Le regard de trois voyageuses françaises sur la presse nord-américaine. Un féminisme en pointillé (1868-1905)
Table des matières
GÉRARD FABRE
Les récits de voyage rencontrent au cours du XIXe siècle un succès considérable qui participe au processus de mondialisation médiatique, du fait de leur publication dans la presse quotidienne et dans les autres périodiques. De plus, la critique littéraire des journaux et des revues s’empare de ces récits, dont elle rend compte abondamment. Depuis les années 1990, les études littéraires et l’historiographie tendent à réévaluer la place des femmes dans la production de ce type de récit1. Cet élargissement du questionnaire à des écrits féminins peut engendrer de nouvelles orientations de recherche et corriger les analyses fondées sur des textes classiques, lesquelles font la part belle aux auteurs masculins : s’agissant des voyages à travers l’aire nord-américaine, la prise en compte d’écrits féminins, fussent-ils moins diffusés et commentés, permet de nuancer la thèse d’un antiaméricanisme chronique en France2.
C’est à partir du Second Empire, mais surtout sous la Troisième République, que sont publiés en nombre significatif des récits de voyageuses françaises en Amérique du Nord3. Tombés dans l’oubli, ces récits gagnent à être redécouverts dans une perspective dynamique : ils précèdent les grands reportages, auxquels ils ouvrent la voie, en se prêtant à une interpénétration de plusieurs codes esthétiques. Aussi se trouvent-ils de plus en plus souvent à la fois en concurrence et en complémentarité avec les articles des grands reporters. Les principaux organes de presse commencent en effet à promouvoir des reportages tous azimuts à l’étranger.
Figure militante du féminisme français, la journaliste Olympe Audouard est l’une des premières à relater son voyage de 1868 dans deux volumes au style coloré4. Ce périple l’enchante, mais par-dessus tout ce sont les médias qui l’impressionnent : « nos plus grands journaux ne sauraient lutter avec les feuilles yankees5 », affirme-t-elle non sans fair play. Un quart de siècle plus tard, l’écrivaine catholique et critique littéraire de la Revue des Deux Mondes, Thérèse Bentzon, fait preuve d’un enthousiasme moins appuyé, ce qui ne l’empêche pas d’adresser à ses interlocuteurs et interlocutrices d’Amérique des louanges bien senties6. Elle raconte ses rencontres et répond à des interviews dans les pages de journaux et de magazines américains, notamment dans le numéro de mars 1896 d’une grande revue qui a pour nom The Forum. Dans Choses et gens d’Amérique, elle affirme, malgré quelques « réserves » : « je serai ravie, pour ma part, de voir s’américaniser un peu la famille française de nos jours7. » Une troisième voyageuse, Thérèse Vianzone, fréquente plusieurs jeunes journalistes des quotidiens montréalais La Presse et La Patrie, qu’elle considère comme des amies et utilise comme de véritables informatrices8.
Ces trois observations tirées de récits de voyage au féminin soulèvent un faisceau d’hypothèses que nous synthétiserons de la manière suivante : le regard des voyageuses françaises sur l’Amérique du Nord, et plus particulièrement sur sa presse, se distingue de celui de leurs homologues masculins en affichant un féminisme en pointillé, de nature à éveiller l’attention des médias de leur propre pays. Au final, « l’américanisation médiatique » ne serait pas à rejeter, pensent-elles, car elle fait progresser à la fois la cause des femmes et le niveau culturel des journaux. À partir d’un corpus qui comprend des écrits publiés entre 1869 et 1905, on s’attachera à l’évolution de sensibilités et de modes de sociabilité féminins méconnus, dont la presse constitue à la fois un réceptacle et un vecteur.
1. Trois françaises et le continent nord-américain
Repères biographiques
Nous nous en tiendrons à trois figures de voyageuses – Olympe Audouard, Thérèse Bentzon et Thérèse Vianzone –, trois « chevilles ouvrières » d’une mondialisation médiatique qui se décline au féminin. Nous les présentons succinctement pour mieux situer leurs itinéraires respectifs. La biographie des deux premières est bien connue9, ce qui n’est pas le cas de la troisième. Toutes trois sont issues de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie et ont vécu plus ou moins longuement en province : Audouard en Provence, Bentzon dans l’Orléanais, Vianzone dans le Poitou. Les deux premières sont divorcées, ce qui posait à l’époque des problèmes juridiques et matériels aux femmes, mais les rendait d’un autre côté plus libres de leurs mouvements. Ces caractéristiques sont déterminantes pour comprendre leurs motivations à voyager, à consigner leurs réflexions et à les faire circuler dans l’espace public.
Olympe de Jouval est d’origine méridionale, née à Marseille en 1832 ou 1830 selon les sources et décédée en 1890. Elle a été photographiée par Étienne Carjat (collection du Musée d’Orsay).
Très vite, son mariage contracté en 1850 avec le notaire Alexis Audouard se révèle un échec. Après avoir obtenu en 1858 une séparation de corps, elle quitte le domicile conjugal avec ses enfants et s’installe dans la capitale, tout en voyageant de plus en plus souvent. Le divorce n’interviendra qu’en 1885, à la faveur de la loi Naquet. Proche de Théophile Gautier et d’Alexandre Dumas père, elle subit la censure impériale lorsqu’elle crée La Revue cosmopolite, qui paraît de janvier à juin 1867. L’année suivante, lassée par les vexations du régime napoléonien, elle quitte l’Europe. Elle dirige d’autres revues comme Le Papillon (« journal de mode et de littérature ») ou la Revue des deux mondes illustrés, fondée en 1879. Son ouvrage Silhouettes parisiennes, publié en 1883 chez Marpon et Flammarion, obtient un grand succès de librairie. Sur le plan politique, elle se déclare républicaine en 1869, puis orléaniste en 1871, après la Commune de Paris, pour laquelle elle n’exprime aucune sympathie10. Elle se trouve aux États-Unis pendant une bonne partie de l’année 1868, dix mois si on l’en croit.
Thérèse Blanc (1840-1907) est née de Solms, en fait von Solms, puisque son père est allemand, sa mère étant d’origine danoise. Elle s’est séparée à 19 ans de son époux, Alexandre Blanc, avec lequel elle s’était mariée en 1856, à 16 ans, et avec lequel elle avait eu un enfant à 17 ans. Reprenant le nom de son grand-père danois, le Major comte Adrian Bentzon, elle signe « Th. Bentzon » ses ouvrages comme ses multiples articles parus dans la Revue des Deux Mondes, dont elle est un pilier en matière de littérature et de civilisation anglaise et américaine. Elle en devient la spécialiste attitrée après y être entrée en 1872 comme critique littéraire, avec le soutien de George Sand, mais elle avait déjà une expérience du journalisme avant 1870. Polyglotte, elle est également une traductrice prolifique, traduisant et commentant un grand nombre d’auteurs britanniques et américains : Rudyard Kipling, Mark Twain, Henry James, Walt Whitman, Robert Louis Stevenson, le poète Hamlin Garland (qu’elle a souvent rencontré), la féministe anglaise Sarah Grand, la romancière américaine Grace King, l’antiféministe Mrs Humphrey Ward, ainsi que Ridder Haggard, Sarah Orne Jewett, Bret Harte, Sidney Lanier, Edward Bellamy, etc. Elle a aussi traduit de l’allemand Leopold von Sacher-Masoch et commenté son œuvre dans la Revue des Deux Mondes (« Un Romancier galicien – Leopold von Sacher-Masoch, sa vie et ses œuvres », décembre 1875). Outre sa collaboration régulière à cette revue, elle s’est affirmée dans les milieux de la presse comme une proche de Theodore Stanton (1851-1925), correspondant du New York Tribune, d’abord à Berlin en 1880, puis à Paris, où il élargit ses cercles professionnels à d’autres grands journaux américains. Elle a beaucoup voyagé en Europe (Angleterre, Allemagne et Russie).
Elle se rend si fréquemment en Amérique du Nord entre 1893 et 1899 qu’il est impossible de rendre compte de ses voyages de façon exhaustive. Durant certains séjours, elle y demeure plusieurs mois d’affilée. C’est sans conteste, dans cette partie du monde, la voyageuse française la plus assidue de l’époque.
Originaire du Poitou, Thérèse Vianzone fut professeur de français à Saint-Pétersbourg. Elle vivait à Tours, où elle enseignait, avant de se rendre au Moyen-Orient, voyage dont elle tire un ouvrage, En Terre Sainte (Plon & Nourrit, 1903), puis en Amérique du Nord ; ses Impressions d’une Française en Amérique paraissent en 1905, la troisième édition datant de 1906. Ce n’est pas une journaliste, mais elle entretient des liens étroits avec la Revue des Deux Mondes, notamment avec son directeur Brunetière et surtout avec Thérèse Bentzon, qu’elle remercie dans son livre sur l’Amérique du Nord pour ses lettres d’introduction. Plus tard, elle fondera une maison parisienne d’éducation pour jeunes filles à Auteuil. C’est seulement par un double ricochet que Vianzone a pu laisser des traces dans l’histoire culturelle : elle fut en effet la correspondante du père Didon, éducateur très connu à l’époque et ardant promoteur du sport à l’école, auteur de la formule Citius-Altius-Fortius (plus vite, plus haut, plus fort), dont son ami le baron Pierre de Coubertin fit la devise de l’olympisme moderne. Vianzone séjourne durant l’hiver 1903-1904 dans l’Est des États-Unis, puis au Canada français. Elle arrive au Canada au début du mois de mars 1904, se rend à Chicago le 22 mars, où elle visite le plus grand abattoir du monde, passe par Niagara Falls et Toronto (qu’elle écrit indifféremment Torrento ou Torento) avant de retourner le 26 mars à Québec, où elle loge à l’Hôtel Frontenac.
