Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations

Trois décennies de « mystères urbains » en Russie : de la peinture du peuple à l'inventaire des bas-fonds [également disponible en russe]

Table des matières

FRANÇOISE GENEVRAY

Les « mystères urbains » façon Eugène Sue s'introduisent en Russie aussi vite qu'ailleurs en Europe ou aux Amériques. L'élite mondaine ou cultivée sait le français, lit des revues parisiennes et traduit abondamment : Les Mystères de Paris reçoivent une version russe dès 1843, Les Mystères de Londres (P. Féval) dès 1844 et d'autres suivront1. Nombre d'auteurs russes vont s'en inspirer, combinant à leur tour géographie citadine, enquête sociale et figuration du crime. Pétersbourg de jour et de nuit2, Les Mystères de Moscou. Récit d'un enquêteur3, Les Bas-fonds de Pétersbourg4, Les Tanières et bas-fonds de Moscou5, Les Mystères du Pétersbourg contemporain6, ces titres suggèrent la part obscure et inquiétante des capitales de l'empire, leurs dessous invisibles et censément ignorés du lecteur. Chronotope urbain et contemporain, accent porté sur la misère et sur le vice, schéma binaire opposant le grand monde et la plèbe non sans les lier étroitement par l'intrigue – les principaux traits du mystère urbain se reconnaissent en effet dans notre corpus, ici limité aux années 1845-18777.

Deux constats s'imposent au terme d'un premier inventaire. L'un concerne le vocabulaire : si l'on compare avec d'autres pays, peu de productions russes s'intitulent littéralement « mystères ». Le lexique fait obstacle, dans la mesure où le mot misterija venu du grec ne parvient pas à s'introduire dans un contexte aussi profane : la langue russe le réserve soit aux cultes antiques pourvus de rites ésotériques (mystères d'Isis, d'Orphée, etc.), soit au genre dramatique connu pour avoir été pratiqué en France à l'époque médiévale dans un contexte religieux. Les traducteurs de Sue ou de Féval, de même que les premiers auteurs de mystères urbains autochtones, recourent au terme tajny, pluriel de tajna qui signifie 'énigme' ou 'secret'. Quant à l'acception profane, autrement dit littéraire et plus ou moins mercantile de misterija, elle n'émerge que dans les années soixante et reste perçue comme un emprunt : Levitov intitule d'abord « Un de nos prétendus mystères [misterii] » le récit renommé ensuite « Un mystère [tajna] à Moscou8 ». Si le vocable mysterymania surgit outre-Manche en 1845, son homologue russe déferle vingt ans plus tard dans le sillage de Peterburgskie truchtchoby[Les Bas-fonds de Pétérsbourg]. Truchtchoby signifie 'lieu éloigné, difficile d'accès'9, puis 'quartiers mal famés', 'taudis', 'bas-fonds'. Une fois mis en vogue par le succès du roman de Krestovski, ce mot prend le relais de tajny dans les titres choisis pour illustrer Moscou (Levitov, 1866) et Kiev (1868)10. Et c'est lui qui génère deux néologismes péjoratifs : l'auteur des Bas-fonds de Kiev évoque la « taudipathie nationale » qu'il concourt d'ailleurs lui-même à alimenter11 et qu'un journaliste d'Odessa nomme « taudimanie12 ». Quant au mot tajny qui servait depuis plus de vingt ans à traduire « mystères », s'il ne perd pas d'emblée l'aura littéraire acquise du vivant d'E. Sue, son emploi ultérieur se spécialise dans les histoires de crimes ou délits et d'enquêtes policières, fictions centrées sur les exploits d'un détective qui fleuriront jusqu'à la fin du XIXe siècle et au-delà.

Deuxième constat informant notre problématique : quelle que soit la manière dont les titres arborent ou non le label « mystère », le seul équivalent russe véritable des Mystères de Paris, équivalent en substance pour ce qui est à la fois du volume, de l'esprit et des thèmes, reste le roman de Krestovski, écrit plus de vingt ans après le prototype français. Demandons-nous quel frein a pu ralentir l'éclosion de mystères urbains autochtones : ce point fera l'objet d'une partie centrale dans l'aperçu globalement diachronique que voici.

Des Mystères de Paris à Pétersbourg de jour et de nuit

Le roman d'E. Sue est largement commenté dans plusieurs revues russes. Les autres mystères urbains, venus de France, d'Allemagne ou d'ailleurs, donnent lieu à des recensions généralement négatives. L'imitation du modèle, dénoncée comme telle, passe mal auprès des critiques et la réticence des auteurs à lui emboiter le pas trouve là un début d'explication : afficher l'étiquette « mystères » garantit peut-être un succès lucratif, mais risque de compromettre une réputation littéraire. En avril 1844, Vissarion Belinski consacre dix-neuf pages à développer son point de vue sur Les Mystères de Paris13. On a tort, selon lui, de crier au génie pour cette « imitation gauche et ratée des romans de Dickens14 », pleine d'effets mélodramatiques et d'inventions tirées par les cheveux. Si l'intention est louable, l'exécution ne vaut rien. Montrer « les souffrances des malheureux, de gens voués à l'ignorance et à la misère, et par l'ignorance et la misère – au vice et au crime15, » voilà une excellente idée dont Sue tire un mauvais roman, ou plutôt « un conte de fées16 ». Car Rodolphe et la Goualeuse sont invraisemblables et faux : comment croire à ce prince de Gérolstein qui s'habille en ouvrier ou en commis pour « jouer » au philanthrope17 ? Au fond, le héros du livre c'est le peuple18, mais l'auteur n'a pas su montrer l'enjeu d'un tel choix. Compatir aux misères populaires ne suffit pas, il faut revoir « toute l'organisation sociale », les rapports de classe entre peuple et bourgeoisie19. Finalement le mérite d' E. Sue, malgré tous ses défauts ou plutôt grâce à eux puisqu'ils s'accordent aux goûts de la foule, aura été de mettre une grande idée à la portée de tous20.

Cet article retient d'autant plus l'attention que Belinski, publiciste renommé, occupe une position charnière entre la réception critique et la réception créatrice des Mystèresde Paris. Son jugement a valeur prescriptive dans une fraction du milieu littéraire qu'il connaît d'assez près pour collaborer à des publications conjointes, telles ces « physiologies » de Pétersbourg dont il sera question plus loin. Les épigones potentiels du Français sont ainsi prévenus que la barre sera placée haut : un roman russe de la ville ne sortira du lot que s'il renonce aux artifices du genre « frénétique » (protagoniste déguisé, péripéties forcées, recherche du sensationnel) afin d'opter pour le vrai dans la peinture de la société.

La traduction des Mystères de Paris s'achève à peine queLe Cabinet de Lecture, revue mensuelle très répandue, publie en quatre livraisons Pétersbourg de jour et de nuit21. Belinski épingle aussitôt ce texte comme une « parodie », mais involontaire, d'E. Sue22. En fait de roman urbain, les localisations chez Kovalevski restent vagues et les toponymes fort rares. L'auteur situe l'action pour partie en lisière de la ville, dans ces faubourgs où maisons modestes et isbas branlantes enfouies sous la végétation s'alignent le long de rues boueuses et désertes. Averses, bourrasques de vent marin... l'incipit nocturne est aussi mouillé que celui des Mystères de Paris23. Qui croise-t-on dehors par un temps pareil ? Les sans-logis, qui n'ont pour abri qu'un « trou sous une palissade, une dalle sous l'arche d'un pont ou l'auvent d'un fronton », « des gens que bien entendu vous ne connaissez pas et peut-être ne voulez pas connaître » alors qu'ils « ne sont pas sans dignité » et « méritent qu'on les regarde avec bienveillance et sollicitude ». À la compassion dictée par le narrateur se joint chez lui du respect pour « Le Loqueteux », tel est le sobriquet de Vania, un garçonnet cheminant dans la nuit pluvieuse : « y en a-t-il beaucoup qui, comme lui, affamés, sans chaussures, à demi-nus, sacrifieraient tout ce qu'ils ont pour libérer leur père de l'asile24 ? » Vania gagne son pain comme chiffonnier et joue des tours pendables aux gens de la rue, vendeurs, cochers ou mendiants. On pense au Tortillard d'E. Sue, cet « avorton railleur25 », mais chez Kovalevski tout est plus pâle, moins buriné, et le garnement s'amendera assez vite une fois confié à de bonnes mains. Le deuxième chapitre s'intitule Tajna, « Le secret », ou « Le mystère » si l'on voit là une allusion à l'auteur français : ce mystère émane de l'accusation lancée juste avant de mourir par le père de Vania contre un sinistre inconnu ayant apporté ruine et déshonneur à sa famille. Kovalevski met donc deux logiques narratives en action. Le premier chapitre (« Le chiffonnier ») invite à découvrir l'existence des humbles et des indigents, le suivant installe une opacité dramatique, avec une sombre histoire dans laquelle on pressent un ou plusieurs forfaits. La dialectique du dire et du taire, du dévoilement et de la dissimulation une fois enclenchée, le récit s'organise autour de Vania avant de se ramifier vers d'autres milieux.

