Presse, prostitution, bas-fonds (1830-1930)

Balzac, les courtisanes et les lupanars de la pensée

Table des matières

JOSÉ-LUIS DIAZ

Certes, cette liaison journalisme/prostitution qui est au centre de notre colloque, Balzac ne l’a pas inventée à lui tout seul. Un député des Landes, Darracq, est célèbre dans les dictionnaires biographiques pour avoir, le 6 février 1797, à la tribune du Conseil des Cinq-Cents, comparé déjà les journalistes abusant de la liberté de la presse aux filles de joie1. En 1817, voici ce que plaide l’auteur de Diogène à Paris, l’un de ces petits écrits panoramiques qui abondent sous la Restauration, s’excusant d’avoir à traiter des deux espèces dans un même chapitre : « Les filles publiques et les journalistes ne sont pas si disparates que mon pinceau ne puisse les réunir dans un même cadre2. » Quant à P. Cuisin, auteur en 1826 avec Brismontier d’un Dictionnaire des gens de lettres vivants, par un descendant de Rivarol, après avoir publié dans les années précédentes de nombreux petits livres roses sur Les Nymphes du Palais‑Royal (1815), Le Palais‑Royal ou les filles en bonne fortune (18), Les Femmes entretenues dévoilées dans leurs fourberies galantes (1823), la confluence qu’il a ainsi tramée entre ses deux espèces favorites est, là aussi, éloquente.

Après 1830, la complainte continue. C’est Alphonse Esquiros, et non Balzac, qui en 1832 évoque les « prostitutions littéraires et vénales qui ont déshonoré la presse jusqu’à en faire une espèce de concubine publique, ouvrant sa porte à toutes les cabales et ses bras à toutes les passions3 ». Quant à ce collaborateur anonyme du Monde dramatique, il met, lui, en 1837, dans le même sac la presse courtisane et la mystification, tout comme Balzac le fera à propos de « Lousteau le mystificateur4 » : « La mystification était, dit-on, un plaisir de société au temps du directoire : de nos jours c’est une vaste science exercée, enseignée par tout individu portant plume de journaliste. La presse littéraire et dramatique est une bonne fille, une véritable courtisane qui fait et dit tout ce qu’on veut5. »

Mais c’est bien Balzac qui, en la matière, a eu un rôle fondateur. C’est lui qui le premier a gravé sur le marbre les formules les plus fortes concernant le lien journalisme/prostitution. C’est lui qui en donne une expression romanesque mémorable, dans ce panoramique sur le champ littéraire que constituent Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, complétées par les satellites du cycle, Une fille d’Ève (1839), La Muse du département (1843), Modeste Mignon (1844). C’est lui qui le premier fait se rejoindre les deux aspects complémentaires du thème : la relation métonymique du journaliste et du littérateur industriel avec les actrices, courtisanes ou filles de joie, et la prostitution métaphorique du journaliste, symbole de ses compromissions morales et de sa corruption. C’est lui aussi qui, pour longtemps, inscrit le couple journaliste/prostituée dans la vision d’ensemble d’un Paris littéraire vénal, en une époque de désenchantement sarcastique ou, du fameux « sacre de l’écrivain », on est tombé dans le charlatanisme, la « camaraderie » et la « blague ».

Mais Balzac a d’autres atouts dans son jeu : d’abord, d’avoir été lui-même journaliste, lors du « tournant de 1830 » (Roland Chollet), puis directeur de deux journaux éphémères (la Chronique de Paris et la Revue parisienne), mais aussi analyste du journalisme6, dans sa Monographie de la presse parisienne, en 18427. De plus, Balzac vaut plus que par lui-même ; il vaut aussi par sa vaste réception contemporaine qui permet de mesurer l’impact, souvent scandalisé, de sa peinture du monde journalistique, qu’on lui reproche d’autant plus qu’il est accusé, par Jules Janin par exemple, de trahir son propre corps8. Il vaut aussi par son influence, avouée ou non, sur les écrivains postérieurs qui, de Mme de Girardin à Maupassant en passant par Baudelaire, Pontmartin, Zola et les Goncourt (Les Hommes de lettres, 1860), ont voulu compléter son tableau des mœurs littéraires.

Sans développer ce dernier aspect, que les autres études ici réunies recroisent, je me propose de remettre en mémoire les quelques données de base, à forte valence mnémonique, que Balzac, le premier, a jetées en moule quant au rapport presse/prostitution.

Les formules qui tuent

Et d’abord les formules qui marquent, et disent en abrégé à quel point Balzac est au cœur du sujet. C’est dès 1828, dans son « Avertissement » du Gars (première version des Chouans), resté inédit de son vivant, qu’on trouve ce syntagme éclatant, bien connu des balzaciens : « la publication, cette prostitution de la pensée9 ». Une épigraphe pour l’ensemble de notre enquête collective…

Cette idée que la littérature a rapport avec la prostitution va rester une constante chez Balzac. On la retrouve dans une version soft, mais aussi dans une version plus agressive. Dans le premier cas, Balzac insiste sur le côté « catin » des artistes, condamnés à voir « les deux côtés de la médaille humaine10 ». Dans l’autre, il se demande si « publier ses pensées », ce n’est pas « les prostituer11 ». La littérature est, « par le temps qui court, un métier de fille des rues qui se prostitue pour cent sous », écrit-il à Victor Ratier12 en juillet 1830, tandis que Philarète Chasles, en écho, traite en 1832 les écrivains de « filles publiques plumitives13 ».

Mais, dira-t-on, point encore de journalistes au sens propre dans ces évocations de la prostitution littéraire, qui se font très communes à cette époque, puisqu’on les retrouve en octobre 1830 dans « Les Vœux stériles » de Musset, ou en septembre 1833 dans Aldo le rimeur de G. Sand14, en complément d’autres images dégradantes de l’écrivain : l’histrion, le « forçat15 », le « gladiateur16 », le condottieri17 ou le bravo18 si l’on en reste à Balzac. Le journaliste en tant que personnage sulfureux, lié aux actrices et aux courtisanes, etc., c’est en 1831 déjà que Balzac le fait entrer dans son champ de vision romanesque, avec l’orgie de journalistes de La Peau de chagrin.

