« Spirituel histrion » : Jules Barbey d’Aurevilly, journaliste au temps des cabotins
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MATHILDE BERTRAND
Polémiste vigoureux, Jules Barbey d’Aurevilly frappe d’un même anathème le théâtre et les journaux de son siècle, qui lui semblent deux avatars dégradés de la littérature, miroir hideux d’une modernité médiocre et mercantile. La presse et la scène s’adressent en effet directement à ces masses odieuses à l’aristocrate, mais suzeraines en démocratie. Tributaires du public des abonnés ou pire de celui des « peleurs d’oranges ou de pommes », qui les jette sur la scène quand il est mécontent, entièrement dépendants de ce « Roi goujat qui s’amuse1 », le journal et le théâtre assurent seuls à l’homme de lettres qui se prête au jeu de la publicité, la popularité et le profit nécessaires dans « ce siècle de l’exhibition2 » et du « Want of money3 », aux « mœurs de plus en plus publiques, théâtrales, cabotines4 » : « La société française tout entière se fait cabotine et nous passons fièrement à l’histrionisme, avec armes et bagages, mèche allumée et tambour battant5 ! », s’exclame ainsi Barbey, pourfendeur infatigable du cabotinisme et de la cupidité que l’évolution du théâtre et des journaux lui semblent, hélas ! parfaitement refléter.
Cependant, pour virulente qu’elle soit, cette double condamnation est proférée publiquement depuis la presse, de façon toute théâtrale, par un journaliste de ce temps de cabotins, très conscient des impératifs d’un siècle auquel il appartient et dont il participe à sa manière, tout réactionnaire et « antimoderne6 » qu’il soit. Je tâcherai ainsi d’éclairer ici l’un des nombreux paradoxes de Jules Barbey d’Aurevilly, en analysant l’ambivalence de ses rapports croisés avec la scène comme avec la presse7. Ce journaliste qui fut aussi, malgré son antipathie affichée pour cette « crapaudière des choses du théâtre8 », un feuilletoniste dramatique brillant et prolixe, puisqu’il a laissé cinq recueils d’articles consacrés au Théâtre contemporain9, apparaît en effet comme un écrivain comédien, dont le génie critique est aussi et surtout un génie comique.
Presse et scène ou le déclin des Lettres
Prophète de malheur, Barbey n’est pourtant pas d’humeur à rire, lui qui voit dans l’essor de la presse et de la scène le symptôme d’une « dépravation actuelle de l’Art10 ». Il reconduit alors un lieu commun d’époque en prédisant rien de moins que la mort de la littérature. Dans un article du 24 février 1866, il met en garde ses contemporains :
Si nous continuons dans la voie où nous sommes engagés, si notre mobilité ne nous sauve pas et n’amène pas la réaction par le dégoût, la littérature, digne de ce nom et telle qu’on doit l’entendre, est finie ! Elle mourra, tuée par la chronique, le journal à un sou et le machinisme théâtral, toutes choses qui s’engendrent et se poussent, car toutes les trois sont l’exploitation des besoins, matériels et bas, de la foule ; toutes les trois développent à outrance cette curiosité des sens, souvent bête, aussi souvent impure, et qui nous corrompt, l’un n’empêchant pas l’autre, après nous avoir abêtis11 !
On ne saurait être plus clair. La liberté des théâtres, qui doit encourager leur démultiplication, et la prolifération de la chronique et des chroniqueurs dans les journaux sont comparées toutes deux à cette « plaie d’Égypte12 » que fut la « pluie de sauterelles13 » et de grenouilles. Mais les métaphores du prédicateur catholique ne sont pas toutes bibliques, loin s’en faut. Barbey use aussi à l’occasion d’images de plus mauvais goût. Ainsi, rapportant le mot de Balzac, il écrit dans son article du 14 juin 1858 : « Balzac qui eut pour erreur le Théâtre et qui avait passé par ce milieu disait que c’était un océan de… et, dans son dégoût irrité, lâchait ce mot à la Cambronne tout au long, lui, le fils de Rabelais, qui ne se gênait pas14 ».
Dans sa correspondance, Barbey retrouve plus librement et plus brutalement encore la métaphore scatologique de Balzac et de Cambronne pour se plaindre de « cette salopaillerie qu’on appelle les journaux » : « Il faut avoir vécu dans cette Tour remplie d’excréments jusqu’aux créneaux, pour savoir ce qu’elle contient de honteux et d’abominable15. » Il se présente alors explicitement comme un pur, contraint de frayer avec la canaille du journalisme contemporain, qu’il domine cependant de toute sa hauteur de véritable écrivain. En dépit de ces compromissions journalistiques obligées, Barbey se pose en effet dès qu’il le peut en résistant héroïque de la cause littéraire, mise à mal par « ce genre inférieur en littérature16 » que figure, à ses yeux, le théâtre. Il défend ainsi sans relâche
La littérature vraiment littéraire, celle qui n’avait pas, comme la dramatique, besoin de faire sa salle, ainsi que le disait l’autre jour M. Dumas fils, cette littérature qui se contentait de parler à l’imagination sa langue idéale et de lui élever des alhambras intellectuels […]17.
C’est de cette littérature que Barbey se réclame, se comptant parmi les « esprits élevés » qui « font dans leurs livres des spectacles dans un fauteuil » et qui ne demandent pas la gloire au « suffrage universel des parterres, aussi bête que l’autre18. » Barbey se vante ainsi implicitement d’avoir résisté aux sirènes de la gloire dramatique, car la carrière théâtrale est
[…] d’une telle tentation à l’esprit qui veut le succès instantané et sur place, l’ivresse physique de l’applaudissement et les pièces de cent sous, ces douces choses, qu’il faut réellement avoir dans le ventre les ongles de tigre de la Vocation, qui vous traîne après elle, pour ne pas, dès qu’on possède un bout de plume, se jeter dans la voie du théâtre, la seule voie littéraire où l’on puisse trouver à charretées ces bien heureuses pièces de cent sous, hosties d’argent qui contiennent le seul Dieu vivant19 !
Or, bien qu’il ne fasse aucun doute que Barbey ait eu « dans le ventre les ongles de tigre de la Vocation », il semblerait qu’il n’en ait pas moins été tenté comme tout le monde par la « gloire en gros sous20 » que rapportent les succès de scène et qu’il n’ait peut-être résisté à cette tentation bien puissante qu’à la faveur du hasard des circonstances. Dans une lettre de 1850, il se félicite en effet d’avoir inspiré à Dumas des velléités de collaboration théâtrale et se frotte les mains par avance à l’idée du profit qu’il pourrait tirer de l’adaptation sur les planches de son roman Une vieille maîtresse. Émoustillé par la perspective d’une rétribution en espèces sonnantes et trébuchantes, tout prêt à « tailler » dans son roman, Barbey écrit ainsi à son ami Trebutien :
Dumas (Alexandre) m’a demandé si je voulais tailler un drame avec lui dans ce roman. Comme j’ai les goûts de Danaë pour les pluies d’or, je n’ai pas dit non : et nous nous mettrons à travailler ensemble sur la dernière épreuve de Cadot. Et Dominus beneficium domino21!