Le personnel romanesque

Une vue synthétique des premiers mystères de Pétersbourg conduit à mettre en évidence trois types de personnages. Le thème de l'enfance abandonnée, central chez E. Sue, l'est aussi chez Kovalevski, comme vingt ans plus tard chez Krestovski (Ivan Veresov, Maria Povetina), comme entre temps dans Humiliés et Offensés de Dostoïevski (la fillette prénommée Elena ou Nelly). L'intrigue tourne autour d'un enfant perdu, enlevé, abandonné ou délaissé. Dans Pétersbourg de jour et de nuit ils sont trois : Smolnev, demi-frère de la princesse Vera ; à la génération suivante, Vania et sa sœur Jenny, nés d'un premier mariage de Vera et dont le prince Alexis, deuxième époux, cherche à capter la part d'héritage. Une autre figure récurrente est celle du prince dévoyé et suborneur, mêlé à des affaires douteuses ou carrément crapuleuses. Le prince Alexis soudoie un gamin des rues pour tenter de séduire Olga, jeune fille de condition modeste qui échappe de peu, de sa part, à un véritable viol. Situation rejouée dans Humiliés et offensés par le prince Valkovski lorsqu'il propose à Natacha de gagner quelque argent dans les bras de l'infâme comte Naïnski. Situation reprise aussi, en plus catastrophique, dans Les Bas-fonds de Pétersbourg où le prince Vladimir Chadourski abuse de Julia Beroeva, déclenchant une suite de malheurs qui la conduiront presque au tombeau. Troisième acteur familier dans ces pages : l'usurier richissime, qui amasse pour assouvir une soif de vengeance et de reconnaissance sociale. Renié par sa demi-sœur Vera comme il l'avait été par leur mère, Smolnev fait enlever Vania et Jenny. C'est lui le chef d'orchestre longtemps invisible26, le manipulateur qui tire les ficelles, dirige les tribulations des enfants et ruine le couple princier – tout cela pour récupérer son nom, son titre et sa part d'héritage. Mordenko, chez Krestovski, sera un autre Smolnev.

Aucune figure héroïque ne prend corps, ni chez Kovalevski ni chez ses confrères. Rodolphe, justicier tout-puissant, Rio Santo, conspirateur de haut vol, obéissent à un idéal généreux, quand bien même leurs méthodes se discutent. Smolnev et Mordenko n'ont pas cette ambivalence et n'étanchent qu'une soif de vengeance strictement personnelle, mobile unique de leurs agissements : Mordenko, ancien serf affranchi devenu l'intendant du prince Dimitri Chadourski, travaille des années durant à se venger d'un soufflet reçu de son maître. Le « prince déguisé27 », ce bienfaiteur secret qui œuvre à soulager les misères et à sauver les innocents reste singulièrement absent, et que le happy end fasse également défaut n'a donc rien d'étonnant. Lorsqu'en 1862 Levitov annonce qu'il va imiter E. Sue, ce n'est qu'une feinte ironique. Piotr Zouitchenko, provincial venu chercher du travail à Moscou, rencontre un baron allemand qui lui promet l'intervention d'un oncle secourable : « mon oncle est un prince », dit-il. Or ce mot magique n'est que poudre aux yeux, et le prétendu mystère se réduit à un bluff banal28. Belinski trouvait Rodolphe invraisemblable, bon pour un conte de fées mais impropre au roman social : les auteurs russes n'ont personne pour le remplacer. Stepan Ivanovitch Bob, l'avocat des pauvres, témoin navré des turpitudes du Pétersbourg contemporain (1875), n'a ni l'envergure hors du commun ni l'efficacité du rôle29.  

Physiologies ou mystères ?  

Le transfert du mystère urbain vers le domaine russe invite à chercher dans le contexte local ce qui favorise ou ce qui entrave l'acclimatation du modèle. Celui-ci fait son entrée dans la presse parisienne (juin 1842) à l'époque où reflue la grande vague des physiologies30. À Paris les deux phénomènes se succèdent, mais en Russie ils sont concomitants : la recension et la traduction des physiologies françaises, de même que la publication des physiologies russes les plus marquantes31coïncident exactement au milieu des années quarante avec l'arrivée des Mystères de Paris, de Londres et de Berlin. La rivalité générique est inévitable, car les études physiologiques ont pour sujet de prédilection la capitale du nord, mise en vedette par des titres qui feront date dans l'histoire littéraire nationale : Les Hauteurs (les greniers) de Pétersbourg par Iakov Butkov (1845), Physiologie de Pétersbourg, anthologie réunie par Nekrasov et Belinski (1845), puis Le Recueil de Pétersbourg (1846) où figure Les Pauvres gens, premier roman de Dostoïevski. Détail significatif de cette promotion de la capitale, et symptôme de l'étroite liaison entre l'école 'naturelle' et l'écriture de Pétersbourg : « Le feuilletoniste russe. Étude de mœurs zoologique » d'Ivan Panaev (1841) reparaît dans l'anthologie de 1845 avec pour titre « Le feuilletoniste de Pétersbourg ». Comparé à celui des physiologies parisiennes qui, tout en privilégiant le menu peuple, se penchent aussi sur d'autres conditions (l'homme de loi, l'imprimeur, le député, le médecin, le diplomate...), l'éventail des types sociaux et professionnels se resserre fortement : leurs homologues russes s'attachent pour la plupart aux petits métiers (joueur d'orgue de Barbarie, portier, cocher, porteur d'eau, nourrice, employés minuscules...). Les physiologistes investissent la sphère urbaine pour y découvrir des vies restées cachées – non parce qu'elles seraient honteuses ou coupables, mais parce qu'elles échappent à l'œil du passant ou manquent de visibilité littéraire. C'est ainsi que la Physiologie de Pétersbourg débusque les « secrets » ou « mystères » (double traduction possible, on l'a vu) « de notre vie sociale », écrit Nekrasov : le mot tajny fait signe en direction d'E. Sue, mais pour s'en démarquer, fût-ce de manière implicite32. Car il s'agit là d'humbles secrets du quotidien, sans panache romanesque, de mystères cueillis à même la rue sans déployer les grands moyens : telle est la voie empruntée en Russie par l'école dite « naturelle », bientôt rebaptisée « réaliste », qui d'emblée entretient un rapport étroit, consubstantiel, avec l'écriture de la grande ville. Les physiologies urbaines copient « d'après nature », écrit Belinski qui les approuve33, « la nature sans voile », répond Bulgarin qui s'en offusque et qui lance l'épithète « naturelle34 » pour discréditer ces auteurs épris de choses « sales et noires35 », de scènes triviales tirées des milieux inférieurs.

On ne saurait trop souligner cette simultanéité décisive : l'essor des physiologies russes coïncide dans le temps avec l'importation des mystères urbains étrangers, et ce télescopage dessert leur imitation directe. S'il est vrai que le livre d'E. Sue, comme Belinski le répète à l'envi36, a le peuple pour héros, des mystères autochtones pourraient prendre ce chemin. Mais s'il est indéniable que les thèmes se rejoignent, en revanche la poétique du mystère urbain, avec son intrigue enchevêtrée et son protagoniste hors du commun (Rodophe, Rio Santo), contredit radicalement les principes de « l'école naturelle », qui veut des personnages ordinaires, une action simple, un récit linéaire. La divergence éclate donc sur plusieurs plans : le registre fictionnel, les techniques, le format. Ample roman d'aventures parfois peu vraisemblables ou courtes scènes de genre oscillant entre la nouvelle (povest') et l'étude documentaire (otcherk)37, ces deux façons de représenter les zones obscures d'une métropole entrent en concurrence immédiate. L'Abeille du nord les perçoit comme voisines et rivales quand elle réprouve le fait qu'on s'apprête à traduire de nouvelles physiologies, comme s'il importait de connaître, après « les grands Mystères de Paris », les petites affaires des grisettes, lorettes et viveurs parisiens : ce journal met sur le même plan pareilles « mœurs d'insectes » et les « mystères malpropres venus de Paris », toutes choses dont la Russie n'aurait aucun besoin38... L'orientation physiologique va pourtant s'imposer durablement, perpétuant le moule monographique de l'esquisse ou croquis (otcherk), bref tableau de mœurs plus ou moins narrativisé qui prolifère dans les revues des années soixante chez des auteurs de second rang, A. Levitov, G. Uspenski, F. Rechetnikov, P. Gorski, N. Pomialovski, auxquels les motifs urbains fournissent une matière abondante39.

Les Bas-fonds de Pétersbourg  

Quant à Vsevolod Krestovski (1839-1895), qui gravite autour des revues animées par Dostoïevski au début des années soixante (Le Temps, puis L'Époque), lui aussi commence par des formes brèves (fel'eton, rasskaz, otcherk) sa carrière de prosateur avant de l'infléchir vers un projet ambitieux : apprivoiser le copieux mystère à la française tout en renouvelant son contenu dans un sens hyper-naturaliste. Après les courts-métrages, voici donc la superproduction, Les Bas-fonds de Pétersbourg, mille quatre cent cinquante pages aussi fascinantes qu'éprouvantes d'un roman qui remporte un grand succès, puis qui tombe dans un oubli presque complet jusqu'à une date récente40.

