Presse et scène au XIXe siècle

Des drames du Palais aux tribunaux comiques : la théâtralité de la chronique judiciaire en question

Table des matières

AMÉLIE CHABRIER

− Je n’ai jamais vu une cour d’assises, et l’on dit que c’est fort curieux.

− Fort curieux, en effet, Mademoiselle, dit le substitut, car au lieu d’une tragédie factice, c’est un drame véritable ; au lieu de douleurs jouées, ce sont des douleurs réelles. […] Vous voyez bien que, pour les personnes nerveuses, il n’y a pas de spectacle qui vaille celui-là1.

Comme l’explique le personnage de Villefort à sa fiancée au début du Comte de Monte-Cristo, l’espace du tribunal est porteur de théâtralité. Un procès est en effet une représentation verbale d’un conflit qui a eu lieu dans le réel. Il est joué par des professionnels du droit, parfois en costumes, qui endossent des rôles2. Enfin, il comporte une dimension spectaculaire, puisqu’un public assiste aux débats, ce qui le rapproche de la définition de la théâtralité donnée par Julia Kristeva : dans une situation où l’on trouve un regardé et un regardant, il s’agit d’un « processus qui repère des individus en procès3». Cette sémiotisation de l’espace judiciaire qui fait que le spectateur perçoit la théâtralisation de la scène et la théâtralité du lieu se traduit dans le journal par un emploi récurrent du métadiscours théâtral. Encore en 1921 pour le procès Landru, le chroniqueur judiciaire du Petit Journal file la métaphore :

Il y a dans toute pièce théâtrale un acte, une scène au moins où tous les effets sont réservés au premier rôle. Dans le drame tragi-comique qui se joue ici, c’est aujourd’hui mardi plus spécialement le jour de Landru. […]

Dans la salle, le public s’entasse de plus en plus. C’est décidément la mode de n’arriver au théâtre qu’après le premier acte. Que sera-ce le jour du dénouement, c’est-à-dire du verdict4 ?

Ainsi, c’est un peu à la manière des comptes rendus des théâtres, chargés de tenir informés les lecteurs de l'actualité dramatique, que la chronique renseigne sur l'actualité judiciaire du pays. Pourtant, l'analogie ne peut aller trop loin, car si le jeu théâtral n'entraîne aucune conséquence dans le monde réel, en revanche la scène judiciaire qui se déroule au prétoire concerne des vies humaines. La chronique judiciaire est donc en cela considérée comme un article informatif, sérieux, puisqu'elle doit rendre compte de façon exhaustive d'un procès, dans le respect de la gravité des actes judiciaires. L'organe de presse qui lui est le plus souvent associé est la Gazette des tribunaux, fondée en 1825, spécialisée dans le domaine judiciaire, mais on trouve cette rubrique dans la majorité des journaux du XIXe siècle. Comme le souligne Dominique Kalifa5, elle participe de l'économie générale du journal et tient une place importante dans les médias. Le journaliste qui en est chargé, assiste aux audiences et prend en note aussi fidèlement qu'il le peut les paroles échangées au sein du prétoire.

Mais plus qu'un compte rendu verbal, comme on l’a évoqué ci-dessus, c'est une mise en scène qu'il doit saisir et tenter de retranscrire, dans l’urgence :

Attentif à tout ce qui se passe autour de lui, il faut qu’il [le chroniqueur] saisisse les paroles du président, celles de l’accusé, celles du ministère public ; qu’il voie tout, les moindres détails, la physionomie des débats, les incidents d’audience… Il veut s’arrêter… non, non ; marche, marche… et le débat le presse, et les paroles se heurtent, s’entrechoquent autour de lui…6

Le défi du journaliste est donc de rendre compte de cette « véritable polyphonie informationnelle », transférant « la théâtralité » de l’audience, où l’on retrouve « l’épaisseur de signes » dont parle Roland Barthes7, vers l’article. L'atmosphère qui règne dans la salle, l'attitude de l'accusé, les nuances dans la voix des juges, tous ces éléments constituent la scénographie qui fait la singularité de chaque procès. Pourtant, devant l’impossibilité technique de retranscrire l'intégralité de plusieurs heures de débats dans l'espace limité des colonnes du journal, le journaliste doit faire des choix, et même un compte rendu sténographié, a priori neutre, relève d’un travail qui en fait une re-présentation médiatique. L’impression de lire des données brutes n’est qu’une illusion, et Étienne Legoyt8, rédacteur pour la Gazette des tribunaux en 1836, explique par exemple que pour réaliser une « rédaction homogène », il a mélangé les notes prises sur plusieurs jours, proposant non pas le simple reflet du procès auquel il assistait, mais une nouvelle mise en scène, qu’il réorganise et donne à voir à un public, considérablement élargi. La chronique judiciaire semble donc nourrir une contradiction interne, d'un côté un souci d'objectivité, de l'autre le souhait de susciter l'intérêt du lecteur. Or ces deux aspects sont-ils conciliables ? Si le chroniqueur recourt à des artifices théâtraux, cette influence littéraire n’éloigne-t-elle pas l’article de son statut référentiel ? Enfin la chronique judiciaire pourrait-elle servir de pré-texte à l’établissement d’une pièce ?