Barbey ne reparla jamais plus (ni Dumas, sans doute !) de ce projet dramatique resté lettre morte, mais ces quelques lignes témoignent du moins d’un enthousiasme qui n’a d’égal que la sévérité avec laquelle il condamnera plus tard les collaborations littéraires et les « romans convertis en drame et mis en scène par la rapacité qui veut de l’argent et du succès dramatique – le plus physique, le plus tangible et le plus grossier des succès22 ! » :
Je suis l’ennemi déclaré de toute collaboration en littérature, je suis plus implacablement encore l’ennemi de cette misérable coutume d’un temps qui révèle par là son impuissance, de faire imprudemment un drame avec un roman qu’on a désossé. Tant que j’aurai un souffle et une plume, je m’élèverai contre cette cuisine ! même quand l’opérateur de cette triste opération opérerait sur lui-même23 ! […] je ne crois pas à l’œuvre qui souffre ni à l’artiste qui se permet de pareils travestissements. Tout artiste qui a de la fierté, s’il est artiste de race, respecte son œuvre, une fois achevée, ne porte plus ou ne laisse plus porter sur elle ces mains de cuisinier dramatique, qui font un drame avec un roman, comme avec un gigot on fait un hachis24 !
Le mépris dont témoigne Barbey pour le théâtre du XIXe siècle et pour celui qui put s’en croire le « Père Jupiter25 », mais qui n’en fut que le « farceur attitré26 », Alexandre Dumas, pour ne pas le nommer, a partie liée peut-être avec le dépit qu’a pu susciter cette entreprise avortée, mais on peut penser que cette répugnance à « coup[er] son roman comme on coupe un chat, en s’adjoignant pour cette besogne un autre hongreur dramatique27 » est plus profonde qu’un simple règlement de compte posthume. Quatre ans avant sa tentation théâtrale, Barbey exprimait déjà sa répugnance à rompre l’unité de d’Une vieille maîtresse pour l’adapter au journal et à la forme fragmentaire du roman-feuilleton :
Sans cette diable de nécessité, je ne briserais pas mes tableaux dans le cadre d’un journal. Je ne me sens pas fait d’ailleurs pour cette littérature dégradée comme on en a une à présent, et la gloire qu’elle donne, je ne l’aurai jamais. J’ai horreur des succès malpropres, et plus je vis, plus l’orgueil me guérit de l’Ambition28.
En 1849, il reprend :
Le Want of money m’a fait me retourner vers les journaux. Cadot veut bien publier mais dans un mois et je suis pressé. Aussi, – au moment où je vous écris, – Vellini ou plutôt la Vieille Maîtresse, titre primitif que libraires et journaux m’ont demandé de rétablir, est-elle en lecture au Constitutionnel. […] J’ai donc, mon cher Trebutien, avalé mon crapaud, c’est-à-dire, résolu de passer, s’il le faut, par ce joug des Journaux que j’ai toujours exécré et méprisé, pour arriver jusqu’à l’animal aux têtes frivoles : le public29.
Une vieille maîtresse ne parut finalement pas dans la presse, mais c’est bien le seul des grands romans aurevilliens à ne pas être passé par les pages du journal avant d’être publié en volume30. Barbey a traîné son talent d’écrivain sur ce « trimard des journaux31 » sans lequel nulle reconnaissance littéraire n’est possible.
La « comédie de la critique » et le comique dans la critique
Des années 1830 jusqu’à sa mort, en 1889, il mène une longue carrière de journaliste, critique ou feuilletoniste dramatique, et joue son rôle dans ce qu’il appelle la « comédie de la critique » et qu’il décrit comme une « farce aristophanesque dont l’éternelle race de badauds peut toujours être dupe, mais qui dégoûtent profondément tous ceux qui ont vécu dans les coulisses de la littérature et qui savent comment cela peut se jouer32 ! »
Attentif aux dérives du journalisme contemporain, Barbey déplore en effet la mort de la critique, tuée par la chronique indiscrète, mais minée plus sûrement encore de l’intérieur par ses propres mollesses et ses complaisances :
[…] le plus souvent circonscrite, entourée par les faux talents, les vanités et les industries de métier pour des raisons plus ou moins égoïstes et plus ou moins basses, la Critique, du moins celle qu’on appelle encore de ce nom, sans principes, sans conviction vigoureuse, ne résiste pas… et se laisse aller à des complaisances de Philinte, qui ont fait bien pis que de remplacer la sévère loyauté d’Alceste, car elles l’ont rendue presque ridicule… Alors, de Critique qu’elle était, la Critique tombe à n’être plus qu’une publicité33. […] Et voilà comment la Critique n’est pas, et comme nous n’en avons plus aujourd’hui que la comédie34.
Barbey fait alors figure de misanthrope de la critique. Alceste de la presse, occupé à dénoncer l’hypocrisie de ses confrères et la comédie qu’ils jouent au public pipé, il fustige inlassablement
[…] cette société pantalonne, scaramouche, arlequine, carnaval de Venise en permanence, où les danseurs se fichent pas mal d’être reconnus et se promènent leur masque à la main ; […] cette société où l’on paye des directeurs de spectacles, qui souscrivent au marché et tendent leur chapeau pour jouer des opéras que peut-être l’on n’a pas faits, où, de la littérature et de l’art, on ne veut que ce qui rapporte à la vanité ou à la sordidité plus basse encore35.
Barbey vitupère ainsi « la critique de relations, qui ménage également la chèvre et le chou dramatiques. Le chou parce qu’il est gras ou peut le devenir, et la chèvre parce qu’elle est jolie36 ! » De fait, l’indépendance de la presse vis-à-vis des théâtres est l’un de ses grands chevaux de bataille. Barbey n’entend pas être un « claqueur d’orchestre37 ». C’est bien assez d’être contraint, comme critique de théâtre, de participer chaque semaine dans la presse à l’engouement et à l’affolement modernes pour les choses du théâtre :
Lisez les journaux et jugez ! Les journaux, qui devraient être les éducateurs du public et qui n’en sont que les courtisans quand ils n’en sont pas les courtisanes, ont créé des espèces de chaires de littérature théâtrale à jour fixe, très appointés et amoureusement guignés par tout ce qui a plume […].
