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Les nouvelles aventures de Sherlock Holmes dans les presses grecque et française au début du XXe siècle

Table des matières

FILIPPOS KATSANOS

Dans l’histoire littéraire, Sherlock Holmes n’occupe pas le statut de simple personnage. Les études qui l’abordent intègrent invariablement dans leur propos le mot de « mythe » et le signalent comme étant le « dernier mythe produit par la littérature, c’est-à-dire à être né du texte, avant que les écrans hollywoodiens ne deviennent les pourvoyeurs de nos représentations mythiques1 ». C’est là une façon d’insister à la fois sur la fascination pérenne que ce personnage a exercée auprès du public et sur les innombrables réécritures qu’il a suscitées. D’insister sur le fait, en d'autres termes, que Sherlock Holmes ne dépend pas des seuls textes de Conan Doyle, mais qu’il relève d’un imaginaire construit collectivement par des lecteurs et des journalistes produisant une somme paratextuelle considérable sur le personnage, par des acteurs l’incarnant sur la scène partout dans le monde, par des auteurs imaginant la suite de ses aventures.

Diverses anecdotes célèbres exemplifient cette indépendance du personnage qui échappe non seulement à son créateur, mais dépasse également les frontières de la fiction pour se parer d’une aura de réalité : le public lui envoie des lettres à son domicile au 221B Baker Street pour lui demander son aide ; les journaux publient des interviews de lui, des articles signés de son nom ou même des nécrologies quand Conan Doyle décide de le faire mourir, en décembre 1893, avant de se raviser devant l’émoi d’un public en deuil. Cette confusion entre fiction et réalité n’est certes pas la preuve d’un public crédule prompt à céder à l’illusion référentielle. Les lecteurs de Doyle savent bien qu’ils ont affaire à un personnage de fiction, mais acceptent de s’adonner consciemment à un jeu programmé par le texte lui-même et conforté par la culture médiatique de leur époque. Partant de ce constat, cette étude vise à montrer que le destin de la fiction de Conan Doyle témoigne de l’exacerbation de tous les bouleversements socioculturels à l’œuvre en Europe, dès la première moitié du XIXe siècle. Si le succès international des Mystères de Paris dans les années 1840 marquait les débuts d’interactions très fortes entre presse et littérature, celui du célèbre détective inaugure, d’une certaine façon, la modernité médiatique telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux origines britanniques du succès de Sherlock Holmes qui ne sont pas tant à chercher dans les textes écrits par Doyle que dans le contexte de leur publication, dans leur relation avec la presse en général. Par la suite, il s’agira d’élargir l’enquête en prenant en considération d’autres aires géographiques pour y mesurer l’impact du succès de Sherlock à travers deux exemples du début du XXe siècle qui fonctionnent en miroir et illustrent parfaitement le caractère médiatique du phénomène : dans la presse française, Sherlock quitte les colonnes du feuilleton pour devenir journaliste d’affaires criminelles tandis que dans la presse grecque, il fait son apparition dans une nouvelle fiction rocambolesque cristallisant tous les discours médiatiques sur les tensions géopolitiques dans les Balkans.

La matrice médiatique de Sherlock Holmes

En montrant que l’œuvre de Conan Doyle a procédé à la formalisation des règles du roman policier, la recherche a souvent eu tendance à marquer ses différences par rapport à ses prédécesseurs que ce soit le « roman judiciaire » ou son plus lointain ancêtre que les contemporains désignaient sous l’expression de « roman criminel ». Dans ce dernier, nul récit d’enquête, mais une omniprésence du crime permettant de déclencher une exploration sensationnaliste du monde social dans un cadre narratif relevant du roman d’aventures2. Si les écarts d’ordre poétique sont certes conséquents, on aurait cependant plutôt intérêt à considérer l’histoire de ces genres dans leur continuité puisqu’ils sont tous à la fois les fruits et les témoins d’évolutions socioculturelles conjointes : le développement rapide de la presse, l’élargissement progressif des lectorats, l’instauration de nouvelles attentes du fait de ce public élargi, l’hégémonie du crime en tant que répertoire thématique dans les discours sociaux.

Si l’on fait abstraction des questions d’ordre formel, une comparaison entre le premier succès mondial du roman criminel Les Mystères de Paris d’Eugène Sue dans les années 1840 et celui des aventures de Sherlock Holmes survenu à plus d’un demi-siècle d’écart met à jour un certain nombre de ressemblances. L’effet de télescopage entre univers fictionnel et univers référentiel n’est guère, par exemple, une nouveauté. La critique a montré que, dès les années 1830, le monde de l’écrit abandonnait le paradigme argumentatif se situant au cœur de son fonctionnement depuis l’Antiquité pour le remplacer par un autre, d’ordre « représentationnel ». La priorité affichée des discours n’était plus tant de convaincre un public par tel ou tel artifice rhétorique, mais de lui représenter le réel, de servir d’intermédiaire entre lui et le monde : l’enjeu principal de tout discours en général, journalistique ou non, devenait donc « médiatique3 ».

Le succès des Mystères de Paris en est le premier témoin le plus exemplaire. À partir de l'histoire d'un prince déguisé en ouvrier arpentant les bas-fonds de la capitale, Eugène Sue avait mis devant les yeux de ses lecteurs des représentations saisissantes des classes populaires tout en relayant les conclusions de diverses enquêtes sociales contemporaines : c'est la pauvreté et la misère qui contraignent le peuple au crime. Ce « sensationnalisme cognitif », combinaison habile entre procédés faisant appel à l’affect des lecteurs et volonté affichée de proposer un gain de connaissance sur le monde, devenait donc en quelque sorte le nouveau canon d’écriture4. Bien qu’il existe des désaccords universitaires5 sur la composition exacte des lectorats de Sue et sur le rôle qu’ils ont joué dans l’évolution de la fiction pendant sa publication en feuilleton, la pratique de la lettre à l'écrivain confirme cet aspect proprement médiatique de l'œuvre. Le peuple qui, au départ, n’était pas le destinataire privilégié d’une fiction publiée dans le feuilleton d’un journal bourgeois à abonnement annuel coûteux écrivait à Sue pour le remercier d'avoir raconté fidèlement ses malheurs tandis que les bourgeois le félicitaient pour les vertus philanthropiques de son roman ; alors que le roman était encore en cours de publication, les uns et les autres proposaient même à l’écrivain des idées pour écrire la suite.

