Le rire viral et la presse du XIXe siècle
Table des matières
ALAIN VAILLANT et JEAN-DIDIER WAGNEUR
Romantisme et viralité médiatique
Venue du monde anglo-saxon, d’ailleurs comme tous les nouveaux concepts agités dans la sphère académique, la notion de viralité s’est solidement implantée pour désigner métaphoriquement, dans les systèmes médiatiques, les phénomènes de circulation, de dissémination et le cas échéant, comme on l’a aussi appris à nos dépens à l’occasion de l’épidémie de la covid-19, de mutation non contrôlée des contenus communicationnels : la viralité médiatique repose donc toujours sur la dynamique dialectique qui s’établit entre un processus général de répétition et les multiples phénomènes de variation qui ne contrarient en surface la reproduction du même que pour mieux la faciliter. En Europe — et singulièrement en France —, c’est donc logiquement l’apparition d’une presse moderne, contemporaine de l’établissement de régimes parlementaires (ayant besoin de la chambre d’écho offerte par les journaux), qui permet, à grande échelle, l’instauration de cette viralité médiatique.
De ce point de vue, le romantisme, de quelque manière qu’on le définisse par ailleurs, peut à bon droit être considéré comme le premier phénomène viral de l’histoire culturelle européenne1, avec les deux caractères qu’ils offriront tous désormais : d’une part, l’intensité et la rapidité de leur diffusion dans le corps social ; d’autre part, leur aptitude à passer les frontières et à s’internationaliser. Dans l’Europe bourgeoise du XIXe siècle et en cercles concentriques dont les centres concurrents sont alors Londres et Paris2, la jeunesse (qui, à toute époque, est particulièrement sensible à tous les virus culturels) se met à aimer les mêmes livres ou les mêmes musiques, à aller aux mêmes spectacles, à adopter les mêmes comportements et les mêmes pratiques de consommation, à l’unisson d’un processus viral qui connaît, comme on le sait, des phases épidémiques saisonnières qui s’appellent, dans le monde de la culture, des modes. L’emballement viral touche également, bien entendu, la littérature, dont tous les événements marquants (par exemple, la bataille d’Hernani [1830], le succès prodigieux des Mystères de Paris [1842-1843], le scandale des Fleurs du mal [1857]) sont des événements médiatiques3, qui devraient être étudiés comme tels, de même que les processus de réception littéraire, qui apprennent beaucoup moins sur l’œuvre particulière qui en fait l’objet que sur le fonctionnement des écosystèmes culturels — la notion de viralité amenant avec elle, naturellement, celle d’écosystème.
Il s’ensuit une évolution très remarquable des phénomènes de diffusion culturelle. Alors que, dans les cultures prémédiatiques, ils étaient principalement diachroniques (le présent reçoit du passé une « tradition » et la transmet au futur), ce lien vertical, d’ordre temporel, est concurrencé, dans les sociétés médiatiques, par une dynamique horizontale, où la circulation accélérée de toutes les sortes de contenus dans l’espace social fait écran, bien sûr sans la supprimer, à la transmission diachronique. De là d’ailleurs cette illusion de « présentisme » dont le concept est vite devenu, lui aussi, à la mode4, mais qui n’est qu’une des conséquences de cette intensification médiatique des circulations synchrones. Nous savons bien, particulièrement dans la période incertaine que nous vivons, que nous sommes, en 2023, aussi préoccupés du futur, et peut-être même davantage, que ne l’étaient les révolutionnaires de 1789, mais il est vrai que cette préoccupation est constamment concurrencée par le sentiment médiatique que chaque instant présent fait déjà événement et que l’actualité est, en soi, historique, au point que le présent semble se fondre dans le futur et s’y substituer. C’est d’ailleurs l’occasion, à propos de ce « présentisme », de rappeler que la viralité académique est au moins aussi puissante que la viralité médiatique, ou, pour être plus exact, le mode de circulation des contenus académiques, dans notre système mondialisé adossé au réseau des revues et des publications universitaires, n’est désormais qu’une des formes spécialisées de circulation médiatique, dont elle reproduit strictement la logique.
Pour autant, la viralité informationnelle n’est évidemment pas une spécificité des systèmes médiatiques. Les éthologues et les botanistes sont capables d’analyser avec une précision toujours croissante les extraordinaires modes collectifs de communication de toutes sortes d’espèces animales (les primates, bien sûr, mais aussi les oiseaux ou les insectes), voire de végétaux. En fait, l’optimisation des modes de communication est la condition universelle du vivant, par laquelle les organismes assurent leur perpétuation collective. Mais restons-en aux sociétés humaines. Avant la viralité, qui est aujourd’hui en vogue, on avait utilisé une autre métaphore, appartenant au même champ lexical, pour désigner ces processus un peu mystérieux de dissémination cognitive, celle de la contagion. Depuis très longtemps, on avait remarqué avec quelle rapidité un sentiment pouvait se répandre dans un groupe, en vertu de mécanismes invisibles où l’on voyait la preuve des remarquables aptitudes à l’empathie de l’animal humain. Parmi ces nombreuses manifestations de contagion émotionnelle, il en était une qui semblait encore plus extraordinaire que toutes les autres, parce qu’elle paraissait totalement échapper à la conscience affective des individus qui en étaient atteints, la contagion du rire. Tout ce que nous allons dire maintenant, dans le cadre de cet article, concerne la coïncidence remarquable entre la contagion du rire et la viralité médiatique, au XIXe siècle : nous allons nous efforcer d’abord d’en comprendre le mécanisme, puis de l’illustrer à partir d’exemples empruntés à la petite presse de l’époque.
