecdote fantaisiste est en fait une critique mordante d’un réel délire de masse. Et, comme fait divers fictionnel, elle prend la forme du genre même dont l’influence insidieuse est ici visée. Dans un paradoxe typique de la pataphysique, cette « science des solutions imaginaires44 » au centre de l’univers jarryste, la vérité est ainsi transmise dans un morceau de reportage qui relève lui-même de la plus pure invention.
Cette critique de la presse s’étend au grand reportage de guerre qui, à l’instar des articles de Tudesq et Tharaud pour Les Soirées de Paris, tendait à transformer les horreurs du combat en grotesque spectacle médiatique. Il s’agit d’un effet manipulateur saisi dans une vignette qui parut parmi les « Spéculations » au moment de la Guerre des Boers en 1901 :
Les plus forts hommes.– Une foule nombreuse se presse quotidiennement sur un certain point du boulevard, où, derrière une vitre, deux fantoches de bois, figurant un Anglais et un Boer, luttent. [...] Le fil qui actionne les deux silhouettes est bel et bien un fil télégraphique qui les relie aux réelles opérations de l’Afrique du Sud [...]45.
Ici encore, une fantaisie ludique sert à illustrer une réalité tristement sérieuse, à savoir les manipulations des journaux, représentés à travers la métonymie du « fil télégraphique », qui peignent la guerre sous les couleurs d’un saisissant sport de combat. La pénétration de Jarry s’avère même hautement précoce car il semble anticiper la prise de conscience concernant la propagande des journaux qui deviendra monnaie courante dans la littérature de la Première Guerre mondiale dont les œuvres d’écrivains aussi divers que Karl Kraus, Marcel Proust et Siegfried Sassoon. Comme le remarque le baron de Charlus dans Le Temps retrouvé: « Les gens de l’arrière s’imaginent que la guerre est seulement un gigantesque match de boxe, auquel ils assistent de loin, grâce aux journaux46 ». Le grand mérite de Jarry est qu’il s’empare de cette vérité avant 1914 au moment où la guerre était encore plus loin pour les lecteurs de journaux toujours prêts, dans leur ensemble, à s’enorgueillir de légendes de bravoure et d’héroïsme.
Avec ces « Gestes » et « Spéculations » Jarry ébauche une forme de journalisme dirigée contre le journalisme lui-même. Il s’agit de ce que l’on n’appelait pas encore la critique des médias, qui ne trouvera sa place dans la presse française qu’avec la création du Canard enchaîné en 1915. L’influence de la grande presse sur l’écriture de Jarry est donc surtout une influence négative dans la mesure où le journalisme superficiel, voire manipulateur des journaux semble représenter pour lui un repoussoir.
Or ce journalisme tant honni pouvait également servir de modèle pour des écrits tout aussi novateurs, publiés dans des petites revues, qui dépassent la distinction entre le journalisme et la littérature (même étroitement définis). Par exemple, en 1902-3 Apollinaire publia plusieurs textes en prose dans La Revue blanche qui semblent participer à la fois du grand reportage et du conte gothique47. Son « Passant de Prague » débute ainsi sur une description vivante de l’arrivée de l’auteur à Prague qui ne serait pas déplacée dans un article de Jules Huret, voire, un peu plus tard, d’Albert Londres ou de Joseph Kessel. Toutes les caractéristiques définissant le reportage y sont présentes : l’usage de la première personne, l’accent mis sur le voyage, sur la couleur locale, des citations recueillies de passants, des heures et des dates précises ainsi que des références à des événements récents (en particulier, la commémoration du centenaire de la naissance de Victor Hugo). Puis le récit emprunte une trajectoire fantastique alors que le reporter/narrateur entame une conversation avec un homme qui prétend être le Juif errant lui-même. Or le ton réaliste n’est jamais abandonné et rien n’exclut que le reporter/narrateur prenne note tout simplement de ce qu’un vieux fou lui avait raconté. Comme le dit Michel Décaudin : « Le début est un reportage à la fois pittoresque et minutieux ; puis on glisse insensiblement au fantastique, sans quitter le réel, selon un processus fréquent dans le fonctionnement de l’imaginaire apollinarien48. » Et ces ambiguïtés sont sûrement accentuées par le fait que « Le Passant de Prague » parut dans une petite revue qui publiait fréquemment des reportages à côté de nouvelles et de romans.
