Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations

Mysterymania : de Paris au Rio de la Plata [également disponible en anglais]

Table des matières

NELSON SCHAPOCHNIK

Un examen attentif du commerce transatlantique de l’imprimé dans les premières décennies du XIXe siècle montre qu’après l’émancipation politique des anciennes colonies espagnoles d’Amérique, le nombre de journaux, de magazines et de livres y augmenta. Cela s’accompagna, dans la région du Rio de la Plata1, de l’arrivée de passeurs chargés d’ouvrir des librairies, des cabinets de lecture, des imprimeries, des ateliers de reliure, et de représentants des maisons d’édition européennes.

Cette production d’imprimés bénéficia des nouvelles technologies introduites avec les presses actionnées à la vapeur, de la mécanisation de la production du papier (ce qui amena une réduction des prix) et de l’augmentation du commerce. À son tour la distribution fut favorisée par l’expansion des compagnies de commerce maritime et plus tard par les flottes de bateaux à vapeur, qui mettaient entre trente et quarante jours pour relier les ports de la côte nord-atlantique avec les villes principales du Rio de la Plata2.

Ce flux transatlantique non seulement aida à élargir l’horizon d’attente de l ‘élite cultivée de la société mais lui permit aussi d’avoir accès rapidement à la production culturelle européenne. En créant des conditions favorables à la lecture privée et en encourageant l’émergence de nouvelles bases pour la lecture publique sous la forme de clubs et de cercles, la présence plus visible de nouveaux objets imprimés contribua à de nouvelles expériences esthétiques pour les lecteurs et renforça les pratiques socio-culturelles liées à l’écriture.

On peut aussi en déduire qu’un nombre significatif de personnes illettrées bénéficia de l’arrivée et de la généralisation de ces imprimés. Bien qu’incapable de jouer un rôle déterminant dans le développement de la lecture, cette partie du public partagea le plaisir du texte en écoutant des lectures pendant des soirées (« veladas ») dans les salons, dans les pharmacies, les salons de coiffure ou dans les auberges.

Les réseaux de distribution des livres, des journaux et des revues étaient souvent liés à la France qui était considérée comme un centre culturel, ce qui veut dire que la francophonie était enracinée dans la culture locale et qu’il y avait une forte demande de littérature française de la part des élites culturelles et sociales. Ce phénomène recoupait et modernisait une pratique culturelle décrite par Angel Rama sous le nom de « diglossie ». Selon le critique littéraire uruguayen, contre la tradition orale, et en contraste avec les langues indigènes et africaines utilisées par le peuple, la priorité donnée à la lecture et à l’écriture par les latino-américains éduqués conduisait « à l’utilisation de deux codes lexicaux parallèles mais distincts » par l’élite. Dans ce cadre, la francophonie était un signe supplémentaire de distinction, puisqu’il autorisait ceux qui l’avaient choisi à avoir un pouvoir symbolique sans équivoque.

Une preuve encore des liens étroits qui se tissaient des deux côtés de l’Atlantique (ce que Serge Gruzinsky appelle la globalisation de la culture) peut aussi être trouvée dans les publicités incluses dans les colonnes des journaux et dans les almanachs. Les listes des cargaisons des bateaux prouvaient que la culture se sécularisait avec un net déclin des livres relevant du domaine théologique. Dans le même ordre d’idées, ces sources révèlent la prépondérance des travaux publiés en langue vernaculaire, suivis de près par les ouvrages publiés en français et en anglais avec un déclin dans le nombre des entrées en latin.

L’accroissement des catégories bibliographiques incluant les belles-lettres, les sciences et l’histoire suggérait une large gamme d’usages des imprimés subordonnés au triple impératif : informer, instruire et plaire.

C’est dans ce cadre large que je souhaiterais explorer la réception donnée au roman Les Mystères de Paris sous cette latitude et sa réappropriation par les littérateurs des pays du Sud.

Sur la piste des Mystères de Paris dans la région de Rio de la Plata

Puisque, comme j’ai tenté de le montrer, le commerce transatlantique permettait d’atteindre un équilibre satisfaisant entre les biens culturels produits en Europe et les pratiques de lecture dans la région de Rio de la Plata, il reste à examiner les moyens de circulation et les supports qui ont permis au roman de Sue d’atteindre ses lecteurs.

La première surprise que connaît le chercheur est qu’au jour d’aujourd’hui,  aucune édition des Mystères de Paris n’a été retrouvée au rez-de-chaussée des journaux argentins et uruguayens. Il reste certes la possibilité que certains lecteurs aient plongé dans les bas-fonds de Paris en prenant un abonnement au Journal des Débats ou par la presse brésilienne. Il faut rappeler que le roman de Sue a été traduit en portugais par Justiniano José da Rocha et publié dans les pages du Jornal do commercio (Rio de Janeiro) entre le 1er septembre 1844 et le 20 janvier 18453.

On ne peut rejeter l’hypothèse que ce journal qui avait une large diffusion ait atteint les villes de la frontière avec l’Argentine et l’Uruguay. De la même façon, la circulation côtière entre le port brésilien de Rio Grande, la capitale alors de la province de Saint Pedro do Sul, et l’estuaire de Rio de la Plata, pourrait avoir permis la dissémination de copies du Jornal do Commercio  et rendu possible le contact avec le récit de Sue4.

Bien que l’accès au roman par les feuilletons soit une hypothèse plausible, le support du livre lui a peut-être permis une meilleure réception par les lecteurs des deux côtés de Rio de la Plata. Dans le cas des capitales, Buenos Aires et Montevideo, où la plus grande partie de la population était concentrée, il a été démontré que déjà dans les années 1820, il y avait un réseau sélectif et diversifié d’établissements reconnus pour diffuser la culture littéraire : bibliothèques, librairies, et cabinets de lecture.

En dépit de l’existence de ces espaces formels identifiés comme espaces de prêt, de location ou de vente d’imprimés, ce serait une erreur de penser les librairies comme un lieu spécialisé pour la vente des livres. Il n’était pas rare de voir d’autres sortes de marchandises y apparaître : de la mercerie, du tabac et du thé, des articles de papeterie.  De la même façon, le commerce de livres avait parfois lieu dans des espaces occasionnels de vente comme par exemple les magasins, les épiceries, les magasins de lithographies, les imprimeries et les salles de ventes. En fait, une recherche détaillée sur les annonces publicitaires des maisons de commerce serait nécessaire tout comme une enquête sur les requêtes de lecteurs avides de romans imprimés que l’on trouve dans les pages d’annonces des journaux.