Pour être fidèle à sa tâche de rapporteur des débats judiciaires, le chroniqueur à travers son compte rendu propose une « mimesis formelle9 » du texte théâtral, qui lui procure une « identité visuelle10 » immédiatement reconnaissable dans le journal. Mais l’analogie ne s’en tient pas à la forme. Ainsi, lors des « causes célèbres », c’est-à-dire des grands procès se déroulant aux assises, l’influence de genres dramatiques comme le mélodrame permet de renouer avec l’intensité de la représentation qui s’est tenue dans le prétoire, faisant parfois osciller le statut de la chronique entre information et fiction. Enfin, une étape dans la perte de référentialité, vers la déréalisation, semble encore être franchie dans les petits procès de police correctionnelle, véritables saynètes comiques dignes de la farce ou du vaudeville, et pouvant donner lieu à des transpositions scèniques.

« Mimesis formelle » : renouer avec la théâtralité inhérente de la scène de procès

Pour rendre compte par écrit de la théâtralité d’un procès, le chroniqueur utilise des simulacres de conventions théâtrales. Ainsi, la parole rapportée tient une place importante avec la récurrence du discours direct, allant de la simple citation à l’insertion de vrais dialogues. Ce discours correspond à la prétendue objectivité de la tâche du chroniqueur judiciaire puisqu’il « dégage la responsabilité de l'énonciateur11 » qui ne fait que rapporter les propos d’autrui. Cependant, ce statut autonymique ne signifie pas que le journaliste est absent. Pour Dominique Maingueneau, « il ne peut s'agir que d'une mise en scène12 » qui vise un effet de réel. Le discours direct peut tout d’abord être utilisé de manière ponctuelle au milieu du récit relatant le procès. Tel un critique théâtral relevant un mot d’auteur, le journaliste décide de citer l’un des actants. On peut alors parler de théâtralisation a minima, la parole rapportée apparaissant en italiques ou entre guillemets. Cependant, il offre déjà une image partiale du procès en fonction des propos relevés.  

De courts échanges, parfois consignés sous une forme minimale de dialogue (une simple lettre majuscule désignant les différents locuteurs, sans retour à la ligne) viennent également rompre l'unité prédicative de la chronique. Ce changement de rythme allège la lecture d’un article parfois très long. Avec l’arrivée de la presse populaire après les années 1860, la tendance est de couper les interrogatoires ou les témoignages, comme l’explique Albert Bataille chroniqueur pour Le Figaro : « Nous ne suivrons pas l'interrogatoire pas à pas ; nous ne voulons que donner certaines réponses de l'accusé : des perles13! » Dans le procès de l’abbé Bruneau en 1894, un « vicaire-assassin », on accuse le prêtre de mener une vie de débauche. Un échange vif entre l’abbé et le juge éclate :

L’accusé – C'est faux. Je n'ai jamais eu de maîtresse attitrée.

Le Président – C'est parfaitement possible ; les cochers ont déclaré que c'étaient toujours des femmes nouvelles qui vous envoyaient chercher14

Cette fois, la mention des rôles ainsi que les tirets apparentent bien ce passage à un texte théâtral. Grâce à la répartie percutante et ironique du Président, la tension du lecteur se relâche un instant, au milieu de faits graves.

Le recours au discours direct permet donc au chroniqueur de s’attarder sur un moment clé, ou au contraire d’accélérer le rythme dans une narration parfois monotone, enfin il peut aider à caractériser un personnage. Les chroniques relatant les grands procès présentent une forme mixte, partagée entre récit et dialogue. Mais c’est dans les comptes rendus de petites affaires que l’on identifie le mieux le simulacre de texte théâtral.

Dans la rubrique spécialisée en page trois, qui regroupe en majorité des petits faits judiciaires insignifiants, presque chaque jour une ou deux chroniques se détachent de l’ensemble. Or c’est l'usage du dialogue qui contribue à les démarquer des autres affaires. Dans la succession monotone de ces courts articles, cette typographie identifiable à un texte de théâtre attire l'œil. Il arrive même que des articles se présentent sous la forme de petits dialogues complètement autonomes, donnant l’illusion de la disparition totale du chroniqueur. Cette forme extrême est cependant très rare. On la trouve dans un article du Figaro intitulé « Le volcan d’amour15 » (ill. 1) :

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Ill. 1. « Volcan d’amour », Le Figaro, 10 novembre 1835.

La parole est immédiatement rapportée au discours direct grâce à des verbes introducteurs, puis très vite se met en place un dialogue, entre les trois protagonistes. Des procédés typiques de l’écriture théâtrale réapparaissent, comme la stichomythie et les interruptions de parole, qui donnent une dimension réaliste à l’échange. C’est l’occasion de remarquer la présence de ce qu’on pourrait appeler par analogie des « didascalies », qui participent à la théâtralisation de la chronique.