Le sens d’hybridité littéraire-journalistique est encore plus prononcé dans les articles de Mallarmé pour La Revue blanche aux années 1890. Le premier d’entre eux « Tennyson vu d’ici », d’abord publié dans The National Observer, un périodique littéraire d’Edimbourg, se définit même comme « ce reportage dignifié par le sujet49. » À vrai dire, il n’y a pas strictement parlant de reportage dans cette série de réflexions sur le poète défunt. Mais le choix du mot reportage accentue néanmoins les connexions entre l’article et la grande presse laquelle, comme l’explique Mallarmé dans le premier paragraphe, l’avait incité à mettre un peu d’ordre dans ses pensées au sujet de Tennyson en expédiant un reporter pour l’interviewer juste après la mort du poète.
Le troisième article de Mallarmé pour La Revue blanche « Déplacement avantageux » peut être plus assurément classé comme un véritable reportage50. Dans ce texte le poète se souvient de ses visites récentes à Oxford et à Cambridge pour donner la conférence La Musique et les Lettres (qui avait déjà été publiée dans La Revue blanche quelques mois plus tôt en avril 1894). « Déplacement avantageux » comprend des descriptions topographiques de Londres et des deux villes médiévales ainsi qu’un récit idyllique de la vie universitaire là-bas ; tout est, d’ailleurs, narré à la première personne, comme il sied à un grand reportage. L’article incorpore également des passages modifiés tirés de sa chronique « le Fonds littéraire », arguant en faveur de subventions publiques pour les écrivains, qui venait de faire beaucoup de bruit dans la grande presse après avoir été publié deux mois auparavant à la première page du Figaro51. Mallarmé avait même proposé le texte entier de « Déplacement avantageux » à ce journal, ayant déjà essuyé un refus de La Revue de Paris. Mais quoique le style de Mallarmé ici s’avérât trop abstrus pour ces deux publications, « Déplacement avantageux » adapte néanmoins des formes d’écriture associées à la grande presse et réalise une synthèse du vulgaire et de l’ésotérique, du journalistique et du poétique que La Revue blanche était apte à accueillir.
La même approche sous-tend les « Variations sur un sujet », une série de réflexions poétiques sur l’actualité culturelle et politique que Mallarmé publia dans La Revue blanche durant 1895 et 1896. Des versions remaniées de la plupart de ces textes furent rééditées dans le recueil d’œuvres en prose Divagations (1897), dernier livre à paraître de son vivant, sous le titre paradoxal « Grands faits divers » qui suggère un désir à la fois d’embrasser et de dépasser leurs origines journalistiques. À la fin il ajoute un appel à l’émergence
[d’]Une publication, vive, au sommaire marquant le milieu, exact, entre des articles écourtés de journal et la masse oisive où flotte maint périodique, commande la façon. Les cassures du texte, on se tranquillisera, observent de concorder, avec sens et n’inscrivent d’espace nu que jusqu’à leurs points d’illumination : une forme, peut-être, en sort, actuelle, permettant, à ce qui fut longtemps le poème en prose et notre recherche, d’aboutir, en tant, si l’on joint mieux les mots, que poème critique. Mobiliser, autour d’une idée, les lueurs diverses de l’esprit, à distance voulue, par phrases […]52.