Un foyer majeur de la modernité
Beaucoup d’intellectuels français veulent prendre le pouls d’une modernité américaine qu’on associe en France, dans le sillage de Tocqueville, à la démocratie et à ses dangers11. Cette Amérique désigne déjà, par métonymie, le pays dominant au sein de ce continent : les États-Unis. Parce qu’elle reste malgré tout lointaine et désincarnée, cette démocratie repose sur un substrat largement mythique : selon l’opinion dominante des commentateurs, elle donne le vertige, étant synonyme de vitesse12, de foules grossières et débridées, de milieux urbains déshumanisés, de villes-champignons13. Mais les avancées technologiques, si redoutées soient-elles, font aussi sa fierté et expliquent son attractivité. De fait, nos voyageuses sont sensibles aux progrès techniques et au confort qu’ils procurent. Audouard insiste à maintes reprises sur les trains américains aux wagons « très-larges », au « mouvement bien plus doux et à peine sensible14. » Elle oppose « le peu de confortable des chemins de fer français15 » au caractère agréable de sa traversée de l’Amérique (« cinq fois la distance qu’il y a de Paris à Pétersbourg16 ») : « Un voyage à douze jours en Amérique se fait sans la moindre fatigue, car on n’y est pas soumis à l’immobilité, et on peut y passer les nuits aussi confortablement que chez soi17. »
Pourquoi l’Amérique ? La technique au service de la mondialisation médiatique
Un autre aspect caractérise cette modernité à la fois politique et technologique : le Nouveau Monde se trouve au premier plan de la mondialisation médiatique du XIXe siècle, même si l’internationalisation extra-européenne ne s’y limite pas. Après la médiatisation des épisodes de la ruée vers l’or en Californie au milieu du XIXe siècle, c’est à nouveau vers l’Amérique que se tournent les journaux européens lors de la guerre de Sécession (1861-1865). Comme l’explique Francis Williams :
La guerre de Sécession […] montra […], de façon frappante, combien la presse avait désormais besoin de moyens de transmission rapide. N’ayant pas de câble à leur disposition, les journaux européens durent faire appel à toutes les ressources de leur ingéniosité pour réduire les retards inévitables et donner rapidement à un public de plus en plus exigeant les dernières nouvelles d’une guerre qui suscitait l’intérêt le plus vif et remuait les passions de toutes sortes de lecteurs18.
La guerre civile qui jette les États-Unis sur le devant de la scène médiatique alimente de nombreuses craintes en Europe, où se mêlent incrédulité et fascination devant la montée de cette puissance extra-européenne. Pour répondre à la demande d’informations qui en résulte, un marché s’est déjà ouvert : des entreprises à vocation internationale ont vu le jour, telle que l’Atlantic Telegraph Company, fondée en 1856 par l’ingénieur britannique Charles Bright et le spécialiste américain de la pose des câbles Cyrus Field. En août 1858, après deux échecs, la jonction de deux câbles au milieu de l’Atlantique est réalisée par l’Atlantic Telegraph Company. C’est un événement à résonance mondiale, qui déclenche une véritable frénésie d’informations :
La reine Victoria et le président Buchanan échangèrent, à cette occasion, des messages enthousiastes et, peu après, le premier câblogramme de presse qui traversa l’Atlantique fut expédié de Londres. Il annonçait que la révolte des Cipayes était presque complètement réprimée et que l’Empire chinois allait probablement s’ouvrir au commerce, en vertu d’un accord en voie de négociation. Sept cent trente messages furent transmis au cours de la première semaine, puis, à la suite d’une panne de courant, le câble cessa de fonctionner. […] Afin de réduire les délais d’acheminement, les journaux, les agences d’information et les compagnies télégraphiques de France et de Grande-Bretagne affrétèrent des vapeurs rapides, chargés d’aller à la rencontre des paquebots en haute mer, de recueillir les dépêches d’Amérique jetées par-dessus bord dans des cylindres de bois scellés et de filer sur le port le plus proche, d’où ces dépêches pouvaient être transmises par télégraphe aux grands centres de presse. […] Julius Reuter fut le premier à pratiquer l’intervention directe en fournissant, pour la transmission des informations, des installations qu’il devait ultérieurement développer et rendre plus stables19.
En 1865, des équipes embarquées sur le Great-Eastern, immense paquebot dont le nom d’origine était le Léviathan, réussissent à installer de façon plus pérenne des câbles sous-marins transatlantiques, ce qui provoque l’enthousiasme d’un spécialiste français des communications, qui deviendra directeur départemental des Postes et des Télégraphes dans l’Aube, Henri Blerzy :
Il n’y a pas vingt-cinq ans que l’électricité, réduite à l’office de messager, a transmis sa première dépêche, et cependant elle circule aujourd’hui d’une extrémité à l’autre de l’Europe ; franchissant les mers, elle nous apporte complaisamment les nouvelles de Calcutta et de San-Francisco. Encore un peu, elle fera le tour du monde. Il ne pourra se produire un grand événement à la surface du globe sans que le cœur de la France en palpite le jour même20.
La circulation médiatique transocéanique va dès lors s’amplifier grâce au télégraphe et à mesure que se développent les services d’information des journaux européens et américains. Les lignes télégraphiques deviennent un vecteur indispensable aux journaux et aux agences d’information. Supports techniques et acteurs économiques interagissent pour étendre cette circulation transocéanique. Si des rivalités en découlent, elles n’empêchent pas des formes complexes de coopération, pour autant que les spécificités nationales soient respectées, car journaux et revues s’adressent à des publics aux habitudes et aux attentes différentes. D’abord, leurs circuits de distribution ne sont pas homogènes21. Quant à leurs présentations, elles ne le sont pas non plus : les dépêches en provenance de l’étranger doivent être traduites et intégrées à des normes typographiques variables. Les journaux d’Europe continentale et d’Amérique du Nord diffèrent en effet nettement, qu’il s’agisse de la disposition des articles, de la qualité de la langue, des exigences de la rédaction, de l’insertion des annonces et réclames, ou encore de la place des récits de voyage et des romans, en feuilleton en Europe, en cahier en Amérique du Nord afin de conserver la composition qui peut servir ainsi à la réimpression en volume. Durant le second XIXe siècle, trois grandes agences de presse – la française Havas (créée en 1835), l’américaine Associated Press (en 1848) et la britannique Reuters (en 1851) – entrent en concurrence, mais sont amenées également, par intérêt ou pragmatisme, à s’associer dans certaines circonstances : elles deviennent les principales pourvoyeuses de ces flux considérables d’informations22. Paradoxalement, les progrès techniques ont permis une meilleure connaissance de l’actualité du continent américain, tout en nourrissant un sentiment de méfiance à son égard.
À cette soif d’informations répond un autre aspect de la mondialisation médiatique, qui relève quant à lui davantage de continuités que de ruptures : la publication de récits viatiques23. En effet, les relations de voyage donnent régulièrement lieu à des publications en journal ou en revue tout au long du XIXe siècle. Citons, pour le cas de la France, quelques exemples de périodiques qui publient des récits de voyage, même si leurs contenus et leurs niveaux d’audience diffèrent sensiblement : les Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire (1807) ; le Bulletin de la Société de Géographie (1822) ; la Revue des Deux Mondes (1829) ; Le Magasin pittoresque (1833) ; L’Illustration (1843) ; Le Tour du Monde, Nouveau Journal des Voyages (1860) ; Le Magasin d’éducation et de récréation (1864) ; le Journal des Voyages et des Aventures de Terre et de Mer (1877).
Dans les nouvelles configurations éditoriales qui se mettent en place, l’écriture du voyage va servir de matrice au grand reportage. En retour, elle-même va s’en inspirer en se référant de plus en plus à l’actualité internationale, de manière directe ou détournée. Une appréhension plus globale des interactions entre registres narratifs, modes de connaissance du monde et innovations technologiques montre en effet que l’apparition du grand reportage « tient surtout aux transformations du récit de voyage journalistique qui, profitant des mutations du rapport à l’espace et à la vitesse dues au développement des transports ferroviaires et du télégraphe, notamment, peut dorénavant privilégier l’actualité et l’information sur la promenade culturelle et l’étude de mœurs24. »
La médiatisation du récit de voyage au féminin
L’Amérique attire non seulement des Françaises, mais aussi d’autres voyageuses européennes, au premier rang desquelles des Britanniques, que leurs écrits rendent d’ailleurs célèbres25. Jusqu’à la Première Guerre, leurs récits présentent, pour la plupart, un contenu mondain qui participe pleinement à la mondialisation médiatique. L’une des expressions les plus visibles dans la presse du processus d’unification culturelle par le haut réside dans la fascination suscitée par la vie présentée comme exceptionnelle des personnalités les plus en vue (familles régnantes, politiciens de premier plan, financiers de haut vol, artistes de renom) ou par les exploits physiques accomplis par des aventuriers et des sportifs. Or ce processus constitue l’un des moteurs de la « première mondialisation » au terme de laquelle le Nouveau Monde prend le relais de l’Europe comme plaque tournante de l’Occident26. Le mouvement est largement impulsé par les États-Unis, dès lors destination de voyage recherchée et pôle majeur de l’activité journalistique mondiale, comme en témoigne prophétiquement la nouvelle In the Year 2889, rédigée conjointement par Jules Verne et son fils Michel27.
Les notables qui contrôlent la presse comme les directeurs de revue se retrouvent dans les salons fréquentés par les élites culturelles, économiques et politiques28, où l’essor industriel des États-Unis est en passe de devenir l’un des principaux sujets de conversation. Des femmes journalistes lorgnent ce pays parce qu’elles prennent la mesure de l’effervescence qu’il suscite. Mais toutes ne peuvent pas voyager : en général, elles sont divorcées, comme Audouard et Bentzon, ou n’ont pas – ou plus – d’obligations familiales, comme Vianzone29. Toutes trois font partie de ce monde cosmopolite des salons, qui joue un rôle décisif dans l’unification culturelle des élites. La nouvelle distribution des cartes qui découle de cette unification ne peut échapper au regard des voyageuses, lesquelles en sont à la fois témoins et actrices. Elles sont du même coup assignées à une place qui, pour être sans doute secondaire, n’en est pas moins enviable en ce qu’elle leur permet de voir et plus encore de vivre les rapports sociaux qui se nouent entre les élites internationales et concourent à leur unification. Cela ne signifie pas forcément que l’ancrage national soit abandonné : Bentzon, par exemple, note avec dépit, mais non sans humour, l’absence des déléguées anglaises lors des réunions tenues à Paris pour préparer le Congrès international des femmes, durant l’Exposition universelle de 190030.