Bien que la présence d’une large série d’intermédiaires sur la scène urbaine ait permis un accès plus grand aux livres (et parmi eux aux Mystères de Paris), dans les vastes Pampas, la situation était très différente. Comme cette région se caractérisait par son isolement et par la vie dans les ranchs, l’accès aux marchandises dépendait de déplacements dans des villages qui n’étaient pas toujours proches, bien qu’il y ait des colporteurs et des marchands ambulants Le cas raconté par l’intellectuel uruguayen Emilio Oribe de la façon dont il eut son premier contact avec Martin Fierro5, même si cela eut lieu en 1908, peut définitivement servir de modèle à une période antérieure sans risque d’anachronisme. Sans doute cette expérience rend compte de la manière dont certains lecteurs des régions intérieures de l’Uruguay et de l’Argentine ont pu être familiarisés avec l’histoire de Rodolphe, le prince de Gerolstein. Selon ses souvenirs, alors qu’il se reposait dans un établissement  semi-rural de Campo Largo :

Une nuit, un Turc vendant des marchandises arriva à une grange où j’étais avec quelques ouvriers agricoles. Ces Turcs étaient des marchands ambulants qui proposaient des tissus, des vêtements, des bibelots, du savon et du parfum. Mais ils vendaient aussi des livres. C’est là que j’ai découvert Martin Fierro par Hernandez. J’ai acheté les deux volumes pour quelques centimes dans une édition avec des gravures osées, du papier grossier, une couverture bleue et un large format comme celui d’un magazine.6

Jusqu’ici, je n’ai fait que des allusions à la popularité de ce roman en Amérique du Sud et il me reste à donner sur ce point une information plus détaillée. C’est dans les collections des bibliothèques nationales actuelles d’Argentine et d’Uruguay (qui étaient originellement des bibliothèques publiques inaugurées respectivement en 1812 et en 1815) que j’ai réussi à localiser des copies des Mystères de Paris qui ont pu être lus par des lecteurs du XIXe siècle. Il faut noter que ces bibliothèques étaient différentes des bibliothèques religieuses qui bien qu’ouvertes au public étaient préoccupées par les convenances et le désir de promouvoir l’église catholique et les bibliothèques des institutions éducatives qui étaient le principal modèle de bibliothèque et regardaient avec dédain le genre du roman et en particulier les écrits de Sue. Quoi qu’il en soit, les fonds de ces bibliothèques ne venaient pas seulement d’acquisitions publiques mais provenaient aussi de collections privées ou d’institutions. Les deux bibliothèques nationales ont une offre très similaire comprenant trois éditions des Mystères de Paris, ce qui signifie deux éditions parisiennes de Charles Gosselin (1843 et 1844) et une édition qui venait de la société belge de librairie de Bruxelles (1844). En termes quantitatifs, le choix était certes limité mais il est suffisant pour comprendre les luttes de la librairie au XIXe siècle : les éditions piratées ou les pratiques de contrefaçons qui provoquaient des disputes acérées entre le vieux et nouveau marché.

On sait que, même pendant la publication des Mystères de Paris en feuilletons dans le Journal des débats, l’éditeur français Charles Gosselin, qui avait déjà publié plusieurs ouvrages de Sue, lança plusieurs éditions successives des Mystères revues et corrigées par l’auteur. À la différence de l’édition française qui utilisait des grands formats (in-octavo), l’édition belge était plus adaptée aux modes de consommation des nouveaux lecteurs. Selon Jacques Hellemans, cette situation favorisait les intérêts des éditeurs belges qui ne se considéraient pas comme des faussaires mais qui justifiaient leur travail comme « un système de réimpressions ». « Ils étaient prêts à admettre ouvertement leur vol parce qu’ils ne cherchaient pas à imiter le format, le papier, ou la typographie de l’édition originale7 ». Ces copies produites par l’imprimerie belge se caractérisaient par l’augmentation de la taille de la surface imprimée de la page, grâce à une réduction des espaces et l’utilisation de caractères typographiques plus petits. De cette manière, les livres pouvaient être publiés en un volume unique dans un petit format qui était pratique, par exemple pour les abonnés des cabinets de lecture. Cette solution ingénieuse, combinée avec un refus de reconnaître le copyright, conduisit à une augmentation significative des ventes. Le résultat de tous ces changements était directement reflété dans le prix final du livre, et les reproductions étaient vendues pour trois francs ou moins, alors que le prix usuel pour les livres français avoisinait sept francs, voire plus. Cette activité prospéra en l’absence de toute sorte de régulation de la soit disant « propriété littéraire » et fut aussi un facteur-clé dans la propagation de la littérature française. Pour le meilleur et pour le pire, Les Mystères de Paris ont été aussi impliqués dans ces disputes : les bibliothèques de Buenos Aires et de Montevideo reflétaient la situation de l’époque et ont été prises dans la lutte que les éditeurs belges et français ont mené pour le nouveau marché.

Certainement, la plus grande nouveauté dans l’histoire de la publication des Mystères de Paris a été la découverte d’une édition uruguayenne du roman sur les étagères de la bibliothèque nationale d’Argentine. Sans l’ombre d’un doute, c’est une donnée clé qui élargit notre connaissance des éditions écrites en français mais produites en dehors de la France, tout comme celle du destin éditorial du roman de Sue8. Il faudrait ajouter que la communauté française qui était installée à Montevideo dans la période 1838-1852 était la plus large d’Amérique du Sud. Elle réunissait des immigrants de la région basque, du Béarn et du Bigorre, et il est estimé qu’en 1842, environ 10 000 immigrants vivaient dans la capitale et 4000 de plus étaient installés dans les terres intérieures.

Selon les informations données par le catalogue, il existe une édition datée de 1845 qui fut publiée à Montevideo par Le Patriote français. Ce journal « commercial, littéraire et politique » fut publié entre février 1843 et décembre 1850 avec une périodicité variée et fluctuante entre quotidienne et bimensuelle. Ce périodique a été fondé par Auguste Dagrumet et soutint la légion française de Montevideo avant et pendant le siège de la ville durant ce qui est communément appelé la « Guerra Grande », la guerre civile uruguayenne (1839-1851). Donc, l’édition du roman de Sue en Uruguay suit des paramètres similaires à ceux adoptés par d’autres éditeurs en charge de l’édition de romans français à l’extérieur de la France. Tout suggère que la stratégie du Patriote français était de tirer avantage du fait qu’il y avait un public captif formé d’un nombre large d’immigrants et dans le même temps, de fournir aux abonnés du périodique un avantage et de là établir une forme de fidélité parmi les lecteurs comme celle qu’a créée à Rio de Janeiro Julius Villeneuve, l’éditeur du Journal du commerce.