Le journal, – autant qu’il le peut, le pauvre diable !, – se fait donc une continuation du théâtre. Ses chaires du lundi professent moins la critique que la chronique et les applaudissements. Il raconte et claque à sa manière, ce que le Théâtre montre et fait claquer à la sienne38.
Si Barbey se défend bien d’appartenir à cette « claque supérieure et savante39 » inféodée aux théâtres, il n’en considère pas moins le feuilleton dramatique réussi comme une continuation du théâtre, un « spectacle sur un spectacle40 ». Le critique qui affirme : « Les mauvaises pièces sont comme les mauvaises mœurs, on les corrige en riant41 », pourrait bien revendiquer pour son propre compte « cette vis comica et cette verve qui doit être endiablée et qui est comme l’imperatorius ardor des poètes dramatiques42 », mais qui fait cruellement défaut aux dramaturges de son temps. Car le théâtre contemporain est affligé selon Barbey d’une faiblesse comparable à celle de la critique. Atteint par la même mollesse et la même complaisance coupables, le théâtre de « ce temps pleurard et à couteau tiré avec le comique43 » n’a plus la vigueur de la grande comédie, qui sait être cruelle à l’occasion, comme la critique quand ses coups portent. Au lieu de cela, on ne trouve plus sur la scène française que des « pleurarderies vertueuses44 ». Partout « on remplace le comique par le dramatique, au théâtre, et les larmes du rire, impossibles, par les larmes de l’attendrissement bien plus faciles à faire couler45 ! » Partout, on « introduit dans [les] comédies les sentimentalités qui les faussent46 » et la vraie Comédie ne survit pas plus que la vraie Critique à cette « immoralité générale et sentimentale47 » : « La Comédie en décadence va cesser d’être, si elle n’est pas déjà trépassée ! La Comédie ! […] Cherchez-la partout, et vous trouverez à sa place, faufilés, impatronisés et établis, le Drame et son affreux bâtard, le Mélodrame48 ! »
Contre « les pleurards et les lamentins de ce temps-ci, qui fourrent des larmes dans leur pièce49 », Barbey d’Aurevilly défend donc le puissant « rire de la comédie, doublé si vite de réflexion et même de tristesse50 ». Mieux, il lui offre un asile dans la prose de sa critique. C’est du moins ce qu’il affirme dans la préface de son recueil d’articles satiriques intitulé Les Ridicules du temps51. Dans les premières lignes de cette préface, Barbey s’interroge ainsi :
La Comédie qui n’est plus possible au théâtre, où elle est cependant sur ses terres, mais où l’on ne va que pour y chercher des spectacles pour les yeux, car pour l’esprit, il n’y en a plus, la Comédie pourrait-elle se retrouver dans le petit coin d’un livre où elle se serait réfugiée ? On le voudrait, mais on en doute… On n’est pas gai bien longtemps, dans une société comme celle que les révolutions de notre décrépitude nous ont faite52.
C’est que Barbey partage l’opinion de Stendhal, qui veut que la comédie ne soit plus possible au XIXe siècle, du fait de l’écroulement de l’ancienne Société française, dont la hiérarchie sociale garantissait seule le comique et le ridicule, liés aux prétentions et aux empiètements grotesques d’une classe sur l’autre53. Pour Barbey, comme pour Stendhal, la comédie est morte avec l’Ancien Régime. Depuis lors, « tout espoir de rire, de n’importe quel rire, est perdu, il n’y a plus que des vices tristes et des ridicules effacés54 » :
C’est que cette Société est devenue, d’esprit, d’institutions, de préoccupations et de mœurs, une démocratie. C’est qu’au lieu d’être comme autrefois une Société à rangs déterminés et à castes, par conséquent à empiètements incessants les uns sur les autres, à prétentions plus grandes puisqu’elles étaient plus compliquées, à variétés plus profondes, à ridicules plus bombés, à tout un comique enfin qui tenait à la hiérarchie sociale elle-même, vous n’avez plus qu’une Société égalitaire sur laquelle le rouleau pulvérisateur a passé et a écrasé et a effacé tous ces ridicules variés et nombreux, dont vit essentiellement la Comédie. Vous n’avez plus de ridicules maintenant, quoique le mot existe encore55 !
Un dernier ridicule subsiste néanmoins dans cet effondrement général des sources du comique d’autrefois, mais c’est un ridicule à rebours, qui honore celui qui en fait les frais et s’attire les ricanements des blagueurs, – ces envieux de la démocratie : « Il n’y a pu qu’un ridicule, dans une Société fondée sur le principe de l’égalité absolue, c’est d’être différent des autres, et celui-là, c’est bien souvent l’Envie qui le donne à la puissante Originalité, c’est bien souvent la Bassesse qui le donne au Génie56 ! »
« Une espèce de clown en littérature »
Incarnation même de ce génie méconnu et moqué, Barbey semble ici répondre de manière oblique à ses nombreux détracteurs, qui ont raillé à plaisir, en privé ou dans la presse, les excès comiques de son style, littéraire moins encore que vestimentaire. Le costume de Barbey a en effet fait couler beaucoup d’encre, ainsi que son ami Octave Uzanne le rappelle quand il évoque « le vieux comédien extravagant, sanglé dans le justaucorps et enfoui sous la dentelle, sur lequel s’est acharnée la malveillance de médiocres chroniqueurs57 ». Médiocres chroniqueurs ou fins critiques et grands romanciers, d’ailleurs. Sainte-Beuve signe ainsi, dans une lettre datée de 1862, ces lignes très hostiles qui visent à discréditer Barbey en profondeur mais reviennent dans le même temps à illustrer parfaitement sa théorie du dernier ridicule du temps :
M. Barbey d’Aurevilly est un homme d’esprit, mais un écrivain sans autorité. Je le connais à fond, et je rends justice aux qualités distinguées qu’il porte sur son fond de fatuité et d’extravagance. Il peut être désagréable de l’avoir pour ennemi, il l’est encore plus de l’avoir pour ami. Il est si compromettant que si j’étais bon catholique, je ne me féliciterais pas de l’avoir pour défenseur, car ce ne sont pas des défenseurs, ce sont des souteneurs que de pareilles gens. Un fond d’infection de goût et de mœurs perce à travers tout ce brillant qu’il affecte et sous les flots d’eau de senteur dont il s’inonde. Il a l’amour-propre puant, il l’a ridicule. Dans un temps où rien ne paraît plus ridicule, il a trouvé moyen de le redevenir. Un homme sensé rougirait de traverser Paris avec lui, même en temps de carnaval58.
