Les journalistes : identités et modernités

Les journalistes patrons de presse au XIXe siècle en France et au Royaume-Uni. Étude comparée des capitalismes de presse

Table des matières

CHRISTIAN PRADIÉ

Introduction

En adoptant une diversité remarquable de formes dès sa création, le développement de la production de la presse écrite est apparu suivre la trace de modèles nationaux, dont il n’est pas aisé de saisir, dans chaque cas, le fondement des structures propres. Comprendre, en quelque sorte, la modélisation des modèles nationaux d’évolution d’un tel secteur de la production informationnelle et culturelle s’avère néanmoins nécessaire, en un examen ordonné des caractéristiques d’une activité médiatique.

L’une des difficultés de l’interrogation sur les transformations que connaissent les modes de gestion des publications de presse est de s’attacher à discerner ce qui répond, d’une part, au cadre singulier d’une activité médiatique et, d’autre part, au domaine général d’une entreprise socio-économique dépendant des critères communs d’un secteur de l’économie nationale.

Pour l’un et l’autre de ces aspects, le dix-neuvième siècle représente une période d’un intérêt particulier pour l’historien de la presse et des médias. Parmi les multiples transformations que connaît l’édition de journaux dans cette période, l’instauration des entreprises de presse comme sociétés de capitaux reliées à l’activité des marchés financiers agit comme un facteur déterminant pour la définition de nouvelles conditions de concurrence. Dans chacun des pays concernés par cette libéralisation financière, l’espace public devient organisé suivant cette complexité nouvelle, qui tend à opposer, en une disjonction duale de la sphère publique, des offres intellectuelles et artistiques marquées par des choix commerciaux et éditoriaux différents. Pour la France et le Royaume-Uni, ces mutations paraissent s’installer suivant des chronologies spécifiques, tout en amenant, après 1895, la mise en œuvre d’un cadre comparable. Néanmoins, les voies propres de développement suivies auparavant, durant plus d’un demi-siècle, se révèlent marquer les modèles nationaux, par l’importance prise, au sein de l’un ou de l’autre, par des choix de gestion privilégiés ou par des genres éditoriaux au développement spécifique.

1) Le dix-neuvième siècle comme champ particulier de l’étude de la presse écrite

Pour Jürgen Habermas, les deux premiers siècles qui suivent l’apparition de la presse périodique amènent la nouveauté fondamentale que constitue, au sein des sociétés européennes, la construction d’un espace public, progressivement plus étendu dans son acception sociale et thématique1. Par l’accumulation des canards, des journaux, des gazettes ou encore des revues, le traitement des questions littéraires puis des questions relatives aux sujets politiques portant sur l’orientation d’une action publique obtient, avec le statut d’une discussion rationnelle publique, la qualité d’un raisonnement collectif, bénéfique au progrès de la Raison, si bien que le projet du journal rejoint celui du Parlement. Toutefois, cette visée se trouve, selon lui, compromise dans le cours du dix-neuvième siècle, plus précisément, indique-t-il, vers les années 1830, lorsque, avec l’amoindrissement d’une ambition civique du journalisme, se voit dénaturée la portée de l’institution d’un espace public rationnel.

Le tournant que représente le dix-neuvième siècle dans l’organisation des dynamiques suscitant la production de la presse écrite est en effet de nature remarquablement complexe. Pour Jean Chalaby, une rupture s’opère lorsque, avec de nouvelles techniques mises en oeuvre pour rapporter l’événement, une nouvelle approche du journalisme, éloignée des motivations partisanes, s’impose en particulier dans les pays de tradition anglo-saxonne2. Pour Christophe Charle, il est possible d’identifier dans les formes d’une « dérégulation » culturelle le mouvement commun à de nombreuses sociétés européennes, qui tendent à rechercher la démocratisation d’une offre dont la mutation est dictée par le statut nouveau d’une consommation de masse3. Cette question d’une préoccupation grandissante apportée à la diffusion populaire de la production médiatique est également centrale pour Jean-Yves Mollier, au point de favoriser des stratégies conflictuelles pour la maîtrise de la circulation informationnelle et culturelle, désormais plus accessible à de larges cercles de population4. Surtout, pour James Curran, la question d’un accès du peuple aux capacités de production de contenus médiatiques est suffisamment importante pour justifier l’orientation d’une politique publique de l’espace public, organisant une sorte de bataille culturelle qui engage la nature de l’intervention des États5.

Ainsi, la question des choix sociaux en matière d’organisation médiatique, tout particulièrement pour la presse écrite, mais aussi l’édition d’ouvrages, le théâtre et une large part du spectacle vivant, revêt-elle un surcroît de complexité au fur et à mesure de l’avancement dans le siècle, sur les deux plans que représentent les options socio-économiques de la stratégie d’intervenants privés et les options sociopolitiques de la conduite de l’État. Sur le plan socio-économique, il est possible d’illustrer la densité problématique de la période, en ce qui concerne les modifications apportées à la gestion des publications de presse, en mettant en évidence les deux processus que représentent la bataille des éditeurs engagés en faveur d’une baisse de prix des titres et l’irruption d’une incidence des insertions d’annonces publicitaires dans la politique des firmes éditrices. La bataille du bas prix, qui survient dans nombre de pays européens ou encore aux États-Unis autour de 1830, constitue un phénomène complexe : se combinent, pour chacun d’entre eux, la question des progrès technologiques obtenus pour la fabrication du papier et l’impression de textes et d’images, et, de plus, les aspects tenant à l’amélioration des modes de diffusion à la criée, dans les commerces, auprès de courtiers en abonnement, au sein de cabinets de lecture, ainsi que des moyens d’acheminement par les moyens de la route et du chemin de fer organisés par des services de poste ou de messagerie, ou encore le mouvement de multiplication des sources de revenus provenant soit de la vente par abonnement ou au numéro, soit de la collecte d’insertions d’annonces de publicité. S’ajoute encore le bénéfice d’une économie de prototypes alors que l’amortissement des contenus produits concerne avantageusement des publics de plus en plus nombreux, que caractérisent, enfin, une taille démographique accrue, un degré d’alphabétisation amélioré, une propension à la politisation amplifiée ainsi qu’un niveau de pouvoir d’achat augmenté. Le développement du financement issu de la commercialisation d’espaces offerts à la publicité commerciale, qui apparaît dans les mêmes pays également aux alentours de 1830, constitue, de même, un processus complexe : il s’accompagne de la multiplication de la teneur formelle des insertions et, de plus, de la diversification de l’origine sociale de ses émetteurs, ou encore de l’amplification de leur impact dans les comptes des sociétés d’édition des publications, mais aussi, enfin, de l’incidence des enjeux de la constitution d’une filière des métiers de la publicité composée dorénavant de rédacteurs spécialisés, de courtiers, de sociétés fermières et d’agences-conseils en campagnes de promotion publicitaire.

Au centre de telles évolutions offertes aux conditions d’exploitation du journal se trouve ainsi impliquée la décision d’entrepreneurs, dont la latitude stratégique s’élargit avec le champ nouveau des possibilités d’innovations que suscite un cadre professionnel fortement changeant dans le cours de la première partie du dix-neuvième siècle. Or, durant cette même période, les formes statutaires des structures entrepreneuriales ne demeurent pas non plus immuables, en suivant les transformations amenées par une complexité accrue des dispositions du Code de commerce.

Bien que minorée dans l’historiographie de la presse et des médias, la question de la sociologie de la propriété des entreprises éditrices est en mesure d’éclairer certains aspects des mutations de l’activité de l’espace public. Une des évolutions notables des facteurs de détention et de contrôle des publications de presse est de faire succéder, à une domination de la propriété individuelle, la diffusion de sociétés organisant la propriété au caractère collectif des structures éditrices, au tournant des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Alors que la maîtrise du journal revient souvent, dans une première période, à un imprimeur parfois simplement associé à un rédacteur homme de lettres, ou bien qu’elle en vient à reposer sur l’unique fortune d’un publiciste engagé dans le combat politique, à l’approche de la Révolution française, l’organisation de la détention tend à se transformer, durant la première moitié du dix-neuvième siècle, avec, d’une part, l’adjonction de financiers, agissant en commanditaires d’une affaire commerciale, et, d’autre part, la combinaison de la contribution d’associés-gérants, agissant en commandités d’un projet éditorial.

Sous la forme de sociétés, de compagnies ou d’associations s’agglomèrent une multiplicité d’intérêts particuliers, dans le domaine des activités intellectuelles et artistiques comme en d’autres domaines, pour la conduite d’entreprises dont la gestion est appelée à être régie suivant les règles de droits nationaux des sociétés en forte évolution. En organisant la démarcation entre sociétés de personnes et sociétés de capitaux, la législation a à déterminer, en particulier, la question de la responsabilité illimitée ou non des associés. Les normes juridiques en viennent, par ailleurs, à préciser le rôle respectif revenant à la catégorie des associés commanditaires et des associés commandités. Cet essor de la complexité des structures économiques qui caractérisent l’évolution des nations industrialisées au début du dix-neuvième siècle conduit à instaurer, dans le prolongement d’un capitalisme de métier, les bases d’un capitalisme financier, en forte progression.

Cette sophistication des règles du droit des sociétés franchit une étape supplémentaire, impliquant des aspects communicationnels fondamentaux, avec la question de la légalité de la mutation au porteur des actions de sociétés. En abandonnant un caractère simplement nominatif, la propriété d’une part sociale de capital reconnue au porteur institue la possibilité d’une transmissibilité en tant que valeur mobilière, aisément échangeable sur un marché financier émergeant dans le cadre des activités de bourse, revêtues d’une importance sociale accrue. À ce commerce est associée l’organisation de moyens nouveaux de publicité dont l’intérêt est primordial pour la fourniture des renseignements requis par ses opérateurs et que procure une multiplicité croissante de bulletins spécialisés et de chroniques dans la presse générale. L’espace public financier, amené à se développer à la suite de l’aménagement des nouvelles règles juridiques, organise ainsi la transformation de la détention des entreprises en un capitalisme financier de masse, au fur et à mesure que la population actionnaire gagne au sein des structures sociales du dix-neuvième siècle.

En agissant sur les deux aspects du financement par la bourse et de l’organisation d’une information délivrée aux marchés boursiers, capitalisme financier de masse et communication de masse se trouvent reliés au sein de l’activité de journaux engagés désormais dans les jeux d’une double concurrence envers un marché de lecteurs et envers un marché d’actionnaires.

Pour rendre compte, ainsi, de la densité du dix-neuvième siècle au regard de la mutation de l’espace public des sociétés industrialisées, l’analyse doit s’étendre à une telle variété de facteurs. À côté de conditions socio-économiques, l’examen doit donc englober la variété de conditions sociopolitiques, recelant, avec les notions du droit des sociétés commerciales, une matière qui relève non seulement du champ d’un droit sectoriel spécifique, de nature interne, mais d’un droit économique commun, externe aux activités de presse.

2) Les transformations de l’activité médiatique régies par une pluralité de processus de libéralisation

La tentative de vouloir préciser les facteurs historiques de mutation des espaces publics nationaux peut donc s’appuyer sur l’étude d’une variété de conditions relevant tout autant du domaine des évolutions technologiques, des modifications socio-économiques et des transformations juridiques. L’analyse comparative éclaire utilement les mécanismes de l’incidence de pareils facteurs, en retenant, au sein d’une série de pays pouvant comprendre les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne ou encore le Canada, deux nations, en particulier, où la marque de modèles nationaux est prononcée : il s’agit de la France et du Royaume-Uni.

Alors que l’historiographie a longtemps retenu l’importance soit de facteurs technologiques, soit de facteurs socio-économiques, l’accent qui peut être porté sur l’étude des conditions juridiques, en relation avec la description d’une définition progressive des politiques publiques de l’espace public, apparaît en mesure de prolonger l’examen des transformations historiques des activités communicationnelles. L’évolution d’ensemble de ces conditions peut être caractérisée, dans les différents pays retenus, comme un mouvement favorable à l’octroi des libertés graduellement concédées par la puissance publique aux activités d’expression des opinions et de relation des faits, dans le cadre des activités journalistiques, en un ensemble de processus de libéralisation.

Relevant de secteurs différents de la politique publique de l’espace public, quatre processus de libéralisation peuvent être distingués, de nature politique en ce qui concerne la réglementation de la liberté d’expression, de nature commerciale quant à la réglementation de la circulation entre économies nationales, de nature économique quant à la réglementation de la liberté d’entreprise et, enfin, de nature financière quant à la réglementation des possibilités d’investissements au capital des entreprises rattachées à des activités de presse et de médias.

En portant sur la police de la corporation des imprimeurs, sur la délivrance des privilèges et des permissions de publication ou encore sur la répression des écrits prohibés, la réglementation en matière de libéralisation politique comporte l’enjeu d’une régulation de la censure des expressions, tout en entraînant l’inconvénient de la constitution de foyers actifs de contre-propagande à l’extérieur des frontières nationales. Aussi se trouve reliée à la réglementation de la libéralisation politique celle de la libéralisation en matière commerciale, qui, parce qu’elle concerne la politique de régulation des droits de douane, comporte l’enjeu de pouvoir protéger la puissance de l’industrie nationale de concurrences étrangères, tout en menaçant celle-ci lorsque la trop faible efficacité du contrôle des frontières favorise des flux importants d’importations illégales, comme dans le cas de l’entrée des nombreuses gazettes éditées à l’étranger par les promoteurs exilés de l’idéologie des Lumières.