Au fil de la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à leurs récits, les voyageuses pénètrent « par la bande » le monde de la presse, alors que celui-ci était quasiment fermé aux femmes. L’écriture viatique au féminin se répand alors de façon considérable. Nous avons effectué une recension concernant les États-Unis et le Canada, sans prendre en compte le Mexique qui fait pourtant partie de l’Amérique du Nord. Il s’avère pertinent d’associer seulement ces deux pays car ils sont souvent visités lors d’un même voyage pour diverses raisons, notamment pratiques, ce qui n’est pas le cas du Mexique, sauf exception. Il n’existe pas au XIXe siècle de lignes de navigation directes entre la France et le Canada : il faut passer soit par l’Angleterre, soit par les États-Unis. Cela complexifie l’analyse en faisant porter l’attention sur les effets de contraste suscités par les visites rapprochées des États-Unis et du Canada. Bien qu’elle soit loin d’être exhaustive, cette recension montre une progression des écrits de voyageuses publiés pendant la décennie 189031 :
Écrits de voyageuses françaises aux États-Unis et au Canada, par ordre chronologique de parution (1869-1914)
• Marie Fontenay (Mme Manoël de Grandfort), L’Autre Monde, Paris, Librairie nouvelle, 1855.
• Olympe Audouard, À travers l’Amérique, Le Far-West, Paris, Dentu, 1869.
• Olympe Audouard, À travers l’Amérique, North America, États-Unis : constitution, mœurs, usages, institutions, sectes religieuses, Paris, Dentu, 1871.
• Marie Loizillon, L’Éducation des enfants aux États-Unis, Rapport présenté à M. le ministre de l’Instruction publique, après une mission officielle, Hachette, 1883.
• Louise Bourbonnaud, Les Amériques : Amérique du Nord, les Antilles, Amérique du Sud, Paris, H. Jouve, 1889.
• Marie Grandin, Impressions d’une Parisienne à Chicago, Paris, Flammarion, 1894.
• Th. Bentzon (Mme Blanc), Notes de voyage : les Américaines chez elles, Paris, Calmann Lévy, 1895.
• Marie Dugard, La Société américaine, mœurs et caractères, la famille, rôle de la femme, écoles et universités, Paris, Hachette, 1896.
• Jeanne Goussard de Mayolle, Une Française chez les sauvages, Tours, Mame, 1897.
• Th. Bentzon (Mme Blanc), Choses et gens d’Amérique, Paris, Calmann Lévy, 1898.
• Th. Bentzon (Mme Blanc), Nouvelle-France et Nouvelle-Angleterre, Paris, Calmann Lévy, 1899.
• Thérèse Batbedat, Impressions d’une Parisienne sur la côte du Pacifique, Paris, Juven, 1902.
• Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, Paris, Plon, 1905.
• Sarah Bernhardt, Ma double vie : mémoires, Paris, Fasquelle, 1907. (Les chapitres XXXII à XXXVI, p. 462-537, sont consacrés à son voyage nord-américain en 1880.)
• Céline Rott, « Journal de voyage (Canada) », Nouvelle Revue Française, n° 65, mai 1914, p. 770-794.
• Céline Rott, « Journal de voyage (Canada) (Suite) », Nouvelle Revue Française, n° 66, juillet 1914, p. 977-997.
Cette progression répond à l’engouement que connaît le récit de voyage nord-américain en France, lequel trouve dans les médias de l’époque une véritable rampe de lancement32. Fait révélateur de cet attrait, la fréquente prépublication de ces récits dans des journaux ou des revues33 permet, outre une meilleure rémunération des auteurs, une reconnaissance de plumes féminines auprès d’une profession peu encline à accepter leur présence : les pages de médias sont en effet surchargés de clichés et de clins d’œil sur l’éternel féminin, la galanterie masculine et les supposés caprices des dames. Il convient cependant de ne pas trop noircir le tableau français : s’il y a peu de femmes journalistes, naissent quand même à cette époque de nombreux magazines féminins comme La Mode illustrée en 1860, Le Petit Écho de la mode en 1878, Mode pratique, lancé par Hachette en 1891, Femina en 1901. L’une des figures littéraires les plus en vue des salons parisiens, Juliette Adam, fonde en 1877 La Nouvelle Revue pour tenter de concurrencer la Revue des Deux Mondes. Mais elle n’atteint pas son but malgré ses multiples antennes au sein des milieux politiques, artistiques et intellectuels. Olympe Audouard elle-même se frotte au prestigieux périodique en fondant en 1879 la Revue des Deux Mondes illustrés, publication qui contient de nombreux récits de voyages.
Entre exotisme, enquête et reportage
Les récits proposés par Audouard, Bentzon et Vianzone oscillent entre plusieurs registres, sinon plusieurs genres. Il convient préalablement de noter leurs particularités. D’abord, ils échappent à la forme épistolaire, pourtant fréquente à l’époque dans la narration du voyage34. Ensuite, ils ne répondent guère au schéma en vigueur au Canada français, où « l’écriture féminine est soumise aux aspirations et aux goûts masculins, les femmes n’ayant que peu ou pas d’accès dans le monde éditorial35. » Nul ne peut dire du récit d’Audouard qu’il se présente sous « le sceau de la modestie si fréquent dans les écrits de femmes du XIXe siècle36. » Aucune des trois, par ailleurs, ne se réclame de « la présence d’une autorité masculine, […] procédé commun à tous les récits de voyages féminins37 » étudiés par Pierre Rajotte. Bentzon et Vianzone, il est vrai, s’appliquent à « prouver qu’elles ne sont pas d’arrogantes marginales38 », et l’on peut qualifier leur écriture de « retenue39 ».
Le récit classique de l’âge romantique se retrouve surtout chez Audouard, avec ses doses élevées d’exotisme et ses affabulations manifestes. Ainsi la délicieuse Olympe aurait-elle pris l’initiative de faire scalper, pour les punir de leurs horribles crimes, des Peaux-Rouges criards et cruels40. Avec le plus grand stoïcisme elle aurait affronté des périls inouïs. Une posture héroïque conduit le récit et le rend parfois invraisemblable. D’autres fragments, qui ne relèvent pas de cette posture, posent des problèmes de crédibilité. Par exemple, elle raconte, avec un luxe de détails réalistes, sa visite du collège Vassar, à Poughkeepsie, parangon de l’éducation bourgeoise protestante : or, à l’époque, ce n’est pas un établissement mixte, comme elle le prétend pour servir sa démonstration41, mais un collège réservé aux filles de bonnes familles.
Surtout, l’authenticité de son séjour au Canada est pour le moins douteuse. Il est fort possible qu’elle ait, comme elle l’affirme, rencontré des Canadiens français sur les bords du Niagara, puis qu’elle soit allée dans le comté de Kankakee, dans l’Illinois, foyer important de l’immigration canadienne-française aux États-Unis. Il est toujours vraisemblable qu’elle ait lu Le Courrier de l’Ouest, organe des populations franco-américaines du centre des États-Unis, dont le siège se trouve à Saint-Louis : elle accorde beaucoup de crédit aux articles de ce journal fondé par « des rares républicains du Canada42 », au point d’arrêter son opinion sur ce pays en les lisant. Mais ce qui gêne le plus, c’est le passage où elle écrit au détour d’une phrase : « Plus tard, en visitant le Canada43 », alors qu’elle ne revient jamais sur cette prétendue visite, ni dans le tome 1 ni dans le tome 2 de son récit À travers l’Amérique. Elle ne fait que reprendre à son compte les propos qui lui ont été rapportés aux États-Unis et les articles qu’elle a lus dans Le Courrier de l’Ouest. En fait, elle ne semble pas avoir visité le Canada : il lui sert simplement de repoussoir, qu’elle oppose aux États-Unis, pays plus conforme à ses idées républicaines et qu’elle idéalise à maints égards.
Outre cet aspect « fictionnel » qui caractérise une partie des écrits d’Audouard, entrent également, dans la composition de ces récits au féminin, des proportions variables de journal intime (« l’endotique », selon l’heureux néologisme de Georges Perec), d’enquête ethnographique44 et bien sûr de reportage. Des journalistes de New York et d’autres cités américaines traversées font office d’informateurs auprès d’Audouard. Bentzon décrit à la façon d’une ethnologue le salon d’Anne Fields à Boston, des écoles féminines comme Bryn Mawr et Harvard-Annex, ou encore Hull-House, la maison fondée en 1889 à Chicago par Jane Addams, pionnière du mouvement de réforme urbaine45. Cet intérêt pour Hull-House révèle une conception du récit de voyage « comme un instrument de critique sociale46. »
En confrontant ces récits, on se rend compte de l’évidente porosité des frontières génériques. Sans doute la forte culture anglophone de Bentzon (que ne partagent ni Audouard, ni Vianzone) la familiarise-t-elle à un mode d’écriture plus courant en Angleterre ou aux États-Unis, qui relève à part entière du reportage. Pour entrer dans ce cadre narratif, elle pratique volontiers l’interview, retranscrit en mode indirect, sans guillemets. Collaboratrice en vue de la Revue des Deux Mondes, périodique associé à l’époque à une vision conservatrice de la culture médiatique, elle reste pourtant ouverte et même favorable aux innovations de la presse américaine, comme en témoigne son plaidoyer en faveur de l’interview. L’Europe et la France sont certes en train de s’approprier ce dernier, mais non sans résistances, notamment dans les milieux littéraires, quelles que soient les orientations esthétiques et politiques affichées. Bentzon considère que l’interview a longtemps été en France « inconnue et méprisée sur sa seule réputation […]47 ». Du reste, nos trois voyageuses sont sollicitées durant leurs périples par des journalistes américains désireux de sonder l’opinion d’Européennes.
