Presses anciennes et modernes à l'ère du numérique

Introduction

Table des matières

GUILLAUME PINSON et MARIE-ÈVE THÉRENTY

Nous sommes heureux de donner à lire les actes du deuxième congrès Médias 19 – Numapresse, qui a eu lieu du 30 mai au 3 juin 2022 au Centre culturel canadien de Paris et à la Bibliothèque nationale de France. On trouvera ailleurs sur le site le programme complet de cette semaine d’échange.

Composé de près de 80 communications de la part de chercheuses et de chercheurs venus d’une douzaine de pays, ce congrès a montré le maintien du dynamisme des recherches sur la presse ancienne et numérique. Il s’est inscrit dans la filiation directe du congrès précédent organisé par Médias 19 à Paris en juin 2015 (la périodicité souhaitée de ces grandes réunions a été quelque peu perturbée par la pandémie). Ce congrès, élaboré par Guillaume Pinson (Université Laval) et Marie-Ève Thérenty (Université Paul-Valéry Montpellier 3) a été organisé dans un double cadre. Il a été impulsé par le projet scientifique franco-québécois, Médias 19, articulé autour de la plate-forme numérique, www.medias19.org, qui est le cadre d’une réflexion, depuis 2011, sur les pratiques journalistiques d’un long XIXe siècle, sur la valorisation et l’analyse des corpus ainsi que sur l’étude du développement de la culture médiatique dans l’espace francophone. Il a été également pensé comme la manifestation finale du projet scientifique international français, Numapresse (www.numapresse.org), financé par l’Agence nationale pour la recherche française ambitionnant de proposer une nouvelle histoire culturelle et littéraire de la presse française, du XIXe siècle à nos jours, en mobilisant les grands corpus de presse numérisés et les nouveaux outils de text et data mining.

Ouverture

Ouverture du congrès, le 30 mai 2022, Centre culturel canadien

L’organisation du congrès en trois axes reflète largement l’extension, temporelle, géographique et médiatique, des réflexions sur la presse ces dernières années.

La première section « pour une histoire culturelle et littéraire de la presse au vingtième siècle » traduit l’extension chronologique de l’histoire culturelle et littéraire de la presse. De nombreux travaux sur la presse, de La Civilisation du journal (2011) aux études conduites par Médias 19, ont pris comme terrain de recherches un long XIXe siècle. Mais un objectif important des études de presse actuelles est aussi de parvenir à une compréhension générale des poétiques et imaginaires médiatiques du XXe siècle. Le XXe siècle est un moment crucial pour l’expansion de la presse, sa professionnalisation, sa politisation. C’est aussi le moment où le support écrit, perdant son caractère exclusif, est concurrencé par d’autres médias (cinéma, radio, télévision) qui l’influencent aussi. Une nouvelle temporalité, la scansion hebdomadaire, vient s’ajouter au rythme quotidien pour le traitement de l’actualité, à travers la création de magazines d’importance dès la fin des années vingt et le début des années trente (Candide, Gringoire, Marianne) et puis après-guerre (L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Point). Les contenus aussi évoluent : de nouveaux sujets, comme le sport, le cinéma ou la télévision, s’imposent à côté de l’actualité politique ou culturelle traditionnelle. La refonte complète de la presse à la Libération s’appuie sur de nouvelles exigences éthiques et donc poétiques véhiculées par un Hubert Beuve-Méry ou un Albert Camus qui ont des conséquences sur l’auctorialité des journalistes. Globalement pour remédier à ce qu’on identifie comme les débordements des années trente, s’imposent, notamment dans les écoles de journalistes, des écritures dites objectives dont certains journaux, comme Le Monde, prétendent se faire le véhicule. Les participants du congrès ont fait globalement cependant la démonstration de l’hypothèse que la littérarisation des écritures de presse ne disparaît pas et qu’il existe des titres (France-Soir après-guerre, Libération) ou des formules (l’hebdomadaire, puis le mook) qui continuent à favoriser l’hybridation des poétiques.

PauseCCC

Pause au Centre culturel canadien

Le deuxième axe traduit la volonté de ne plus en rester au cadre français ou franco-québécois mais de prendre en compte la viralité médiatique. La vogue de l’histoire mondiale et des transferts culturels, liée aux campagnes massives de numérisation de la presse, a ouvert la voie ces dernières années à des études décloisonnées des corpus médiatiques. Ceux-ci sont envisagés dans leur capacité à échanger des textes et à souder des communautés de lecteurs sur des zones géographiques tantôt très denses (au sein des grandes métropoles médiatiques), tantôt très étendues (axes atlantiques Europe-Amériques, ou encore liaisons coloniales, par exemple). En outre, les outils numériques ont ouvert la voie à des études de circulation et de « viralité », sans commune mesure avec les modes habituels de lecture et de dépouillement. On peut ainsi repérer automatiquement des pratiques largement répandues de réimpression d’articles, dont certains sur des intensités et des espaces considérables. Le succès planétaire des Mystères de Paris (1842-1843) d’Eugène Sue, rapidement imité et donnant lieu à une matrice récupérée dans tous les coins du globe, comme l’a bien montré un projet de recherche conduit par l’équipe de Montpellier de Médias 19, n’est que la partie la plus visible de l’iceberg. Nous avons désormais la capacité de détecter automatiquement des formes de circulations et de viralités de corpus beaucoup plus furtifs à nos yeux, mais majeurs dans l’intensité de leurs reprises : des œuvres littéraires aujourd’hui oubliées, des essais, des anecdotes, des faits divers, des actualités variées... Cet axe s’inscrit pleinement dans les interrogations de Numapresse mais aussi annonce le projet d’une histoire mondiale de la presse en français, dirigé par Guillaume Pinson et Diana Cooper-Richet.

