La fabrique de 1823-1830 ou la ur-critique d’Hector Berlioz
Table des matières
ALBAN RAMAUT
Un corpus, des statuts
De 1823 à 1830, la douzaine d’articles que signe Hector Berlioz offre un corpus d’étude intéressant pour au moins deux raisons. Il s’agit d’une part d’une période décisive dans la gestation de la carrière du compositeur, qui est d’autre part aussi contemporaine de l’essor du genre de la critique musicale sous l’impulsion déterminante de François-Henri-Joseph Blaze, dit Castil-Blaze. Ainsi Berlioz débute sa confrontation avec la presse en un moment déjà bouleversé par un autre musicien de près de vingt ans son aîné, également compositeur, mais surtout critique reconnu, traducteur et aussi adaptateur-collaborateur. Les années 1823-1830 recouvrent exactement la période qu’Honoré de Balzac, de la même génération que Berlioz, décrit dans Illusions perdues puis Splendeurs et misères des courtisanes, là où le monde de la critique est posé comme l’antithèse mais aussi l’ambivalence du monde de la création. La réplique d’Étienne Lousteau au grand homme de province Lucien de Rubempré pour le convaincre de devenir journaliste et peut-être par là de devenir rapidement un poète célèbre résume ce conflit : « La polémique mon cher est le piédestal des célébrités ».
Berlioz, qui pour l’anecdote succèdera en 1835 à Castil-Blaze au Journal des débats, entre en matière en août 1823 précisément par la polémique. Il n’a pas encore vingt ans et est un musicien parfaitement obscur. À la fin de 1830 il s’apprête à quitter Paris suite à sa réussite au prix de Rome, il a déjà été remarqué dans la presse pour l’audace de ses compositions et a lui-même déjà signé de ses initiales des articles officiels dont une notice sur Beethoven1, mais surtout un article consacré à la musique romantique. Son émule Joseph d’Ortigue, vérifiant en cela la mécanique révélée par Lousteau, utilise, dans la recension qu’il fait le 3 novembre 1829 du concert donné par Berlioz la veille, la presse pour installer le renom du compositeur et surtout identifier l’homme de plume anonyme à l’artiste qui commence à percer :
Ceux de nos lecteurs (et nous pensons que c’est le plus grand nombre) qui ont lu avec intérêt, dans Le Correspondant, la notice sur la vie et les ouvrages du génie le plus extraordinaire de la musique, Beethoven, nous permettront de leur rendre compte d’un concert donné hier, jour de la Toussaint, dans la salle des menus plaisirs du roi, par celui même qui avait su si bien nous faire connaître le caractère de ce grand homme2.
La presse est donc une arme, une tribune, un mal nécessaire à l’effervescence de la Restauration.
En 1823, Berlioz avait-il pris connaissance des échanges entre Hoffman et Castil-Blaze, qui émaillent le début de l’année 1821 au Journal des débats. C’est une question qui reste difficile à résoudre. Berlioz n’arrive à Paris qu’en octobre de cette même année. On sait en revanche qu’il fustige Castil-Blaze pour ses positions à l’égard de Gluck dans l’article publié le 29 décembre 1825 dans Le Corsaire. D’une manière générale, Berlioz, s’il se positionne par bien des points dans le sillage du critique compositeur, introduit néanmoins de vraies différences de jugement parce qu’il est déjà engagé dans la bataille romantique. Mais en 1823 Berlioz n’existe encore pour personne, ni comme compositeur, ni comme critique. Sa plume est libre, elle peut, comme il le reconnaîtra lui-même dans ses Mémoires, être « désordonnée », et aussi parfaitement sincère, juvénile et par conséquent polémique. Plus tard le critique se fera plus cynique, plus averti des sous-entendus, des allusions, en quelque sorte plus « civilisé ». Le corpus qui nous intéresse est le récit de cette assimilation des rites de la critique, c’est l’itinéraire des erreurs – pour parodier Balzac – « d’un grand homme de province à Paris ».
État des lieux
De 1823 à 1830, Berlioz va être successivement publié dans deux journaux, si l’on excepte que pour une saison d’à peine deux mois3, il assure sans grande conviction le statut de correspondant parisien de la Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung. Ce sont donc trois feuilles différentes qui délimitent ses premières contributions à la presse. Elles correspondent à trois attitudes complémentaires qui conduisent Berlioz à ce qu’il a pu appeler « l’engrenage de la critique4 ». On peut observer tout d’abord une démarche spontanée : sous la forme d’un courrier de lecteur envoyé au journal Le Corsaire en réaction à un article. Ensuite il s’agit d’une inscription plus officielle et pérenne arrangée par Berlioz lui-même avec l’aide de ses relations au journal naissant Le Correspondant. Enfin il faut prendre en compte une proposition de collaboration suggérée cette fois par un éditeur de musique, Adolph Marx, qui lors d’un de ses déplacements à Paris et sans doute à l’initiative de l’éditeur de musique Maurice Schlesinger, sollicite Berlioz5. Par ces trois étapes qui déterminent trois tons, le musicien explique dans sa correspondance qu’il saisit assez vite combien son indépendance de pensée et de jugement est cernée par des convenances qui peuvent l’ennuyer mais qui lui offrent outre l’aide financière que sa musique ne saurait lui procurer, une tribune pour se faire remarquer et pour affirmer ses convictions, voire découvrir ses vraies motivations. De l’exercice premier d’une pensée libre jusqu’à l’inscription dans un réseau social, il pratique différentes colorations qu’il nomme lui-même des erreurs dues à une jeunesse impulsive et provocatrice. Les articles polémiques pour Le Corsaire en témoignent tandis que le fastidieux de la relation de concert transparaît par le biais de la Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung, cependant que l’expression structurée d’une esthétique, véritable première approche d’un journal avec le statut de rédacteur au Correspondant fait comprendre une envergure plus décisive. Si Le Corsaire, premier des deux journaux parisiens auquel il contribue, se veut polémique et subversif – organe de diffusion de la pensée romantique et donc journal d’opposition –, Le Correspondant littéraire et bien-pensant, fondé en 1829, exemple type de la presse catholique, qui compte le baron Ferdinand d’Eckstein fondateur lui-même du journal Le Catholique parmi ses membres et le comte Louis de Carné comme directeur, précise le romantisme du compositeur alors nécessairement un romantisme monarchiste.