2. L’Eldorado du journalisme
« La femme » et son immersion dans la culture médiatique : un autre motif de la fascination pour les États-Unis
À la vogue générale qu’elle connaît en Europe, s’ajoute un motif d’intérêt plus spécifiquement féminin, et valorisant, pour l’Amérique du Nord : le fait que cette société serait plus soucieuse de la condition des femmes. Les voyageuses semblent porteuses d’une sensibilité propre, qu’on ne retrouve pas, ou très peu, chez leurs homologues masculins : une curiosité à l’égard de la littérature, des clubs de femmes, du suffrage féminin, de la famille, de l’assistance sociale, de l’éducation en général. Tout cela s’inscrit dans une division du travail narratif dans laquelle, comme par une double aimantation, les voyageuses s’intéressent aux femmes américaines, d’ailleurs souvent essentialisées sous la figure singulière de « la » femme américaine ; et les voyageurs s’occupent d’affaires d’hommes, qu’ils décrètent plus sérieuses : l’histoire, la politique, l’économie, les mœurs viriles associées à la guerre, aux jeux et aux sports. La « femme américaine » fascine davantage les voyageuses que les voyageurs, qui l’ignorent ou s’en méfient. Elle concentre la plupart des descriptions et des réflexions : par opposition à l’homme américain, plutôt vulgaire et querelleur, elle constitue l’élément pacificateur d’une société qui en a bien besoin. Ce raisonnement binaire entre, peu ou prou, dans la composition des récits féminins.
C’est sous cet angle que nos voyageuses voient dans l’Amérique du Nord un observatoire privilégié pour appréhender l’ampleur d’un développement médiatique qui doit favoriser in fine la cause des femmes. Elles abordent ces questions dans des périodiques français, canadiens ou américains en adoptant une optique comparative, à travers laquelle elles cherchent et relèvent les traits distinctifs de la presse nord-américaine au regard de son homologue européenne : le primat des faits, mais surtout ce qui touche à la perception et à la place des femmes. Cette dernière est reconnue outre-Atlantique : des figures de reporter l’incarnent, telle la célèbre Elisabeth Jane Cochrane, qui écrit sous le pseudonyme de Nellie Bly, notamment pour le journal The New York World. L’antiaméricanisme leur est étranger : les appréciations positives l’emportent, ce qui n’exclut pas certaines réserves48. C’est le cas chez Bentzon et Vianzone, deux catholiques pratiquantes mais libérales, lesquelles mettent en avant un troisième pôle de comparaison, le Canada, en ce qu’il présente une voie médiane, embryon prometteur d’une presse féministe au ton plus modéré et au style plus délicat.
Même le regard d’Audouard est foncièrement ambivalent. Si l’on s’arrête aux premières pages de l’ouvrage paru en 1869 chez Dentu, Le Far-West, on pourrait la classer parmi les auteurs antiaméricains dont Philippe Roger a fait la généalogie : beaucoup de choses en Amérique la frappent désagréablement, notamment « l’absence complète de l’esprit de famille. Le respect pour les parents, l’esprit filial y sont complètement inconnus49. » Une page plus loin, la tonalité de l’ouvrage change quand elle évoque avec admiration « les femmes américaines [qui] sont l’antithèse des hommes. Autant ceux-ci sont communs, vulgaires, ignorants, férocement égoïstes, autant les femmes sont élégantes, distinguées, instruites50. » Pour expliquer ces contrastes, elle met en avant des raisons psychologiques qui sous-tendent un rapport différent à l’argent : « Leur cœur n’est pas dévoré par l’âpreté au gain, et elles sont bonnes, charitables, affables pour les étrangers, bonnes en un mot51. » Mais elle ne se réjouit pas de ce constat si favorable à la femme : « Pour mon compte, j’ai éprouvé un sentiment pénible en constatant cette immense supériorité de la femme sur l’homme…52 » Car il en va de l’authenticité du sentiment amoureux, de l’idéal qu’il représente : « L’amour pur, réel, ne peut exister entre deux êtres si différents, et il ne saurait y avoir entre des couples si mal assortis qu’un amour bestial, ou bien du côté de la femme un sentiment douloureux de sacrifice53. »
Une réponse vigoureuse à cette crise morale tient dans l’éducation. Dans le chapitre VI de North America, intitulée « La femme en Amérique »54, Audouard développe un point de vue qui ne repose plus sur les contrastes observés entre les deux sexes, mais au contraire sur le constat d’un traitement équitable dans l’espace éducatif : « En Amérique, les filles sont éduquées de la même manière que les garçons : on leur offre les mêmes chances au départ. Les femmes en Amérique, non-seulement, abordent toutes les sciences ; mais, comme conséquence logique, abordent toutes les carrières55. » Là réside une différence capitale avec l’Europe, qui crée les conditions d’une entente nouvelle, en vertu de laquelle les femmes obtiennent du prestige aux yeux des hommes : « […] grâce à l’émancipation légale qu’ils ont accordée à leurs femmes, le niveau intellectuel féminin est plus élevé à présent en Amérique que le niveau intellectuel masculin. Ils en sont très-fiers et tout heureux56. »
Audouard défend l’idée que l’Europe devrait tirer une leçon des lois américaines qui ont permis de rapprocher les conditions des deux sexes, si éloignées au départ. Bentzon tient un discours similaire dans Choses et gens d’Amérique : elle remarque « l’intelligence toute virile des dames américaines », souligne « la domination hardiment affichée de la femme57 », « la forte éducation que reçoit la jeune Américaine, [qui] convient particulièrement à celles qui, par la suite, choisissent le célibat. La demoiselle, aux États-Unis, est infiniment au-dessus de toutes ses pareilles européennes ; dégagée des chaînes qui rendent souvent pitoyable et ridicule la vieille fille française […]58. » Bentzon se présente comme une go-between, une médiatrice qui suscite des rencontres, des liaisons transatlantiques entre des femmes qu’elle a elle-même distinguées : « Si j’ai réussi à rapprocher les meilleures d’entre les Américaines et les meilleures d’entre les Françaises, je ne demande pas d’autre récompense59. » Elle compte favoriser en cela une prise de conscience féministe en France, le combat des femmes d’Amérique servant d’aiguillon. Et pour y parvenir, elle s’appuie sur la presse des deux côtés de l’Atlantique, elle « parle » aux Américaines dans leurs journaux et magazines, et réciproquement aux Françaises dans un périodique qu’affectionne la bourgeoisie, la Revue des Deux Mondes.
Les États-Unis ne sont pas loin d’apparaître aux yeux de nos voyageuses comme une terre promise du journalisme. Dans North America, Audouard se plaît à louer ce que nous appellerions aujourd’hui le professionnalisme des journalistes américains, « des journalistes de grande valeur60 », note-t-elle. Elle y érige le système médiatique américain en modèle tout au long de l’enquête que restitue le chapitre III de ce livre : « Journaux et journalistes américains »61. Audouard y fait un éloge appuyé de la culture des journalistes :
Pour être journaliste en Amérique, il faut avoir fait des études sérieuses, connaître à fond la politique comme aussi l’histoire moderne de toutes les contrées de l’Europe ; tous sont forcés de savoir le français et l’allemand, beaucoup parlent l’espagnol et l’italien. MM. Charles Dana, Raymond, Hurlbert et Horace Greeley sortent des Universités excellentes de Cambridge ou de celle de Rochester ; presque tous ont visité l’Europe et en ont étudié les lois et les usages62.
Elle admire également le dynamisme du marché américain de la presse : « Comme circulation, les journaux américains distancent de beaucoup les nôtres63. » Le fait est, argumente-t-elle, qu’ils se vendent mieux qu’en France. Les bénéfices des principaux journaux américains sont considérables : elle en fournit les chiffres, qui s’élèvent à des millions de dollars. La présence de journaux dans les villes américaines qu’elle traverse est systématiquement mentionnée. C’est pour elle un signe évident de modernité et de civilisation : « Denver possède aussi deux journaux […]64. » Mais elle est surtout impressionnée par la qualité des journaux new-yorkais : « Les principaux journaux du monde sont, sans contredit, ceux de New-York. Ils sont montés sur une échelle colossale, et leur influence est immense. On peut dire qu’ils dirigent le pays65. » Elle encense une personnalité centrale du monde de la presse, Gordon James Bennett : « Le Herald, dirigé par un homme éminemment intelligent, qui possède une adresse merveilleuse et une grande finesse d’intuition, fait un genre de politique qu’on peut nommer une politique de diagnostic…66 » Bennett a le « flair » pour « devancer l’opinion », si bien « que l’on peut s’imaginer qu’il l’a dirigée67 ! » Elle possède des lettres de présentation pour accéder aux « éditeurs », autrement dit aux rédacteurs en chef des journaux américains68. Mais on ne sait pas par qui elles sont signées, sans soute par des journalistes français.
La presse, observe-t-elle, prévaut sur la sphère politique : « On peut dire en Amérique que les hommes appartenant à la presse et à la littérature tiennent le haut du pavé ; ils jouissent de plus de considération, de plus d’influence même, que les sénateurs et tous les membres du congrès69. » Elle confirme l’un des constats de Tocqueville : « l’importance de la presse dans toutes les provinces. Chaque ville a plusieurs journaux, montés, eux aussi, sur une large échelle, et tous ces journaux ont une grande influence. (Il y a près de deux mille journaux en Amérique.) Dans ce continent, la centralisation est chose inconnue…70 » Mais la situation n’est pas homogène pour autant : « Entre la presse du Sud et celle du Nord, il y a une différence très marquée. Celle du Nord s’attaque et s’attache, non pas à un homme, mais à un parti. Celle du Sud, au contraire, combat plutôt l’homme que le principe. Elle a toujours été moins puissante que la première ; et, depuis la guerre, son importance n’a fait qu’aller en décroissant71 ».
En bonne Européenne, elle regrette cependant la place peu prestigieuse accordée à la littérature dans la presse américaine :
Après avoir adressé les éloges qu’ils méritent aux journaux du Nouveau-Monde, il me sera bien permis de leur faire un reproche très-mérité aussi. Les annonces généralement s’étalent aux premières pages, la littérature y est, on le voit, un accessoire ; il faut la chercher dans ce fatras d’annonces burlesques ; elle s’y noie, s’y perd et elle a un petit air humilié de son triste sort72.