Ces didascalies servent à la re-présentation mentale du procès par le lecteur qui n’a pu pénétrer dans l’enceinte du prétoire. Par conséquent, contrairement aux indications de théâtre, elles n’ont pas pour objectif de servir de partition pour une future représentation scénique. Cependant, de manière économique dans l’avancée de l’article, elles donnent du relief au procès. Parfois un simple substantif entre parenthèses renseigne sur l’atmosphère qui règne durant le procès : « (Mouvement, sensation, mouvement d'horreur dans la salle) ». Une proposition sans verbe conjugué, intercalée entre le nom du locuteur et le tiret de parole peut donner le ton de la réplique comme par exemple « L’accusé, d’une voix sourde et en détournant les regards ». Enfin des séquences narrato-descriptives au présent, introduites par le déictique « ici » actualisent la scène : « Ici la voix de l’accusé s’altère graduellement ; Ici l’accusé tombe presque sans connaissance sur son banc. L’audience est un instant suspendue16. »Ces différentes sortes de didascalies permettent parfois de retracer l’évolution psychologique d’un personnage, essayant de percer le mystère du criminel, traquant sa culpabilité, sans que le journaliste ne se lance dans une analyse subjective, car lui-même, contrairement au dramaturge, ne connaît pas l’issue du drame. Ces notations, froides, détachées, correspondent à son rôle d’observateur des tribunaux, mais ne sont pas sans influer sur l’interprétation des lecteurs.

Dans sa poétique, la chronique judiciaire est donc parfois très proche d’un texte de théâtre, ce qui lui permet de retrouver la théâtralité inhérente au procès. Or, si ces marques formelles concourent paradoxalement à créer un effet de réel, en revanche d’autres éléments rendent parfois la frontière avec la fiction très fluctuante. En effet, les influences intertextuelles avec le théâtre montrent que le chroniqueur judiciaire connaît la tentation de la fictionnalisation, apportant à son article un surplus de théâtralité non plus issue du procès lui-même mais authentiquement « théâtrale », empruntant certains artifices à des genres théâtraux.

Les « drames du Palais » : tentation de la fiction

Dans les procès d’assises, les journalistes choisissent souvent les affaires à développer en fonction de leur potentiel dramatique. Ainsi, le calque de la fiction se superpose à l’affaire judiciaire, comme semble le montrer cette citation de Thomas Grimm pour l’affaire Troppmann en 1869 : « Il me semble que le sort ait voulu réaliser nous ne savons quel monstrueux rêve d’un dramaturge en délire, ménager les effets, tenir en suspense la curiosité et développer chez les spectateurs, jusqu’à l’heure du dénouement, cet intérêt passionnant et douloureux [...]17. »

Or le rôle du chroniqueur judiciaire est de présenter à nouveau, mais pour la dernière fois, une affaire que le public suit dans les journaux parfois depuis longtemps. Les souvenirs et impressions de ces lectures quotidiennes sont mis en relation directe avec une dernière actualisation de l'affaire et c'est cette confrontation des discours passés et présents qui suscite l'intérêt des lecteurs. En effet, il y a toujours l'espoir d'une révélation, d'un retournement de situation. Les chroniqueurs jouent de cette attente en pratiquant ce que l’on pourrait appeler une « esthétique du coup de théâtre » : ils mettent en valeur le moindre incident qui perturbe la cérémonie judiciaire, se glissent dans ces interstices, suppriment les longueurs, transformant le texte lui-même en événement. Ainsi, dans le procès du prêtre-assassin, une femme qui ne se prononçait pas sur l'identité du religieux pendant l'instruction, est appelée à la barre. Un sous-titre est déjà là pour dramatiser18 la scène, créant une tension supplémentaire et transformant ainsi son témoignage en scène-clé : « Terrible déposition19 ». Le procédé stylistique du narrateur consiste dans l’exemple qui suit à suspendre le temps de cette simple reconnaissance, créant un effet d'attente :

Pendant une minute, Mme Daligaud fixe l'abbé, qui s'est levé et qui la regarde en face. Mme Daligaud, très simplement, dit enfin :

- C'est bien lui ! 

En même temps que le procès est suspendu, le lecteur se pose des questions sur l'issue de ce duel à la barre. C'est la parole rapportée, pourtant convenue dans une telle scène, qui vient créer le coup de théâtre. Par cette esthétique, le chroniqueur maintient la tension dramatique d’une affaire. Mais d’autres aspects concourent à retenir l’attention des lecteurs, notamment la variété tonale qui rapproche l’article du mélodrame.

Un traité parodique sur le mélodrame conseille en 1817 de « varier agréablement les scènes, en opposant le tyran au niais, le crime à l’innocence, la joie à la douleur20. » Or le chroniqueur comme le dramaturge, en suivant la structure du procès, juxtapose ces émotions appelées « divertissantes », c’est-à-dire la terreur, le rire et la pitié. L’horreur figure en bonne place grâce aux pièces à conviction ensanglantées décrites très précisément et qui forment un décor macabre. Le registre comique est également présent, surtout dans les dépositions des témoins qui se présentent comme une succession de types populaires. Ces moments de détente alternent avec des tableaux pathétiques et la chronique, surtout dans les journaux populaires, joue de ces effets de contraste. C’est par exemple, après la déposition d’un alcoolique, l’arrivée à la barre d’un des parents de l’accusé. Un vrai code corporel se met en place : la honte fait que l’accusé cache sa tête dans ses bras ; la douleur est symbolisée par l’abondance des larmes, ou ici par le silence et le dernier regard du père jeté à son fils criminel. On en retrouve un exemple à la fin du siècle dans Le Matin, toujours à propos de l’affaire de l’abbé Bruneau (ill. 2) :

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Ill. 2. « Les crimes de l’abbé Bruneau », Le Matin, 11 juillet, 1894, p. 3 (extrait).