C’est donc lorsqu’il se fait admettre par de vives recommandations à la direction du journal naissant Le Correspondant, à la fin du printemps de 1829, alors qu’il a encore vingt-cinq ans, qu’il commence à s’approcher à la fois du statut de feuilletoniste et de la dimension d’un romantique authentique. Faut-il en croire que le romantisme passe par un service de presse ?
Ces débuts demeurent, même dans leur cohérence de plus en plus assurée, incertains et un peu tapageurs. Même lorsqu’ils deviennent par Le Correspondant plus concertés et déjà plus distanciés, ils ne constituent pas a priori un corpus très abondant, ni régulier. Berlioz partage son temps entre la plume qu’il affûte et ses compositions qu’il cherche à construire. Ces quelques premières pages ne sont en réalité qu’annonciatrices d’une beaucoup plus longue histoire puisqu’on recense sur quarante et une années de critique – 1823-1864 – près de neuf cents articles. Ce nombre excessif au regard des partitions explique le dégoût que Berlioz manifesta ultérieurement jusqu’à créer la légende de son pensum et l’image de la « chaîne infernale du feuilleton6 ». Chaîne qu’il désira cependant tant obtenir lors de ses premiers pas dans la carrière, tout comme il voulut de façon forcenée épouser Harriet Smithson.
Ces premières années d’activité journalistique, qui s’achèvent dans le naufrage de la Restauration se distinguent peut-être surtout de l’importante production qui lui fait suite, parce que Berlioz n’a pas encore précisément concrétisé son statut de feuilletoniste. Il ignore encore trop les conventions de la critique, même s’il participe à son évolution. Si certains de ces articles s’apparentent progressivement à des feuilletons, telle la « biographie de Beethoven » proposée en trois livraisons, c’est la fonction de Berlioz vis-à-vis de la presse qui n’est pas toujours élucidée : c’est un peu comme s’il s’essayait à des feuilletons sans être lui-même feuilletoniste, de même qu’il s’essaye à la composition sans réaliser de partitions vraiment homogènes, sauf sans doute des fragments tels ses ouvertures et ses Huit scènes de Faust, ou ses Neuf mélodies. Berlioz ne devient littéralement feuilletoniste que lorsqu’il obtient d’être la plume attitrée – c’est-à-dire régulière – d’un journal, pour lequel il écrit des articles sur des thématiques qui peuvent être variées mais qui concerneront des secteurs de plus en plus précis de l’actualité de la vie musicale parisienne, ces faits qui deviennent sa raison d’écrire après 1834. Comment expliquer cette recherche d’un style, d’un ton ?
La querelle de Castil-Blaze
Le Journal des débats du 7 décembre 1820 confie pour la première fois son feuilleton à Castil-Blaze, qui en rédige la « chronique musicale ». Ce dernier annonce alors comment il entend s’y prendre :
Cette chronique sera exclusivement consacrée à la musique. Les opéras anciens et nouveaux y seront (uniquement sous le rapport musical) examinés, analysés avec soin, selon les principes de la bonne école. […] L’art s’agrandit dans les parties dont presque toutes présentent un égal intérêt. Les amateurs de musique deviennent plus nombreux, plus éclairés. On commence à secouer le joug de la routine et à sentir les véritables beautés. J’ai pensé que les lecteurs aimeroient à trouver dans ce Journal des détails sur un art plein de charme, et dont les feuilles périodiques ont, jusqu’à ce jour, parlé d’une manière trop vague et trop fugitive.
Hoffman dans la rubrique « Variétés » répond le 5 février 1821 dans un article très intéressant qu’il intitule « Considérations sur la Musique dramatique et non pas sur la Musique technique ». Son analyse nous semble si pertinente qu’elle mérite d’être largement citée :
Depuis vingt-cinq ans, les lecteurs du Journal des débats n’avoient lu dans cette Feuille que des éloges de Grétry, lorsqu’il y étoit question d’opéras comiques. Feu Geoffroy et son vivant successeur [Duvicquet] n’ont jamais hésité à placer l’artiste liégeois en tête de tous les compositeurs en ce genre. Moi-même, glanant après ces deux critiques, j’ai payé à l’excellent Grétry un tribut d’éloges, dont je ne rabattrois pas un iota, quand même toute la logique de la fugue et tout l’esprit du contrepoint s’uniroient pour m’accabler. Nos abonnés ont dû croire que nous avions une opinion bien arrêtée sur la musique dramatique : dramatique, notez bien ; car nos prétentions ne vont que jusque-là. Cette opinion, qui n’avoit pas changé depuis un quart de siècle, devroit être de quelque poids, même aux yeux des musiciens ; car ils ne peuvent s’empêcher d’avouer que les gens de lettres, très ignorans en fait de musique technique, et très indiscrets lorsqu’ils prétendent la juger, sont cependant les juges les plus compétens, et même les seuls irrécusables quand il s’agit d’examiner si les accens du musicien ont été convenables ou nuisibles à l’esprit de la scène, si sa déclamation a blessé ou respecté la langue, s’il a mutilé les vers ou s’il les a conservés, s’il a exprimé ou méconnu le sens des paroles, s’il a été raisonnable ou s’il n’a pas eu le sens commun ; toutes choses que le solfège n’apprend pas, et qui sont plus indispensables, quand il s’agit de drame, que la légitimité d’une quinte ou l’autorité d’un second violon.