Mais si, pour l’instant, on ne vise que les formules qui marquent, il faut attendre Un grand homme de province à Paris (1839), deuxième partie d’Illusions perdues, ce roman du jeune écrivain partagé entre le noble Cénacle et la séduction immédiate qu’exercent sur lui les sirènes du journalisme. Au moyen de formules périphrastiques mises dans la bouche de personnages réprobateurs, parmi lesquels le républicain Michel Chrétien, membre de cette « vivante encyclopédie d’esprits angéliques » qu’est le Cénacle19, les journaux dans lesquels l’écrivain novice qu’est Lucien de Rubempré n’est que trop désireux d’entrer, deviennent tour à tour « ces mauvais lieux de la pensée appelés journaux20 », puis, formule plus cinglante encore, des « lupanars de la pensée21 ».

Dans Un grand homme de province à Paris, le parallèle entre la prostituée et le journaliste a une présence latente si forte qu’il fait résurgence un peu partout. Un autre membre du Cénacle, Fulgence Ridal, met en garde Lucien en ces termes : « Journaliste, tu ne penserais pas plus à nous que la fille d’Opéra brillante, adorée, ne pense, dans sa voiture doublée de soie, à son village, à ses vaches, à ses sabots22. » De même, lorsque le critique Claude Vignon essaie à son tour de détourner Lucien d’entrer dans cet « enfer d’iniquités », Lousteau, journaliste déjà compromis, son « cicérone23 » mais aussi son « cornac24 », ironise en disant que Vignon lui fait l’effet « d’une de ces grosses femmes de la rue du Pélican, qui dirait à un collégien : “Mon petit, tu es trop jeune pour venir ici”...25 »

Mieux encore dans une formule qui commente la visite de Lucien chez Dauriat, « pacha » de la librairie, qui tient boutique dans les Galeries-de-bois du Palais‑Royal, centre attractif alors commun de la vie intellectuelle et de la prostitution. Lorsque Lucien y est confronté au spectacle d’un écrivain reconnu, Nathan, déployant toutes ses séductions auprès d’un critique pour en obtenir un article, le narrateur commente en ces termes : « À l’aspect d’un poète éminent y prostituant la muse à un journaliste, y humiliant l’Art, comme la Femme était humiliée, prostituée sous ces galeries ignobles, le grand homme de province recevait des enseignements terribles. L’argent ! était le mot de toute l’énigme26. » Le lien de proximité métonymique entre boutiques des libraires, journalistes et « galeries du Palais » où s’exerce la prostitution, lien que Jules Janin ne manque pas de souligner27, se voit confirmé par le lien métaphorique qui s’établit ainsi entre l’écrivain soumis au libraire et la prostituée. Certes, le journaliste n’est point ici le prostitué, mais il est celui à qui nécessairement l’écrivain doit se prostituer. Ce qui complète le tableau : la prostitution journalistique est ainsi partout, le journaliste se prostitue, mais aussi, des auteurs mendiant sa reconnaissance, il fait des prostitués.

Comble de cette machinerie comparative sous-jacente, toujours prête à remonter à la surface, le déploiement, cette fois-ci ternaire, fait par Lousteau, le « cornac », d’une lecture systématiquement prostitutionnelle de la littérature tout entière, en son rapport corrompu à la consécration : 

Cette réputation tant désirée est presque toujours une prostituée couronnée. Oui, pour les basses œuvres de la littérature, elle représente la pauvre fille qui gèle au coin des bornes ; pour la littérature secondaire, c’est la femme entretenue qui sort des mauvais lieux du journalisme et à qui je sers de souteneur ; pour la littérature heureuse, c’est la brillante courtisane insolente, qui a des meubles, paye des contributions à l’État, reçoit les grands seigneurs, les traite et les maltraite, a sa livrée, sa voiture, et qui peut faire attendre ses créanciers altérés28.

Une telle lecture classe les divers étages du champ littéraire, selon la hiérarchie propre à l’univers de la prostitution, de la « fille » à la « femme entretenue », puis à la courtisane, et le journaliste, pour cette fois, y occupe, la place médiane.

Une dyade ombilicale

Mais si Balzac ne cesse de remettre sur le tapis le parallèle du journaliste et de la prostituée, c’est aussi et d’abord l’intrigue de ses romans qui place leur duo au cœur de la logique actantielle. Loin de rester une idée abstraite, une simple occasion à comparaisons ou métaphores, le parallèle s’incarne en personnages différenciés, mais liés entre eux ; et la fable narrative s’ingénie à déployer les modalités de leurs accointances. Le journaliste ne fait pas que ressembler à la prostituée romanesque ; elle fait intimement partie de son réseau relationnel. Mieux encore, tous deux font couple. Leur relation est si structurellement nécessaire que Balzac la décline par deux fois au cœur du cycle Vautrin, par la succession des deux maîtresses parisiennes de Lucien. Le héros passe en effet de l’actrice Coralie à la courtisane Esther, sans oublier l’occasionnelle fille des rues, représentée ici par Bérénice, la servante de Coralie, qui se prostitue en sa faveur sur le boulevard Bonne-Nouvelle pour lui trouver de quoi faire retraite à Angoulême, à la fin de la deuxième partie d’Illusions perdues29.