C’est, comme dans un tableau de genre, la confrontation de deux figures allégoriques, celle de la Morale et celle du Vice. Ainsi, la chronique judiciaire, comme le mélodrame, se veut moralisatrice, et ce n’est qu’à de rares exceptions que l’article connaît l’inversion du code idéologique et moral que subit le genre dramatique à partir de 1823, notamment lors du procès Lacenaire dans lequel ce dernier est comparé à Robert Macaire21. Comme l’a bien montré Anne-Emmanuelle Demartini dans son ouvrage22, le criminel devient alors, grâce au piédestal que lui élève le journal, un héros de cour d’assises.

La frontière entre théâtre et chronique judiciaire est donc plus labile que ce que l’on pourrait penser de prime abord et une théâtralité empruntant aux usages et artifices de l’écriture théâtrale semble apparaître ponctuellement dans l’article. Cette tendance se radicalise encore dans les petits procès de police correctionnelle, qui paraissent parfois perdre toute dimension référentielle.

Ce qui fait tout d’abord la particularité des petites chroniques est la tonalité comique utilisée, qui les rapproche de la farce selon Frédéric Chauvaud23, ou du vaudeville. Ces petits comptes rendus sont une distraction, « un divertissement prisé » dans l’économie générale du journal. Ils se déroulent dans le cadre unique du tribunal de police correctionnelle et chaque jugement sert de prétexte à une saynète humoristique.

Ainsi, la caractérisation des prévenus puise souvent dans le répertoire littéraire des types théâtraux ce qui les transforme en personnages. Ils sont souvent dotés de patronymes ridicules faisant douter de leur authenticité : « M. Guéri », dans une histoire impliquant un médecin, ou « Madame Lacaille contre Madame Goret24 », procédant immédiatement à l’animalisation des deux femmes. Ensuite, les dialogues qui les mettent en scène, sont pleins d’accidents langagiers. En effet, les chroniqueurs introduisent des fautes de syntaxe, des parler populaires ou régionaux (comme l’emploi du pronom « je » avec des verbes conjugués à la première personne du pluriel, caricature du paysan). Ainsi, les scènes de quiproquos sont très nombreuses, jouant par exemple sur l’incompréhension des accusés face au tribunal. Dans un procès de femme battue, le vocabulaire juridique pose problème :

Le Président (à la plaignante) – Déposez !

La femme Boitier – Que je dépose ?

Boitier – Oui, ton parapluie.

Président – Je vous dis de faire votre déposition...25

Enfin, comme dans le vaudeville-farce26, le bas corporel est parfois convoqué, amenant un comique grivois voire scatologique. La Gazette des cours d’assises et des tribunaux correctionnels rapporte l’histoire d’une concierge frappée par deux habitantes de son immeuble : « La portière – elles m’ont tout abîmé le derrière que je vais vous faire voir. (à ces mots prononcés d’un grand sang-froid par Madame Julien, l’hilarité redouble dans l’auditoire)27. » La didascalie finale vient dissiper le malentendu : « On reconnaît bientôt que c’est du derrière de sa tête que la prévenue a voulu parler » .

Dans cette petite chronique, la tendance à la déréalisation de la scène est donc forte. Le huis clos redoublé par l’espace restreint de la rubrique favorise cette densité comique. Le tribunal devient une scène comique, coupée du monde référentiel, dans la tradition farcesque des procès farfelus. Le retour au réel ne se fait que partiellement en fin de chronique, par la mention presque accessoire de la condamnation du prévenu, dans une sentence moralisatrice qui peut rappeler le vaudeville de la première moitié du siècle. Il n’est donc pas étonnant que dans Le Charivari, cet article ait été placé pendant un temps dans le feuilleton, place ordinairement assignée à la fiction, ou qu’on ait constitué des recueils illustrés regroupant ces saynètes, tels Les Tribunaux comiques28 de Jules Moinaux publiés pour la première fois en 1881 (voir ill. 3), dont le statut générique se modifie : loin du journal judiciaire qui les reliait malgré tout à l’actualité, pourvues de titres et parfois d’illustrations, ces chroniques sont lues comme des fictions.

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Ill. 3. Jules Moinaux, Les Tribunaux comiques, 1881

Enfin ce modèle de la petite chronique va être pastiché, comme dans le recueil de La Correctionnelle qui emprunte le cadre du tribunal et la poétique de la petite chronique pour dépeindre les mœurs de la société contemporaine. On retrouve par exemple le comique langagier qui consiste à laisser entendre la verve du journaliste à travers les paroles des inculpés. L’affaire reste au second plan, l’important est de faire rire les lecteurs. Dans une chronique de La Correctionnelle29, intitulée « les français peints par eux-mêmes » (et qui est déjà un jeu de mot en soi, puisqu’il s’agit d’une dispute entre deux peintres en bâtiment qui se sont littéralement « peints eux-mêmes »), le narrateur s’amuse à introduire toutes les couleurs de l’arc en ciel dans la plainte d’un des personnages : « j’étais bleu... de coups ; il vous en conte des vertes ; il vous a peint la chose à son avantage ; il m’en a fait des grises ; Il cherche à me noircir30. »

On peut alors se demander si un jeu de vases communicants se met en place entre le journal et la scène. La théâtralité innée du procès, imitée dans l’écriture de l’article, enrichie par des intertextes théâtraux, ouvre-t-elle sur une théâtralité « scénique », donnant lieu à des adaptations de chroniques jouées aux théâtres ?