Voilà cependant qu’un homme d’esprit, retranché derrière trois X., vient déclarer à la barbe des vétérans des débats, que Grétry est un pauvre musicien, ce qu’il prouve admirablement par la tonique, la dominante, l’enharmonique etc. […] Il n’y a point de contradiction. Nous avons traité une question, et M. Trois X en a traité une autre.
Castil-Blaze le 6 avril répond à son tour toujours sous la rubrique « Variétés » sous le titre « Des disputes sur la musique » où il tente de réconcilier les musiciens entre eux. La demande des musiciens d’accéder à la critique réapparaît entre autres dans une lettre adressée au Corsaire en 1823 par un certain Émile M…D qui reprend le même sujet avec véhémence :
Monsieur le Corsaire,
[…]
Je suis artiste, Monsieur le Corsaire, mais comme tout le monde tranche de cette qualité, pour mieux vous instruire sur mon compte, je vous dirai tout bonnement que je suis musicien ; jugez de mon goût pour la musique, j’ai fait mes premières armes au Cirque de Franconi, et cependant je l’aime encore. Ceci vous paraît un paradoxe et c’est pourtant la plus exacte vérité. Or cet amour pour l’art que je cultive, m’a rendu curieux sur tout ce qui l’intéresse et j’éprouve un sentiment pénible de voir avec quelle légèreté en parlent presque tous les journaux. Chacun d’eux pourtant se pare du titre pompeux de Journal de Littérature, des Sciences et des Arts ; et il n’est pas de jour où une brioche (excusez-moi, c’est le terme technique) ne signale l’ignorance musicale de quelques-uns des rédacteurs.
Je pourrais ici faire des citations, mais ma lettre est déjà longue et j’ai besoin d’ailleurs de votre permission pour oser m’ériger en censeur ; vous me l’accorderez, j’en suis sûr, quand je vous aurai manifesté mon intention de ne pas vous ménager plus que les autres. […] Votre journal intéressant sous bien des rapports, peut le devenir davantage quand il y sera question de musique ; mais pour cela, vous devez vous entourer des lumières de quelques artistes, et penser que faire l’énumération des acteurs qui jouent dans un ouvrage ; ce n’est pas apprendre grand chose à vos lecteurs, et qu’il ne suffit pas de fréquenter les coulisses de l’Opéra, comme Messieurs tels et tels, pour raisonner sur un art qui coûte tant de veilles à ceux qui veulent le cultiver avec succès.
Je regarderai l’insertion de cette lettre dans un de vos prochains numéros, comme un consentement tacite ; si vous me refusez, je m’adresserai ailleurs, et jusqu’à ce que je trouve une société d’homme de lettres assez sages pour n’écrire qu’avec une connaissance réelle des choses, assez de bonne-foi pour convenir des erreurs involontaires qu’ils auraient pu commettre… Vous riez sous cape, Monsieur le Corsaire ! penseriez-vous que mes recherches vont être longues ?
Je suis votre tout dévoué serviteur, Émile M…D7
Ainsi Berlioz entre bien dans un terrain préparé. Ces textes peuvent en toute cohérence être à la fois des propos intériorisés et la mise en forme d’une intelligibilité de l’époque.
Histoire de comptage et d’identification
Aux douze articles connus on peut sans doute en ajouter quelques autres malgré les risques d’erreur d’attribution car Berlioz signe de ses initiales qui peuvent aussi appartenir à d’autres plumes, notamment Henri Blanchard ou Hippolyte Bonnelier.
Dallas K. Holoman8 dans sa recension systématique de l’activité critique de Berlioz fait s’élever le nombre des articles parus dans divers périodiques jusqu’en 1830 à dix-huit. Mais là encore le compte, s’il est bon, recense les périodiques qui reproduisent parfois des articles identiques, ce qui ramènerait l’ensemble à seize. Comment compter ? La chose vaut qu’on y revienne parce que la question en appelle une autre décisive. Qu’est-ce qui, au sein de ce corpus attesté, relève effectivement pour le choix raisonné d’une édition critique, du genre de la critique musicale ? Nous faisons allusion à l’édition en cours qui recense simplement douze articles, connaissant néanmoins l’existence d’articles complémentaires dont elle renvoie la recension au volume IX intitulé « Appareil critique9 ».
Le rassemblement des articles de Berlioz pour la presse s’est trouvé, dès l’origine des travaux de repérage des textes, confronté à la question de la grande hétérogénéité de ces textes. Yves Gérard et Robert H. Cohen dans leur préface à ce vaste chantier dénombrent pas moins de sept types d’articles. Il faut reconnaître que l’envergure beaucoup plus large du projet que s’était fixé le Comité éditorial du centenaire de l’Association nationale Hector Berlioz lui permettait particulièrement de percevoir l’étonnante variété littéraire dont cet artiste forcené était capable. L’idée de publier l’intégralité de l’œuvre littéraire10 du compositeur plaçait la critique au sein de ces textes, néanmoins tous à reclasser et confronter et en soulignait l’importance génétique. Sous la rubrique critique, c’est en effet la nébuleuse la plus difficile à appréhender qui commence à apparaître. L’ensemble composite ne souscrit pas à des genres nécessairement reconnaissables et n’obéit que progressivement à des canons littéraires. Le corpus surtout de la critique d’avant le départ pour Rome représente l’investigation du domaine, comme le font certaines partitions telle la Messe solennelle c’est-à-dire à l’image d’un premier réservoir d’idées thématiques ensuite dispersée dans des œuvres majeures.