La contagion du rire : de l’anthropologie à la sociologie des médias
Pour avancer dans la compréhension du phénomène5, il faut en passer par les diverses théories du rire, qui comportent toutes une faille d’une portée considérable. Chez toutes, le mécanisme comique est censé se déclencher à la suite de la soudaine apparition d’une incongruité, d’une brusque surprise qui vient rompre la vision ordinaire des choses et provoquer un effet de contraste déclenchant la déflagration du rire. C’est déjà la justification qu’en donne Schopenhauer, en 1819, dans son essai Le Monde comme volonté et comme représentation : « Le rire n’est jamais autre chose que le manque de convenance — soudainement constaté — entre un concept et les objets réels qu’il a suggérés, de quelque façon que ce soit ; et le rire consiste précisément dans l’expression de ce contraste6 ». Bergson parlera d’« interférence de série », Koestler de « bisociation7 », mais le principe est le même. Or ce schéma explicatif comporte une énorme anomalie : dans tous les cas, une incongruité inattendue ne fait pas rire ; au contraire, elle met immédiatement à l’esprit la tension, elle alarme et fait peur.
Pour rendre compte du rire, il est en fait nécessaire d’introduire un autre phénomène, qui change radicalement la compréhension de la dynamique du comique. Pour rire d’une incongruité, il faut immédiatement l’identifier comme incongruité comique, afin que cette identification bloque au plus vite les mécanismes cognitifs de mise en alerte et de défense psychique. Ajoutons que, si les théoriciens du rire ont tous jusqu’à présent négligé ce fait essentiel, c’est qu’ils travaillaient toujours à partir de situations relevant explicitement de la culture comique (le spectacle vivant, le cinéma, les interactions ludiques) : pour le spectateur d’un film comique, toute incongruité, quelle qu’elle soit, ne peut être que risible, puisqu’il est précisément venu dans la salle pour jouir d’incongruités attendues et d’en rire.
On peut donc considérer pour acquis que le rire est toujours rire de reconnaissance et la seule nouveauté réside dans la forme singulière, surprenante, qu’adopte ce déjà connu. Par conséquent, le rire suppose toujours le retour du connu et son identification ; de cette découverte découlent deux conséquences capitales, l’une anthropologique, l’autre culturelle. Anthropologiquement, il s’ensuit que tout être humain, dès sa naissance et, surtout, dès les jeux de l’enfance, se constitue inconsciemment, dans ses multiples interactions avec ses congénères, une bibliothèque du comique dans laquelle il pourra puiser tout au long de son existence, poursuit un apprentissage du rire comparable à l’apprentissage linguistique (le comique passe d’ailleurs souvent par le langage), acquiert une compétence qu’il mobilise dès qu’il se trouve confronté à une situation risible, où il est alors capable de reconnaître l’imitation renouvelée d’un signe comique identifiable. Cette fois d’un point de vue esthétique, ce rôle central de l’imitation explique aussi l’extraordinaire permanence des mécanismes et des procédés comiques, puisque la répétition du même conditionne le déclenchement du rire. Il permet également de comprendre la difficulté intrinsèque au comique, qui doit toujours concilier l’effet de surprise, indispensable à la perception de l’incongruité, et la répétition du même. En quelque sorte, le rieur ne peut rire de sa surprise que dans la mesure où il s’attend par avance à être surpris : on comprend que le comique se trouve toujours sur une ligne de crête où il est très difficile de se tenir.
Mais il faut encore franchir une nouvelle étape : non seulement la reconnaissance du même permet la jouissance comique que suscite l’incongruité surprenante, mais, sans qu’on en ait soi-même conscience, le vrai plaisir du rire, originel et animal, naît de cette reconnaissance, et du sentiment régressif de sécurité qu’il procure. Pourquoi donc innover, puisque le meilleur est dans la répétition? Ainsi s’explique la contagion du rire : à un certain niveau d’excitation dans un groupe, le seul fait de voir rire quelqu’un produit chez les autres, même s’ils ne connaissent pas ou n’approuvent pas le motif de ce rire, l’envie irrépressible de rire à leur tour et d’en partager la jouissance. Or, dans nos sociétés modernes, ce sont les médias qui, par leur puissance de dissémination des clichés, des stéréotypes et de toutes les composantes de ce que Marc Angenot appelle le « discours social », ont principalement en charge l’infinie duplication du même. Nous postulons donc qu’il existe une homologie structurelle entre la contagion comique et la viralité médiatique, qui satisfont toutes deux le plaisir anthropologique, voire animal, de la répétition. Si nous avons choisi d’appliquer l’analyse de la viralité à la culture comique, c’est parce que la contagion comique met pour ainsi dire à nu la dynamique de la viralité, en la radicalisant. C’est pourquoi, d’une part, la culture médiatique (celle des journaux avant-hier, des médias audiovisuels hier, d’Internet aujourd’hui) a toujours accordé une place centrale, peut-être même la première, au comique, d’autre part et par voie de conséquence, le comique a trouvé depuis deux siècles ses principales sources de renouvellement dans la culture médiatique. En effet, puisque le comique, comme le média, repose sur un principe de répétition et de dissémination, le procédé le plus simple de provoquer le rire est de reproduire sur le mode comique cette dynamique virale, donc en la parodiant. Le comique médiatique est donc toujours d’ordre parodique. Enfin, dans la mesure où tout média est une machine à reproduire le même et à imiter par viralité, la manière la plus expédiente qu’il a à sa disposition pour susciter le rire est de se parodier lui-même. Nous en arrivons à notre thèse principale, à savoir que la viralité autoparodique est la forme canonique du comique médiatique.
