Les journalistes : identités et modernités

Quand le féminin se mêle à la satire politique. Le cas de la petite presse humoristique de Québec dans les années 1860

Table des matières

MYLÈNE BÉDARD

À Québec, les années 1860 sont marquées par l’émergence d’une petite presse humoristique. Ces journaux sont généralement éphémères, mais ils introduisent une dissonance par rapport au discours conservateur et passéiste, promu notamment par l’abbé Henri-Raymond Casgrain et l’École patriotique de Québec. Ils révèlent en outre la prégnance du régime médiatique dans la société québécoise par la mise en représentation sous le mode parodique du journal, objet de l’actualité et du temps présent par excellence. Cette effervescence sera toutefois de courte durée, puisque dès la décennie suivante le déplacement du pôle culturel de Québec à Montréal entraînera la presse humoristique avec lui. À partir d’un corpus composé de onze journaux publiés à Québec1, soit Le Bourru (1859-1860)2, Le Grognard (1862)3, La Lime (1863-1864)4, L’Écho des imbéciles (1863)5, La Mascarade (1863)6, La Scie (1863-1865)7, Le Cyclope (1865)8, La Scie illustrée (1865-1866)9, La Sangsue (1867)10, Le Charivari canadien (1868)11 et L’Omnibus (1869)12, lesquels s’inscrivent dans la filiation du journal humoristique Le Fantasque (1837-1849) de Napoléon Aubin, cette étude entend observer la mécanique du rire à partir des jeux de réflexivité du journal. Dans la foulée des réflexions sur les rapports entre le masculin et le féminin dans la presse au XIXe siècle (Planté et Thérenty, 2009, 2011), je m’intéresserai plus particulièrement à l’intégration du féminin dans cette autoréférentialité médiatique afin de vérifier dans quelle mesure les effets de contraste entre norme et anomalie, de contradiction ou d’assemblage incongru affectent le traitement et la présence des femmes dans la presse. La compartimentation du masculin et du féminin dans des rubriques spécifiques demeure-t-elle ou est-elle brouillée par les procédés de contamination et d’échos humoristiques ? En d’autres mots, la variable sexuelle a-t-elle une fonction particulière dans la mise en scène parodique du journal, susceptible d’éclairer à la fois la mécanique de ces feuilles humoristiques et, par ricochet, celle de la presse sérieuse, grâce au « rapport d’altérité à la presse générale [et] d’opposition aux majorités » qu’instaure cette petite presse (Wagneur, 2008 : 26) ? Ces journaux, situés en marge des grands organes de presse, proposent-ils des représentations du féminin distinctes commandant une analyse particulière ?

Format et conditions matérielles de la petite presse humoristique de Québec

Les journaux humoristiques sont très homogènes sur le plan de la présentation matérielle, c’est-à-dire de format in-quarto, de quatre pages dont la matière se répartit en trois colonnes. Outre L’Écho des imbéciles et La Lime qui ne comptent qu’un ou deux numéros, la publication est hebdomadaire et régulière. Sept d’entre eux comprennent des illustrations13 qui se déploient souvent sur un axe horizontal et affectent la verticalité, plutôt rigide, de la publication. Le faible cloisonnement de la matière, les articles n’étant séparés que par un mince filet, favorise des effets de contamination et d’échos qui participent à la mécanique du rire. Ces journaux présentent, pour la plupart, les caractéristiques de la petite presse définies par Jean-Didier Wagneur, telles que la mise en représentation récurrente du journal, le ton libre et parodique de même que l’anonymat de la rédaction. Dès le bandeau-titre, les effets parodiques et réflexifs sont manifestes. Ils sont créés par des informations farfelues en ce qui a trait à la date de publication (36 juillet 186314), la numérotation (vol. hi! hi! no ha! ha!), les pseudonymes des propriétaires sujets aux calembours, c’est le cas de celui du journal La Scie, C. C. Lescieur, ou encore par la devise qui fait écho à l’activité journalistique et à la position marginale qu’occupent ces feuilles humoristiques par rapport à la presse générale. Mentionnons seulement la devise du Cyclope : « Je tenaille, je cisaille, je taille et je retaille », qui illustre le côté caustique de ce journal et dévoile les ressorts du dispositif médiatique, dont la répétition, ainsi que le travail, plutôt artisanal, de bricolage effectué à partir des nouvelles de l’actualité.

Le titre et le contenu des rubriques contribuent également à cet effet de reprise parodique de la grande presse. Le prospectus du Charivari canadien, par exemple, se moque des fausses promesses qui fourmillent dans les prospectus de la presse générale dans une volonté de mise à nu des pratiques journalistiques : « Nous allons donc, nous aussi, bâcler un prospectus ; c’est-à-dire que nous promettrons à nos abonnés de faire ce que nous ne ferons pas ; que nous leur indiquerons la route dans laquelle nous voulons porter nos pas, tandis que, dans notre for intérieur, nous aurons la ferme résolution d’en prendre une autre. » (5 juin 1868, p. 1) Un souci de vérité, de faire tomber les masques d’écrivains connus, d’hommes politiques ou de journalistes sérieux anime ces journaux, dont le mandat consiste principalement à dénoncer les travers sociaux et politiques de même qu’à préserver la morale. La rubrique « Sous presse » constitue ainsi une occasion de décocher des flèches en prêtant aux différentes cibles de la rédaction la publication d’ouvrages au titre mordant, comme « L’art de flatter convenablement une femme, par Hector Fabre15 », alors rédacteur du très sérieux et influent journal Le Canadien, « Manière courte et facile de savoir parler le français et l’anglais en même temps, par G. E. Cartier16 », l’un des pères de la Confédération canadienne17, ou encore « Pourquoi je me crois avoir tant d’esprit, et que je passe pour en avoir, jamais eu, par Emelie R...18 ».