Que le « mystère » à la française conserve un réel pouvoir d'attraction, Dostoïevski lui-même en témoigne à l'époque. En 1861, l'intertexte des Mystères de Paris transparaît clairement dans Humiliés et offensés, dont l'auteur déclare au détour d'une chronique parallèle : « Si j'étais un feuilletoniste, non pas occasionnel, mais patenté, de toujours, il me semble que je voudrais me transformer en Eugène Sue pour raconter les Mystères de Pétersbourg. Je suis terriblement amateur de mystères41 ». Remises dans leur contexte, ces lignes se révèlent équivoques car les deux mots-clés (mystère, feuilleton) donnent lieu à un glissement de sens qui les détourne de la source invoquée. Et de fait, malgré des affinités indéniables, Humiliés et offensés, comme cinq ans plus tard Crime et châtiment, reste en deçà du programme d'écriture annoncé par Sue lorsqu'il entreprend d'aborder des « régions horribles », des « types hideux, effrayants » et de descendre au « dernier échelon de l'échelle sociale42 ». Le personnage-type des Pauvres gens était le petit fonctionnaire, décliné en plusieurs spécimens, et Dostoïevski continue d'écrire le roman des pauvres, parfois très pauvres, plutôt que des misérables (indigents, malfaiteurs, prisonniers) qui chez lui n'ont pas rang de protagonistes. Comparée aux prostituées que vient d'exhiber Krestovski, la jeune Sonia jouit d'un sort presque enviable, du moins a-t-elle un toit et un foyer, si pitoyable que soit la famille Marmeladov (Crime et châtiment).

Dans Les Bas-fonds de Pétersbourg règne non plus le tiers état dostoïevskien qui niche dans des « coins43 » miteux ou d'étroites mansardes – bien plutôt le quart monde des taudis infects, des tripots infâmes et d'asiles de nuit désespérants. Le projet de mystère caressé par Dostoïevski, c'est Krestovski qui le réalise44, intronisant dans les lettres russes un Pétersbourg fangeux ignoré ou à peine entrevu (ne serait-ce que pour raison de censure) par les physiologies: la misère est ici absolue, la détresse lamentable, la déchéance ignoble, la désocialisation extrême. Creusant l'écart indiqué par le sous-titre de 1867 entre « les repus » et les « affamés », son livre fourmille de personnages pris un peu partout sauf, à de rares exceptions près, dans les classes moyennes : prolétaires à bout de ressources, vagabonds, éclopés, petits filous, aristocrates scélérats, escrocs du demi-monde, repris de justice, maquerelles, faussaires, filles perdues et dames philanthropes, aventuriers et intrigantes. La nouveauté réside moins dans le discours humanitaire tenu par le romancier pour réhabiliter les parias sociaux45que dans l'esprit de système appliqué à inventorier les zones de relégation où survivent marginaux, déclassés, indigents et malfrats. Là s'étalent les pires « plaies de l'organisme social46 », appelant de longues plages descriptives où l'auteur-enquêteur marque son rôle de témoin oculaire. Le fait est que Krestovski s'appuie sur des observations directes : il a, comme Dickens à Londres et à New-York, arpenté les bas quartiers de sa ville avec un fonctionnaire de police, écouté des interrogatoires, feuilleté des dossiers judiciaires. Plusieurs chapitres exclusivement descriptifs, augmentés parfois de notes volumineuses, miment la démarche du géographe, du sociologue et de l'ethnographe : le narrateur découpe des micro-espaces dans le tissu bâti, signale les dernières mutations urbanistiques, subdivise les types humains de Pétersbourg en « catégories » qu'il délimite selon l'origine régionale ou ethnique, la confession religieuse, les activités. Précision topographique et toponymique, profusion descriptive, approche panoramique et regard classifiant47, progression par degrés et niveaux jusqu'au fin fond du malheur et de l'avilissement soutiennent ce parti-pris documentaire. Le roman se signale enfin par sa bigarrure linguistique : russe courant, russe déformé par des étrangers, idiome populaire, argot des malandrins, slavon d'Église, dialectismes provinciaux, idiolectes de milieux ou de professions – la diversité des parlures forme une mosaïque langagière qui n'a peut-être pas d'égale dans le genre qui nous occupe48.

Passant de l'étude de mœurs au roman-fleuve et de la peinture du peuple à l'inventaire des bas-fonds, Krestovski atteint un sommet du genre, épuisant d'un coup et pour longtemps en Russie la veine du mystère urbain social. Dix ans plus tard, le prince Mechtcherski s'étendra avant tout sur le véreux et sur le vénal, sondant le chancre de l'affairisme et la gangrène du nihilisme où cet idéologue veut voir, tel est son mot, un « mystère » moral. D'autres renoueront avec le label « mystères » [tajny] pour exploiter un filon nouveau, celui du roman criminel et policier qui fleurit ici comme en France dans les imprimés bon marché à grand tirage, notamment dans les productions sérielles de format réduit. Une autre veine alimentera les « mystères de cour » à prétention historique (cours de France, d'Espagne, de Constantinople), souvent traduits d'autres langues : ainsi, Tajny zimnjavo dvortsa [Les Mystères du Palais d'hiver], plusieurs fois édité en russe, provient d'un original allemand de Paul Grimm, Die Geheimnisse des Winterpalais49(1866). L'examen des supports de publication (revues, quotidiens, fascicules) montrerait qu'autour des mystères urbains journalisme, littérature et commerce de l'imprimé s'articulent diversement  au fil du temps50. Enfin, pour ce qui est des transferts franco-russes et des coopérations russo-françaises (traductions, adaptations, réécritures) qui font circuler les textes, leur histoire reste à compléter, élucidant peut-être au passage quelques mystères tenaces du royaume de l'édition51.

(Université Jean Moulin, Lyon III)

(RU) Три десятилетия «городских тайн» в России : от изображения народа к инвентаризации трущоб

«Городские тайны» в манере Эжена Сю приходят в Россию тогда же, когда и в остальную Европу и Америку. Светская и образованная элита говорит по-французски, читает парижские журналы и переводит в количестве. Русская версия Les Mystères de Paris появляется уже в 1843 году, в 1844 году переводят Les Mystères de Londres (П. Феваль), за ними последуют и другие52. Многие русские авторы вдохновятся ими, чтобы в свою очередь начать писать прозу, сочетающую городскую географию, социальное исследование и рассказ о преступлении. «Петербург днем и ночью»53, «Московские тайны. Рассказ сыщика»54, «Петербургские трущобы»55, «Московские норы и трущобы»56, «Тайны современного Петербурга»57 - подобные названия наводят на мысль о темной и тревожной стороне имперских столиц, об их невидимой изнанке, о которой читатель, предположительно, ничего не знает. Современный городской хронотоп, заострение внимания на нищете и пороке, бинарная схема противопоставления большого мира и черни, связанных при этом интригой произведения – главные черты «городских тайн», которые проявляются в нашем корпусе, ограниченном в данной статье 1845-1877 годами58.

Составляя первый список таких произведений, нельзя не принимать в расчет двух факторов. Первый касается лексики: по сравнению с другими странами, в России мало текстов, в заглавии которых прямо присутствовало бы слово «мистерии» - от французского «mystères». Лексика создает препятствие, поскольку слово «мистерия», пришедшее из греческого языка, не может употребляться в таком обыденном контексте: в русском языке этим словом обозначают античные культы с эзотерическими ритуалами (мистерия Изиды, Орфея и т.д.), или же театральный жанр, существовавший в средневековой Франции. Переводчики Сю или Феваля, так же, как и первые авторы местных «городских тайн», используют термин «тайны». Что же до «народного», т.е. литературного и, в каком-то смысле, коммерческого значения слова «мистерия», оно появляется только в шестидесятых годах и по-прежнему воспринимается как заимствование. Левитов сначала называет рассказ «Из наших будто бы мистерий»59, а затем меняет название на «Московскую тайну». Неологизм «мистеримания» появляется в 1845 году по ту сторону Ла-Манша; аналогичный русский термин начинает массово употребляться спустя двадцать лет в связи с публикацией «Петербургских трущоб». Трущобы сперва означали далекое, труднодоступное место60, потом – кварталы с дурной репутацией, развалюхи, дно. Это слово входит в моду благодаря успеху романа Крестовского, и сменяет «тайны» в названиях, выбираемых для повествований о Москве (Левитов, 1866) и Киеве (1868)61. Именно от этого слова происходят два уничижительных неологизма  : термин «отечественная трущобщина», изобретенный автором «Киевских трущоб», интерес к которой он сам же и поддерживает62, и придуманное одесским журналистом слово «трущобомания»63. Что же до слова «тайны», которое более двадцати лет использовалось для перевода «mystères», хотя оно и не сразу теряет литературную ауру, приобретенную при жизни Эжена Сю, но впоследствии употребляется в основном в историях о преступлениях и полицейских расследованиях. Эти истории о подвигах детективов будут популярны и по окончанию XIX века.