Pour contribuer à l’effet-monde de La Comédie humaine, mais aussi pour compléter son tableau des accointances complices du journalisme et de la prostitution, Balzac, par une construction en abyme qui lui est familière, s’ingénie à multiplier le noyau paradigmatique central que constitue la dyade journaliste/actrice-courtisane : d’abord le couple Nathan/Florine, dans Une fille d’Ève (1839)30, le couple Lousteau/Florine dans Un grand homme de province à Paris (1839) et La Muse du département (1843), mais aussi le couple Du Bruel/Tullia, dans Un prince de la Bohème (1840), Hector Merlin et Mme du Val‑Noble dans Illusions perdues31, Lousteau/Mme Schontz dans La Muse du département32, etc. Rares les journalistes pourvus d’une épouse légitime à physique de gendarme, tels Félicien Vernou, qui en écume de rage, mais dont « l’acerbité de la phrase33 » en gagne pas mal d’octaves. Journalistes et « filles », de divers statuts, font partie du même monde. Et chacune des deux catégories est d’autant plus nombreuse qu’elles sont toutes deux extensibles, puisqu’elles accueillent, pour ce qui concerne les journalistes, non seulement les multiples sous-espèces du genre, mais aussi les écrivains des petits théâtres de boulevard, tels du Bruel, et à peu près tous les relégués dans les bas-fonds du champ littéraire, ceux que Balzac appelle les « faiseurs34 ». De même, pour ce qui concerne la seconde catégorie : s’y agrègent tout naturellement les filles d’opéra, les danseuses et les actrices plus ou moins entretenues, y compris Coralie, devenant parfois, selon les mots du texte, le type de la « courtisane amoureuse35 » – sans oublier les « rats », les « danseuses », les « marcheuses36 », mais aussi les grisettes puis, après 1840, les « lorettes ». Elles forment à elles toutes les contingents féminins de cette préface à la « vie de bohème37 » à laquelle elles prêtent une coloration à la fois érotique et festive.

Si ce n’est pas ici le lieu de préciser les rhizomes multiples et changeants qui unissent les deux termes de la dyade, constatons que, dès qu’il y a un journaliste dans le paysage, s’agglutinent autour de lui la troupe de ses comparses du monde de la plume et de la coulisse, depuis le saute-ruisseau coiffé d’une page de journal jusqu’au directeur de journal, qui, dans Illusions perdues, a nom Finot, en passant par les nombreux emplois de la Presse dont Balzac s’est fait le monographiste, du « rienologue » à l’ « écrivain monobible » en passant par le « Bravo » et le « Maître-Jacques », sans oublier le « commercial » de l’affaire, Gaudissart, le « voyageur » de commerce, qui, dans Le Cousin Pons, passera directeur de théâtre.

Même jeu pour ce qui concerne le monde « Filles, lorettes et courtisanes », comme les désigne Alphonse Dumas dans La Grande ville en 1843, soit donc dans la même galerie panoramique où Balzac publie sa Monographie de la presse. Dumas, lui aussi, y éprouve le besoin de proposer une vision démultiplie et hiérarchisée du « monde fille » :

[…] pour mettre un certain ordre dans mon travail, je diviserai la matière que je traite en trois classes distinctes, en trois catégories progressives, en trois échelons ascendants, qui conduiront successivement le lecteur du coin de la borne où la prostituée des rues guette le nocturne passant, jusqu’au boudoir princier où l’élégante courtisane, qu’on a envoyé chercher dans une voiture sans armoirie, est introduite par un valet sans livrée38.

Ce qui n’est pas sans conforter l’impression d’un parallélisme, voire d’un tropisme entre les deux mondes. Visiblement, la place majeure qui est donnée à ces deux espèces complices du journaliste et de la courtisane dans ce grand classique de la littérature panoramique est à la mesure de la notoriété de leurs deux contributeurs les plus célèbres, mais plus encore de la « surface sociale » et de l’attraction réciproque, au double sens du mot, astral et sexuel, de ces deux sphères sociales magnétiques. Surface sociale qu’on retrouve dans La Comédie humaine, et s’y mesure en bataillons de personnages.

Ainsi, face à la colonne Journal, avec Lousteau, Finot, Blondet, Vernou, Vignon, Conti, Bixiou, etc., se dispose la colonne Fille, avec ses noms de guerre si caractéristiques du paysage verbal balzacien : Tullia, Claudine, Florine, Florentine, Mariette, Mme Schontz, Mme du Val-Noble, Héloïse Brisetout, Malaga, Jenny Cadine39. Troisième colonne obligée en ce monde où l’insouciance délurée du couple journaliste/courtisane se doit d’être financée par des capitalistes d’un autre âge : le trio bourgeois de droguistes, notaires et marchands de draps, les Matifat, Cardot, Camusot, qui entretiennent ces dames, Florine, Florentine, Coralie, avec l’aval coupable mais intéressé de leurs amants de la petite presse40 : penauds d’abord de ces compromissions, puis les acceptant à mesure qu’ils perdent leurs « scrupules de religieuse41 ».

Entre ces trois colonnes, des bijections, mobiles en raison de ce que Balzac appelle les « tournoiements de la vie littéraire », qui donnent à Lousteau des plaisirs intenses42. Les tropismes érotiques et financiers se mêlent, puisque dans l’univers de la prostitution, l’argent et les corps sont monnayables entre eux. Ce à quoi les journalistes, joueurs à la Bourse des idées, ajoutent un troisième paradigme : leur jeu sur la valeur des phrases. Argent, sexe, parole donc, (comme on disait en 68…), pris déjà dans une logique de l’échange généralisé tournant folle...

Pour compliquer les protocoles d’évaluation éthique auxquels le lecteur est convié, Balzac s’arrange pour que les figures de la colonne Fille ne soient pas si immorales que cela. Si Héloïse Brisetout n’est qu’étonnamment généreuse envers le cousin Pons, comme Josépha l’est en faveur d’Adeline Hulot dans La Cousine Bette, il a tendance parfois à en hausser certaines à un statut quasi angélique : ainsi de Coralie et surtout d’Esther, qui rejoignent le paradigme romantique de la prostituée au grand cœur, démon devenant ange, celui de Marion de Lorme et de Fantine, alors qu’en revanche le journaliste est, lui, sans rédemption possible, puisqu’il est, de nature, le double démonétisé et pervers de ce Dieu du ciel littéraire d’alors, le Poète.