Elle se réjouit en revanche de la qualité des journaux francophones, qui défendent des lignes politiques opposées :
New-York possède deux excellents journaux français, parfaitement bien écrits l’un et l’autre : le Messager franco-américain, directeur M. de Mareuil ; et Le Courrier des États-Unis. Le premier est républicain d’opinion, le second est napoléonien. Ces deux journaux pourraient lutter avec les meilleurs de nos journaux politiques de Paris73.
Occuper l’espace médiatique
Si d’autres voyageurs peuvent partager le même souci, les femmes semblent parvenir plus aisément à occuper l’espace médiatique américain. Étant moins nombreuses que les hommes, elles seraient pour cela davantage sollicitées par les médias. Elles accordent, on l’a dit, des interviews et donnent des conférences publiques, en réponse aux invitations qu’elles reçoivent. C’est aussi le cas à leur retour en France : Audouard relate une conférence qu’elle donne à Nantes sur l’Amérique74. Peut-être cet intérêt des médias est-il facilité par un contexte qui valorise ce qui vient d’Europe : alors que les journalistes français n’étaient guère tournés à l’époque vers les États-Unis, qu’ils considéraient souvent comme un repoussoir, « les États-Unis étaient davantage à l’écoute du vieux continent […]75. »
Audouard faisait le même constat en 1868 pour expliquer la curiosité qu’elle suscitait en Amérique du Nord. Par exemple, elle se flatte d’être invitée par Madame Bennett, l’épouse du magnat de la presse, qui « est une excellente femme, d’une très-grande bonté, elle est fort avenante à tous, et surtout aux artistes, qu’elle se plaît à protéger ; elle a le salon le plus agréable de New-York, et elle en fait les honneurs avec la meilleure grâce du monde.76 »
Il existe toutefois des notes discordantes chez nos voyageuses au sujet de la pression médiatique, rançon de la visibilité élevée que procurent les articles de presse. Tandis qu’Audouard explique que « [d]ans ce Nouveau-Monde, le métier de racontars n’aurait aucun succès » (p. 215), Bentzon déplore au contraire « la malsaine notoriété » que les journaux apportent à « certaines familles célèbres77 », autrement dit la très haute bourgeoisie. Si elle défend fermement l’utilité de l’interview, elle craint cependant qu’on en abuse, et surtout que des interviewers paresseux ou malveillants puissent déformer les propos recueillis. Car elle tient avant tout au respect de la vie privée des gens et des familles honorables78.
3. Les femmes journalistes du Canada français : une aubaine pour les deux voyageuses catholiques
L’importance du féminisme chrétien
Comme son amie Vianzone, Bentzon se rattache à un catholicisme à la fois conservateur sur le plan esthétique et moral et libéral sur le plan politique. Toutes deux incarnent un féminisme chrétien dont on aurait tort de négliger le rôle de part et d’autre de l’Atlantique. Ainsi la complicité qui se noue entre ces deux voyageuses françaises et leurs interlocutrices canadiennes-françaises repose largement sur ce terreau commun : c’est pourquoi les médias canadiens leur paraissent avoir trouvé la bonne mesure, y compris dans l’affirmation de la cause féministe, alors qu’elles redoutent la propension de certains journaux américains à la vulgarité, qui desservirait cette cause. De façon révélatrice, Vianzone fait part de sa réaction de commisération lorsqu’elle est interviewée aux États-Unis par « une jeune fille excessivement élégante et jolie, jolie… […]. Je l’admire toujours en la plaignant de faire ce métier de reporter79. » Elle-même est sollicitée par la presse américaine, qui lui pose des questions sur la guerre entre la Russie et le Japon, car elle connaît bien la Russie, pour y avoir longtemps enseigné. La presse américaine l’appelle du reste « l’apôtre des Russes80 ».
La conférence, lieu de sociabilité mondaine et de visibilité médiatique
C’est donc au Canada français que les rencontres avec des journalistes se révèlent les plus fructueuses. Bentzon profite des conférences qui jalonnent son voyage de 1897 pour rencontrer les femmes qui comptent là-bas. Ainsi de « la jeune Madame Dandurand » (Joséphine Marchand-Dandurand), épouse d’un puissant sénateur libéral, qui deviendra ministre, président du comité montréalais de France-Amérique puis de l’Assemblée générale de la Société des Nations, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Mme Dandurand fait « un peu de féminisme, sans même reculer devant ce mot discrédité81. » C’est aussi à l’occasion d’une conférence qu’elle sympathise avec la journaliste Françoise, alias Robertine Barry82, dont elle dresse l’éloge, citant son recueil Fleurs champêtres, publié en 189583. Françoise a reçu les Palmes académiques, précise-t-elle pour mieux la valoriser. Bentzon cite avec bienveillance les journaux qui lui sont chers : Le Coin du feu, Le Journal de Françoise et La Femme.
De fil en aiguille, elle fait la connaissance de la sœur de Françoise, Madame Choquet, et de Marie Gérin-Lajoie, pionnière respectée du féminisme au Québec. Elle fréquente la société féminine des antiquaires, qui se réunit au château Ramezay, sous la haute autorité de lady Aberdeen, laquelle fut l’une des animatrices du Congrès international des femmes de 1900. Ses interlocutrices lui font remarquer la ségrégation spatiale et sociale entre les deux peuples francophone et anglophone : « ce qui est la caractéristique de Montréal, deux mondes de nationalités et d’habitudes différentes subsistent côte à côte sans se mêler84. »
Mais ce clivage n’est pas total, comme elle peut s’en rendre compte dans l’un des salons où elle est invitée, celui de Madame Herdt. Le mari de cette dernière est professeur à l’Université McGill : il s’agit d’une famille protestante francophone d’origine suisse, qui réunit autour d’elle à Montréal les deux bourgeoisies, anglophone et francophone, si bien qu’elle note « l’infusion des habitudes anglaises comme elle n’existe pas à Québec85. » Les activités artistiques qui agrémentent ce type de salon alimentent la rubrique mondaine et les pages féminines de la presse montréalaise86. Elles inspirent à Bentzon la réflexion suivante : « l’égalité des sexes dans le talent m’y a paru chose démontrée […]87. » Le poète Honoré Fréchette, récompensé par l’Académie française, est présent et récite des vers, de même que le Révérend Coussirat, professeur d’hébreu et de littérature orientale à McGill88. Il n’y a là que des gens du monde, dont la vie élégante et raffinée, le sens artistique, le souci de la création littéraire, exercent une fascination auprès d’une partie du lectorat des médias.
Vianzone fait aussi le récit de ses rencontres avec les journalistes du quotidien La Presse Gilberte (Mlle Beaudouin) et Hélène Dumont (Marie Beaupré)89. Ces femmes sont présentées comme des médiatrices précieuses, qui, grâce à leur entregent, organisent et assurent le succès des rencontres mondaines et des conférences publiques. L’auditoire est nombreux et captivé, comme il se doit90. De même que Bentzon en 1897, Vianzone prononce en mars 1904 une conférence dans la grande salle de l’Université Laval de Montréal, la sienne portant sur l’histoire de l’Académie française : elle évoque le chiffre impressionnant de plus de mille personnes91. Elle est l’invitée d’honneur lors d’une conférence de Madeleine (Anne-Marie Gleason-Huguenin), journaliste très connue au Canada français92, qui a remplacé Françoise pour diriger la page féminine du quotidien La Patrie en 1901 et dirigera La Revue moderne en 1919 : il s’agit d’une conférence sur Arthur Buis, un écrivain canadien-français. L’omniprésent sénateur Raoul Dandurand la préside. Vianzone donne également des conférences à l’Hôtel de ville de Québec et à l’Institut canadien dirigé par François Langelier, ancien maire de la cité. À Montréal, elle aussi rencontre Françoise, qui offre, à la suite d’une autre conférence, une « réception uniquement féminine93 », dans laquelle se trouve « Mme Lapointe, la femme du maire de Montréal »94. Vianzone rapporte que cette deuxième conférence a attiré quelque 300 personnes. Elle déjeune « dans l’intimité95 » chez Mme Dandurand, amenée par Mme Choquet, la sœur de Françoise, déjà rencontrée par Bentzon. Elle note combien ces mondanités peuvent lui être utiles : « Le Sénateur est là ; il est intelligent, a l’esprit libéral, et me renseigne sur beaucoup de choses. Je l’écoute avec le plus grand intérêt.96 » Elle décrit ainsi Mme Dandurand : « La maîtresse de maison, très zélée pour les causes féministes et pour les œuvres de charité, a une conversation toujours intéressante.97 » Elle rencontre également Mme Gérin-Lajoie98. Dans son récit, beaucoup d’informations et de réflexions proviennent des journaux – des articles dans La Presse d’Hélène Dumont, « ma jeune amie canadienne99 » et de Mgr Bruchési, archevêque de Montréal depuis 1897 – ou d’entretiens avec des personnalités, comme avec ce dernier100. Elle rapporte donc des propos et s’appuie sur des articles de presse, à tel point que son écriture peut s’apparenter là encore au reportage.
Françoise, Madeleine et d’autres journalistes canadiennes apparaissent comme les véritables animatrices des liaisons transatlantiques féminines, qu’elles publicisent dans leurs journaux et magazines. En retour, leurs homologues françaises leur réservent un excellent accueil en France en 1900 lors du Congrès international des femmes. On peut soutenir que la mise en contact des Conseils nationaux canadien et français, mis en place en vue de ce congrès, trouve sa source dans les voyages effectués au Canada par Bentzon au cours des années 1890101. Cette dernière explique qu’elle en fait autant aux États-Unis en rapprochant les femmes de bonne volonté des deux côtés de l’Atlantique.