Autoparodie et viralité, à l’ère de la « petite presse »
Cependant, ce fonctionnement autoparodique de tout écosystème médiatique est en partie oblitéré, dans nos médias de masse, par la tendance exactement opposée, que l’on peut désigner sous le nom de sensationnalisme. D’un côté, et c’est son fonctionnement le plus ordinaire (à bas régime si l’on peut dire), la culture médiatique, qui implique la systématisation à grande échelle du principe de répétition, a une affinité particulière avec l’autoparodie — l’autoparodie servant alors à exhiber comiquement, en toute connivence avec le public, la spectacularisation du réel à laquelle elle procède. De l’autre, dans des circonstances exceptionnelles (notamment à la faveur des faits divers, des guerres, des catastrophes et de façon générale de tout événement exceptionnel), le média tend au contraire à cacher l’écran de la représentation médiatique, à donner l’illusion au public qu’il est présent à l’événement représenté : le sensationnalisme est ce processus qui, dans les médias de masse apparus à la fin du XIXe siècle, repose également sur la viralité. Le système bipolaire que constituent le sensationnalisme et l’autoparodie caractérise globalement nos cultures médiatiques contemporaines — même s’il faut reconnaître que, le plus souvent, la recherche a exploré davantage le premier que la deuxième.
Mais, au XIXe siècle, le sensationnalisme en est encore à ses balbutiements, au moins pour trois raisons : 1/ l’existence à peu près permanente d’une censure plus ou moins répressive empêche la presse de remplir totalement sa mission d’information et l’amène à pratiquer sans retenue l’art du bavardage divertissant ; 2/ la presse ne dispose pas encore des outils (le télégraphe et la photographie) et des rubriques (le reportage) qui lui serviront, à partir de la Troisième République, pour le traitement de l’actualité ; 3/ la presse du XIXe siècle, bien que très prospère, n’est pas pour autant une presse de masse, et son public encore majoritairement bourgeois ne manifeste pas encore l’appétit pour le sensationnalisme qu’aura le public populaire des journaux à grand tirage de la Belle Époque.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi, pendant un demi-siècle (disons, très grossièrement, entre 1830 et 1880), la petite presse fut le paradis d’un rire médiatique parodique, ironique, connivent, et, à vrai dire, il est difficile de ne pas être parfois lassé de ce perpétuel ressassement, aussi répétitif que malicieux, des constants effets d’écho et de circulation des mêmes motifs, d’un journal à l’autre et à très grande échelle. Cependant, pour que l’effet comique fonctionne, encore faut-il préserver le surgissement de l’incongruité qui reste, rappelons-le, l’ingrédient indispensable de la mécanique du rire. Paradoxalement, dans une culture où la dérision est devenue banale et immédiatement identifiable, la seule incongruité est alors de paraître sérieux. Comme Gustave Flaubert le note, dans une intention évidemment ironique, à propos du comique des journaux, il n’y a plus que le sérieux qui fasse rire : « les [journaux] plus grands, les plus sérieux, les plus majestueux, les plus rogues, étaient selon lui les meilleurs, de sorte qu’il n’y avait guère que Le Charivari et Le Tintamarre qui ne le fissent plus rire8. » De fait, tous les écrivains du canon littéraire qui émergent alors de cet univers de l’autoparodie médiatique (au premier rang desquels Balzac et Baudelaire) sont confrontés au risque de la saturation comique et de l’indifférenciation, et leur trajectoire commune peut s’analyser, chacun selon des modalités particulières, comme une conversion de la dérision médiatique (où les deux ont fait leurs premières armes) en littérature sérieuse, ou plutôt apparemment sérieuse. On comprend ainsi que, dans une culture médiatique, le contrepoint indispensable à la viralité parodique est la mystification, introduisant la déstabilisation indispensable à l’effet d’incongruité. Au XIXe siècle, le couple autoparodie-mystification structure l’univers viral du rire médiatique, comme l’examen de la petite presse va maintenant en fournir la démonstration et l’illustration.
Concrètement, les petits journaux comiques fonctionnent comme une machinerie à effet de contagion, suscitant de la viralité par la nature intrinsèque et la répétition virtuellement indéfinie de leurs énoncés. Car la presse satirique vise constamment à ce que ses interventions soient reprises, notamment par la presse quotidienne. C’est pour elle un accélérateur puissant pour accéder à une plus large publicité et trouver à la fois de la notoriété et des lecteurs. Ce principe est similaire au fonctionnement des réseaux sociaux actuels dans lesquels une punchline propulse une individualité au-devant de la scène médiatique. La presse générale est consciente de cette stratégie et réplique souvent en opposant une fin de non-recevoir, mais il arrive que, face aux nombreux rebonds d’un contenu, une reprise soit inévitable du fait même de son entrée dans l’actualité. Ce peut être par le biais de la simple citation, d’une réplique, d’un pastiche ou d’un dessin de presse. Si ce phénomène est banal, certaines de ses modalités sont spécifiques au champ des journaux comiques et de leurs microformes. Après un rapide examen de leur filiation, nous aborderons un cas particulier, celui de « lettres » mystérieuses qui ont intrigué le Tout-Paris pendant plusieurs semaines sous le Second Empire.