Enfin une dernière section intitulée « culture médiatique et culture numérique » attire l’attention sur l’évolution des recherches et des résultats liés aux changements de supports. Depuis vingt ans, la presse ancienne a été massivement numérisée. Ces corpus se sont progressivement imposés comme un terrain d’expérimentation idéal pour des approches scientifiques hybrides croisant histoire, sociologie, analyse littéraire, infrastructures informatiques, approches statistiques et traitement automatique du langage naturel. L'hétérogénéité du journal et l'ampleur des archives numérisées ont favorisé l'émergence de nouveaux espaces interdisciplinaires (bibliothèques numériques, humanités numériques, littérature computationnelle…) et de nouvelles circulations d'outils, de méthodes et de concepts entre les disciplines et ont rendu plus légitime une forme de lecture distante, autorisant des approches multiples : topics modeling, classification supervisée, détection des reprises, indexation d’entités nommées, analyse de mise en page… Les techniques de deep learning et de classification automatisée, de plongement de mots (word embedding), ouvrent des fenêtres nouvelles sur un gigantesque ensemble de textes et d’images encore très peu exploré. Cette troisième section interroge l'émergence d'un nouvel écosystème de la presse numérisée, depuis le processus d'élaboration de l'archive numérique jusqu'aux nouvelles formes de remédiations et de projections expérimentales de ces corpus. Elle est également l’occasion de questionner l'incidence méthodologique de ces nouvelles pratiques sur la conceptualisation de l'objet de recherche et la construction du terrain et des corpus.

Ce congrès a été aussi marqué par une matinée dédiée à d’autres projets collectifs et infrastructures avec lesquels Médias 19 et Numapresse ont dialogué. Les regroupements Impresso (Suisse), Living with machines (Grande-Bretagne), Gallica, RetroNews (France) et NewsEye (projet européen), qui sont intervenus lors du congrès, portent tous sur des corpus médiatiques et font usage des technologies numériques. Nous entendons à l’avenir continuer à nous insérer dans ce mouvement international et aussi nous investir dans le grand projet lancé par la BNF de Conservatoire national de la presse à Amiens dont l’ouverture est prévue fin 2029.

SéanceBNF

Séance à la Bibliothèque nationale de France

Ces années de recherche ont été aussi marquées pour nous par un deuil, la disparition de l’historien Dominique Kalifa en septembre 2020, Au sein de Numapresse – Medias 19, Dominique Kalifa a été un chercheur essentiel, qui a apporté avec lui des hypothèses fécondes, un regard neuf sur les objets médiatiques. Il était aussi un compagnon de route de longue date et un ami. Un après-midi durant le congrès a été consacré à son œuvre grâce à des lectures, alternées par le comédien Gabriel Dufay et par des universitaires, de textes et d’articles explorant des pans insolites et amusants de la culture médiatique liés à l’œuvre de Dominique Kalifa : la presse, les marginaux, le bagne, les bas-fonds, l’érotisme.

Hommage Kalifa

Hommage à Dominique Kalifa

Les perspectives d’avenir sont nombreuses. Médias 19 a vocation d’abord à continuer à jouer un rôle de carrefour scientifique où des projets qui ont la presse pour objet peuvent trouver un lieu d’accueil, de rassemblement. Des financements nouveaux ont été obtenus (financement CRSH de Guillaume Pinson sur l’histoire de la presse en français, chaire senior de Marie-Ève Thérenty sur le journalisme narratif en France depuis 1945, ANR Polarisation sur les récits criminels imprimés en régime médiatique), garantissant la pérennité du site et permettant l’annonce du troisième congrès en 2026.

Nous voudrions remercier pour terminer Nejma Omari et Claire-Marine Parodi qui ont organisé avec nous le colloque, mais aussi Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Adeline Wrona qui ont œuvré à la préparation du congrès, Fevronia Novac et l’équipe du Centre culturel canadien, Sophie Robert et Richard Dao de la Bibliothèque nationale de France et d’une manière plus générale le comité scientifique de Médias 19. Merci à Liliane Sloimovitz du Champo et à Morgane Tual du Monde d’avoir accueilli les congressistes pour les activités culturelles du congrès. Merci enfin aux institutions et organismes dont les logos apparaissent à la fin de cette présentation et qui ont financé la tenue du congrès.

Un reportage disponible sur YouTube, réalisé par Diego Gernais et Kevin Pelladeaud (DG Production) lors du congrès, permet de prendre connaissance des activités et des grands axes de recherches de Médias 19 et Numapresse.

Logos

Les partenaires du congrès Médias 19 - Numapresse

Pour citer ce document

Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty, « Introduction », Presses anciennes et modernes à l'ère du numérique, actes du congrès Médias 19 - Numapresse (Paris, 30 mai-3 juin 2022), sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Eve Thérenty Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2024, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presses-anciennes-et-modernes-lere-du-numerique/introduction