Caractéristique majeure des écrits féminins, les voyageuses y affichent une sociabilité mondaine à travers leurs activités de salon et leurs conférences publiques. La fonction de conférencière relève d’une pratique mondaine : elle repose sur un système rodé de codes extralinguistiques (« l’étiquette »), de rituels discursifs, d’autoprésentations, que l’on comprend de part et d’autre de l’Atlantique. À cette mise en scène de soi, en des lieux choisis de sociabilité, répond le dispositif autotélique que les voyageuses convoquent dans leurs récits de voyage. Dans la vie comme dans les écrits, cette ritualisation se révèle nécessaire à leur propre mise en valeur comme à celle des partenaires de l’échange. Le récit de voyage devient un exercice moral, au sens d’une épreuve initiatique102, associé à des contextes et des usages mondains. Les occasions se multiplient en voyage de rencontrer des gens qui comptent. Ainsi se concrétise leur volonté de distinction : constituer un carnet d’adresses, maîtriser un ensemble de signes visant la reconnaissance ou la connivence.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les voyageuses ne font pas – ou presque pas – preuve de condescendance en Amérique du Nord, contrairement aux voyageurs, y compris les mieux intentionnés. Bentzon et Vianzone critiquent cette condescendance des intellectuels français et vont même jusqu’à la dénoncer sur place, devant leurs auditoires nord-américains, avant d’y revenir dans leurs écrits103. Une complicité se noue plus particulièrement avec les représentantes de la presse canadienne car ces dernières offrent aux deux voyageuses françaises des conditions idéales pour passer l’épreuve de la mondanité à l’intérieur d’un univers francophone dont elles maîtrisent bien les codes de bienséance, sans doute mieux qu’aux États-Unis. Il existe donc une alliance objective sur le fait de parler du féminisme, de le rendre le plus visible possible dans les médias. Toutes travaillent en commun pour que la presse et le féminisme s’accordent comme deux instruments de la modernité. Elles en sont en quelque sorte des instrumentistes. La francophilie des milieux nationalistes canadiens-français qui soutiennent une Madeleine ou une Françoise doit se comprendre comme l’un des sons de cloche de cette modernité : la référence française n’y est pas indexée à une vision traditionnaliste du monde, comme on l’a souvent répété, mais s’inscrit dans une forme assumée de modernité, une alternative moderne à ce qui apparaît aux deux voyageuses catholiques comme les excès américains. Dans les descriptions de Bentzon et de Vianzone, les salons forment un lieu avancé de la modernité, parce qu’ils accueillent une entreprise de bon goût, dont le prestige et l’exemplarité ne font aucun doute.
Conclusion
En quoi se distinguent les récits des voyageuses en Amérique du Nord de ceux des voyageurs ? Autrement dit, qu’est-ce qui justifie leur constitution en corpus d’analyse ? Deux éléments principaux ressortent de notre investigation. Le premier tient à l’intérêt accordé à la place des femmes en général, à « la » femme américaine, au risque d’en donner une définition substantialiste, quand les individualités féminines rencontrées durant les voyages sont censées incarner un collectif posé comme préexistant. Le second réside dans la curiosité manifestée pour les médias nord-américains, le rôle qu’ils jouent dans la société et leurs spécificités au regard de la France. Cette curiosité n’est certes pas l’apanage des femmes : certains voyageurs sont sensibles à ces questions, tel Georges Demanche, qui traversa le Canada en 1885. Publiant ses notes de voyage dans la Revue Française entre 1886 et 1888, avant de les faire paraître en volume en 1890, ce journaliste revient aux origines de la presse canadienne-française, s’applique à décrire les quotidiens de langue française et mentionne ceux qui sont publiés en langue anglaise104. Mais Demanche fait partie d’une minorité parmi des voyageurs français qui ne daignent guère s’intéresser à un sujet qui leur paraît vulgaire ou trop tributaire de l’actualité.
Nos voyageuses comprennent que la légitimation de la cause féministe s’accomplira dans les journaux, avant d’être un enjeu au sein des milieux politiques. Et si elle est devient un enjeu, c’est d’abord grâce à l’action des journaux. De même, la légitimation du féminisme, en ce qu’il comporte une culture autonome, et finalement une spécificité littéraire, commence par la présence dans les journaux de plumes féminines et par le récit de la vie des « femmes du monde ». Ces plumes féminines imposent leur propre vision du monde, qui n’est pas totalement désaxée par rapport à la vision masculine, mais qui n’en demeure pas moins distincte : c’est ainsi que se justifie l’utilité des récits de voyages publiés par des femmes, lesquelles mettent l’accent sur la nécessité de faire valoir une autre sensibilité, une autre perception des choses étrangères. Cette vision féminine/féministe se met à pénétrer lentement certains milieux catholiques à la fois conservateurs sur le plan esthétique et libéraux sur le plan politique. C’est typiquement le cas de certains cercles autour de la Revue des Deux Mondes.
Si les femmes prises en compte dans ce travail sont journalistes ou traductrices, elles sont également écrivaines et reconnues comme telles à leur époque. Elles publient beaucoup, ce qui rend cette reconnaissance plus facile. Elles revendiquent ces pratiques d’écriture simultanément, sans faire de hiérarchie. C’est pourquoi il n’est pas de bonne méthode de les rabattre sur une seule activité – traductrice ou journaliste – qui serait moins légitime, comme on le fait pour Bentzon : si cette dernière maîtrise l’anglais au point de devenir traductrice, ce n’est pas par soumission au modèle dominant qui valorise le masculin et le viril ; c’est précisément, au contraire, pour le contester. Bentzon use de sa qualité de traductrice pour pénétrer le milieu académique conservateur et se faire reconnaître par lui. On pourrait en dire autant de l’activité de journaliste qui est ici un « ticket d’entrée » dans ce milieu. Contrairement à ce que suggérerait une approche misérabiliste, Bentzon parvient à ses fins, comme le prouve sa centralité dans la Revue des Deux Mondes pour tout ce qui touche aux mondes anglophones. C’est donc, de sa part, une stratégie ingénieuse, et non un acte d’allégeance ou une position de retrait. Il n’y a rien de modeste ou de convenu dans ce choix : il est assumé comme tel et se révèle payant. Dans le voyage qu’elle fait en 1898 en Amérique du Nord aux côtés du couple Brunetière, ce dernier a au moins autant besoin de Bentzon que Bentzon a besoin de lui, ne serait-ce que parce qu’il ignore l’anglais.
Si embryonnaire soit-il, ce réseau transatlantique féminin peut être considéré comme une manifestation tangible d’un féminisme en pointillé, autrement dit d’une sensibilité intellectuelle et morale à la condition féminine, contenant en puissance la revendication égalitaire d’aujourd’hui. Il s’agit certes d’un féminisme de bon aloi, mondain, qui cherche à éviter les excès pouvant nuire à sa cause. Mais ce féminisme se légitime doublement : en s’internationalisant et en prenant un tour raisonnable. Il serait anachronique bien sûr d’en faire la matrice des théories féministes actuelles. Cependant, le réseau qui se constitue à l’initiative de femmes journalistes exerçant dans différents pays fait bouger les lignes au sein d’élites culturelles en voie d’internationalisation. Ce travail de sape et de longue haleine portera ses fruits.
(CNRS – Institut Marcel Mauss, EHESS)
Notes
1 Une lecture synthétique de ces études a été proposée à la fin de la décennie : voir Margot Irvine « Le récit de voyage au féminin », Québec français, n° 112, 1999, p. 69-71. En 1992, Bénédicte Monicat avait recensé 183 récits de voyages publiés par 102 Françaises au XIXe siècle (B. Monicat, « Pour une bibliographie des récits de voyages au féminin (XIXe siècle) », Romantisme, n° 77, 1992, p. 95-100.). Dans un recueil collectif plus récent (Voyageuses européennes au XIXe siècle. Identités, genres, codes, Frank Estelmann, Sarga Moussa et Friedrich Wolfzettel [dir.], Paris, PUPS, 2012.), l’estimation du nombre de récits de voyageuses publiés en français durant ce siècle oscille entre cinq et six mille. Voir aussi : Françoise Lapeyre, Le Roman des voyageuses françaises, Paris, Payot, 2007 ; et pour les écrits publiés au Canada français, le chapitre VI du livre de Pierre Rajotte, « Les récits de voyageuses : écrire hors de la maison du père », Le Récit de voyage au XIXe siècle. Aux frontières du littéraire, Montréal, Triptyque, 1997, p. 177-207.
2 La principale défense de cette thèse se trouve dans Philippe Roger, L’Ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Seuil (« La couleur des idées »), 2002.
3 Voir notre recension présentée plus bas.
4 À travers l’Amérique, Le Far-West, Paris, Dentu, 1869 et À travers l’Amérique, North America, États-Unis : constitution, mœurs, usages, institutions, sectes religieuses, Paris, Dentu, 1871. Nous reviendrons plus loin sur le caractère parfois romancé de ces livres.
5 Olympe Audouard, À travers l’Amérique, Le Far-West, op. cit., p. 222.
6 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Choses et gens d’Amérique, Paris, Calmann Lévy, 1898.
7 Ibid., p. 334.
8 Voir Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, Paris, Plon, 1905.
9 Voir pour Audouard : Bénédicte Monicat, « Écritures du voyage et féminisme : Olympe Audouard ou le féminin en question », The French Review, vol. 61, n° 1, octobre 1995, p. 24-36 ; Isabelle Ernot, « Olympe Audouard dans l’univers de la presse, (France, 1860-1890) », Genre & Histoire, vol. 14 (printemps 2014), [en ligne]. http://genrehistoire.revues.org/1990 [Site consulté le 5 juin 2015].