La jeunesse est invitée à quelques reprises à prendre part à la publication de ces journaux. Dès le bandeau de L’Omnibus, il est mentionné que « [t]outes les facéties qui nous seront envoyées par les plumes imberbes seront insérées avec une scrupuleuse exactitude ». À l’intérieur, plusieurs articles sont signés « Nobody » montrant l’ouverture du journal aux productions de jeunes écrivains inconnus, mais également l’indépendance de la rédaction qui ne s’entiche pas d’écrivains de renom pour assurer la popularité de son entreprise. La mise en représentation du journal que l’on retrouve distillée dans ces pages humoristiques prend parfois un tournant polémique, notamment lorsque les organes de presse se livrent bataille et se condamnent nommément. Ces attaques ont principalement pour cible des hommes, propriétaires de journaux et journalistes, mais visent aussi à travers eux des orientations et des représentants politiques. Les événements de l’actualité politique agissent par ailleurs comme matrice de nombreuses feuilles humoristiques. C’est le cas de la Confédération canadienne qui est à l’origine de « la première explosion du nombre de journaux satiriques canadiens-français. Les deux principaux artisans de cette profusion de titres sont deux résidents de Québec farouchement opposés au projet : l’imprimeur Louis-Philémon Normand et le rédacteur Adolphe Girard. » (Gosselin, 2007 : 37) La Confédération est également l’objet de « la première caricature politique signée par un artiste canadien français [sic] » (Trépanier, 2015 : 27) et publiée dans l’édition du 2 décembre 1864 de La Scie illustrée19. De telle sorte que l’on se retrouve devant un univers journalistique masculin parodiant des univers politique et médiatique tout aussi masculins. Dans ces conditions, quelle place reste-t-il aux femmes et quelle est la nature de leur intégration à ce jeu autoréflexif ?

Représentation parodique du journal : quelle place pour les femmes ?

Dans ces mises en scène parodiques du journal, les femmes sont relativement peu présentes à titre de lectrices de ces feuilles humoristiques, même si certaines d’entre elles espèrent être lues « par la jeune fille, comme par la mère de famille » (L’Omnibus, 14 août 1869, p. 2). Le rapport qu’entretient la presse humoristique avec les femmes est complexe, alternant entre l’instrumentalisation, la complicité relative et la mise à distance. Les jeux d’échos et de contradictions entre les rubriques contribuent à l’ambiguïté des représentations et des interactions avec le féminin. Dans une large mesure, les femmes sont associées aux cibles du journal. Lorsque Le Bourru s’en prend au rédacteur de L’Observateur, Louis-Michel Darveau (surnommé M. de la Pochette), il établit une association entre la cible et les femmes :

Il y a certaines gens qui s’imaginent que dire du mal de tout le monde, et cela le plus grossièrement possible, est un titre à la considération publique. N’est-ce pas, lecteurs, que M. de la Pochette pense de même. – Oui ! Mon cher Bourru. Ah ! lecteurs, lecteurs, pas de cajoleries. Vous croyez m’appaiser en m’appelant votre cher Bourru ? Eh ! bien non, vous ne calmerez pas d’un degré ma juste indignation. Est-ce que vous auriez par hasard quelques faiblesses, pour M de la Pochette ? Ça serait vraiment joli ! Passe encore que les Dames le cajolent, il sait bien leur rendre une ample justice. Je vous défends, lecteurs, d’avoir aucune sympathie pour cet homme (Le Bourru, 8 février 1859, p. 6).

Dans cette mise en scène très explicite du journal par lui-même non seulement les femmes sont rangées dans le mauvais camp, mais la connivence que Le Bourru établit avec ses lecteurs repose sur un principe d’exclusion de L’Observateur auquel les femmes sont identifiées. Plus encore, est associé au féminin tout ce que le journal n’est pas, dédaigne ou rejette catégoriquement. Dans La Scie du 17 décembre 1864, on peut lire : « notre publication n’attaque ni le caractère des personnes, ni la réputation des familles. Nous n’allons pas fouiller dans le sanctuaire domestique pour livrer aux langues avides des commères quelques médisances criminelles [...] cette littérature de vieille femme nous déplait » (p. 2). Les traits négatifs que l’on associe aux femmes sont ainsi mis à contribution pour attaquer et montrer la bassesse de certains organes de presse. De même, on assiste dans Le Charivari canadien à la féminisation injurieuse de La Minerve :  

Une bonne grosse maman, bien affublée, par ma foi ! Sa robe est d’une richesse inouie [...]. Elle a été achetée dans le fameux magasin dit Du gouvernement et elle en répand encore tous les arômes. Connaissez-vous cette étoffe, mesdames ? Je parie que non. Eh ! bien, elle s’appelle : Annonces officielles. [...] madame la Minerve est très laide, Défigurée par une petite vérole extrêmement confluente, celle que nos médecins appellent le Servilisme [...] Quant au moral, je vous dirai sans réticence que mon héroïne est fort bête, par conséquent fort contente de sa personne. Elle parle à tort et à travers, mais son principe – le seul qu’elle ait – est d’adorer toujours la divinité régnante, quelle qu’elle soit. Tout cela ne l’empêche pas d’être adulée, flattée, respectée. Elle est si bien mise, la bonne femme ! (Le Charivari canadien, 30 octobre 1868, p. 2)

Cette féminisation de La Minerve condense les traits dominants du discours que tient la petite presse humoristique sur les femmes, c’est-à-dire l’association entre le féminin et la mode, le culte de l’apparence qui exclut les sentiments vertueux et sincères, la forte inclination pour le commérage ainsi que le rapport de soumission aveugle et de dépendance à l’égard du pouvoir. S’il peut parfois servir à critiquer les organes de presse, le rapport d’identification ou de comparaison entre la culture médiatique et les femmes ne s’effectue jamais à l’avantage de ces dernières, comme en témoigne encore cette anecdote publiée dans La Scie illustrée : « Quelle différence y a-t-il entre le cable transatlantique et les femmes ? demandai-je à un ami. C’est, me dit-il que celui-ci se fera payer pour parler, tandis qu’il faut souvent payer les femmes pour les faire taire. » (8 septembre 1865, p. 4)

Lorsqu’elles ne sont pas l’objet d’une association avec le camp adverse, les femmes sont instrumentalisées par les journaux humoristiques afin de discréditer davantage ceux qu’ils pourfendent. Dans une très large proportion, les textes signés par des femmes – qu’on peut penser fictifs – partagent les mêmes cibles que la rédaction et la confortent ainsi dans sa dénonciation virulente, qui lui est parfois reprochée. C’est le cas de la lettre adressée au rédacteur de La Scie dans laquelle Elmire se moque d’un des acteurs de la Confédération, véritable tête de Turc de ce journal :