Généalogie des microformes comiques
L’inventivité caractérise les meilleurs journaux comiques. Les petits journalistes ont su utiliser la dynamique des salles de rédaction pour les transformer parfois en un véritable ouvroir de littérature expérimentale, pour ne pas dire potentielle. Jeux avec les formes poétiques, récits-express, parodies, nombre de procédures ont été alors expérimentées avec comme seule finalité la surprise et le rire. Cette créativité était requise dans une période (de la monarchie de Juillet aux débuts de la Troisième République) où les journaux se multipliaient, entrant en concurrence effrénée, et où, surtout, les législations sur la presse restreignaient leur champ d’intervention en le limitant à la satire sociale. Si les lois de 1881 ont permis enfin d’aborder les sujets politiques, c’est toutefois sous la contrainte de la censure que se sont inventées des formes promises à un long avenir. Profitant d’une courte période de relative liberté, Le Corsaire, La Caricature, Le Figaro et Le Charivari ont été les premiers ouvriers de cette bibliothèque comique qui se complète significativement pendant la décennie 1840-1850. Au-delà de cette période, de la Troisième République à aujourd’hui, la plus grande part des microformes comiques sont d’ailleurs encore régies par cette dynamique. Plus précisément, il est possible de repérer pour ces microformes une triple généalogie :
- Détournement des formes régaliennes de la presse quotidienne : premiers-Paris, faits-Paris, bulletins, feuilletons, etc.
- Reprises de formes courtes issues de la littérature9 : poésie fugitive, lettre, chronique, anecdote, saynète, fables, etc.
- Appropriation des nouveaux formats modernes : ceux de la communication boursière, publicitaire, marchande, institutionnelle comme des formes publiques ou privées en usage dans la société.
À l’intersection de ces trois ensembles, on assiste également à la création de formes dérivées, travaillées obliquement par la charge comique, usant du « parostiche10 », cette indécidable quantique entre pastiche et parodie, qui caractérise parallèlement les pratiques littéraires, théâtrales, musicales et foraines.
La forte concentration des journaux comiques entre 1830 et 1860 et la menace de la routine ont d’abord imposé la nécessité de revisiter stylistiquement ou de surtitrer de manière originale les rubriques traditionnelles de la petite presse que sont les chroniques, les portraits, les nouvelles à la main, les saynètes et les comptes rendus ; ensuite, les parodistes ont entrepris de détourner les formes communicationnelles modernes. Cette double pratique était favorisée par la diversité du personnel médiatique. Le petit journalisme constituait en effet un monde hétérogène ; son personnel provenait en partie du monde du théâtre, ce qui explique la forte présence du vaudeville et de revues de fin d’année dans les sommaires. Le monde de la chanson y était aussi représenté avec des chansonniers et des goguetiers. Enfin, la grande masse était constituée de gens de lettres et d’écrivains prolétarisés trouvant leur quotidien dans des travaux annexes pour la librairie industrielle et la publicité, avec une proportion notable, dynamique et inventive de jeunes en quête d’un espace identitaire d’inscription et de visibilité — ce que l’on désigne alors comme « bohème ».
Fig. 1 : « La Casquette de loutre », Figaro, 6 juin 1858 (Gallica).
Le principe qui anime la création de ces microformes est toujours la dérivée comique : celle-ci permet de créer rapidement, voire mécaniquement, des microformes induisant immédiatement un phénomène de surenchère mimétique, tablant sur la connivence du public. Trois formats particulièrement récurrents dans la petite presse nous serviront à illustrer ce procédé : ce sont des détournements de la forme journal, des comptes rendus des expositions de peinture (les « salons »), et des discours gravitant autour du publicitaire.
Fig. 2 : « Les journaux vertueux », pochade contre Le Journal des connaissance utiles fondé par Emile de Girardin, Le Figaro, 27 mars 1833, p. 2 (Gallica).
L’examen de la forme journal en trompe-l’œil11 est étonnante. Elle court sur la longue histoire, de l’Ancien Régime avec les pastiches de La Gazette de Renaudot jusqu’au groupe Jalons12 et au Gorafi13. Un des exemples les plus célèbres sous le Second Empire est La Casquette de loutre (FIg. 1). C’est un journal ridiculisant une presse bête aux multiples visages, tout en fournissant la preuve démultipliée du média journal. Ce format comique a été décliné de diverses façons. D’abord sous la forme d’un simple article décrivant un journal de pure invention en liaison avec une actualité (fig. 2). Ensuite, lorsque les moyens le permettaient, les journaux imaginaires, mis en page comme des publications authentiques, ont été encartés dans le corps des périodiques comme un supplément comique (Fig. 3). Ce sont souvent des journaux parodiques, pastichant une publication existante ou colportant des fake news.
Fig. 3 : « La Comète ». François Arago avait communiqué à l’Académie des Sciences qu’une comète nouvelle avait été découverte à Parme, le 5 février 1845, par M. Colla. On attendait la fin du monde... Le Tintamarre, 28 septembre 1845 (Gallica).
Une autre manifestation, à l’initiative des caricaturistes, est le salon parodique14 qui est une microforme saisonnière. En marge du salon officiel, il s’agit d’en inventer un autre de papier, pour rire (fig. 4). C’est un salon en trompe-l’œil et de nombreux journaux en ont fait usage avec des caricaturistes de génie comme Daumier, Cham, Gill, ou Caran d’Ache15. C’est un salon à la fois décadré et comiquement encadré : à partir de 1882, le célèbre Salon des Incohérents, relayé à son époque par des petits journaux comme Le Chat noir et Le Courrier français, participe encore de cette approche.
Fig. 4 : Honoré Daumier, « Salon de 1840. Ascension de Jésus-Christ. D'après le tableau original de M. Brrdhkmann », La Caricature, 26 mars 1840 (Gallica).
Enfin, la fièvre publicitaire du XIXe siècle était une réalité omniprésente, dont les journaux ont rapidement pastiché les formes et le discours. Deux journaux successifs, Le Tam-Tam puis Le Tintamarre, ont construit leur spécificité sur la déconstruction comique de l’annonce et de la réclame (Fig. 5).
