Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations

« Mystères urbains » en France, « Mystères urbains » en Chine : des perspectives incomparables ? [résumé en chinois disponible]

Table des matières

SHIH-LUNG LO et YVAN DANIEL

Le genre narratif fut longtemps mésestimé par la tradition lettrée chinoise et c’est en 1923-1924 seulement que l’écrivain et critique Lu Xun 鲁迅 (1881-1936) publia ce qui est considéré comme la première histoire littéraire en ce domaine, sous le titre de Brève Histoire du roman chinois. Au début de cet ouvrage, l’auteur explique d’abord que la plus ancienne occurrence du mot qui signifiera « roman », xiaoshuo小说, désigne à l’origine dans le Zhuangzi 庄子les discours qui permettent de s’attirer la gloire, mais par des propos futiles, des histoires anecdotiques, sans réelle profondeur. Confucius, de la même façon, s’était détourné de l’anecdote littéraire, et avait conseillé de faire de même : « Si étroits que soient les chemins, ils méritent d’être explorés, mais à aller trop loin, il faut redouter de s’enliser. Aussi l’honnête homme ne s’y engage-t-il pas. (虽小道,必有可观者焉,致远恐泥。是以君子不为也)1.»Ces réticences de la tradition n’empêchent pas évidemment une immense production tout au long de l’histoire chinoise :par la suite, le sens du terme xiaoshuo évolue pour regrouper les récits d’événements surnaturels ou extraordinaires, des récits et des anecdotes très diverses, en prose, qui peuvent être brefs et ainsi rappeler les formes occidentales du « conte » ou de la « nouvelle ». On range aussi dans les xiaoshuo les essais, les compositions à sujet moral, esthétique ou littéraire, de même que les textes critiques et les remontrances.

Lu Xun explique aussi dans ces pages que ce courant de productions est souvent hérité d’un corps de fonctionnaires impériaux, les baiguan (稗官, littéralement « petit fonctionnaire ») qui étaient spécialement chargés de collecter les rumeurs, les on-dit, les récits courant dans les rues2. Ce fonctionnaire original, dans une comparaison moderne, rappelle, en même temps que l’auteur, le journaliste, l’ethnographe, l’homme de lettres et le mouchard, et semble bien déjà évoluer au cœur des « mystères urbains ». On voit ainsi qu’en remontant à l’origine du « roman » dans la tradition chinoise, le genre est exclu de la tradition lettrée confucéenne, son origine et son essence semblent ainsi plus « populaires ». À la charnière des XIXe et du XXe siècles, c’est justement cette caractéristique « populaire » qui attire l’attention des lettrés réformistes, comme Liang Qichao 梁启超 (1873-1929) : « Renouveler le roman d’un pays, écrit-il, si l’on veut renouveler le peuple3 ». Pour cet idéaliste participant à la réforme politique éphémère de 1898, un réformiste peut intégrer des considérations politiques dans un roman, et communiquer avec efficacité au grand public ses idées à l’aide de ce genre littéraire, parce qu’il est accessible au plus grand nombre. Chez lui comme chez ses successeurs, le roman est ainsi réévalué et classé au premier rang dans la hiérarchie littéraire. Si c’est souvent la fonction sociale qui intéresse les intellectuels de l’époque, leur engagement dans la recherche d’un « nouveau » roman, qu’il s’agisse de la forme, de la langue, des sources, etc., favorise alors le développement et l’exploration du genre xiaoshuo dans la Chine moderne.           

On pourrait donc être tenté ici d’un premier rapprochement, dans une perspective comparatiste très générale, pour constater que, de la même façon, en Europe, le roman s’est longtemps trouvé dévalué par comparaison avec les autres genres, après les genres religieux et théologiques, bien sûr, mais aussi bien au-dessous de la poésie et de la tragédie. Mais ce rapprochement est tout de surface, car les traditions, les motivations littéraires ou intellectuelles, les chronologies, les contextes diffèrent tous en l’occurrence très fortement : ils semblent incomparables, puisque les traditions intellectuelles et culturelles chinoise et française se sont développées quasiment sans contact jusqu’au XIXe siècle – au moins jusqu’au XVIe. Ce n’est donc pas une mise en rapport à proprement parler fondée sur des « comparaisons » que nous voudrions présenter ici. Nous leur préférerons quelques synthèses dans le projet de mettre à la disposition du lecteur les éléments nécessaires afin de « construire des comparables4 », pour reprendre la formule de Marcel Détienne. Ces synthèses sont des mises en perspective : par rapport à la chronologie des travaux du projet, centrée sur le XIXe siècle, elles vont d’abord marquer, et en partie expliquer, un effet de décalage vers le XXe siècle, en large part dû à l’histoire politique et intellectuelle de la Chine, dont il faudra brièvement rappeler les étapes majeures. Cette histoire, dans la dernière partie du XIXe siècle et plus encore au début du XXe, est liée à une autre histoire, celle de la naissance et du développement de la presse moderne en Chine, qu’il est nécessaire d’envisager pour élaborer là aussi une perspective comparable quand il s’agit des « mystères urbains », dont tous les travaux présentés ici ont montré qu’ils dépendaient étroitement de l’histoire de la presse et du développement de nouveaux lectorats.

Ces mises en perspective, pour autant, ne sont pas des mises en parallèle : le sous-titre de la publication, Circulations, Transferts, Appropriations, indique des rencontres, des contacts littéraires, des effets de transfert, mais aussi de transposition et d’adaptation. On les examine ici à partir de l’œuvre française d’Eugène Sue (1804-1857), Les Mystères de Paris5, en éclairant cette fois l’histoire des publications et des traductions ou adaptations de ce texte en chinois. Ces éléments permettent d’ouvrir la dernière perspective, à partir des histoires littéraires chinoise et française au tournant des XIXe et XXe siècles, qui feront l’objet du dernier point.