Une manifestation de cette nécessité de l’arbitrage, courante au long des dix-septième et dix-huitième siècles, entre la sévérité de la censure intérieure et la pression extérieure exercée par les rivaux commerciaux en matière de puissance éditoriale, apparaît ainsi avec la transition opérée en politique publique, en France, vers 1760, au bénéfice d’un régime de permissions tacites susceptible d’entraîner le retour dans le royaume de l’impression des écrits auparavant censurés.

Par ailleurs, en englobant la délivrance des autorisations de publication, le régime du cautionnement et les différentes règles fiscales, la réglementation en matière de libéralisation économique comporte l’enjeu d’une plus ou moins grande faculté accordée à la liberté d’entreprendre, au détriment d’un contrôle de la nature des publications et de l’accès social aux métiers du journalisme et de l’édition.

Une manifestation de la montée d’un arbitrage favorable à la prépondérance de cette catégorie de libertés peut être observée dans la décision de retrait, concédée par le pouvoir royal en France au cours de l’année 1827, du projet de loi Peyronnet, fortement répressif, au point de susciter une quantité exceptionnelle de protestations contre les préjudices économiques dus à la restriction des libertés de publication, leur satisfaction étant octroyée dans le but d’encourager l’essor de la production nationale.

À cette réglementation de la libéralisation économique se trouve reliée celle de la libéralisation en matière financière, qui, portant sur les formes juridiques autorisées (notamment quant aux sociétés de capitaux, certaines pouvant être ouvertes au placement de l’épargne publique collectée en bourse) ou encore la nature des investisseurs, comporte l’enjeu d’un renforcement de la compétitivité nationale au regard de la puissance capitalistique engagée dans les différentes branches de l’économie nationale, tout en entraînant le besoin de contrôle de la souveraineté économique nationale face à l’évolution de la nationalité des titulaires du contrôle des principales firmes de chaque secteur.

Une manifestation de la montée d’un arbitrage favorable à la diffusion de sociétés de capitaux peut être mise en évidence avec l’abandon en France en 1838 d’une législation réprimant les abus connus avec l’essor des sociétés en commandite par actions ou bien avec l’important traité de commerce franco-anglais reconnaissant en 1860 les droits réciproques des sociétés de capitaux fondées selon les législations respectives. Ce traité sera suivi d’un autre, identique, entre la France et la Belgique.

Avec la réglementation en matière de libéralisation économique et de libéralisation financière, d’autres impératifs viennent, ainsi, s’ajouter aux considérations susceptibles de fonder l’orientation d’une politique publique de l’espace public. Le dix-neuvième siècle, avec l’encouragement nécessaire de l’industrie nationale et le soutien requis de sa puissance face à des nations capitalistes simultanément en construction, apporte, y compris dans l’administration des activités intellectuelles et artistiques, une problématique nouvelle, en regard des préoccupations de police de la censure et de régulation des échanges douaniers qui sont prises en considération de façon prioritaire au dix-huitième siècle.

Le développement de la complexité de la politique publique de l’espace public, illustrée dans chacun des pays observés par la multiplication et le rythme des lois de portée parfois changeante et diverse, renvoie à une complexification des conditions alors offertes à l’exploitation du journal, d’autant qu’avec la recherche d’une libéralisation d’ordre politique et commercial d’abord, puis d’ordre économique et financier ensuite, les notions engagées concernent progressivement, en plus du domaine strict des activités médiatiques, le domaine élargi de l’ensemble des questions soumises à l’administration de l’industrie et du commerce.

En cela, nous pouvons formuler l’hypothèse suivant laquelle, dans l’Europe mais aussi dans les États-Unis du dix-neuvième siècle, s’opère la transformation d’une organisation élémentaire de l’espace public vers une organisation complexe, constituée suivant les enjeux parfois divergents, internes à un champ professionnel, mais aussi externes, en se rattachant à la conduite d’une branche, parmi d’autres, d’industrie et de commerce. Il apparaît, de ce point de vue, que les questions relatives à la réglementation en matière de libéralisation financière apportent un surcroît de complexité particulièrement remarquable, en impliquant la détermination du statut des intervenants privés et de leurs comportements en tant qu’agents microéconomiques, au point de susciter une démarcation en catégories de régimes statutaires relevant d’options diverses, dont le caractère est à la fois profond et durable.

De façon logique, d’abord, le processus de financiarisation, découlant des mesures de libéralisation financière, dans les différents cadres nationaux, entraîne des effets qui tendent à revêtir un caractère structurant, en permettant l’action, à l’intérieur du champ des activités médiatiques, du potentiel global de transformation d’un capitalisme financier de masse. Tant, d’abord, à l’échelle microéconomique, où, répondant à un mouvement renforcé d’industrialisation, les firmes engagent les stratégies de définition de nouveaux genres éditoriaux (en lien avec les options d’une commercialisation à bas prix et d’un financement par les ressources de la publicité, capables de garantir les objectifs de rémunération d’une épargne publique), qu’ensuite, à une échelle mésoéconomique, où, répondant à un mouvement de concentration horizontale ou verticale, les offres se regroupent (selon les opérations d'acquisitions et de fusions, en transformant les conditions de concurrence), et qu’enfin à une échelle macroéconomique, où, répondant à un mouvement d'internationalisation des échanges et des capitaux, les secteurs nationaux de production médiatique rivalisent en favorisant l'essor d’une mondialisation informationnelle et culturelle, en une multiplicité de niveaux, donc, les dynamiques multiples et puissantes de la financiarisation sont en mesure d’agir sur l’organisation globale des espaces publics.

De façon empirique, ensuite, mené en suivant une méthode de comparaison entre plusieurs situations nationales, l’examen des transformations législatives, discernables en une diversité de processus de libéralisation, permet de dégager des facteurs de causalité significatifs pour l'étude chronologique de la mutation des espaces publics respectifs. Tant, d’abord, l’affirmation d'une jurisprudence en 1832 en France qu’ensuite l’adoption d’une législation en 1856 au Royaume-Uni, relatives l’une et l’autre à l’organisation des sociétés de capitaux, comportent des conséquences importantes pour les comportements stratégiques et les dynamiques concurrentielles dans les secteurs respectifs de la presse écrite6.

Globalement, en contribuant à élaborer la compréhension de modèles nationaux de structuration de la production des presses écrites française et britannique, la mise en évidence des orientations spécifiques de chacune des actions publiques rend compte de la dynamique de facteurs qui peut éclairer, en fin de compte, avec l’incidence du régime de cautionnement, la précocité de la financiarisation des entreprises éditoriales dans le cas de la France et, avec l’impact des mesures fiscales, le retard relatif de celle-ci dans le cas du Royaume-Uni.

En somme, l’interprétation historiographique trouve, avec une meilleure prise en compte des déterminations issues des processus législatifs, les moyens d'un cadre explicatif plus adapté que la simple hypothèse d'un déterminisme technologique, dans le but de servir l'analyse de la transformation des espaces publics.

Non seulement les dynamiques sociopolitiques aboutissant aux différents mouvements d’élaboration législative apparaissant revêtir une portée fortement marquée par leur généralité et leur effectivité, mais, plus encore, à la différence d'une uniformité d’ensemble de la diffusion des conditions technologiques, c’est l’hétérogénéité des constructions juridiques qui s’avère constituer une clé profonde de compréhension de la diversité qui caractérise la formation de modèles nationaux spécifiques.

I. La libéralisation financière de la presse en France et au Royaume-Uni

Avant d’établir une chronologie comparée du cadre d’évolution de la presse dans les deux pays, il convient d’exposer d’abord les raisons de la divergence des conditions de libéralisation financière, plus précoce en France qu’au Royaume-Uni.

L’évolution des lois qui prévoit l’ajout de la catégorie des sociétés de capitaux à un cadre initialement réduit aux sociétés de personnes est une tendance générale des sociétés européennes industrialisées. Cependant, les circonstances dans lesquelles sont prévus d’une part le recours ou non à une autorisation préalable délivrée par la puissance publique, au regard du caractère illimité ou non des apports, et d’autre part l’octroi de la possibilité d’émission d’actions au porteur en remplacement des anciennes actions nominatives sont des critères qui se révèlent variables d’un pays à l’autre, en entraînant des conséquences importantes.

La défiance à l’égard de sociétés de capitaux, dénuée du caractère ancien d’engagement solidaire et illimité des associés pour les dettes contractées vis-à-vis de tiers, justifie le caractère progressif et prudent de législations qui, au dix-neuvième siècle, visent avant tout à prévenir l’absence de risques dus à des faillites en chaîne de sociétés qui seraient conçues en l’absence de garanties suffisantes.

1) Cas de la France

Un ensemble de facteurs spécifiques va en définitive opposer la situation de la France, où prévalent le statut singulier de sociétés en commandite par actions qui incorporent une responsabilité limitée (issu du Code de commerce de 1807) puis les termes de la jurisprudence du 7 février 1832 sur les actions au porteur, à la situation du Royaume-Uni, où interviennent principalement la portée de la loi de 1844 délivrant de l’autorisation préalable des sociétés demeurant à responsabilité illimitée, puis de celle de 1856 sur les sociétés à responsabilité limitée, admettant de plus les actions au porteur.

De cette variété de choix législatifs et de décisions d’ordre jurisprudentiel va dépendre une situation d’ensemble donnant de prime abord une avance à la France, qui connaît entre 1832 et 1838 une « fièvre des commandites » considérable, marquant la préfiguration d’un capitalisme financier de masse, alors qu’au Royaume-Uni, les possibilités d’un rattrapage ne sont permises qu’après 1856, en un essor de « joint-stock companies » solidement établies.

a) Cadre des lois et règlements

En France, tout comme au Royaume-Uni, le combat pour la liberté de la presse, dans son sens classique d’opposition au secret monarchique, est très actif au début du dix-neuvième siècle. Le résultat obtenu par la loi du 18 juillet 1828, qui conduit à l’abandon de l’octroi de l’autorisation préalable à la publication, s’impose comme un acquis décisif. De plus, il traduit une mutation quant à la primauté des impératifs de politique publique, en recevant favorablement les doléances professionnelles des métiers de l’écrit contre le renforcement du contrôle de l’expression prôné par le projet de loi Peyronnet, retiré en 1827. Enfin, le fruit obtenu de la revendication mérite d’être défendu, au point de constituer l’une des motivations des révolutionnaires de la monarchie de Juillet, réagissant de nouveau à l’ambition de textes liberticides quant au droit de publication des opinions. L’effet du nouveau régime de libertés est d’une clarté remarquable dans l’histoire de l’essor de la presse, par la simple mesure du nombre de publications nouvelles, innovantes par les genres entrepris et largement inédites dans leur inspiration, par un ton qui fonde et porte l’esprit de Juillet 1830.

Une autre conséquence de l’esprit de Juillet 1830, en plus de permettre une floraison de l’espace public assise sur les libéralisations politique et économique de ses initiatives, est de conduire à une libéralisation financière étendue à l’ensemble de l’économie. Avec la « fièvre » des sociétés en commandite par actions surgissant après 1832, la France inaugure une nouvelle organisation des règles de détention et de contrôle des firmes, en bouleversant en peu de temps la portée des trois conditions sur lesquelles repose l’expansion d’un capitalisme financier des masses, à savoir l’association des capitaux en des sociétés par actions à responsabilité limitée, la dispense de la délivrance d’une autorisation publique pour la fondation d’une société de capitaux et la diffusion, dans le public épargnant, d’actions établies au bénéfice du porteur, sans caractère nominatif.

La première de ces possibilités, prévues dès 1673 et 1681, figure dans les statuts réglementaires et est reprise pour la rédaction du Code de commerce de 1807, dans le cas des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions7. En outre, après 1807, seules bénéficient d’une dispense d’autorisation les sociétés en commandite par actions, du fait de la coexistence de deux catégories d’associés : les commandités réunis suivant les règles d’une responsabilité illimitée et les commanditaires n’apportant dans la marche de l’entreprise que le montant des parts sociales souscrites.

Aussi la question d’une faculté offerte à la circulation d’actions au porteur, examinée par les tribunaux français en 1830 et 1832, revêt-elle une importance particulière, en portant sur une catégorie de firmes jouissant d’une liberté entière de l’acte de constitution. Par son arrêt du 7 février 1832, qui établit que « le capital d’une société en commandite peut être divisé en actions au porteur », la Cour d’appel de Paris tranche, en regard des objections formulées, en estimant que la rédaction du Code de commerce « a permis ce qu’elle n’a pas défendu », tout en soulignant la portée de sa décision, en précisant qu’on ne saurait trop « favoriser l’esprit d’association en France, puisqu’il est une des causes de prospérité du commerce ».

Pour Nelly Hissung-Convert, la fièvre des commandites est « révélat[rice] d’un changement d’époque8 ». C’est d’une part l’usage du titre au porteur désormais reconnu par le droit qui a donné à ces sociétés « une impulsion particulière précipitant la fièvre spéculative » et qui a conféré à ce « changement profond » l’effet d’une « transformation sociale9 ». D’autre part, l’engouement pour les nouvelles opportunités financières trouve, avec l’essor récent que connaît après 1828 la liberté de la presse, « une alliée de circonstance », les conditions de la progression de la publicité des affaires représentant un élément « essentiel » de l’intensité des échanges, d’autant que le commerce accru des annonces constitue une innovation majeure au sein de laquelle, précisément, « la spéculation s’engouffrera » et parviendra à « chevaucher ce vecteur d’information pour prospecter et recruter de nouveaux actionnaires10 ». « L’importance de ce fait ne doit certainement pas être sous-estimée », ajoute l’auteur, car « ici, l’offre de spéculation devient publicitaire et, pour la première fois, la notion d’appel public à l’épargne revêtit un sens plein via la publication, dans les journaux largement diffusés, d’annonces procédant à des appels à souscription11 ». En somme, l’opération que constitue l’apparition d’un lieu utile aux conditions nouvelles de la publicité financière de masse, renforcée par les effets mutuels de la financiarisation de l’exploitation des annonces, représente l’une des innovations structurantes de la période. En s’ajoutant notamment aux anciens espaces publics littéraire et politique, l’espace public financier procure au capitalisme financier de masse naissant l’une de ses institutions organiques, suivant des choix de gestion conformes de plus à ses options statutaires.