Fig. 5 : Fausse publicité, Le Tintamarre, 20 septembre 1845, p. 4 (Gallica).
Tous ces procédés contribuaient à une carnavalisation générique qui reposait sur l’élaboration d’un ensemble de déguisements et d’accessoires dignes d’une boutique de farces et attrapes médiatiques, révélatrice des origines foraines du petit journal16, et ils introduisaient ainsi les lecteurs dans un univers qui leur était familier. Ils reposaient sur la déformation propre au caricatural, le déplacement, le décentrement, l’antithèse comique. Une autre microforme éprouvée, d’origine littéraire celle-là, était la « lettre », fortement mobilisée depuis l’Ancien Régime, et abondamment reprise par la presse du XIXe siècle, notamment à des fins satiriques — par exemple, par Alfred de Musset dans les « Lettres de Dupuis et Cotonet au directeur de la Revue des deux mondes17 ». Celles qui nous serviront ici d’illustration sont les Lettres de Junius, qui ont paru dans le Figaro du 29 octobre 1861 au 19 janvier 1862.
Étude d’un cas exemplaire : l’Affaire Junius (1861-1862)
L’affaire Junius a agité le monde médiatique pendant trois mois. Le 29 octobre 1861, Hippolyte de Villemessant découvrait dans la boîte du Figaro une chronique incisive sur la vie littéraire accompagnée d’une lettre signée Junius. Le courrier expliquait que, si la chronique convenait aux colonnes du Figaro, Villemessant en recevrait une nouvelle chaque quinzaine. En revanche, il devait s’engager à rétribuer le rédacteur et à ne jamais tenter de percer son identité : les règlements seraient faits par l’intermédiaire d’un commissionnaire. Deux jours plus tard, la première lettre s’étalait à la une du Figaro.
[…] Je ne pouvais aller frapper à une autre porte qu’à la vôtre, Monsieur, et je m’en réjouis, n’aimant pas d’ordinaire à avoir l’embarras du choix. À qui m’adresser, en dehors de vous, je vous le demande, moi, « l’homme aux rubans verts », pour décharger mon cœur de toutes ses colères, pour faire siffler les lanières de mes ironies, ces déesses vengeresses, ultrices deæ? […] J’entre donc sans façon chez vous et je m’y installe sans plus longs salamalecs, vous demandant, avec une place au feu et à la chandelle, la permission de garder mon masque, qu’aucune provocation, d’ailleurs, ne saurait me faire ôter, bienveillante ou brutale, de vous ou d’un autre, de mes ennemis ou de leurs maîtresses ; mon masque n’est pas beau, mais je garde mon masque. Outre que c’est un condiment de plus pour les plats de mon métier que j’ai à servir à vos lecteurs, ragoûts déjà violemment épicés, je les en préviens s’ils ne s’en doutent, j’aurai quelque plaisir à vous intriguer derrière mon anonymie inexpugnable, à dérouter vos suppositions, à égarer vos recherches, à provoquer vos soupçons, à essouffler vos hypothèses ; et, pour cela faire, je parlerai souvent très-habilement des gens et des choses que je ne connais pas ou que je connais peu, d’Horace, comme Jules Janin, de Jeanne d’Arc, comme Rigolboche, de Montyon, comme M Jules Lecomte, de théâtre, comme M. Louis Véron, de musique, comme M. Gustave Chadeuil, de peinture, comme M. Anatole de la Forge, etc., etc., etc. De plus (et c’est ici sans doute que vous m’attendiez) je dirai indifféremment du mal de mes amis et du bien de mes ennemis, ainsi que faisait Junius, premier du nom, lorsqu’il attaquait Chatam en même temps que le duc de Grafton, Camden en même temps que lord North, Wilkes en même temps que lord Granby, Horne en même temps que lord Mansfield, Fooke en même temps que lord Rochford, Beckford en même temps que lord Hillsborough18.
Le pseudonyme Junius était emprunté au nom du vainqueur de Tarquin le Superbe, Lucius Junius Brutus, fondateur de la République romaine. Cette illustre figure était toujours au XIXe siècle un modèle pédagogique de la virtus latine, emprunté à Cicéron et à Tite Live aussi bien qu’à Plutarque. Le masque n’était pas nouveau, il avait été adopté dès le XVIe siècle pour signer les Vindiciae contra tyrannos19, « Revendications contre les tyrans », pamphlet écrit à la suite de la Saint-Barthélemy. Il avait été repris pendant la Révolution française par Marat comme titre pour son Junius Français (1790). Mais le Junius auquel le correspondant anonyme du Figaro fait référence était en l’occurrence anglais. Dès le 21 janvier 1769 et pendant plusieurs années, Woodfall, le directeur du Public Advertiser de Londres avait reçu régulièrement dans sa boîte un courrier satirisant la politique anglaise signé du pseudonyme Junius qui ne fut jamais vraiment percé à jour. Les lettres furent, en revanche, publiées en librairie. Traduites en français en 1791, elles le furent à nouveau en 1823 par Jacques-Théodore Parisot, et, en 1851, Charles de Rémusat leur consacra un long article dans la Revue des deux mondes20. Junius avait parallèlement été le sujet de plusieurs pièces de théâtre et avait été endossé comme pseudonyme plusieurs fois sous la Restauration comme sous la monarchie de Juillet.