Ici l’intérêt de Mallarmé pour l’expérimentation formelle coïncide avec un désir manifeste d’agir à travers les mots ; autrement dit, le domaine de la poésie s’ouvre à celui du journalisme. Le poème en prose, lui-même façonné dans la grande presse53, cède la place à une nouvelle vision d’hybridité journalistique et littéraire, se situant entre la hâte excessive du journal et la pesanteur de la petite revue, que Mallarmé désigne le « poème critique ». Ce concept semble anticiper les innovations formelles d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard mais décrit également le fond de certains écrits précédents dans Divagations dont les versions remaniées des « Variations sur un sujet » qui osent tenter une synthèse de la poésie en prose et de la critique culturelle portant sur des sujets aussi divers que l’avenir de la littérature (en particulier ses rapports avec le journalisme), le conflit de classe et un projet pour une nouvelle religion civique. Les « Variations » représentent donc eux-mêmes une première tentative de réaliser la vision hybride du « poème critique » au sein d’une publication, La Revue blanche, qui était idéalement située à l’intersection de la grande presse et des petites revues.
Comme Mallarmé, Péguy médite sans cesse sur sa propre relation avec la presse et essaie de faire sens des interactions entre le journalisme et la littérature dans ses écrits pour Les Cahiers de la quinzaine. Par exemple, dans un des premiers Cahiers, il publia un long dialogue, titré « Entre deux trains », entre lui-même et un ami (de toute apparence fictif) nommé René Lardenois qui lui reproche ses obsessions journalistiques :
Tu lis beaucoup de journaux, trop de journaux, pour ta santé, beaucoup trop de quotidiens, et nous savons combien est vaine l’action du journaliste, et toi-même, si je te pressais, tu en conviendrais. Alors ? Pourquoi t’es-tu fait journaliste ? Car tu es journaliste. Au lieu que tu pourrais employer ta jeunesse finissante à lire les bons auteurs, qui sont nombreux, que l’on connaît mal, et que tu ne connais pas. Puis tu emploierais ta maturité commençante à quelque travail épais, honnêtement ennuyeux. Les travaux épais font plus pour l’action que les fantaisies plus ou moins réussies, que vous croyez légères. Descartes ou Kant ont plus fait pour préparer ce qu’il y a de bon dans ce que vous nommez la Révolution Sociale que toutes les boutades et tous les calembours des journalistes. Faisons des livres épais54.
Péguy, qui avait en effet récemment abandonné une carrière naissante de philosophe, avoue ici douter de soi-même et du chemin qu’il choisit d’emprunter. S’étant jeté dans les Cahiers, son alter ego lui rappelle qu’il peut y avoir un prix à payer pour l’immédiateté journalistique dont Péguy éprouve le besoin, en réitérant l’opposition traditionnelle entre le monde éphémère du journalisme et la patience que nécessite un véritable travail de recherche, ici représenté à travers la métonymie imposante des « livres épais. »
Comment répond Péguy ? En éludant la question. « [T]u trouveras aux cahiers, dit-il à Lardenois, aussitôt que j’aurai le temps d’en exposer l’institution, une réponse non négligeable aux reproches que tu m’as faits55. » Lardenois est loin d’être convaincu : « Oui [...] : c’est un des nombreux articles que tu as promis et que tu ne feras jamais. » « Nous verrons », insiste Péguy. « Nous verrons », dit Lardenois à son tour.
En termes littéraux, c’est l’intuition Lardenois qui s’avéra juste. Aucun article abordant ses reproches dans « Entre deux trains » ne parut dans les Cahiers. Et, bien que Péguy continuât à discuter des thèmes philosophiques dans ses écrits, il ne publia jamais non plus un livre épais à ce sujet. Seul un essai inachevé sur Descartes qui parut dans La Nrf en 1919 se rapproche de ce but.