Второй фактор, относящийся к нашей проблематике: вне зависимости от того, входит ли в название книги слово «mystère » или нет, единственным подлинным русским аналогом «Парижских тайн», эквивалентным им и по объему, и по духу, и по тематике, остается роман Крестовского, написанный более чем двадцатью годами позже своего французского прототипа. Возникает вопрос о том, что помешало расцвету жанра городских тайн в России: этот вопрос мы и рассмотрим в центральной части нашего диахронического исследования.

От «Парижских тайн» к «Петербургу днем и ночью»

Роман Э. Сю широко комментируется во многих русских журналах. Другие «городские тайны», пришедшие из Франции, Германии и других стран, получают в основном отрицательные отзывы. Подражание образцу разоблачается и негативно оценивается критиками. Нежелание других писателей следовать этому примеру можно объяснить следующим: ярлык «городские тайны», возможно, гарантирует финансовый успех, но способен бросить тень на писательскую репутацию.

В апреле 1844 года Виссарион Белинский на 19 страницах высказывает свое мнение о «Парижских тайнах»64. По его мнению, не следует провозглашать гением автора «неловкого и неудачного подражания романам Диккенса»65, полного мелодраматических эффектов и притянутых за уши выдумок. Если намерение достойно похвалы, то исполение ничего не достойно. Показать «зрелище страданий несчастных, осужденных на невежество и нищету, а невежеством и нищетою - на порок и преступления»66 - вот прекрасная идея, которую Сю вложил  в плохой роман, или, скорее, в «сказку»67. Ведь характеры Родольфа и Певуньи неправдоподобны и фальшивы: как можно поверить в этого князя Герольштейнского, который переодевается рабочим или приказчиком, чтобы «поиграть» в филантропа68? По сути, герой книги – это народ69, но автор не смог передать всю важность ставки на такого героя. Сочувствовать народным бедам недостаточно, нужно пересмотреть «все устройство общества», классовые отношения между народом и буржуазией70. В конечном итоге заслуга Э.Сю, несмотря на все недостатки его романа, или, скорее, благодаря им, поскольку они соответствуют вкусам толпы – то, что важная идея стала общедоступной71.

Эта статья привлекает внимание тем сильнее, что Белинский, известный публицист, занимает переходную позицию между критическим и творческим восприятием «парижских тайн». Его суждение имеет рекомендательную силу в той части литературной среды, которую он знает достаточно хорошо, чтобы сотрудничать над совместными публикациями, такими, как «Физиология Петербурга», о которой будет сказано ниже. Потенциальные эпигоны Э.Сю также предупреждены, что планка будет высокой: русский городской роман сможет выделиться на фоне себе подобных, только если откажется от уловок «неистового» жанра: переодетого героя, вымученных сюжетных поворотов, погоней за яркими эффектами– чтобы следовать истине при описании общества.

Не успел завершиться перевод «Парижских тайн», как «Библиотека для чтения», популярнейший ежемесячный журнал, публикует в четырех частях «Петербург днем и ночью»72 Белинский тут же пригвоздил этот текст, назвав его «пародией», хотя и невольной, на Э.Сю73. Для городского романа описания местности у Ковалевского остаются нечеткими, а топонимы – редкими. Автор частично помещает действие романа на окраину города, в те пригороды, где скромные домишки и шаткие избы, заросшие сорняками, выстраиваются вдоль грязных пустынных улиц. Ливни, порывы морского ветра... ночные декорации в начале романа не уступают во влажности «Парижским тайнам»74. Кого же мы встречаем на улице в такую погоду? Бездомных, единственное укрытие которых – «какая-нибудь нора под забором, плита под аркою моста или под навесом фронтона», люди, которых вы, «конечно, не знаете, может быть и знать не хотите», тогда как они «не без достоинства», и «все-таки стоят, чтобы взглянуть на них милостиво и покровительственно». К сочувствию, диктуемому автором, примешивается у него уважение к Оборвышу. Это кличка Вани, мальчика, бродящего в дождливой ночи: «и многие ли, подобно ему, голодные, босые, полунагие, пожертвовали бы всем своим состоянием, чтобы освободить отца из богадельни?»75 Ваня работает тряпичником и подшучивает над людьми на улице - продавцами, кучерами или нищими. Он напоминает Le Tortillard Э.Сю, этого «avorton railleur»76, но у Ковалевского все бледно, менее рельефно, мальчишка быстро исправится, попав в хорошие руки. Вторая глава называется «Тайна», в чем можно усмотреть отсылку к французскому автору: эта тайна связана с обвинением, брошенным отцом Вани перед самой смертью в адрес зловещего незнакомца, принесшего семье Вани разорение и бесчестие. Таким образом Ковалевский приводит в действие две нарративные линии. Первая глава («Тряпичник») вводит нас в мир простого люда и трущобных бедняков, в следующей же главе драматически сгущает тени, рассказав темную историю, в которой угадываются одно или несколько злодеяний. Как только запускается диалектика рассказа и молчания, разоблаченного и скрытого, повествование строится вокруг Вани, прежде чем разветвиться.

Персонал романа

Общий взгляд на первые петербургские тайны позволяет выделить три типа персонажей. Тема брошенных детей, центральная у Э. Сю, также оказывается в центре повествования Ковалевского, как и двадцать лет спустя – у Крестовского (Иван Вересов, Маша Поветина), и темвременему Достоевского в «Униженных и оскорбленных» (девочка по имени Елена или Нелли). Интрига вращается вокруг потерянного, похищенного, оставленного или заброшенного ребенка. В «Петербурге днем и ночью» таких детей трое : Смольнев, единокровный брат княжны Веры, и в следующем поколении – Ваня и его сестра Женни, рожденные в первом браке Веры, часть наследства которых пытается захватить князь Алексей, ее второй супруг. Другой часто повторяющийся типаж – коварный и развращенный князь, замешанный в сомнительных делишках или откровенных преступлениях. Князь Алексей подкупает уличного мальчишку, чтобы попытаться соблазнить Ольгу, девушку скромного положения, которая чудом избегает настоящего насилия с его стороны. Эта ситуация вновь разыгрывается в «Униженных и оскорбленных», когда князь Валковский предлагает Наташе заработать немного денег, отдавшись бесчестному графу Наинскому. Эта сцена повторяется уже как трагедия в «Петербургских трущобах», где князь Владимир Шадурский надругался над Юлией Бероевой, вызвав цепь несчастий, которые едва не довели ее до могилы. Третий хорошо знакомый участник таких историй: утопающий в деньгах ростовщик, умножающий свое богатство для удовлетворения жажды мести и ради признания в обществе. Отвергаемый своей единоутробной сестрой Верой, как в детстве – их общей матерью, Смольнев организует похищение Вани и Женни. Это он – до поры до времени «незримый начальник»77, кукловод, который тянет за ниточки, управляя злоключениями детей и разоряя княжескую чету – все это, чтобы получить принадлежащие ему по праву имя, титул и часть наследствa. У Крестовского будет свой Смольнев – Морденко.

Ни у Ковалевского, ни у его собратьев не появляется ни одной героической фигуры. Родольф, всемогущий мститель, Рио Санто, заговорщик высокого полета, повинуются благородному идеалу, хоть методы их и сомнительны. Смольнев и Морденко не так неоднозначны и вершат только личную месть, являющуюся единственным мотивом их действий. Морденко, бывший крепостной, отпущенный на волю, ставший интендантом князя Дмитрия Шадурского, годами трудится, чтоб отомстить за полученную от хозяина оплеуху. «Переодетый князь»78, этот тайный благодетель, который трудится, чтоб облегчать нищету и опекать невинных, полностью отсутствует. В этом свете и отсутствие хэппи-энда никого не удивляет. Когда в 1862 году Левитов заявляет, что собирается подражать Э.Сю, это всего лишь ироническое притворство. Петр Зуйченко, провинциал, приехавший в Москву на поиски работы, встречает немецкого барона, который обещает ему покровительство готового помочь дядюшки. «У меня дядя есть князь», - говорит он. Однако это волшебное слово – всего лишь пыль, пущенная в глаза, и мнимая тайна сводится к банальному блефу79. Белинский находил Родольфа неправдоподобным, сказочным героем, неуместным в социальном романе. Русским автором некем его заменить. Степан Иванович Боб, адвокат бедняков, грустный свидетель мерзостей «современного Петербурга» (1875), не обладает ни масштабностью, ни эффективностью, необходимыми для такой роли80.

Физиологический очерк или городские тайны ?