Alors qu’il apparaît, en fin de compte, pour l’instant éloigné des innovations proprement technologiques que porte le mouvement de la révolution industrielle, le phénomène de financiarisation se constitue donc plutôt comme la combinaison d’innovations juridiques et d’innovations communicationnelles. Sociétés par actions au porteur accompagnées de sociétés en commandite de presse, en tant que vecteurs de publicité financière également consacrés à la presse financière spécialisée, établissant ensemble un espace public financier organisé de même conformément à un mouvement de financiarisation, forment autant de processus d’innovations sur lesquelles va reposer, de façon précoce en France, un capitalisme financier de masse et, à l’intérieur de celui-ci, un capitalisme de la presse et des industries culturelles12.

Un premier développement nouveau a trait au champ des secteurs d’activité auxquels se destine l’investissement des capitaux réunis par la collecte de l’épargne publique. Sans dépendre d’avancées techniques spécifiques, avant que les chemins de fer ne suscitent la création d’une vague de sociétés anonymes après 1840, le succès des quelque mille à deux mille sociétés en commandite formées entre 1826 et 1837 concerne les secteurs en fort développement commercial des services urbains ou encore des établissements financiers et d’assurances13.

Une autre nouveauté est ainsi liée à l’importance occupée au sein des sociétés désormais cotées en bourse par l’ensemble des titres de journaux qui, à côté d’entreprises de théâtre, d’imprimeries et de quelques maisons d’édition, forme le tout premier secteur d’activité représenté, avec 401 des 1 106 commandites lancées à Paris en onze ans. De même, ces sociétés d’édition de presse écrite ou relevant d’activités médiatiques ne mettent pas en œuvre un procédé appartenant à la dynamique de la révolution industrielle. En revanche, les innovations introduites au sein du secteur formé par ces « spéculations de presse » correspondront plus directement au domaine des novations éditoriales et tout particulièrement à des choix inédits de gestion, en matière de financement, désormais ouvert à la collecte publicitaire, de politique commerciale, en visant le bas prix, d’organisation de la distribution, par la faveur donnée à la vente au numéro, ou encore de stratégie globale de développement.

Enfin, à l’intérieur de cet ensemble de journaux cotés se constitue, à partir de 1836, la catégorie d’une « presse industrielle » s’adressant, en abordant les sujets financiers, au public actionnaire et de plus organisée, donc, comme la propriété du rassemblement de ses propres actionnaires, dont l’effort particulier se porte à obtenir la promotion la plus active de l’expansion de l’« industrialisme ». En résultant ainsi d’une financiarisation de l’espace public financier, le rôle joué par ces titres relève d’une innovation plus spécifique encore au coeur des transformations engagées. En tant qu’espace public financier, la nature de ces nouvelles structures sociales communicationnelles forme un vecteur organique de publicité structurant le fonctionnement de ce nouveau capitalisme financier de masse. Mais, en devenant de plus une institution elle-même financiarisée, elle en vient à acquérir le caractère d’une force de promotion apparaissant autonome dans la défense d’un esprit d’association financière, notamment face à l’esprit d’association industrielle, vantée alors à travers les projets d’associations ouvrières par les tenants du mutuellisme14.

b ) Développement de la presse en France

Non seulement la place qui revient à la presse ou encore au théâtre, dans les circonstances d’une sorte de révolution financière, comme première catégorie où elle a à s’appliquer, ne correspond pas à des domaines d’emploi d’une technique matérielle, mais elle vient impliquer, puisqu’il s’agit d’activités intellectuelles et artistiques (à portée donc morale), des activités où peut présider l’arbitrage nécessaire entre la primauté des valeurs de l’art ou celles de l’argent. Une disjonction duale de l’espace public apparaît avec la complexité née du développement d’une nouvelle logique de conduite de l’entreprise éditoriale. L’administrateur d’un nouveau projet de publication décrit celle-ci en 1837 : « Fonder un journal, c’est chercher à conquérir une clientèle d’abonnés sympathisant avec l’esprit de ce journal, et y trouvant un avantage personnel direct, c’est dépenser en partie, quelquefois en totalité, le fonds social afin de réaliser cette clientèle, plus ou moins nombreuse, plus ou moins probable, dont les tributs annuels constituent, en échange du capital social ou de la partie de ce capital absorbé, un revenu provenant du bénéfice des abonnements et des annonces15 ».

Aussi, l’enjeu qui va caractériser l’ampleur donnée à la « civilisation du journal »16  qui se déploie au long du dix-neuvième siècle est celui de la maturité numérique de la population gagnant un accès à l’organisation de l’espace public, mais aussi celui du partage des institutions de cet espace public entre régimes statutaires divers. Le succès qui bénéficie au sein de la bourse aux organes d’expression publique a certainement trait à la conquête des moyens de s’adresser, pour des raisons multiples, aux masses démographiques. Il est en effet possible d’analyser cet intérêt du capitalisme financier de masse pour le développement des avancées d’une communication de masse en lien avec celles d’une démocratie de masse ou encore d’une éducation populaire de masse. Il est de même utile de remarquer l’existence des propriétés spécifiques que présente, pour l’investisseur, l’activité communicationnelle, singulièrement prometteuse du point de vue du calcul économique, en permettant de limiter les dépenses aux besoins de financement d’un prototype et en étendant les perspectives du volume de ses recettes à l’échelle de tels marchés d’audience massive. Il est donc logique que la bataille de l’audience de masse combinée à celle du bas prix soit l’enjeu qui dirige l’essentiel de la stratégie des acteurs des transformations socio-économiques de l’espace public au dix-neuvième siècle.

Dès après la libéralisation de 1832 et de façon constante au cours de la décennie, l’attrait des investisseurs pour les nouvelles formes de presse est tout à fait élevé, avant qu’un assèchement relatif de l’épargne et une plus grande défiance envers les affaires spéculatives, parfois poursuivies devant les tribunaux, ne modèrent la fièvre pour les commandites vers 1838. La part occupée par le secteur de la presse et de l’édition est, en 1833, de 33 sur un total de 66 commandites constituées à Paris et, en 1837, de 94 sur 287. Pour la période comprise entre 1826 et 1837, l’ensemble cumulé des journaux et des publications s’élève à 401 sur un total de 1 106 commandites constituées à Paris et de 51 sur 673 hors Paris, soit pour la France entière 452 sur 1 779, représentant des proportions de 36% pour Paris et de 25% pour la France entière. Au sein des nouveaux titres, L’Actionnaire - Revue industrielle contenant la cote des actions, paru à partir de décembre 1836, puis La Bourse - Revue générale des sociétés par actions, à partir d’août 1837, puis encore Le Capitaliste - Journal des intérêts de l’industrie et des actionnaires, à partir d’avril 1838, présentent une liste assez complète des cotes des valeurs concernées par la plus grande intensité du négoce des parts sociales. Sur 260 valeurs décrites dans son premier numéro, Le Capitaliste fait figurer, sous la catégorie « imprimeries et librairies », une série de 10 valeurs, sous la catégorie « journaux et publications », 49, et, sous la catégorie « théâtres, concerts », 10, composant un total de 69 valeurs cotées émises par 65 entreprises du secteur de la culture et de la communication17.

Le Capitaliste, n° 1, avril 1838.

Le Capitaliste, n° 1, avril 1838.

Le Capitaliste, n° 1, avril 1838.

Le Capitaliste, n° 1, avril 1838.

En partant du potentiel de développement des publications à public restreint avec, parfois, l’inauguration de nouveaux genres, progressivement, le champ de l’intérêt du mouvement des affaires se porte vers les catégories de titres au public plus large, entrant alors en concurrence avec les positions occupées par l’ancienne presse18. Une première vague se compose d’une catégorie d’inspiration assez nouvelle, visant à apporter au public large le bénéfice d’une vulgarisation des connaissances ou encore, suivant une ambition proche, à populariser les œuvres littéraires des auteurs les plus renommés. Dès 1833, en inaugurant le secteur des « magazines », le Magasin Pittoresque, le Musée des familles ou encore le Magasin universel entreprennent des politiques commerciales agressives de conquête d’un lectorat y compris dans les territoires ruraux. Auguste Desrez est l’un des spéculateurs tournés vers les affaires intéressées par l’essor des lectures populaires, en étant associé au lancement du Musée des familles, mais aussi de la collection du Panthéon littéraire et d’une Société des éditeurs unis. Une deuxième vague concerne des entrepreneurs familiers avec les matières spécialisées du droit et cherchant à valoriser le traitement de ces domaines spécifiques auprès d’un public plus ou moins qualifié. Après le lancement du Journal des Tribunaux en 1835, en concurrence avec la Gazette des Tribunaux, elle-même transformée en commandite, se succèdent La Loi, le Journal des lois et tribunaux, L’Encyclopédie des lois, le Journal des notaires et avocats, etc. Armand Dutacq, promoteur du Journal des Tribunaux devenu Le Droit, mais aussi impliqué dans des affaires de théâtre, est un entrepreneur rompu au maniement des règles de la commandite et engage, dès 1835, une offensive appuyée sur le bas prix que permet l’importance des capitalisations réunies par la bourse. Un développement de cette vague apparaît avec celui des initiatives prises dans le domaine de la presse financière, de la part de journalistes plus cantonnés à ces matières, comme François et Sicard, avec le lancement de L’Actionnaire en décembre 1836, de La Bourse en août 1837, ou encore du Commerce en janvier 1837 et de La Concurrence en février 1838. Enfin, c’est au cœur de l’emballement qui bénéficie au lancement des nombreuses commandites tournées vers les affaires d’information et de culture que se produit en 1836 l’investissement du domaine de la presse d’information générale et politique, tout comme celui de l’exploitation de spectacles dramatiques, avec la fondation des sociétés gestionnaires du Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1835, du Théâtre de la Banlieue en 1836, du Théâtre Saint-Marcel, du Théâtre de la Porte Saint-Antoine, des Théâtres de l’Ambigu-Comique et de la Gaité en 1837, etc.19

Par l’effet de l’enjeu social que justifie l’envergure thématique du traitement des préoccupations centrales de l’espace public politique, la bataille de la nouvelle presse dans le domaine du journalisme d’information procède d’une concurrence féroce, de nature à opposer entre elles des firmes qui relèvent d’un régime statutaire financiarisé, mais aussi l’ensemble de ces dernières et celles extérieures tenant de l’ancienne presse, tout en entraînant, de surcroît, la transformation des critères d’organisation des filières en amont de la rédaction journalistique et littéraire, ou encore de l’insertion des annonces de publicité et, en aval, de la distribution des écrits imprimés. La concurrence revêt en effet un caractère financier entre La Renommée, le Journal général de France, lancé comme une commandite de 150 000 francs en mars, et La Presse et Le Siècle, commandites de 600 000 francs apparues en juin, tous proposés à bas prix dans le courant de l’année 1836, la rivalité approfondie entre les deux derniers titres justifiant des augmentations ultérieures de capitaux. Elle est de nature commerciale vis-à-vis du lectorat, dans la mesure où les ajustements des montants abaissés d’abonnement vont nourrir l’opposition entre les nouvelles feuilles, mais aussi à l’égard des anciennes, convaincues ensuite de suivre un pareil mouvement. Elle est de nouveau de nature commerciale vis-à-vis des annonceurs, qui deviennent l’objet d’une prospection dans le cadre d’un commerce où comptent le tarif des insertions et la qualité publicitaire des destinataires des publications. Elle est enfin rédactionnelle, car la conquête d’un lectorat de masse justifie que l’on emploie les talents populaires devenant également concernés par le développement d’un marché au sein duquel est disputée leur contribution journalistique et surtout littéraire.

Aussi, comme le notent Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, en particulier au sujet de La Presse, juillet 1836 représente l’avènement d’une nouvelle « ère médiatique »20. Le tournant pris présente en effet un caractère à la fois structurant et durable sur le plan de l’organisation socio-économique. Si Armand Dutacq et Émile de Girardin ne sont pas les seuls concepteurs de la politique du « bon marché par le grand nombre », suivant la formule employée par ce dernier, ils réalisent néanmoins l’accomplissement pratique du succès d’un tel bouleversement. Ce que conçoit Émile de Girardin en particulier consiste, pour Marc Martin, en la correspondance nécessaire entre le prix de l’espace publicitaire et la diffusion de la publication21 et, pour Patrick Eveno, en l’instigation de l’affermage de cet espace à des intermédiaires œuvrant auprès des annonceurs22. En effet, d’une part, par le lien qu’elle réalise entre communication de masse et consommation de masse, l’introduction de l’audience de la production médiatique sur des marchés reliés à l’activité des métiers publicitaires est au cœur d’une transformation en laquelle consiste la nouveauté de l’industrie culturelle. D’autre part, en plaçant de la sorte l’activité médiatique dans une situation insérée dans le développement de deux filières, celle de la production éditoriale et celle de la promotion commerciale, les changements de 1836 induisent son rapprochement, comme vont le démontrer les déroulements ultérieurs caractéristiques du dix-neuvième siècle, avec les intérêts d’un environnement professionnel, en l’occurrence la filière publicitaire, qui va rapidement gagner en densité institutionnelle et devenir elle-même soumise à un processus de financiarisation. Ce sont précisément ces enjeux d’une valorisation multiple de l’activité médiatique qui sont l’objet de l’entreprise de spéculation engagée par les promoteurs de la nouvelle presse de 1836, comme le note L’Actionnaire en 1837, affirmant que « c’est donc uniquement sur le produit des annonces que repose la spéculation financière de La Presse », ou encore ensuite Eugène Hatin, en 1853, suivant lequel « la presse à bon marché fut le résultat d’une spéculation ».