Que le compositeur débute dans les journaux comme un épistolier est au reste assez représentatif de sa venue progressive à l’art de la critique. C’est pour cette raison sans doute que la première critique de Berlioz constitue notamment le champ le plus disparate comparé à la suite de sa production en ce domaine elle-même encore très diversifiée. Ainsi le domaine de la critique s’il se précise durant le siècle est encore très étendu et dans les années 1825 indéterminé, tout au moins sous la plume de Berlioz. Lié à la diversité de l’activité musicale parisienne, elle-même conjuguée à l’immédiateté et l’éphémère d’événements perçus en une soirée, la critique oscille entre science et émotion, entre langue de spécialiste, plume d’écrivain et ingénuité d’un provincial qui veut conquérir Paris.
Les œuvres littéraires de Berlioz, toutes plus tardives, souscrivent à des formats plus organisés. Ce sont cependant des ensembles tous irrigués et nourris par les articles que Berlioz écrit tout d’abord puis qu’il a soin, pour des raisons publicitaires et sans doute stratégiques, de rassembler afin de les sauver de la disparition et de les coordonner entre eux pour une vie nouvelle qui contribue in fine à construire l’image du créateur qu’il veut être pour la société de son temps et pour l’éternité. La critique est le creuset des textes, leur genèse, c’est l’atelier d’où sortiront des choses immortelles.
Dans le corpus en élaboration, l’hypothèse avancée, par exemple par Pierre Citron11 à partir des initiales H. B. qui paraphent un article pour L’Album, d’attribuer cet article à Berlioz, propose une extension du corpus. L’article de recension d’une messe solennelle d’Hippolyte André Jean Chelard que j’ai moi-même proposé12 comme un texte passé inaperçu en raison de la double livraison pour la capitale et pour la province du Correspondant du 11 juin 1830, conduit également à pouvoir envisager un champ sans doute plus large qu’il n’y paraît actuellement en dépit du travail admirable de recension déjà accompli. Un champ plus large sans doute mais surtout parfois plus nuancé dans ses finalités. C’est ce que supposent en eux-mêmes les livres que Berlioz a tirés de ses articles, leur donnant une destination de recueils littéraires dépassant le cadre à petite échelle d’un feuilleton de presse. C’est aussi ce que met en avant le choix des éditeurs scientifiques de la Critique musicale lorsqu’ils décident de verser la lettre ouverte que Berlioz adresse le 16 mai 1828 par voie de presse à François-Joseph Fétis « directeur en chef de la Revue Musicale » (qui fut au demeurant reprise dans divers journaux comme une sorte de réclame), dans la Correspondance générale, et non pas dans la Critique musicale. Pourtant cette lettre se constitue comme un véritable article13.
Si en tant que telle elle n’appartient certes pas au registre de la critique ainsi qu’on l’entend actuellement, elle convoque néanmoins des arguments intéressants pour notre propos et donne à réfléchir sur ce que représente également un journal pour un compositeur qui veut se faire connaître. Le jeune musicien écrit, en effet :
Monsieur le Rédacteur,
Permettez-moi d’avoir recours à votre bienveillance, et de réclamer l’assistance de votre journal pour me justifier aux yeux du public de plusieurs inculpations assez graves. […]
Depuis quatre ans je frappe à toutes les portes ; aucune ne s’est encore ouverte. Je ne puis obtenir aucun poème d’opéra, ni faire représenter celui qui m’a été confié. J’ai essayé inutilement tous les moyens de me faire entendre, il n’en reste qu’un, je l’emploie, et je crois que je ne ferai pas mal de prendre pour devise ce vers de Virgile : Una salus victis nullam salutem14.
Par là on découvre les raisons complexes qui ont fatalement poussé un compositeur à se faire également critique et à finir par remporter une place en 1834 au Journal des débats, « ce trône de critique tant envié15 » comme a pu l’écrire Berlioz lui-même au chapitre xlvii de ses Mémoires où il décrit son entrée à ce journal.
Tout ce qui dans les écrits de Berlioz touche à la presse n’est donc pas homogène. Certains des premiers articles au genre mal défini constituent un témoignage extrêmement précieux pour notre connaissance de la formation des idées et de la sensibilité du compositeur. Ils concrétisent entre autres le cheminement personnel du musicien qui se construit aussi sur la découverte de la part d’une intelligence littéraire et poétique de sa personnalité d’artiste, mais qui place toujours la musique au-dessus de tout mode d’expression. Il faut par-là saisir que la critique n’est pas de l’art, c’est du discours, c’est de l’argumentation, parfois de l’agitation en apparence désordonnée et avant tout de la communication.
Miroir du temps, miroir de la personnalité, la première critique musicale de Berlioz participe à l’écriture de l’histoire critique des dernières années de la Restauration.
La critique et l’apprentissage de la censure : épisode de la vie d’un artiste
Parmi les approches ou les apprentissages que Berlioz fait de la presse, signalons un cas extrême, celui de son éducation, par le rédacteur en chef du Correspondant, au respect d’un lectorat et à la manière de dire les faits. L’exercice de la censure fait partie de sa formation.