Mais ne cherchons pas le trait majeur des courtisanes dans ces amours oblatifs dont elles s’avèrent parfois capables. Complices et maîtresses des journalistes, des littérateurs industriels et des « faiseurs », elles sont aussi un peu leurs doubles féminins. Distribution des rôles sexués qui se complique, lorsque, dans le cas de Lucien, ce « Bacchus indien » aux hanches efféminées, sa prostitution journalistique et son collage avec une actrice entretenue se complètent d’une prostitution homosexuelle, avec Vautrin pour amant-Mentor diabolique. Le caractère totémique de ce journaliste romanesque qu’est Lucien de Rubempré tient ainsi à ce cumul de prostitutions : celle, par métonymie, de ses deux maîtresses successives ; la sienne propre, au sens symbolique mais aussi au sens sexuel ; enfin celle de la presse dans laquelle il veut pénétrer à toute force malgré l’avis du Cénacle, prostituée mais aussi prostituante, on l’a vu.

Complicités

Elles et eux, en tout cas, sont faits pour s’entendre. Ils partagent des traits communs : propension à la « bonhomie », à l’esprit « coulant », voire au cynisme ; pas mal d’intelligence rusée, de la vivacité, de la spontanéité ; de l’esprit aussi, argent comptant, du sens de la répartie. Mais surtout un art de vivre : de la sensualité, un côté flambeur, un sens de la fête et de la dépense, qui est l’antithèse de la capitalisation prudente du rentier ; un goût contagieux pour le farniente : « avec quelle facilité les écrivains ne glissent-ils pas dans le farniente, dans la bonne chère et les délices de la vie luxueuse des actrices et des femmes faciles !43 » Tout cela dans le registre du présent, de l’actualité vorace et « narcotique44 ». Ce qui est vrai pour Lucien, écrivant au rythme du journal mais vivant aussi « au jour le jour, dépensant son argent à mesure qu’il le gagnait45 », mais aussi pour Aquilina et Euphrasie, courtisanes de La Peau de chagrin, brûlant leur vie sans compter tout en sachant que cela finira à l’hôpital46.

Elles et eux sont des sujets urbains, modernes, qui font partie du même monde : fluctuant, permissif où les échanges sont plus ouverts, entre corps et monnaies, entre affects et signes. Un monde sauvage aussi, où l’argent est roi, et où règne le « chantage47 » : soit cette pratique qui permet aux petits journalistes de « tirer du plaisir » et de gagner de l’argent en fixant un impôt, sexuel et financier, aux actrices qu’ils menacent d’ « échiner48 » comme à leurs riches protecteurs…49

Les sociabilités « artistes » les réunissent, tant au foyer de l’Opéra qu’à ceux des théâtres50 ou qu’en ces légendaires « orgies de journalistes » dont Janin, en son portrait du « Journaliste » dans les Français peints par eux-mêmes, nie l’existence51. Ainsi de l’orgie d’anthologie qu’organise le banquier Taillefer dans La Peau de chagrin pour célébrer la fondation d’un journal, avec en prime un feu d’artifice composite de beautés florales stipendiées, dont Euphrasie et Aquilina, enroulées au petit matin sur les genoux des deux journalistes – Émile l’initiateur, Raphaël le néophyte – mais qui déjà a passé contrat avec sa diabolique Peau.

Elles et eux ont parfois les mêmes intérieurs : non certes dans le couple Coralie/Lucien, qui fonctionne au contraire à l’antithèse (cocon rose de l’une dans le quartier des Boulevards, mansarde noire de l’autre au Pays latin) mais bien lorsqu’on compare la description faite de la chambre de Lousteau, rue de La Harpe, dans Illusions perdues et celle de la cellule d’Esther au début de Splendeurs et misères des courtisanes, après la chute de ce rat au bal masqué de l’Opéra. On y retrouve le même désordre, le même empilement d’objets hétéroclites, signe dans les deux cas que la vraie vie est ailleurs, sous les lumières érogènes de la scène sociale. Elles et eux ont aussi parfois les mêmes lassitudes, ainsi qu’il est dit de Lousteau, « ennuyé du plaisir comme l’est une courtisane52 ».

Mais une comédienne entretenue telle Florine, successivement maîtresse de deux journalistes, Nathan puis Lousteau, donne elle aussi dans son appartement, à la fois « mauvais lieu de l’esprit » et « bagne de l’intelligence53 », des « soirées très suivies ». On y joue « un jeu d’enfer », le Désir y règne en souverain54, là se font les « saturnales secrètes de la littérature et de l’art mêlés à la politique et à la finance55 ».

Quant à la complicité des journalistes avec les filles publiques, au sens propre, elle est affaire d’abord de topographie parisienne, puisqu’ils partagent le même théâtre urbain, l’espace incendiaire des Galeries-de-bois du Palais‑Royal, « hangar impudique, plein de gazouillements et d’une gaieté folle56 », avec, tout autour, le marais nocturne de la rue de Langlade, envers noir, bas-fonds spectral au cœur même du Paris culturel57, qui sera ensuite repoussé vers le Boulevard de ceinture, puis vers la zone.

Elles et eux participent d’un univers double. Prodigalité généreuse, voire suicidaire, d’une part : ainsi de Florine qui vend meubles et immeubles pour permettre à Nathan de fonder un organe de presse, en tire cent mille francs, et planifie la saisie de son mobilier comme bouquet final d’une dernière orgie organisée chez elle, pour fêter à la fois sa ruine et le lancement du journal58. Mais, d’autre part, séduction corruptrice : celle des filles qui doivent séduire le client ; celle du journaliste qui doit plaire au lecteur, « avoir de l’esprit59 », et s’y emploie en inventant un ethos spirituel, libéré, accrocheur, version texte de « l’argot des coulisses60 ».