Pour Bentzon : Joan M. West, « America and American Literature in the Essays of Th. Bentzon : Creating the Image of Independent Cultural Identity », History of European Ideas, n° 8, 1987, p. 521-535 ; Linda L. Clark, « Marie-Thérèse de Solms Blanc », dans Katharina M. Wilson (éd.), An Encyclopedia of Continental Women Writers, vol. 1, London and New York, Routledge, Garland Publishing, 1991, p. 133-135 ; Bénédicte Monicat, « Blanc, Thérèse (1840-1907) », dans The Feminist Encyclopedia of French Literature, Eva Martin Sartori (éd.), Westport, Conn., Greenwood Press, 1999, p. 58 ; William Chew, « Shifting Identities in Late 19th Century French Feminism : the case of Th. Bentzon », congrès annuel « As a woman I have no country ? Women, Nations and Identity. West of England and South Wales Women’s History Network », University of Glamorgan, 24 juin 2000 ; Anne Caroline Sieffert, « L’espace a-t-il un genre ? La question de l’Amérique urbaine au dix-neuvième siècle dans un récit de voyage français », Equinoxes, A Graduate Journal of French and Francophone Studies, n° 11, (printemps/ été 2008), [en ligne]. http://www.brown.edu/Research/Equinoxes/journal/Issue%2011/Eqx11_Sieffert.html
10 Dans la préface de North America, Audouard s’affirme encore républicaine d’esprit, mais considère que la France n’est pas faite pour la République.
11 Tocqueville fut le premier à voir le système américain et ses mœurs comme une préfiguration de ce qui allait advenir en Europe. Il peut être considéré également comme le premier à exprimer une ambivalence à l’égard des États-Unis, à la suite de son voyage de 1831. Le tome 1 de La Démocratie en Amérique qui paraît en 1835 développe une vision positive des États-Unis. Mais le tome 2, paru en 1840, sans prendre le contrepied du premier, scrute les failles de la démocratie américaine, les impasses et désillusions auxquelles elle pourrait mener.
12 Cette vitesse est aussi déterminante dans les médias : l’Américain William A. Bullock invente la presse rotative en 1865, ce qui décuple le nombre d’exemplaires imprimés en une heure ; en 1886, Ottmar Mergenthaler invente la linotype, ce qui permet de composer entre 8 000 et 15 000 signes par heure, contre 1 500 auparavant. Ces gains prodigieux de temps sont à l’origine de l’essor du journalisme d’enquête.
13 Voir François Weil, Naissance de l’Amérique urbaine : 1820-1920, Paris, Sedes, 1996 ; Hélène Trocmé, Chicago 1890-1930 : audaces et débordements, Paris, Autrement, 2001.
14 Olympe Audouard, Le Far-West, op. cit., p. 50.
15 Ibid., p. 47.
16 Ibid., p. 45.
17 Ibid., p. 55.
18 Francis Williams, La Transmission des informations. Les télécommunications et la presse, Paris, UNESCO, 1953, p. 24.
19 Ibid., p. 24-25.
20 Henri Blerzy, « La Télégraphie océanique et l’expédition du Great-Eastern », Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 65, 1866, p. 521-548. Citation p. 548.
21 En France, l’éditeur Hachette occupe dès 1854 une place stratégique essentielle dans la distribution de presse, avec ses bibliothèques de gare (162 en 1861, 1081 en 1901) et ses dépôts. Toutefois, les quotidiens parisiens conservent des vendeurs à la criée.
22 Voir Michael B. Palmer, Des petits journaux aux grandes agences. Naissance du journalisme moderne, Paris, Aubier-Montaigne, 1983. Réédité sous le titre Naissance du journalisme comme industrie. Des petits journaux aux grandes agences, Paris, L’Harmattan (« Communication et civilisation »), 2014.
23 Peu de journaux français possèdent des correspondants à l’étranger, d’où l’importance des récits de voyage qui empruntent de plus en plus au reportage.
24 Marie-Ève Thérenty, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris, Seuil (« Poétique »), 2007, p. 293. Voir aussi le numéro dirigé par Myriam Boucharenc, « L’universel reportage », Mélusine, n° 25, 2005 ; le numéro coordonné par Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty, « L’invention du reportage », Autour de Vallès, n° 40, 2010 ; Mélodie Simard-Houde, « Le reporter devient un auteur. L’édition du reportage en France (1870-1930) », Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol. 6, n° 2, printemps 2015, [en ligne]. http://id.erudit.org/iderudit/1032715ar
25 Frances Trollope, Domestic Manners of the Americans, New York, Whittaker, Treacher & Company, 1832 ; Harriet Martineau, Theory and Practice of Society in America, New York and London, Saunders and Otley, 1837, 3 vol. ; Susanna Moodie, Roughing It in the Bush; or, Life in Canada, London, Richard Bentley, 1852, 2 vol. ; Isabella Lucy Bird, The Englishwoman in America, London, John Murray, 1856. On peut citer aussi le récit plus tardif de Lady Dufferin, My Canadian Journal : 1872-1878. Extracts From my Letters Home Written While Lord Dufferin Was Governor-general, New York, D. Appleton and Company, 1891.
26 L’expression « première mondialisation » (vers 1880-1914) est adoptée par beaucoup d’historiens : voir, notamment pour la montée concomitante de la puissance des États-Unis, Christophe Charle, Discordance des temps, une brève histoire de la modernité, Paris, Armand Colin (« Le temps des idées »), 2011, p. 271-279 et 341-343.
27 Son titre français, plus explicite, est La Journée d’un journaliste américain en 2889. Le texte raconte la journée d’un magnat de la presse, Francis Bennett, qui contrôle la politique et l’économie à son profit. Toutes les grandes puissances doivent composer avec lui. Traduit en anglais, il parut initialement dans le numéro de février 1889 (p. 662-677) du Forum, mensuel de New York dans lequel Bentzon publiera l’article mentionné en introduction.
28 Voir Cindy Béland, « Salons et soirées mondaines au Canada français : d’un espace privé vers l’espace public », dans Lieux et réseaux de sociabilité littéraire au Québec, Pierre Rajotte (dir.), Québec, Nota bene (« Séminaires »), 2001, p. 104 : « En Europe comme au Canada français, les salons ont favorisé les contacts entre bourgeois, intellectuels, artistes et représentants du clergé. Ils ont ainsi fait naître une nouvelle culture des "élites" dont le rôle dans la formation de l’opinion, les bouleversements et les transformations de la société ne saurait être négligé. » Béland ajoute : « La salon représente également, et surtout, un espace de liberté pour l’émancipation de la femme, au-delà de la société qui, pendant longtemps, lui attribuait un rôle précis auquel elle devait se conformer. »
29 Sur le sentiment d’illégitimité des voyages féminins, qui persiste encore à la fin du siècle, voir Sylvain Venayre, « Au-delà du baobab de Madame Livingstone. Réflexions sur le genre du voyage dans la France du XIXe siècle », Clio. Femmes, genres, histoire, n° 28, 2008, p. 99-120.
30 « Voilà la femme dans son rôle de tous les temps, dans son rôle idéal, celui que Gœthe attribue à l’éternel féminin. Rien n’y manque, pas même un reste de l’inconséquence traditionnelle, car, avant toutes choses, la constitution du Conseil international lui défend la propagande, de quelque nature qu’elle soit. Mais lady Aberdeen, appuyée sur le consentement unanime des conseils nationaux fédérés, juge que le mouvement de la paix a dépassé l’ère de la controverse. Elle déclare qu’un nouveau genre de patriotisme a commencé pour la femme ; celle-ci enseignera désormais à ses fils soldats qu’ils existent pour maintenir la paix, jusqu’au jour béni où nous n’aurons plus besoin d’armées. Hélas ! la touchante et poétique réunion de Queen’s Hall, comme l’imposante Conférence de la Haye, devait aboutir à la guerre que l’on sait, à quelque chose de pis que la guerre, l’anéantissement d’une nationalité [les Boers d’Afrique du Sud] ; et, sans doute, pas plus que les Anglais, les Anglaises n’ont pardonné à la France l’indignation qu’elle en a témoignée, puisque, aux congrès tenus à Paris, elles se sont fait remarquer par leur absence. Ce sont là des inconséquences, je le répète, mais le bon grain est jeté néanmoins ; il lèvera dans une certaine mesure. Nous croyons, nous savons qu’aucune aspiration vraiment noble n’est perdue. » (Thérèse Blanc [Bentzon], « Le Conseil international des femmes, dernière partie », Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 2, 1901, p. 119).
31 Ces récits au féminin échappent souvent au regard des chercheurs. Par exemple, pour l’aire culturelle canadienne, sur les 128 récits de voyages répertoriés par Sylvain Simard entre 1850 et 1916, seulement 6 sont signés par des femmes (Sylvain Simard, Mythe et reflet de la France. L’image du Canada en France, 1850-1914, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa [« Cahiers du CRCCF »], n° 25, 1987, p. 327-336).
32 Par exemple, l’ouvrage de Thérèse Bentzon, Les Américaines chez elles. Notes de voyage, reprend des articles de la Revue des Deux Mondes comme « La condition des femmes aux États-Unis. Notes de voyage. I Chicago », Revue des Deux Mondes, juillet 1894, p. 138-173 et « La condition des femmes aux États-Unis. Notes de voyage. II Boston. », Revue des Deux Mondes, septembre 1894, p. 96-131 ; Céline Rott reprend dans Moana ou voyage sentimental chez les Maoris (Paris, Édition de la Nouvelle Revue française [« Les documents bleus »], n° 3, 1923, p. 9-30.), ses articles sur le Canada publiés en 1914 dans la NRF.
33 Mélodie Simard-Houde (« Le reporter devient un auteur. L’édition du reportage en France (1870-1930) », art. cit., p. 11) souligne la difficulté de retracer les prépublications, dans des journaux ou des revues, des récits de voyage journalistiques : « Le critère d’actualité permet certes d’identifier facilement la correspondance de guerre, mais il n’est pas toujours déterminant dans le reportage exotique qui pourrait se définir par la volonté, plus diffuse, de tracer un portrait actuel du pays visité, attentif aux mœurs, à la politique, à l’économie. En dehors du critère d’actualité, la distinction du reportage comme genre repose en partie sur les appellations employées par les acteurs eux-mêmes – reporters, directeurs de journaux, préfaciers et éditeurs. Or, il est assez rare que le paratexte mentionne de façon explicite le statut de reporter de l’auteur, et encore plus rare qu’il donne les dates de prépublication. Cette hésitation quant au statut de reportage prendra fin […] avec la guerre russo-japonaise de 1904-1905. » Elle ajoute en note : « Cette mention n’apparaît pratiquement jamais. Mais ce sera du reste encore le cas dans l’entre-deux-guerres, alors même que le statut de reporter devient un sceau prestigieux, gage de littérature vécue, d’aventure et de romanesque. »
34 Concernant son corpus de 27 textes de voyageuses canadiennes, P. Rajotte fait en effet remarquer que « la très grande majorité des récits […] emprunte une forme épistolaire, forme alors si commune aux écrits féminins. » (Pierre Rajotte, Le Récit de voyage au XIXe siècle, op. cit., p. 186).