Émergence d’un lectorat de masse indifférencié, télescopage entre univers fictionnel et référentiel, volonté de participation du public à l’élaboration d’une œuvre : tous ses paramètres ont fait leur apparition de façon spontanée au temps d’Eugène Sue. Au temps de Conan Doyle, ils sont au contraire d’emblée intégrés dans les stratégies des divers acteurs qui font la promotion de l’œuvre.

Certes du point de vue des connaissances à transmettre aux lecteurs la divergence des deux œuvres est frappante. Sue n’hésitait pas à interrompre ou à annoter abondamment par des notes de bas de page sa fiction afin de l’asseoir comme une représentation pertinente et juste du réel : cela donnait à son roman l’allure d’un reportage dans lequel l’auteur décrivait, tout en le commentant, le monde contemporain. Ce dispositif énonciatif se doublait d’une visée encyclopédique dont héritent, par la suite, les romanciers réalistes : celle qui consistait à vouloir réunir en une seule œuvre un panorama, l’ensemble de connaissances sur le monde social6. Rien de plus étranger à la fiction de Doyle qui se désintéresse de tout questionnement d’ordre sociologique pour ne s’en tenir qu’à tout élément utile pour faire avancer l’enquête. Quant au personnage de Sherlock Holmes, il illustre parfaitement le refus, par principe, de toute volonté d’accumulation d’un savoir encyclopédique : « Croyez-le bien, il vient un temps où pour chaque chose nouvelle que vous apprenez, vous en oubliez une que vous saviez précédemment. Il est donc de toute importance de ne pas emmagasiner un bagage inutile qui vienne gêner celui qui doit réellement vous servir7 », avertissait-il Watson qui s’étonnait de l’ignorance du personnage dans plusieurs domaines capitaux.

Si les succès de Sue comme de Doyle partagent donc le sensationnalisme inhérent au traitement de toute thématique criminelle, ils semblent diverger radicalement quant aux connaissances à offrir aux lecteurs. « Les mémoires de Sherlock Holmes c’est-à-dire tous ces petits livres qui les contiennent ont été publiés dans toutes les langues du monde non pour satisfaire la curiosité, mais pour leur utilité, parce que celui qui les lit apprend à réfléchir, et à agir de lui-même en conséquence comme vous l’apprennent vos maîtres d'école8 », voit-on écrit dans les colonnes d’une revue grecque pour la jeunesse. La célèbre méthode d’enquête de Sherlock Holmes serait donc le principal apport en savoirs des œuvres de Doyle, chose qui peut paraître dérisoire, mais qui est confirmée par de nombreux témoignages qui s’indignent des imitateurs du grand détective comme nous le verrons plus loin. Cet apport qu’on pourrait qualifier de « méthodologique » ne suffit certainement pas pour qualifier l’œuvre de Conan Doyle de « médiatique ». Elle l’est d’autant moins que Doyle, contrairement à Sue, refuse de mimer l’écriture journalistique en adoptant la posture d’un reporter en immersion. Dans ses œuvres il fait même le choix de disparaître face à ses personnages au profit d’un autre dispositif énonciatif, plus romanesque : c’est le docteur Watson qui assume la narration de l’enquête et c’est à travers ses yeux ébahis que le lecteur suit les aventures du célèbre détective.

Le caractère médiatique du texte de Doyle viendrait donc d’abord, de façon superficielle, du choix délibéré de l’auteur non pas d’imiter le discours journalistique en faisant semblant de proposer à ses lecteurs un reportage d’immersion, mais par son choix de procéder à une mise en scène permanente, au sein de la fiction, du monde de la presse, de ses discours et de son fonctionnement. La mention massive de titres de journaux réels (The Daily News, The Daily Telegraph, The Evening Standard, The Echo, The Times etc.), la citation de coupures de presse, la mise en scène de moments de lecture du journal donnent au lecteur l’illusion qu’il partage un même univers référentiel avec son personnage de prédilection.

Sherlock Holmes lui-même se construit d’ailleurs en grande partie dans le rapport qu’il entretient aux journaux. La presse est d’abord pour lui un moyen de connaissance. Personnage emblématique de la nouvelle hégémonie des faits divers, il avoue ouvertement ne s’intéresser qu’à eux9 et on sait aussi qu’il alimente quotidiennement ses propres archives avec des coupures de la presse londonienne10. Sa connaissance de nombreux faits divers qu’il cite abondamment lui vaut même le sobriquet de « répertoire vivant de tous les crimes » et des encouragements moqueurs à fonder son propre journal des Nouvelles annales judiciaires du temps passé11. Dans de nombreuses intrigues, c’est aussi la presse qui lui permet également d’agir puisque, selon lui, elle est « un instrument remarquable quand on sait s’en servir12 ». Dans deux d’entre elles, il n’hésite d’ailleurs pas à dévoyer les journaux de leur vocation première en les manipulant pour arriver à ses fins : il y fait annoncer mensongèrement sa propre mort13.

Cependant, pour mieux comprendre les raisons de l’engouement du public pour le personnage de Sherlock Holmes, il est indispensable de ne pas s’en tenir à la seule analyse du monde fictionnel imaginé par Doyle. La recherche anglo-saxonne de cette dernière décennie a mis en lumière ce que le phénomène Holmes devait à la presse et notamment à George Newnes, propriétaire de The Strand Magazine dans lequel la majorité des aventures du célèbre détective ont été publiées, à partir de 1891. Celui-ci, comme tout patron de presse, n’a pas seulement incité Doyle à arrimer les aventures de son personnage aux divers contenus de son périodique, y compris publicitaires. Représentant du Nouveau journalisme britannique, Newnes a aussi privilégié dans ses publications les textes ouverts qui s’enrichissent au fur et à mesure des publications selon les réactions des lecteurs. Dans le cas de Holmes, s’il réservait le mensuel The Strand Magazine à la publication des textes canoniques écrits par Conan Doyle, il se servait, dès 1891, d’un autre périodique, Tit-Bits, pour donner à l’univers du détective l’allure d’une fiction participative qui dépassait largement le contrôle de son auteur : on y tenait une rubrique de courrier des lecteurs dans laquelle on pouvait poser toutes sortes de questions concernant Sherlock et où l’on évitait soigneusement d’affirmer qu’il n’existait pas ; on organisait des concours de connaissance concernant l’univers du détective, ainsi que des concours d’écriture dans lesquels les lecteurs étaient invités à proposer des pastiches des œuvres de Doyle14.