Le tournant pris est de même majeur sur le plan éditorial. Le journal que vont proposer les promoteurs de 1836 et, par la suite, une quantité importante de titres au cours des années 1840, n’est pas le même que celui découlant d’un modèle défendu par les artisans de l’ancienne presse. Les changements éditoriaux consistent en des retraits en matière de développements politiques et de discussion des opinions, et en des ajouts dont l’intérêt est contesté par les contemporains. De façon sommaire, un premier ajout concerne le roman-feuilleton, comme issu de la « littérature industrielle » et relié à l’intérêt de la rêverie, un deuxième, les échos, comme issus des « mondanités » et reliés à l’intérêt de la spectacularité, un troisième, les faits-Paris, comme issus des « faits-divers » et reliés à l’intérêt de la curiosité, et un dernier, les innovations graphiques, comme issues de l’« illustration », employées dans le domaine de la caricature, de la figuration documentaire, mais aussi des insertions de publicité, et reliées à l’intérêt de la sensation. L’importance de ces novations justifie le fait d’associer à la disjonction qu’opère la nouvelle presse sur le plan socio-économique le phénomène d’une disjonction qui apparaît de même sur le plan des stratégies éditoriales et des comportements rédactionnels, constituant, dans l’ensemble, une dualité quant aux fondements de la structuration de l’espace public.

La nouvelle composition du journal entraînant une exploitation inédite des genres représente, d’abord, une nouvelle combinaison des catégories de publication. À l’organisation de l’ancienne presse (délimitant la distinction entre les spécialités de la gazette pour les matières d’information, du canard pour les faits sensationnels, des opuscules littéraires pour la fiction et des feuilles d’avis et d’annonces pour les insertions publicitaires), la réforme de 1836 amène la substitution d’une autre répartition principalement guidée par une concentration, dans la nouvelle presse du journalisme, du divertissement, du roman et des annonces, et rejetant seulement la matière spécifique, technique ou professionnelle. De la même façon, les offensives commerciales, conduites par de nouveaux investisseurs financiers au cours des années 1840, amèneront à tenter, avec moins de succès, d’abattre cette dernière barrière, en concentrant à l’intérieur des pages de « journaux monstres », l’offre de « dix journaux en un », comme dans le cas de L’Époque - Journal complet universel, lancé en 1845 et dont la parution cesse en 1847.

Par ailleurs, alors qu’elle produit donc un rapprochement entre les organes d’expression relevant des espaces publics littéraire et politique, l’originalité de l’activité médiatique, telle que tend à l’organiser la production de la presse de régime statutaire financiarisé, conduit surtout à faire prévaloir une orientation différente de ces différents champs de l’espace public. En relevant l’importance prise par des contenus sensationnels ou bien tournés vers la rêverie, les parties contestataires face à la montée de cette mutation de l’espace public reprocheront une dérive portée vers l’onirisme pratiquée dans les matières relevant de l’espace public littéraire ou encore, à l’égard des contenus marqués par la spectacularité ou bien guidés par la curiosité, souligneront une dérive voyeuriste pratiquée dans les matières relevant de l’espace public politique. Ainsi, avec la place plus grande occupée progressivement par l’illustration, la littérature industrielle, les mondanités ainsi que les faits divers dans les thèmes de l’espace public de la moitié et la fin du dix-neuvième siècle, tend à se marquer au regard de la période précédente l’effet d’un contraste suivant lequel se compose une sorte de grille de genres capable même de susciter les opportunités d’apparition de nouvelles publications importantes. Si la littérature industrielle avait marqué la nouveauté de La Presse, apparue dans le milieu des années 1830, il en sera de même de l’illustration pour L’Illustration, lancée dans le milieu des années 1840, des mondanités pour Le Figaro, lancé dans le milieu des années 1850, puis des faits divers pour Le Petit Journal, lancé dans le milieu des années 1860, avant qu’une combinaison d’ensemble de la grille nouvelle des genres vienne inspirer la grande presse d’information se développant, après 1875, autour du Petit Parisien, du Matin et du Journal.

Aussi, en suscitant une disjonction duale sur le plan socio-économique de même que sur le plan éditorial, la mutation de 1836 se révèle en mesure d’entraîner une disjonction du champ intellectuel et politique quant aux conceptions de l’espace public défendues respectivement par des partisans et par des adversaires d’une financiarisation des activités de communication.

Renvoyant en revanche à une sorte de tradition de l’ancienne presse, l’originalité de l’activité médiatique, telle que tend à l’organiser la production de la presse de régime statutaire indépendant des marchés financiers, apparaît consister en une organisation différente des relations entre les différents champs de l’espace public. Sur le plan de la démarcation entre catégories de publications prime l’importance des opuscules littéraires pour la fiction, prolongés par les journaux, pour le développement de la critique littéraire, organisant ensemble le champ de l’espace public littéraire, ainsi que, par ailleurs, l’importance des gazettes pour l’information, prolongées par les revues, pour le développement de la critique politique, organisant ensemble le champ de l’espace public politique. L’action de la critique qui est favorisée dans l’un et l’autre des deux champs a pour effet de rapprocher tous deux d’un espace public scientifique, aux organes spécifiques relevant des publications périodiques académiques et étendant respectivement l’exercice de la critique aux disciplines des Lettres et du Droit. Avec l’apparition d’un espace public financier capable de constituer une attraction contraire aux priorités de l’espace public scientifique qui privilégie, suivant une approche macroscopique, le long terme par rapport à la courte durée et la théorie par rapport au factuel, le centre de gravité global de l’espace public semble pouvoir se déplacer, appelant notamment le glissement de la littérature vers la littérature industrielle et de l’information vers le fait divers. L’évolution qui caractérise ainsi une transformation de la grille des genres comporte une implication notable quant au rôle joué par l’activité de l’espace public au sein de l’organisation sociale. L’attraction qui s’oppose notamment au développement de la critique s’oppose donc aux fondements « habermassiens » de l’activité de l’espace public, faisant reposer sur la Raison les capacités de déploiement tant de l’espace public littéraire que politique, dans la perspective d’un dialogue des arts ou encore d’une discussion raisonnée des arguments.

Aussi, la contestation que fait apparaître la mutation de 1836 se manifeste quant aux préoccupations à la fois de la création et du journalisme politique. Le combat que livre la génération romantique à l’industrie culturelle est une bataille complexe face à un pouvoir désormais puissant par sa capacité nouvelle à financer les Arts et les Lettres et croissant jusqu’à devenir incontournable. Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Heinrich Heine, Charles-Augustin Sainte-Beuve, George Sand, Gustave Flaubert puis Charles Baudelaire sont parmi ceux qui y prennent part, en s’employant à une critique soutenue et en s’associant de façon répétée à des projets de publication répondant à leurs ambitions23. De plus, l’enjeu de la transformation de l’organisation de l’expression publique justifie que soit conçue l’initiative des lois pouvant refonder la portée de l’espace public. Jusque tard dans l’avancée du siècle, Victor Hugo, Louis Blanc, Pierre Leroux ou encore George Sand constitueront des projets, parfois communs, de journaux politiques, tout en cherchant à agir, parfois de concert, sur le plan législatif, en réformateurs de l’espace public24.

En confrontant la « presse d’opinion » à la « presse d’information » et, de même, une « sphère publique et bourgeoise, fondée sur la discussion et le raisonnement » à une « sphère du marché et de la consommation », le dix-neuvième siècle n’est effectivement pas une « séquence homogène »25. La précision de l’analyse des facteurs de sa transformation doit de plus aborder d’autres ruptures qui peuvent elles-mêmes éclairer les fondements de cette disjonction de la sphère d’expression, ne serait-ce qu’en examinant ce que l’information de masse comporte d’enjeux vis-à-vis de la construction d’une démocratie partagée par le plus grand nombre et que motivent, en ce cœur du dix-neuvième siècle, les soubresauts de la conquête du suffrage universel en France. La combinaison des options socio-économiques de la stratégie des intervenants privés et des options sociopolitiques de la conduite de l’État concerne tout autant la façon dont une stratégie politique offensive agit en faveur de l’expansion des sociétés commerciales que celle par laquelle les effets de cette confrontation pèsent en défaveur du développement des organes indépendants de la presse d’opinion. La difficulté qui apparaît pour l’historien de la presse et de l’espace public est bien de pouvoir discerner et la nature et la portée d’une politique publique de l’espace public qui est faite non seulement d’une action publique directement dirigée envers l’administration du secteur, mais aussi d’une législation au caractère connexe s’appliquant aux régimes statutaires des sociétés commerciales et donc au statut de l’entreprise de presse.

C’est à la fois, en effet, sur le plan des lois et des jeux concurrentiels qu’une « journalomanie » populaire qui s’exprime, notamment entre 1820 et 1850, va perdre l’influence prépondérante qu’elle a acquise au fur et à mesure du développement, devenu complexe, de l’espace public26. L’impulsion qui se produit dans les milieux des artisans et des ouvriers, tant en France (en des lieux comme Paris mais aussi comme Lyon) qu’au Royaume-Uni (à Londres mais aussi à Manchester), d’abord comme l’institution d’une presse de culture ouvrière, vers 1830, puis comme d’une presse d’information tournée vers le combat politique, vers 1840, n’aboutit pas ainsi à préserver la stabilité d’un cadre, à l’encontre duquel agit l’effet inégalitaire de la disjonction duale apparue au sein de l’espace public complexe, suivant la manifestation d’une sorte de crise de l’espace public, longtemps maintenue dans le cours du siècle à venir, avant les actions correctrices survenant, après 1945, dans la deuxième moitié de celui-ci.

Sur le plan sociopolitique, d’une part, les mesures exigeant le versement d’un cautionnement, en vertu d’une prévention politique destinée à assurer le recouvrement des possibles sanctions judiciaires, apparaissent comme un obstacle économique considérable, au détriment de feuilles politiques se multipliant après 1828 et conçues comme des « associations d’artisans », d’autant que son renforcement est décidé dès 1835 et que sa perception perdure, en étant aggravée sous le Second Empire27. D’autre part, soumis, après 1852, à un arsenal de dispositions répressives de toutes natures, dont notamment l’interdiction de parution sans autorisation de toute publication « traitant de matières politiques et sociales », les instigateurs d’une presse indépendante subissent non seulement les effets d’une réglementation qui peut les priver de la liberté d’expression de leurs opinions, mais aussi les contraindre à l’emprisonnement ou à l’exil.

Sur le plan socio-économique, d’autre part, le principe même de l’importance donnée aux recettes de publicité commerciale est l’objet d’une opposition entre presse à forte diffusion et presse d’école intellectuelle et artistique. L’une et l’autre présentent des niveaux d’affinité très disparates quant à la place accordée aux insertions, à la coloration partisane apportée par l’orientation rédactionnelle, à la quantité ou encore à l’identité sociale des clientèles, et de surcroît avec le régime statutaire de chacun des intervenants de la filière publicitaire, dès lors que, dès 1845, une Société générale des annonces est constituée comme une commandite au capital très élevé et dont la fondation est appuyée par des représentants des milieux bancaires et industriels. Par ailleurs, l’édification d’une filière de l’activité médiatique, durant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, est également de nature à favoriser la presse de régime statutaire financiarisé, par le développement de la collaboration avec de nouvelles puissances économiques émergentes, offrant en amont des services de dépêches d’agences de presse et de collecte des annonces publicitaires ainsi qu’en aval des capacités de distribution et de diffusion, face à la faiblesse et à l’isolement de publications d’opinion se trouvant hors de l’assurance fournie par de pareils partenariats commerciaux.

Au sein des dynamiques sociales qui structurent l’organisation de l’espace public, la confrontation qui tend ainsi à se développer entre des régimes différents d’entreprises de l’édition de presse apparaît former un objet de l’analyse historique, au service de laquelle l’approche comparative vise, en particulier, à apporter les moyens de distinguer les similarités entre les différentes situations nationales des particularités constitutives des modèles nationaux d’organisation des structures sociales communicationnelles.

c ) Caractéristiques du modèle français

En conduisant à une mutation principale de la production de la presse écrite et des institutions de l’espace public, les conditions de l’investissement financier dans les activités médiatiques telles qu’elles découlent des changements de 1832 dessinent donc un modèle français de la financiarisation des activités de communication.

D’une part, les conséquences de cette financiarisation, comme impacts de questions financières sur des questions communicationnelles, relient en somme 1832 et 1836, l’opportunité de fonder une presse de masse s’appuyant sur l’attrait exercé envers les marchés financiers par les solutions impliquant l’essor de la publicité commerciale, en conformant en particulier l’organisation de l’espace public financier et, assez rapidement, celle de l’espace public littéraire et, de même, politique.

Mais d’autre part, et à l’inverse, les causes possibles de cette financiarisation particulièrement étendue des activités de communication, comme impacts de questions communicationnelles sur des questions financières, appellent à rapprocher, en définitive, 1832 et 1835, l’importance de l’investissement dans les commandites de presse ayant pu être considérablement accrue par la réglementation de la presse, qui impose de rassembler des montants élevés de cautionnement.