Elles et eux sont ainsi des professionnels de la séduction, bloqués entre qui les achète et qui les paie, client et lecteur d’une part, souteneur et directeur de journal de l’autre. Pour Lucien, cette situation de dépendance est illustrée par une phrase qui le montre « un pied dans le lit de Coralie, un autre dans la glu du journal61 », en attendant la chute commune du journaliste et de la courtisane dans une autre matière gluante, la symbolique « boue » urbaine62 où bientôt le cygne baudelairien lui aussi se poissera. Et comme la « corruption » affecte les uns et les autres, le Diable rode, tant pour les petits « Méphistophélès de la presse63 » que pour une impure telle que Florine, offrant « un mélange de démon et d’ange qui la rendait digne de recevoir ces roués » que sont les journalistes, auxquels, en retour, sa « monstruosité d’esprit » plaît « infiniment64 ».

Ainsi allié ou simplement comparé à la prostituée des divers étages (de la maison de Bertall…), le journaliste – lui aussi décliné entre feuilletoniste, auteur de « tartines » de Premier-Paris, d’articles « Variétés », etc. – nous donne à voir plusieurs traits qui font partie de sa carte d’identité type : son absence de conscience morale, mais aussi sa force de séduction, ou encore son rôle de grand pourvoyeur de la « comédie humaine ». D’où la nécessité des passerelles, existantes dans le réel, mais dont le symbolisme de la fiction a encore plus besoin, entre les envers du journal et les coulisses de la scène, dont les mécanismes sont comparés à une cuisine65.

Les tricheurs

Mais le trait commun fondamental entre elles et eux se joue autour d’un mot de passe venu de l’argot qu’ils partagent : certains emplois du verbe « faire ». Dans la bouche des filles, « faire son Palais66 », veut dire aller se poster au Palais‑Royal, pour aguicher le client ; « faire quelqu’un67 », cela veut dire le séduire. Le « faire » des journalistes suppose lui aussi recours à des poses, à une comédie politique ou littéraire, qu’on retrouve dans les expressions telles que « faire de la monarchie68 », « faire de la patrie69 », ou encore « faire de la passion70 ». Plus encore que les autres écrivains, les journalistes sont pensés constamment dans le registre du mensonge, de la mystification, du simulacre, du faire intéressé – qui est un faire semblant. Ainsi de Nathan : « Sa phrase est menteuse ; il y a chez lui […] du joueur de gobelets. » Et Balzac ajoute, cherchant la femme et la trouvant : « Cette plume prend son encre dans le cabinet d’une actrice, on le sent71. » Remake moralisant d’une scène d’Illusions perdues, où l’on voit Lucien écrire son premier article, qui fera révolution dans le journalisme, « sur la table ronde du boudoir de Florine, à la lueur des bougies roses allumées par Matifat72 ».

Acteurs du « faire », en ce sens pervers, qui « posent » et qui « font poser », selon un autre idiolecte balzacien, le journaliste et la courtisane ou la comédienne sont, comme aurait dit Chabrol, des « tricheurs », complices entre eux et qui se contaminent. Des « blagueurs », comme on disait alors. Blagueurs de charme parfois, ils n’en participent pas moins de ce nouveau monde du charlatanisme, de la mystification, du faux, dont le titre même de l’œuvre‑monde de Balzac constitue la condamnation, mais aussi paradoxalement la réclame. Monde de l’annonce, de la publicité, où la mise en montre est essentielle à la prise de valeur, et où le journaliste est bien placé pour « faire mousser » quiconque le paie, actrices et marchandes de mode, et où lui aussi sait ainsi se faire « mousser ». Monde du dévoiement de la vérité à des fins de conquête, de l’or ou du plaisir. En d’autres termes – ceux de l’Antiquaire de La Peau de chagrin –, où la recherche effrénée du Pouvoir et du Vouloir se fait au détriment du Savoir. Monde où chacun, jusqu’au notaire matinal de l’orgie de La Peau de chagrin, sait qu’il vaut mieux ne pas faire la « liquidation de la vérité », sous peine de la trouver en faillite73. Mais où Balzac, à la fois ennemi et complice de cet univers de la « montre », a réussi à faire sa vérité – et sans doute aussi la nôtre – de cette liquidation de la vérité.

(Université Paris 7)

Notes

1  « Partisan de la liberté de la presse la plus illimitée, il n’admettait de restrictions à ce principe qu’à l’égard des journalistes dont il parlait de la manière la plus méprisante : “Le gouvernement, dit-il, le 6 février 1797, eût du agir envers les journalistes comme il l’a fait envers les prostituées ; car les journalistes sont de véritables prostituées....” Il fut rappelé par le président au respect qu’il devait à l’assemblée ; et Pelet de la Lozère, s’élançant à la tribune, déclara que depuis son établissement elle n’avait pas été souillée par un aussi dégoûtant langage », « Darracq (François-Balthazar) », Joseph-François Michaud, Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, Michaud, t. LXIX, 1837, p. 96.

2  Le chevalier Sibilans, Diogène à Paris, ou Petites lettres parisiennes, à Mylord Lovekings, pair d’Irlande, sur l’Histoire du jour, nos sottises littéraires et nos inconséquences morales et politiques. Première lettre, Paris, Petit, 1817, p. 2.

3  Alphonse Esquiros, « Journaux. Les Débats. — Le Temps. — La Quotidienne. — Le National. — La Gazette de France. — Le Courrier français. ‑ Le Constitutionnel », La France littéraire, juillet 1834, p. 124.

4  La Muse du département, La Comédie humaine, éd. P.-G. Castex, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade » [désormais CH], t. IV, p. 669.