Berlioz au cours d’une lettre qu’il adresse à Humbert Ferrand le 3 juin 1829 évoque brièvement l’affaire d’un article non retenu par la direction du journal. Il s’agit en fait du deuxième article que le musicien avait préparé pour Le Correspondant avant le début de l’été 1829. Cet article non publié reste donc ignoré, mais on en connaît l’existence par cette lettre. Le choix du sujet avait été laissé à la discrétion du rédacteur, mais si cela constitue une forme de liberté, il s’agit d’une liberté contrôlée puisque sa parution dépend de la manière d’en discourir. Il se trouve que Berlioz dans son premier article « Considérations sur la musique religieuse » se conforme à la mentalité du journal et dans une certaine mesure épouse avant l’heure le ton « juste milieu » qui va caractériser le gouvernement de Louis-Philippe. L’article suivant ne va pas sans mettre en évidence quelques différences et un tout autre tempérament : celui du barbare. Le compositeur explique à Humbert Ferrand : « Pour le Correspondant, un seul article a paru ; comme dans le second, j’attaquais l’école italienne, M. de Carné m’a écrit avant-hier pour me prier d’en faire un autre sur un sujet différent » et Berlioz échaudé de conclure : « La Prostituée trouve donc des amants même parmi les gens religieux. »L’apprentissage revient ici à la découverte de la censure d’une part et aussi des appartenances tacites de la presse à certaines sensibilités, ou à une certaine conduite sociale. Dans ses Mémoires, Berlioz, dans les années 1850, rapporte néanmoins cet épisode de 1829 avec la déformation que lui permettent et l’évolution de sa carrière désormais établie au Journal des débats, et son souci de forger le mythe de sa personnalité irréductible. Cette réécriture met également en évidence sa grande faculté à arranger dans le ton presque de la légende, la réalité. Évoquant ses débuts au chapitre xxi, il écrit un peu à la hâte, mais toujours avec beaucoup de perspicacité :
Mon inexpérience dans l’art d’écrire était trop grande, mon ignorance du monde et des convenances de la presse trop complète, et mes passions musicales avaient trop de violence pour que je ne fisse pas au début un véritable pas de clerc. L’article que je portais à M. Michaud, article en soi très désordonné et fort mal conçu, passait en outre toutes les bornes de la polémique, si ardente qu’on la suppose. M. Michaud en écouta la lecture, et, effrayé de mon audace, me dit : « Tout cela est vrai, mais vous cassez les vitres ; il m’est absolument impossible d’admettre dans La Quotidienne un article pareil. » Je me retirai en promettant de le refaire. La paresse et le dégoût que m’inspiraient tant de ménagements à garder survinrent bientôt, et je ne m’en occupai plus16.
Laissons de côté les invraisemblances du commerce de Berlioz avec Joseph-François Michaud17 et de ses prétentions à rejoindre La Quotidienne, journal ultra auquel il n’a en réalité jamais collaboré. Observons pour l’heure combien le compositeur se décrit inapte au fonctionnement d’un journal, quel qu’il soit. L’inventaire qu’il donne de ses défauts nous révèle en trois points ce que requiert de qualités caractéristiques l’exercice de la critique : savoir bien écrire (c’est-à-dire être informé, connaître le ton), posséder le code de la société (s’adresser à un lectorat qui a des goûts arrêtés), modérer son point de vue personnel (ne pas parler dans l’absolu de ses passions).
Comment s’écrit l’histoire
Le chapitre xxi arrange et déresponsabilise pour la postérité une situation qui en 1823 n’avait de toute évidence pas les mêmes raisons d’exister. Mais on doit observer que dans ce même chapitre Berlioz jette beaucoup d’ombre sur ce premier pas – « un véritable pas de clerc » – d’avant 1834. Le ton de la critique dans un journal doit avant toute chose entrer dans la conformité d’un discours social, policé, contenu, déguisé, selon quoi les premiers essais dont Berlioz explique abusivement qu’ils avaient été pensés pour La Quotidienne, demeurent des témoignages uniques de la fébrilité d’un temps qui, pour le créateur qu’il voulait être, a correspondu à celui de sa confrontation malhabile autant qu’empressée aux rites de la vie artistique et intellectuelle parisienne. On peut s’interroger sur la manière particulière de Berlioz à falsifier les sources. Pierre Citron dans son édition des Mémoires attribue l’épisode de La Quotidienne aux années 1823, nous sommes tenté de croire qu’il s’agit plutôt des années 1829.
En 1823, Berlioz essayait en effet principalement de se donner à lui-même les preuves de ses convictions et de ses appartenances. En entrant dans un journal nouveau et polémique, un journal qui ouvrait ses colonnes aux rédacteurs de tous bords, il ne risquait qu’une chose, d’avoir à assumer ses choix. C’est bien ce que signale la « Note du Rédacteur » à la suite du premier article ingénument et pour la seule fois signé « Hector B… » :
Quoique les opinions émises dans cette lettre soient susceptibles de réfutation, ou au moins de modification, nous n’avons point hésité à les publier, parce qu’il était de notre impartialité de le faire ; que d’ailleurs cette polémique musicale offre quelque intérêt, et que du choc des opinions naît la lumière qui conduit dans la recherche de la vérité18.
Berlioz après cela s’est employé sans doute volontairement à dissoudre la réalité dans une fausse chronologie dont nous voulons croire qu’il brouille assurément les pistes et les accorde encore à l’air du temps. Ce qu’il décrit de ses premiers textes correspond moins à l’exercice d’une critique musicale qu’à des mouvements d’humeur. Dans ses premiers textes, Berlioz par l’énergie qu’il déploie, donne une idée d’une critique qui se cherche mais aussi de sympathies politiques qu’il ne veut plus évoquer après 1848. Il présente essentiellement sa critique comme le lieu d’une défense à découvert de l’art ; l’espace d’une sincérité sans mystification et sans discernement politique. N’écrit-il pas dès son premier article de façon quasi offensante : « Il faudrait un peu approfondir avant de juger, il faudrait lire les partitions pour savoir si c’est la faute de l’orchestre ou du compositeur, quand elles font trop de bruit19. »
Si le dégoût ultérieur de Berlioz pour son activité de critique trouve des justifications après son séjour romain20, la période qui nous intéresse n’échappe-t-elle pas à ce cynisme ? Ce qui frappe à la lecture des premiers articles reste in fine la mise en œuvre d’une volonté farouche pour parvenir à se faire entendre, d’où les cris, et même à s’imposer à l’écoute en s’appuyant sur la témérité de sa plume. Aussi après avoir fait le constat des premiers résultats sensibles que lui obtient sa stratégie d’homme de journal combinée à celle de musicien dès lors que ses partitions commencent à être interprétées et remarquées jusque dans les journaux de la capitale et de la province, écrit-il à son père, le 31 octobre 1830 : « Voilà que je commence à éclater21 » ! Un cycle se clôt.