La même année, Barbey inspire au critique catholique Armand de Pontmartin, dans son roman Les Jeudis de Madame Charbonneau, ce portrait-charge du chevalier de Mollossard, évocation limpide de Barbey d’Aurevilly :
Quand la vérité m’est prêchée par un homme à moustaches cirées, arquées et retroussées comme celles du capitan de la comédie italienne, portant un feutre pointu et à bords évasés, comme les Mousquetaires de l’Ambigu ; drapant théâtralement sur son épaule gauche une limousine à grosses raies grises, et laissant deviner sous cette draperie une tunique pincée sur la taille et bouffante sur la hanche ; quand je suis obligé d’y regarder à deux fois pour m’assurer s’il est tout à fait exempt de corset et de crinoline, je me sens des velléités de révolte et surtout des envies de rire qui dérangent horriblement ma conversion59.
Barbey, alias Molossard, dont l’« image carnavalesque […] gâte les plus édifiantes homélies », le fait songer alors « à un professeur qui ferait sa classe en costume de pierrot ou de débardeur et réciterait l’exorde de l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre avec l’accent, les poses, les gestes de Frédérick Lemaître dans l’Auberge des Adrets60 ». Le 5 novembre 1884, c’est Edmond de Goncourt qui écrit dans son journal : « Il y a des jours où Barbey d’Aurevilly m’apparaît comme un personnage de Byron, un Lara, joué à Montparnasse par un de ces acteurs qui représentent les pairs de France avec un mouchoir d’invalide à carreaux bleus61 ». Le 12 mai 1885, il épingle le « costume ridicule et pédérastique » du vieux Barbey, avant d’évoquer « la parole flutée d’un homme qui a l’habitude de parler aux femmes et dont le manque de dents rappelle l’intonation gutturale, mais en mineur, de Frédérick Lemaître62. »
À les entendre, Barbey d’Aurevilly aurait donc été la première victime de cet « esprit cabotin63 » qu’il appelait la « queue frétillante du Démon de cet âge, voué à l’histrionisme64 ». Mais, – ces railleurs féroces ne le savent probablement pas, – ce n’est pas lui faire injure autant qu’ils le croient que de traiter Barbey de comédien en soulignant la fantaisie de son costume.
L’hommage au comédien, qui va parfois jusqu’au dithyrambe, est l’un des leitmotive de ses feuilletons dramatiques et Barbey ne manque jamais de louer le « génie de l’accoutrement et de l’attitude65 » quand il le rencontre chez un acteur. À propos de Coquelin Cadet, il écrit ainsi : « Si c’est lui, qui a inventé, dessiné et peint son costume, il a été un artiste, comme en le portant, il a été un acteur. Un tel costume est un rôle et le porter comme il le porte, c’est le jouer66. » Le grand Frédérick Lemaître, qui allie au génie du jeu un art consommé du costume, lui inspire ces lignes enthousiastes :
[…] la voix nette et qu'on entendait bien, les yeux éloquents, – ces deux âmes qu'il a sous les sourcils, – le corps solide, avec ces gestes de monument qui en font un être colossal à la scène, Frédérick, costumé avec l'art qu'il faut mettre dans le costume, car le costume, c'est une expression, a été magnifique d'un bout à l'autre de son rôle67.
Être comparé à Frédérick Lemaître ne saurait déplaire à Barbey, qui le considère comme « le grand et le seul exemple, à cette heure, de l'Art dramatique tel qu'il a existé à de rares époques et tel qu'on le rêve à la nôtre », et voit dans chacune de ses apparitions sur scène une épiphanie :
[…] quand il reparaît, comme hier, dans cette bonbonnière des Menus-Plaisirs qu'il élargit en l'emplissant et qu'il agrandit de l'ampleur de son jeu, c'est un coup de lumière et un foudroiement de joie pour tout le monde, mais particulièrement pour les artistes, qui peuvent et veulent voir, avant qu'ils le fassent sortir de leurs têtes, s'ils en sont capables, leur idéal réalisé68.
D’un feuilleton à l’autre, Barbey d’Aurevilly réaffirme l’excellence et la supériorité de l’acteur sur l’auteur dramatique et sur son œuvre, il exalte à plaisir le « Magnifique don de l’expression du grand acteur, qui va par là jusqu’au génie et qui, dans cette chose si particulière du théâtre, fait peut-être le grand acteur supérieur à l’écrivain dramatique, dont il a pourtant besoin pour exister69 ! » Privilégiant souvent l’« étude d’acteurs » au « compte-rendu de pièces70 », le critique module son credo sur tous les tons :
[…] on est vraiment tenté de croire que les acteurs sont plus importants que les auteurs dans l’art dramatique71. L’art dramatique, pour qui veut réfléchir, est plus dans les acteurs que dans les pièces. Les acteurs sont les cariatides du chef-d’œuvre, de cette chose qui pèse et qu’il faut porter sur des épaules d’airain. Ce sont les acteurs qui parachèvent l’auteur dramatique. Ils sont les rallonges du génie. Frédérick Lemaître était la rallonge de M. Victor Hugo72.
Le grand mérite de l’acteur réside selon lui dans la transfiguration vitale qu’il opère sur la littérature dramatique atone : « […] au théâtre le plus grand intérêt et la vie même, ce sont les acteurs, les transfuseurs du sang de leur talent, quand ils en ont, dans les veines épuisées des vieux cadavres dramatiques73. » Et Barbey d’ajouter : « L’acteur opère ce phénomène d’entrer dans un homme qui a le génie de la lettre morte, pour en faire le génie de la lettre vivante et en réaliser les conceptions aux sens ravis comme à la pensée74. » Or, la vie dans son intensité est précisément la grande qualité aux yeux d’un auteur qui cherche à donner à sa prose, romanesque autant que critique, les accents de la parole vive.
Il n’y a pas jusqu’au soupçon que ces détracteurs font peser sur la sincérité de sa foi catholique qui ne trouve un écho chez Barbey feuilletoniste. Ce dernier met en question à plusieurs reprises le fameux argument qui plaide en faveur de la moralité de la comédie : la « sempiternelle prétention de corriger les mœurs en riant75 »… Le comique que défend Barbey est contre toute attente celui « qui nous enlève sur les ailes de ce rire aux éclats, à toute idée d’enseignement, de perfectionnement et de moralité76 » :
Ce comique, que d’aucuns peuvent trouver grossier, est trop impérieux pour que l’aphorisme des pédants : ridendo castigat mores, soit autre chose qu’une hypocrisie des rhétoriques bêtes… Disons-le une bonne fois : la comédie, pour les esprits sans bégueulerie, n’a pas d’autre but que de nous donner la sensation du rire… ou du sourire, et c’est bien assez77 !
s’exclame-t-il ainsi, de façon toute singulière, pour ce champion déclaré de la cause catholique, qui exalte ici le rire pur, dénué de toute visée morale et pédagogique.