Contextes historiques, politiques et culturels

1842 est pour nous la date d’un départ, à partir d’une coïncidence : l’année de la publication en feuilleton des Mystères de Paris en France est aussi celle de la signature du Traité de Nankin, premier des « traités inégaux » que la Chine signa avec les nations occidentales comme la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, les États-Unis, etc., ainsi que la Russie et le Japon, qu’on appelle alors les « Puissances ».Les années 1840 sont ainsi celles de l’ouverture de la Chine à la présence et à l’activité occidentales, après sa défaite dans la guerre de l’Opium. La révolte des Taiping (1851-1864) a laissé un peu plus tard les plus conservateurs autour de l’impératrice Ci Xi 慈禧 (1835-1908), que les Occidentaux appellent Tseu-Hi. Ces désordres sociaux, le développement démographique important dans cette période, et l’ingérence de plus en plus active des Occidentaux fragilisent l’Empire, devenu « hypocolonie » selon la formule de Sun Yat-sen 孙文(1866-1925). L’influence du Japon, ouvert à l’Occident depuis la modernisation de l’ère Meiji 明治(règne : 1867-1912), se fait aussi sentir pendant cette période. Mais en 1898, la tentative de réforme et de modernisation à l’Occidentale de la Chine avait échoué après les « Cent Jours » de l’empereur Guangxu 光绪(1871-1908 ; règne : 1875-1908). Dans ces années déjà, il existe donc un mouvement « moderniste » ou « occidentaliste » chinois, qui ne sera pas étranger à la naissance et au développement de la presse. La dynastie des mandchous Qing (1644-1911) se maintient après la guerre des Boxers (1900), mais finit par être définitivement renversée lors de la révolution de 1911. C’est alors la première République chinoise, avec Sun Yat-sen et Yuan Shikai 袁世凯, qui tente de rétablir l’empire à son profit en 1915. Après sa mort l’année suivante, la Chine entre dans la période chaotique des « Seigneurs de la guerre ».

Toute la période de la fin des Qing au début de la République est aussi très intense du point de vue du bouillonnement intellectuel, culturel et littéraire. L’éducation à la japonaise ou à l’occidentale s’introduit en Chine, les enseignements confucéens sont marginalisés et les concours mandarinaux sont abolis en 1905. Le débat sur la modernisation de la langue, qui remonte à la fin du XIXe siècle et dont l’idée se consolide dans l’essai de Hu Shi 胡适(1891-1962) souvent cité6, aboutira à l’adoption générale du chinois parlé (白话baihua) dans les années 19207. Le Mouvement politique et culturel du Quatre-Mai 1919 (五四运动), dont l’origine est une indignation populaire contre la prise par le Japon de l’ancienne concession de l’Allemagne en Chine à la suite du traité de Versailles (28 juin 1919), finit par une exigence de modernisation de l’éducation, appelant à une rupture radicale avec les Classiques tout en portant un intérêt enthousiaste à la culture occidentale.C’est une période très intense de traductions et de diffusion de ces traductions, à partir de toutes les langues occidentales, et sur tous les sujets – techniques et scientifiques, juridiques, politiques mais aussi historiques et littéraires. Cependant, si le Mouvement du Quatre-Mai marque l’apogée de la (re)naissance d’une nouvelle culture chinoise, la vague de traductions des œuvres occidentales avait été en fait initiée dès la fin du règne des Qing. De 1840 à 1911, plus de 2 500 titres de romans étrangers ont été traduits en chinois8. Lu Xun est lui-même un grand traducteur, qui a présenté les œuvres de Jules Verne, entre autres, aux lecteurs chinois.

Naissance de la presse moderne en Chine

Cette période de bouleversement essentiel dans l’histoire de la Chine est aussi celle de la naissance et du développement de la presse. La date la plus souvent donnée pour l’apparition de la presse moderne dans l’Empire du Milieu est liée à la présence occidentale : c’est en août 1815 que paraît le premier numéro du Chinese Monthly Magazine (Cha shi su mei yue tong ji zhuan察世俗每月统记传), sous la direction de Robert Morrison (1782-1834), missionnaire écossais protestant secondé par son collègue William Milne (1785-1822). Ce journal mensuel gratuit – d’abord tiré à cinq cents exemplaires puis deux mille – est le premier journal au sens moderne à rompre le monopole impérial de la presse, car l’empire publie une Dibao邸报,« Gazette impériale », contenant des informations officielles destinées aux lettrés fonctionnaires (décisions, rapports, nominations, promotions, mutations…), imprimées au moins depuis les Song (960-1279) ou même les Tang (618- 907). Les religions étrangères étaient alors interdites sur le sol chinois et la presse missionnaire entendait ainsi développer un prêche écrit, c’est pourquoi le ChineseMonthly Magazine est publié à Malacca, alors possession britannique. Jusqu’à son dernier numéro paru sous ce titre en 1821, ce journal est réputé, en plus du contenu religieux, pour ses articles de vulgarisation scientifique.

En Chine continentale, les créations de ces titres de journaux et de revues n’explosent réellement que plus tard, ils se développent progressivement à partir des décennies 1860 et 1870 : en 1861, le premier journal chinois au sens moderne voit le jour à Shanghai, sous le titre Shanghai xin bao上海新报(avec un titre en anglais figurant dans le journal : The Chinese Shipping List & Advertiser, 1861-1872). Pendant la révolte des Taiping, il permet aux citoyens de Shanghai de saisir dans un premier temps l’actualité relative aux conflits militaires entre les autorités et les indignés.Ces publications nouvelles permettent notamment l’introduction des sciences occidentales, la diffusion de traductions toutes inédites, la découverte de l’Occident sous forme de récits de voyage de diplomates ou de fonctionnaires… Elles auront un impact sur la formation de certains futurs « modernistes », mais leur diffusion vers le grand public reste toute relative, principalement dans les zones urbaines et côtières, et dans des tirages qui restent assez limités. Xinwen Bao新闻报 (littéralement « La Presse », 1893-1949), journal basé à Shanghai et le plus diffusé en Chine à la fin du XIXe siècle, est tiré à 12000 exemplaires par jour en 18999, alors que la population de la Chine de la même époque est de quatre cents millions.