Le Junius de 1861, muselé par la censure impériale, ne pouvait s’attaquer à la politique de Napoléon III. C’est donc à un jeu de massacre littéraire qu’il se livra, illustrant l’éreintement comique propre au petit journal. Junius choisissait bien ses cibles. Il brocarda les faiseurs et les charlatans ; mais il mit au premier plan Victor Hugo et Théophile Gautier, ainsi que Baudelaire, Jules Vallès et le jeune Leconte de Lisle. Les onze lettres publiées d’octobre 1861 à janvier 1862 traitaient essentiellement de la vie littéraire, sous la forme soit d’une « lorgnette littéraire », genre popularisé par Monselet depuis 1857, soit d’un billet d’humeur.
Fig. 6 : Photo-Biographie des contemporains (1867) : Alfred Delvau (1825-1867), portrait par Pierre Durat, encadrement caricatural de Carlo Gripp (BnF : 4-LN2-166). Voir sur la bande droite, Delvau en Junius.
Derrière Junius se dissimulaient deux figures connues du Figaro : Alfred Delvau (Fig. 6), un collaborateur occasionnel, et Alphonse Duchesne (Fig. 7), un permanent du journal. Ils avaient choisi le masque de Junius, parce que, la pratique du pseudonyme étant alors très galvaudée, ils voulaient se mettre sous une bannière susceptible d’être immédiatement identifiée et dotée d’une forte légitimité. Ils s’inscrivaient ainsi dans une culture médiatique, mais aussi républicaine, car Delvau, ex-secrétaire de Ledru-Rollin et très actif en 1848, ne cachait pas ses convictions politiques. La motivation de cette série était néanmoins plus prosaïque. Delvau expliquera plus tard son projet par le refus du Figaro de lui accorder une avance21. Il avait imaginé ainsi de quoi remplir sa bourse à la barbe de Villemessant qui, de son côté, voyait dans cette opération une excellente occasion d’« empoigner » Paris et de faire de la réclame pour son journal. Aussi rétribuera-t-il royalement les mystificateurs.
Fig. 7 : Caricature d’Alphonse Duchesne (1825-1870) par Charles Gilbert-Martin, Le Philosophe, 1er septembre 1867 (Gallica).
Mais à mystificateur, mystificateur et demi, car Villemessant, pour donner plus de sel et d’écho à ce jeu littéraire, avait immédiatement demandé en secret à quatre écrivains d’endosser aussi le rôle de concurrent de Junius. Ainsi, le 7 novembre 1861, le lecteur se retrouva-t-il en présence de cinq Junius! En tête du journal, Villemessant expliquait :
« En ouvrant ce matin la boîte du Figaro, j’y ai trouvé cinq lettres signées Junius, toutes de l’écriture uniforme des calligraphes à tant la page. Mon embarras était grand. J’ai pensé alors au jugement de Sancho dans l’île de Barataria. Des noisettes ayant été saisies, parmi lesquelles il s’en rencontre de mauvaises, il les distribua toutes aux enfants en disant qu’ils sauront bien reconnaître les bonnes. J’en fais autant pour les lettres de Junius, et je laisse aux lecteurs le soin de distinguer la meilleure. Moi, je sais bien quelle est la mauvaise, mais, quoi qu’il en soit, j’ai voulu rester impartial jusqu’à la fin. On a mis dans un chapeau cinq numéros, et c’est dans l’ordre indiqué par le sort que sont publiés les articles de mes correspondants anonymes.
Il va sans dire que je n’épouse aucune des opinions soutenues et des personnalités risquées dans cette intrigue épistolaire.
Cette course à la plume se faisant dans des conditions analogues à celles des steeple-chases, nous avons donné à chacun des coureurs une couleur particulière. De cette façon, le public pourra les désigner plus commodément et déclarer lui-même ceux de ces gentlemenriders qui seront forcés de troquer leur casaque contre une veste. »
Outre le duo authentique, les quatre compétiteurs de Villemessant ne se différenciaient que par la couleur de leur casaque qui leur servait de signature. Villemessant reprenait le principe d’une course hippique très courue, si l’on peut dire, le steeple chase22, et avait donné à chacun de ses candidats une casaque de couleur différente. Écarlate pour Barbey d’Aurevilly, orange pour Monselet, blanche pour Vallès. Mais Villemessant se fourvoya en demandant à Alphonse Duchesne de revêtir la verte… Celui-ci devenait ainsi deux fois Junius. Villemessant ne s’en tint point là, et pour relancer la machine, produisit encore deux autres avatars supplémentaires. Apparurent, le 14 novembre 1861, un « Anti-Junius » signé « Junior » (Paul Pierret) et le 28 novembre 1861, une « Junia » (Mme de Solms23), cette dernière répondant aux attaques misogynes des Junius contre elle-même et les autrices.
Reste que les « casaques » de Villemessant étaient moins agressives que le duo. Delvau et Duchesne connaissaient parfaitement les coulisses parisiennes et avaient accumulé assez de charges contre le monde médiatico-littéraire pour s’en prendre dans leurs lettres à toutes les vedettes du champ littéraire. L’épigramme volait bas. Cela amena de vives réactions de la part des individualités turlupinées et le courrier des lecteurs fut saturé de réclamations. Le phénomène s’étendit aux grands quotidiens et la chose prit une ampleur telle que Villemessant, ne voulant surtout pas être embarqué dans des procès et des duels, décida d’en finir. Les Junius étant en retard pour livrer leur douzième lettre, le directeur du Figaro saisit l’occasion pour arrêter la série.
Il connut vite l’identité des mystificateurs, écarta Delvau quelque temps du journal. Quant au précieux Duchesne, « l’homme-lige » du Figaro, il lui était indispensable. Les deux auteurs, exploitant la notoriété qu’ils avaient acquise, publièrent Les Lettres de Junius chez Dentu, et profitant de la rumeur, lancèrent chez le même éditeur un petit journal satellite au format in-16°, ironiquement baptisé Le Junius : chronique des deux mondes.