Or, d’une autre manière, les Cahiers eux-mêmes sont la réponse de Péguy. Ni livre épais (quoique certains soient bien longs) ni simple recueil d’articles éphémères, la publication de Péguy constitue l’exemple ultime de l’hybridité journalistique et littéraire qui réunit des romans, de la poésie, de la philosophie, de la polémique et du reportage sous un seul insigne périodique. Du reste, dans l’écriture de Péguy lui-même, toutes ces distinctions s’estompent continument. « Entre deux trains » est un exemple typiquement résistant à la classification qui se sert de la forme du dialogue socratique pour scruter sévèrement son propre projet journalistique tout en intercalant des réflexions sur la politique contemporaine et les parcours de divers contemporains (qui pourraient bien être eux-mêmes entièrement fictifs). Ses « Lettres du provincial », publiées elles aussi dans la première série des Cahiers, se servent pareillement d’une forme littéraire classique héritée de Pascal pour discuter l’évolution des Cahiers et leur position au sein de la presse parisienne ainsi que le mouvement socialiste56.
Dans des écrits plus tardifs tels que Notre jeunesse et Victor-Marie, Comte Hugo (1910), le sens d’hybridité est encore plus prononcé. À la fois des mémoires, des manifestes et des essais critiques, ces jérémiades tourmentées sur les répercussions de l’Affaire Dreyfus sont saturées de la fascination intarissable de son auteur pour la presse. Dans Notre jeunesse, le héros de l’Affaire Bernard Lazare est ainsi commémoré comme « un vieux journaliste, un routier du journal(isme) » dont le « cœur [...] battait à tous les échos du monde » pendant qu’il étudiait de près les journaux à la recherche de l’injustice lointaine57. Et à la fin de Victor-Marie, Comte Hugo, le journal prend un caractère vraiment exalté au moment où Péguy évoque sa réaction à l’oraison funèbre de Barrès pour Jean Moréas, qui avait été publiée dans Le Temps plus tôt cette année :
Et il n’y eut plus que cette pureté antique, ce poème antique, tout l’antique, tout le païen, tout le tragique, toute l’harmonie évoquée, présente, dans peut-être pas même une colonne de ce journal ; d’aujourd’hui ; mouillé des presses ; que l’on vient d’acheter pour trois sous. Toute une élégie58.
La révélation de Péguy ici accentue que des grandes œuvres d’art peuvent surgir dans n’importe quel contexte. À la différence de Mallarmé, il est indifférent à la forme du journal, remarquant qu’il ne fut nullement séduit par « quelque charme de typographie ». Mais le choc d’avoir croisé un texte qu’il considère comme un chef d’œuvre dans ses humbles pages semble alimenter l’intensité de son émerveillement esthétique. Pour Péguy, à travers sa présence dans Le Temps, l’oraison de Barrès devient une épopée de trois sous qui est l’égal de n’importe quelle grande œuvre de l’antiquité. Il conclut : « Dans ces deux cents lignes, de prose, autant et plus qu’en un volume, autant et plus qu’en un livre, autant qu’en des vers, autant et plus qu’en un long poème. » Voilà, dix ans plus tard, la réponse de Péguy à Lardenois : un article de journal de deux cents lignes peut être tout aussi profond que n’importe quel « livre épais » ; le génie peut et devra fleurir quelle que soit la forme qu’il prend.
Les propres écrits de Péguy ne se limitent à aucun modèle générique particulier et puisent de l’inspiration dans la littérature comme dans le journal quotidien. Victor-Marie, Comte Hugo prend lui-même la forme d’une lettre ouverte à son vieux frère-ennemi Daniel Halévy. Ainsi, Péguy adopte un genre journalistique – le « J’accuse… » de Zola étant le modèle implicite – et le transforme au-delà de toute reconnaissance en lamentation de 250 pages qui se sert de leur amitié pour fonder une méditation hautement personnelle sur la politique et la poésie. Le Cahier qui en résulte est emblématique de la modernité de l’écriture de Péguy, proche de celle de Baudelaire dans « Le Peintre de la vie moderne », qui mélange l’actuel et l’éternel, le journalistique et le littéraire pour exprimer son ambivalence envers son époque.