Appropriations du modèle narratif

En allant au-delà de l’occasion d’amusement et de réflexion que le roman a procurée aux lecteurs ordinaires européens et américains, une recherche dans les catalogues des bibliothèques permet de complexifier et de nuancer les modalités de la réception du roman d’Eugène Sue. Dans ces cas où l’utilisation stricte des rubriques pour classer différents types de connaissance cède le pas à une simple liste d’ouvrages par ordre alphabétique, apparaît clairement l’existence de plusieurs romans qui ont adopté la formule « mystères de ». Cette expression a été utilisée par plusieurs lecteurs qui ont bientôt vu le potentiel que ce modèle narratif avait pour produire d’autres romans. Il ne semble donc pas irraisonnable d’établir qu’une conclusion jusque là invisible de la lecture du roman de Sue a été de susciter un esprit d’invention parmi des hommes et des femmes qui l’ont employé comme un modèle pour tester leur capacité à devenir écrivains. Mais ce n’est pas tout. La force des Mystères et de son succès a été suivie par plusieurs autres écrivains qui étaient déjà connus à cette époque dans la république des lettres comme Alexandre Dumas, Xavier de Montépin, Camilo Castelo Branco, Émile Zola parmi d’autres.

La raison de ces imitations qui se sont caractérisées par la copie et l’emprunt de modèles narratifs doit avoir plusieurs sortes d’explications. En tout cas, il semble répondre à une assertion basique faite par Félix Vodicka, au sujet de l’histoire des effets des ouvrages littéraires, quand il établit « qu’après qu’un ouvrage littéraire a été publié ou est devenu connu, il devient la propriété du public, qui le lit avec une sorte de sensibilité artistique qui est caractéristique d’une époque particulière9 ».

Curieusement, la première expérience d’appropriation du roman de Sue qui mentionne le  Rio de la Plata peut être trouvé à Rio de Janeiro. Il s’agit d’un court roman qui porte le titre Mistérios del Plata. Romance histórico contemporâneo (Mystères du Rio de la Plata. Roman historique contemporain) publié sous forme de livraisons entre le premier janvier et le 4 juillet 1852 dans le Jornal das Senhoras10. L’auteur du roman, Juana Paula Manso de Noronha, était aussi la propriétaire de ce journal qui était imprimé par l’imprimerie Tipografia Parisiense. Selon la déclaration donnée dans cette publicité : « le journal est publié chaque dimanche. Le premier numéro de chaque mois sera accompagné d’un joli magazine de modes de Paris dans le meilleur goût et ceux qui suivront comporteront un amusant lundu (morceau de musique afro-brésilienne) ou un accessoire de mode brésilienne, des romans français mis en musique, des modèles de broderie et des dessins  ». Il faut souligner que Juana Menso vivait à Rio de Janeiro comme exilée politique puisqu’elle était en conflit avec le chef militaire Juan Manuel de Rosa qui gouvernait l’Argentine : elle était favorable à la cause républicaine et unitaire soutenue par Domingo Sarmiento, et d’autres intellectuels comme Echeverría, Mármol et Alberdi. Selon Graciela Batticuore, « son ambition n’était pas de gagner de l’influence comme figure littéraire […] mais plutôt d’occuper la position d’une publiciste américaine dont la tâche principale était de propager l’image d’une femme et de son rôle social dans une jeune nation11 ».

Contrairement à ce qui pourrait être imaginé d’après le titre de son ouvrage, Juana Manson maintint seulement une affinité élective avec Les Mystères de Paris. Dans ce cas, l’appropriation se fait selon une voie négative qui décourage toute référence au travail de Sue, comme il l’est spécifié clairement dès le prologue dont une partie est donnée ci-dessous :

Ce n’est pas à cause d’une servile imitation des Mystères de Paris et de ceux de Londres que j’ai décidé d’appeler ce roman les Mystères de Rio de la Plata. Je lui ai donné ce nom car je crois que les atrocités commises par Rosa et les souffrances de ces victimes seront un mystère pour les futures générations, en dépit de tout ce qui a été écrit contre lui. Comme ils sont plus puissants que ces ennemis, des écrivains achetés essaieront de compenser les pleurs des opposants au despote, et à d’autres occasions, des écrits qui auront été achetés par ces agents seront détruits.

Nous courons le même risque – mais que pouvons-nous faire ? Nous devons trouver les solutions seuls et aussi comprendre que si la littéraire naissante de notre Amérique cherche toujours à suivre les types trouvés dans la vieille Europe, nous n’aurons jamais une littérature américaine ou une littérature nationale.

Le sens attribué au mot « mystères » vient d’une perspective complètement différente de celle adoptée par l’écrivain français. Dans le roman de Sue, il y a des niveaux différents d’intrigues et la technique utilisée dans la narration comprend des coupes et des péripéties. La signification du mot mystères est clairement révélée dans les changements successifs d’identités des personnages, dans les rapts, dans les vengeances, dans les punitions exemplaires, dans les morts apparentes et les enfants illégitimes, et reflète la misère des classes les plus  défavorisées. Le récit de Manso obéit à deux impératifs  : d’un côté le concept de « littérature-fondation » et de l’autre l’utilisation de positionnements politiques dans l’intrigue. La note d’avertissement initiale qui renvoie au refus d’écrire « une imitation servile » est articulée à un essai pour établir une littérature qui soit américaine et nationale en même temps et comprend un rejet de l’utilisation des modèles européens. De plus le mystère qui doit être révélé par la littérature est la réalité du pays où le régime de Rosas (chef militaire et gouverneur de l’état de Buenos Aires 1829-1852) et la cause fédéraliste sont identifiés comme un retour en arrière et une attitude barbare. Ici, la condamnation sert donc une élégie d’un programme politique unitaire et une façon de propager des valeurs de civilisation et de progrès.

Toutefois, bien que dans les Misterios del Plata, il y ait un déni de tout emprunt à Sue pour la construction de l’intrigue, il faut ajouter que Juana Manso adapta aussi le roman de Sue à la scène brésilienne et écrivit le livret pour l’opérette The Morel family.

À la différence des Misterios del Plata, dans les deux ouvrages, Mystères de Buenos Aires et Mysteres de Cordón,  il y a une appropriation claire du modèle mélodramatique de Sue et une volonté de souligner les traits caractéristiques qui sont ceux du roman. Le premier fut publié par un immigrant français du nom de Felisberto Pélissot qui donnait des leçons au lycée Tucumán (Argentine). Selon l’information donnée sur la page de titre du livre Mystères de Buenos Aires, l’ouvrage publié en 1856 était « écrit en français et traduit en espagnol par un camarade journaliste pour La Tribuna », un journal qui parut à Buenos Aires. L’édition qui a été consultée se présentait sous la forme de deux volumes in-12 sur deux colonnes. Le second roman publié par un sujet portugais appelé A. Dias de Carvalho, a été publié à Montevideo par une imprimerie luso-américaine en 1881 sous la forme d’une brochure reliée imprimée sur papier ordinaire.