Cette viralité se prolongea jusqu’au banquet du Figaro où Villemessant s’amusa à produire un faux Junius masqué devant les convives. Mais l’affaire avait surtout réussi et occupé tout Paris. Félix Ribeyre peut écrire dans Le Journal des livres :
Dès l’apparition de son mystérieux courrier, [Junius] a été pendant quelques jours le lion de Paris, lion d’autant plus séduisant qu’on ne le connaissait ni de près ni de loin. Dans les cercles comme dans les tavernes, au café Riche aussi bien qu’à la brasserie des Martyrs, on se livrait à la passion des hypothèses pour découvrir le mot de l’énigme, nous voulons dire le nom du sphinx. Rien n’a manqué à ce succès de curiosité. Le théâtre s’est emparé de ce personnage et lui a fait les honneurs de la scène. Quelques jours encore et on allait publier ses mémoires, enfin, pour couronner cette existence aussi courte que tapageuse, on voyait poindre du côté de la rue du Croissant, un petit duel qui heureusement n’a pas dépassé la préface. Les épées sont rentrées au fourreau et M. de Villemessant qui a toujours le mot pour rire a sacrifié Junius à l’envie de glisser une anecdote sur Dagobert et son chien. Ainsi finit la comédie24.
Un sondage sur Gallica et Retronews permet de voir que la mystification a contaminé non seulement Paris, mais aussi la province. On parle de Junius dans L’Indépendant de la Charente-Inférieure comme dans le Journal de Saint-Quentin et de l’Aisne. Le courrier des lecteurs du Figaro a été saturé de prétendus Junius qui réclamaient la paternité des lettres. Comme plus tard pour Fantômas, les hypothèses sur l’identité de Junius furent nombreuses, des Goncourt à Taine en passant par Veuillot, Proudhon et jusqu’à Philarète Chasles très chagrin qu’on évoquât son nom puisqu’il faisait alors ses visites pour l’Académie alors même que les Junius faisaient des immortels leurs têtes de Turc.
Dusolier publia une plaquette25 en réponse à Junius, Le Boulevard offrit de solides rebonds, La Causerie créa son propre Junius, nommé Justus ; le fou littéraire Tapon-Fougas lança son Junius infernal, ou le Junius des Junius, petites satires politiques, morales et littéraires, tandis que Lemercier de Neuville mettait à l’honneur ce Junius bifrons dans sa revue de l’année 1861 titrée Les Tourniquets26. Le destin du pseudonyme ne s’arrête pas là : on retrouve des Lettres de Junius27 dans Le Tintamarre en 1871 et des Junius dans plusieurs journaux. Ce loup a aussi été porté par Alexandre Dumas fils, il a été utilisé pendant la Commune puis par Maurice Barrès et a été emprunté par tous les partis, de la droite antisémite aux dreyfusards, et même par Rosa Luxemburg.
Les interventions de Junius fournissent un exemple type du fonctionnement viral des microformes comiques dans la petite presse. Formellement, Delvau et Duchesne usaient d’une des formes les plus anciennes et les plus rudimentaires de la presse, la lettre, propre tout autant à la causerie médiatique qu’à la fiction ou au pamphlet28. Leur succès reposait sur la déstabilisation introduite par la mystification, passée d’un jeu social et mondain prisé au XVIIIe siècle à un mécanisme d’attractivité dans la presse29. Et ce dernier était évidemment renforcé par la permanente parade comique des célébrités du moment, spectacle médiatique sollicitant fortement la complicité du public. Enfin, la réflexivité parodique de l’ensemble favorise à la fois sa rapide appropriation par le lectorat et ces multiples reprises. En conséquence, les Lettres de Junius ont contaminé tous les secteurs : la presse dans ses multiples variantes, l’espace public, la scène théâtrale, la caricature et enfin l’édition. Mais tout phénomène viral se caractérise par une intensité proportionnelle à la soudaineté de sa péremption. Hippolyte de Villemessant, ce spécialiste du puff médiatique et des « ballons roses », passa donc rapidement à autre chose et, après avoir imaginé une « Académie de l’esprit français » à laquelle s’adossaient les Dîners du Figaro, il lança un concours de chroniques ouvert à tous, dans l’espoir de découvrir quelque nouveau phénomène à offrir en pâture aux Parisiens. C’est-à-dire, bien entendu, du « sensationnel ».
Notes
1 Voir Alain Vaillant, Qu’est-ce que le romantisme?, Paris, CNRS éditions, « Libris », 2016.
2 Voir Franco Moretti, Atlas du roman européen (1800-1900), Paris, Seuil, 2000 (éd. or. 1997).
3 Voir Qu’est-ce qu’un événement littéraire?, Corinne Saminadayar (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’université Saint-Étienne, 2008.
4 Voir François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.
5 Nous résumons ici les thèses sur le rire développées dans : Alain Vaillant, La Civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016.
6 Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (1819), Auguste Burdeau (trad.), Paris, PUF, « Quadrige », 1966, p. 93.
7 Voir Henri Bergson, Le Rire, Paris, PUF, « Quadrige », 1889 [1900] ; Arthur Koestler, Le Cri d’Archimède, Paris, Calmann-Lévy, 1965.
8 Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1845), dans Œuvres de jeunesse, Claudine Gothot-Mersch et Guy Sagnes (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, p. 1043-1044.