5  Henri Blanchard, « Duprez (Louis-Gilbert », Le Monde dramatique, avril 1837, t. IV, p. 295.

6  Voir « Balzac analyste du journalisme : la Monographie de la presse parisienne », exposé dans le cadre d’une journée sur « Balzac journaliste » que j’ai organisée à la Maison de Balzac, en 2006, paru dans L’Année balzacienne 2006, p. 215-235.

7  Où la liaison journaliste/prostituée ne manque pas de se retrouver, chez le « Négateur », première variété du « Jeune critique blond » : « Quand ce critique est logé dans quelque quatrième étage avec une fille, il est essentiellement moral et crie sur les toits : « Où allons‑nous ? » S’il se marie, il tourne aux opinions de la Régence, et se met à justifier les plus grandes énormités », Monographie de la presse parisienne, La Grande ville. Nouveau Tableau de Paris, comique, critique et philosophique, Paris, Au bureau central des publications nouvelles, t. II, 1843, p. 173.

8  […] lorsque cette grande magistrature de la presse est exercée par les plus hautes intelligences, par les esprits les plus élevés, par les plumes les plus distinguées de l'Europe; lorsque, depuis 1789 seulement, tous les principes sur lesquels repose la société moderne ont été fondés, défendus et sauvés par le journal, cela est triste de voir sa noble et chère profession attaquée, même dans ses ténèbres, même dans ses accessoires les plus futiles et les plus inaperçus, et attaquée par quoi, je vous prie ? Par un livre sans style, sans mérite et sans talent ! », « Un grand homme de province à Paris, par M. de Balzac », Revue de Paris, juillet 1839, t. VII, p. 165.

9  « Avertissement » du Gars [1828], CH, t. VIII, p. 1669.

10  Pour Balzac, l’artiste, doué de « cette faculté puissante de voir les deux côtés de la médaille humaine », est « un peu catin » (qu’on me passe cette expression) » (« Des artistes », La Silhouette, 11 mars 1830, Œuvres diverses, éd. R. Chollet et R. Guise, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade » [désormais OD], t. II, 1996, p. 713).

11 « Quelle punition que la célébrité. Mais aussi publier ses pensées, n’est-ce pas les prostituer ? » (lettre à Madame Hanska, fin mars 1833, dans Lettres à Madame Hanska, éd. Roger Pierrot, Éditions du Delta, t. I, 1964, p. 41).

12  Lettre du 21 juillet 1830, Correspondance, éd. Roger Pierrot, Garnier, t. II, 1967, p. 463.

13  Dans une lettre à Balzac, Philarète Chasles se vante d’avoir fait l’éloge d’une des œuvres de son confrère, chose remarquable « parmi nous autres, filles publiques plumitives, qui arrachons nos falbalas l’une à l’autre et nous jettons [sic] du vitriol par la figure » (lettre de novembre 1832, ibid., t. II, p. 164).

14  « Écrire ! écrire ! penser pour les autres, sentir pour les autres… abominable prostitution de l’âme ! Oh métier, métier, gagne-pain, servilité, humiliation ! – Que faire ? – Écrire ! sur quoi ? Je n’ai rien dans le cerveau, tout est dans mon cœur, et il faut que je te donne mon cœur à manger pour un morceau de pain ! public grossier, bête féroce, amateur de tortures, buveur d’encre et de larmes ! […] L’âme d’un poète est une boutique où le public vient marchander toutes les formes du désespoir […] », George Sand, « Aldo le rimeur », Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1833, t. III, p. 482. Une collaboration de Musset à cette saynète n’est pas impossible.

15  « Dans ce siècle […] vivre de sa plume est un travail auquel se refuseraient les forçats », La Muse du département, CH, t. IV, p. 733.

16  « Paris a son Colisée comme l’ancienne Rome, mais ses gladiateurs sont des écrivains ; ses hyènes, ses tigres, des journalistes » (« De la mode en littérature », La Mode, 29 mai 1830, OD, t. II, p. 757). — De même, dans La Muse du département, l’écrivain qui doit parfois se battre contre ses confrères est un « athlète dans le cirque », CH, t. IV, p. 763.

17  Raoul Nathan est « un de ces condottieri modernes dont l’encre vaut aujourd’hui la poudre à canon d’autrefois », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 346.

18  Étienne Lousteau, journaliste type, est « le fils d’un bourgeois venu de Sancerre pour être un poète et qui devient le bravo de la première Revue venue », », La Muse du département, CH, t. IV, p. 763.

19  Illusions perdues, CH, t. V, p. 322.

20  Ibid., p. 406. De même, dans un article de 1833, Balzac désigne les journaux comme des « mauvais lieux de l’imagination », « De l’état actuel de la littérature », article sur la « Partie mythologique » de la Biographie Michaud, t. LIII et LIV, La Quotidienne, 22 août 1833, OD, t. II, p. 1221-1233.

21  Illusions perdues, CH, t. V, p. 328.

22  Ibid., p. 327.

23  Ibid., p. 365.

24  Émile Blondet dit de Lucien qu’il « a pris pour cornac, Étienne Lousteau, un bretteur de petit journal », ibid., p. 485.

25  Ibid., p. 407.

26  Nouant ainsi le fil herméneutique de ce roman d’apprentissage (ibid., p. 365).

27  « On arrive ainsi à travers une bande de filles de joie et de voleurs jusqu’à la boutique du fameux Dauriat le libraire ; dans cette boutique font antichambre les imprimeurs, les papetiers, les dessinateurs, les journalistes ; Finot, le rédacteur en chef du petit journal en question ; Vernou, son digne rédacteur, méchant comme une maladie secrète », « Un grand homme de province à Paris, par M. de Balzac », Revue de Paris, juillet 1839, t. VII, p. 161.