Péguy, ainsi que le Mallarmé des « Variations sur un sujet », dépasse donc les limites habituelles de l’empiétement du journalisme de la grande presse sur les petites revues. D’autres écrivains de la Belle Époque puisèrent certes de l’inspiration dans le reportage et dans des controverses politiques médiatisées par la presse, mais ils ne se consacrèrent pas à faire une révolution esthétique au sein du journalisme lui-même. En lettres comme en politique, Péguy était en effet un personnage essentiellement isolé tandis que les idées les plus radicales de Mallarmé au sujet de la presse furent ignorées. Mais ces cas se créèrent dans le contexte de multiples connexions et échanges entre la grande presse et les petites revues. Si les secondes étaient le principal laboratoire de la littérature pendant la Belle Époque, elles empruntèrent néanmoins beaucoup d’instruments aux journaux. Les « Variations sur un sujet » et les articles de Péguy pour les Cahiers n’étaient que, pour ainsi dire, les composés les plus radicaux à émerger de cette culture d’expérimentation enchevêtrée.
Conclusion
De tels cas remettent en cause le modèle de Pierre Bourdieu de l’autonomisation de la littérature à la fin du XIXe siècle en France (dont Mallarmé est censé être un des principaux représentants), selon lequel les petites revues et la grande presse, voire le « journalisme » tout court, occupent deux secteurs opposés du champ littéraire et n’interagissent que négativement59. En réalité, les rapports à la fois personnels et textuels entre ces deux formes de publication étaient étroits si bien que le journal représentait pour certains écrivains au centre du milieu des petites revues autant un modèle qu’un repoussoir. Loin d’être dominés par la grande presse comme les malheureux écrivains-journalistes d’Illusions perdues ou de Charles Demailly, Apollinaire, Mallarmé et Péguy entre autres savaient s’en servir tout en gardant leur distance. Cet esprit d’ouverture critique est même en prise avec la « lucidité » de Mallarmé vis-à-vis de la logique de l’illusoire « jeu littéraire » sous-tendant sa propre autonomisation que Bourdieu commente vers la fin des Règles de l’art60. Si Mallarmé, d’après l’analyse de Bourdieu, voulait bien envisager, quoiqu’avec ambivalence, de démystifier la pratique de la littérature pour en finir avec son culte d’exclusivité et la rendre accessible à tous, cela semble aller de pair (mais Bourdieu ne le dit pas) avec sa vision du « poème critique » qui dépasserait les limites du journal et de la petite revue pour créer une nouvelle forme littéraire radicalement ouverte. Ce que Mallarmé appelle « le démontage impie de la fiction », c’est-à-dire, toujours selon Bourdieu, le rejet d’attitudes hermétiques et fétichistes en littérature, entraîne également le démontage des frontières entre la littérature et le journalisme. Et ce sont vraisemblablement les expériences de Mallarmé au sein des petites revues, où ces catégories étaient déjà entremêlées, qui alimentèrent une telle vision. L’interdépendance réelle des champs journalistique et littéraire serait donc à l’origine d’une prise de conscience que l’autonomisation elle-même ne représente finalement qu’une fiction particulièrement puissante.
(Université Columbia)
Notes
1 « Mercure de France », t. I, no 1, janvier 1890, p. 1-5, p. 1.
2 Les Antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005.
3 « Avant-propos », La Littérature fin de siècle au crible de la presse quotidienne, Romantisme, t. XXXIII, no 121, 2003, p. 3-8, p. 5-6. Dans an article plus récent, co-écrit avec Dominique Kalifa, Philippe Régnier et Marie-Ève Thérenty, Vaillant a nuancé ce jugement tout en maintenant le principe d’un clivage fondamental autour de la littérature : « le retrait relatif de la littérature des grands quotidiens suscite la floraison des très nombreuses “petites revues”, qui par réaction, se piquent, elles, de littérature plus que de tout autre chose. » « Les Scansions internes à l’histoire de la presse », La Civilisation du journal, dir. Kalifa et al., Paris : Nouveau Monde, 2011, p. 267.