35 Ibid., p. 183.
36 Ibid., p. 193.
37 Ibid., p. 196.
38 Ibid., p. 204.
39 Ibid., p. 185.
40 Olympe Audouard, Le Far-West, op. cit., p. 188-190.
41 Olympe Audouard, North America, op. cit., p. 335-336.
42 Olympe Audouard, Le Far-West, op. cit., p. 94.
43 « Plus tard en visitant le Canada, j’ai pu m’apercevoir que tous les Canadiens sont légitimistes. Pour eux 89 est une aberration, le progrès et les idées nouvelles sont lettres closes, et ils en sont tous à la France du grand roi. […] [I]ls ont une aversion profonde pour l’Anglais et plus encore pour le Yankee […]. Une justice à rendre à la domination anglaise, c’est qu’elle se fait aussi légère que possible. […] Le Canada cependant a un tyran farouche, c’est le clergé… vrai clergé espagnol […] ». (Olympe Audouard, Le Far-West, op. cit., p. 63-64)
44 La part consacrée à l’enquête dans ces récits est importante car, comme le note Philippe Roger : « L’antiaméricanisme d’avant 1914 est déjà l’affaire des élites et des intellectuels. Mais il présente avec celui de la période ultérieure un intéressant contraste. Dans cette phase de stabilisation du discours antiaméricain, ce ne sont pas les "gens de lettres" qui sont aux avant-postes. Ceux que nous trouvons en première ligne sont, pour la plupart, économistes, sociologues, politologues, sans oublier les romanciers-psychologues à la Bourget, qui ne doutent pas de l’existence des mentalités collectives. Ce sont des hommes (très rarement des femmes) qui se réclament de disciplines nouvelles et audacieuses. Tous, tant s’en faut, ne présentent pas des profils de savants ni d’experts. Mais c’est en invoquant des savoirs modernes et non une culture ancienne ; c’est avec le vocabulaire conquérant des nouvelles sciences du social et non dans l’idiome nostalgique de lettrés offusqués qu’ils prennent la plume contre l’ennemi américain. » (L’Ennemi américain, op. cit., p. 239). Deux réserves s’imposent ici : d’une part, ces enquêtes sont menées plus fréquemment par des femmes que ne l’affirme Philippe Roger ; d’autre part, comme c’est le cas avec les voyageuses retenues dans cet article, elles ne débouchent pas forcément sur un antiaméricanisme viscéral.
45 « Hull-House était une résidence réservée à des jeunes gens de bonne famille, prêts à agir "sur le terrain" au nom d’une nouvelle éthique de la citoyenneté responsable. Leur mission était claire : contrer les effets pervers de l’"industrialisme" en incitant les immigrés à puiser dans leurs réserves une "énergie sociale" jusque-là insoupçonnée. Les résidents de Hull-House, auxquels se joignirent des philosophes connus comme George Herbert Mead et John Dewey, étaient donc des "fabricateurs" de lien social, des mobilisateurs d’énergie, des "progressistes" au sens plein du terme. Leurs activités philanthropiques reposaient sur une forme nouvelle d’intervention sociale : l’enquête de terrain. […] C’est à partir de ces premières expériences que les chercheurs de l’université de Chicago développèrent leurs protocoles d’enquêtes, au nom d’une science nouvelle, la "sociologie urbaine". » (Denis Lacorne, La Crise de l’identité américaine. Du melting-pot au multiculturalisme, Paris, Fayard, 1997, p. 226-227.)
46 Pierre Rajotte, Le Récit de voyage au XIXe siècle, op. cit., p. 203.
47 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Choses et gens d’Amérique, op. cit., p. 332.
48 Philippe Roger récuse la notion d’ambivalence appliquée à la perception française des États-Unis, en balayant de la main les extraits d’ouvrages qui vont à l’encontre de sa thèse. Quand il considère que les discours antiaméricains « venus d’horizons méthodologiques (et idéologiques) très divers présentent une surprenante homogénéité » (L’Ennemi américain, op. cit., p. 240), il semble davantage postuler une telle homogénéité que l’étayer. Ne pourrait-on pas partir du postulat inverse de l’hétérogénéité des discours et le vérifier avec autant d’aisance, au moyen d’une sélection des citations différente de la sienne ? Pour un point de vue qui, au contraire, met en exergue l’ambivalence de cette perception, voir Jacques Portes, Une fascination réticente. Les États-Unis dans l’opinion française, 1870-1914, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1990.
49 Olympe Audouard, Le Far-West, op. cit., p. 32.
50 Ibid., p. 33.
51 Ibid., p. 34.
52 Id.
53 Id.
54 Olympe Audouard, North America, op. cit., p. 330-369.
55 Ibid., p. 336.
56 Ibid., p. 337.
57 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Choses et gens d’Amérique, op.cit., p. 298.
58 Ibid., p. 314-315.
59 Ibid., p. 294.
60 Olympe Audouard, North America, op. cit., p. 29.
61 Ibid., p. 198-228.
62 Ibid., p. 212.
63 Ibid., p. 220.
64 Ibid., p. 105.
65 Ibid., p. 198.
66 Ibid., p. 199.
67 Ibid., p. 200.
68 Ibid., p. 219-220.
69 Ibid., p. 221.
70 Ibid., p. 222.
71 Ibid., p. 224.
72 Ibid., p. 228.
73 Id.
74 Ibid., p. 77.
75 Michael Palmer, Naissance du journalisme comme industrie. Des petits journaux aux grandes agences, op. cit., p. 354.
76 Olympe Audouard, North America, op. cit., p. 200.
77 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Choses et gens d’Amérique, op. cit., p. 332.
78 Id.
79 Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, op. cit., p. 82.
80 Ibid., p. 211.
81 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Nouvelle-France et Nouvelle-Angleterre, Paris, Calmann Lévy, 1899, p. 202.
82 Sur cette journaliste, voir Anne Carrier, Une pionnière du journalisme féministe québécois : Françoise, pseudonyme de Robertine Barry, Québec, Groupe de recherche multidisciplinaire féministe, Université Laval, 1988 ; Line Beaudouin, « La parole dissidente de Françoise dans Le Journal de Françoise (1902-1909) », dans Recherches féministes, « Sans livres mais pas sans lettres : renouveler l’histoire des pratiques d’écriture des femmes », numéro dirigé par Chantal Savoie et Marie-José des Rivières, vol. 24, n° 1, 2011, p. 25-43.
83 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), Nouvelle-France et Nouvelle-Angleterre, op. cit., p. 206.
84 Thérèse Bentzon (Mme Blanc), « L’éducation et la société au Canada », Revue des Deux Mondes, juillet/août 1898 (deuxième quinzaine), p. 350.
85 Ibid., p. 355.
86 Chantal Savoie, « La page féminine des grands quotidiens montréalais comme lieu de sociabilité littéraire au tournant du XXe siècle », Tangence, n° 80, hiver 2006, p. 125-142.
87 Thérèse Bentzon, « L’éducation et la société au Canada », art. cit., p. 355.
88 Ibid., p. 356.
89 Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, op. cit., p. 242 et p. 313.
90 Sur le succès des conférences publiques en Amérique du Nord, voir Donald Scott, « Public Lectures and the Creation of a Public in Nineteeth-Century America. », Journal of American History, n° 66, 1980, p. 791-809.
91 Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, op. cit., p. 278-279.
92 Voir Chantal Savoie, « Madeleine, critique et mentor littéraire dans les pages féminines du quotidien La Patrie au tournant du XXe siècle », dans Josette Brun (dir.), Interrelations femmes-médias dans l’Amérique française, Québec, CEFAN/PUL, 2009 p. 85-104.
93 Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, op. cit., p. 258.
94 Elle se trompe sur le patronyme, probablement en raison de l’accent québécois : le maire de Montréal est un Laporte, prénommé Hormidas (ou Hormisdas). Sa femme se nomme Myrza Gervais.
95 Thérèse Vianzone, Impressions d’une Française en Amérique, op. cit., p. 260.
96 Id.
97 Ibid., p. 262.
98 Ibid., p. 261.
99 Ibid., p. 242.
100 Ibid., p. 240.
101 Voir Chantal Savoie, « L’Exposition universelle de Paris (1900) et son influence sur les réseaux des femmes de lettres canadiennes », Études Littéraires, vol. 36, n° 2, 2004,17-30 ; Chantal Savoie, Les femmes de lettres canadiennes-françaises au tournant du 20e siècle, Québec, Nota bene (« Essais critiques »), 2014.
102 Bentzon ne publiera-t-elle pas, en 1899, Causeries de morale pratique (avec une certaine Mlle Chevalier), qui est une sorte de vade-mecum de ce que les jeunes filles doivent faire et de ne pas faire en société ?
103 Mary Beth Raycraft a raison de soutenir que Bentzon « expressed a desire to correct the stereotypes concerning American women that had been put forward by certain male French writers. She emphasized the importance of women’s role and involvement at the fair [l’Exposition universelle de Chicago]. » De même, en évoquant les conférences de Vianzone sur la littérature française prononcées à l’Auditorium Building et à l’Université de Chicago, elle souligne que cette dernière « called Chicago "an extraordinary city that deserves to be known". » (Mary Beth Raycraft, Introduction à Madame Léon Grandin, A Parisienne in Chicago : Impressions of the World’s Columbian Exposition, Urbana, Chicago, and Springfield, University of Illinois Press, 2010, p. 17-43. Citations p. 32 et p. 34).
104 Georges Demanche, Au Canada et chez les peaux-rouges, Paris, Hachette, 1890. Voir p. 42-50 sur la presse de Québec ; p. 64-72 pour celle de Montréal ; p. 83 pour celle d’Ottawa-Hull.