M. le Rédacteur,
Vous permettez, je l’espère, à une personne de mon sexe, d’apporter son faible tribut pour l’avancement de votre journal qui tous les jours prend plus de consistance. Une femme ! diront plusieurs de vos lectrices, ne devrait pas se mêler de redresser les mœurs.... là n’est pas son rôle. Pardon, aimables lectrices. La femme, surtout dans un journal comme celui-ci, peut découvrir aux yeux de toute une société le ridicule qui parmi nous, pauvres filles d’Ève, passe pour une qualité. Trève de discussion, je ne viens pas ici faire courbette devant celles qui me liront ; je viens seulement demander aux aimables rédacteurs de ce journal de donner quelquefois asile à mes écrits dans les colonnes de La Scie.
J’ai appris une nouvelle, puis, Dieu merci, M. le rédacteur, elle ne court pas les rues, c’est une nouvelle. À la prochaine session les membres de la chambre d’assemblée ont consenti à siéger dans le casque de l’hon. Langevin, vu le grand remue-ménage qu’a occasionné la promenade des délégués au sujet de la confédération, qui, entre parenthèses, a une si mauvaise influence sur les ministres d’aujourd’hui. (La Scie, 31 décembre 1864, p. 4).

Publier la charge d’un lecteur, d’une femme qui plus est, à l’endroit d’un homme politique a peut-être pour objectif de légitimer les attaques régulièrement menées par les collaborateurs de La Scie. Les interventions d’Elmire sur les lectrices de ce journal humoristique, et sur les « filles d’Ève » en général, semblent répondre au même objectif. Or dans un numéro subséquent, la rédaction démentira la nouvelle annoncée par Elmire : « Il nous fait beaucoup de peine de contredire la nouvelle de Mademoiselle Elmire [...]. Nous nous sommes informés de plus près et nous pouvons assurer le public qu’au contraire, à la prochaine session du parlement le casque de M. Langevin servira de siège pour M. le président de la chambre. » (La Scie, 7 janvier 1865, p. 3) Le texte d’Elmire sert ici de tremplin à la mécanique du rire et à la mise en valeur du professionnalisme de la rédaction de La Scie, qui vérifie la nouvelle au « plus près ». Quand elle ne contredit pas elle-même les textes signés par des femmes, la rédaction publie une lettre d’un correspondant qui les récuse. La parole féminine est donc neutralisée et cette neutralisation fait partie prenante de la mise en représentation de la presse. Le commentaire de la rédaction à la suite de la chronique de Lélia va aussi dans ce sens. Publiée en première page, cette chronique négocie les conditions d’acceptabilité d’un discours politique féminin : « Mais comme je n’aime pas la politique et ses débats arides, j’aime mieux vous retracer les émotions qui ont fait vibrer mon cœur de femme.... [...] Tantôt j’ai cru voir M. Laframboise se lever pour adresser la parole, mais je suis revenue de cette première idée ; l’affaire est impossible, c’était sans doute une illusion d’optique. » (La Scie, 11 février 1865, p. 1-2) Le rédacteur de La Scie profite de l’occasion fournie par la publication de ce texte féminin pour faire l’éloge de la chronique, genre qu’il associe à une femme de petite vertu :

Lélia, notre charmante collaboratrice, a bien voulu nous donner cette semaine la chronique que nous publions sur notre première page. C’est un art que de faire passer devant les yeux du lecteur – comme les tableaux d’une lanterne magique – des figures gaies ou tristes, hétéroclites ou sombres. – La chronique puise partout son sujet, elle butine dans tous les mondes, dans le monde politique comme dans le monde littéraire. – Elle a une allure frétillante, elle porte court la jupe, et parfois elle montre un peu le mollet. Le colifichet est sa parure. Ce n’est pas une vieille avec des lunettes, c’est une pimpante grisette le sourire aux lèvres et la moquerie dans les yeux […] (11 février 1865, p. 2).

Pour conclure, il renchérit : « et c’est un bonheur si parfois on rencontre, sous son rire léger une idée utile, une pensée profonde. » Ainsi, les contributions féminines à teneur politique ou polémique, qu’elles soient réelles ou fictives, servent de ligne de tir pour atteindre deux cibles : la députation politique et les femmes elles-mêmes. L’association entre les femmes et les parlementaires reposant encore une fois ici sur la superficialité et la légèreté des mœurs.

En d’autres occasions, le rétablissement d’un ordre plus traditionnel entre le masculin et le féminin s’effectue sans intervention explicite de la rédaction, mais par la mise en écho de deux nouvelles contiguës. C’est ce qui survient dans l’édition de La Scie illustrée du 23 février 1866. Dans une brève, on peut lire : « Une demoiselle Stebbins, de Chickasaw (Iowa) vient d’être promue à la charge de notaire public. C’est la première femme qui ait exercé un emploi de ce genre. – Ordre » (p. 4) L’absence d’indice manifeste d’ironie ou de sarcasme dans une nouvelle qui présente une femme dans une position habituellement réservée aux hommes peut étonner. Or, si on lit cette brève à la lumière de l’« Histoire du voisin Pierre » publiée dans la colonne précédente, l’effet d’ironie se révèle de façon évidente. En effet, dans cette historiette, on assiste aux nombreux ratés d’un homme qui, pendant une journée, prend la place de son épouse au logis. L’homme est visiblement dépassé par la situation qu’il avait initialement sous-estimée. L’effet miroir créé entre ces deux nouvelles invite le lecteur à projeter la conclusion catastrophique de l’historiette mettant en scène une inversion des rôles masculin et féminin sur la brève annonçant la promotion d’une femme au statut de notaire public. L’interlisibilité étant ici favorisée par l’architecture du journal qui « dissémine les différents éléments d’une argumentation dans plusieurs textes en apparence disjoints les uns des autres » (Cambron, 1999 : 45). La référence à la source, le journal montréalais L’Ordre (1858-1871), organe de l’Union catholique, est peut-être aussi l’occasion d’un dévoiement de la presse sérieuse. Celle-ci présente des nouvelles farfelues, contraires à l’ordre traditionnel, qui peuvent être récupérées telles quelles en contexte humoristique.