4 Mercure de France et Éditions Gallimard sont respectivement issus de la revue portant le même nom que le premier et de La Nrf. La parenté des Éditions Grasset est moins directe mais doit beaucoup aux liens entre Grasset, Péguy et son collaborateur Daniel Halévy qui dirigea la collection des Cahiers verts chez Grasset en hommage au défunt écrivain-éditeur après la Première Guerre mondiale.
5 Journal 1887-1910, éd. Léon Guichard & Gilbert Sigaux, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1965, le 14 novembre 1889, p. 44.
6 Journal littéraire, Paris, Mercure de France, 1986, le 9 juin 1909, t. I, p. 752-3.
7 « Journaux et revues », t. VI, no 33, septembre 1892, p. 88-91, p. 89-90.
8 « Numéro exceptionnel consacré au “Gaulois” », no 18, janvier 1890.
9 Lettre à René Ghil & E.[?] Thibault, le 19 mai 1891, MS. MNR Beta 394, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris. Le mot « lâcheté » est en fait barré dans le texte bien que clairement lisible.
10 Les Revues d’avant-garde (1870-1914). Enquête de MM. Maurice Caillard et Charles Forot, Belles-Lettres, décembre 1924, éd. Olivier Corpet & Patrick Fréchet, Paris, Jean-Michel Place, 1990, p. 126.
11 Voir Julien Schuh, « Les Dîners de La Plume », Romantisme, no 137, 2007, p. 79-101. Schuh cite notamment une lettre de Deschamps à Mallarmé après le sixième banquet en 1892 où il fait une liste de plus de vingt journaux qui en avaient rendu compte.
12 L’absence d’archives pour la plupart des petites revues rend difficile l’estimation précise de l’ampleur des contacts avec la grande presse. Or celles que nous possédons pour La Plume, La Revue indépendante et le Mercure de France suggèrent qu’il fut de coutume de maintenir un service de presse. De petites revues qui rejetaient ouvertement cette pratique dont La Pléiade et Le Centaure n’eurent pas la vie longue.
13 Voir Auguste Anglès, André Gide et le premier groupe de La Nouvelle Revue Française : La Formation du groupe et les années d’apprentissage 1890-1910, Paris, Gallimard, 1978, p. 234.
14 Voir Benoît Peeters, Valéry : Tenter de vivre, Paris, Flammarion, 2014, p. 180-182. Souday écrivit son feuilleton à la suggestion de Pierre Louÿs.
15 « Avant-propos », Les Revues d’avant-garde (1870-1914).
16 Cette expression, qui ne paraît pas dans La Plume elle-même, semble avoir ses origines dans un article du Figaro comprenant un sonnet inédit de Mallarmé. André Maurel, « M. Stéphane Mallarmé. Prince des Poètes », Le Figaro, le 10 février 1896, p. 2.
17 Voir Georges Docquois, « Le Congrès des poètes », Le Journal, le 6 août 1894, p. 2.
18 « Quelques opinions sur les affiches illustrées », no 115, novembre 1893, p. 495-99 ; « Enquête sur le mariage », no 288, avril 1901, p. 235-7 ; « Enquête sur Émile Zola », no 324, octobre 1902, p. 1213-40.
19 « Les vingt-cinq plus mauvais livres », t. VIII, no 41, mai 1893, p. 72-3 ; « Une Enquête franco-allemande », t. XIV, no 64, avril 1895, p. 1-65 ; « L’Alsace-Lorraine. Et l’état actuel des esprits », t. XXIV, no 96, décembre 1897, p. 641-814 ; « Enquête sur le roman illustré par la photographie », t. XXV, no 97, janvier 1898, p. 97-115.