En conclusion, par rapport entre autres au Royaume-Uni, en effet, 1832 commande les traits d’organisation d’un espace public financier français, précoce dans la chronologie et précurseur par l’ampleur qu’il revêt en tant qu’instrument publicitaire du capitalisme populaire. Les formes qu’emprunte le développement de cette publicité financière apparaissent de même originales, avec la constitution de titres spécialisés, de grande diffusion (pouvant même correspondre au tirage de 300 000 exemplaires si on consent à donner du crédit au chiffre extravagant indiqué pour son premier numéro par Le Capitaliste de 1838), ainsi qu’avec l’initiative de rubriques s’y consacrant dans la presse générale d’information, alors que, s’ajoutant aux prospectus et affiches murales, des « annonces-affiches » très caractéristiques apportent à la publicité de presse des sophistications graphiques nouvelles.

Puis, 1836 marque le lancement d’un modèle français de la sphère des activités publicitaires. L’« annonce-affiche » massive dans sa présentation est privilégiée par rapport à l’« annonce-uniforme » à la ligne, adoptée dans le modèle anglais, et se trouve souvent présente dans un « mur d’affiches » que délimite l’espace spécifique accordé en dernière page, soumis à une pratique d’affermage à l’extérieur de l’exploitation du journal. Le contrôle des contrats d’affermage devient un enjeu particulier de stratégies de concentration de l’intermédiation publicitaire, organisée de façon plus ou moins opaque, dès lors qu’à une intermédiation horizontale, opérée par la presse financière, s’ajoute l’intermédiation verticale qu’organisent les établissements bancaires, manifestant leur intérêt pour la maîtrise du « bulletin financier ».

Ensuite, 1836 représente un tournant de l’histoire littéraire française par la spécificité de l’importance prise par le roman-feuilleton. Les stratégies éditoriales des auteurs ou encore les conditions de leur rémunération sont affectées par une opportunité professionnelle qui, sur le plan artistique, leur permet d’accéder à des publics qui sont par ailleurs les clientèles de journaux caractéristiques de mouvements intellectuels et politiques identifiables, et qui peut procurer à leur manifestation publique une implication renforcée au sein des communautés d’idées les plus actives au dix-neuvième siècle. Cette incursion de la presse écrite dans le champ des activités des métiers de l’édition d’ouvrages ne s’accompagne pas, de manière significative, de la démarche inverse d’éditeurs s’engageant dans le développement de l’exploitation de presse périodique à grand tirage, à la manière, par exemple, de plusieurs des éditeurs britanniques28.

Enfin, 1835 puis 1857 représentent une centralisation caractéristique de la fourniture aux journaux français des services utiles à la rédaction, sous forme de dépêches d’agences ou encore de collectes d’annonces. Havas, fondée en 1835, est une firme qui agit en pionnière de l’activité de délivrance de services de dépêches sur le plan mondial et qui parvient de plus à s’en assurer le monopole sur le territoire national. La combinaison qu’elle réalise, après 1857, en proposant de plus ses services comme régie d’annonces lui permet d’obtenir une place centrale à long terme vis-à-vis de l’ensemble de la presse française29.

2) Cas du Royaume-Uni

Avec des conditions socio-économiques proches et une vie intellectuelle et politique étroitement mêlées, et alors qu’un fort mouvement d’échange des sciences et des techniques de part et d’autre de la Manche a lieu, le modèle anglais de développement de la production de la presse écrite ne présente que peu de ressemblances avec l’évolution connue en France.

Il apparaît, d’abord, que le cadre institutionnel diffère grandement, car en l’absence de révolutions aboutissant à des changements de régimes, une continuité de l’action publique s’applique au Royaume-Uni. Notamment, si un même combat pour la liberté de la presse se déroule, porté par les couches nombreuses des populations ouvrières et des métiers artisanaux, le pouvoir qui répond à cette demande est un pouvoir maintenu au long du siècle et qui peut concevoir une politique à l’effet graduel.

Les conséquences d’une planification réglementaire sont, de ce fait, des éléments notables, à l’origine des facteurs entraînant une transformation de la presse écrite. Du point de vue de la politique publique de régulation des sociétés commerciales, la levée des obstacles s’opposant à une liberté de constitution des groupements de capitaux procurant des échanges importants de parts sociales est très progressivement acquise, suivant les dispositions successives d’un nombre très élevé de textes de lois, après 1825. De même, du point de vue de la politique publique de l’espace public, l’élimination des nombreuses mesures fiscales qui forment une barrière considérable à la liberté politique et économique des métiers de la presse écrite et de l’expression publique ne se produit qu’étape par étape, à partir de 1836.

Il est, en fin de compte, tout à fait remarquable que les décisions d’abolition de l’un et l’autre de ces obstacles majeurs que sont l’entrée en vigueur de la responsabilité limitée des actionnaires des sociétés de capitaux et la suppression de l’essentiel des taxes surviennent de manière concomitante au cours de l’année 1855, occasionnant un tournant dans les conditions offertes aux acteurs du royaume engagés dans la vie politique et économique.

Parce qu’elle est donc précoce, on peut penser que l’évolution du cadre français constitue un exemple qu’il est nécessaire d’étudier pour le législateur britannique, avant de se résoudre dans les domaines d’action concernés, des affaires et de la presse. L’accident jurisprudentiel français de 1832 fournit une illustration des atouts à tirer de la vitalité des flux d’investissements financiers et des abus qu’il convient de parvenir à réprimer. L’attrait de Paris, où sont conçus, dès les années 1820 et 1830, Le Constitutionnel, Le Figaro, Le Charivari, La Presse, etc., paraît agir à Londres, où apparaissent, à la suite, The Constitutional, The Figaro in London, The London Charivari, The Press, etc.

Vingt ans séparent l’inflexion produite en 1855-1856 au Royaume-Uni des mutations françaises de 1832-1836 dont elle tend à créer une duplication, mais ce n’est que soixante ans après qu’aboutit une révolution communicationnelle, identique à celle conduite à Paris en 1836 par Girardin et Dutacq, en introduisant une bataille du bas prix qui motive, à partir de 1896, les initiatives de Northcliffe-Harmsworth, puis de Pearson et d’autres. Uniquement à la suite de ce dernier tournant, apparaît un parallélisme des règles qui régissent le développement des filières de la presse écrite et des professions publicitaires pour l'ensemble des deux situations nationales.

a ) Cadre des lois et règlements

Très protectrice à l’égard des parties prenantes de la vie des affaires, la législation britannique cumule les protections contre les associations économiques autres que les sociétés de personnes (« partnerships ») en soumettant la constitution de sociétés de capitaux (« joint-stock companies ») à un acte d’autorisation adopté par le Parlement, en conservant à leur propos les règles de la responsabilité illimitée des associés et en prohibant les actions au porteur, comme le prescrit la loi dite Bubble Act de 1720.

L’abrogation de cette dernière, qui se produit en 1825, se résume à une extension de la nature de l’autorisation d’origine parlementaire à un agrément d’origine administrative, mais elle suffit à provoquer un emballement : elle porte à environ 260 le nombre des sociétés cotées, s’élevant auparavant à environ 160 et retombant par la suite à environ 21030.

Le groupement des capitaux apporte un soutien financier pour des secteurs classiques du progrès des activités économiques, comme les mines, les canaux et les ponts, les banques et les assurances ou encore l’éclairage au gaz, mais il ne concerne pas significativement des productions intellectuelles ou artistiques. Si une ou deux valeurs figurent dans cette liste comme investissements dans des affaires de presse écrite, il est de façon générale admis qu’il est préférable de se tenir éloigné des spéculations dans un tel secteur, celles-ci étant assimilées, dans un article paru dans The Times le 20 août 1825 portant sur les tromperies en matière de loterie, à d’autres abus comme les obligations pour la conquête des territoires indiens du Poyais ou encore les emprunts espagnols.

Surtout, en procédant à une surveillance stricte de la viabilité des initiatives au regard de la sauvegarde de l’intérêt des tiers, le capitalisme britannique du début du siècle agit en capitalisme réglementé qui contrôle, de même, la diffusion sociale de la pratique d’investissement et donc l’ampleur publicitaire de l’association des capitaux. Les associés qui sont réunis sur la base d’une affinité partagée, guidée par l’« intuitu personae » que requiert la solidarité de leur engagement dans le financement sans limite des pertes potentielles, ne suscitent pas l’activité d’un espace public financier. Quelques listes établies sous forme de brochures tiennent un état des affaires proposées et seule la publication du Course of the Exchange, paraissant depuis 1698, diffuse périodiquement une information sur le niveau des cotations.

Au moment où la France connaît une période prolongée d’inflation spéculative, le Royaume-Uni est confronté, au cours de l’année 1836, à une montée de l’intensité des échanges qui concernent, notamment, les chemins de fer et les banques, ces dernières étant l’objet, dès 1826, de plusieurs réglementations successives quant à l’opportunité d’autoriser leur constitution comme sociétés de capitaux. Le secteur de la presse connaît, cette fois, une série de tentatives visant à établir l’activité de « joint-stock newspapers », mais celles-ci demeurent largement éloignées d’une mise à profit des promesses du marché publicitaire et ne participent pas, de même, à l’amplification d’un espace public financier. Néanmoins s’ouvre, en cette occasion, le débat double sur, d’une part, l’opportunité de cheminer vers une législation « à la française », desserrant la contrainte de l’engagement de l’épargnant dans une responsabilité illimitée et, d’autre part, l’intérêt de placements financiers dans les activités de presse écrite et relevant de l’espace public.

Au sein d’environ 300 affaires fondées entre 1834 et 1837, la catégorie des journaux arrive loin derrière les secteurs des mines, de la banque ou des transports, en totalisant durablement seulement six constitutions en sociétés de capitaux, apparues toutes entre avril et octobre 1836. Le montant des capitaux réunis est au demeurant d’un niveau modérément élevé, qui atteint, pour The London and Westminster Joint Stock Newspaper Company, la somme de 200 000 £, divisée en 10 000 actions de 20 £, pour The Metropolitan Newspaper Company (établie pour publier The Constitutional), 60 000 £ divisées en 6 000 actions de 10 £, pour The Liberal Newspaper Company, 50 000 £ divisées en 10 000 actions de 5 £, ou encore, pour The Metropolitan Conservative Company (établie pour publier The Metropolitan Conservative Journal), 10 000 £ divisées en 5 000 actions de 2 £…31

First Report of the Select Commitee on Joint Stock Companies, Parliamentary Papers, 15 mars 1844.

Prospectus de The Metropolitan Newspaper Company, 1836.

En soulignant parfois l’appui de parlementaires, les promoteurs des nouveaux lancements développent, dans les exposés contenus dans les prospectus de quelques feuilles destinés à convaincre les investisseurs, les objectifs politiques défendus, consistant pour The Constitutional à supporter la vision d’un « gouvernement éclairé et libéral » ou encore pour The Metropolitan Conservative Journal à former un « gardien de la cause conservatrice ». Quelques petites annonces, parues dès avril 1836 entre autres dans The Times, font mention, par exemple, d’une « Independent Newspaper Company, for establishing a popular Daily Paper, upon a novel and demonstrably successful plan. Capital £5,000, in 10,000 shares at 10s. each. Each shareholder to take a paper ». Quelques lignes précisent ensuite les identités des banquiers et dirigeants et l’adresse des bureaux, sis à Fleet Street, ainsi que la disponibilité du prospectus, la totalité de celui-ci étant publiée chaque mercredi dans The General Advertiser. Surtout, l’argumentation détaille peu les aspects comptables des projets proposés et néglige de mettre en avant, la plupart du temps, les avantages possiblement retirés d’une forte capitalisation rassemblée.

Aussi, les initiatives des nouvelles sociétés de presse conçues comme des sociétés de capitaux viennent s’ajouter à l’offre déjà constituée, sans être marquées de spécificités qui permettraient de leur garantir une place particulière dans la pratique du journalisme, hormis un effectif visé de douze « reporters » pour The Liberal Newspaper. Les quelques autres créations de sociétés, qui viendront s’ajouter dans le cours des années 1840 en nombre à peu près équivalent, semblent concerner davantage des publications d’intérêt régional ou local, comme dans le Yorkshire ou à Coventry.

À côté de la stabilité des institutions et des règles prend place un débat à long terme sur les perspectives de la transformation de la régulation des sociétés commerciales32. Pour appuyer une évolution de la loi favorable à l’introduction de la notion de responsabilité limitée sont mis en valeur les arguments des responsables politiques libéraux et des théoriciens utilitaristes. De plus s’exerce l’attractivité de la situation française, jusque dans le texte de prospectus, où on peut insister, dès les premières lignes, sur l’intérêt majeur des dispositions en vigueur dans le territoire voisin : « il est nécessaire de préciser d’emblée que les lois relatives aux sociétés établies en France sont de loin supérieures à celles de l’Angleterre, chaque actionnaire n’encourant aucune responsabilité de quelque sorte au-delà de l’investissement fait en capital. Aucune décision du Parlement n’est requise, pas plus qu’il n’est nécessaire pour le souscripteur de signer quelque acte notarié, pour une société conçue suivant les règles françaises33 ». Mais l’ampleur de la corruption et des pratiques malveillantes, répandues durant la nouvelle flambée spéculative de 1845, achève, en revanche, de faire apparaître la responsabilité limitée comme une option condamnable pour son immoralité de principe et dissuade de franchir ce pas. Enfin, une complexité nouvelle se révèle avec l’argumentation de théoriciens sociaux, promoteurs de l’expansion de « friendly societies » et de coopératives ouvrières qui, pour défendre le projet d’une démocratisation de la propriété sociale, réclament, eux aussi, l’abandon de la responsabilité illimitée des apporteurs de parts sociales. Or, certaines de ces initiatives émanant de ce courant peuvent concerner, avec la constitution sur ces bases de vecteurs de propagation des idées mutuellistes et encore socialistes, le domaine des publications politiques ; elles peuvent donc provoquer une transformation entière, en ces matières et suivant la force des sociétés de capitaux, de l’organisation de la production médiatique, à l’instar de la tentative de création de la Joint Stock Book Company, lancée dès 1826 par le militant radical Richard Carlile pour reprendre l’édition de The Republican, et de même, plus tard, du combat mené par William Lovett, dirigeant chartiste parmi les plus influents et lui aussi animateur de publications périodiques, comme The Charter, paru à partir de 1839.