Il faut aussi citer le titre du Shun Pao (ou Shen Bao申报, 1872-1949), fondé en 1872, dans la même ville. De l’époque impériale à la Chine communiste, en passant par le régime républicain, durant soixante-dix-sept ans cet organe de presse témoigne de l’évolution de la société chinoise. L’importance du Shun Pao se manifeste particulièrement sur la traduction des romans occidentaux et le reportage concernant les faits divers. Dès l’année de sa création, Shun Pao publie les premiers romans occidentaux traduits par les Chinois eux-mêmes. En 1873-1874, Shun Pao s’engage par exemple dans un reportage sur un cas judiciaire concernant Yang Naiwu 杨乃武et Xiao Baicai 小白菜 (« Petit chou »), tous deux accusés d’adultère. L’enquête effectuée par les journalistes, publiée quotidiennement dans le journal, amène le public à creuser les « mystères urbains » et dévoile les coulisses d’une justice corrompue. Par ailleurs, pour devenir plus populaire encore, Shun Pao publie dès 1876 un supplément rédigé en langue parlée (baihua). Plusieurs écrivains que nous allons citer ci-après, comme Cheng Jinghan 陈景韩et Zhou Shoujuan 周瘦鹃, sont eux aussi rédacteurs ou contributeurs pour le Shun Pao.       

Cette presse introduit certains des plus importants et profonds bouleversements nés du contact avec l’Occident : par les informations qu’elle diffuse, mais aussi en instaurant une nouvelle temporalité, de nouvelles périodicités, de nouvelles datations, puisqu’en Chine les années se comptaient à partir du début du règne en cours. Ces nouvelles représentations du monde et des histoires et chronologies étrangères s’accompagnent de bouleversements dans l’écriture et la langue elles-mêmes, et bien sûr dans la création littéraire, par la découverte d’auteurs nouveaux et d’œuvres jusque-là jamais traduites.

Traduction et diffusion des œuvres occidentales dans la presse

Dans ce contexte de floraison des titres de presse, les milieux naissants du journalisme, d’abord liés aux missionnaires, constituent un creuset de formation original, qui donnera plusieurs générations de « lettrés » reconvertis dans la presse ou de jeunes auteurs pour partie instruits sur le modèle occidental. Au XXe siècle, ils ne deviendront pas seulement journalistes, mais aussi souvent romanciers, feuilletonistes, traducteurs, parfois professeurs ou chercheurs. C’est dans cet original vivier pluriculturel et plurilingue qu’on trouve les médiateurs, traducteurs ou adaptateurs des « mystères urbains » occidentaux, et plus précisément d’abord des Mystères de Paris d’Eugène Sue.

Là aussi, on remarque que l’histoire des traductions est marquée par un net décalage et des effets de déséquilibre dans les productions, les publications et leurs modes de diffusion. De la Chine à la France, au début du XIXe siècle, seuls quelques textes historiques et littéraires – souvent, pour le domaine littéraire, des pièces de théâtre et des contes – sont traduits et publiés par la sinologie française, presque confidentiellement, ils sont diffusés dans des cercles savants et littéraires assez restreints. Une renaissance de la sinologie se concentre sur la traduction des Classiques et des grands textes taoïstes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, mais ces textes sont toujours peu diffusés, peu connus du grand lectorat français. Publiés à partir des années 1890 par les Jésuites, les Classiques attirent alors l’attention de l’Europe savante et littéraire, mais ils sont traduits précisément dans les années où la Chine commence de son côté à les abandonner. Il faudra ensuite attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour pouvoir disposer en français de traductions fiables des grands romans chinois.

Du côté chinois, si la culture et les grands textes occidentaux ont été généralement ignorés ou interdits jusqu’au début du XIXe siècle, la fin du XIXe siècle et les premières années du XXe sont bouleversées par un fort intérêt pour la culture et les sciences occidentales, en même temps que par un débat, parfois violent, portant sur les mérites comparés de la tradition chinoise et de l’occidentalisation. À partir des années 1900-1910, plus encore dans les années 1920, les publications de traductions sont très nombreuses : la première « traduction » des Mystères de Paris d’Eugène Sue apparaît assez tôt dans cette histoire, c’est-à-dire en 1904-1906. Or, du point de vue de l’histoire des textes et des « traductions », la situation est particulièrement trouble dans ce tournant des XIXe et XXe siècles, il n’existe pas de législation ni de droit d’auteur légalement institué. Les rôles et les statuts des différents acteurs de la presse (journaliste, auteur, feuilletoniste, traducteur, adaptateur, éditeur…) restent souvent ambigus, d’autant que de nombreux textes sont publiés anonymement, ou sous différents pseudonymes. Ces textes de toutes natures – articles, récits, traductions ou adaptations – sont repris tout à fait librement d’un titre à l’autre, souvent modifiés, sans qu’il soit fait systématiquement référence aux auteurs ou aux sources originales, y compris pour les textes traduits ou adaptés.

Dans la première période qui nous intéresse d’abord, le terme de « traducteur » devrait sans doute laisser la place à celui de « médiateur ». L’exemple le plus souvent cité pour cette première période est celui du traducteur fameux Lin Shu 林纾 (1852-1924), qui publia dès 1898 plus de cent cinquante romans occidentaux « traduits »10, sans parler aucune langue autre que le chinois, mais en adaptant des relations orales que lui faisaient ses amis. On trouve alors des exemples de toutes sortes de médiations qui ne se limitent pas à la traduction au sens actuel donné à ce terme : des transcriptions ou des adaptations à partir d’échanges oraux, comme chez Lin Shu, des résumés, ou encore souvent destraductions au carré, à partir de traductions intermédiaires généralement en japonais ou en anglais.