Перенос городских тайн на русскую почву побуждает нас искать в местном контексте то, что благоприятствует или мешает «акклиматизации» модели. Модель эта появляется в парижской прессе (в июне 1842 года) в тот момент, когда страну захлестывает волна «физиологий»81. В Париже эти два явления следуют друг за другом, в Россию же оба приходят одновременно: анализ и перевод французских физиологических очерков, а также публикация наиболее выдающихся отечественных физиологий82 в середине сороковых годов точно совпадают с прибытием в Россию «парижских», «лондонских» и «берлинских» тайн. Соперничество между ними неизбежно,  поскольку излюбленным сюжетом таких физиологий становится Северная столица, прославленная текстами, которые надолго останутся в истории русской литературы. «Петербурские вершины» Якова Буткова (1845), «Физиология Петербурга», антология, собранная Некрасовым и Белинским (1845), затем «Петербургский сборник» (1846), в котором фигурируют «Бедные люди», первый роман Достоевского. Важная деталь этого «продвижения столицы»  и симптом тесной связи между натуралистической школой и прозой о Петербурге:  «Русский фельетонист. Зоологический очерк» Ивана Панаева (1841) вновь появляется в антологии 1845 года под названием «Петербургский фельетонист». По сравнению с французскими физиологическими очерками, которые, хоть и отдают предпочтение малым мира сего, также уделяют внимание людям других социальных слоев (юристу, депутату, врачу, дипломату...), разбор общественных и профессиональных  типов существенно сужается: их русские коллеги больше всего внимания уделяют людям мелких профессий (шарманщику, швейцару, извозчику, водоносу, кормилице, мелким служащим...). Авторы проникают в городскую сферу, чтобы показать жизнь, остающуюся скрытой – не потому, что такая жизнь стыдна или преступна, но потому, что она ускальзывает от ока прохожего, или же недостаточно освещена в литературе.

Именно так «Физиология Петербурга» срывает покров с«секретов» или «тайн» (поскольку, как мы видели, двойной перевод возможен) «нашей общественной жизни», как пишет Некрасов: «тайны» отсылают к произведению Э.Сю, но только чтоб вернее от него отмежеваться – хотя бы имплицитно83. Поскольку речь идет о ничтожных бытовых «тайнах», собранных прямо с улиц без больших ухищрений: таков путь, выбранный в России школой, названной сперва «натуральной», а позже переименованной в «реалистическую», которая с самого начала поддерживал тесную, неразрывную связь с прозой большого города. Городские физиологические очерки рисуют «с натуры» (т.е. с природы), как одобрительно пишет Белинский84, - «природы без покрова», отвечает Булгарин, который ими возмущается, и бросает эпитет «натуральная»85, чтобы дискредитировать авторов, влюбленных в «грязные,черные»86 вещи, в пошлые сцены, позаимствованные в низах.

Невозможно переоценить роль этого решающего совпадения: расцвет русского физиологического очерка совпадает по времени с приходом в Россию городских тайн из-за границы, и именно это столкновение мешает слепому подражанию. Если верно то, что в книге Э. Сю, как Белинский не устает повторять87, героем является народ, отечественные «тайны» могли бы последовать этим путем. Но если нельзя отрицать, что темы созвучны, то поэтика «городских тайн», с их запутанными интригами и выдающимися героями (Родольф, Рио Санто), радикально противоречит принципам «натуральной школы», которые требуют обыкновенных персонажей, простого действия, линейного повествования. Различия проявляются сразу на нескольких уровнях: стиль повествования, приемы, формат. Объемный роман, описывающий не всегда правдоподобные приключения, или же короткие жанровые сценки на границе рассказа и очерка88 -  две манеры воспроизведения темных зон большого города прямо соревнуются друг с другом. «Северная пчела» рассматривает их как соседей и соперников, осуждая готовящиеся переводы все новых физиологических очерков, как если бы важно было знать, после «великих парижских тайн», делишки парижских гризеток, содержанок и гуляк. Эта газета ставит в один ряд такие «нравы насекомых» и «грязные тайны из Парижа, все эти вещи, в которых Россия абсолютно не нуждается…89 Физиологическая ориентация, однако, останется надолго, увековечив монографичную форму эскиза или очерка, одним словом – более-менее сюжетное описание нравов, которыми изобилуют журналы шестидесятых годов у второстепенных авторов - А. Левитова, Г. Успенского, Ф. Решетникова, П. Горского, Н. Помяловского -  кому городские мотивы дали обильный материал для письма90.

«Петербургские трущобы»

Что до Всеволода Крестовского (1839-1895), издававшегося и в журналах, которыми руководил Достоевский в начале шестидесятых годов («Время», позже – «Эпоха»), он также начинает с короткой формы (фельетонов, рассказов, очерков) свою карьеру прозаика, перед тем, как перейти к амбициозному проекту: адаптировать французские тайны, преобразовав их содержание в гипернатуралистском ключе. И вот, после «короткометражек», блокбастер – «Петербургские трущобы», тысяча четыреста пятьдесят страниц, книга настолько же захватывающая, насколько утомительная, которая имеет большой успех, а потом оказывается в почти полном забвении до недавнего времени91.

О том, что «тайны» на французский манер сохраняют свою притягательную силу, свидетельствует в то время сам Достоевский. В 1861 году реминисценции «Парижских тайн» прочитываются в «Униженных и оскорбленных», автор которых заявляет в параллельной хронике: «Я думаю так: если б я был  не  случайным  фельетонистом,  а  присяжным, всегдашним, мне кажется, я бы пожелал обратиться в Эженя Сю, чтоб  описывать петербургские тайны. Я страшный охотник до тайн»92. Возвращенные в контекст, эти строчки оказываются двусмысленными, поскольку два ключевых слова («тайна» и «фельетон») позволяют изменение смысла, который расходится с источником. И по факту, несмотря на неопровержимое сходство, «Униженные и оскорбленные», как и написанное пять лет спустя «Преступление и наказание», остается в стороне от текста Э. Сю, предпринявшего попытку затронуть «ужасные области», «страшных, отвратительных типов» и спуститься на «последнюю ступень социальной лестницы»93. Типичный персонаж «Бедных людей» - мелкий чиновник; читателю показывают различных представителей этой категории, и Достоевский продолжает писать роман о бедных, порой об очень бедных, скорее, чем об отбросах общества (нищих, преступниках, заключенных), которые у него не становятся главными героями. В сравнении с проститутками, показанными у Крестовского, у юной Сони почти завидная судьба: по меньшей мере, у нее есть крыша над головой и семейный очаг, как бы жалка ни была семья Мармеладовых («Преступление и наказание»).

В «Петербургских трущобах» царит уже не третье сословие по Достоевскому, ютящееся в жалких «углах»94 или тесных мансардах – а скорее четвертое, живущее в смрадных лачугах, отвратительных притонах  и унылых ночлежках. Тот проект «тайн», который нравился Достоевскому, был реализован Крестовским95, воплотившим в русской литературе грязный Петербург, о котором физиологические очерки не писали вообще, или же только слегка затрагивали (хотя бы только из-за цензуры): нищета здесь абсолютная, невзгоды плачевны, упадок отвратителен, десоциализация – крайняя. Увеличивая расстояние между «сытыми» и «голодными», указанное в подзаголовке 1867 г., его книга изобилует персонажами, взятыми понемногу отовсюду, кроме среднего класса (за редким исключением): пролетарии без средств, бродяги, калеки, мелкие жулики, аристократы-негодяи, мошенники из полусвета, осужденные, содержательницы публичных домов, фальшивомонетчики, пропащие девушки и дамы-благодетельницы, искатели приключений и интриганки. Новизна проявляется не столько в гуманитарном дискурсе, когда романист пытается реабилитировать общественных парий96, сколько в системном подходе, когда автор пытается составить опись зон отчуждения, где борются за выживание маргиналы, деклассированные, нищие и бандиты. Там взгляду читателя открываются худшие  «язвы общественного организма»97, которым посвящаются долгие описания в отступлениях, где автор-исследователь играет роль свидетеля-очевидца. Факт в том, что Крестовский опирается на непосредственное наблюдение: он, как Диккенс в Лондоне и Нью-Йорке, ходил по худшим кварталам города в сопровождении полицейского, слушал допросы, листал уголовные дела. Многие главы – исключительно описательные, часто снабженные объемными сносками имитируют записки географа, социолога и этнографа: рассказчик разделяет город на микро-пространства, описывает последние изменения в его структуре, разбивает человеческие типажи Петербурга на «категории», которые он определяет согласно их региональной или религиозной принадлежности, роду деятельности. Топографическая и топонимическая точность, изобилие описаний, панорамный и систематизирующий подход98, поэтапное и поуровневое продвижение до самого дна и полного падения также подтверждают эту документальную направленность. Роман, помимо прочего, выделяется своей неподражаемой языковой мешаниной: разговорный русский, русский с иностранным акцентом, просторечие, воровское арго, церковнославянский, провинциальные диалекты, жаргон различных слоев населения и профессий – разнообразие говоров образует языковую мозаику у которой, возможно, нет равных в рассматриваемом жанре99.

Заключение

Пройдя путь от очерка до многотомного повествования, и от описания народа к описи трущоб, Крестовский достигает вершины жанра, исчерпав единожды и надолго в России источник социальных «городских тайн». Десять лет спустя князь Мещерский будет распространяться прежде всего о разложении и продажности, прощупывая язву аферизма и гангрену  нигилизма, в которых этот идеолог хочет видеть – по его собственному выражению  – «тайну» морали. Другие станут вновь использовать термин «тайны», исследуя новую жилу – криминального и детективного романа, который расцветает здесь, как и во Франции, в дешевых печатных изданиях большого тиража. Другая ветвь – «дворцовые тайны» с претензией на историчность (повествования о дворах Франции, Испании, Константинополя), часто переведенные с других языков. Так, «Тайны Зимнего дворца», несколько раз переизданные на русском, являются переводом с немецкого произведения Пауля Гримма, «Die Geheimnisse des Winterpalais » (1866)100. Изучение публикаций (журналов, ежедневников, брошюр) показывает, что журналистика, литература и печатная коммерция организуются вокруг «городских тайн» по-разному в зависимости от времени101. Наконец, в том, что касается франко-русского обмена (переводы, адаптации, переработки романов), благодаря которому тексты переходят из одной культуры в другую, их историю следует дополнить, что, возможно, прояснит некоторые тайны из области книгоиздания102.