Influences de la chronique sur la production scénique

Palais de justice et théâtres sont « en concurrence », selon Paul Féval31, et procurent les mêmes effets bénéfiques aux spectateurs. Il semblerait donc logique que des dramaturges s’inspirent des comptes rendus d’audience du journal pour mettre en scène « ces drames véritables ». C’est ce que préconise en 1817 le traité sur le mélodrame cité précédemment : « Le recueil des causes célèbres n’est pas encore exploité ; les jeunes auteurs peuvent y trouver de nouveaux trésors. [...] Et de nos jours, que de procès éclatants pourraient alimenter le Boulevard de tyrans, de niais, de femmes malheureuses32 ! »

Ce conseil semble avoir été suivi puisque Jean-Marie Thomasseau, constate l’apparition d’un sous-genre « le mélodrame policier et judiciaire » dans la seconde moitié du siècle, mettant en scène « le décor déjà si théâtral d’un jury d’assises33 ». Selon le critique, L’Affaire du courrier de Lyon34 en 1850 marque le début d’une production assez importante d’adaptations issues de la vogue des grandes affaires judiciaires. Il paraîtrait donc évident de retrouver la structure du procès sur scène. Or, dans ces pièces, la « préparation du crime, sa mise en scène, l’enquête policière sont privilégiées au détriment des autres éléments ». Ainsi, la scène de procès, théâtrale en elle-même, ne s’accorde peut-être pas assez avec la recherche de spectaculaire du mélodrame. L’aspect figé, le décor unique, la dimension quasi exclusivement verbale sont peut-être des obstacles à la vivacité et la rapidité de l’action35. De plus, elle peut poser des problèmes de représentation, notamment dans la gestion de la temporalité : si l’écrit permet par exemple les analepses, en revanche, il est difficile sur scène d’introduire ces ruptures chronologiques qui font la richesse et la complexité de cette structure. Au siècle suivant, le cinéma permettra de l’exploiter visuellement36. Enfin, la censure exercée sur la représentation de la Justice se méfie de la représentation de procès sur scène, notamment inspirés d’affaires réelles. Alors que les personnages d’avocats ou magistrats sont nombreux, on montre très peu le pouvoir judiciaire en action37. Ainsi dans Le Boulevard du crime38, vaudeville de 1841, l’auteur a dû remplacer des allusions à des affaires criminelles récentes par l’évocation des abonnements de « Madame Tricotelle » à des journaux judiciaires : « Je n’ignor’ pas une sentence, / Je lis le Droit, et les autre journaux,/ J’suis abonnée à l’Audience, / A la Gazette des Tribunaux ». La chronique reste donc paradoxalement la seule « scène » où l’on puisse librement assister au déroulement complet d’un procès en assises.

Aussi un certain nombre de comédies-vaudevilles se saisissent de cet objet pour représenter des procès de manière différée. Les scènes de lecture de la chronique permettent alors de rejouer la scène du tribunal à partir du texte du journal, créant une mise en abyme. L’article est introduit sur scène sous forme de pastiche, et devient partition pour une saynète intérieure. Dans La Gazette des tribunaux39, le personnage de Moulinot lit à haute voix son journal. Les didascalies fonctionnent alors sur deux niveaux : elles font partie de l’extrait lu et soulignent le ton que prend le personnage pour endosser les différents rôles. Par exemple, la didascalie « sur un ton enflammé et déclamatoire » ouvre le discours de l’avocat et permet au personnage de se lancer dans une imitation traditionnelle de l’emphase judiciaire. Enfin, des commentaires métadiscursifs insérés au milieu de la lecture viennent compléter cette mise en scène de la chronique. Ainsi, après avoir incarné l’avocat, Moulinot, à la fois acteur et spectateur s’exclame : « Comme c'est écrit ! Mon Dieu ! Quel style fleuri ! On croirait lire un drame... » Ce procédé est ici comique puisque ce qui impressionne le personnage est ce qui est moqué en général en littérature. Enfin, la scène de lecture de la chronique judiciaire peut aussi être un moyen de faire avancer l’intrigue. Elle permet aux personnages mais également aux spectateurs, par le jeu de la double énonciation, de se tenir au courant de l’avancée de l’affaire qui a lieu hors scène. On pourrait donc classer dans le sous-genre judiciaire ces « comédies », qui utilisent la chronique comme médiation dans la représentation scénique de grands procès.

Que ce soit dans le mélodrame ou la comédie, le procès n’est qu’un moment, une scène ou un acte40, et les drames de la cour d’assises ne sont pas métamorphosés en « pièces-procès ». En revanche, dans la tradition du vaudeville-farce, des pièces fin de siècle mettent au premier plan le tribunal de police correctionnelle.