Or, jusqu’en 1836, la situation relative à l’intérêt d’un placement financier dans le secteur de la presse n’évolue guère. D’une part, le marché, qui correspond aux formidables aspirations à la lecture, possède le potentiel d’un volume d’affaires florissant, mais ne peut que sommeiller sous la contrainte considérable d’une triple mesure de taxation du papier, de la publication et même de tout type d’annonce insérée dans le journal. De plus, la part de la presse qui, étant « unstamped », s’affranchit de façon volontairement frauduleuse de ces obligations en évitant le timbre, même si elle atteint des niveaux de tirage qui peuvent dépasser ceux de la presse respectueuse des règlements fiscaux, ne se tourne que vers un public très populaire et ne peut prétendre jouir de l’entièreté du potentiel des écrits imprimés. D’autre part, la dangerosité du placement retient à l’inverse l’investisseur dans sa décision de souscrire à une affaire de presse, compte tenu de l’engagement sans limite au paiement des pertes, en présence d’actifs partiellement immatériels, alors que, comme le rappellent les journaux eux-mêmes, de temps à autre peut advenir la « ruine d’une famille par une entreprise de presse en société de capitaux34 ». En fin de compte, c’est le régime fiscal de la presse qui détermine grandement les chances de succès et donc l’attractivité financière de l’investissement dans les journaux ; à ce sujet, le tournant de la politique fiscale de la presse opéré à partir de septembre 1836 est important, puisqu’il  revient à alléger globalement des trois quarts la charge due au Trésor public.

Ce changement est signalé comme une opportunité précieuse par les concepteurs de l’un des projets cotés en bourse de 1836, qui soulignent, dans le prospectus du Constitutional - London Daily Morning Newspaper, que la situation nouvelle permet de dépasser l’impossibilité de parvenir à lancer un nouveau titre, perçue jusqu’alors par les spéculateurs en affaires et les protagonistes politiques. Le prospectus juge combien « [ce] préjugé entretenu par ignorance ou par intérêt a soudainement reculé, suivant la proportion de la réduction des obligations de timbre, d’une hauteur de quatre pence à un penny. Les trois pence de différence ont retourné l’opinion. Quelques semaines plus tard, un seul obstacle va rester, le simple penny, qui subsiste comme un encombrement instable au passage de la lumière35 ».

Néanmoins, l’arrivée des capitaux dans le secteur de la presse britannique, même à un moment où les taxes sont fortement abaissées, ne constitue en rien une révolution communicationnelle comparable à celle qui se produit, durant les mêmes mois de l’année 1836, en France. La fiscalité sur les annonces, en particulier, demeure dissuasive et l’impact de cette recette est donc limité, même si elle est souhaitée, comme le mettent en évidence les promoteurs de The Liberal Newspaper Company for establishing a morning, evening and sunday paper, en concevant la stratégie de délivrer le moins possible d’actions auprès de chaque souscripteur et en escomptant qu’un total de 2 000 souscripteurs faisant usage de leur influence auprès de, chacun, trois amis, parviendrait à rassembler un lectorat d’au moins 8 000 personnes, prévoyant que, par suite, « une telle circulation devrait COMMANDER les annonces de publicité36 ». La portée du recours au potentiel d’annonces s’arrête à cet espoir de ressources additionnelles et n’engage pas la perspective d’une nouvelle structure de la comptabilité des titres qui pourrait autoriser une bataille du bas prix, susceptible d’être remportée, à l’égard d’une ancienne presse, par une presse nouvelle.

Enfin, à la différence de la situation connue en France, il ne naît pas d’une révolution financière des sociétés de capitaux l’établissement d’une presse financière de nature à structurer un espace public financier, lui-même actif pour la promotion de la poursuite de l’essor d’une financiarisation de l’économie. Pour contribuer à l’organisation de l’échange des quelques milliers d’actions de sociétés désormais émises est lancé à Londres, en 1828, The Banker’s Circular, hebdomadaire de huit pages comprenant quelques articles généraux et une liste de cotations. Renforcé par la fondation de The Bankers’s Magazine, à partir de 1844, l’espace public financier britannique semble appuyer son développement sur celui des établissements bancaires, objet d’une attention soutenue dans le cadre de la politique publique financière de la royauté. Même si, avec l’emploi d’annonces de grande taille dans un nombre plus étendu de journaux généraux qui survient à l’occasion de la flambée spéculative de 1845, un espace public financier de teneur plus populaire que les cercles restreints de la clientèle bancaire tend à émerger, celui-ci demeure désordonné et instable, organisé autour du foisonnement éphémère d’une trentaine de publications consacrées aux affaires de chemins de fer, entachées de surcroît d’une défiance croissante émanant des effets de la collusion entre entrepreneurs de journaux, personnalités politiques et dirigeants de ces compagnies ferroviaires.

La forte effervescence spéculative qui culmine vers 1845 intervient après l’adoption du Companies Registration Act de 1844 qui, pour la première fois, supprime toute obligation d’autorisation des sociétés de capitaux. Celles-ci sont dorénavant soumises à un simple enregistrement, mais demeurent, pour le reste, encadrées par les critères stricts d’un engagement de la responsabilité des associés sans limite. Peu d’affaires de presse sont suscitées parmi les constitutions de nouvelles sociétés, à la persistance, au demeurant, assez instable. Surtout, il apparaît, par conséquent, qu’au moment où les activités des métiers publicitaires se développent de manière renforcée, vers 1830 et plus encore après 1840, les conditions de libéralisation financière sont, en Angleterre, insuffisamment efficientes pour accompagner cet effort. Des firmes, comme celle de Charles Barker, apparue vers 1820 et qui, après la promotion des emprunts publics, profite de la progression de celle des sociétés par actions, sont des entreprises familiales. Par ailleurs, les médias n’occupent pas une place tout à fait centrale dans l’éventail des méthodes employées pour le besoin de ces campagnes de publicité. La distribution directe d’imprimés et la présence visuelle des affiches et des placards de tout type, parfois portés par un effectif fourni d’« hommes-sandwichs », constituent un trait marqué de l’affirmation nouvelle de la publicité dans les villes britanniques. Comme le souligne John Strachan, « les colonnes d’annonces payées dans la presse étaient complétées par une variété de dispositifs de promotion subsidiaires : prospectus largement diffusés, véhicules promotionnels, panneaux en bord de route, affiches et peintures murales […]. La raison la plus déterminante quant aux techniques multimédias des annonceurs de la période romantique était financière, les conséquences de l’introduction d’une taxe sur les annonces paraissant dans les journaux et les pamphlets après 179737 ». La cherté de l’insertion des annonces de presse, devant supporter le poids supplémentaire de la fiscalité, agit en faveur d’une concentration au bénéfice de titres pouvant garantir un tirage élevé. The Times occupe de longue date, de ce point de vue, une position spécifique, progressivement accentuée dans la majeure partie du siècle sous l’effet, de surcroît, d’économies d’échelle importantes. L’innovation d’un supplément utile au recueil des nombreuses petites annonces, sans artifices typographiques, offert à des conditions très compétitives pour l’annonceur, permet au quotidien de renforcer encore l’écart existant vis-à-vis de ses quelques concurrents : « Bien qu’en 1825, la taxe sur les suppléments ne contenant que de la publicité ait été divisée par deux, seul The Times bénéficia de cet avantage. Les autres journaux ne pouvaient attirer suffisamment d’annonces de publicité pour pouvoir maintenir leur prix et n’osaient pas augmenter leur prix de vente pour couvrir les coûts liés à l’édition du supplément38 ».

L’affrontement concurrentiel entre titres rivaux commandé par une baisse des prix ne va, en définitive, se produire qu’à la suite du tournant de 1855 et 185639. De nouvelles conditions législatives amorcent, dès 1853, puis définissent clairement, en 1855, un cadre supprimant significativement les entraves fiscales à toute composante des activités de presse et de publicité. Durant, de même, l’année 1855, la législation évolue de façon décisive dans le domaine des sociétés de capitaux, en reconnaissant la faculté de premières sociétés à responsabilité limitée et dont l’échange des parts établies au porteur pourra être aisément organisé, une loi ultérieure de 1856 amplifiant la portée de celle-ci en permettant une harmonisation des statuts. Parmi les 3 700 nouvelles sociétés apparues entre 1856 et 1865, 75 sont des journaux, puis 125, 225 et 420 durant les décennies qui suivent. À une propriété familiale répandue dans le secteur de la presse tend à se substituer un contrôle de ces firmes suivant les critères d’un capitalisme financier lié à un essor durable des marchés boursiers. Ainsi que l’affirme Earl Grenville en tant que Lord President of the Council à la tête du Parlement, en mars 1856, « [e]n ce qui concerne les partenaires qui se regroupent en sociétés par actions pour créer des journaux, je dois dire qu’un tel projet me semble des plus légitimes et qu’il est tout à fait estimable pour ces partenaires de joindre leurs efforts pour éclairer l’esprit du public40 ».

Néanmoins, si une bataille du bas prix oppose ses effets désormais aux situations occupées par les titres d’une ancienne presse, et particulièrement face au Times, peu de nouveaux compétiteurs s’appuient sur une collecte de l’épargne publique pour constituer l’assise de leurs capacités économiques. Un des rares, d’importance, est The Dial, proposé aux actionnaires et aux lecteurs courant 1856 comme un « first-class daily journal ». Vingt ans après le calcul défendu par Girardin, The Dial ne procède que partiellement à une projection identique de ses atouts dans l’affrontement concurrentiel à venir, au sein duquel le nouveau journal ne prospèrera que de façon modeste. Ses promoteurs misent sur la formule d’une rédaction de qualité, en aspirant à fournir « une information véridique et constante, moins sur les intrigues diplomatiques et les ragots de la Couronne, que sur la condition sociale, industrielle, scientifique, artistique, littéraire et religieuse de l’activité des principales nations du monde ». Mais surtout, pour eux, l’emploi des capacités financières élargies ne concerne pas le recueil d’un volume d’annonces particulièrement important, en se limitant à l’obligation de contribuer aux efforts rédactionnels, puisqu’il est affirmé que, « se lançant avec un capital au montant sans précédent, [The Dial] sera capable, dès le départ, d’engager un effectif littéraire, le premier dont le talent, l’accomplissement, le sérieux et la conviction […] devraient pouvoir prouver que ce qui est moralement faux ne peut être politiquement vrai ». À l’inverse de la situation française, lorsqu’interviennent enfin, en 1855-1856, les conditions d’une compétition dans un cadre libéralisé de l’investissement des capitaux et de la conduite économique des titres, il apparaît que le regain de concurrence ne peut précéder l’incorporation de l’économie de la publicité dans celle de la presse comme en 1836 à Paris, mais doit se tenir dans les circonstances où la publicité est, d’une part, déjà répandue dans le financement de l’exploitation de médias et, d’autre part, envisagée dans l’ensemble du secteur de la presse comme une orientation de la pratique de gestion couramment pratiquée, surtout après l’affaiblissement de la presse politique radicale survenue au début des années 1850.

Non seulement il ne se produit donc pas une disjonction dans les conceptions prévalant entre une ancienne et une nouvelle presse, mais les nouvelles conditions qui valent pour le développement de la presse britannique dans la deuxième moitié du siècle tendent, dans le sens inverse, à aplanir l’opposition entre des supports potentiels de publicité commerciale, desservis, à l’exception du Times, par une politique fiscale accentuée. La publicité devenue ainsi une ressource offerte suivant des conditions égalisées pour chacun, aucune stratégie d’intensification de l’apport de celle-ci ne semble en mesure d’être conçue, alors qu’apparaissent plutôt des regroupements de titres, au cours des années 1860, en des chaînes de quotidiens régionaux, organisant un développement au contraire extensif de leur capacité en matière de débouchés pour les annonces de publicité41.

La mise à contribution des composantes de l’économie du journal va être l’objet du bouleversement entraîné par le développement d’un mouvement de financiarisation, répandant progressivement les conditions d’un capitalisme populaire britannique, après 1856. Après plusieurs modifications législatives à la fin des années 1870, le niveau minimum de la part sociale offerte lors des souscriptions d’actions est abaissé de 10 £ à 1 £. Surtout, avec la fondation du Financial News en 1884 puis du Financial Times en 1888, apparaissent les deux premiers quotidiens financiers largement destinés à un public actionnaire devenant très nombreux, en constituant un espace public financier dont l’essor s’appuie sur le statut des deux sociétés éditrices, elles-mêmes cotées en bourse.