28  Illusions perdues, CH, t. V, p. 345.

29  « En flânant, il vit Bérénice endimanchée causant avec un homme, sur le boueux boulevard Bonne-Nouvelle, où elle stationnait au coin de la rue de la Lune », ibid., p. 551.

30  « Sophie Grignoult, qui s’était surnommée Florine par un baptême assez commun au théâtre, avait débuté sur les scènes inférieures, malgré sa beauté. Son succès et sa fortune, elle les devait à Raoul Nathan. L’association de ces deux destinées, assez commune dans le monde dramatique et littéraire, ne faisait aucun tort à Raoul, qui gardait les convenances en homme de haute portée », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 316.

31  C’est dans Illusions perdues qu’est évoqué le journaliste« Hector Merlin, accompagné de sa maîtresse, une délicieuse femme qui se faisait appeler Mme du Val-Noble, la plus belle et la plus élégante des femmes qui composaient alors à Paris le monde exceptionnel de ces femmes qu’aujourd’hui l’on a décemment nommées des Lorettes », CH, t. V, p. 412. À la parution du roman, en 1839, le mot de « lorette » n’est pas encore lancé (il ne le sera que l’année suivante par Nestor Roqueplan), et Mme du Val-Noble appartient au monde exceptionnel des « femmes entretenues ».

32  « Mme Schontz était une femme assez jolie pour pouvoir vendre très cher l’usufruit de sa beauté, tout en en conservant la nue-propriété à Lousteau, son ami de cœur. Comme toutes ces femmes qui, du nom de l’église autour de laquelle elles se sont groupées, ont été nommées Lorettes, elle demeurait rue Fléchier, à deux pas de Lousteau », La Muse du département, CH, t. IV, p. 735.

33  Illusions perdues, CH, t. V, p. 424.

34  Étienne Lousteau, écrivain journaliste, appartient « à ce groupe d’écrivains appelés du nom de faiseurs ou hommes de métier. En littérature, à Paris, de nos jours, le métier est une démission donnée de toutes prétentions à une place quelconque. Lorsqu’il ne peut plus ou qu’il ne veut plus rien être, un écrivain se fait faiseur », La Muse du département, CH, t. IV, p. 734.

35  Illusions perdues, CH, t. V, p. 393. Jules Janin la considère lui aussi comme telle et se scandalise de cette liaison si prompte du ci-devant admirateur du Cénacle avec elle : « Hier encore il était honnête, il était bon, il avait pour amis tous les Brutus et tous les Catons du cénacle ; il supportait légèrement cette heureuse pauvreté des beaux jours.Aujourd’hui le voilà qui se fait le salarié d’une courtisane, qui dévore effrontément les derniers débris de cette sale fortune », « Un grand homme de province à Paris, par M. de Balzac », Revue de Paris, juillet 1839, t. VII, p. 168.

36  Rôles transmutables entre eux selon Bixiou : « Ce rat a treize ans, c’est un rat déjà vieux. Dans deux ans d’ici, cette créature vaudra soixante mille francs sur la place, elle sera rien ou tout, une grande danseuse ou une marcheuse, un nom célèbre ou une vulgaire courtisane », Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1158.

37  Selon l’interprétation qu’en donne Balzac, la « vie de Bohème » réunit actrices, lorettes, courtisanes et journalistes. Lousteau mène « cette existence de bohémien à qui le luxe parisien était indispensable », La Muse du département, CH, t. IV, p. 735. De même, chez Florine « la vie de la Bohème » se déploie « dans tout son désordre », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 319.

38  Alexandre Dumas, « Filles, lorettes et courtisanes », La Grande ville. Nouveau Tableau de Paris, comique, critique et philosophique, t. II, 1843, p. 315-316.

39  Elles donnent à elles toutes le ton aux soirées de Florine :«Florine donnait de charmants dîners, des concerts et des soirées très suivis : on y jouait un jeu d’enfer. Ses amies étaient toutes belles. Elle avait connu Coralie, la Torpille, elle connaissait les Tullia, Euphrasie, les Aquilina, Mme du Val-Noble, Mariette, ces femmes qui passent à travers Paris comme les fils de la Vierge dans l’atmosphère, sans qu’on sache où elles vont ni d’où elles viennent, aujourd’hui reines, demain esclaves ; puis les actrices, ses rivales, les cantatrices, enfin toute cette société féminine exceptionnelle, si bienfaisante, si gracieuse dans son sans-souci, dont la vie bohémienne absorbe ceux qui se laissent prendre dans la danse échevelée de son entrain, de sa verve, de son mépris de l’avenir », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 318-319.

40  Voir ce que dit Lousteau à Lucien de Rubempré qui, pour l’instant, a scrupule de cette situation : « Mais, de quel pays êtes-vous donc, mon cher enfant ? ce droguiste n’est pas un homme, c’est un coffre-fort donné par l’amour », Illusions perdues, CH, t. V, p. 382.

41  Ibid.

42  « Fatigué parfois de ces tournoiements de la vie littéraire, ennuyé du plaisir comme l’est une courtisane, Lousteau quittait le courant, il s’asseyait parfois sur le penchant de la berge, et disait à certains de ses intimes, à Nathan, à Bixiou, tout en fumant un cigare au fond de son jardinet, devant un gazon toujours vert, grand comme une table à manger : “Comment finirons-nous ?” », La Muse du département, CH, t. IV, p. 734-735.

43  Illusions perdues, CH, t. V, p. 416.

44  La visite aux coulisses d’un théâtre a sur Lucien un effet narcotique, que complète cette autre drogue qu’est Coralie : « Dans ces sales couloirs encombrés de machines et où fument des quinquets huileux, il règne comme une peste qui dévore l’âme. La vie n’y est plus ni sainte ni réelle. On y rit de toutes les choses sérieuses, et les choses impossibles paraissent vraies. Ce fut comme un narcotique pour Lucien, et Coralie acheva de le plonger dans une ivresse joyeuse », ibid., p. 391.