пер. с  франц. с  помощью И. Хмелевской

(Университет Жан Мулен, Лион III)

Notes

1  Berlinskie tajny [Les Mystères de Berlin], trad. de l'allemand (1844) par V. et P. Furman, 1846. Brjussel'skie tajny[Les Mystères de Bruxelles] par Suau de Varennes (1845-1846), trad. russe 1847.

2  Egor P. Kovalevskij, Peterburg dnëm i notchju, dans Biblioteka dlja Chtenija [Le Cabinet de Lecture],1845 (t. 72, t. 73), 1846 (t.75, t.76). L'auteur est connu surtout comme voyageur et savant, auteur de récits d'expéditions (Balkans, Afrique).

3  M.M. Maximov, Moskovskie tajny. Rasskaz sychtchika, Moscou, 1859.

4  Vsevolod V. Krestovskij, Peterburgskie truchtchoby, dans Otetchestvennye zapiski [Annales de la patrie], septembre 1864 - décembre 1866. En 4 vol., M. Vul'f, Saint-Pétersbourg, 1867, avec le sous-titre Kniga o sytyh i golodnyh [Livre des repus et des affamés]. Nos références se fondent sur l'édition en 2 vol., Hudojestvennaja Literatura, Leningrad 1990 : les chiffres romains indiquent les numéros des parties, les chiffres arabes ceux des chapitres.

5  Aleksandr I. Levitov et M. A.Voronov, Moskovskie nory i truchtchoby, Saint-Pétersbourg, 1866. Réédition au nom du seul A. Levitov en 1869. Le titre laisse attendre un pendant moscovite au roman de Krestovskij, mais la symétrie est trompeuse car il s'agit d'une collection de récits et nouvelles.

6  K.V. M. [prince Vladimir P. Mechtcherskij], Tajny sovremennovo Peterburga, dans la revue Grajdanin, 1875-1876. En 4 vol., Saint-Pétersbourg, 1876-1877.

7  On peut ajouter le texte repéré par Kirill Tchekalov : P. Furman, Pargolovskie tajny [Les Mystères de Pargologo], Illjustratsija [L'Illustration], 1845 (plusieurs numéros).

8  Levitov, « Iz nachikh budto by misterii », dans la revue Zritel' [Le Spectateur], 1862, n° 30 (pp. 79-85) et n°31 (pp. 111-117), repris sous le titre « Moskovskaja tajna » dans le recueil Moskovskie nory i truchtchoby, op. cit.

9  Ainsi chez Kovalevskij à propos d'une région impraticable (forêt, marécages) en Sibérie, Peterburg dnëm..., op. cit., t. 72, p. 89 (I, 11). Chez Krestovskij une occurrence de truchtchoby désigne un lieu retiré, le quartier paisible et petit-bourgeois où le couple Povetine élève Marie (III, 15).

10  Valentin V. Kuritsyn publie LesBas-fondsde Tomsk [Tomskie truchtchoby] (1906 ?) sous le pseudonyme Ne-Krestovskij, hommage au précurseur en forme de clin d'œil. Signe de l'équivalence établie dans le champ romanesque entre tajny et truchtchoby : une traduction tardive (Moscou, 1875) des Mystères de Londres de P. Féval intitule le t. 2 : La gueule-de-loup. Abîmes infernaux, traquenards et bas-fonds [truchtchoby] dans la ville de Londres. Inversement, tajny remplace truchtchoby lors d'une réédition du roman de Krestovskij (Moscou, Eksmo, 1994) parallèle à la diffusion d'une série télévisée (Peterburgskie tajny) librement inspirée de celui-ci.

11  'Truchtchobchtchina', dans Kievskie truchtchoby [Les Bas-fonds de Kiev], 2 vol., Kiev, 1868, t. 1, p. 7. Nous n'avons pu identifier l'auteur de ce roman.

12  V. T., « Zametka o truchtchobomanii » [« Note sur la taudimanie »], Odesskij Vestnik [Le Courrier d'Odessa], 8 octobre 1870.

13  « Parijskie tajny. Roman E. Sju », Otetchestvennye zapiski, 1844, t. 33, n° 4, repris dans V.G. Belinskij, Polnoe sobranie sotchinenii, Moscou, ANSSSR-IRLI, 13 vol., 1953-1959, t. 8, pp. 167-186 : nos citations renvoient à cette édition des Œuvres complètes de Belinskij. Le critique prédit l'expansion du genre : « Voici que l'on écrit déjà des Mystères de Londres et qui sait, d'ici un an ou deux toutes les littératures et tous les théâtres seront inondés de mystères et de non mystères de diverses villes [...] », ibid., p. 184. Belinskij fait sans doute allusion au titre à connotation polémique, Peterburgskie netajny [Les Non-mystères de Pétersbourg], choisi par Faddej V. Bulgarin pour des récitsparusen 1843dansSevernajaptchela[L'Abeille du Nord].

14  Ibid., p. 184.

15  Ibid., p. 170.

16  Ibid., p. 184.

17  Ibid., p. 179 : « joue » [igraet] est un rappel d'E. Sue soulignant lui-même par l'italique les verbes « jouer » et « s'amuser », Les Mystères de Paris, Paris, Laffont, coll. Bouquins, 1989, p. 414.

18  Belinskij, ibid., p. 173.

19  Ibid., p. 174.

20  Ibid., p. 186.

21  La revue traduit des romans-feuilletons français : le t. 72 à lui seul contient le début du Comte de Monte-Cristo (A. Dumas), celui de Teverino (G. Sand) et la fin des Nuits du Père-Lachaise (L. Gozlan).

22  « Russkaja literatura v 1845 godu », Otetchestvennye zapiski, 1846, t. XLIV, n° 1, repris dans Belinskij, Polnoe..., op.cit., t. 9, p. 395. Le titre du roman peut aussi rappeler « Londres matin et soir. Scènes de Dickens », Literaturnaja gazeta, 1841, n° 7 (traduction réunissant deux des Sketches by Boz).

23  Voir « soirée pluvieuse et froide [...] La nuit était profonde, l'eau tombait à torrents, de fortes rafales de vent et de pluie fouettaient les murailles », Sue, op. cit., pp. 32-33. Ce genre de notations abonde également chez Dickens, largement traduit en russe dans les années 1840.

24  Peterburg dnëm i... (I, 1) dans Otetchestvennye zapiski, t. 72, otd. Russkaja slovesnost' / Proza, p. 18, p. 22.  

25  Sue, Les Mystères de Paris, op. cit., p. 332

26  Peterburg dnëm i... (VI, 3) dans Otetchestvennye zapiski, t. 76, otd. Russkaja slovesnost' / Proza, p. 29.

27  Dominique Kalifa,  Les Bas-fonds. Histoire d'un imaginaire, Paris, Seuil, 2013, chap. 5.

28  Levitov, voir supra notes 5 et 8.

29  Mechtcherskij, Tajny sovremennovo..., op. cit., se réfère aux Mystères de Paris en « Avant-Propos » et au chap. I, 29.

30  « Le fleuve 'physiologique' de 1840-1842 se tarit dès 1843 », Nathalie Preiss, Les Physiologies en France au XIXe siècle. Étude historique, littéraire et stylistique, Mont de Marsan, Éditions interuniversitaires, 1999, p. 8. Valérie Stiénon indique le même créneau temporel et ne l'élargit qu'en amont : « Certes, la chronologie restreinte du genre paru en éditions séparées peut être identifiée aux années 1840-1842. Comme le genre est préparé par une série d'articles physiologiques dans la presse, il convient d'élargir cette temporalité réduite en la considérant à partir de 1830 », La Littérature des physiologies : sociopoétique d'un genre panoramique (1830-1845), Paris, Garnier, 2012, p. 21.

31  Entre 1843 et 1846, cf. A.G. Tsejtlin, Stanovlenie realizma v russkoj literature (Russkij fisiologitcheskij otcherk), Moscou, Nauka, 1965, pp. 74-88. Autre exemple de cette simultanéité : le même numéro de Otetchestvennye zapiski (1846, n° 12, t. 49) publie la recension des Mystères de Berlin traduits en russe et celle de la traduction russe du Diable à Paris.

32  N.A. Nekrasov, Sobranie sotchinenii v vos'mi tomah, Moscou, Hud. Lit., 1967, t. 7, p. 96 : recension parue dans Literaturnaja gazeta, 1845, n° 13, sans signature.