On constate tout d’abord un effet-relais entre le journal et la scène : si la petite chronique théâtralisée du quotidien a évolué vers une forme plus narrative avec la presse populaire, sa structure ne disparaît pas car d’anciennes chroniques sont adaptées sur scène. George Courteline crée ainsi plusieurs pièces à partir des Tribunaux comiques de son père Jules Moinaux, chroniqueur à La Gazette des tribunaux. Dans Blancheton père et fils, ou L’Affaire Champignon41, se succèdent devant le tribunal différentes affaires, qui sont autant de sketches cousus rapidement ensemble et formant un vaudeville à tiroirs42. On retrouve l’abondance de jeux de mots et la verve brillante des dialogues qui faisaient la saveur de ces chroniques dans le journal. Ainsi le rire, comme dans la chronique, peut venir d’une incompréhension entre le Président de séance et l’inculpé : dans Blancheton père et fils, une femme décline son identité, « Madame Blancheton, née Lanternier43 », suscitant cette réponse interrogative du président : « Vous êtes née l’an dernier ? » ; de même dans cette même pièce, on retrouve un topos de la scène de prétoire commun au journal et à la scène : le personnage sourd. Ici il s’agit d’un nommé « Troupigny », témoin dans l’affaire. Il se présente plusieurs fois à la barre, croyant y être appelé alors que ce n’est pas le cas, ce qui provoque l’exaspération du président. Enfin, quand il s’agit véritablement de son tour, il ne bouge pas. On découvre alors qu’il est sourd, alors qu’il venait témoigner de ce qu’il avait entendu… ce qui provoque son exclusion. Toujours dans la surenchère, le témoin suivant a une extinction de voix, et se trouve donc dans l’impossibilité de faire son office. Et le président de conclure, désespéré : «  Après le sourd, le muet. Ça va bien ! »

Cependant, des modifications marquent leur adaptation à la scène, notamment la disparition de la dimension moralisatrice. Ainsi, au lieu de se conclure par une condamnation, synonyme d’un retour à l’ordre, ces pièces donnent libre cours à la fantaisie bouffonne des auteurs et se terminent en apothéose burlesque voire absurde. Par exemple, dans Pétin, Mouillarbourg et consorts44, un mari est finalement incarcéré parce qu’il est sexuellement impuissant, tandis que le président propose une « séance particulière, à l’hôtel », à la femme45. Dans ces pièces, les potentiels comiques de la petite chronique sont donc poussés à l’extrême et le théâtre peut retrouver un aspect subversif, notamment dans la critique de l’institution, absente des colonnes du journal.

La théâtralité de la chronique judiciaire vient donc en premier lieu de son objet, le tribunal, dont elle doit rendre compte le plus fidèlement possible. La théâtralisation de l’article est double, servant un effet de réel, tout en présentant une nouvelle mise en scène aux lecteurs. À la fin du xixe siècle, on constate que les journaux sérieux continuent de publier largement les échanges qui ont lieu dans le prétoire, alors que la petite presse tend plutôt à narrer la scène, en introduisant seulement quelques répliques percutantes. Mais dans les deux types de journaux, un surplus théâtral est ajouté par les chroniqueurs : ils sont souvent tentés de présenter un drame ou une farce aux lecteurs, et puisent dans les intertextes dramatiques pour rendre leur article attractif. Paradoxalement, on notera que l’influence de la chronique est restée limitée au théâtre, ce qui peut surprendre pour un spectateur et téléspectateur du xxie siècle qui voit se multiplier les fictions judiciaires autour de lui. Si le roman s’empare plus volontiers de la scène de tribunal46, en revanche, le théâtre fournit finalement peu de spectacles exploitant « les connivences entre la tragédie humaine jouée dans les procès d’assises et les mises en scène de la justice47 ».

(Université de Montpellier 3 – RIRRA 21)

Notes

1  Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, Gallimard,  coll. « Folio classiques », t. 1, 1995, [1844], p. 57–58.

2  Gérard Soulier, « Le Théâtre et le procès »  Droit et société, 17/18, 1991, p. 9-26.

3  Cité dans Josette Féral, « La Théâtralité, recherche sur la spécificité du langage théâtral », Poétique, n° 75, Paris, Le Seuil, septembre 1988, p. 347-361.

4  Le Petit Journal, procès Landru, du 7 au 30 novembre 1921.

5  Dominique Kalifa, « La chronique judiciaire », dans Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2011, p. 999-1009.

6  Le Droit, 7 octobre 1836, « Condamnation de Maître Dupont – Acquittement de la Gazette des tribunaux. »

7  Roland Barthes, « Littérature et signification », Essais critiques, Paris, Points/Seuil, 1981, p. 258. Voir aussi « Le théâtre de Baudelaire », ibid., p. 41. : « Qu'est-ce que la théâtralité ? C'est le théâtre moins le texte, c'est une épaisseur de signes et de sensations qui s'édifie sur la scène [...] » Or, bien plus qu’une captation verbale, il s’agira de plus en plus pour le chroniqueur judiciaire de rendre compte des « sensations » ou, selon une expression consacrée, des « impressions d’audience ».