20 Voir Paul-Henri Bourrelier, La Revue blanche : Une génération dans l’engagement (1890-1905), Paris, Fayard, 2007, p. 552.
21 Voir, par exemple, John Merriman, Massacre : The Life and Death of the Paris Commune, New York, Basic Books, 2014, p. 83, 176, 184, 202 & 254. L’enquête elle-même a récemment été rééditée – La Revue blanche : 1871 Enquête sur la Commune, éd. Jean Baronnet, Paris, Éditions de l’Amateur, 2011.
22 Yoan Vérilhac, La Jeune critique des petites revues symbolistes, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2010, p. 28-9.
23 « Chronique – Les Revues », La Nrf, no 1, novembre 1908, p. 77-84, p. 82.
24 Voir, par exemple, « Cinquante jours à la légion étrangère », t. VIII, no 45, le 15 avril 1895, p. 337-46 et Paul Rousselle, « Le Cahier du réserviste Rousselle », t. XVII, no 126, le 1er septembre 1898, p. 7-19.
25 Charles Vallier, « Un Pénitencier indigène sur le territoire militaire du Sud algérien », t. XXVI, no 203, le 15 novembre 1901, p. 401-12.
26 Voir « DUBOIS-DESAULLE, Gaston », Dictionnaire des militants anarchistes, http://militants-anarchistes.info/spip.php?article3914, mis en ligne le 10 août 2008, accédé le 9 janvier 2016.
27 Gaston Dubois-Desaulle, « Le Bagne militaire d’Oléron », t. XXIX, no 188, le 1er avril 1901, p. 481-504.
28 « Réponse au général André », t. XXIX, no 189, le 15 avril 1901, p. 607-10 ; Camisards, peaux de lapins et cocos. Corps disciplinaires de l’armée d’Afrique, Paris, Éditions de la Revue Blanche, 1901.
29 Par exemple Félicien Challaye, « Courrier d’Indo-Chine », sér. III, no 7, janvier 1902, p. 53-72 ; « Second courrier d’Indo-Chine », sér. IV, no 9, janvier 1903, p. 69-72 et « Impressions sur Java », sér. IV, no 13, mars 1903, p. 1-40.
30 Challaye avait déjà publié des articles sur la mission dans ce journal et cette grande revue, mais d’après lui-même, ils ne voulaient pas publier ses conclusions les plus accablantes alors que le gouvernement s’empressait d’étouffer l’affaire. Voir son Péguy socialiste, Paris, Amiot-Dumont, 1954, p. 146 et Frantisek Laichter, Péguy et ses Cahiers de la Quinzaine, trad. Dominique Fournier, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1985, p. 125.
31 Voir Jean-François Nivet & Pierre Michel, Octave Mirbeau : Biographie, Paris, Séguier, 1990, p. 585-6.
32 T. XXI, no 162, le 1er mars 1900, p. 351-9.
33 « Le Journal d’une femme de chambre (VIII) », t. XXI, no 163, le 15 mars 1900, p. 409-28. En l’absence de cette section du manuscrit, il est impossible de dire si Mirbeau avait déjà achevé ce chapitre avant ou après la parution de l’article d’Ajalbert. Il est cependant clair que dans le chapitre VIII Mirbeau retravaille un morceau publié dans L’Écho de Paris du 29 mars 1892, qui ne contient évidemment aucune référence à Mercier. Voir les notes dans Octave Mirbeau, Œuvres romanesques, éd. Pierre Michel, Paris, Buchet/Chastel, 2001, t. II, p. 1272-5.
34 Le Journal d’une femme de chambre, éd. Noël Arnaud, Paris, Gallimard, 1984, p.30.
35 Voir « Dossier », ibid., p. 476.
36 Jérôme Tharaud, « La Guerre des Balkans », no 10, novembre 1912, p. 289-92 ; André Tudesq, « La Guerre des Balkans », no 11, décembre 1912, p. 338-41.