Foyers du discours sur le féminin : le débat sur la crinoline

Dans cette architecture journalistique, le feuilleton et les rubriques de « Variétés » constituent des foyers privilégiés de discours sur le féminin. Si plusieurs de ces feuilles humoristiques ne se distinguent pas de la presse sérieuse en publiant les mêmes romans-feuilletons populaires, dont ceux de Ponson du Terrail, ou en consacrant quelques anecdotes au « beau sexe », d’autres, comme La Sangsue, La Mascarade ou La Scie illustrée, semblent retourner le feuilleton contre son public de prédilection : les femmes. Les feuilletons de La Sangsue et de La Scie illustrée relèvent de la physiologie et plus particulièrement de la physiologie de la femme du monde. La Sangsue propose une série d’articles intitulée « Le choix d’une femme », avec pour sous-titre la mise en garde suivante : « Il est absolument défendu aux femmes de lire ceci ». Les femmes y sont classées par type : les orgueilleuses, les avaricieuses, les envieuses et les colériques, dans une volonté de définir une « catégorie humaine » et de « prodigue[r] un savoir sur le monde » (Amossy, 1991 : 49). Tandis que La Scie illustrée fait paraître des physiologies sur les bals, montrant par exemple la superficialité de Madame Beaumonde, puis plus spécifiquement sur les femmes, publiant des extraits ou des aphorismes d’Alphonse Karr ou d’Honoré de Balzac qui brossent un tableau des plus sévères du caractère féminin. Publiés en première page, ces feuilletons orientent la lecture de l’ensemble des livraisons. En plus d’agir comme « prêt-à-penser du lecteur du journal », pour reprendre l’expression de Marie-Ève Thérenty (dans Cachin, 2007 : 76), ces feuilletons, « fonctionnant en miroir par rapport au journal et entendant décrire l’univers géographique et social qui entoure auteur et lecteur » (Thérenty dans Cachin, 2007 : 79), fournissent un inventaire de traits acerbes qui favorise des rapprochements satiriques entre les cibles et les femmes.

L’intégration du féminin dans la mécanique du rire transite également par la question de la mode, laquelle s’avère particulièrement féconde. Cette association étant une constante aussi bien dans la presse humoristique que dans celle qui se veut plus sérieuse, elle constitue une occasion favorable à la comparaison du traitement réservé à la mode féminine, et plus précisément au débat entourant la crinoline, pour cerner les spécificités de ces feuilles humoristiques. Ce débat éclate dans la petite et grande presse au moment où « la crinoline atteint son maximum d’envergure » autour de 1858 (Delbourg-Delphis, 1981 : 23) et suscite des protestations railleuses de la part des rédacteurs et des correspondants des journaux.

Dans Le Charivari canadien, la mode contribue à la mise en représentation du journal dans son rapport d’altérité à la presse sérieuse :

Mais, après tout, les grands journaux, – ceux qui se prétendent sérieux, – ont bien leurs articles de modes, qu’ils encaissent, dans leurs colonnes, avec autant de gravité que si c’étaient de foudroyants éditoriaux ! Pourquoi, nous, pigmées infimes, qui n’avons que la doucereuse prétention de faire rire, pourquoi, comme eux, n’aurions-nous pas, de temps à autres, quelques lignes sur les modes ? Seulement, nous les envisagerons sous un tout autre point de vue et nous en signalerons [...] les côtés puérils et ridicules. (Le Charivari canadien, 24 juillet 1868, p. 2)

En considérant que le traitement que la presse en général réserve aux femmes comporte bien souvent des traits parodiques ou ironiques, de quelle marge de manœuvre bénéficie la petite presse humoristique pour rire des femmes tout en se distinguant de la presse sérieuse ? Le débat entourant le port de la crinoline, qui découle de l’introduction de la cage, c’est-à-dire de cerceaux métalliques qui visent à donner plus d’ampleur au jupon, fournit quelques éléments de réponse. Ce débat se manifeste dans quatre des onze journaux humoristiques dépouillés, soit Le Bourru, La Scie, La Scie illustrée et Le Cyclope. Dans l’édition du Bourru du 1er février 1859, un article intitulé « La crinoline » rapporte que :

Des mouvements actifs et nombreux se font, nous dit-on, dans plusieurs quartiers de la ville, afin de préparer une requête aux Trois Branches de la Législature, demandant l’abolition complète de la crinoline. Ces démarches sont sans doute motivées par les accidents et les déconvenues causés par ces machines circulaires. Nous aimons à prévenir nos aimables lectrices de tous ces mouvements, et nous les mettrons, à l’avenir, au courant de toutes les machinations de ces pessimistes qui s’imaginent que tout est au plus mal dans ce bas monde. Si nous craignons d’être importun, nous conseillerions aux amies de la crinoline de faire signer une contre-requête et de choisir une déléguée bien et amplement crinolisée, pour aller présenter elle-même cette requête.
Nous connaissons trop la galanterie des députés du peuple pour douter un instant que cette démarche aurait tout le bon résultat qu’on peut en attendre, pour faire triompher, encore cette fois, la juste cause de la crinoline. (Le Bourru, 1er février 1859, p. 4 col. 3)