Toutefois, alors que Les Mystères de Buenos Aires ont pu appartenir à ce phénomène que Lelia Area a identifié comme « la bibliothèque fractionelle de la nation12 », c’est-à-dire l’utilisation de la fiction pour révéler les stratégies de fédéralisme structurées sous la forme de rage patriotique, la publication des Mistérios de Cordón par livraisons a montré d’autres buts. L’auteur a désiré que son ouvrage soit dédié aux membres de la colonie portugaise et a ajouté que «  les revenus de ce petit ouvrage seront destinés à publier un périodique en portugais sous le titre Portugal qui soutiendra les intérêts de la colonie portugaise dans le Rio de la Plata ». Le titre du roman réfère au nom d’une zone qui à cette époque était située à la périphérie de la zone urbaine et qui concentrait la nouvelle vague d’immigrants depuis les années 1870.

Comme nous l’avons déjà souligné, nous trouvons la même matrice mélodramatique dans les différents récits, qui est renforcée par deux points de focalisation souvent entrelacés : la réparation des injustices et la quête d’un accomplissement romantique.

À travers l’intrigue, les personnages fondés sur une forme exacerbée de dualisme se battent jusqu’à ce qu’ils puissent surmonter leurs infortunes. En ce sens, le leitmotiv du récit est la persécution – une force motrice qui est capable de libérer les forces les plus élémentaires comme la vengeance, l’ambition, le pouvoir, l’amour et la haine. Cependant l’enjeu de la persécution est différent. Ce que le mauvais cherche, c’est à satisfaire ces propres désirs tandis que le bon sublime ses pulsions au-delà de ses intérêts privés. Peut-être que l’utilisation de ce modèle a semblé attractif aux écrivains du Rio de la Plata parce que la restauration des droits violés s’accompagnait d’un message moral.

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Les Mystères de Buenos Aires raconte les infortunes d’une jeune veuve qui quitte l’Espagne en compagnie de ses deux jeunes enfants et avec la fortune qu’elle a hérité à la suite du suicide du duc Arturo de la Cruz del Monte-Valeriano avec qui elle a été mariée. À son débarquement à Buenos Aires, alors contrôlé par le gouvernement de Juan Manuel de Rosas, Helena est la proie de toute une série d’infortunes incluant la séparation de ses enfants. Les partisans de Rosas constituaient la société la plus sanguinaire qu’on peut imaginer et étaient capables de commettre les crimes les plus haineux. La promotion de la violence est illustrée par une exclamation du dictateur « …. Je suis responsable de la rédemption de ce pays et à moins que nous ne répandions  la dernière goutte de sang de nos ennemis, nous n’aurons jamais ni paix, ni sécurité. Nous avons le droit d’exterminer quiconque a l’audace de commettre le sacrilège d’une révolte ». L’histoire se termine par la rédemption de Sr. Armando de Figueroa qui avant de se suicider révèle qu’il est le père d’Helena, rend les enfants à leur mère et fournit la vraie histoire de la vie de l’héroïne.

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L’intrigue des Mystères de Cordón n’est pas très différente. Le roman est aussi fondé sur le thème de la vengeance et de la restauration de la vérité et des effets sont produits à travers des coupes dramatiques, des découvertes soudaines, des revers et d’incroyables aventures. Mauricio Medicis est injustement impliqué dans un meurtre commis par un gangster qui a reçu le contrat d’un fermier, ce qui conduit Maurice à ne plus pouvoir rencontrer sa promise, Elisa. Après avoir exécuté une longue condamnation de prison, il réussit à sauver Elisa qui a été enfermée dans un couvent à Buenos Aires et après l’avoir épousée, il rentre pour vivre dans la maison familiale dans le Piémont.

Sans prendre en compte la valeur littéraire de ces ouvrages qu’assurément il est difficile d’approuver, on doit admettre que la stratégie d’appropriation employée par tous ces auteurs est une réponse au défi de produire un roman dans des zones qui ne sont pas hégémoniques. Si comme le philosophe Lukacs le croit, la forme du roman est le poème épique de la bourgeoisie, qu’est-ce qui peut être dit des récits produits dans le cadre de zones urbaines très loin du centre urbain de Paris ? Alors que la stratégie d’appropriation était un recours utilisé pour établir la légitimité d’écrivains qui aspiraient à la condition d’auteurs dans un système littéraire qui se formait au même moment, l’utilisation qu’ils faisaient du roman de Sue ne les autorisait à accepter aucun signe de la « littérature de consolation » définie par Marx ou Umberto Eco. Dans les trois exemples cités, l’imitation révèle une procédure intertextuelle et en même temps fait de la littérature un moyen pour discuter les problèmes affrontés par les « jeunes » nations.  

Donc, il ne sert à rien de dire que les mystères du Rio de la Plata sont inférieurs aux Mystères de Paris dans leurs aspects formels, mais il faut montrer que leurs caractéristiques résultent aussi des conditions liées à la possibilité même d’écrire. Dans ce cas, je conclus en réitérant l’argument d’Elisa Marta Lopez quand elle dit qu’ «  au milieu du XIXe siècle, toutes les ressources commerciales de l’édition étaient utilisées pour promouvoir et diffuser le roman français en Espagne (dans notre cas, en Amérique latine). Le roman français a saturé le marché littéraire sud-américain et a déterminé les habitudes et les attentes des lecteurs. Ces faits ont transformé l’étroite collaboration économique et artistique  entre éditeur et auteur – qui a soutenu l’émergence du roman comme un nouveau genre hégémonique dans le dix-neuvième siècle français et anglais – en une transaction strictement économique où l’énergie créative des literatos (écrivains) était dirigée vers la traduction et l’imitation. La traduction et l’imitation furent les formes d’écritures romanesques conséquentes de la position périphérique que le marché littéraire sud-américain occupait dans le nouvel ordre culturel 13».

(Universidade de São Paulo, Brazil)

(EN) Mysterymania: from Paris to the River Plate

A closer examination of the transatlantic trade of printed matter in the first decades of the 19th century can reveal that after the political emancipation of the former colonies of Hispanic America, there was a growth in the number of newspapers, magazines and books. This was accompanied by the arrival of intermediaries responsible for setting up bookshops, reading-rooms, typographies and bookbinding shops, as well as representatives of European publishing houses, in the River Plate Region14.

The production of printed artifacts benefited from the new technologies introduced by the steam press, mechanised means of producing paper (which brought about a reduction in prices) and an increase in the amount of merchandise. In its turn, distribution was favored by the expansion of sailing boat companies and, later, fleets of steamships, which took about 30-40 days to link the ports of the North Atlantic coast with the main towns and cities of the River Plate.15

This flow of vessels not only helped to widen the horizon of expectations of the educated section of the community but also enabled it to have access to the European cultural production within a short space of time. By creating favourable conditions for reading in the home or encouraging the emergence of new institutional bases of reading in the form of clubs and circles, the more distinct presence of textual artifacts both contributed to new aesthetic experiences for the readers and strengthened the project of socio-cultural practices embedded in writing.