8  Le Droit, 7 octobre 1836, art. cité. Dans le procès d’un avocat accusé de diffamation en cours d’audience, le compte rendu d’Étienne Legoyt est utilisé comme témoignage. Le défenseur de ce dernier insiste alors sur le peu de fiabilité de l’article judiciaire, qui ne peut rendre compte avec exactitude de la réalité du procès : « attentif à tout ce qui se passe autour de lui, il faut qu’il [le chroniqueur] saisisse les paroles du président, celles de l’accusé, celles du ministère public ; qu’il voie tout, les moindres détails, la physionomie des débats, les incidents d’audience… Il veut s’arrêter… non, non ; marche, marche… et le débat le presse, et les paroles se heurtent, s’entrechoquent autour de lui… et vous ne croyez pas aux inexactitudes, aux erreurs ; et voilà l’homme dont vous accepterez le témoignage pour en faire la base d’une condamnation… et vous condamnerez, quand lui-même il vous dit qu’il doute, quand vous le voyez hésiter sur les résultats de son art, de cet art menteur qu’un de nos plus spirituels sténographes a nommé l’art de ne pas prendre les paroles d’un orateur… et voilà le témoignage que vous invoquez ! voilà les preuves que vous opposez à Dupont, quand nous-même, nous, sténographe, nous vous disons que nous avons pu nous tromper ! »

9  La notion est de Michal Glowinski, cité dans Tadeusz Kowzan, « Texte écrit et représentation théâtrale », Poétique, n° 75, Paris, Le Seuil, septembre 1988, p. 363-372.

10  La notion est empruntée aux Sciences de l’Information et de la Communication.

11  Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Dunod, 1998, p. 115-126.

12  Ibid.

13  Albert Bataille, Le Figaro, 13 octobre 1893.

14  Le Matin, 10 juillet 1894.

15  Le Figaro, 10 novembre 1835.

16  Le Constitutionnel, procès Bancal, 26 juillet 1835.

17  Thomas Grimm, Le Petit Journal, 11 décembre 1869.

18  Nous employons le terme de « dramatisation » au sens de « donner à un texte une tension analogue à celle d’un drame ou d’une tragédie (Michel Jarrety [dir.], Lexique des termes littéraires, Paris, Le livre de poche, 2001, p. 140.). Elle est obtenue par le sous-titre qui sert ici de stratégie communicationnelle pour attirer l’attention des lecteurs et participe à la nouvelle scénographie du procès écrite par le chroniqueur.

19  Le Matin, 10 juillet 1894.

20  Jean-Marie Thomasseau (présentation de l’édition), « Traité du mélodrame, ou une plaisanterie ingénieuse, par MM. A. ! A. ! A. ! », Orages. Littérature et culture (1760-1830), n° 4, « Boulevard du Crime : le temps des spectacles oculaires » (préparé par Olivier Bara), mars 2005, p. 165.

21  Entre le 15 et le 22 novembre 1835, au moment du procès Lacenaire, Jules Janin dans le feuilleton théâtral du Journal des débats fustige l’immoralité des pièces de boulevard mettant en scène des héros comme Robert Macaire, « l’assassin civilisé, l’assassin qui sait lire et écrire, l’assassin aux belles manières, […] homme d’esprit et de douces mœurs », et « père de Lacenaire. Même éducation chez celui-ci, […] même sang froid chez le criminel éclairé » (Journal des débats, 16 novembre 1835, p. 3.

22  Anne-Emmanuelle Demartini, L’Affaire Lacenaire, Paris, Aubier, 2001.

23  Frédéric Chauvaud, « La petite délinquance et La Gazette des Tribunaux : le fait-chronique entre la fable et la farce », dans Benoît Garnot (dir.), La Petite Délinquance du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Éditions universitaires de Dijon, 1998, p. 79-89.

24  Le Figaro, novembre 1835.

25  Jules Moinaux, Les Tribunaux comiques, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1881. Il s’agit d’un recueil de chroniques issues de La Gazette des tribunaux.

26  Voir la définition de Henri Gidel, Le Vaudeville, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 2301, 1986, p. 46.

27  Gazette des cours d'assises et des tribunaux correctionnels. Journal des causes dramatiques et facétieuses, 1833.

28  Jules Moinaux, Les Tribunaux comiques, Paris, A. Chevalier-Marescq, illustrés par Stop, 1884. Jules Moinaux publie plusieurs séries sous ce titre : première série en 1881, seconde en 1882, troisième en 1884, quatrième en 1889 et cinquième en 1894.

29  La Correctionnelle, Petites causes célèbres. Études de mœurs populaires au xixe siècle, accompagnées de 100 dessins par Gavarni, Paris, Chez Martinon, 1840. Sur la première page, on trouve ces indications : « édition de luxe, paraissant par livraisons, deux fois par semaine ; chaque livraison comprend trois pages de texte avec encadrement et un dessin par Gavarni. Enfin en guise de préface, les auteurs, restés anonymes, précisent : « Ce n’est ni une statistique judiciaire, ni un répertoire de jurisprudence que nous nous proposons d’écrire, mais tout simplement un tableau de mœurs. » Il s’agit vraisemblablement d’articles fictifs, réécrits sur le modèle de la petite chronique.

30 Ibid. Je souligne.

31  Paul Féval, Les Habits noirs, Paris, librairie Hachette, 1863, p. 68.

32  Jean-Marie Thomasseau (présentation), « Traité du mélodrame, ou une plaisanterie ingénieuse », art. cité, p. 187.

33  Jean-Marie Thomasseau, Le Mélodrame, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1986, p. 99.

34  Eugène Lemaire (pseud. Moreau), Lartigue (pseud. Delacour), Paul Siraudin, Le Courrier de Lyon ou l'attaque de la malle poste, drame en cinq actes et huit tableaux, par MM. Moreau, Siraudin et Delacour, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Gaîté, le 16 mars 1850.