Barbey semble rejoindre alors étrangement le point de vue d’un Baudelaire. Tâchant de circonvenir « l’essence du rire », ce dernier distingue en effet le « rire causé par le comique de mœurs », démonstratif et satirique, du « rire causé par le grotesque », rire pur, « innocent », gratuit et désintéressé, accordant au second la supériorité sur le premier à la faveur de cette éclairante analogie :
Il y a entre ces deux rires, abstraction faite de la question d’utilité, la même différence qu’entre l’école littéraire intéressée et l’école de l’art pour l’art. Ainsi le grotesque domine le comique d’une hauteur proportionnelle.
J’appellerai désormais le grotesque comique absolu comme antithèse au comique ordinaire, que j’appellerais comique significatif78.
Bien qu’il soit un farouche adversaire de « l’art pour l’art », Barbey semble, à l’instar de Baudelaire, placer le « comique absolu » au-dessus du « comique significatif ». Comme lui, il goûte particulièrement la « pantomime anglaise » où triomphe par excellence ce type de « comique pur » et pourrait contresigner ces mots du poète, impuissant à restituer dans sa prose le génie comique des « mimes anglais » : « Avec une plume, tout cela est pâle et glacé. Comment la plume pourrait-elle rivaliser avec la pantomime ? La pantomime est l’épuration de la comédie ; c’en est la quintessence ; c’est l’élément comique pur, dégagé et concentré [...]79. »
Non content de réfuter l’intention morale de la comédie, Barbey ne loue pas seulement à longueur de feuilletons le jeu et la séduction des comédiens. Comme si son amour tout charnel des acteurs et des actrices n’était déjà pas suffisamment hétérodoxe, le critique dramatique célèbre encore, dans un feuilleton de 1870, la pantomime géniale d’un clown anglais qui danse en faisant tourner son chapeau et déclenche le rire autant, sinon plus, que s’il avait débité les répliques les plus irrésistibles du répertoire comique :
Le caractère de cette danse inouïe est la bouffonnerie, – la bouffonnerie anglaise, la bouffonnerie de Shakespeare ! Le rire éclate, en regardant... comme il éclaterait en écoutant les tirades d'un génie comique.
Et ce n’est pas tout ! La force, à force de force, monte chez M. Magijton à la grâce. Il a pris un chapeau qu'il fait tourner au bout d’un bâtonnet […] et vous dire les tours, les arabesques, les volutes, les frénésies de tourbillon qu’il a fait faire à ce chapeau sur ce bout de bâton, en dansant comme un enragé, en se roulant par terre comme un épileptique, toujours en faisant tourner ce chapeau... C’était un poème, c’était une musique, c’était un ensorcellement que ce chapeau, qu’il a fini par jeter en l’air et faire tomber à pic sur sa tête, avec une précision telle qu'on eût dit que ce feutre mou était une mécanique de fer-blanc80 ! ...
Dans le sillage de Baudelaire81, Barbey glorifie ici la grâce et la force de ce clown dont la danse étourdissante offre à l’homme de lettres un miroir et un modèle, qu’il refusait absolument pourtant dans un article sévère de 1857, consacré aux Odes funambulesques de Théodore de Banville82. Barbey n’est pas à une contradiction près, on l’aura compris : ce qu’il dénonce vigoureusement alors, les pirouettes du poète « acrobate » et « jongleur83 », il en fait au contraire un éloge vibrant en 1870, en célébrant les prouesses du clown anglais, M. Magijton : « Franchement, cet homme est prodigieux ! Allez le voir ! Si on écrivait comme il danse, quel artiste de style on serait ! Et quel feuilleton, que celui qui ressemblerait au tournoiement de ce chapeau84 ! »
On comprend mieux dès lors le panache de la réponse qu’il fera, dix ans plus tard, par voie de presse, aux sarcasmes qu’Émile Zola lui adresse dans les pages du Figaro :
Je n’ai pas à me défendre des ridicules que M. Zola me trouve. Être ridicule aux yeux de M. Zola, c’est mon honneur, à moi ! je ne suis pas dégoûté !... Parbleu ! je ne suis pas du tonneau qu’il aime ! je sens autre chose que ce qu’il brasse. Cul-de-plomb qui a de bonnes raisons pour haïr la souplesse, il me reproche d’être une espèce de clown en littérature et il ne sait pas combien il me fait de plaisir, en me comparant à un clown !
Les clowns, il ne sait pas combien je les aime, moi l’habitué des samedis du Cirque, et qui trouve le Cirque beaucoup plus spirituel que le Théâtre-Français. Il ne sait pas combien je les admire ces gaillards-là, qui écrivent avec leur corps des choses charmantes de tournure, d’expression, de précision et de grâce, que M. Zola avec son gros esprit n’écrirait jamais85 !
Je conclurai sur cette riposte pour le moins comique et critique d’un habitué du Cirque. Si Barbey d’Aurevilly fut, d’après Zola et bien d’autres, « une espèce de clown en littérature », s’il fut « grotesque », ce pourrait bien être au sens que Baudelaire donne à ce mot dans son essai De l’essence du rire : « pur », « innocent » et « absolu86 ». Poétique avatar du « spirituel histrion87 » dont parle Mallarmé, Barbey fut, à la ville comme à la scène, dans les rues de Paris comme dans les pages des journaux, une figure excentrique et marginale de son siècle, en même temps qu’une parfaite image de cette modernité journaliste et cabotine qu’il stigmatisa avec d’autant plus de vigueur sans doute qu’il en fut, bon gré mal gré, partie prenante.
(Université Paris 3-Sorbonne-nouvelle, CRP 19)
Notes
1 « La Reine Margot » (Le Nain Jaune, 6 mars 1868), Jules Barbey d’Aurevilly, Le Théâtre contemporain, t.I, Paris, Quentin, 1888, p. 219.
2 « Le Cabotinisme » (17 mars 1866), Jules Barbey d’Aurevilly, Les Ridicules du temps, Paris, éd. Rouveyre et G. Blond, 1883, p. 55.
3 « Madame de Maquerelas-Major », ibid., p. 136.
4 « La Littérature qui mange », ibid., p. 151.
5 « Le Cabotinisme », ibid., p. 52.
6 Si Barbey est bien un « antimoderne », il l’est au sens où l’entend Antoine Compagnon, qui le classe parmi « les Modernes en délicatesse avec les Temps Modernes, le modernisme ou la modernité, ou les modernes qui le furent à contrecœur, modernes déchirés ou modernes intempestifs » (voir Antoine Compagnon, Les Antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 2005, p. 7).