Sherlock Holmes est donc un personnage médiatique non seulement parce que son univers fictionnel se construit sur la présence massive des journaux, mais également parce que son mythe est entretenu par les interactions qui s’établissent entre son support de publication et ses lecteurs. Or, à partir du moment où l’univers de Sherlock Holmes est présenté d’emblée aux lecteurs comme radicalement ouvert à toutes sortes de manipulations et d’expansions, cela n’a donc rien d’étonnant de constater le nombre impressionnant de transfictions15 dont il a fait l’objet.

Un personnage populaire dans la presse française

En France, les romans de Conan Doyle commencent à être traduits dans la presse dès 1894,16 mais l’engouement généralisé pour le personnage de Sherlock Holmes se manifeste plus tardivement, notamment à partir de l’année 1908 à cause de l’immense succès que connaît l’adaptation de ses aventures au théâtre17 : « Depuis l'année dernière Sherlock Holmes produit dans le monde entier le chiffre considérable de 16 000 représentations, et le succès augmente de jour en jour. Sherlock Holmes est devenu le personnage populaire, et ce nom est cité chaque jour dans les journaux quand il y a un problème de policier à résoudre18 », lit-on dans une chronique théâtrale.

Représentation de différents personnages de la pièce Sherlock Holmes

Fig. 1 : Firmin Gémier dans le rôle de Sherlock Holmes et Yvonne de Bray dans le rôle d’Alice Brent dans la pièce Sherlock Holmes adaptée en français par Pierre Decourcelle, dessin d’Yves Marevéry, 1907. Source : Gallica, BnF.

En effet, le nom de Sherlock Holmes se retrouve alors partout dans la presse pendant au moins une décennie. Il vient enrichir le vocabulaire journalistique et sert de comparaison valorisante ou d’antonomase pour toute personne s’impliquant dans la résolution d’affaires criminelles. Un journaliste du Daily Mail parvient « comme Sherlock Holmes » à résoudre une affaire d’enlèvement dans un quartier du nord-ouest de Londres sous les acclamations de la foule19. Dans une célèbre affaire de vol d’un collier destiné à un mariage princier pendant l’été 1913, c’est un représentant de l’assureur qui devient le « nouveau Sherlock Holmes20 » pour avoir tendu le piège qui a permis d’arrêter les coupables. La mention du célèbre détective souvent dans la locution prépositionnelle « à la Sherlock Holmes » sert également, dans le langage médiatique, à l’expression du haut degré. C’est en arrimant l’actualité à l’intertexte romanesque que les journalistes soulignent le caractère sensationnel de certaines affaires criminelles. « Un mystère à la Sherlock Holmes », titre un journal en une pour évoquer une noyade à Neuilly sur laquelle plane un soupçon de meurtre en vue de récupérer les fonds d’une assurance vie. Un fait divers racontant la découverte d’un cadavre dépecé dans une malle en gare de Marseille renchérit sur le mystère du crime en précisant que les questions qu’il pose seraient « dignes de passionner l’imaginaire policier Sherlock Holmès [sic]21 ». Un autre journaliste relatant « un vol mystérieux dans une bijouterie » parisienne conclut son récit de la façon suivante : « C’est à croire que notre magasin a été cambriolé par des fantômes. Quel dommage que Sherlock Holmes ne soit qu’un héros de roman22 ! ».

Mais les colonnes informatives et particulièrement les faits divers ne sont pas les seules à témoigner du succès du personnage de Conan Doyle. Celui-ci fait même irruption dans les fictions feuilletonesques où des personnages s’extasient à la lecture de ses aventures, tel le juge d’instruction d’un feuilleton d’Albert Boissière : « J’ai passé la nuit blanche à le dévorer votre Sherlock Holmes et ce Conan Doyle est un rude lapin23 ! », s’exclame-t-il en agitant un gros livre devant les yeux du narrateur, tandis qu’un autre personnage de jeune acteur, dans un feuilleton d’Henri Keroul, aurait joué « depuis si longtemps Sherlock Holmès […] qu’instinctivement le sens policier lui était venu en se développant24 ». On retrouve encore Sherlock Holmes jusqu’aux réclames où il met son intelligence au service de tel ou tel produit miraculeux. Apostrophant les lecteurs du journal, il tire, par exemple, des conclusions sur leur santé grâce à l’observation d’infimes détails : « vous exhalez même à distance une délicieuse odeur balsamique de goudron. J’en conclus que vous sucez les Pastilles Géraudel et que, par conséquent, vous êtes à l’abri de toutes les maladies respiratoires, rhumes, bronchites, etc.25 ».

Toutefois, le nom de Sherlock Holmes n’est pas uniquement attaché à des processus de sensationnalisation de l’information ou d’héroïsation des différents acteurs qui y interviennent. Il est également la cible d’articles critiques réveillant un ancien débat, hérité du XIXe siècle, celui de l’influence néfaste de la fiction sur la réalité : « Depuis les Sherlock Holmes, les Raffles, les Lupin et toute la postérité de Gaboriau, l’imagination des magistrats, des policiers et du public s’enthousiasme aussi facilement que l’imagination des filous26 », déplore un journaliste du Figaro. D’autres journaux citent les exploits d’imitateurs de Holmes parmi lesquels on ne trouve pas seulement d’apprentis policiers. Un valet de chambre coupable d’un vol dans un hôtel particulier parisien passait aux aveux de la façon suivante : « Ce qui m’a perdu, dit-il, c’est la lecture de Conan Doyle ! Les ruses de Sherlock Holmes, l’habileté du professeur Moriarty m’ont donné l’envie de les imiter. J’ai voulu commettre un vol, mais un vol scientifique, un vol d’artiste27 ! ». Mais les critiques les plus radicales viennent surtout de la police elle-même et des journalistes, les professions qui auraient le plus pâti du retentissant succès du détective britannique. « Tout cela, c’est du Sherlock Holmes ! Ce cynique personnage, ce malin déductif, ce flaireur pour romans policiers, est, il faut bien le dire une fois, le plus grand criminel du siècle. Son exemple a tout pourri. Avant lui, on trouvait encore quelques bandits. Depuis qu’elles ont sévi, les méthodes de ce nez creux hantent les agents et le public, et les assassins prennent l’air28 », s’inquiète un ancien inspecteur de sûreté. Un autre s’indigne de ce que toute la France ne s’endorme pas « sans avoir lu cent pages de Sherlock Holmes », une lecture qui susciterait des attentes grotesques de la part du public qui s’attend désormais à ce que, dès qu’ils arrivent sur une scène de crime, les inspecteurs de police, en suivant l’exemple du détective britannique, se mettent « à plat ventre sur le plancher29 » afin de découvrir le détail crucial qui permettrait d’identifier le coupable. Quant aux journalistes, ils déplorent souvent cette nouvelle « presse à la Sherlock-Holmes » qui n’arrête pas de « chausser les mocassins de la police de sûreté » et de « dramatiser à outrance à coups d’interviews, d’instantanés, de reportages intensifs les crimes du jour30 », ce qui aurait souvent des conséquences désastreuses sur le bon déroulement des enquêtes.