33  Belinskij, Polnoe..., op. cit., t. 10, p. 297.

34  Dans Severnaja Ptchela, 1846, n° 22, p. 86.

35  Ja. Ja. Ja [cryptonyme de L.V. Brant], dans Severnaja Ptchela, 1845, n° 236, p. 942 où la formule s'applique à Physiologie de Pétersbourg. Le même journal (1846, n° 80) parle de « langage grossier », de « tableaux malpropres de l'humanité avilie » (cité par Tsejtlin, Stanovlenie..., op. cit., p. 238).

36  Après la recension de 1844 résumée plus haut, Belinskij revient sur Les Mystères de Paris, Polnoe..., op. cit., t. 8, pp. 192-197 (à propos de la traduction par V. Stroev), t. 13, p. 203, p. 205.

37  Sans exclure des formes hybrides, études de mœurs tirant soit vers le fel'eton (chronique de l'actualité sur un ton léger), soit vers la longue nouvelle (povest').

38  Severnaja Ptchela, 1843, n° 81 ; 1848, n° 83.

39  Des sous-titres précisent parfois l'appartenance générique : otcherk, fisiologitcheskij otcherk, etnografitcheskij otcherk. Cette production est contemporaine de l'écriture des Bas-fonds... . Krestovskij aurait puisé l'idée du roman dans ses conversations avec N. Pomjalovskij. Il fut plus tard accusé à tort de l'avoir plagié, voir V.A. Viktorovitch, « Vsevolod Krestovskij : legendy i fakty », Russkaja literatura, 1990, n° 2, Leningrad, pp. 44-58.

40  Le livre mentionne Les Mystères de Londrespar Trollop (Féval) (I, 9, t. 1, p. 71) et note que la générale von Spiltze connaît non seulement « tous les secrets [tajny] du grand monde », mais aussi « les mystères [misterii] de la ville entière » (I, 15, t. 1, p. 118).

41  Dostoïevski, « Songes pétersbourgeois en vers et en prose », Récits, chroniques et polémiques, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1969, p. 1017 (texte paru dans Vremja [Le Temps], 1861, n°1) où « mystère » traduit tajna de l'original.

42  Sue, Les Mystères de Paris, pp. 31-32 (I, 1). Voir l'incipit de III, 15 annonçant hôpitaux, prisons, asiles et autres « lieux terribles », p. 385.

43  N. Nekrasov, « Les coins de Pétersbourg » dans Physiologie de Pétersbourg : ces « coins » sont les angles d'une seule et même pièce en sous-sol, occupée par quatre locataires différents. L'expression fera date et Dostoevskij s'y réfère en 1861 comme à un souvenir littéraire autant qu'à une réalité, « Songe pétersbourgeois... », op. cit., p. 1019.

44  Sur les rapports entre les deux écrivains, voir V.A. Viktorovitch, « Dostoevskij i Vs. Krestovskij », Dostoevskij. Materialy i issledovanija, t. 9, AN SSSR-IRLI, Leningrad, 1991, pp. 92-117.

45  Intention énoncée dès l'adresse au lecteur, qui fut imprimée dans la revue à la fin de la première partie sous forme d'un chapitre supplémentaire (Otetchestvennye..., t. 156, pp. 851-857), puis reportée en tête du livre.

46  Peterburgskie..., op. cit., t. 2, p. 620 (VI, 21).

47  Traits caractéristiques de « l'œuvre-monde », voir Marie-Ève Thérenty, « Avant-Propos », Romantisme. Revue du dix-neuvième siècle (Paris, SEDES), n° 136, 2007/2.

48  Une présentation plus complète des Bas-fonds.... figure dans l'Anthologie des mystères urbains du site Medias 19 : http://www.medias19.org/index.php?id=16594.

49  Dostoevskij eut connaissance de la version française éditée à Wurzbourg, Les Mystères du palais des czars, et dans un brouillon de lettre écrit à Vevey en 1868 dénonce un livre qui le met en scène et travestit sa biographie.

50  Krestovskij publie dans plusieurs revues et dans un quotidien populaire, Peterburgskij listok, fondé en mars 1864, auquel il donne plusieurs chapitres des Bas-fonds... en avant-première. Nikolaï Jivotov (1858-1900), auteur de Tajna Malkovskikh truchtchob [Le Mystère des Bas-fonds de Malkov], collabore aux quotidiens Peterburgskij listok et Peterburgskaja gazeta.

51  Le livre d'Andreï Samopaloff, Mystères russes. 1. Le nihiliste (Paris, F.A. Julien, 1868) fut-il écrit directement en français ou d'abord en russe ? Qui se cache sous le nom d'Ivan Doff, auteur d'un roman-feuilleton publié en France (1877-1878) qui adapte très librement Les Bas-fonds... de Krestovskij sans nommer celui-ci ? Voir la préface donnée par M. Niqueux à son édition d'I. Doff, Les Mystères de Saint-Pétersbourg. Histoire de tous les repus et de tous les affamés, AARP-Centre Rocambole, Encrage Édition, 2013. Ainsi que : Anna Lushenkova Foscolo, « Entre l’« école naturelle » et les mystères de la capitale : la croisée des genres et des traditions littéraires dans Les Bas-fonds de Saint-Pétersbourg de Vsevolod Krestovski et sa traduction française », Médias 19, rubrique Publications, Les mystères urbains au prisme de l'identité nationale (dir. Marie-Ève Thérenty), 2014 : http://www.medias19.org/index.php?id=15250.

52  «Берлинские тайны» в переводе с немецкого (1844) В. и П. Фурманом, 1846. «Брюссельские тайны» Сюо де Варенна (1845-1846) переведены на русский в 1847 г.

53  Егор П. Ковалевский, «Петербург днем и ночью», вышедший в «Библиотеке для чтения» в 1845 г. (тт. 72-73), 1846 г. (тт 75-76). Автор известен прежде всего как путешественник и ученый, автор рассказов об экспедициях на Балканы и в Африку.

54  М.М.Максимов, «Московские тайны. Рассказ сыщика», Москва, 1859.

55  Всеволод В. Крестовский, «Петербургские трушобы», опубликовано в «Отечественных записках » в сентябре 1864 – декабре 1866 гг. В 4-х томах, М. Вульф, Санкт-Петербург, 1867, с подзаголовком «Книга о сытых и голодных». Мы ссылаемся на издание в двух томах, изд-во «Художественная литература», Ленинград, 1990 : римские цифры указывают на номера частей, арабские – на номера глав.

56  Александр И. Левитов и М.А. Воронов, «Московские норы и трущобы», Санкт-Петербург, 1866. Переиздание только под именем А. Левитова в 1869 г. Заголовок наводит на мысль о московской аналогии романа Крестовского, однако это сходство ошибочно, т.к. речь идет о сборнике повестей и рассказов.

57  К.В.М. [князь Владимир П. Мещерский], «Тайны современного Петербурга», опубликовано в журнале «Гражданин», 1875-1876. В 4 томах, Санкт-Петербург, 1876-1877.

58  Можно добавить сюда текст, найденный Кириллом Чекаловым: П. Фурман, «Парголовские тайны», «Иллюстрация», 1845 (несколько номеров).

59  Левитов, «Из наших будто бы мистерий», опубликовано в журнале «Зритель», 1862, № 30 (cc.79-85) и № 31 (сс. 111-117), переизданные под названием «Московская тайна» в сборнике «Московские норы и трущобы».

60  Также у Ковалевского, в отношении труднопроходимых регионов в Сибири (лес, болота), в «Петербурге днем и ночью», т. 72, с. 89 (I, 11). У Крестовского мы видим разовое употребление слова «трущобы» в значении удаленного места, мирного мещанского квартала, где Поветины растят Марию (III, 15).

61  Валентин В. Курицын публикует «Томские трущобы» (1906 г.?) под псевдонимом Не-крестовский, отдав таким образом должное своему предшественнику. О том факте, что в романах «тайны» и «трущобы» стали практически эквивалентны, свидетельствует поздний перевод «Лондонских тайн» П. Феваля (Москва, 1875), в котором второй том назван следующим образом: «Волчья пасть. Адские пропасти, западни и трущобы в городе Лондоне». Напротив, «трущобы» меняются на «тайны» в новом издании романа Крестовского (Москва, «Эксмо», 1994), одновременно с показом по телевидению сериала «Петербургские тайны», вдохновленного этим романом.

62  «Трущобщина», в «Киевских трушобах», Киев, 1868, т.1, c. 7. Мы не смогли идентифицировать автора этого романа.

63  В.Т., «Заметка о трущобомании», «Одесский Вестник» от 8 октября 1870.

64  «Парижские тайны. Роман Э.Сю», «Отечественные записки», 1844, т. 33, №4, переизданный в Белинский В.Г., «Полное собрание сочинений», Москва, АнСССР-ИРЛИ, 13 томов, 1953-1959, т. 8, сс.167-186: наши цитаты отсылают к этому изданию Полного собрания сочинений Белинского. Критик предсказывает развитие жанра: «Теперь пишутся уже "Лондонские тайны", - и, кто знает, может быть, год-другой все литературы и все театры завалятся 'тайнами' и 'не-тайнами' разных городов, благодаря торговому стремлению разных мелкотравчатых писак !» (с. 184). Белинский намекает на название с полемической коннотацией, «Петербургские нетайны», выбранное Фаддеем В. Булгариным для рассказов, изданных в 1843 в «Северной Пчеле».