45 Ibid., p. 478.

46 La Peau de chagrin, CH, t. X, p. 115-116.

47  Le narrateur en fait l’histoire dans Illusions perdues : « Dans le dix-huitième siècle où le journalisme était au maillot, le chantage se faisait au moyen de pamphlets dont la destruction était achetée par les favorites et les grands seigneurs. L’inventeur du Chantage est l’Arétin, un très-grand homme d’Italie qui imposait les rois comme de nos jours tel journal impose les acteurs », ibid., p. 501-502. À la suite de ce passage, Lousteau, amant de cœur de Florine, explique à Lucien comment il a fait chanter Matifat, son amant droguiste, pour lui extorquer mille écus : « ‑ J’ai fait attaquer Florine dans six journaux, etFlorine s’est plainte à Matifat. »

48  Ibid., p. 467.

49  Balzac évoque dans Une fille d’Ève, « les quelques vieillards qui courent implorer les journalistes quand un mot dans un petit journal a effrayé leur idole », CH, t. II, p. 321.

50  « Je vois les journalistes aux foyers de théâtre, ils me font horreur », déclare Fulgence Ridal à Lucien de Rubempré (Illusions perdues, CH, t. V, p. 327).

51  « Quant à l’orgie littéraire elle n’existe que dans les livres ; ce n’est pas avec du vin de Champagne et des excès de tout genre que l’esprit arrive », « Le Journaliste », Les Français peints par eux-mêmes, Paris, Curmer, t. III, 1841, p. xxxvii-xviiii. Même jeu dans Une fille d’Ève, où Balzac se moque des « nombreuses descriptions d’orgies qui marquèrent cette phase littéraire, où il s’en fit si peu dans les mansardes où elles furent écrites », CH, t. II, p. 325.

52  La Muse du département, CH, t. IV, p. 734.

53  « Cette maison banale, où il suffisait d’être célèbre pour y être reçu, était comme le mauvais lieu de l’esprit et comme le bagne de l’intelligence », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 319.

54  « Là le Désir régnait en souverain ; là le Spleen et la Fantaisie étaient sacrés comme chez une bourgeoise l’honneur et la vertu », ibid.

55  Ibid.

56  Illusions perdues, CH, t. V, p. 357.

57  Voir Splendeurs et misères des courtisanes, CH, t. VI, p. 446 et suiv.

58  Voir Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 325: « Le journal fut baptisé chez elle dans des flots de vin et de plaisanteries, de serments de fidélité, de bon compagnonnage et de camaraderie sérieuse. Le nom, oublié maintenant comme le Libéral, le Communal, le Départemental, le Garde national, le Fédéral, l’Impartial, fut quelque chose en al qui dut aller fort mal. »

59  Sur cette obligation à laquelle est soumise le journaliste, voir mon étude : « Avoir de l’esprit », L’Année balzacienne 2005, p. 145-174 (http://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2005-1-page-145.htm).

60  Le Cousin Pons, CH, t. VII, p. 651.

61  Illusions perdues, CH, t. V, p. 402.

62  « En flânant, il vit Bérénice endimanchée causant avec un homme, sur le boueux boulevard Bonne-Nouvelle, où elle stationnait au coin de la rue de la Lune », Illusions perdues, CH, t. V, p. 551.

63  Les journalistes sont de « véritables sectateurs du dieu Méphistophélès » selon les jeunes journalistes qui invitent Raphaël de Valentin à le suivre dans une orgie célébrant la création d’un journal (La Peau de chagrin, CH, t. X, p. 91).

64  « Forcée d’écouter des journalistes qui devinent et calculent tout, des écrivains qui prévoient et disent tout, d’observer certains hommes politiques qui profitaient chez elle des saillies de chacun, Florine offrait en elle un mélange de démon et d’ange qui la rendait digne de recevoir ces roués ; elle les ravissait par son sang-froid. Sa monstruosité d’esprit et de cœur leur plaisait infiniment », Une fille d’Ève, CH, t. II, p., 314.

65  « À Lucien qui lui demande ce qu’est le théâtre, son « cornac » Lousteau répond : « C’est comme la boutique des Galeries de Bois et comme un journal pour la littérature, une vraie cuisine », Illusions perdues, CH, t. V, p. 373.

66  Illusions perdues, CH, t. V, p. 360.

67  Comme le directeur du théâtre où joue Coralie trouve que son actrice est distraite par les séductions qu’exerce sur elle involontairement Lucien, il se plaint à Lousteau en ces termes : « Votre ami fait Coralie sans s’en douter, et va lui faire manquer tous ses effets », ibid, p. 381-382.

68  Pour dire « en rajouter dans l’expression d’idées monarchistes convenues, de pure façade » (ibid., p. 515).

69  « Le gouvernement, c’est-à-dire l’aristocratie de banquiers et d’avocats, qui font aujourd’hui de la patrie comme les prêtres faisaient jadis de la monarchie […] », La Peau de chagrin, CH, t. X, p. 90.

70  C’est Nathan qui est accusé de faire de la passion au lieu de construire une œuvre : « Il faisait de la passion, selon un mot de l’argot littéraire, parce qu’en fait de passion tout est vrai ; tandis que le génie a pour mission de chercher, à travers les hasards du vrai, ce qui doit sembler probable à tout le monde », Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 305.

71  Ibid.

72  Illusions perdues, CH, t. V, p. 396.

73  La Peau de chagrin, CH, t. X, p. 100.

Pour citer ce document

José-Luis Diaz, « Balzac, les courtisanes et les lupanars de la pensée», Presse, prostitution, bas-fonds (1830-1930), sous la direction de Guillaume Pinson Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presse-prostitution-bas-fonds-1830-1930/balzac-les-courtisanes-et-les-lupanars-de-la-pensee