Les Mystères de Paris d’Eugène Sue découverts par les Chinois

C’est dans ce contexte que la première version chinoise des Mystères de Paris est publiée en feuilleton à Shanghai, de 1904 à 1906, dans une revue littéraire, Xinxin xiaoshuo 新新小说 (littéralement « Néo-Nouveau roman », 1904-1907, dix numéros), qui vient d’être créée. Son rédacteur en chef, Chen Jinghan (1878-1965), n’est autre que le traducteur des Mystères de Paris11. Ayant résidé deux années au Japon (1900-1902), Chen Jinghan s’est fait connaître dès 1904 comme rédacteur en chef du Shi Bao (时报, avec un titre en anglais figurant sur le journal : Eastern Times, 1904-1939), titre financé par les réformistes Kang Youwei 康有为 et Liang Qichao, alors en exil. La nouveauté du Shi Bao réside dans sa rubrique intitulée « xiaoshuo » réservée aux feuilletons et nouvelles, dont la plupart sont des œuvres traduites de langues occidentales. C’est probablement le premier journal chinois à grand tirage qui met ainsi en valeur le genre romanesque. Sous le pseudonyme de Leng (冷, « froid ») ou Leng Xue (冷血, « sang froid »), Chen Jinghan publie régulièrement ses traductions en chinois classique (wenyan文言) ou en chinois parlé (baihua). Hu Shi, dans un article consacré à l’histoire duShi Bao, loue d’ailleurs les traductions en baihua de Chen Jinghan et les considère comme les meilleures de l’époque12.       

Dans Xinxin xiaoshuo, la traduction des Mystères de Parisparaît dans la rubrique des « récits d’événements extraordinaires du monde entier », avec une indication générique, xu叙, « récit », sous le titre Bali zhi mimi巴黎之秘密(« Les Secrets de Paris »). La première source de cette traduction est japonaise, comme le préfacier l’explique lui-même en rendant hommage à son auteur, appelé Baoyian Zhuren抱一庵主人dans le texte chinois. Il s’agit de Hara Hoh-itsuan 原抱一庵 (1866-1904), le traducteur japonais des Mystères de Paris d’Eugène Sue, qui ne fut d’ailleurs pas le premier pour cette langue13. La traduction de Hara Hoh-itsuan avait d’abord été publiée en 1904 en feuilleton dans l’Asahi Shinbun 朝日新聞, l’un des plus grands quotidiens du pays, fondé en 1879, puis reprise en volume la même année14. Dans la préface de la version chinoise, Chen Jinghan, pour justifier le choix de ce roman, cite Hara Hoh-itsuan, qui défendait l’idée que l’œuvre d’Eugène Sue était supérieure à celle de Victor Hugo en mentionnant Les Mystères de Paris et Le Juif errant (1845). Ce traducteur japonais travaillait lui-même à partir de la traduction en anglais de l’œuvre d’Eugène Sue, de sorte que nous avons ici affaire à une traduction au cube, à considérer sur plus d’un demi-siècle. L’étude traductologique précise et complète des rapports qu’entretiennent les quatre textes – français, anglais, japonais et chinois – qui aboutissent à la première traduction chinoise suscitera d’autres travaux. On remarquera pour l’instant ici qu’il s’agit d’une approche partielle, limitée à la première partie du roman. On ne peut la considérer comme une « traduction » au sens scientifique et actuel du terme, mais plutôt comme une adaptation-traduction, qui prend de nombreuses libertés en adaptant le texte ou en le résumant. Chen Jinghan introduit aussi une dimension fantastique dans cette atmosphère « parisienne », en justifiant dans sa préface cet apport original par les habitudes de lecture et le goût du public chinois.

Quelques traductions abrégées apparaissent au début des années 198015. Il faut ensuite attendre 1982 pour voir paraître une nouvelle traduction complète, reprenant quasi à l’identique le titre de l’ancienne : 巴黎的秘密16Bali de mimi (« Les Secrets de Paris »), due cette fois à un traducteur dont la réputation est tout à fait établie, Cheng Yuting 成钰亭 (1910-1982). Cheng Yuting, qui avait séjourné et étudié en France au tout début des années 1930, avait déjà traduit d’autres auteurs français – par exemple le Gargantua de François Rabelais –, il était ainsi bien mieux préparé pour composer une traduction d’une telle ampleur, à partir cette fois du texte français original. Sa nouvelle version, sur deux volumes et plus de mille cinq cents pages, est accompagnée de notes biographiques ou culturelles, et précédée d’une introduction dont la lecture est essentiellement politique. L’ouvrage paraît dans le sillage de ce qu’on a pu appeler la « renaissance littéraire postmaoïste », cette période, qui commença en 1979 avec l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, permit l’introduction ou la réintroduction de nombreuses œuvres occidentales du XXe siècle – comme Jean-Paul Sartre ou Franz Kafka –, et comme on le voit du XIXe. Il faudra donc prendre en considération deux étapes majeures dans le transfert de l’œuvre d’Eugène Sue en Chine, ces deux étapes correspondant à des contextes, à des situations, à des conceptions de la traduction très différentes, et se fondant sur des sources distinctes. Elles confirment aussi les effets de décalage vers le XXe siècle – et même la fin du XXe siècle dans la deuxième étape – qu’expliquent les contextes historiques, politiques, liés à l’histoire de la presse que nous avons présentés.

Mystères urbains : héritage littéraire, inspiration de l’étranger

Si l’on peut donc dater de 1904 la première introduction des « mystères urbains » françaisà partir du texte fondateur d’Eugène Sue, il faut mesurer prudemment l’influence de l’introduction de ces thématiques dans la littérature chinoise et auprès de ses auteurs. Certes, les thématiques des « mystères urbains » apparaissent dans la création littéraire de l’époque, y compris dans le format sériel de la presse ou des revues, mais plusieurs autres origines, tant chinoises qu’occidentales, doivent être envisagées.