Le succès de Sherlock Holmes se confirme également par sa présence massive dans la presse satirique et, plus généralement, dans des articles humoristiques parodiant sa célèbre « science de la déduction » que le docteur Watson avait lui-même d’ailleurs sévèrement jugée quand il avait eu l’occasion de la trouver exposée dans une revue :

« Son titre Le Livre de la vie me parut quelque peu prétentieux. L’auteur cherchait à faire ressortir tout le profit qu’un homme vraiment observateur pouvait retirer des événements quotidiens en les passant soigneusement au crible d’un examen judicieux et méthodique. Ce qu’il disait à ce propos me parut un mélange extraordinaire de subtilité et de niaiserie ; quelque serré qu’en fût le raisonnement, les déductions étaient tellement tirées par les cheveux qu’elles semblaient tomber complètement dans le domaine de l’exagération. L’expression surprise un instant sur un visage, la contraction d’un muscle, le clignement d’un œil, suffisaient, prétendait l’auteur, à révéler les pensées les plus secrètes d’un individu31 ».

Or la déferlante d’articles humoristiques présente souvent un Sherlock Holmes fidèle à sa méthode : fin observateur, raisonneur rigoureux à ceci près que sa conclusion est toujours aussi fausse qu’absurde. Ainsi, dans un récit humoristique misogyne, le journaliste sortant « des bras de Mme Sherlock Holmes32 » tombe nez à nez avec son mari dans la rue ; tandis que celui-ci, à partir de divers détails, lui prouve infailliblement qu’il sort d’un rendez-vous avec une femme, le journaliste se met à trembler et s’attend au pire, la main sur son revolver ; heureusement, il finit par sortir le champagne quand le fin limier de Baker Street lui livre sa conclusion selon laquelle il serait l’amant de sa femme de chambre.

Sherlock Holmes et le crime de l’impasse Ronsin

Parmi tous ces discours parodiques, les cas les plus intéressants sont ceux dans lesquels le grand détective n’occupe pas seulement le statut d’un personnage de farce, mais se recouvre d’une dimension de réalité. Naturellement, cela n’a rien de novateur en soi : Sherlock, dès 1892, avait déjà donné des interviews dans la presse comme celle parue dans le National Observer britannique dans laquelle il se retournait contre son créateur en épinglant sa vénalité33. En France, l’année 1908 est particulièrement propice à ce genre de pratiques médiatiques ludiques en particulier parce que le public se passionne, de façon concomitante, à la fois pour Sherlock Holmes en raison de la pièce qui raconte ses aventures au théâtre Antoine, et pour un fait divers retentissant : l’affaire des étrangleurs de la rue Vaugirard qui fait irruption dans la presse le 1er juin 1908. Le public découvre alors qu’un hôtel particulier près de la rue Vaugirard a été la scène d’un double meurtre : une femme, Marguerite Steinheil, est retrouvée ligotée sur les lieux du crime ; les deux malheureuses victimes sont sa mère et son mari, le peintre Adolphe Steinheil. Pleine de rebondissements et ne trouvant aucune véritable résolution malgré l’apport de méthodes novatrices de la police scientifique dirigée par Alphonse Bertillon, « l’affaire Steinheil » préoccupe l’opinion pendant plus de deux ans, la presse lui consacrant quotidiennement de très nombreux articles. Il n’est pas alors étonnant de voir que le personnage de Sherlock hante ses pages du début à la fin, en particulier dans les colonnes de quotidiens sensationnalistes à grand tirage comme Le Matin ou Le Petit Journal. Ces deux journaux publient en une, à la place habituellement réservée aux informations principales, des articles dans lesquels Sherlock occupe la place d’auteur de l’article ou d’interviewé.

Une du Petit Journal qui présente l'article "Les Etrangleurs de Vaugirard"

Fig. 2 : Le Petit Journal, 3 juin 1908, p. 1. Source : Gallica, BnF.

Le Petit Journal est le premier à s’adonner à ce type de « transfiction » proprement médiatique puisqu’il transforme Sherlock Holmes en journaliste en lui faisant signer le premier article qui ouvre la longue rubrique « Les étrangleurs de Vaugirard34 ». Dans Le Matin, le journaliste se rend à la sortie du spectacle Sherlock Holmes au théâtre Antoine dans le but d’interviewer le personnage à propos de l’affaire Steinheil35. Naturellement, les lecteurs ne sont pas dupes du procédé et le seul nom de Sherlock Holmes suffit amplement pour leur signaler le caractère fictionnel de leur lecture. Toutefois, leur place dans le journal signale assez clairement que ces deux articles ont un autre rôle à jouer que celle de simples parodies de la fiction de Conan Doyle. Comme dans les autres exemples cités, leur cible est, mais seulement en partie comme nous le verrons, la forme que prend le « paradigme indiciaire36 » dans les textes de Doyle : on y voit Sherlock faire des inférences, plus ou moins absurdes, à partir d’indices trouvés sur le lieu du crime. À ceci près que si le personnage est fictionnel, les indices évoqués sont eux bien réels et font bien partie de l’enquête en cours.

Dans Le Petit Journal l’article signé par Sherlock fonctionne dans un réseau intertextuel complexe interne au journal. Si Sherlock a eu connaissance de cette affaire, c’est d’abord parce qu’il a voulu rendre visite à son ami Roussignac, personnage de policier d’un feuilleton commencé à être publié le 3 octobre 1907 dans Le Petit Journal : c’est donc une fiction du journal qui invite l’univers du détective britannique dans ses pages37. Ensuite, il faut également considérer que l’article de Sherlock prend le relais d’un autre long article publié la veille dans lequel les journalistes détaillaient le déroulement de l’enquête et les récits des témoins (notamment de Mme Steinheil, seule survivante) tout en recueillant l’avis sur l’affaire d’un « vieux limier » de la Sûreté devenu également auteur de romans policiers38. L’article de Sherlock apparaît en premier dans la colonne consacrée à l’affaire, suivi par un bref article sur les avancées de l’enquête puis d’une reconstitution par le journaliste de la façon dont s’est déroulée la nuit du crime.