It can even be inferred that a significant number of illiterate people benefited from the widespread appearance of printed material. This means that although they were unable to play a key role in the act of reading, this sector of the public shared in the pleasure of the text by being able to hear live readings during the “soirées” (“veladas”) in the salons or to share the oral readings that took place in the chemists, hairdressers and inns.

Of particular interest for the purposes of this presentation was the fact that the establishment of distribution networks of newspapers, magazines and books led to France being viewed as a cultural centre which meant that francophonia became rooted in the local culture and there was a high regard for French literature among the members of the social elites.This phenomenon reiterated and updated a cultural practice which is described by Ángel Rama as “diglossia”. According to the Uruguayan literary critic, unlike the tradition of orality, and in contrast with the native origins of the indigenous and African languages used by the people, the priority given to reading and writing in the Latin-American educated city led to “the use of two lexical codes that are parallel but distinct” by the ruling groups. In this case, francophonia came to be one more sign of social distinction, since it allowed those who espoused it to have an unequivocal symbolic power.

A body of evidence about the way close ties were forged between both sides of the Atlantic (which Serge Gruzinsky called the globalisation of culture) can also be obtained from advertisements included in the newspaper columns and almanacs. The lists of the shipments of books showed that there was a secularisation of culture with a marked decline in the number of books belonging to the field of theology. In the same way, these sources reveal the hegemony of the works published in the vernacular, followed by works published in French and English, with a decline in the number of entries in Latin.

The rise of a multifarious set of bibliographical categories including the belles-lettres, sciences and history, suggests a wide range of uses of the printed material that can be assembled under the triumvirate - information, instruction and pleasure.

Thus it is from this broader picture that I intend to explore the reception given to the novel The Mysteries of Paris in this latitude and its subsequent appropriation by the literate members of Southern countries.

Tracking down the Mysteries of Paris in the RiverPlate

Since, as has already been made clear, transatlantic trade allowed a fine balance to be struck between the cultural goods produced in Europe and the reading practices in the River Plate region, it remains to examine the means of circulation and kinds of publishing involved that allowed Sue’s novel to reach the hands of the readers.

The first surprise experienced by the researcher is that until now it has not been possible to find any edition of the Mysteries of Paris in the footnotes of Argentinian or Uruguayan newspapers. Certainly, this does not rule out the possibility that some readers may have plunged into the Parisian underworld by subscribing to Journal des Debats or through the Brazilian periodical press. It is worth remembering that Sue´s novel was translated into Portuguese by Justiniano José da Rocha and published in the pages of “Jornal do Commercio” (Rio de Janeiro) in the period 1st September, 1844 – 20th January, 1845.16

The hypothesis cannot be rejected that this newspaper which had a wide circulation, reached the towns on the border of Argentina and Uruguay. In the same way, the coastal navigation between the Brazilian port of Rio Grande, the then capital of São Pedro do Sul province, and the River Plate estuary could have led to the dissemination of copies of Jornal do Commercio and thus made contact with Sue´s narrative feasible.17

Although access to the novel through serials is a plausible assumption, perhaps book form could have allowed it to receive a greater acceptance among the readers on both sides of the River Plate. In the case of Buenos Aires and Montevideo, the capitals where the main part of the population was concentrated, it has been found that already in the 1820s there was a select but nonetheless varied network of establishments noted for spreading literate culture: libraries, bookshops and reading-rooms.

Despite the existence of these formal spaces identified with the lending, trading and hiring of printed material, it would be an error to think of bookstores as a specialised place for the sale of books. It was not uncommon for other various kinds of merchandise to appear alongside them: items for sewing and knitting, tobacco and tea, stationery articles etc. In the same way, the book trade was also carried out in places of occasional sale such as for example, stores, shops, groceries, lithographies, typographies and auction houses. Hence, there is a need for detailed research into the advertisements of these trading houses, as well as the enquiries of the readers eager for published novels in the form of letters and written “requests” in the sections devoted to publicity included in the pages of the periodicals.

Although the presence of a wide range of intermediaries in the urban scene allowed greater access to books (among them The Mysteries of Paris), in the vast Pampas the situation was very different. Since this region was characterised by isolation and life on the ranches, access to merchandise depended on trips to the villages which were not always nearby, unless there were hawkers and pedlars. The case recorded by the Uruguayan intellectual Emilio Oribe about how he first made contact with Martin Fierro, although it occurred in 1908,can definitiely be pushed back to an earlier period without any risk of being anachronistic. In this he explains how some readers from the interior regions of Uruguay and Argentina were able to become acquainted with the narrative of the protagonist Rodolfo, the Prince of Gerolstein. According to what he states in his memoirs, while he was resting in a semi-rural establishment in Campo Largo:

One night a Turk selling merchandise arrived at a barn where I was with some farm hands. These Turks were pedlars who offered fabrics, clothes, trinkets, soap and perfume. But they also sold books. It was then that I found out about Martin Fierro by Hernández. I bought the two volumes for a few cents, in an edition with crude engravings, coarse paper, blue covers and large format, like that of a magazine.18

Until this point I have only made some inferences about the popularity of the novel in South America and it remains for me to give some more specific detailed information. It was in the collection of the current National Libraries of Argentina and Uruguay (which were originally public libraries that were inaugurated in 1812 and 1815 respectively) that I managed to locate some copies of The Mysteries of Paris which may have been read by 19th-century readers. It should be stressed that this type of library differs from both convent libraries which although open to the public are concerned with decorum and need to emulate the Catholic Church, and the libraries of educational institutions which being the principal pattern of librarianship looked with disdain on the genre of the novel and in particular on the work by Sue. However, the collections of these libraries were not only formed by acquisitions that originated from public funding, but also benefited from private and institutional collections. Both national libraries have a very similar range of books made up of three copies of The Mysteries of Paris, that is two Parisian editions from Charles Gosselin (1843 and 1844) and one edition that came from the Brussels Société Belge de Librairie (1844). In quantitative terms, the range was quite small but it is enough to form an important chapter for an understanding of the struggles of books in the 19th century: the pirated editions or counterfeiting practices that stirred up bitter disputes between the old and new markets.