7 Sur le rapport que Barbey d’Aurevilly entretient avec le théâtre, voir les articles de Caroline Sidi, « Le Théâtre comme “puissance du mal” : doctrine chrétienne et approche aurevillienne », Revue d’Histoire littéraire de la France, 2008, n° 2, p. 367-385, et de Pascale Alexandre-Bergues, « Barbey d’Aurevilly et le théâtre : discours critique, discours polémique », Littératures, n° 58-59, « Barbey polémiste », Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008, p. 69-83. Sur son rapport avec la presse, voir celui de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, « Grandeur et décadence de la presse au XIXe siècle selon Jules Barbey d’Aurevilly », ibid., p. 85-99.
8 « Le Cabotinisme », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 51-52.
9 Jules Barbey d’Aurevilly, Le Théâtre contemporain, t. I, Paris, Quantin, 1888 ; Le Théâtre contemporain (1868-1869), t. II, Paris, Quantin, 1888 ; Le Théâtre contemporain (1869-1870), t. III, Paris, Quantin, 1889 ; Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, Paris, Tresse et Stock, 1892 ; Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, Paris, Stock, 1896.
10 « Janot » (24 janvier 1881), Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, op. cit., p. 218.
11 « Les Chroniqueurs » (24 février 1866), Les Ridicules du temps, op. cit., p. 78-79.
12 « […] nous croyons que la liberté des théâtres, qui, dans un temps prochain, va multiplier toutes les espèces de productions théâtrales, peut être considérée – littérairement – comme une plaie d’Égypte, à laquelle Moïse, qui s’était modestement contenté des grenouilles et des sauterelles, n’avait pas pensé. », Préface du Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 2.
13 « C’est la pluie de sauterelles du Journalisme contemporain. L’Égypte, cette pauvre vieille, maudissait ses sauterelles. Elle les appelait douloureusement une plaie… mais le Journalisme tend son chapeau aux siennes, comme les Croisés, après une sécheresse, tendaient leurs casques à la rosée… Il les recueille, il les ramasse, il les recherche et il les paie des prix fabuleux », « Les Chroniqueurs », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 75.
14 « Ma Reprise, à moi ! » (Côte de Portbail, 14 juin 1868), Le Théâtre contemporain, t. II, op. cit., p. 69.
15 Lettre à Trebutien, mars 1854, Jules Barbey d’Aurevilly, Correspondance générale, t. IV, Paris, Les Belles Lettres, Annales Littéraires de l’Université de Besançon, 1981-1989, p. 35.
16 « La Saint-François – Les Amoureux de Marton » (8 janvier 1868), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 338 ; « […] l’Art dramatique (l’acteur à part) est une triste chose, un art inférieur en soi », « Le Pont des soupirs » (15 mai 1868), Le Théâtre contemporain, t. II, op. cit., p. 46 ; « Le Théâtre, avec ses spectacles, correspond aux facultés inférieures de l’esprit humain », ibid., p. 67 ; « Mais en Art dramatique, dans cet art inférieur, après tout, quand on le compare aux autres arts littéraires […] », « Frédérick Lemaître » (7 février 1869), ibid., p. 226 ; « C’est que le Théâtre, inférieur à la Littérature pour dix mille raisons tirées de son essence même, est plus en rapport que toute autre espèce de littérature avec cette opinion du monde qui fait le succès facile aux médiocres et plus facile encore aux sots ! », « La Bêtise de la littérature dramatique », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 127.
17 « Le Cabotinisme », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 55.
18 « Pourquoi il n’y a pas de feuilleton de théâtre aujourd’hui » (11 janvier 1881), Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, op. cit., p. 203.
19 « Le Cabotinisme », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 54.
20 « Janot » (24 janvier 1881), Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, op. cit., p. 218 ; dans cet article, Barbey fustige les pièces « dans lesquelles l’Art n’est plus la visée de l’artiste, mais un désir grossier de plaire à la foule des imbéciles et de s’enrichir », ibid., p. 217. Car « le théâtre est la seule chose de la littérature qui rapporte beaucoup d’argent et tout de suite une célébrité, partout ailleurs aussi difficile à enlever qu’une ville forte ! », « Pourquoi il n’y a pas de feuilleton de théâtre aujourd’hui » (11 janvier 1881), ibid., p. 203.
21 Lettre à Trebutien, 22 décembre 1850, Correspondance générale, t. I, op. cit., p. 204. Barbey joue avec la formule que Sénèque reprend plusieurs fois dans De Beneficiis : « Est-ce qu’un esclave peut apporter un bienfait à un maître ? » (III, 18, v. 1-2).
22 « Mathilde » (Le Parlement, 2 mai 1870), Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 279.
23 « Un Patriote » (24 août 1881), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 101-102.
24 « Mathilde », Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 280.
25 « Le comité du Théâtre-Français-M. Alexandre Dumas » (31 janvier 1869), Le Théâtre contemporain, t. II, op. cit., p. 206.
26 « Monte Cristo » (17 octobre 1881), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, p. 181.
27 « Mathilde », Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 280.
28 Lettre à Trebutien, février 1846, Correspondance générale, t. II, op. cit., p. 58.
29 Lettre à Trebutien, décembre 1849, ibid., p. 136 et p. 137.
30 L’Ensorcelée paraît en feuilletons dans L’Assemblée nationale, du 7 janvier au 11 février 1852. Le Chevalier des Touches paraît dans Le Nain Jaune, du 18 juillet au 2 septembre 1863. Un prêtre marié dans Le Pays, du 6 juillet au 15 octobre 1864. Deux Diaboliques paraissent dans la presse avant l’édition collective : « Le Dessous de cartes d’une partie de whist », dans La Mode, les 5, 15 et 25 mai 1850, et « Le Plus bel amour de don Juan », dans La Situation, les 23 et 26 novembre 1867. Enfin, Une histoire sans nom paraît dans le Gil Blas, du 5 au 22 juin 1882.
31 « Vous regrettez de me voir refourrer ma botte dans ce bourbier du journalisme. Et moi donc !!! Me croyez-vous sur des Roses ? […] Il n’y a ni talent, ni effort, ni rien au monde qui vous fasse entrer dans la publicité, si préalablement vous n’avez traîné sur le trimard des journaux. C’est la porte basse, mais il n’y a que cette porte, de la publicité. »,lettre à Trebutien, 24 novembre 1852, Correspondance générale, t. III, op. cit., p. 161.
32 « La Comédie de la critique » (21 février 1867), Les Ridicules du temps, op. cit., p. 3.
33 Ibid., p.6.
34 Ibid., p. 10.
35 Ibid., p. 10-11.
36 « La Reine Margot » (6 mars 1868), Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 217.