L’image de l’explosion, qui est aussi celle d’une naissance violente, l’éclatement d’une coque de fruit, ou la déflagration d’une éruption volcanique évoque la caricature plus tardive de l’orchestre à mitraille. Cette phrase annonce la carrière houleuse du compositeur : celle du symphoniste véhément. Pourtant la critique de jeunesse porte pour l’essentiel sur l’opéra, objet alors de toutes les discussions sur la musique. L’intérêt de l’opinion pour l’opéra, genre dévolu à la critique, constitue une première articulation de l’histoire même de la critique musicale berliozienne. Le spectacle du théâtre chanté prépare en sous-main un autre objet, véritable création qui fera l’actualité du style musical de Berlioz et de sa participation parisienne au débat sur la musique venue d’Allemagne et celle d’Italie, celle de Gluck et de Spontini. C’est ainsi que par le détour de la presse et la fréquentation des lieux musicaux, il est donné à Berlioz de trouver sa propre personnalité et de choisir l’espace symphonique, comme la réponse à sa vocation de compositeur.
C’est aussi parce qu’il écrit ses convictions et formule son espace compositionnel qu’il s’affirme comme compositeur. Ce qu’il cherche confusément à travers de nombreux projets d’opéra, dont les Francs-Juges demeurent le plus avancé, ce qu’il écrit de critique sur les discussions autour des représentations du répertoire lyrique, dessinent peu à peu la ligne de son horizon poétique. Ce à quoi il aspire, il le trouve dans la musique et la poésie venues d’Allemagne et l’accomplit enfin dans cet Épisode de la vie d’un artiste, sous-titré à l’origine « symphonie fantastique » et qu’il fait précéder d’un programme largement annoncé dans la presse. Où l’on vérifie que la critique a aidé Berlioz à formuler et à réaliser son esthétique.
Statistiques
Quelques feuilles de papier journal accompagnent ainsi l’essor de beaucoup plus de pages de musique. Pour être plus juste il convient toutefois de rapprocher le chiffre de douze articles reconnus de celui des treize partitions imprimées dans le même laps de temps. La différence qui se mesure entre la feuille de chou polémique et enflammée ou même les colonnes plus fournies de périodiques plus réfléchis et les partitions elles aussi d’une forme de véhémence excessive, ne tient pas cependant dans le nombre mais dans la densité de l’investissement. Rappelons-nous la remarque de Jean-François le Sueur après l’exécution de la Messe solennelle en 1825 : « Il y a trop de notes dans votre messe, vous vous êtes laissé emporté, mais, à travers toute cette pétulance d’idées, pas une intention n’est manquée, tous vos tableaux sont vrais ; c’est d’un effet inconcevable22. »
Il y a donc différences et similitudes entre l’activité critique et l’atelier du compositeur. Si par ailleurs la proportion chiffrée devient dans ce cas plus équilibrée, il est juste encore de lui adjoindre le nombre des œuvres créées en public qui représentent de fait un mode de diffusion comparable à celui éphémère mais efficace de la page d’un journal. On rencontre pour les sept concerts23 auxquels Berlioz participe entre 1825 et 1830, dix créations parfois reprises lors d’autres créations. Les œuvres jouées, parce qu’elles ne correspondent pas toutes aux œuvres publiées, fixent ainsi à dix-huit le total des œuvres musicales de Berlioz devenues publiques. Si enfin le corpus des partitions publiées ou des œuvres créées n’est donc qu’assez peu supérieur à celui des articles, l’intensité de l’activité compositionnelle dépasse pour revenir une fois encore à la première remarque, de loin celle de l’activité littéraire. En effet, à la fin de l’année 1830, le catalogue des partitions connues de Berlioz recense déjà 52 numéros. Mais on ne finirait pas à demander aux chiffres des explications contestables puisque, par exemple de 1819 à 1830, il nous est également parvenu 200 lettres de Berlioz qui attestent d’une abondante activité para-littéraire. Nous entrevoyons l’atelier, ses esquisses, ses brouillons, faits génétiques indispensables aux pièces définitives, mais à considérer avec prudence.
Tableau no 1 : activité littéraire et musicale, officielle et privée d’Hector Berlioz. Dans la période 1819 et 1830.
L’époque que David Cairns a nommé The Making of an Artist (1803-1831) est aussi celle de l’expérimentation naturelle de tous les domaines d’expression de soi, tant en privé qu’en public. Le passage de Berlioz à la salle de concert et à la tribune des journaux est l’un des gestes de ce cheminement qui va par la suite occuper à part égale et antagonique toute sa carrière. C’est pourquoi la traduction française autorisée du titre de Cairns propose « La formation d’un artiste », la première édition parue chez Belfond avait choisi « La naissance d’un artiste », il nous semblerait plus opportun de suggérer au regard de cette collaboration à la presse, l’aspect plus technique de la « Fabrication d’un artiste ».