As is quite well known, even during the serialised publication of the novel in the pages of Journal des Débats, the French editor Charles Gosselin, who had already published several works by Sue, issued successive editions for delivery that had been revised and corrected by the author. Unlike the French edition, that used larger formats (in octavo), the Belgian edition was more adapted to the patterns of consumption of new readers. According to Jacques Hellemans, the situation suited the interests of the Belgian editors who did not see themselves as forgers but grounded their work in a “system of reprints”. “They were prepared to openly admit their theft because they did not seek to imitate the format, paper or types of the original edition”19. These artifacts produced by Belgian printing presses were characterised by the increase in size of the printed area of the page with a compression of the spacing and the use of smaller types. In this way, books could be published in a single volume in a small format that was suitable, for example, for the subscribers of reading rooms. This ingenious solution, combined with a refusal to recognise copyright, led to a significant increase in sales. The result of all these variations was directly reflected in the final price of the book, and copies were sold for three francs or even less, instead of the usual price for French books which hovered around seven francs or even more. This activity flourished in the absence of any kind of regulation of the so-called “literary property” and was also a key factor in the spread of French literature. For good or ill, the Mysteries of Paris was also embedded in these disputes and the libraries of Buenos Aires and Montevideo reflected the situation of the time and were locked in a struggle with the French and Belgian bookstores for the new market.

Certainly, the main novelty in the publishing history of the Mysteries of Paris was the discovery of a Uruguayan edition of the novel on the shelves of the National Library of Argentina. Without a shadow of a doubt, this is a key feature that broadens our knowledge of editions written in French but produced outside France, such as the publishing fate of Sue´s novel20. It should be added that the French community that was settled in Montevideo in the period 1838-1852 was the largest in South America. It brought together immigrants from the Basque region, Béarn and Bigorre and it is estimated that in 1842, about 10.000 immigrants lived in the capital and a further 4.000 settled in the interior.

According to the information supplied by the catalogue, it is an edition dated 1845, that was published in Montevideo by Patriote Français. The “business, literary and political” periodical Patriote Française was published between February 1843 and December 1850 with varying periodicity and fluctuated between daily and fortnightly editions. This magazine was founded by Auguste Dagrumet and supported the French Legion of Montevideo before and during the siege of the city during the so-called “Guerra Grande”, the Uruguayan Civil War (1839-51). Thus, the edition of Sue´s novel in Uruguay follows parameters that are similar to those adopted by other editors responsible for the publication of novels in French outside France. Everything suggests that the strategy of the Patriote Français was to take advantage of the fact that there was a captive audience formed of a large number of immigrants and at the same time, to provide the subscribers to the magazine with a bonus and thus establish a kind of loyalty among the readers like that employed in Rio de Janeiro by Julius Villeneuve, the editor of Jornal do Commercio.

Appropriations of the narrative model

Going beyond the opportunity for enjoyment and reflection that the novel provides the ordinary readers of Europe and the Americas, an investigation of library catalogues allows more complex modalities and shades of meaning to be glimpsed in the reception of Eugène Sue´s novel. In those cases where the strict use of rubrics to classify different types of knowledge gave way to a mere listing of works in alphabetical order, there is clearly a sign of the existence of several novels which adopted the “Mysteries of ...” formula. This key was appropriated by some readers who soon saw the potential that this narrative model had in producing other novels. Thus, it does not seem unreasonable to state that an unforeseen outcome from a reading of Sue´s novel was to arouse a spirit of inventiveness among some men and women who employed it as a model to test their capacity to prove themselves to be writers. But this is not all. The force of the Mysteries and the success it achieved, were followed by several other writers who were already revered at that time in the republic of letters, such as Alexandre Dumas, Xavier de Montépin, Camilo Castello Branco, Émile Zola among others.

The reasons for these imitations which recurred to the copying and borrowing of narrative models must have all kinds of explanations. However, they seem to endorse a basic assertion made by Felix Vodicka, with regard to the history of the effects of literary works, when he states that “after a literary work has been published or become well known, it becomes the property of the public, who read it with a kind of artistic sensibility that is characteristic of a particular epoch”21.

Curiously, the first experience of the appropriation of Sue´s novel that mentions the River Plate can be found in Rio de Janeiro. It concerns a short novel with the title Mistérios del Plata. Romance histórico contemporâneo (Mysteries of the River Plate. A contemporary historical novel)published in serialised form in the period January 1st-July 4th, 1852 in Jornal das Senhoras.22 The author of the novel, Juana Paula Manso de Noronha was also the owner of this periodical which was printed by Tipografia Parisiense. According to the statement in its advertisement: “It is published every Sunday; the first number of each month will be accompanied by a lovely fashion magazine from Paris in the best possible taste and those following, will have an amusing lundu (Afro-Brazilian music) or Brazilian fashion item, French novels set to music, embroidered patterns and sketches”. What needs to be underlined is that Juana Manso lived in Rio de Janeiro as a political exile since she was in opposition to the warlord Juan Manuel de Rosas who governed Argentina, but sympathetic to the Republican and unitarian cause supported by Domingo Sarmiento and other intellectuals like Echeverría, Mármol and Alberdi. According to Graciela Batticuore, “her ambition was not centred in gaining prominence as a literary figure (...) but rather in occupying the position of an American publicist whose main task was to propagate the image of a woman and her social role in a young nation”.23

Unlike what can be imagined from the title given to her work, Juana Manso only maintains an elective affinity with the Mysteries of Paris. In this case, the appropriation is through a negative route which frustrates any reference to Sue´s work, as is made clear in the foreword, a part of which is given below:

It was not on account of a servile imitation of the Mysteries of Paris and those of London that I have decided to call this novel Mysteries of the River Plate. I have given it this name because I believe that the atrocities of Rosas and the sufferings of his victims will be a mystery for future generations, despite all that has been written against him. Since they are more powerful than his enemies, his hired writers will try to offset the cries of those opposed to the despot; and, on other occasions, these same writings that are bought by his agents will be annihilated.

We run this same risk – but what can we do? We must solve everything by ourselves as well as to understand that if the nascent literature of our America always seeks to follow the types found in old Europe, we will never have an American literature or a national literature.

The meaning attributed to the “mysteries” derives from a standpoint that is completely different from that adopted by the French writer. In Sue´s novel, there are separate levels of intrigue and the technique employed in the plot involves cuts and dramatic suspense. The significance of the mystery is clearly disclosed in the characters´successive changes of identity, kidnappings, revenge, exemplary punishments, apparent deaths and bastard children, and reflects the miseries of the poorer classes. Manso´s narrative is governed by two imperatives: on the one hand by the concept of “foundational literature” and on the other, by the use of party politics in the plot. The initial cautionary note that refers to the refusal to write “a servile imitation” is articulated in an attempt to establish a literature that is American and national at the same time, and entailed a rejection of the use of European models. Moreover, the mystery that must be revealed by literature is the reality of the country where the regime of Rosas (warlord and governor of the State of Buenos Aires 1829-52) and the federalist cause are identified with backwardness and barbaric behaviour. Hence, the condemnation serves here as an elegy of a unitary political programme and a means of propagating civilised values and progress.