37 « Parmi les Critiques de théâtre, je ne pense pas qu’il y en ait […] un seul qui soit flatté d’être un ami, appointé d’une stalle au Gymnase ! […] qui, de critique dramatique, veuille descendre jusqu’à n’être plus qu’un claqueur d’orchestre parmi cette nouvelle espèce de chevaliers du lustre : – les chevaliers du lustre de l’amitié ! », « La Grande sifflerie du vengeur – Les Grandes demoiselles – Comme elles sont toutes » (13 mars 1868), Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 244 ; voir aussi « L’Héritage fatal » (5 décembre 1869), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 399-400.
38 « Préface », Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 3-4.
39 Ibid., p. 5.
40 « Paris-Revue » (Le Parlement, 1er janvier 1870), Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 106.
41 « L’Héritage fatal » (5 décembre 1869), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 398.
42 « Les Idées de Mme Aubray » (21 mars 1867), Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 76.
43 Idem.
44 « Les Faux Ménages » (7 janvier 1869), Le Théâtre contemporain, t. II, p. 183.
45 « Les Idées de Madame Aubray » (21 mars 1867), Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 78.
46 Ibid., p. 77.
47 « L’Autre » (Le Parlement, 7 mars 1870), Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 196.
48 « Le Papa du prix d’honneur » (14 février 1868), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 354-355.
49 « Le Fat » (17 avril 1870), Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit., p. 271.
50 « Le Plus heureux des trois » (Le Parlement, 16 janvier 1870), ibid., p. 129.
51 Ridicules parmi lesquels on trouve, au hasard : « La Comédie de la critique », « Les Chroniqueurs », « Les Journalistes », « La bêtise de la littérature dramatique » et « Le Cabotinisme ».
52 « Préface », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 11. Sur les « spectacles pour les yeux » que Barbey reproche au théâtre de son siècle, voir l’ouvrage de Guy Ducrey, Tout pour les yeux. Littérature et spectacle autour de 1900, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne (PUPS), collection « Theatrum mundi », 2010.
53 Voir l’article de Stendhal intitulé « Rire », publié dans le Paris Monthly Review en janvier 1823, et repris dans Paris-Londres. Chroniques, éd. par Renée Dénier, Paris, Stock, 1997, p. 72. Avant Barbey, Stendhal déplore l’ « impossibilité de la Comédie depuis la Révolution », seulement c’est au roman que profite, selon lui, cette impossibilité : « Depuis que la démocratie a peuplé les théâtres de gens grossiers, incapables de comprendre les choses fines, je regarde le roman comme la Comédie au XIXe siècle, –1834 » (Le Rouge et le noir, éd. d’Anne-Marie Meininger, « Notes et Marginalia », p. 745 et p. 757, citée par Olivier BARA, dans « Rire sous la Restauration : théorie et pratique de la comédie de Stendhal à Scribe », Repenser la Restauration, sous la direction de Jean-Yves Mollier, Martine Reid et Jean-Claude Yon, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2005, p. 237). Chez Barbey, la comédie migre dans la critique. Elle affleure cependant aussi dans les romans, quelques tragiques qu’ils soient par ailleurs.
54 « Le Papa du prix d’honneur » (14 février 1868), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 356.
55 Ibid., p. 359 ; « […] partout, pour que les ridicules soient la chose amusante qu’ils doivent être, il faut que les prétentions et les vanités individuelles aient beaucoup de convenances et de conventions à violer. Et voilà pourquoi ils sont plus visibles, plus nombreux, de plus de relief et de variété, dans les sociétés fortement hiérarchisées que dans celles-là, par exemple, où, comme dans la nôtre, le terrain appartenant à tous, les empiètements si comiques d’une classe sur une classe n’existent plus… Cette source de gaîté doit même, dans un temps donné, – si nous allons jusque-là, – nécessairement tarir chez un peuple qui a placé l’égalité au sommet de sa législation, pour qu’elle puisse de là dégringoler, un jour, dans les mœurs. Dégringolement difficile du reste ! Tout le temps qu’il n’aura pas eu lieu, il restera une chance de rire aux moralistes que l’observation n’aura pas rendu misanthropes. À cette heure, le ridicule, qui doit mourir sous l’aplatissement universel des mœurs modernes, n’est pas tout à fait tué et ce livre est lisible encore… », « Préface », Les Ridicules du temps, op. cit., p. III.
56 « Le Papa du prix d’honneur » (14 février 1868), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 359-360.
57 « Il portait la moustache cosmétiquée de noir, à la bravache, balafrant son visage de pirate espagnol, fait pour vivre plutôt sur le pont d’une brigantine d’attaque que dans un salon littéraire. Il ne m’apparut point comme le vieux comédien extravagant, sanglé dans le justaucorps et enfoui sous la dentelle, sur lequel la malveillance de médiocres chroniqueurs se donna trop longtemps carrière, mais comme une évocation noblement expressive des anciens guerriers-gentilshommes de vieille roche, tels ces durs à cuire, ces ralliés qui étaient revenus impulsivement se battre en France auprès de l’Empereur bien avant la Restauration. », Octave Uzanne, Barbey d’Aurevilly, Paris, À la Cité des Livres, 1927, p. 47-48.
58 Lettre de Sainte-Beuve à du Marzan, 7 février 1862, citée par Jules TROUBAT, « Le dernier manuscrit de Barbey d’Aurevilly », Le Temps, 1912, p. 3.
59 Armand de Pontmartin Les Jeudis de Madame Charbonneau, Paris, Michel Lévy frères, 1862, p. 143.
60 Ibid., p.143-144.
61 Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, t. II (1866-1886), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1989, p. 1112.
62 Ibid., p. 1158-1159. Le 28 avril 1889, Edmond de Goncourt évoque encore Barbey et sa « voix à la Frédérick Lemaître », Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, t. III (1887-1896), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1989, p. 263.
63 « Le Cabotinisme », Les Ridicules du temps, op. cit., p. 56.
64 Idem.
65 « L’Avocat Pathelin » (4 juillet 1881), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 51.
66 Ibid., p. 51-52 ; « Le costume pour un acteur, c’est la moitié de sa physionomie », Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 286 ; « [...] le costume, c’est la parole avant que l’acteur ait parlé », ibid., p. 268.
67 « Frédérick Lemaître, etc. » (26 février 1870), Le Théâtre contemporain, t. III, op. cit. , p. 192.
68 Ibid., p. 192-193.
69 « La Dernière création de Frédérick Lemaître » (11 juillet 1867), ibid., p. 94.
70 « Notre article d’aujourd’hui est bien moins un compte-rendu de pièce qu’une étude d’acteurs. », « La Fille des chiffonniers » (18 avril 1869), Le Théâtre contemporain, t. II, op. cit., p. 305.
71 « Ennuyés, écœurés, n’ayant pas même l’espérance niaise d’un messie théâtral, tant nous sommes fatigués d’attendre, nous n’allons plus maintenant au spectacle que pour les acteurs seuls », « La Dernière création de Frédérick Lemaître », Le Théâtre contemporain, t. I, op. cit., p. 97.