Bien que parodique, l’article du détective britannique a bien dans un premier temps une utilité informative puisqu’il occupe une fonction mémorielle. Le raisonnement de Sherlock remet à l’esprit des lecteurs ce qu’ils sont déjà censés savoir en reprenant la majorité des informations livrées par le journal la veille, notamment celles contenues dans le témoignage de Mme Steinheil concernant l’apparence des criminels (trois hommes barbus habillés en popes et une rouquine), leurs discours et leurs actes. Cependant en plus de résumer les discours médiatiques passés, cette incursion de la fiction dans l’actualité a également une fonction de commentaire et contient en germe les positionnements futurs des médias. Dans son article, Sherlock commence par affirmer sa foi à l’égard du récit de la survivante et rappelle son principal objectif : montrer l’« habileté suprême » des cambrioleurs qui par leurs agissements « ont voulu jeter une ombre d’invraisemblance sur le récit véridique de Mme Steinheil ». L’article passe alors en revue toutes les incohérences de cette nuit de crime : l’apparence improbable des criminels, leur refus d’agir en « parfaits cambrioleurs », leur décision absurde d’épargner Mme Steinheil après avoir déjà commis deux meurtres, etc. Sherlock a beau conclure en disant une seconde fois qu’il a absolument confiance en la bonne foi de Mme Steinheil, c’est l’absurdité du témoignage de celle-ci qu’il vient d’établir en provoquant le rire du public. La cible de la parodie n’est donc pas tant la fiction de Conan Doyle que l’actualité, le témoignage de la victime. Elle laisse apparaître en creux ce que le journal ne dit pas clairement encore : la suspicion montante à l’égard de Mme Steinheil qui devient par la suite la principale accusée.

Une du Petit Journal qui présente l'article "Un assassinat expliqué par un détective".

Fig. 3 : Le Matin, 15 juin 1908, p. 1. Source : Gallica, BnF.

Dans Le Matin, Sherlock Holmes apparaît plus tardivement et son apparition est encore une fois savamment orchestrée. Gustave Téry, le journaliste qui interviewe le célèbre détective n’est pas à son premier article à propos de l’affaire. Deux jours avant l’interview, il publie un autre article dans Le Matin dans lequel il s’inquiète d’avoir contracté une « nouvelle maladie qui commence à devenir dangereuse » : le « sherlockholmisme39 ». Il se serait retrouvé à rôder autour des lieux du crime afin de guetter des indices et faire des « inductions », avant de constater avec plaisir que ses « hypothèses d’amateur » s’accordaient avec les résultats des premières enquêtes. L’article se conclut par de nouvelles interrogations et par l’apostrophe « À toi Sherlock Holmes ! ».

Deux jours plus tard, le célèbre détective poursuit l’enquête dans l’interview imaginée par le journaliste. À partir des éléments dont il dispose dans la presse (et ici on retrouve la fonction mémorielle de la parodie comme avant), Sherlock Holmes tire des conclusions et se livre à une reconstitution détaillée de la nuit du crime. Cette fois-ci ce n’est pas le témoignage de Mme Steinheil qui est la cible de la parodie et tous les éléments de l'enquête, y compris son témoignage sont pris en compte et font l’objet de conjectures de la part du détective. Son hypothèse finale est même que nous aurions affaire, dans ce crime, à des cambrioleurs qui improvisent tout le temps puisqu’ils ne s’attendaient pas à trouver la maison occupée cette nuit-là, et c’est ce qui expliquerait le manque de cohérence de leurs agissements. Toujours est-il que cet article n’est qu’une démonstration et en même temps une critique de ce que le journaliste épinglait dans son dernier article : le « sherlockholmisme », cette nouvelle maladie qui contamine toute la presse et qui consiste à chercher des indices pour ensuite s’adonner à des hypothèses plus ou moins pertinentes et utiles. Au fil de l’article, la formulation d'hypothèses par Sherlock se transforme rapidement en une écriture proprement littéraire. Les différentes phases du crime se transforment en « actes » d’une pièce de théâtre dans laquelle le détective distribue les rôles et attribue même des noms aux différents personnages. On y voit également tout un chapitre de cette affaire écrit littéralement « avec de l’encre » : le flacon d’encre brisé, objet hautement symbolique, mais qui est aussi un véritable élément dans l'enquête, fournit des traces qui feront l’objet de diverses inductions. Sherlock, double du journaliste, croit à partir de moindres traces d’encre suivre les personnages de ce drame « à la piste » et noircit les pages du journal en conséquence. Mais il ne s'agit, in fine, que d’un jeu d’imagination vain, car comme conclut l'article, l'essentiel demeure : « trouver les assassins40 ».

Dans un cas comme dans l’autre, le personnage de Sherlock Holmes sert donc non seulement à construire un résumé ludique des avancées de l'enquête, mais aussi, d’une certaine façon, à marquer l’emprise de la fiction : dans Le Petit Journal, il met en exergue les affabulations d’un témoin suspect tandis que dans Le Matin, il pointe un langage médiatique s'écartant de plus en plus des faits pour se parer de tous les attraits d’une fiction.

Les guerres balkaniques dans la presse grecque

Comme en France, les noms de Conan Doyle et de son célèbre détective se glissent dans les pages des journaux grecs dès la dernière décennie du XIXe siècle. Mais l’engouement d’un public élargi et la traduction massive du corpus n’interviennent, de la même façon, qu’au début du siècle suivant. Ainsi en 1913 la revue jeunesse Παιδικός Αστήρ faisait la réclame des aventures de Sherlock Holmes en insistant à la fois sur leur utilité et sur l’autorité incontestée de Conan Doyle qui lui aurait permis d’intervenir de façon décisive dans les crimes les plus mystérieux de l’actualité : « Souvenez-vous de l’été dernier quand tous les journaux évoquaient une certaine Mme Steinheil accusée d’avoir assassiné son mari et sa mère ? Vous souvenez-vous d’elle ? La justice française avait alors demandé l’avis de Conan Doyle : tout ce que celui-ci a dit lors de l’arrestation de Mme Steinheil s’est avéré exact lors de son procès41 ».

Cette fois-ci, il ne s’agit pas de s’intéresser aux apparitions de Sherlock Holmes dans les actualités du journal afin de déterminer les usages qui sont faits d’un intertexte feuilletonesque. Il s’agit, au contraire, d’étudier le processus inverse, de saisir la façon dont l’actualité alimente l’écriture d’un nouveau feuilleton dont le célèbre détective est le protagoniste.