However, although in the Misterios del Plata there is a denial of any borrowing for the construction of the plot, a point should be added which is that Juana Manso was also responsible for adapting Sue´s work for the Brazilian stage and wrote the libretto for the operetta The Morel family.

Unlike the Misterios del Plata, in the two works Mysteries of Buenos Aires and Mysteries of Cordón, there is a clear appropriation of the melodramatic model underlying the features that are similar to Sue´s novel. The first of these was published by a French immigrant by the name of Felisberto Pélissot who gave lessons in the Tucumán Lycée (Argentina). According to the information added to the title page of the book Mysteries of Buenos Aires, the work published in 1856 was “written in French and translated into Spanish by a fellow journalist for La Tribuna”, a periodical that appeared in Buenos Aires. The edition that was consulted appears in two duodecimo volumes with a double column. The second novel written by a Portuguese subject called A. Dias de Carvalho, was published in Montevideo by Luso-American printing in 1881 in the form of  booklet binding made of ordinary paper.

However, whereas Mistérios de Buenos Aires may have belonged to that phenomenon which Lelia Area has designated as “the factious library of the nation”24, that is, the use of fiction to reveal the strategies of federalism structured in the form of a patriotic rant, the publication of the serialised Mistérios de Cordón showed signs of having different aims. The author stated that the work was dedicated to members of the Portuguese colony and added that “the proceeds of this little work will be devoted to publishing a periodical in Portuguese with the title ‘Portugal’ which will support the interests of the Portuguese colony in the River Plate”.Its titlerefers tothe nameof a neighborhoodat thattimewas locatedon the outskirtsof the urban areaandwhich concentratedthe new wave ofimmigrantsfrom the1870s.

As has already been pointed out, we find the same melodramatic matrix in the different narratives, which is underpinned by the two focal points that are often intertwined – the redressing of an injustice and the search for romantic fulfilment. Throughout the plot, the characters who are founded on an exacerbated form of dualism, struggle until they can overcome their misfortunes. In this sense, the leitmotif of the narrative is persecution – a driving-force that is able to unleash the most elementary forces such as vengeance, ambition, power, love and hatred. Nonetheless, the goal of the persecution is different. What the bad seek is to satisfy their own desires while the good sublimate their impulses because they put collective interests above their private concerns. Perhaps the use of this model may have seemed attractive to the River Plate writers because the restoration of violated rights was accompanied by a moralistic message.

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The Mysteries of Buenos Aires recounts the misfortunes of a young widow who leaves Spain in the company of two young children and the  fortune she inherited as the result of the suicide of Duque Arturo de la Cruz del Monte-Valeriano with whom she had been married. On disembarking in Buenos Aires, then controlled by the government of Juan Manuel de Rosas, Helena is subjected to all kinds of misfortunes including being separated from her children. The partisans of Rosas constitute the most bloodthirsty people imaginable and are capable of committing the most heinous crimes. The extolling of violence is reflected in the exclamation of the dictator: “....I am responsible for the salvation of the country and unless we shed the last drop of blood of our enemies, we will never have peace or security. We have the right to exterminate anyone who has the audacity to commit the sacrilege of an uprising”. At the end of the story, there is the redemption of Sr. Armando de Figueroa who before committing suicide reveals that he is the father of Helena, reintroduces the children who had been separated from their maternal embrace and provides the real story of the life of the character.

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The plot of The Mysteries of Cordón is not very different. The novel is also grounded on the theme of vengeance and the restoration of the truth and where appeals are made through dramatic cuts, sudden breakthroughs, setbacks and incredible adventures. Mauricio Medicis is innocently involved in a murder committed by a gangster contracted by a farmer, which led to Mauricio being separated from any further meetings with his beloved. After serving a long prison sentence, he managed to rescue Elisa who had been cloistered in a convent in Buenos Aires and after marrying her, went to live in his ancestral home in Piedmont.

Regardless of the literary value of these works, which assuredly it is difficult to endorse, it must be admitted that the strategy of appropriation employed by all these authors is a response to the challenge to produce a novel in zones that are not hegemonic. If as the philosopher Lukacs believed, the novel form is the epic poem of the bourgeoisie, what can be said about the narratives produced in the midst of urban settings far removed from the urban centre of Paris ? While the strategy of appropriation was a recourse used to establish the legitimacy of writers who sought to aspire to the condition of authors in a literary system that was being formed, at the same time, the use that they made of Sue´s novel did not allow them to accept any sign of the “literature of consolation” as defined by Marx or Umberto Eco. In the three examples cited, the imitation reveals an intertextual procedure and at the same time, makes literature a vehicle for discussing the problems faced by “young” nations.

Therefore, it is notto postulate thatthe mysteriesof the River Plate are lower thaninits formal aspect, but its peculiarities also result fromconditions for the possibility itself of writing. In this case, I conclude by reiteratingthe argumentElisaMartí-López when shestates that “in the mid nineteenth century all commercial publishing resources were invested in promoting and disseminating the French novel in Spain (in our case, in the South America). The French novel satureted the South American literary market and determinated the habits and expectations of their readers. These facts transformed the close economic and artistic collaboration between publisher and author – which sustained the emergence of the novel as new hegemonic genre in nineteenth century France and Britain – into a strictly economic transaction where the creative energy of the literatos (“writers”) was directed toward translation and imitation. Translation and imitation were the forms of novel-writing brought forth by the peripheral position the South American literary market occupied in the new cultural order”25.

(Universidade de São Paulo, Brazil)

Notes

1  Voir Furlong Cardiff, Guillermo. Historia y bibliografía de las primeras imprentas rioplatenses, 1700-1850. Buenos Aires, Guarania, 1953 ; Parada Alejandro, « Lugares y horizontes del libro y de la lectura en el Buenos Aires de 1820 a 1829 », Cuando los lectores nos sussuran. INIBI/Universidad de Buenos Aires, 2007, pp. 85-112.

2  Boscq, Marie-Claire. « La France et les échanges transatlantiques au XIXe siècle ». La circulation transnationale des imprimés – Connexions (University of São Paulo, 28/08/2012). In: http://www.iel.unicamp.br/coloquio/files/MARIE-CLAIRE_bra.pdf

3  Voir  Schapochnik Nelson,  « Edição, recepção e mobilidade do romance Les Mystères de Paris no Brasil oitocentista »,  Varia Historia v. 26 nº44 (UFMG), 2010, pp. 591-617 ; Caparelli André, Les Mystères de Paris (1842-1843) d`Eugène Sue : enjeux médiatiques d´une écriture au rez-de-chaussée du journal. Université Paul Valéry – Montpellier III, Mémoire de Master II de Lettres Modernes, 2008.

4  Il faut rappeler qu’il y avait un cabinet de lecture à Rio Grande dans lequel le catalogue de 1854 enregistre une édition des Mystères de Paris en cinq volumes, publiée en portugais à Rio de Janeiro. Voir Schapochnik Nelson, Op. cit.