72 « Les Lionnes pauvres » (27 novembre 1879), Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, op. cit.,. p. 118 ; « Je suis de ceux qui pensent que dans l’état d’épuisement de l’Art dramatique, l’acteur vaut la pièce, quand il ne vaut pas mieux », « Odéon » (29 novembre 1880), ibid., p. 151 ; « Les acteurs ont fait de leur mieux. Ils se sont démenés là-dedans et ils ont justifié la thèse que je soutiendrai toujours jusqu’à mort de ma plume : c’est que les acteurs, pour peu qu’ils ne soient pas mauvais, sont toujours au-dessus des pièces qu’ils interprètent. », « Janot » (24 janvier 1881), ibid., p. 222.
73 « Les Braves gens »(6 décembre 1880), ibid., p. 167.
74 « Rabâchages dramatiques » (11 juillet 1881), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 60.
75 « Divorçons » (13 décembre 1880), Le Théâtre contemporain (1870-1883). Nouvelle Série, op. cit., p. 172
76 « L’Avocat Pathelin » (4 juillet 1881), Le Théâtre contemporain (1881-1883). Dernière série, op. cit., p. 48.
77 Ibid., p. 47 ; « […] qu'il produise de grandes comédies ou des farces, le génie comique reste partout indépendant de tout ce qui n'est pas lui-même, c'est-à-dire du rire et du sourire qu'il a pour visée absolue de faire naître. », idem.
78 Charles Baudelaire, « De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques », Le Portefeuille (8 juillet 1855), Baudelaire journaliste. Articles et chroniques, choisis et présentés par Alain Vaillant, Paris, Flammarion, GF, 2011, p. 208. Seul le premier de ces deux types de rire est d’essence « satanique » à en croire Baudelaire, parce qu’il manifeste le sentiment de supériorité du rieur à l’égard de ce dont il rit, contrairement au « rire causé par le grotesque », qui relève d’un « comique innocent » (ibid., p. 204, p. 208 et p. 209).
79 Ibid., p. 211-113.
80 « Paris-Revue » (Le Parlement, 1er janvier 1870), Le Théâtre contemporain (1869-1870), t. III, op. cit., p. 109-110.
81 Mais aussi, ne lui en déplaise, dans celui de Théophile Gautier et de Théodore de Banville : voir le bel article d’Olivier Bara, « Clowns historiques ou poétiques ? Gautier, Baudelaire, Banville et le rire du cirque », à paraître dans les actes du colloque « Cirque et littérature », organisé par Marie-Ève Thérenty, qui a eu lieu les 22 et 23 novembre 2011 à l’Université Montpellier III.
82 « L’auteur des Odes funambulesques, "...Ce barbouillé de blanc, / De jaune, de vert et de rouge," est l’expression d’une tendance, d’un système, d’une école. Il n’est pas devenu funambule du premier coup. On naît cuisinier, mais non pas clown. Il faut du temps pour préparer ce monstrueux avatar de son corps ou de sa pensée. Or, l’école à laquelle appartient le poète funambule est cette école verbale, savante, antithétique, compliquée, visible et sonore, extérieure, enfin matérielle, dont M. Hugo est le chef. C’est cette école qui, pour faire plus spectacle, a mis la poésie lyrique sur le théâtre et le théâtre dans la poésie lyrique, et a développé depuis vingt-cinq ans en nous tous, gens de vieille société ennuyée, cet amour que les peuples de civilisation excessive, à la veille de leurs décadences, ont toujours eu pour leurs histrions. Ce qu’en effet, depuis ces dernières vingt-cinq années, le théâtre a fait peser sur nos mœurs, sur les habitudes de notre pensée, sur toutes ses formes et tous ses langages, ne peut être dit en quelques mots. Le La Bruyère qui écrira cette page d’observation terrible n’est peut-être pas né, mais tous ceux qui sentent en eux la conscience forte et tressaillante de la société où ils vivent savent si l’histrionisme nous dévore, et peuvent se demander, en lisant des œuvres poétiques comme ce dernier volume, si la fin de notre monde littéraire doit avoir lieu dans un cabotinage universel. Moralité, préoccupation, métaphores, tout dans ce livre est tiré du monde artificiel des planches, l’idéal de la vie et de l’art pour tant de folles imaginations ! L’auteur des Odes funambulesques n’en est plus aux Ruy-Blas de son maître, mais aux Pierrot et aux Colombine des scènes inférieures », dans « M. de Banville » (Le Pays, 21 mars 1857), Les Poètes (première série), Jules Barbey d’Aurevilly, Œuvre critique, Les Œuvres et les hommes, t. I, Paris, Belles Lettres, 2005, p. 839-840. Moraliste, Barbey dénonce alors, avec « l’acrobatisme », la dérive spectaculaire de l’école des « plastiques », des « acrobates » et des « funambules », dont les « vers baladins » font repoussoir, à l’en croire, aux vers divins des poètes inspirés, qui n’ont certes pas cette virtuosité clownesque qui doit tout selon lui à l’histrionisme hugolien, mais dont l’âme supplée le manque de souplesse et de plasticité du corps (ibid., p. 840 et 841).
83 « […] il n’est plus, dans ses chansons dernières, qu’une espèce de jongleur, ivre de mots comme on l’est d’opium, et qui les triture et les hache dans sa furieuse folie de césures, de rimes, d’assonances et d’enjambements. Devenu histrion d’art par amour de l’histrionisme, ce divinisateur du tremplin l’a transporté définitivement dans la vie de sa pensée. Ce n’est pas pour lui seulement une image. Mélange singulier d’Auriol et de Commerson, mais centaure où, dans un temps donné, la bête doit dévorer l’homme, le rimeur des Odes funambulesques ne roulera pas, comme il le dit, hélas ! après M. Vacquerie, ‘tout échevelé dans les étoiles’, mais il pourra prendre, sans se mettre à feu et à sang, un engagement de chapeau chinois dans la musique bouffe du Tintamarre... et s’y distinguer. », ibid., p. 839. Presse et scène sont ici associées et frappées du commun dédain qu’on a évoqué au début de cet article.
84 « Paris-Revue », art. cit., Le Théâtre contemporain (1869-1870), t. III, op. cit., p. 110.
85 À Monsieur de Gastyne, Administrateur du Triboulet, 1er décembre 1880, Jules Barbey d’Aurevilly, Dernières polémiques, Paris, A. Savine, 1891, p. 205-206.
86 Charles Baudelaire, « De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques », art. cit., p. 213 et p. 209.
87 Stéphane Mallarmé, Quant au livre, dans Œuvres complètes, éd. par Bertrand Marchal,t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003,p. 370.