Deux semaines plus tard, dans la livraison du 15 février 1859, Le Bourru rend compte, procès-verbal à l’appui, d’une assemblée en faveur de la crinoline organisée par des femmes aux noms farfelus comme Veuve Brigitte Beau-Mollet née Jambe Fine et les demoiselles Judith Taille-Douce et Catherine Pied-Mignon. Des résolutions sont adoptées, dont celle de « prier la corporation de Québec, de faire un règlement, aux fins d’obliger les propriétaires à faire des trottoirs plus larges, pour faciliter la circulation. » (Le Bourru, 15 février 1859, p. 12) Ces deux articles consacrés à la crinoline feignent de défendre la cause de la mode féminine20, mais cette cause sert plutôt de ligne de tir pour attaquer les cibles habituelles de ce journal, soit la députation, que les charmes féminins peuvent facilement corrompre, et les rédacteurs de journaux adverses sur la base de leurs orientations politiques, et notamment de leur appui au projet de confédération canadienne21 : « Le fusionniste Barthe22 s’est mis à la fenêtre de son bureau éditorial, qui domine le fleuve. Il aurait préféré voir toutes ces crinolines fusionnées en une seule, belle, grande, immense, incommensurable ». Outre le parallèle établi entre l’union des provinces et celle des jupons, Le Bourru trouve également dans ce débat prétexte à se mettre en scène, à démontrer son pouvoir, puisque c’est lui qui signale la menace de l’interdiction et conseille aux femmes de préparer une contre-requête. La présence des cibles ainsi que de l’autoreprésentation du journal témoignent une fois de plus de l’instrumentalisation de figures féminines par la presse humoristique qui se sert de ce débat d’actualité pour proposer une synthèse de son propre fonctionnement en tant que « machine médiatique23 », dont les mots d’ordre sont dénonciation, appropriation, exagération et fictionnalisation. L’effet humoristique est créé ici par les personnages féminins, inventés de toutes pièces, mais aussi par la dimension politique conférée à la crinoline et, par extension, à l’action féminine, fort bien illustrée dans cette résolution : « Qu’un comité de cinq membres, dont le quorum sera de six, soit nommé, aux fins d’aviser aux meilleurs moyens à prendre pour empêcher que le projet d’acte [d’abolir l’usage de la crinoline], cité plus haut, devienne loi.’’ » (Le Bourru, 15 février 1859, p. 11-12) L’assemblée des dames visant à contrer l’interdiction de la crinoline peut donc aussi être interprétée comme une dénonciation de la place que prennent les femmes avec ce vêtement dans la ville, place qu’elles soustrairaient aux hommes. Par cet article, la rédaction du Bourru semble montrer que cette menace risque de s’étendre à la sphère politique.

Quelques coups de sonde effectués dans la petite et grande presse publiée à la même époque ont en effet montré que la crinoline est généralement évoquée pour signaler le trop grand espace que s’approprient les femmes et les conséquences dangereuses qu’entraîne cette appropriation. Bayard, dans Le Fantasque de Côté, qui se réclame de celui de Napoléon Aubin mais qui est dépourvu du mordant de son prédécesseur24, décrit la rencontre avec des femmes en crinoline comme s’il s’agissait d’un duel :

J’arrive en présence de deux jolies dames extrêmement crinolinées et marchant de front. Je veux faire face ; mais je t’en fiche ! Les deux tourelles ambulantes avancent toujours. J’allais décidément laisser libre passage à mes deux embarrassants adversaires et leur accorder tous les honneurs de la lutte lorsque, au moment où je fais un faux pas, la partie latérale de l’une des tourelles me frappa si violemment que je glissai fort lestement dans la boue[.] (10 décembre 1857, p. 31)

Alors que l’un des rédacteurs de L’Artiste relate en ces termes une « Promenade dans la rue Notre-Dame » : « J’étais en verve d’observations poétiques, lorsqu’ayant abandonné le trottoir en faveur d’une crinoline qui accaparait à elle seule la place de huit hommes rangés en bataille, je me sentis vivement heurté au coude par le brancard d’un véhicule qui brûlait le pavé » (10 mai 1860, p. 2). Le journal humoristique montréalais La Guêpe établit, lui aussi, un parallèle entre la crinoline et la Confédération. D’abord, dans la « Chronique de la ‘‘Guêpe’’ » de l’édition du 18 février 1858, on rapporte qu’un

triste accident est arrivé il n’y a pas bien longtemps dans une petite ville qui avait la prétention de vouloir devenir la capitales des Canada. C’était dans la ville de T*** mesdemoiselles F*** et P*** se promenaient près du lieu où se trouve le tuyau ou le tube qui contient le gaz à éclairage et qui avait fait explosion peu de temps avant l’arrivée des demoiselles en question. […] Dans un instant sa crinoline qui malheureusement se trouvait agrandie et fortifiée par d’immenses cercles se trouva remplie de suite d’une assez grande quantité de gaz, et elle commença doucement à laisser la terre et s’éleva dans l’air se trouvant convertie tout-à-coup en vrai ballon. […] On n’en a pas plus entendu parler depuis, mais comme le vent tournait au West elles ont peut-être touché la terre promise en tombant dans la grande ville d’Ottawa, qui deviendra célèbre à plus d’un titre. (La Guêpe25, 18 février 1858, p. 3)

À l’époque, la ville d’Ottawa est en effet en voie de devenir le siège du gouvernement central.

Une perspective d’ensemble des quatre journaux humoristiques de Québec qui interviennent dans le débat sur la crinoline, Le Bourru, La Scie, La Scie illustrée et Le Cyclope, révèle qu’ils sont tous opposés à la Confédération canadienne. Celle-ci est souvent représentée, comme l’a montré Anne Trépanier, sous la forme d’une hydre pour dénoncer le côté ravageur et pervers de ce projet politique. À ces créatures rampantes qui évoquent le mal et la faute est associée la figure d’Ève : « Ève n’est jamais bien loin du serpent, surtout quand on mord le jardin d’Éden – le pays d’avant le changement – pour en créer un autre en absorbant l’ancien ou pour illustrer la tentation de l’annexionnisme. » (Trépanier, 2015 : 31) Le récit articulé autour de la vengeance des femmes qui se construit au fil des différentes rubriques de la livraison du 23 février 1865 de La Scie illustrée rend manifeste l’association entre la Confédération et la menace de la conquête de l’espace public par les femmes. Cette édition s’ouvre sur une illustration représentant une femme d’Ottawa dans une tour à louer voyant venir le déménagement du siège du gouvernement alors situé à Montréal. Sous cette illustration, qui range les femmes du mauvais côté, ici le fédéral, on retrouve le feuilleton intitulé « Une vengeance de femme » qui se termine sur cette réplique de Lafare à Mme de la Sablière « - Il ne s’agit de rien moins que de venger tout votre sexe ». Puis, en page 2, une autre illustration titrée « Perspective que la confédération donne aux familles » montre « un époux en train de battre sa femme pour faire naître en elle la vengeance, moyen que prennent toujours les maris qui veulent divorcer. » (p. 2) Outre qu’elle tend à « tourner en dérision la projection optimiste d’une grande nation unie à l’image d’une famille » (Trépanier, 2015 : 38), cette illustration sert de prétexte à la rédaction qui accuse les artisans de la Confédération de mettre la morale en péril en légiférant sur le divorce. Enfin, la transcription des procédures de l’« Assemblée législative » montre Cartier, Langevin et Chapais, figures étroitement associées à la Confédération, proposer un article à la loi de milice obligeant les femmes à « prendre les armes dans un cas d’invasion » (p. 3). En somme, cette livraison de La Scie illustrée pointe, par des effets de redondance qui renvoient au féminin, la Confédération comme source de dégradation des valeurs, voire d’un désordre entre les sexes susceptible de mener à un renversement de l’autorité. La menace de la mainmise des femmes sur les privilèges des hommes se reflète alors dans la menace du transfert des pouvoirs des provinces vers le fédéral, notamment en ce qui concerne le divorce. Ces journaux humoristiques s’approprient le débat sur la crinoline, qualifié par le très sérieux journal Le Canadien de « mode envahissante », pour dénoncer, à travers lui, la Confédération qui empiète sur les prérogatives réservées aux provinces. Le frottement entre ces deux débats pose le renversement de l’ordre entre le fédéral et les provinces comme étant aussi ridicule que celui de l’ordre entre les hommes et les femmes – la domination d’Ottawa étant assimilée à celle des femmes en crinoline.