37 Voir Michel Leymarie, La Preuve par deux : Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 37.
38 No 11, décembre 1912, p. 331-7. (L’accent circonflexe du titre fut par la suite enlevé).
39 No 26, juillet et août 1914, p. 431.
40 Alan Seeger, « Le Baseball au [sic] États-Unis », ibid., p. 447-51.
41 Alfred Jarry : Le colin-maillard cérébral, Paris, H. Champion, 2014, p. 585.
42 Voir L’Encre et le sang : Récits de crimes et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1995.
43 « Spéculations », t. XXIV, no 185, le 15 février 1901, p. 301.
44 Gestes et opinions du docteur Faustroll, Œuvres complètes, éd. Michel Arrivé et al., Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1972-1988, t. II, p. 669.
45 « Spéculations », t. XXIV, no 186, le 1er mars 1901, p. 382.
46 Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié et al., Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1987-9, t. IV, p. 373.
47 « L’Hérésiarque », t. XXVII, no 211, le 15 mars 1902, p. 444-9 ;« Le Passant de Prague », t. XXVIII, no 216, le 1er juin 1902, p. 201-9 ; « Le Juif latin », t. XXX, no 234, le 1er mars 1903, p. 370-8. Seul « Le Passant de Prague » constitue en partie un véritable reportage tandis que les deux autres font semblant de l’être.
48 Apollinaire, Œuvres en prose complètes, éd. Michel Décaudin & Pierre Caizergues, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1977-1993, t. I, p. 1113.
49 « Tennyson vu d’ici », t. III, no 14, décembre 1892, p. 329-33.
50 « Déplacement avantageux », t. VII, no 36, octobre 1894, p. 289-94.
51 Le 17 août 1894, p. 1.
52 Œuvres complètes, éd. Bertrand Marchal, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1998-2003, t. II, p. 276-7.
53 Voir Nathalie Vincent-Munnia, « La Naissance du poème en prose français et la presse », Poésie et journalisme au XIXe siècle en France et en Italie : L’Exemple napolitain, éd. Silvia Disegni, Recherches & Travaux, no 65, 2005, p. 29-41 et Fanny Bérat-Esquier, « Les Origines journalistiques du poème en prose, ou le siècle de Baudelaire », Thèse de doctorat, Université Charles de Gaulle – Lille III, 2006.
54 Sér. I, no 9, mai 1900, p. 1-46, p. 30.
55 Ibid., p. 32.
56 « Lettre du Provincial », sér. I, no 1, janvier 1900, p. 1-22 ; « Du second provincial », sér. I, no 2, janvier 1900, p. 1-3. Comme l’a remarqué Albert Thibaudet, les Provinciales de Pascal peuvent être elles-mêmes lues comme « une œuvre de journalisme, écrite selon l’optique du journalisme, liée à l’actualité comme un discours de Démosthène et de Cicéron ». « Lettres et journaux », La Nrf, le 1er juin 1923, réédité dans Réflexions sur la littérature, éd. Antoine Compagnon, coll. Quarto, Paris, Gallimard, 2007, p. 795.
57 Notre jeunesse, sér. XI, no 12, juillet 1910, p. 88.
58 Solvuntur objecta. Victor-Marie, Comte Hugo, sér. XII, no 1, octobre 1910, p. 261.
59 Voir son diagramme du « champ littéraire à la fin du XIXe siècle » dans Les Règles de l’art : Genèse et structure du champ littérature (Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 207) où les « petites revues » et le « journalisme » sont mis en opposition directe.
60 Ibid., p. 450-5. Cet aspect de la lecture bourdieusienne de Mallarmé est mis en avant dans l’article consacré au poète écrit par Pascal Durand pour le Dictionnaire international Pierre Bourdieu, éd. Gisèle Sapiro, Paris, CNRS Éditions (à paraître). http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/181078, consulté le 12 janvier 2016.