5  Martin Fierro est un poème épique composé en 1872 par l’écrivain et journaliste José Hernandez. Il est considéré comme l’un des ouvrages majeurs de la littérature argentine (note de la traductrice).

6  Oribe Emilio, Rapsodia bárbara. Montevideo, Intendencia Municipal de Cerro Largo/ Banda Oriental, 1993, p.21. (Edición crítica, advertencia y cronología de Pablo Rocca). [1ª ed.: Montevideo, 1953]. Cette référence a été aimablement fournie par le docteur. Pablo Rocca. Pour une compréhension du rôle de ce médiateur, voir Mollier Jean-Yves, O Camelo. Figura emblemática na comunicação entre os homens. São Paulo, EDUSP, 2009.

7  Hellemans Jacques, « O comércio internacional da livraria belga no século XIX. O caso das reimpressões (1815-1854) » In Livro. Revista do Núcleo de Estudos do Livro e da Edição (NELE) nº1 (Cotia), 2011, p. 90. Voir aussi Lyons Martyn, « Les contrefaçons belges » dans Chartier Roger et Martin Henri-Jean. Histoire de l´édition française, v.3. Paris,  Fayard/Cercle de la Librairie, 1990, pp. 321-322.

8  Pendant notre recherche, nous avons localisé différentes éditions qui ont été écrites en français mais qui ont été produites en dehors de la France : Brussels (Meline, Cans et Co./1842-44 ; Société Belge de Librairie/1843; Alphonse Lebèque et Sacré Fils/1843; Meline, Cans et Co./1845), Colônia (E.Welter/1843-44, 1850), New York (Presse du New World/1844).

9  Vodicka Felix, « A história da repercussão das obras literárias », dans Toledo Dionísio (dir.), Círculo Linguístico de Praga : estruturalismo e semiologia, Porto Alegre, Globo, 1978, p. 299.

10  Ce journal est accessible sur le website de la bibliothèque digitale brésilienne des périodiques : http://memoria.bn.br/DocReader/docreader.aspx?bib=700096&pasta=ano 185&pesq=misterios del plata

11  Batticuore Graciela, La mujer romántica. Lectoras, autoras y escritores en la Argentina : 1830-1870. Buenos Aires: Edhasa,  2005, p. 135.

12  Area Lelia, Una biblioteca para leer la Nación, Rosário,  Beatriz Viterbo, 2007.

13  MARTÍ-LÓPEZ Elisa, Borrowed words. Translation, Imitation, and the Making of the Nineteenth-Century Novel in Spain. Lewisburg,  Bucknell University Press, 2002, p.11.

14  See: FURLONG CARDIFF, Guillermo. Historia y bibliografía de las primeras imprentas rioplatenses, 1700-1850. Buenos Aires: Guarania, 1953; PARADA, Alejandro. Lugares y horizontes del libro y de la lectura en el Buenos Aires de 1820 a 1829. Cuando los lectores nos sussuran. INIBI/Universidad de Buenos Aires, 2007, pp. 85-112.

15  BOSCQ, Marie-Claire. “La France et les échanges transatlantiques au XIXe siècle”. La circulation transnationale des imprimés – Connexions (University of São Paulo, 28/08/2012). In: http://www.iel.unicamp.br/coloquio/files/MARIE-CLAIRE_bra.pdf

16  See: SCHAPOCHNIK, Nelson. Edição, recepção e mobilidade do romance Les mystères de Paris  no Brasil oitocentista. Varia Historia v.26 nº44 (UFMG), 2010, pp.591-617; CAPARELLI, André. Les Mystères de Paris (1842-1843) d`Eugène Sue: enjeux médiatiques d´une écriture au rez-de-chaussée du jornal. Université Paul Vellery – Montpellier III: Memóire de Master II de Lettres Modernes, 2008.

17  It is worth recalling that there was a reading-room in Rio Grande in which the catalogue for 1854 recorded the preservation of an edition of the Mysteries of Paris in 5 volumes, published in Portuguese in Rio de Janeiro. Apud: SCHAPOCHNIK, Nelson. Ob. Cit.

18  ORIBE, Emilio. Rapsodia bárbara. Montevideo, Intendencia Municipal de Cerro Largo/ Banda Oriental, 1993, p.21. (Edición crítica, advertencia y cronología de Pablo Rocca). [1ª ed.: Montevideo, 1953]. Reference kindly provided by Dr. Pablo Rocca. For an understanding of the role of this mediator, see: MOLLIER, Jean-Yves. O Camelo. Figura emblemática na comunicação entre os homens. São Paulo: EDUSP, 2009.

19  HELLEMANS, Jacques. O comércio internacional da livraria belga no século XIX. O caso das reimpressões (1815-1854) In Livro. Revista do Núcleo de Estudos do Livro e da Edição (NELE) nº1 (Cotia), 2011, p.90. Also see: LYONS, Martyn. Les contrefaçons belges. In: CHARTIER, Roger et MARTIN, Henri-Jean. Histoire de l´édition française v.3. Paris: Fayard/Cercle de la Librairie, 1990, pp.321-322.

20  During our research, different editions were located that were written in French but produced outside France: Brussels (Meline, Cans et Co./1842-44; Société Belge de Librairie/1843; Alphonse Lebèque et Sacré Fils/1843; Meline, Cans et Co./1845), Colônia (E.Welter/1843-44, 1850), New York (Presse du New World/1844).

21  VODICKA, Felix. A história da repercussão das obras literárias. In: TOLEDO, Dionísio (org.). Círculo Linguístico de Praga: estruturalismo e semiologia. Porto Alegre: Globo, 1978, p.299.

22  The journal is accessible on the website of the Brazilian Digital Newspaper Library: http://memoria.bn.br/DocReader/docreader.aspx?bib=700096&pasta=ano 185&pesq=misterios del plata

23  BATTICUORE, Graciela. La mujer romántica. Lectoras, autoras y escritores en la Argentina: 1830-1870. Buenos Aires: Edhasa, 2005, p.135.

24  AREA, Lelia. Una biblioteca para leer la Nación. Rosário: Beatriz Viterbo, 2007.

25  MARTÍ-LÓPEZ, Elisa. Borrowed words. Translation, Imitation, and the Making of the Nineteenth-Century Novel in Spain. Lewisburg: Bucknell University Press, 2002, p.11.

Pour citer ce document

Nelson Schapochnik, « Mysterymania : de Paris au Rio de la Plata [également disponible en anglais] », Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations, sous la direction de Dominique Kalifa et Marie-Eve Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-mysteres-urbains-au-xixe-siecle-circulations-transferts-appropriations/mysterymania-de-paris-au-rio-de-la-plata-egalement-disponible-en-anglais