La dynamique de gonflement des volumes de capitalisation rassemblés qui s’engage concerne de façon générale le secteur de la presse qui, vers 1885, attire un montant de capitaux cinq fois supérieur à celui collecté dix ans auparavant. Plusieurs de ces nouvelles firmes cotées mettent en œuvre des innovations importantes. Fondé en 1869, The Graphic, d’un capital qui sera porté à 100 000 £ divisées en actions de 10 £, est l’une des publications qui, en visant plusieurs publics spécifiques, vont développer l’utilisation des procédés d’illustration. Cela consiste, d’après la presse professionnelle, en « une remarquablement bonne spéculation ». Ce domaine sera de même exploité par The Black & White, au capital d’un montant comparable, à partir de 1890, puis par The Lady’s Pictorial, lancé en 1892, alors que la société éditant l’ancien Illustrated London News se transforme, au cours de la même année, en une société de capitaux elle aussi cotée.

Après le « boom » des marchés financiers qui porte, après 1884, à plus 5 000 le nombre de nouvelles constitutions de sociétés cotées par an, soit cinq fois plus que lors des décennies qui précèdent, se produit, de manière simultanée aux lancements des grands quotidiens de presse financière, une rapide expansion des domaines concernés par l’établissement des nouvelles firmes et des groupements éditoriaux.

Avec Cassel and Co, fondé en 1883, puis Edward Llyod Ltd, en 1890, deux des principaux éditeurs ayant marqué l’évolution de la production de fiction sous forme d’ouvrages et de publications périodiques acquièrent de même le statut de sociétés cotées. Surtout avec George Newness Ltd, apparu en 1891, une nouvelle vague de constitutions porte sur les compagnies d’édition de publications marquantes, comme The Strand Magazine puis Tit-Bits, hebdomadaire inspiré « de tous les livres, périodiques et journaux les plus intéressants au monde », dont les parutions consacrées à l’actualité légère et à la fiction vont rapidement dépasser 700 000 exemplaires. Rivalisant dans l’offre de magazines, Pearson Ltd, coté après 1896, atteint des niveaux de tirages comparables en développant une série de nouveaux titres, dont Pearson’s Magazine, Weekly, Home, Short Stories, etc.

Enfin, la catégorie de la presse quotidienne politique est l’objet des investissements boursiers formés durant la première moitié des années 1890. Lancé en 1888 en étant édité par une société au capital de 100 000 £ divisées en actions de seulement 1 £, The Star est l’un des titres qui inaugure la bataille des quotidiens à bas prix, en proposant pour un demi-penny les contenus caractéristiques du « new journalism », adoptant une mise en page qui rompt avec le « journalisme obsolète » pour mettre en valeur son traitement privilégié des informations exclusives, des affaires criminelles ou encore des faits mondains. D’un style plus conventionnel bien qu’offert lui aussi à un demi-penny, The Evening News, édité à partir de 1889 par une société d’un capital de même de 100 000 £, échoue à perdurer à travers la concurrence des titres bon marché et, acquis en 1896, devient l’un des journaux gérés par les frères Harmsworth.

Le tournant opéré sur le marché de la presse politique « populaire » revient à l’apparition en 1896 du groupe Harmsworth Brothers dont le capital s’élève d’abord au montant inégalé de 1 000 000 £ divisées en actions de 1 £. Alfred Harmsworth, devenu par son anoblissement Lord Northcliffe après 1905, vise à développer une politique industrielle de nature à atteindre, en usant du recours aux genres spécifiques du « nouveau journalisme », les plus hauts tirages obtenus en d’autres pays. Surtout, en souhaitant appliquer les solutions en vigueur en particulier au sein de la presse française ou des États-Unis, est recherché, pour le lancement du Daily Mail, en mai 1896, le bénéfice d’une pratique de gestion des insertions de publicité entièrement adaptée aux attentes des annonceurs et agences, du point de vue de leur forme, de leur tarif ou encore de la fiabilité des niveaux de diffusion déclarés. Même si ces principes ne tarderont pas être suivis par un nombre important de groupes rivaux, Harmsworth obtient une avance sur ces derniers, conservée pour une large part durant le siècle suivant. Avec le contrôle principalement du Daily Mail, dont le tirage se chiffre à plus de 500 000 exemplaires vers la fin du siècle, du Evening News et du Sunday Dispatch, puis du Daily Mirror et du Times, etc., le groupe Amalgated Press qu’il dirige totalise, vers 1910, un niveau de 39 % de la production de la presse quotidienne du matin de Londres, de 31 % de celle du soir ainsi que de 12 % de celle des journaux nationaux du dimanche.

b ) Développement du secteur de la presse au Royaume-Uni

Entre le début et la fin du siècle, les mutations connues par la presse britannique sont particulièrement marquées, du fait d’un changement des conditions d’exploitation du journal et d’une nouvelle orientation de ses genres principaux. La transformation des genres éditoriaux s’opère suivant deux mouvements, consécutifs à une présence renforcée de la publicité dans l’économie des titres vers 1840, puis à la réussite des offensives commerciales de la presse à bas prix entreprises par les firmes cotées en bourse menées par les « barons de la presse » vers 1890. Une politique publique vigilante quant au contrôle de la presse radicale d’opposition parvient à établir une forte dynamique de changement, résultant de la libéralisation économique de la publicité, après 1836, et permet la libéralisation financière des entreprises de presse à partir de 1856, dont bénéficie la stratégie conduite par Harmsworth, en 1896, concevant l’offre du journal comme relevant d’une communication de masse.

Plusieurs éléments peuvent expliquer la domination durable qu’exerce la presse radicale pendant approximativement le premier tiers du siècle au Royaume-Uni. Les coûts de production de ces feuilles sont faibles, puisqu’elles rassemblent des contenus issus de la participation bénévole de correspondants rapportant des faits locaux, et bénéficiant d’une distribution de même organisée sur une base volontaire, alors que leur amortissement peut être d’autant facilité par les niveaux inégalés de 40 000 à 50 000 exemplaires atteints, dès les années 1820, par les publications de William Cobett, ou encore de 15 000 à 20 000, durant les années 1830, par celles de Richard Carlile ou Henry Hetherington. L’écart de prix est en effet très important entre cette catégorie de publications proposées à 1 d ou 2 d qui, luttant contre le principe d’une taxe « contre la connaissance », choisissent de s’abstenir frauduleusement de s’en acquitter, et les titres respectueux de l’obligation fiscale, vendus, comme The Times, à 7 d et dont le tirage ne s’élève qu’à 7 000 exemplaires.

Une première réponse des pouvoirs publics face au déferlement de plus de 500 publications « unstamped » est d’organiser une répression qui mène, entre 1830 et 1836, à plus de 800 condamnations à des peines d’emprisonnement, les poursuites pouvant affecter plus de 150 distributeurs pour une même feuille. Une solution, face à l’insuccès de l’inflation répressive, est trouvée avec la réorientation du système des taxes, décidée en 1836. D’une part, la taxe due par les éditeurs est considérablement abaissée de 4 d à 1 d et, d’autre part, les peines pécuniaires encourues en cas de soustraction à la mesure sont fortement rehaussées. En plus de l’égalisation obtenue des conditions fiscales devenant communes à l’ensemble des titres, contribuent à la situation les effets d’une libéralisation économique de la publicité, bénéficiaire, elle aussi, d’un affaiblissement de la taxe sur les annonces, après 1833. Le cadre nouveau établi suivant ces principes entraîne un déclin puis une disparition de la presse radicale, à la fin des années 1830.

L’attractivité politique de ces titres faiblit après le vote de la réforme du corps électoral, même partielle, de 1832, alors que leur attractivité économique subit les effets d’une soumission à la taxe, d’une distribution entravée du fait du refus d’acheminement de la part de W. H. Smith, devenu un distributeur centralisant cette fonction, ou encore de la concurrence de premières publications à bon marché. Celles-ci, visant à une popularisation des connaissances, à l’écart de tout esprit d’agitation partisan, sont inaugurées en 1832 par The Penny Magazine, fort assez rapidement de la diffusion de plus de 200 000 exemplaires.

Même si une nouvelle vague de publications s’affirme, en soutien au puissant mouvement chartiste, avec les lancements de The Two Penny Dispatch, après 1835, ou encore du Northern Star, après 1837, atteignant un tirage de 50 000 exemplaires, la presse d’opposition rencontre désormais les conséquences d’un cadre économique qui lui est défavorable. Surtout, favorisé par le choix d’annonceurs à la recherche, de plus, d’un public aisé, le flux d’insertions d’annonces se porte, en particulier, vers The Times, dont les trois premières des huit pages sont uniquement composées d’elles, et qui peut se prévaloir d’un lectorat qui, en raison d’un resserrement de l’écart des prix, progresse à hauteur de 20 à 30 000 exemplaires. En sens inverse, l’adjonction de recettes de publicité, devenues potentiellement significatives en dépassant un total de 1 000 000 d’insertions par an, dès 1834, fait défaut aux publications radicales, qui font l’objet d’une discrimination idéologique, selon Kevin Williams, pour qui les « professions de la publicité ne furent pas en sympathie avec les idées radicales et évitèrent le recours à des publications les promulguant42 ». Ceci correspond au projet des dirigeants de la majorité politique ayant conçu l’abrogation de la taxe sur les annonces comme « un moyen pour que les fonds croissants de la publicité bénéficient aux journaux qui pourraient constituer un support populaire au conservatisme à travers le pays43 ».

Établi durablement durant les années 1840, un ensemble assez homogène de journaux du dimanche va sembler s’adapter aux nouvelles circonstances. The Lloyd’s Weekly Newspaper, lancé en 1842, tout comme The News of The World, après 1843, puis encore The Reynold’s Newspaper, après 1850, initiés par d’anciens dirigeants chartistes pour la plupart, proposent un contenu destiné aux mêmes catégories populaires, mais au fur et à mesure que la publicité prend une place déterminante dans la gestion des titres, ils insèrent des matières couvrant de plus en plus les faits divers les plus sensationnels, notamment ceux relatifs aux affaires criminelles, ainsi que quelques fictions littéraires en feuilletons. Alors que les attaques contre la conduite de la politique gouvernementale diminuent, la diffusion s’élève, dépassant 300 000 exemplaires après 1850, et parvient à égaliser 900 000 pour le Lloyd’s Weekly Newspaper vers 1890, étant désormais confiée aux réseaux administrés par W. H. Smith.

La clientèle nombreuse conquise par une presse du dimanche se tournant vers des matières non politiques, en partie pour échapper au système de taxes avant que celui-ci ne soit totalement aboli en 1861, sera l’objet de la concurrence établie avec les quotidiens à bas prix lancés après 1856 et orientés quant à eux vers des contenus d’information politique et générale. En l’absence d’une stratégie financière liée à un recours aux marchés boursiers et sur un plan égal quant aux conditions d’obtention des ressources publicitaires, la nouvelle presse, constituée, aux environs des années 1860, avec The Daily Telegraph, The Standard, The Daily News, etc., tend à rivaliser notamment avec The Times pour parvenir, par un prix progressivement abaissé, à élargir son lectorat, en lui destinant une information rapidement répercutée et enrichie de reportages et d’entretiens, alors que la population britannique est progressivement concernée par les élargissements des corps électoraux de 1867 puis de 1884.

L’opération qui vise à parvenir à incorporer entièrement le public de la presse du dimanche à la clientèle acquise à l’achat d’une publication à parution quotidienne est celle que mène Harmsworth, à partir de 1896. Par l’ampleur des facteurs mis au service d’un tel projet, elle s’apparente à la révolution provoquée par Girardin au sein de la presse française en 1836. Comme dans le cas de l’initiative de Girardin, non seulement le prix auquel est offert The Daily Mail est adapté par un niveau permettant d’obtenir un « penny newspaper for a halfpenny », mais les rubriques sont consacrées à des contenus de prédilection auparavant développés au sein des « sunday papers ». L’illustration est d’emblée favorisée par des cartes accompagnant, entre autres, les sujets d’actualité internationale et figure aussi sous la forme d’amusements, avec l’ajout de « cartoons ». Son importance sera ensuite amplifiée avec l’incorporation de photographies et surtout d’annonces de publicité utilisant toutes les nouveautés graphiques. Une rubrique ouverte aux faits mondains prend une large place, étendant le domaine récemment inauguré des échos proposés sous le titre « Mainly about people ». Les faits divers regroupent le traitement de sujets relatifs à l’évolution des modes de vie et des mœurs, en abordant de façon croissante l’actualité sportive. Enfin, un contenu fictionnel figure sous la forme d’une œuvre littéraire sérialisée. À cet assemblage conçu pour procurer à cette matière rédactionnelle le débouché d’un public de masse, est associée une démarche refondée en direction des professions publicitaires, une communication publicitaire de masse pouvant être désormais garantie par l’éditeur acceptant le contrôle des chiffres de diffusion par des institutions qualifiées et faisant reposer les grilles tarifaires des insertions sur ces résultats.

Enfin, Harmsworth a recours aux moyens du capitalisme financier de masse en faisant reposer non seulement la croissance interne de son entreprise, mais aussi la croissance externe du groupe de publications, très rapidement acquise, sur la collecte en bourse d’un volume important de capitalisation. Le « new journalism », inauguré en 1896, à l’instar de la nouvelle presse, constituée en France après 1836, fonde le tournant que permet la révolution financière pour la gestion d’une activité médiatique et que suivront tout autant les publications de l’« ancienne presse » que les nouveaux venus, opérant sur des bases similaires, en constituant les importantes firmes détenues par les autres « barons de la presse » britannique, Newness, Pearson, Cadbury ou encore Beaverbroock.

c ) Caractéristiques du modèle britannique

Le modèle britannique de financiarisation de la presse écrite est marqué par le retard avec lequel les possibilités d’investissements découlant d’une libéralisation financière suffisante parviennent à conforter les dynamiques d’un secteur qui, auparavant, évoluait donc en fonction principalement des stratégies de sociétés sous contrôle familial.