9 Notons que de leur côté les dessinateurs brocardent les genres académiques dans leur champ propre.
10 Sur ce mot, inventé par Jacques Espagnon, voir Paul Aron (dir.), Du Pastiche, de la parodie et de quelques genres connexes, Québec, Nota Bene, 2005. En régime contraint, la parodie est un moyen de lutter contre la répétition de l’identique qui est l’écueil même de l’information. Elle s’attache moins au contenu qu’à sa représentation qu’elle cherche à déconstruire. Ces formes entrent immédiatement dans le champ générique et s’imposent dans la grammaire générale et cyclique des petits médias.
11 Sur ce point, voir le dossier « La Presse en trompe-l’œil » d’Histoires littéraires n° 90, 2022, dirigé par Paul Aron et Jean-Didier Wagneur ; et des mêmes La Presse en trompe-l’œil. Répertoire bibliographie des journaux imités, détournés et mystifiés, Le Lérot, 2022.
12 Basile de Koch à propos du groupe « jalons » — Archive INA : https://www.youtube.com/watch?v=A2LSo8cf8Bc. Archive du site sur Internet archive : https://web.archive.org/web/20010418191435/https://www.jalons.fr/
14 Auquel Thierry Chabanne a consacré une exposition au musée d’Orsay : Les Salons caricaturaux (25 octobre-20 janvier 1990), Paris, Réunion des musées nationaux, 1990.
15 Objets d’une autre forme de viralité. Les plus grands caricaturistes ont été constamment repris, on connaît la longue fortune de la poire de Philipon devenue un motif qui hante le dessin de presse jusque dans la fin-de-siècle. Au-delà de cet exemple, on s’aperçoit aussi que les caricatures les plus réussies imposent un certain nombre de traits, déformations physiques, attributs périphériques. Surgit ce que nous pouvons nommer un « double caricatural » du sujet représenté qui va induire la reprise virale de ces mêmes traits qui, associés à une silhouette, contribuent à son immédiate identification par le public (la barbe de Houssaye, Monselet en Cupidon, etc.). C’est un équivalent graphique de ce que représente le biographème dans la production biographique comique.
16 Voir Jean-Didier Wagneur, « Les Enfants des paradistes », « L’universel cabotinage », Le Magasin du XIXe siècle, n° 9, 2019, p. 95-100.
17 La série sera complétée, en 1838, par un poème satirique « Dupont et Durand, Idylle, par Mlle Félicité-Athénaïs Dupuis, filleule de M. Cotonet ». Voir : Stéphanie Tribouillard, « Musset satiriste, des Lettres de Dupuis et Cotonet à “Dupont et Durand” », dans Sophie Duval et Jean-Pierre Saïdah (dir.), « La Satire moderne », Mauvais genre, n° 27, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008.
18 Figaro, 31 octobre 1861.
19 Il est imprimé à Bâle, une traduction française a été établie en 1581. Voir Étienne Junius Brutus, Vindiciae contra tyrannos, traduction française de 1581, édition critique par Arlette Jouanna, Julien Perrin, Marguerite Soulié, André Tournon et Henri Weber, Genève, Droz, coll. « Les classiques de la pensée politique », 1979. Ce pamphlet est attribué possiblement à Philippe du Plessis-Mornay et Hubert Languet.
20 L’article a paru les 1er et 15 décembre 1851. Il a été suivi de « Encore Junius », Revue des deux mondes, 15 septembre 1868.
21 Alfred Delvau, Les Lions du jour, Dentu, 1867, p. 203-213.
22 Il reprenait aussi le principe de La Croix de Berny, roman steeple-chase (1846) une fiction rédigée par un collectif d’écrivains, voir : Marie-Ève Thérenty. « La Croix de Berny, un roman médiatique? », Bulletin de la Société de Théophile Gautier, Société Théophile Gautier, 2008, 30, p.183-199.
23 Révélé dans Le Junius, p. 38.
24 Félix Ribeyre, Le Journal des livres : revue bibliographique, 1862, p. 11.
25 À M. Junius, l’excellent jeune homme du 30 novembre (Paris, Poulet-Malassis, 1862).
26 Louis Lemercier de Neuville, Les Tourniquets, revue de l’année 1861, en 3 actes et 12 tableaux avec prologue et épilogue, revue, corrigée et augmentée de plusieurs scènes et de 4 tableaux nouveaux, illustrations d’Émile Benassit, gravure de Roch et Jacob, Paris, Poulet Malassis, 1862. Ce texte fut d’abord publié dans le Figaro du 15 décembre 1861.
27 « Tous les Parisiens savent qu’au moment des réabonnements d’octobre, les journaux politiques cubant 72 centimètres carrés affriolent les lecteurs par des Lettres de Junius quelconques. Cette petite canaillerie dont la province est encore dupe parce qu’elle croit qu’il y a derrière ce pseudonyme quelque grand d’Espagne qui va faire des révélations épatantes, nous suggère l’idée de faire comme eux. / — Donc, à partir d’aujourd’hui, nous faisons aussi des Lettres de Junius ; mais, nous avons la franchise d’avouer que le rédacteur qui se cache derrière ce pseudonyme n’est autre que l’Ernest du Tintamarre, le Ruy-Blas qui ramasse mon mouchoir. » Commerson, Le Tintamarre, 1er octobre 1871.
28 Un autre précédent : les Lettres sur les écrivains français de Van Engelgom, qui dissimulaient Jules Lecomte et parurent en volume en 1837 à Bruxelles, après avoir été insérées dans L’Indépendant.
29 À relier avec le goût des logogriphes qui y sont très représentés, mais aussi avec la passion des pseudonymes et, plus globalement, une société obsédée par la posture et l’imposture, et vécue comme un bal masqué généralisé.