35  En commençant notre étude, nous pensions rencontrer des pièces intégralement centrées sur un procès, des « pièces-procès » à la manière de L’Affaire du courrier de Lyon, par Robert Hossein et Alain Decaux, Palais des Sports de Paris, septembre 1987, ou plus récemment Robert Hossein, Seznec. Un procès impitoyable, Théâtre de Paris, du 26 janvier au 28 mars 2010 et Dominici. Un procès impitoyable, Théâtre de Paris, mai 2010. Comme le montre Émeline Seignobos, « l’originalité du dispositif réside dans le fait que l’ensemble des spectateurs, promus jurés, choisissent à l’issue de la pièce-procès [le verdict] » (dans Seignobos Émeline, La Parole judiciaire. Mises en scène rhétoriques et représentations télévisuelles, Paris, Ina Editions/ de Boeck, 2011, p. 114-115). Mais, sans aller jusqu’à cette « intéractivité qui semble être le point de convergence de ces spectacles populaires », nous n’avons pas trouvé de tels dispositifs.

36  Pour un panorama sur les films sur la justice, voir l’ouvrage de Bruno Dayez, Justice et Cinéma, Paris, Anthémis, 2007. Pour illustrer notre propos, nous pourrions citer la très longue scène de procès à la fin du film de Robert Mulligan, To Kill a Mockingbird (1862), durant laquelle l’image glisse des discours prononcés dans le prétoire vers la scène du prétendu crime. Grâce à l’outil cinématographique, la reconstitution verbale qui a lieu au tribunal se matérialise devant les yeux du spectateur, qui est transporté dans le passé.

37  Odile Krakovitch, « De la sacralisation à la dérision : la justice sur les scènes parisiennes du Premier au Second Empire », dans Frédéric Chauvaud (dir.), Le Sanglot judiciaire,la désacralisation de la justice de l’époque médiévale aux années 1930, Grâne, Creaphis, 1999, p. 127-154.

38  Charles-Antoine-Alexis Sauzay Le Boulevard du crime, vaudeville populaire en 2 actes, par MM. X. Veyrat et Alzay... [Paris, Folies-dramatiques, 8 juin 1841.]. Paris, C. Tresse, 1841, acte II, scène 2. Voir Cary Hollinshead-Strick, « Le Boulevard du Crime Selects a Jury », communication prononcée lors du 37ème NCFS, Law and Order, Philadelphie, Octobre 2011 : “Though the vaudevilles, comedies and dramas that stage judicial publicity abound in lawyers, they do not feature many court scenes. […] Censors assumed that moving crime from recent news into the realm of newspaper mediation would blunt its ability to move the population”.

39  Laurencin (pseudo. de P.-A. Chapelle) et Marc-Michel, La Gazette des tribunaux, Paris, Marchant éditeurs, 1844 (Paris, Vaudeville, 18 avril 1844).

40  Anatole France, Crainquebille, pièce en 3 tableaux, Paris, Calmann-Lévy, 1903. Le second tableau est le procès de Crainquebille en police correctionnelle.

41  Georges Courteline, Pierre Veber, L’Affaire Champignon, « fantaisie judiciaire en un acte , extraite des Tribunaux comiques de Jules Moinaux », avec douze simili-gravures, Paris, Flammarion, coll. « Les pièces à succès », n° 30, 1899. Représentée pour la première fois sur la scène de la Scala le 8 septembre 1899. Georges Courteline, Pierre Veber, Blancheton père et fils, « fantaisie judiciaire en un acte, extraite des Tribunaux comiques de Jules Moinaux », avec douze simili-gravures, Paris, Flammarion, coll. « Les pièces à succès », n° 48, 1899. Représentée pour la première fois sur la scène des Capucines, le 26 octobre 1899.

42  Voir la définition de Henri Gidel, op. cit., p. 95.

43  Je souligne dans les deux occurrences.

44  Georges Courteline, Pierre Veber, Pétin, Mouillarbourg et consorts, « fantaisie judiciaire en un acte, extraite des Tribunaux comiques de Jules Moinaux », avec douze simili-gravures, Paris, Flammarion, coll. « Les pièces à succès », n° 26, 1899. Représentée pour la première fois le 5 mai 1896 sur la scène du Carillon.

45 Ibid., acte I, scène 7.

46  On remarque par exemple que dans son adaptation théâtrale Villefort, du nom du juge dans Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas supprime la scène de procès où le criminel Benedetto, fils caché de ce dernier, jugé par son père, révèle en plein tribunal son identité. Dans le drame, ce coup de théâtre a lieu au neuvième tableau, scène VIII, « dans le cabinet de Villefort ». Il y a un déplacement de la scène publique du tribunal à la sphère privée du juge. Voir Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, C. Lévy, 1889, (1844), vol. 6, Chapitre XIII, « L’Acte d’accusation », p. 166-176, etAlexandre Dumas, Auguste Maquet, Villefort, drame en cinq actes et dix tableaux, N. Tresse, Paris, 1851, p. 139-197.

47  Émeline Seignobos, op. cit., p. 114.

Pour citer ce document

Amélie Chabrier, « Des drames du Palais aux tribunaux comiques : la théâtralité de la chronique judiciaire en question », Presse et scène au XIXe siècle, sous la direction de Olivier Bara et Marie-Ève Thérenty Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-et-scene-au-xixe-siecle/des-drames-du-palais-aux-tribunaux-comiques-la-theatralite-de-la-chronique-judiciaire-en-question