L’étonnante version chinoise adaptée des Mystères de Paris en 1904 est introduite à Shanghai par un auteur qui deviendra par la suite le rédacteur en chef d’une revue influente de cette ville ; avec un collègue lui aussi journaliste et traducteur réputé, Bao Tianxiao 包天笑 (1876-1973), Chen Jinghan devient en 1909 le responsable de la revue Xiaoshuo shibao小说时报 (avec un titre en anglais figurant dans le journal : Fiction Times, 1909-1917, trente-trois numéros et un supplément), revue financée par le même propriétaire que le journal Shi Bao. Dans cette revue mensuelle17, de nombreuses nouvelles sont traduites de langues occidentales.Ces auteurs seront rangés avec d’autres dans le mouvement littéraire des « canards mandarins et des papillons » (鸳鸯蝴蝶派,yuanyang hudie pai), qui réunit des romanciers, auteurs de nouvelles ou feuilletonistes, des traducteurs, des adaptateurs ou médiateurs, qui étaient parfois aussi journalistes, auxquels on doit de très nombreux récits, à partir des années 1900, mais surtout dans les années 1910-1920, et jusque dans les années 1930 pour les plus tardifs. Ces récits ont été rangés dans quelques catégories bien identifiées18 : les récits amoureux (爱情小说, aiqing xiaoshuo), si nombreux que ce mouvement sera par la suite taxé de sentimentalisme et de simplisme, les récits « policiers » qui mettent en scène un détective ou un juge (偵探小说, zhentan xiaoshuo), les récits du chevalier ou du justicier errant (武侠小说,wuxia xiaoshuo), enfin les récits à scandale (黑幕小说, heimu xiaoshuo). Les thématiques et les personnages typiques des « mystères urbains », au sens le plus large, si ce ne sont pas toujours exactement ceux inspirés des Mystères de Paris d’Eugène Sue, peuvent apparaître dans toutes ces catégories. L’atmosphère urbaine caractérise généralement le récit « policier », de même que le récit à scandale, fréquemment développé à partir d’un fait divers ou d’un crime, lié à l’actualité par des jeux d’allusions – qui vont parfois jusqu’au règlement de compte ou à la dénonciation littéraire19. Dans ce cadre, de nombreux romans et récits illustrent ce que l’on pourrait appeler des « mystères de Shanghai », comme Xiepu chao歇浦潮 (Les Vagues du Fleuve de Huangpu, 1921) de Zhu Shouju 朱瘦菊, ou Shanghai chunqiu 上海春秋(Les Annales de Shanghai, 1924) de Bao Tianxiao20. Ces auteurs jouent sur la réputation interlope de cette ville, connue pour son affairisme, mais aussi le crime et la prostitution, tout en profitant de l’essor de la presse populaire21.

Il existe aussi des textes liés aux « mystères urbains » dans la production littéraire chinoise antérieure à cette période du début du XXe siècle qui permettent d’envisager ces thématiques dans leur continuum chinois. Les célèbres recueils anciens de « cas judiciaires » (公案gong an) en sont un premier exemple important, certains sont connus en Occident parce qu’ils devinrent la source des récits « policiers » de Robert Van Gulik (1910-1967) qui mettent en scène le juge Ti sous les Tang (618-907)22. André Lévy les a envisagés comme une source hypothétique pour plusieurs récits policiers chinois ou occidentaux modernes23. Mais on trouverait d’autres types d’exemples de « mystères urbains » chinois, le plus souvent fantastiques cette fois, dans les « récits extraordinaires » (传奇chuanqi) nombreux transmis par la tradition littéraire, les plus souvent cités étant dus à Pu Songling 蒲松龄(1640-1715) dans ses Liaozhai Zhiyi  聊斋志异(Chroniques de l’étrange)24. Yuan Mei 袁枚(1716-1797), dans ses contes, avait plus tard lui aussi mis en scène des « mystères urbains » – ou villageois… – mêlant des affaires criminelles à des événements surnaturels. Comme pour contrarier Confucius, son recueil fut intitulé Zi bu yu子不语 (Ce dont le maître ne parlait pas), en allusion aux Lunyu (论语Entretiens de Confucius, 述而篇7, 20) qui précisent : « Le Maître ne parlait ni du fantastique, ni de la violence, ni du désordre, ni du surnaturel. (子不语:怪、力、乱、神。)25 ». On peut donc penser qu’en mêlant l’imaginaire urbain de « Paris », ses combats de rue et ses crimes, à un imaginaire fantastique, la première traduction des Mystères de Paris, en 1904, si elle semblait neuve, faisait aussi indirectement écho à plusieurs traditions antérieures, en même temps qu’elle s’intégrait très tôt et de façon originale dans le commencement de ce qu’on allait appeler le mouvement des « canards mandarins et des papillons ».

Au même moment, la découverte de nombreuses œuvres traduites ouvre la voie à d’autres « mystères urbains » occidentaux, qui apparaissent fréquemment dans le cadre des romans feuilletons de la presse repris en volumes au XIXe siècle et au début du XXe, et cette production – parfois rangée commodément dans la « littérature populaire » ou, plus justement, dans la « littérature médiatique » – a été particulièrement favorisée par les premiers traducteurs chinois. C’est par exemple le cas pour les romans de Fortuné du Boisgobey (1821-1891), d’Émile Gaboriau (1832-1873) et de Maurice Leblanc (1864-1941)26, qui furent découverts pour la première fois en Chine dans les mêmes années que Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, ou encore pour ceux d’Hector Malot (1830-1907), dont Bao Tianxiao traduisit Sans famille. La littérature anglaise n’est bien sûr pas en reste, à la même période et même un peu avant, spécialement avec les récits d’Arthur Conan Doyle (1859-1930), dont l’influence a été très étudiée. Ses premières énigmes londoniennes sont publiées en chinois dès 1896, et son œuvre sera traduite par plusieurs auteurs et traducteurs célèbres, parmi lesquels Lin Shu, déjà cité ici, Zhou Shoujuan周瘦鹃(1895-1968), ou Cheng Xiaoqing 程小青 (1893-1976) qui mit par la suite en scène ses propres intrigues à Shanghai27.