Publié de façon anonyme, Ο Σέρλοκ Χόλμς σώζων τον κ. Βενιζέλον [Sherlock Holmes au secours de M. Venizélos] commence à être feuilletonisé dans la revue bihebdomadaire Ελλάς à partir du 19 décembre 1913. Il ne s’agit pas de la première apparition de Sherlock dans ses pages puisque Ελλάς, comme la majorité des périodiques en cette première décennie du siècle, a déjà publié plusieurs traductions de l’œuvre de Conan Doyle : The Adventure of the Greek Interpreter est, par exemple, publié à partir du 9 décembre 1907 tandis que The Adventure of Black Peter l’est, à partir du 11 avril 1913, sous un autre titre, Ο Πλοίαρχος Κάρεϋ. Il est à noter que cette effervescence éditoriale concernant les aventures de Sherlock Holmes touche non seulement la presse, mais également la librairie : en 1913, le prolifique libraire athénien Dimitris Dimitrakos publiait, au rythme hebdomadaire, des éditions illustrées des aventures de Sherlock, à commencer par The Five Orange Pips traduite sous le titre K.K.K., une source d’inspiration, comme nous le verrons, pour l’auteur anonyme de Ο Σέρλοκ Χόλμς σώζων τον κ. Βενιζέλον. Toutefois, si l’intertexte de Doyle joue un rôle fondamental dans l’écriture de cette nouvelle aventure, c’est avant tout l’actualité géopolitique très chargée de l’année qui en constitue le matériau essentiel.

Extrait du Ελλάς qui présente le feuilleton Ο Σέρλοκ Χόλμς σώζων τον κ. Βενιζέλον

Fig. 4 : Ελλάς, 19 décembre 1913, p. 3. Source : Βιβλιοθήκη της Βουλής των Ελλήνων.

Feuilletonisée à la fin de l’année 1913, cette nouvelle aventure de Sherlock Holmes n’entre pas en dialogue avec un quelconque fait divers comme ce fut le cas en France. Il s’agit au contraire d’un roman d’actualité qui se nourrit d’un ensemble d’événements ayant préoccupé l’opinion publique grecque et concernant la géopolitique des Balkans42.

Lors de la première guerre balkanique qui éclate en octobre 1912, la Grèce combat avec ses alliés, dont la Bulgarie, au sein de la Ligue balkanique pour libérer les territoires européens occupés par l’Empire ottoman. Cette guerre victorieuse pour la Ligue se solde en mai 1913 par la signature du traité de Londres qui marque la perte des territoires ottomans en Europe répartis entre les différents alliés. Or cette nouvelle répartition frustre les ambitions territoriales de la Bulgarie qui ne parvient pas à s’accorder avec la Grèce concernant la Macédoine du Sud et, notamment, la ville de Thessalonique. L’ancien allié commence ainsi à se transformer en nouvel ennemi. Cette montée des tensions entre la Grèce et la Bulgarie est déjà visible dans la presse bien avant que la deuxième guerre balkanique n’éclate ouvertement.

Avant même la signature du traité de Londres marquant la fin de la première guerre balkanique, les discours médiatiques grecs déploient progressivement une rhétorique anti-bulgare de plus en plus affirmée. En effet, la Bulgarie n’est plus présentée comme une alliée, mais désormais comme faisant partie du camp des « barbares » aux côtés de l’Empire ottoman43 : articles et caricatures représentent les Bulgares comme des monstres sanguinaires qui n’auraient pas leur place dans l’Europe civilisée et dont la politique expansionniste et la violence ne connaissent aucune limite. Ce ressentiment qui se renforce au fil du temps est tellement fort que la moindre calamité nationale est aussitôt attribuée à la main bulgare. Ainsi lors de l’assassinat de Georges Ier de Grèce le 5 mars 1913, des rumeurs courent selon lesquelles il s’agirait d’un assassinat commandité par l’étranger et notamment par les Bulgares : pour éviter les émeutes, le gouvernement proclame même le couvre-feu à Salonique et renforce la sécurité autour de l’ambassade bulgare44. Vers la fin du mois de juin 1913, cette campagne de presse virulente transforme même le nom propre de « Bulgare » en la pire injure qu’on puisse attribuer à un Grec45.

Une du Ακρόπολις qui présente une caricature d'un ours qui contient une partie de la Grèce.

Fig. 5 : Une du quotidien Ακρόπολις du 10 mai 1913. On y distingue une caricature représentant l’« ours bulgare » dévorant le nord de la Grèce. Source : Βιβλιοθήκη της Βουλής των Ελλήνων.

Sherlock Holmes, protecteur de la Grèce

Quatre mois après le traité de paix de Bucarest qui met fin à la deuxième guerre balkanique le feuilleton Ο Σέρλοκ Χόλμς σώζων τον κ. Βενιζέλον rejoue toutes ces peurs récentes et ce ressentiment des populations grecques face à la menace bulgare dans le domaine de la fiction. Le temps de la diégèse du roman se situe vers la fin de la période couverte par les textes canoniques de Doyle qui s’étend de 1874 à 191446. L’histoire s’ouvre en pleine première guerre balkanique, en 1912, « quand Grecs et Bulgares sont amis et alliés47 » contre l’Empire ottoman comme le fait remarquer Watson, et plus précisément au mois de décembre quand le premier ministre grec Éleuthère Venizélos se rend à Londres pour participer aux négociations de paix entre belligérants. C’est à ce moment-là, près de six mois avant que la deuxième guerre balkanique n’éclate ouvertement, que, grâce à un billet doux destiné à une certaine Miss Mary et signé « K.K.K. », Sherlock Holmes commence à soupçonner une conspiration bulgare pour assassiner le premier ministre grec dont l’action est appelée à être décisive dans la victoire de la Grèce dans les conflits à venir.

Illustation du ministre Éleuthère Venizélos, homme avec un crâne dégarni, une barbe et des cheveux blancs et des petites lunettes rondes

Fig. 6 : « Éleuthère Venizélos, le grand patriote grec », Le Petit Journal : supplément illustré, 29 octobre 1916. Source : BnF, Gallica.