La musique et les lettres
Les sept années de participation à la presse que nous observons s’enchâssent elles-mêmes dans le plus large intervalle qui, selon le catalogue d’Holoman, fait remonter l’existence des premières compositions aux années 1817-1818. Douze-treize ans, c’est le laps de temps qui conduit un musicien amateur provincial de quatorze ans désireux dès 1819 de se faire éditer par des maisons parisiennes, au statut d’un compositeur remarqué. En 1819 Berlioz prend la plume pour s’adresser officiellement à des musiciens afin de trouver un éditeur. Il n’est alors pas journaliste, c’est un particulier qui entre en contact avec une maison de diffusion. En 1830 il est devenu une figure qu’on pourrait dire d’avant-garde, détentrice à vingt-six ans du premier grand prix de Rome de composition et dont l’œuvre emblématique – la Symphonie fantastique – créée le 5 décembre 1830 au Conservatoire est accueillie avec enthousiasme par la jeunesse romantique. Il convient de revenir sur cette ascension qui accompagne le passage de l’adolescence du musicien à sa vie adulte et qui conduit la Restauration à sa chute. Les six années qui s’écoulent de 1817 jusqu’au premier article de 1823 n’en comptent en réalité qu’une et demi passée à Paris. Si on remarque au début de cette installation parisienne aucun engagement dans la presse, il convient de souligner que Berlioz, lorsqu’il signe ses premiers articles, le fait dans les numéros de journaux nouveaux. N’est-il pas le premier musicien à collaborer au Correspondant ? Il a en vérité très tôt recherché à intervenir dans la presse, comme le révèle sa correspondance. Ce choix a été déterminé par ce que l’on peut appeler un plan de carrière qui souligne la perspicacité du jeune compositeur à s’emparer d’un domaine en pleine discussion critique. Dès ses débuts, Berlioz, lorsqu’il raisonne sur l’opéra et le jeu des artistes, ne parle que du sens de la musique et de ses moyens esthétiques. Lorsqu’à la fin de sa carrière il confie à Saint-Saëns qu’il doit sa connaissance de Gluck aux représentations des années 1820, Berlioz reconnaît l’incroyable énergie de ces années qui provoquèrent l’essor de 1830 parce qu’elles fournissaient un point de vue critique extrêmement vivace. Berlioz, pris dans cette effervescence, cherchait à rendre compte non de l’extérieur des objets dont il dissertait, mais tout en parlant de leur apparence de commenter leur intériorité.
Inutile de rappeler que cette trajectoire s’articule également sur un temps politique évolutif, fait de contestation, de révolution et aussi d’avènements nouveaux. Enfin, depuis ses premiers pas à Paris à l’automne 1821 jusqu’au triomphe romantique du 5 décembre 1830 à la salle du Conservatoire, ce cheminement qui cherche son public s’accompagne, s’orchestre. Berlioz écrit sur la diversité des musiques qu’il découvre à l’Académie royale de musique, aux Italiens, à l’Odéon, mais aussi à la salle du Conservatoire – expériences au cours desquelles il a la confirmation de sa vocation d’artiste compositeur, et sans doute où la nouveauté symphonique lui trace sa voie. Ce cheminement compositionnel, véritable conquête d’un langage et d’un auditoire se trouve donc pour nous doublé d’une écriture officielle, qui agit comme un inestimable commentaire sur les opportunités que l’actualité propose.
Dans ces pages de critique, l’opéra demeure la question centrale jusqu’à l’article du 22 octobre 1830 qui dépasse cette priorité et qui, véritable anticipation publicitaire de la Symphonie fantastique, consacre l’avènement d’un nouveau genre. Cet aspect explique peut-être que l’ardeur du polémiste à pourfendre les institutions, n’est ni plus ni moins le fait d’une personnalité qui cherche son objet. À ce titre l’intense activité de feuilletoniste que Berlioz exercera ensuite, jette en quelque sorte une nuit sur celle de polémiste qui, plus confuse, plus éparpillée, semble plus aventurée que significative. Ces articles qui exposent en réalité le programme esthétique de Berlioz, le construisant comme une narration descriptive, comme une suite de dialogues pris sur le vif, font aussi en creux le portrait d’un artiste. Dans ce sens ils pratiquent un double message qui montre que Berlioz n’est pas un correspondant objectif, mais un artiste engagé, un furieux. Ces textes préludent à leur manière à l’éclosion d’une relation nouvelle à l’écriture, aux genres, aux normes, ils préludent à l’émergence de la Symphonie fantastique qui comme on le sait met en scène, au travers d’un programme, l’originalité d’une partition et fait surtout émerger la figure de l’artiste, créant en somme une partition critique !
(Université de Lyon – Université Jean-Monnet Saint-Étienne – UMR 5317 IHRIM)
Notes
1 Il s’agit de trois articles des 4 et 11 août puis du 6 octobre 1829, nos 22, 23 et 31 du Correspondant, dont seul le troisième est signé « H. » intitulé « Biographie étrangère : Beethoven ». Dans Yves Gérard et H. Robert Cohen (dir.), Hector Berlioz, Critique musicale, Paris, Buchet/Chastel, 1996, t. i, p. 47-61. Actuellement la critique musicale de Berlioz fait l’objet d’une publication prévue en dix volumes de texte et un volume d’appareil critique (7 volumes parus). Signalons également l’ouvrage récent de Katherine Kolb (dir.) et Samuel N. Rosenberg (trad. anglaise), Berlioz on Music, Selected Criticism 1824-1837, Oxford University Press, 2015, qui réunit annote et introduit un choix de 44 articles traduits pour la première fois en anglais. Seuls 3 articles sont retenus, les deux derniers articles du Corsaire et le dernier du Correspondant, p. 27-40.
2 Joseph d’Ortigue, « Concert donné par M. Berlioz », Le Correspondant, 3 novembre 1829, dans Joseph d’Ortigue, Écrits sur la musique 1827-1846, éd. Sylvia L’Écuyer, Paris, Société française de musicologie, Publications de la Société française de musicologie, 2e série, t. xvii, 2003, p. 221.
3 Les articles de Berlioz paraîtront traduits en allemand dans quatre numéros de la Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung, ceux des 6 et 27 juin, 11 et 18 juillet 1829, cf. Critique musicale, op. cit., p. 17-45.