65  Там же, с.184.

66  Там же, с. 170.

67  Там же, с. 184.

68  Там же, с. 179 : «играть» - это отсылка к Эжену Сю, который сам выделяет курсивом глаголы «играть» и «забавляться», «Les Mystères de Paris», Paris, Laffont, coll. Bouquins, 1989, c. 414.

69  Там же, с. 173.

70  Там же, с. 174.

71  Там же, с. 186.

72  В журнале публикуются переводы французских романов: один том 72 включает начало «Графа Монте-Кристо» (А. Дюма), начало «Теверино» (Ж. Санд) и конец «Ночей на кладбище Лашеза» (Л. Гозлан).

73  «Русская литература в 1845 году», «Отечественные записки», 1846, т. XLIV, № 1, переиздано в: Белинский, «Полное собрание сочинений», т. 9, с. 395. Название романа также напоминает «Лондон утром и вечером. Сцены Диккенса», «Литературная газета», 1841, № 7 (перевод, объединивший два «Sketches by Boz»).

74  Ср. « soirée pluvieuse et froide […] La nuit était profonde, l'eau tombait à torrents, de fortes rafales de vent et de pluie fouettaient les murailles », E. Sue, «Les Mystères de Paris », сс. 32-33. Описаниями этого типа также изобилуют тексты Диккенса, которого много переводили в России в 1840-х годах.

75  «Петербург днем и ночью» (I, 1), в «Отечественных записках», т.72, отд. «Русская словесность/Проза», с. 18, с. 22.

76  Sue, « Les Mystères de Paris », с. 332.

77  «Петербург днем и ночью» (VI, 3), «Отечественные записки», т. 76, отд. «Русская словесность/Проза», с. 29.

78  Dominique Kalifa, « Les Bas-fonds, Histoire d’un imaginaire », Paris, Seuil, 2013, pp. 171-203.

79  Левитов, см. выше сноски 56 и 59.

80  Мещерский в «Тайнах современного Петербурга» ссылается на «Парижские тайны» в «Предисловии» и в главе I, 29.

81  « Поток «физиологий» 1840-1842 гг. обмельчал с 1843 г.», пишет Натали Прайсс (Nathalie Preiss, «Les physiologies en France au XIXe siècle. Étude historique, littéraire et stylistique », Mont de Marsan, Éditions interuniversitaires, 1999, p. 8). Валери Стьенон указывает тот же временной период, отодвигая только дату его начала: «Разумеется, узкая хронология жанра в отдельных публикациях может быть определена 1840-1842 годами. Поскольку этот жанр был подготовлен физиологическими статьями в прессе, следует расширить этот ограниченный период, определив его начало в 1830 г.» (Valérie Stiénon, « La littérature des physiologies : sociopoétique d’un genre panoramique (1830-1845) », Paris, Garnier, 2012, с. 21).

82  Между 1843-1846 гг, см. А.Г. Цейтлин, «Становление реализма в русской литературе (Русский физиологический очерк)», Москва, Наука, 1965, сс.74-88. Другое подтверждение этого совпадения во времени: в одном и том же номере «Отечественных записок», 1846, № 12, т. 49, публикуется рецензия на русские переводы «Берлинских тайн» и «Дьявола в Париже» («Le Diable à Paris. Paris et les parisiens, Mœurs et coutumes, caractères et portraits des habitants de Paris [...]», Paris, Hetzel, 1845-1846).

83  Н.А. Некрасов, «Собрание сочинений в восьми томах», Москва, Художественная литература, 1967, т. 7, с. 96: рецензия опубликована в «Литературной газете», 1845, № 13, без подписи.

84  Белинский, «Полное собрание сочинений», т. 10, с. 297.

85  В «Северной пчеле», 1846, № 22, с. 86.

86  Я.Я.Я. (криптоним Л.В. Бранта) в «Северной Пчеле», 1845, № 236, с. 942, где это выражение используется в адрес «Физиологии Петербурга». Эта же газета говорит о «грубом языке» и «грязных картинах униженного человечества» (цитируется в Цейтлин А.Г., «Становление реализма в русской литературе», с. 238).

87  После рецензии 1844 года, резюмированной выше, Белинский возвращается к «Парижским тайнам» в «Полном собрании сочинений», т. 8, сс. 192-197 (по поводу перевода В. Строева), т. 13, с. 203, с. 205.

88  Не исключая смешанных жанров, исследований нравов, близких либо к фельетону, либо к повести.

89   «Северная Пчела», 1843, № 82; 1848, № 83.

90  Подзаголовки иногда уточняют принадлежность к жанру: очерк, филологический очерк, этнографический очерк. Эти тексты – современники «Петербургских Трущоб». Крестовский почерпнул идею своего романа в разговорах с Н. Помяловским, а позже был беспочвенно обвинен в плагиате, см. В.А. Викторович: «Всеволод Крестовский: легенды и факты», «Русская литература», 1990, № 2, Ленинград, сс. 44-58.

91  В книге упоминаются «Лондонские тайны» Троллопа (П. Феваля) (I, 9, т.1, с. 71) и отмечается, что генеральша фон Шпильце, кроме «тайн света» знает и «мистерии целого города» (I, 15, т. 1, с. 118).

92  Достоевский, «Петербургские сновидения в стихах и в прозе» («Songes pétersbourgeois en vers et en prose», dans «Récits, chroniques et polémiques», Paris, Gallimard, La Pléiade, 1969, c. 1017 (текст опубликован в журнале «Время», 1861, № 1).

93  Sue, «Les Mystères de Paris », сс. 31-32 (I, 1). См. начало III, 15 о больницах, тюрьмах, сумасшедших домах и других «ужасных местах», с. 385.

94  Н. Некрасов, «Петербургские углы» в «Физиологии Петербурга»: речь идет об отгороженных углах в одном подвальном помещении, занимаемом четырьмя съемщиками. Выражение это отмечает определенную веху, и Достоевский ссылается на него в 1861 г., как на литературное явление, так и на реалию («Петербургские сновидения...»).

95  Об отношениях двух писателей см. В.А. Викторович, «Достоевский и Вс. Крестовский» в «Достоевский, материалы и исследования», т. 9, Ан СССР- ИРЛИ, Ленинград, 1991, сс. 92-117.

96  Намерение, оглашенное в обращении к читателю, опубликованном отдельной главой в конце первой части («Отечественные записки», т. 156, сс. 851-857), а затем перенесенном в начало книги.

97  «Петербургские трущобы», т. 2, с. 620 (VI, 21).

98  Характерные черты «мироописания» («l'œuvre-monde»), см. Marie-Ève Thérenty, « Avant-Propos », вжурнале « Romantisme », Paris, n° 136, 2007/2.

99   «Петербургские трущобы» более полно представлены нами в «Антологии городских тайн» («Anthologie des mystères urbains») на сайте Médias 19 :  http://www.medias19.org/index.php?id=16594.

100  Достоевский узнал о французской версии, изданной в Вюрцбурге, «Les Mystères du Palais des czars», и в черновике письма, написанного в Вевее в 1868 обличает книгу, которая делает его героем беллетристики и извращает его биографию.

101  Крестовский публикуется в различных журналах и в популярном ежедневном издании «Петербургский листок», основанном в марте 1864 г., в котором несколько глав «Петербургских Трущоб» выходят раньше официальной публикации. Николай Животов (1858-1900), автор «Тайны Малковских трущоб» сотрудничает с ежедневными изданиями «Петербургский листок» и «Петербурская газета».

102  Была ли книга Андрея Самопалова Mystères russes. 1. Lenihiliste (Paris, F.A. Julien, 1868) написана сразу по-французски или сначала по-русски? Кто скрывается под именем Ивана Доффа (Ivan Doff), автора романа-сериала, опубликованного во Франции (1877-1878), который является весьма свободной адаптацией «ПетербургскихТрущоб» Крестовского, но в котором это имя не упоминается? См. предисловие М. Нике (Michel Niqueux) кизданию I. Doff, Les Mystères de Saint-Petersbourg. Histoire de tous les repus et de tous les affamés, AARP-Centre Rocambole, Encrage Edition, 2013. См. также: Anna Luschenkova Foscolo, « Entre l’  « école naturelle » et les mystères de la capitale : la croisée des genres et des traditions littéraires dans Les Bas-Fonds de Saint-Pétersbourg de V. Krestovski et sa traduction française », на сайте Médias 19, rubrique « Publications », « Les mystères urbains au prisme de l’identité nationale »(2014) : http://www.medias19.org/index.php?id=15250.

Pour citer ce document

Françoise Genevray, « Trois décennies de « mystères urbains » en Russie : de la peinture du peuple à l'inventaire des bas-fonds [également disponible en russe] », Les Mystères urbains au XIXe siècle : Circulations, transferts, appropriations, sous la direction de Dominique Kalifa et Marie-Eve Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/les-mysteres-urbains-au-xixe-siecle-circulations-transferts-appropriations/trois-decennies-de-mysteres-urbains-en-russie-de-la-peinture-du-peuple-linventaire-des-bas-fonds-egalement-disponible-en-russe