1836 représente l’accès de la presse britannique à des conditions de plus grand libéralisme politique et à un cadre de libéralisation économique significativement allégé des conséquences d’une action publique entravant la mise à profit du commerce des annonces pour l’économie du journal. La recherche de cette ressource suscite la prospérité, en deux pôles sociologiquement largement distincts, du Times, longtemps dominant au sein de la presse quotidienne, et de la presse du dimanche, insistant sur l’offre de contenus récréatifs.

1855-1856 opère un mouvement prépondérant de basculement en combinant la suppression des charges fiscales et la libre constitution de sociétés de capitaux dont les actions au porteur peuvent accueillir le placement de l’épargne publique. Sans transformer la répartition des recettes de publicité assez largement répandue, la multiplication des initiatives de lancements provoque un renouvellement de l’offre dans le domaine d’une presse d’information devenant populaire par son bas prix.

1896 peut apparaître comme le moment où se manifeste la faculté stratégique de mettre à profit les opportunités de 1855-1856 en regard des enjeux de 1836. Avec un actionnariat populaire apportant une capitalisation élevée, la tentative est formée de fonder une presse de grande audience, s’appuyant sur des ressources d’annonces de publicité d’autant plus abondantes qu’elles sont procurées à des publications répandues en raison d’un prix toujours plus bas et mêlant contenus informatifs et matières de divertissement.

À la différence de la France, la disjonction née, vers 1896, avec le développement d’une presse au régime statutaire financiarisé ne se manifeste pas significativement comme engageant une opposition duale avec une presse d’opinion progressivement affaiblie par l’effet de l’importance acquise, après 1836, par le financement du secteur par les ressources de publicité.

II. Distinction de trois périodes principales

Conclusion générale

Avec l’étude de deux situations nationales, apparaît de façon évidente l’importance de la prise en compte des évolutions du champ des politiques publiques pour l’étude de la portée des transformations des modèles respectifs des capitalismes de presse.

Avec le Royaume-Uni, c’est non seulement une politique de régulation des sociétés de capitaux méticuleuse et graduelle, mais aussi une politique publique de l’espace public qui favorise les mesures fiscales par rapport à l’obligation du cautionnement qui éclairent l’apparition retardée mais décrite comme tout aussi « révolutionnaire » d’un capitalisme éditorial engagé dans les matières du journalisme.

Avec la France, c’est non seulement une réglementation jurisprudentielle précoce dans son effet sur l’expansion des sociétés de capitaux, mais aussi une politique publique de l’espace public retenant, avec la formule du cautionnement, un moyen adapté au bénéfice des plus fortes capitalisations, qui permettent de saisir l’impact de cette même financiarisation dans les activités informationnelles et culturelles du dix-neuvième siècle.

Dans les deux cas, l’interaction avec le phénomène d’amplification du recours aux ressources de la publicité commerciale apparaît centrale et suscite l’établissement d’une politique éditoriale d’audience, attentive à la valeur primordiale d’un avantage comparatif constitué par la compétitivité acquise sur ce marché supplémentaire. Il s’ensuit, dans les deux pays, un pari formé sur le volume de cette audience, valant désormais comme mesure du potentiel marchand de l’espace publicitaire, celui-ci étant la matière du commerce confié à des intermédiaires, proches de l’intérêt des journaux, avec les agences fermières concernées en 1836 en France, mais, en revanche, plus proches de l’intérêt des annonceurs, avec les agences-conseils intéressées en 1896 au Royaume-Uni.

La portée de ces mouvements de financiarisation est de constituer le fondement de dynamiques concurrentielles structurantes des activités de production de la presse écrite, mais aussi connexes, avec les agences de presse et les réseaux de distribution, ou collatérales, avec l’édition, le théâtre et, plus tard, le cinéma, la radio, etc.

L’industrialisation découlant de l’insertion de la production de la presse écrite dans la filière des métiers de la publicité est un trait caractéristique de l’évolution de celle-ci, en tant que premier domaine de l’ensemble des activités médiatiques où l’importance de ce processus apparaît. Alors que des mouvements de concentration horizontale et verticale et de regroupement multimédias vont affecter l’organisation générale de ces entreprises dès le tournant amenant vers le vingtième siècle, cette transformation spécifique prend place au rang des évolutions connues par les différentes sociétés industrialisées, dans le cours du déroulement du « siècle-charnière », que révèle l’étude du dix-neuvième siècle.

(Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis

CIM [Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle])

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Notes

1  Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1992 [1962].

2  Jean K. Chalaby, The Invention of Journalism, Basingstoke/ New York, McMillan/ St. Martin’s Press, 1998.

3  Christophe Charle, La Dérégulation culturelle. Essai d’histoire des cultures en Europe au XIXe siècle, Paris, P.U.F., 2015.

4  Jean-Yves Mollier, Le Camelot et la rue. Politique et démocratie au tournant des XIXe et XXe siècles, Paris, Fayard, 2004.

5  James Curran, « The press as an agency of social control : an historical perspective », in George Boyce, James Curran et Pauline Wingate, Newspaper History. From the 17th Century to the Present Day, London/ Beverly Hills, Constable/ Sage, 1978, pp. 51-75.

6  Voir Christian Pradié, « Capitalisme et financiarisation des industries culturelles », in Réseaux, dossier « La Concentration dans les industries de contenu », vol. 23, n° 131 (2005), p. 83-110.

7  Voir Olivier Descamps et Romuald Szramkiewicz, Histoire du droit des affaires, 2e édition, Paris, L.G.D.J., 2013.

8  Nelly Hissung-Convert, La Spéculation boursière face au droit (1799-1914), Paris, L.G.D.J., 2009, p. 200.

Voir aussi Pierre-Cyrille Hautcoeur (dir.), Le Marché français au XIXe siècle. Récit, vol. 1, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, et Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva, Histoire de la Bourse, Paris, La Découverte (Repères), 2012.

9  Ibid., p. 207 et 199.

10  Ibid., p. 201 et 202.

11  Ibid., p. 202 et 203.

12  Voir Christian Pradié, « La Financiarisation des industries culturelles. L’émergence de la presse à la bourse de Paris au XIXe siècle », in Histoire des industries culturelles – XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions de l’A.D.H.E., 2002, p. 75-86.

Voir aussi Charles E. Freedeman, Joint-Stock Enterprise in France (1807-1867). From Privileged Company to Modern Corporation, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1979.

13  Alors que le nombre de lancements de nouvelles sociétés anonymes se limite à une ou deux dizaines par an, la création de nouvelles sociétés en commandite atteint un niveau de 1 779 pour la France entière, dont 1 106 à Paris, entre 1826 et 1837. Sur les 223 cotations publiées par L’Actionnaire en 1836 figurent, parmi les catégories les plus importantes et à la suite des journaux et publications (34), les secteurs des transports par messageries et voitures (28), des bateaux à vapeur (19), des constructions de canaux (18), des compagnies d’assurance (17), de l’exploitation de ponts (11), de l’éclairage par le gaz (10), etc. Voir L’Actionnaire, n° 1, décembre 1836.

14  Voir Vincent Robert, « Paysages politiques, cohérences médiatiques » et Thomas Bouchet, « Presse et événement », in Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011, p. 213-48 et p. 1341-54.

15  Prospectus de La Presse Universelle, 1837.

16  Dominique Kalifa, et alii, op. cit.

17  Le Capitaliste, n° 1, avril 1838.

18  Voir Gilles Feyel, « Naissance, constitution progressive et épanouissement d'un genre de presse aux limites floues : le magazine. », in Réseaux, vol. 1, n° 105 (2001), p. 19-51 et « Presse et publicité en France (XVIIIe et XIXe siècles) », in Revue historique, vol. 4, n° 628 (2003), p. 837-868.

Voir aussi Pierre Albert, « Le Journal des connaissances utiles de Girardin (1831-1836...) ou la première réussite de la presse à bon marché », in Revue du Nord, vol. 66, n° 261 (1984), p. 733-744.

19  Voir Jean-Claude Yon, Une histoire du théâtre à Paris. De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier, 2012.

Voir aussi Frederic W. J. Hemmings, The Theatre Industry in Nineteenth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.

20  Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836 : L’An I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde éditions, 2001.

21  Marc Martin, Trois Siècles de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 59.

22  Patrick Eveno, Histoire de la presse française. De Théophraste Renaudot à la révolution numérique, Paris, Flammarion, 2012, p. 36.

23  Voir Antony Glinoer et Vincent Laisney, L’Âge des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2013.

Voir aussi Anne Martin-Fugier, Les Romantiques (1820-1848), Paris, Fayard, 2014 [1998].

24  Voir Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (dir.), Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1860). Presse, théories et expériences, Paris, La Découverte, 2015.

25  « Introduction », in Dominique Kalifa, et alii, op. cit., p. 7.

26  Voir Maurizio Gribaudi, Paris ville ouvrière (1789-1848). Une histoire occultée, Paris, La Découverte, 2014, et Nathalie Jakobowicz, 1830 : Le Peuple de Paris. Révolutions et représentations sociales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.

Voir aussi Iorwerth Prothero, Radical Artisans in England and France (1830-1870), Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

27  Voir Gilles Feyel, « L’économie de la presse au XIXe siècle », in Dominique Kalifa, et alii, op. cit., p. 142-80.

28  Voir Lise Dumasy, La Querelle du roman-feuilleton (1836-1848). Littérature, presse et politique : Un débat précurseur, Grenoble, ELLUG/ Université Stendhal - Grenoble III, 1999.

Voir aussi Isabelle Diu et Elisabeth Parinet, Histoire des auteurs, Paris, Perrin, 2013.

29  Voir Michaël B. Palmer, Naissance du journalisme comme industrie. Des petits journaux aux grandes agences, Paris, L’Harmattan, 2014 [1983].

30  Voir Ron Harris, Industrializing English Law (1720-1844). Entrepreneurship and Business Organization, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 220.

31  Voir « First Report of the Select Commitee on Joint Stock Companies », Parliamentary Papers, 15 mars 1844. Les deux autres sociétés sont The London and Provincial Newspaper Company, au capital de 25 000 £, divisées en 5 000 actions de 5 £ et The Independant Newspaper Company, au capital de 5 000 £, divisées en 10 000 actions de ½ £.

32  Voir James Taylor, Creating Capitalism (1800-1870). Joint-Stock Enterprise in Politics and Culture, Woodbridge, The Boydell Press, 2006, et Paul Johnson, Making the Market. Victorian Origins of Corporate Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

33  « It is necessary to premise that the Laws relative to Companies established in France are far superior to those of England, each shareholder incurring non responsability of any kind beyond the Investment of his Capital. No Act of Parliament is required, nor is it necessary for the Subscriber to sign any Deed, as this Company will be governed by the existing French Laws ». (Prospectus de Continental Flax and Patent Canvas Company, juin 1836, p. 1).

34  « A ruin of a family, by a joint-stock newspaper company », in The York Herald, novembre 1836.

35  « The prejudice, thus ignorantly or interestedly cherished, has, upon the proposed reduction of the Stamp-duty, suddenly shrunk in the proportion of four-pence to a penny. The three-pence taken off turns the balance of the opinion. A few weeks more, and but one obstacle will remain - the single penny, which is still to be left as a stumbling block to enlightenment » (Prospectus de The Constitutional, 1836, p. 1)

36  « Such a circulation would COMMAND advertisements » (Prospectus de Liberal Newspaper Company, 1836, p. 3).

37  « Paid press colums were complemented by a variety of subsidiary marketing devices : widely distributed handbills, advertising vehicles, roadside advertisements, wall-posting and wall-painting […] The most significant reason for the multi-media techniques of Romantic period advertisers was financial, the consequence of the introduction of a tax on newspapers advertisements (and advertisements in pamphlets) in 1797 ». (John Strachan, Advertising and Satirical Culture in the Romantic Period, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 14 et 23.)

38  « Although in 1825, the duty on supplements containing only advertisements was halved, il was really only The Times which benefit from this provision. Other papers could not attract advertising in sufficient volume to be able to sell at the same price and dared not raise the price to cover the cost of an extra sheet ». (Ibid., p. 44.)

39  Voir Martin Hewitt, The Dawn of the Cheap Press in Victorian Britain (1849-1869). The End of the Taxes on Knowledge, Londres, Éditions Bloomsbury, 2013.

40  Prospectus de The Dial, 1856, p. 1.

41  Alan J. Lee, The Origins of the Popular Press (1855-1914), Londres, Croom Held, 1976, p. 92.

42  « Advertisers were not sympathetic to radical ideas and shied away from newspapers that promulgated them ». (Kevin Williams, Read all about it! A History of the British Newspaper, Abingdon, Routledge, 2010, p. 96.) Voir aussi Terry R. Nevett, Advertising in Britain. A History, Londres, Heinemann, 1982.

43  « [Disraeli saw in] the repeal of the Advertisement Duty a way of increasing subsidies for papers that would build popular support for conservatism in the country ». (James Curran, op. cit., p. 57).

Pour citer ce document

Christian Pradié, « Les journalistes patrons de presse au XIXe siècle en France et au Royaume-Uni. Étude comparée des capitalismes de presse », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/les-journalistes-patrons-de-presse-au-xixe-siecle-en-france-et-au-royaume-uni-etude-comparee-des-capitalismes-de-presse