4 Expression que Berlioz utilise au chapitre xxi de ses Mémoires, intitulé « Fatalité je deviens critique ».
5 Rappelons que Maurice Schlesinger était le fils d’un grand éditeur berlinois, qu’il s’installa à Paris en 1816 et ouvrit sa propre maison d’édition en 1821, enfin qu’il fonda en 1834 la Revue et gazette musicale de Paris à laquelle Berlioz contribua durant près de trente ans.
6 Il écrit à son fils le 14 février 1861 : « Encore à présent, crois-tu que ce soit gai, d’être forcé contraint, de rester à cette infernale chaîne du feuilleton qui se rattache à tous les intérêts de mon existence ? […] Et j’ai la tête pleine de projets, de travaux, que je ne puis exécuter à cause de cet esclavage !», dans Pierre Citron (dir.), Correspondance générale, 8 vol., 1972-2003, Paris, Flammarion, « nouvelle bibliothèque romantique », t. vi, p. 200. Il faut préciser qu’au début de cette lettre Berlioz sermonne son fils qui voudrait se marier et aspire « avec tant d’âpreté à la chaîne la plus lourde qui se puisse porter… » [p. 197], le glissement d’une chaîne à l’autre a quelque chose de très significatif.
7 Émile M…D, « Correspondance/Musique », Le Corsaire, lundi 1er septembre 1823, no 53, p. 3.
8 D. Kern Holoman, Catalogue of the Works of Hector Berlioz, dans Hugh Macdonald (dir.), Hector Berlioz New Edition of the Complete Works, vol. 25, Cassel, Bärenreiter, 1987, voir plus particulièrement Catalogue of Prose Works, p. 429-488, la liste des « Feuilletons », correspond pour les années 1823-1830 aux pages 435-436. Holoman recense des parutions citées ici selon leur ordre chronologique dans Le Corsaire, la Revue musicale, Le Figaro, La Pandore, L’Album, la Berliner Allgemeine Musiklische Zeitung, Le Correspondant.
9 À la p. ix de l’ « Introduction » du volume i de la Critique musicale, les éditeurs signalent : « Les articles qui ont pu être identifiés comme étant des réimpressions ne sont pas reproduits. Cette catégorie comprend aussi bien les textes simplement repris par un journal que ceux envoyés par Berlioz à plusieurs éditeurs. »
10 Le premier ouvrage qui parut en 1968 est la réimpression annotée par Léon Guichard des Soirées de l’orchestre chez Gründ (réed. 1998). L’ANHB avait décidé en constituant un comité de rédaction présidé par Henry Barraud de célébrer le centenaire de la mort d’Hector Berlioz par cette vaste entreprise tandis qu’un Comité anglais du Centenaire prenait à charge d’entreprendre l’édition monumentale de l’œuvre musicale, New Edition of the Complete Works (NBE) avec David Meller comme président et Hugh Macdonald comme éditeur général.
11 Pierre Citron note dans la chronologie de 1828, de la Correspondance que le 10 décembre 1828, L’Album [L’Ancien album : journal des arts, de la littérature, des mœurs et des théâtres] publie un article « La Jeune France », signé H. B., selon toute vraisemblance attribuable à Berlioz. Op. cit., p. 165. Dallas K. Holoman attribue quant à lui cet article qu’il recense, soit à Henri Blanchard soit à Hippolyte Bonnelier.
12 Alban Ramaut, « D’un Correspondant, l’autre », Revue belge de musicologie, vol. lxvi, 2012, p. 133-149.
13 Hector Berlioz, lettre adressée au rédacteur en chef de la Revue musicale, le [16] mai 1828, Correspondance générale, op. cit., p. 185-186 . Cette lettre fut effectivement publiée dans Le Figaro, Le Corsaire, les 21 et 22 mai et aussi, précise Pierre Citron, dans La Pandore. Son existence est mentionnée à la page ix de l’« Introduction » au volume i de la Critique musicale.
14 Virgile, Énéide, chant ii, vers 354. « Le salut pour les vaincus est de n’attendre aucun salut », ce vers sera repris dans Les Troyens au premier tableau de l’acte ii, no 13, Récitatif et chœur : « Le salut des vaincus est de n’en plus attendre. »
15 Ernest Reyer « La critique musicale – Castil-Blaze – Hector Berlioz », dans Le Livre du centenaire du Journal des débats 1789-1889, Paris, E. Plon Nourrit et Cie, 1889, p. 427-440, la citation est p. 432.
16 Hector Berlioz, Mémoires, chap. xxi, Lyon, Symétrie, 2014, p. 120.
17 Le frère de Joseph-François – Louis Gabriel – est l’auteur de la Bibliographie universelle plus souvent cité par Berlioz, mais c’est Joseph-François qui est le rédacteur en chef à La Quotidienne à partir de 1817 jusqu’à sa mort survenue en 1839.
18 Hector Berlioz, Critique musicale, op. cit., p. 4.
19 Hector Berlioz, « Correspondance – Polémique musicale », Le Corsaire, 12 août 1823, Critique musicale, op. cit., p. 3.
20 En réalité, Berlioz sollicité, envoie un article depuis Rome pour la Revue européenne qui est la suite assez éphémère du Correspondant. Cet article précède son retour puisqu’il paraît autour du 15 mars et que Berlioz s’installe de nouveau à Paris dans les premiers jours de novembre.
21 Hector Berlioz, lettre adressée à son père le 31 octobre 1830, Correspondance générale, op. cit., p. 382.
22 Ibid., lettre adressée à Albert Du Boys du 20 juillet 1825, p. 97.
23 Berlioz entre le 10 juillet 1825 et le 5 décembre 1830 organise en réalité cinq de ces concerts, les deux autres sont d’une part l’exécution de sa cantate du prix de Rome dans le cadre de l’Institut (30 octobre 1830), et la participation de son Ouverture de la tempête à un concert à l’Opéra où d’autres œuvres paraissent (7 novembre 1930).