Dans l’écriture de la société secrète « K.K.K. » qui constitue, dans ce roman, le principal antagoniste du célèbre détective, l’auteur puise son inspiration dans une autre aventure de Sherlock Holmes intitulée Les Cinq Pépins d’Orange, publiée en 1891. L’auteur grec adapte même librement une partie du dialogue imaginé par Conan Doyle dans lequel Sherlock explique à Watson ce qu’est cette société secrète à laquelle ils se trouvent confrontés :

« “K.K.K.” est le symbole de la grande organisation criminelle “Ku Klux Klan”. L’action secrète de cette organisation est terrifiante. Son nom tire son origine de sa frappante ressemblance avec le son d’une carabine qu’on arme. Cette terrible société secrète a été fondée en Amérique. Elle eut bientôt des ramifications à Londres, dans les Carolines, en Floride et à Naples, en Italie. Elle s’adonne surtout à des assassinats d’hommes politiques et, en deuxième lieu, à des cambriolages48 ».

Pour adapter l’original de Doyle au contexte des guerres balkaniques, l’auteur grec a supprimé toutes les références à la guerre civile américaine et notamment au fait que les activités du Ku Klux Klan étaient racistes et visaient les populations noires. Au fil d’aventures rocambolesques dont un saut au parachute depuis une chambre d’hôtel, Sherlock découvre que l’organisation est aux mains des Bulgares tout en faisant obstacle à deux tentatives d’assassinat du premier ministre grec.

Les représentations données des Grecs et des Bulgares reprennent tous les stéréotypes élaborés dans la presse. Les membres de la délégation grecque se distinguent avant tout par leur « apparence policée » et leur « esprit49 ». Parmi eux se distingue la figure du premier ministre, Éleuthère Venizélos, qui fait l’objet de louanges constantes de la part de Watson et dont la description se construit à partir d’un intertexte médiatique transnational se focalisant sur son sourire mystérieux :

« Dans la première voiture, on distinguait Son Excellence M. Venizélos avec son sourire caractéristique qu’un journaliste gaulois avait comparé à celui de la Joconde de Léonard de Vinci. Il était imposant par son physique et d’une extrême douceur par son visage. Il faisait la meilleure impression. Il m’a suffi de le voir pour comprendre pourquoi le premier ministre grec jouissait de cette immense confiance auprès des Grecs50 ».

Quant aux Bulgares, la fiction leur attribue naturellement le mauvais rôle, même si elle se montre quelque peu moins virulente que la presse. Les deux personnages qui se trouvent au centre de la conspiration pour assassiner Venizélos n’ont évidemment ni les mœurs policées ni la sagesse de la délégation grecque : ils sont jeunes, pauvres, d’un patriotisme aussi extrême que dangereux ; l’un des deux est même un opiomane notoire fréquentant les bas-fonds de Londres51.

À la fin du roman, Sherlock accompagné de la police parvient à vaincre K.K.K en pénétrant dans la chambre dérobée où elle se réunissait pour arrêter ses membres. Cependant le danger n’est pas pour autant écarté. Les dernières pages du roman ménagent une éventuelle suite en annexant un autre événement médiatique récent dans l’univers de la fiction. Sherlock montre à Watson une missive bulgare qu’il a trouvée. Celle-ci fait la mention d’un « M. Schinas » qui, comme le dit son auteur, « pourrait être manipulé à merveille52 » pour les besoins de la société secrète. Il s’agit d’Alexandre Schinas, l’assassin du roi Georges Ier de Grèce en mars 1913, dont les motivations restent toujours un mystère, mais qui, dans le roman, devient un instrument des Bulgares, la fiction venant d’une certaine façon confirmer une rumeur bien partagée au sein de l’opinion et de la presse grecques de l’époque.

Illustration représentant un homme à moustache qui se fait tirer dessus par un autre homme à moustache, qui se trouve dans son dos.

Fig. 7 : « L’assassinat du roi de Grèce », Le Petit Journal : supplément illustré, 30 mars 1913. Source : BnF, Gallica.

Ces exemples de la présence de Sherlock Holmes dans la presse sont emblématiques non seulement des circulations constantes qui s’établissent entre les domaines littéraire et journalistique, mais également des brouillages divers entre les domaines des faits et de la fiction, caractéristiques de l’ère médiatique.

Dans les quotidiens français, la fiction de Conan Doyle se trouve propulsée dans le domaine de l’information, le haut de page. Occupant tour à tour la place de l’interviewé et du journaliste écrivant, Sherlock ne se réduit donc pas à un simple « signe de la fiction ». Il devient un support d’autoparodie, « forme matricielle du rire médiatique » comme le rappelait Alain Vaillant53. En jouant avec les règles de la mise en page du journal et celles de la communication médiatique, ces deux articles ne visent cependant pas seulement à épingler une presse usant de toutes sortes de tactiques affabulatrices pour augmenter ses tirages. Au contraire, l’univers fictionnel de Sherlock se transforme également en cadre énonciatif ludique à l’intérieur duquel il devient possible de ressasser, sans harasser les lecteurs, des éléments factuels importants déjà présents dans les discours médiatiques récents et indispensables pour comprendre la suite des actualités.

Dans le journal grec, le personnage de Doyle reste en revanche cantonné dans le domaine de la fiction, le feuilleton. Cette fois-ci, le processus s’inverse. C’est l’actualité et les divers discours médiatiques qui viennent alimenter la diégèse en contribuant à l’écriture d’une nouvelle aventure de Sherlock Holmes. Ce que ce deuxième exemple met en évidence ce n’est pas tant la façon dont la presse réinvente ses propres discours en régime fictionnel, mais la façon dont elle joue un rôle déterminant dans l’élaboration des imaginaires sociaux en contexte de culture de masse. Les articles d’actualité comme le feuilleton romanesque entrent en parfaite résonnance afin d’offrir au plus grand nombre de lecteurs une même vision géopolitique fortement patriotique : celle d’une nation bulgare barbare devenue, au sortir de la première guerre balkanique, le premier fléau de la Grèce.

Notes

1 Denis Mellier, « L’aventure de la faille apocryphe ou Reichenbach et la Sherlock-fiction », Sherlock Holmes ou le signe de la fiction, Denis Mellier (dir.), Lyon, ENS éditions, 1999, p. 139.

2 Sur le roman d’aventures, voir Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures 1870-1930, Presses universitaires de Limoges, 2010.

3 Voir Alain Vaillant, « Invention littéraire et culture médiatique au XIXe siècle », Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques. 1860-1940, Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli et François Valloton (dirs.), Presses universitaires de France, 2006, p. 11-22.

4 Voir Filippos Katsanos, La Littérature des mystères. Poétique historique d’un succès médiatique en France, en Grèce et en Grande-Bretagne, Presses universitaires de Limoges, 2020.

5 Voir Christopher Prendergast, For the People by the People? Eugène Sue’s Les Mystères de Paris. A Hypothesis in the Sociology of Literature, Oxford, European Humanities Research Center, 2003 et Judith Lyon-Caen, La Lecture et la vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006.