À partir des années 1920, c’est-à-dire au lendemain du Mouvement du Quatre-Mai, les traductions modernes concerneront plus fréquemment des auteurs jugés plus « sérieux » et plus classiques. D’une part, les traducteurs de l’époque sont souvent de jeunes intellectuels qui ont fait leurs études à l’étranger et maîtrisent au moins une langue étrangère, ils n’ont plus besoin d’avoir recours aux sources japonaises pour traduire des œuvres occidentales. La traduction au carré ou même au cube qu’on remarquait au début du XXe siècle est abandonnée. D’autre part, suite à l’appel de la génération du Quatre-Mai à la libération individuelle comme nationale, le goût pour la littérature étrangère change rapidement. Les genres populaires tels que les policiers ou les « mystères urbains » cèdent leurs places à des œuvres qui valorisent les libertés individuelles, la libération des femmes, la liberté de pensée et la critique sociale28.

Mais si les écrivains des « canards mandarins et des papillons », comme Xu Zhuodai 徐卓呆 (1881-1958), Zhou Shoujuan ou Cheng Xiaoqing, continuent à traduire des œuvres étrangères, ces lettrés se vouent également à la production de romans populaires personnels sur la vie urbaine. Le roman sentimental intitulé Ti xiao yin yuan啼笑因缘 (Une Alliance de larmes et de rires, 1930), de Zhang Henshui 张恨水 (1897-1967), en est un exemple29. À l’opposé de la nouvelle littérature préconisée et soutenue par les universitaires et les intellectuels, les romans populaires des années 1930 et 1940 sont amplement diffusés et lus par le grand public urbain. La littérature populaire des « canards et des papillons » qui vient après le Mouvement du Quatre-Mai, si elle est associée par les intellectuels à un goût démodé, cherche en fait sa « modernité30 ». Les « mystères urbains » ne disparaissent peut-être pas, mais ils évoluent. Les œuvres d’Eileen Chang 张爱玲 (1920-1995), dont le premier ouvrage s’intitule Chuanqi传奇 (Récits extraordinaires, 1944), étaient considérées comme l’héritage d’un style dit…  Xin yuan hu ti新鸳蝴体 (« Néo-Canards mandarins et papillons »). Dans tous les cas, le changement de régime chinois survenu en 1949 pousse la littérature chinoise dans une toute autre direction. Il faudra attendre les années 1980 pour que les « mystères urbains » de Paris regagnent leur place dans une Chine de nouveau ouverte à l’Occident.

De nombreuses pistes de recherche sont ouvertes à partir des éléments présentés ici, aussi proposera-t-on seulement quelques constatations en forme de conclusion provisoire. Nous avons d’abord voulu situer la première adaptation des Mystères de Paris d’Eugène Sue dans l’histoire des traductions et des échanges littéraires entre la France et la Chine, à partir du contexte très particulier qui est celui du tournant du XIXe au XXe siècle. La première traduction de Chen Jinghan doit en effet être considérée dans le flux de plus en plus important des traductions qui se développe à partir des années 1890 et prend des proportions encore plus importantes dans les années 1920 : elle apparaît alors dans ce qu’on peut considérer comme la première vague, qui a surtout favorisé des œuvres de la littérature médiatique, de celles qui avaient souvent bénéficié d’abord d’une large diffusion dans la presse occidentale. Certains traits caractéristiques des contextes sociaux européens et chinois tendent à se rapprocher pendant cette période : la densification urbaine, le développement de l’éducation et l’apparition de nouvelles classes intermédiaires en capacité de lire, le développement de la presse, mais aussi les questionnements, les incertitudes, les troubles, voire les bouleversements politiques ou démocratiques sont communs aux deux sociétés mises en contact, dans les contextes pourtant « incomparables » et chronologiquement décalés que nous avons présentés.

Les thématiques des « mystères urbains » apparaissent à cette période comme très présentes sous des formes variées dans la traduction comme la création littéraire, en particulier dans les récits du mouvement des « canards mandarins et des papillons » auxquels participèrent des traducteurs réputés comme Bao Tianxiao ou Cheng Xiaoqing. Ces thématiques peuvent être liées à plusieurs types de récits anciens populaires chinois, contes extraordinaires et récits judiciaires, ou encore contes du « chevalier » ou du héros errant, auxquels elles font souvent écho. Elles se renouvellent aussi en intégrant des espaces urbains caractérisés par leur modernité et leur dimension étrangères, plus ou moins « exotiques », grâce à des traductions qui sont dans la plupart des cas totalement neuves et inédites : les villes de Paris ou de Londres apparaissent alors. Les personnages populaires, les personnages féminins sont très présents dans tous ces textes, de la petite bourgeoisie aux bas-fonds, marquant ainsi une nette transformation sociologique du personnel romanesque. Le premier transfert des Mystères de Paris d’Eugène Sue se comprend bien dans un tel contexte, d’autant qu’il s’intègre à d’autres découvertes dans les mêmes années pour le lectorat chinois, touchant dans bien des cas aux « mystères urbains » dans leur version policière ou criminelle, avec l’enquêteur Lecoq d’Émile Gaboriau, l’Arsène Lupin de Maurice Leblanc, ou le Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle.

Du texte-source en français à la traduction en anglais, puis de l’anglais au japonais, enfin du japonais au chinois, le premier transfert des Mystères de Paris d’Eugène Sue s’inscrit dans le courant de la médiation japonaise de l’Occident qui joue un rôle majeur jusqu’au début du XXe siècle, de nombreux auteurs seront ainsi d’abord traduits du japonais, pas seulement dans le domaine littéraire. Ce transfert de la France à la Chine n’en constitue pas moins un exemple important et très révélateur des effets de la mondialisation littéraire, conséquence de la première mondialisation de la période coloniale. Révélateur parce que cette première adaptation apparaît tôt dans l’histoire des traductions, avant même la chute de l’empire, et parce qu’elle est le choix indépendant d’un intellectuel chinois qui publie dans une revue chinoise elle aussi. En livrant ici ces éléments de littérature générale, nous avons voulu indiquer des pistes de recherche qui dépassent largement les intentions de cette contribution : outre l’étude détaillée qui pourrait être menée d’au moins deux traductions et de leurs contextes, élargie au questionnement systématique de la réception d’Eugène Sue en Chine, cette exemple attire en effet l’attention sur les premiers moments de la découverte de la culture occidentale, et la constitution d’une culture occidentale en chinois. Il pose plus largement la question, dans le premier cas, des médiations littéraires et culturelles permises par la presse et le feuilleton, et de la place de la création d’expression française dans un contexte très majoritairement sinophone et, déjà, anglophone. Il ouvre, enfin, l’interrogation de l’Histoire par l’étude littéraire, en paraissant en 1904 et en 1982, années qui correspondent à des périodes de changements majeurs sur le plan politique et social dans le pays de réception.