Conclusion

Certes, la personnification féminine de la presse et l’association entre les femmes et la mode ne sont pas le propre de ces journaux humoristiques, mais il semble que le contexte de l’humour confère à ces procédés une signification particulière. Les ressorts de l’humour semblent favoriser des amalgames entre les sujets d’actualité qui n’ont aucun rapport a priori, la crinoline et la Confédération par exemple, dans le but de montrer l’envers de la réalité, les dessous. L’un des parallèles qui favorisent le rapprochement entre ce vêtement féminin et ce projet d’union politique est précisément leur caractère fourbe. La crinoline donne du volume à la silhouette en en camouflant les défauts : « La crinoline est très utile parce qu’elle contribue à faire paraître bien, un corps naturellement mal-fait. […] La crinoline avec l’aide d’une robe très longue sert encore à cacher de vilains pieds. » (La Scie illustrée, 26 janvier 1866, p. 4) La peur des difformités dissimulées sous les épaisses jupes féminines coïncide avec la peur de vices cachés dans le projet de Confédération dont les débats se déroulent « derrière les portes closes ». « Les conférences de Charlottetown et de Québec ayant laissé les journalistes sur le parvis, les faiseurs d’opinion sont-ils prompts à décrire les délibérations secrètes comme constituant ‘‘la bête’’, cette idée d’importance capitale tenue publiquement cachée. » (Trépanier, 2015 : 27) L’intégration du féminin à la satire politique paraît contribuer à la marginalité de la petite presse humoristique qui dénonce haut et fort ce que taisent les journaux dits sérieux, exagérant à l’extrême certains aspects pour révéler des zones d’ombre. Ces mélanges et ces amalgames que l’on observe aussi bien dans les sujets traités que dans les effets d’échos et de contamination entre les différentes rubriques obligent la rédaction à quitter « le champ balisé par la référence pour s’enfoncer dans les détours séduisants de l’histoire arrangée, voire entièrement inventée » (Thérenty, 2003 : 323). Par cette porosité entre les régimes référentiel et fictionnel, ces journaux humoristiques « suggèrent, comme le souligne Micheline Cambron, qu’à travers la fiction serait atteint un réel plus juste, la fiction étant ainsi appelée au dévoilement de la vérité » (Cambron, 2005 : 32), mandat dont se dotent la plupart de ces feuilles humoristiques. Ce souci de vérité est également intelligible dans la volonté de révéler la mécanique du journal, notamment par la critique parodique de la presse sérieuse. Même si les représentations de femmes sont nombreuses dans cette petite presse humoristique et qu’elles tendent, par le travail d’amalgame, non seulement à ne pas être cantonnées aux rubriques associées à un lectorat féminin comme le feuilleton, mais à être identifiées à des champs d’activités dont elles sont encore largement exclues, dont les débats politiques, il s’avère que cette présence n’entraîne pas de véritable prise de parole féminine. Dans son premier numéro, Le Charivari canadien avait pourtant invité explicitement les dames à s’exprimer sur la mode de façon ironique :

Les colonnes du Charivari seraient aussi extrêmement flattées de servir de lit aux charmantes productions que quelques-unes de nos lectrices voudraient bien laisser éclore sous leurs jolis doigts roses. Les modes doivent avoir assez de points vulnérables, pour que quelqu’une de leurs victimes puisse y introduire, de temps en temps, la pointe d’un stylet bien aiguisé. (Le Charivari canadien, 5 juin 1868, p. 2)

Or les lectrices de Québec ne paraissent pas avoir saisi l’occasion d’affûter leur plume pour dénoncer les travers de la mode comme leurs homologues françaises. En France, le débat autour de la crinoline a, quant à lui, lancé des carrières de femmes journalistes. C’est le cas de Juliette Adam, dont la lettre à Alphonse Karr, qui se sert du prétexte de la crinoline pour émettre des considérations sur les droits des femmes26, publiée dans l’édition du 20 février 1856 du Siècle, marque son entrée dans le milieu des lettres et sa volonté à devenir écrivain27. Dans la petite presse humoristique de Québec, il y a bien quelques interlocutions féminines, mais elles paraissent toutes relever de la fiction, comme en témoigne encore cette anecdote publiée dans Le Cyclope : « Une dame qu’un mauvais plaisant ennuyait par la critique des crinolines, lui répliqua : - Quand elles ne serviraient qu’à tenir les sots à distance, leur usage serait justifié. » (8 novembre 1865, p. 4)

Les représentations du féminin dans ces journaux humoristiques sont, en somme, plutôt conformes à celles véhiculées dans la presse sérieuse, mais c’est la proximité avec l’actualité politique qui leur donne une coloration particulière. Le rire affecte, dans une certaine mesure, le cloisonnement de la matière, la frontière entre les rubriques journalistiques de même qu’entre le masculin et le féminin. Certes, les stéréotypes féminins sont récupérés pour attaquer les cibles de cette petite presse humoristique, mais les jeux d’échos et de contamination tendent à créer de nouvelles identifications, notamment entre les femmes et la politique. L’empiètement des femmes dans l’espace par le port de la crinoline s’applique aussi bien aux trottoirs, et par extension à la ville, qu’à l’espace du journal.

(Université Laval)

Bibliographie

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WAGNEUR, Jean-Didier, « Le journalisme au microscope. Digressions bibliographiques », Études françaises, vol. 44 no. 3 (2008), p. 23-44.

Notes

1  Ont été exclus du corpus Le Passe-temps (1862), car on n’y retrouve pas de mise en représentation du journal, Les veillées du Père Bonsens puisque le journal s’établit à Montréal après quelques numéros ainsi que L’Électeur (1866-1867), car il est dirigé par les mêmes rédacteurs que La Scie illustrée et que le mandat de ce journal est plus politique qu’humoristique.

2  Le Bourru, journal à l’usage des gens de belle humeur, hebdomadaire dirigé par G.-R. Grenier, se mêle de la politique, même s’il se défend d’être « ni bleu, ni rouge, ni violet, ni tory, ni cleargrit, ni conservateur, ni réformiste, ni fusionniste, etc., etc., il est indépendant, bourru, et n’est l’esclave d’aucun parti. » (1er février 1859, p. 1). Il verse régulièrement dans la polémique, notamment avec Louis-Michel Darveau, fondateur du journal L’Observateur. Le Bourru s’éteint après 46 numéros.

3  Le Grognard, journal amusant, propriété de C.-D. Thériault, qui avait fondé à Montréal Le Loup-Garou sans succès, entendait « publier les actualités les plus comiques et les morceaux de poësie les plus propres à désopiler la rate aux esprits assombris par les ragoûts de la presse contemporaine. » Seuls trois numéros ont paru.

4  Fondé par J.-G. Aubut, le journal La Lime, dont la devise est « Sciera bien, qui sciera le dernier », avait pour objectif d’asséner « le coup de Jarnac » à La Scie. Le publication s’interrompt après seulement deux numéros (18 novembre 1863 et 23 janvier 1864).

5  L’Écho des imbéciles est fondé par un ancien collaborateur contrarié de La Scie et ne dure que le temps d’un numéro.

6  Dirigé par E. Vincent, La Mascarade compte Napoléon Aubin, fondateur du journal Le Fantasque, parmi ses collaborateurs. La Mascarade s’en prend à La Scie, au Canadien et à La Minerve. Il publie des feuilletons canadiens et prétend « être le seul journal du pays qui aît un feuilletoniste à sa disposition » (21 novembre 1863, p. 3).

7  La Scie est une propriété de L.-P. Normand et de F. Barbeau dont la publication s’échelonne sur 36 numéros. Le journal se moque des maîtres de l’Université Laval et de certains écrivains liés à l’École patriotique de Québec, dont Louis-Honoré Fréchette, Antoine Gérin-Lajoie et Joseph-Charles Taché, ainsi que d'Hector Berthelot.

8  Fondé par le prolifique L.-P. Normand, Le Cyclope paraît quatre fois entre le 8 novembre et le 6 décembre 1865 et se veut « un journal littéraire en même temps que satirique ». « En disant littéraire nous ne voulons pas dire que notre prose sera irréprochable, mais nous voulons insinuer qu’elle sera supérieure à celle de La Scie Illustrée, véritable pot-pourri d’expressions vulgaires et d’images algonquines. Notre but, c’est de plaire aux lecteurs et de l’amuser et non pas de traîner dans l’égout les réputations des citoyens respectables. » (8 novembre 1865, p. 2)

9  La Scie illustrée voit le jour grâce à l’initiative de A. Guérard, ancien collaborateur insatisfait de La Scie à qui il reproche de manquer de virulence dans son opposition au projet de Confédération canadienne. Ce journal fera paraître 65 numéros.

10  La Sangsue, journal critique et satirique, de propriétaire anonyme, fait œuvre de justicier en annonçant qu’elle « se faufilera partout, elle saura se rendre invisible lorsque nécessaire, elle saura bien s’introduire dans tous les petits comités où se trament très souvent des complots de corruptions et d’injustices » (14 septembre 1867, p. 2). La publication s’interrompt le 21 septembre 1867 après deux numéros.

11  Le Charivari canadien, journal pour rire, fondé par X. Pépin, a pour ligne directrice « de rendre service à la société en général, en critiquant les défauts trop apparents des individus qui la composent » (5 juin 1868, p. 2). De plus courte durée que son homologue français Le Charivari (1832-1937), Le Charivari canadien paraît à 24 reprises entre juin et novembre 1868.

12  Fondé par Louis Frasse Plainval, L’Omnibus, journal humoristique, amusant, drolatique, surtout pas politique, par-dessus tout très peu littéraire a pour mandat de « [f]aire rire, si c’est possible, les gens trop sérieux, empêcher de pleurer ceux qui n’en ont pas envie. » (14 août 1869, p.  2) L’Omnibus disparaît après quatre numéros.

13  Il semble y avoir les prémices d’une « association entre de grandes plumes et les premiers caricaturistes » dans cette petite presse humoristique de Québec (Robert Aird et Mira Falardeau, Histoire de la caricature au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2009, p. 42). Dans le dernier numéro de La Scie, on fait référence dans un avis aux lecteurs à la présence d’un caricaturiste dans l’équipe de rédaction : « Lorsque nous avons commencé la publication de notre feuille, nous avions avec nous des écrivains et un caricaturiste qui méritent à tous égards les louanges les plus sincères, et qui, aujourd’hui, se trouvent obligés par les circonstances d’abandonner la rédaction de La Scie. » (11 mars 1865, p. 2) Le Charivari canadien compte aussi dans ses rangs un caricaturiste : « De plus, nous avons eu le bonheur d’enrôler sous notre bannière un jeune caricaturiste que Cham ne désavouerait pas pour un de ses plus brillants élèves. Le fertile et alerte crayon de notre jeune ami se plaira surtout à parcourir les vastes et rocailleux domaines de la politique. » (5 juin 1868, p. 1)