(Université de La Rochelle – Université Paris-Diderot)

(ZH) 中法文学的“城市秘辛”:不可比较的视角?

中文的“小说”一词,原帶有市井通俗的稗官野史之意。晚清民国时期,随着现代报刊的兴起与大量翻译文学的出现,中国作家因而得以借鉴西方小说的“城市秘辛”文类,并结合古典小说的传统,创造或仿作各种以都会内幕为主题的通俗作品。本文以法国小说《巴黎之秘密》为出发点,借由其于中国的译介,尝试比较中法相关作品的出版时代背景,以及其所呼应的社会环境,进而思考“城市秘辛”文类的跨国境与跨语境转移。从笔记小说的“怪力乱神”,到现代都会的“黑幕”“侦探”“言情”小说,乃至“鸳鸯蝴蝶”等流派,本文著重探讨“城市秘辛”如何发展于近现代中国,梳理其与西方小说的脉络,期望开启后续针对个别作品的相关比较研究。

Notes

1  V. Lu Xun, Zhongguo xiaoshuo shilue 中国小说史略(Brève histoire du roman chinois, 1923-1924), Ch. Bisotto (trad.), Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », n° 62, 1993, ch. I.Ces textes, qui ont d’abord été destinés aux cours de l’Université de Pékin, sont réunis et publiés pour la première fois en 1923-1924. La dixième édition, révisée et parue en 1935, deviendra la base de la version la plus couramment diffusée aujourd’hui. Cette citation de Confucius, tirée du « Yiwen zhi » 艺文志(Traité de littérature) du Han shu 汉书(Livre des Han), est toutefois attribuée à Zi Xia 子夏 dans le Lun yu 论语 (Les Entretiens de Confucius). Zi Xia est un des disciples les plus brillants de Confucius, remarqué pour son talent littéraire.    

2  Id., p. 21.

3  Liang Qichao, « Lun xiao shuo yu qun zhi zhi guan xi» 论小说与群治之关系 (Sur la relation entre le roman et la société civile), Xin xiaoshuo新小说(Nouveau Roman), n° 1, 1902. Repris dans Chen Duo 陈多et Ye Changhai 叶长海 (dir.), Zhong guo li dai ju lun xuan zhu 中国历代剧论选注 (Choix et annotations des traités du théâtre chinois), Shanghai, Shanghai guji chubanshe上海古籍出版社, 2010, p. 423-431.

4  Marcel Détienne, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 2009.

5  Eugène Sue, Les Mystères de Paris, Judith Lyon-Caen (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2009.

6  Hu Shi, « Wenxue gailiang chuyi» 文学改良刍议 (Suggestions pour une réforme de la littérature), publié pour la première fois en 1917 dans Xin qingnian 新青年(La Jeunesse), organe du Mouvement de la nouvelle culture ; repris par la suite en anglais par l’auteur sous le titre The Chinese Renaissance, Chicago, University of Chicago Press, 1934.

7  À partir de 1920, suite à une décision des autorités chinoises, les manuels de l’école primaire sont rédigés en langue parlée, au lieu de langue littéraire classique.   

8  David Der-wei Wang 王德威, Bei ya yi de xian dai xing : wan qing xiao shuo xin lun 被压抑的现代性:晚清小说新论(Les modernités réprimées : nouvelle recherche sur le roman de la fin de la dynastie Qing), traduit par Song Weijie 宋伟杰, Fin-de-siècle Splendor : Repressed Modernities of Late Qing Fiction, 1849-1911, Taipei, Rye Field Publications, 2003, p. 17.

9  Leo Ou-fan Lee et Andrew J. Nathan, « The Beginnings of Mass Culture : Journalism and Fiction in the Late Ch’ing and Beyond », in David Johnson, Andrew J. Nathan et Evelyn S. Rawski (dir.), Popular Culture in Late Imperial China, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1985, p. 364. Les moyennes des tirages à Shanghai au moment de la publication de la première traduction des Mystères de Paris sont évaluées à 10-40 000 exemplaires.

10  La première traduction de Lin Shu est La Dame aux camélias, d’Alexandre Dumas fils. Il manque en fait des données précises en ce qui concerne le nombre des traductions de Lin Shu. Nous adoptons ici l’opinion de Zheng Zhenduo 郑振铎, qui énumère 156 titres traduits dans l’article « Lin Qinnan xiansheng» 林琴南先生 (« Sur Monsieur Lin Shu »), in Xiaoshuo yuebao小说月报, vol. 15, n° 11, 1924. Repris dans Zheng Zhenduo wenji郑振铎文集(Anthologie de Zheng Zhenduo), vol. 5, Shijiazhuang, Huashan wenyi chubanshe 花山文艺出版社, 1998.

11  V. Wei Shaochang 魏绍昌, Zhongguo xin wenxue da xi : ziliao suoyin ji yi中国新文学大系:资料索引集一(Collection des œuvres de la nouvelle littérature chinoise : catalogue de recherches, volume I), Shanghai, Shanghai shudian 上海书店, 1996, p. 275.

12  Hu Shi, « Shi qi nian de hui gu » 十七年的回顾 (« Une rétrospective de dix-sept ans de Shi Bao »), publié dans Shi Bao, 10 octobre 1921 ; repris in Ouyang Zhesheng 欧阳哲生 (dir.), Hu Shi wen ji 胡适文集 (Œuvres complètes de Hu Shi), vol. 3, Pékin, Presses universitaires de Pékin, 1998, p. 313-317.

13  La première traduction des Mystères de Paris en japonais, due à Okano Seki, avait été publiée en 1888 ; v. Cent ans d’études françaises au Japon, Tokyo, Maison Franco-Japonaise, 1984.