14  Dans La Presse québécoise des origines à nos jours, André Beaulieu et Jean Hamelin se demandent « si la date de L’Écho est fictive. S’agit-il bien de l’année 1863 ? Nous l’ignorons. Toutefois si le millésime était également fictif, le rédacteur de L’Écho pourrait faire allusion aux querelles qui, en février 1865, marquèrent la rupture de Normand et de Gérard et ainsi le remplacement de La Scie par La Scie illustrée. » (T. II, 1975, p. 36)

15  La Scie, 4 novembre 1863, p. 2.

16  La Scie, 11 novembre 1863, p. 2.

17  Le débat sur le projet de Confédération canadienne s’amorce dès 1864, mais l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’entrera en vigueur que le 1er juillet 1867. Il marque l’union des colonies britanniques, d’abord celles du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de l’Ontario auxquelles se joindront progressivement le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard, le Yukon, l’Alberta, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et finalement le Nunavut. Cette union, vigoureusement critiquée par la presse libérale au cours de la décennie 1860, institue les nouvelles lois qui seront en vigueur au pays et répartit les pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement, provincial et fédéral.

18  La Scie illustrée, 4 mai 1866, p. 4.

19  Dans cette caricature de Jean-Baptiste Côté, la Confédération « est représentée par une hydre à sept têtes, chevauchée par Georges Brown, encensée par Cartier et Cauchon, et s’apprêtant à avaler le mouton sacrificiel, le Québec. Côté avait d’abord le souci du message, et notons que Cartier, présenté comme un traître à la nation, porte les signes distinctifs d’un Patriote de 1837, soit la tuque et la chemise d’habitant. » (Aird et Falardeau, 2009 : 36)

20  Cette duplicité est notamment manifeste par la fictionnalisation des noms de femmes présentes à l’assemblée en faveur de la crinoline. Ces noms renvoient aux parties du corps féminin artificiellement magnifiées par la crinoline : « Cachant totalement, du bassin aux talons, les formes réelles du corps féminin, cet édifice magnifie les formes irréelles d’un corps idéal où le pied minuscule et cambré viendrait soutenir un mollet nourri, une cuisse ronde sous une croupe grandiose et des hanches monumentales. Mais parmi les fantasmes qu’elle éveille, rôde aussi la crainte de se faire flouer par des apparences trop flatteuses pour être vraies. » (Perrot, 1981 : 196)

21  La caricature publiée dans le journal humoristique montréalais Le Perroquet le 27 mai 1865 établit, elle aussi, une association entre la crinoline et la confédération. Intitulée « Les femmes, Haut et Bas Canada, avec John Bull », cette caricature montre des femmes se promenant au bras de John Bull. Sur leur ample crinoline, qui enveloppe John Bull pour se rejoindre, on peut lire les mentions « Haut Canada » et « Bas Canada ».

22  Joseph-Guillaume Barthe est le rédacteur du journal Le Canadien.

23  J’emprunte l’expression à Marie-Ève Thérenty dans « Parodies de journaux ou journaux pour de rire », p. 270.

24  André Beaulieu et Jean Hamelin, La Presse québécoise….., t. I,  1973, p. 209.

25  La Guêpe semble faire campagne contre la crinoline en publiant toute une série d’articles dénonçant cet « ornement du beau sexe » qui force, notamment, le rédacteur à sortir « armé de [s]on antidote, au milieu des Crinolines, qui ne tarderont pas à [l]e faire disparaître sous leur puissant volume » (18 décembre 1857, p. 3) Parmi les nombreux imprévus rapportés, on retrouve l’incendie d’une crinoline (10 mai 1858, p. 3) ainsi que le cas d’une « crinoline abritant un hibou » (14 septembre 1858, p. 1). Comme si les incidents locaux ne suffisaient pas à convaincre les lecteurs et les lectrices de la nuisibilité de la crinoline, on cite également ce fait divers tiré d’un journal européen : « ‘‘Une belle Hanovrienne a été récemment condamnée par le tribunal du lieu à six francs d’amende pour s’être (c’est la formule textuelle du jugement) emparée seule pendant quelques heures du trottoir devant son domicile au grand détriment de la circulation publique. » (7 septembre 1858, p. 7)

26  On peut y lire, entre autres : « La femme, changée en compagne égale de l’homme, a vendu son égalité et sa liberté pour quelques mètres d’étoffes » ou encore : « En effet, les anneaux que l’on met aux oreilles et aux doigts sous le nom de pendeloques ou de bagues, sont pour la femme un signe de servitude. Tout anneau fait partie d’une chaîne. » (Le Siècle, 20 février 1856, p. 1-2)

27  Dans ses Mémoires, elle relate ainsi sa réaction à la suite de la publication de son texte : « Je songe à ma grand’mère, à ma bien-aimée morte, dans cette même chambre où elle m’est apparue, et je m’écrie : ‘‘Grand’mère, je serai un écrivain !’’ J’envoie l’article à mon père et lui explique ses pourquoi. ‘‘Enfin, me répondit-il, je vois là pour la première fois une promesse de talent.’’ » (Mes premières armes littéraires et politiques, Paris, Alphonse Lemerre, 1904, p. 27) À ma connaissance, seule l’intervention de Clara Chagnon, femme de lettres canadienne-française qui publie des poèmes et un roman, « Les fiancés d’outre-tombe » (1869), dans la presse, peut se comparer au texte de Juliette Adam. L’adresse de « Clara » « Aux messieurs », parue dans l’édition du 18 mars 1867 du journal humoristique montréalais La Guêpe, signe l’abandon de la crinoline au profit de la jupe courte tout en réclamant, pour les femmes, le droit de gouverner en matière de mode féminine sans être « donn[ées] en pâture au public pour quelques peccadilles bien excusables du reste ».

Pour citer ce document

Mylène Bédard, « Quand le féminin se mêle à la satire politique. Le cas de la petite presse humoristique de Québec dans les années 1860 », Les journalistes : identités et modernités, actes du premier congrès Médias 19 (Paris, 8-12 juin 2015). Sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-journalistes-identites-et-modernites/quand-le-feminin-se-mele-la-satire-politique-le-cas-de-la-petite-presse-humoristique-de-quebec-dans-les-annees-1860