14  Cette traduction, 巴黎の秘密 (1904), est accessible en ligne : http://kindai.ndl.go.jp/info:ndljp/pid/873889

15  Par exemple, la traduction de Yi Jiaocheng 易校成(Changsha, Hunan renmin chubanshe 湖南人民出版社, 1981), d’Ai Xue 艾学 (Nanning, Lijiang chubanshe 漓江出版社, 1981), de Meng Chang 孟昌(Pékin, Baowentang shudian 宝文堂书店, 1982). Elles sont toutes intitulées Bali de mimi.

16  Bali de mimi 巴黎的秘密 (Les Mystères de Paris), d’Eugène Sue, traduit du français en chinois par Cheng Yuting成钰亭, Kunming, Yunnan renmin chubanshe 云南人民出版社, 2 vol., 1982.

17  À partir de 1912, la revue devient quadrimestrielle parce que Chen Jinghan quitte Xiaoshuo shibao pour Shun Bao, où il assure le poste de rédacteur en chef. Dès lors, Chen Jianghan traduit rarement des romans. Bao Tianxiao, quant à lui, assure tout seul la rédaction de Xiaoshuo shibao.  

18  V. Perry Link, Mandarin Ducks and Butterflies: Popular fiction in Early Twentieth Century Chinese Cities, Berkeley, University of California Press, 1991.

19   V. Leo Lee, Andrew Nathan, « The Beginnings of Mass Culture : Fiction and Journalism in the Late Ch’ing and Beyond », in David Johnson et al., Popular Culture in Late Imperial China, Berkeley, University of California Press, 1985.

20  V. (1) Fan Boqun范伯群, Minguo tongsu xiaoshuo yuanyang hudie pai民国通俗小说鸳鸯蝴蝶派 (Le roman populaire de l’époque républicaine : les Canards mandarins et les Papillons), Taipei, Guowen tiandi chubanshe 国文天地出版社, 1990 ; (2) Fan Boqun (dir.), Zhongguo jin xiandai tongsu wenxue shi中国近现代通俗文学史 (L’Histoire de la littérature populaire de la Chine moderne), vol. 1, Nankin, Jiangsu jiaoyu chubanshe 江苏教育出版社, 1999.

21  V. Alexander Des Forges, Mediasphere Shanghai, The Aesthetics of Cultural Production, University of Hawai’i Press, 2007.

22  Robert Van Gulik, T'ang-Yin-Pi-Shih : Parallel Cases from Under Pear-Tree, Leyde, E. J. Brill, Sinica Leidensia, vol. X, 1956 ; repris en français : Affaires résolues à l'ombre du poirier : un manuel chinois de jurisprudence et d'investigation policière du XIIIe siècle, Lisa Bresner, Jacques Limoni (trad.), Paris, Albin Michel, « Bibliothèque des Idées », 2002. L’ensemble des récits du juge Ti a été republié : Robert van Gulik, Les Aventures du juge Ti, volumes 1. Les Débuts du juge Ti ; 2. Les Enquêtes du juge Ti ; 3. Les Nouvelles Enquêtes du juge Ti ; 4. Les Dernières Enquêtes du juge Ti, Roger Guerbet, Anne Krief (trad.), Paris, La Découverte, coll. « Pulp fictions », 2009.

23  André Lévy, Sept Victimes pour un oiseau, Introduction sur le conte policier ou juridique chinois, Paris, Flammarion, 1981.

24  V. notamment Pu Songling, André Lévy (trad.), Chroniques de l’étrange, Paris, Philippe Picquier, 2 vol., 2005. Il existe de nombreuses traductions en français, comme l’ont montré les très intéressants travaux de Li Jinjia. v. Li Jinjia, Le Liaozhai zhiyi en français (1880-2004), Étude historique et critique des traductions, Paris, You Feng, 2009.

25  Une sélection de ces contes a été traduite dans Yuan Mei, Chang Fu-jui, Jacqueline Chang, Jean-Pierre Diény (trad.), Ce dont le Maître ne parlait pas, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », n° 121, 2011.

26  V. Shao Baoqing, « Les premières traductions chinoises d’œuvres françaises à la fin des Qing et au début de la République », in Isabelle Rabut (dir.), Les Belles Infidèles dans l’Empire du Milieu : problématiques et pratiques de la traduction dans le monde chinois moderne, Paris, You Feng, 2010.

27  Une sélection de ces nouvelles a été traduite en anglais et étudiée par Timothy C. Wrong (trad., éd.), Sherlock in Shanghai, Stories of Crime and Detection by Cheng Xiaoqing, Honolulu, University of Hawai’i Press, 2007.

28  Zhang Zhongliang 张中良, Wu si shi qi de fan yi wen xue 五四时期的翻译文学(La Littérature traduite de langues étrangères à l’époque du Mouvement du Quatre-Mai), Taipei, Showwe Information Co. Ltd. 秀威资讯, 2005, p. 29.

29  Zhang Henshui est souvent considéré comme le meilleur écrivain des « canards mandarins et papillons ». V. Chih-Tsing Hsia, A History of Modern Chinese Fiction, New Haven, Yale University Press, 1961, p. 609-610.

30  Qian Liqun 钱理群, Wen Rumin 温儒敏et Wu Fuhui 吴福辉, Zhongguo xiandai wenxue sanshi nian 中国现代文学三十年(Trente ans de littérature moderne chinoise) [nouvelle édition révisée], Pékin, Presses universitaires de Pékin, 2012, p. 261-262.  

Pour citer ce document

Shih-Lung Lo et Yvan Daniel, « « Mystères urbains » en France, « Mystères urbains » en Chine : des perspectives incomparables ? [résumé en chinois disponible] », Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations, sous la direction de Dominique Kalifa et Marie-Eve Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-mysteres-urbains-au-xixe-siecle-circulations-transferts-appropriations/mysteres-urbains-en-france-mysteres-urbains-en-chine-des-perspectives-incomparables-resume-en-chinois-disponible