6 Voir Romantisme, no 136, « L’Œuvre-monde au XIXe siècle », Marie-Ève Thérenty (dir.), Armand Colin, 2007.

7  Conan Doyle, Un crime étrange [A Study in Scarlet], trad. anonyme, Paris, Hachette, 1903, p. 22.

8 Nous traduisons. Παιδικός Αστήρ, 1er novembre 1913, p. 268 : « Τα απομνημονεύματα του Σέρλοκ Χολμς δηλαδή τα βιβλιάρια αυτά, έχουν δημοσιευθεί εις όλας τας γλώσσας του κόσμου όχι από περιέργειαν, αλλά από χρησιμότητα, διότι εκείνος όπου τα μελετά μανθάνειν να σκέπτεται, να αυτενεργή όπως σας λέγουν οι διδάσκαλοί σας ».

9 « Je ne lis jamais que les nouvelles judiciaires et les correspondances personnelles : celles-ci sont toujours instructives », Conan Doyle, L’Aristocratique Célibataire [The Adventure of the Noble Bachelor], trad. Jeanne de Polignac, Paris, Renaissance du livre, 1924, p. 134.

10 Il lit en particulier les colonnes des annonces qui relatent souvent des disparitions : « He took down the great book in which, day by day, he filed the agony columns of the various London journals. “Dear me!” said he, turning over the pages, “what a chorus of groans, cries, and bleatings! What a rag-bag of singular happenings! But surely the most valuable hunting-ground that ever was given to a student of the unusual! », Conan Doyle, “The Adventure of the Red Circle,” His last bow, New York, George H. Doran Company, p. 105.

11 « Mais vous êtes un répertoire vivant de tous les crimes, s’écria Stamford en riant ; publiez donc là-dessus un mémoire et intitulez-le : Nouvelles annales judiciaires du temps passé. », Conan Doyle, Un crime étrange [A Study in Scarlet], trad. anonyme, Paris, Hachette, 1903, p. 13.

12 Conan Doyle, « Les Six Napoléons » [The Adventure of the Six Napoleons], Sherlock Holmes triomphe, trad. Henri Évie, Paris, La Renaissance du livre, 1913, p. 61

13 Dans « L’Illustre Client » [The Adventure of the Illustrious Client], Holmes organise, par exemple, une fausse campagne de presse : tandis qu’il se rétablit progressivement d’une agression, il fait croire, grâce à la presse, que ses blessures sont mortelles.

14 Anne K. McClellan, “Tit-Bits, New Journalism, and Early Sherlock Holmes Fandom,” Sherlock Holmes Fandom, Sherlockiana, and the Great Game, Betsy Rosenblatt et Roberta Pearson (dirs.), Transformative Works and Cultures, No. 23, 2017, http://dx.doi.org/10.3983/twc.2017.0816.

15 Selon Richard Saint-Gelais, la transfictionnalité est le « phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction », Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Le Seuil, 2011, p. 7.

16 Voir la traduction de A Study in Scarlet publiée sous le titre de Détective amateur dans le feuilleton du journal Le Temps à partir du 14 novembre 1894.

17 La pièce Sherlock Holmes a été écrite par Conan Doyle et William Gilette. Elle a été adaptée en français pour le théâtre Antoine par Pierre Decourcelle et jouée à partir du 20 décembre 1907 avec Firmin Gémier dans le rôle principal.

18 « Chronique théâtrale », L'Informateur, 21 novembre 1908, p. 1.

19 « Comme Sherlock Holmes », Le Petit Journal, 27 août 1908, p. 2.

20 « Le Collier est retrouvé », Le Matin, 5 septembre 1913, p. 1.

21 « Un crime mystérieux. Les sanglants bagages du baronnet », Le Petit Journal, 7 août 1907, p. 1.

22 « Un vol mystérieux dans une bijouterie », Le Petit Journal, 14 janvier 1907, p. 2.

23 Albert Boissière, Un crime est commis…, feuilleton publié dans Le Matin du 23 août 1908, p. 4.

24 Henri Keroul, Flora Printemps, feuilleton publié dans Le Matin du 16 janvier 1919, p. 2.

25 « Sherlock Holmes, médecin », Le Journal, 14 décembre 1908.

26 Régis Gignoux, « Les Cambrioleurs d’églises », Le Figaro, 10 octobre 1907, p. 2

27 « Les lauriers de Sherlock Holmes », Le Matin, 17 juin 1908, p. 3.

28 M. Jaume, « Sherlock Holmes ?... Un criminel ! », Le Matin, 13 juin 1908, p. 1.

29 René Bures, « Les assassins intelligents », Le Matin, 21 juin 1908.

30 Léon Millot, « La presse à la Sherlock-Holmes », La Dépêche, 30 novembre 1908, p. 1-2.

31 Conan Doyle, Un crime étrange [A Study in Scarlet], trad. anonyme, Paris, Hachette, 1903, p. 27.

32 Jean Cordelier et Ch. Aivard, « D’un cheveu », Le Matin, 9 novembre 1908, p. 4.

33 Voir “The Real Sherlock Holmes,” The National Observer and British Review, 29 October 1892, pp. 606-607.

34 Voir Sherlock Holmes, « Les trois popes et la rouquine ou les interrogations de Sherlock Holmes », Le Petit Journal, 3 juin 1908, p. 1.

35 Voir Gustave Téry, « Un assassinat expliqué par un détective », Le Matin, 15 juin 1908, p. 1. La suite de cette interview est publiée le lendemain.

36 Voir Carlo Ginzburg, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989. p. 139-180.

37 Voir Felix Duquesnel, M. Roussignac policier, feuilleton publié dans Le Petit Journal à partir du 3 octobre 1907. Le journal transforme son feuilleton en fiction participative en annonçant le 7 octobre 1907 un concours avec un prix de 5000 francs qui serait décerné à toute personne qui trouverait l’identité de l’assassin et son mobile.

38 « La Mystérieuse tragédie de l’impasse Ronsin », Le Petit Journal, 2 juin 1908, p. 1-2.

39 Gustave Téry, « Variations sur les cordes des étrangleurs », Le Matin, 13 juin 1908, p. 1.

40  Gustave Téry, « Un assassinat expliqué par un détective », Le Matin, 16 juin 1908, p.2.

41 Nous traduisons. « Αλληλογραφία », Παιδικός Αστήρ, 1er novembre 1913, p. 268 : « Ενθυμείσθε όπου το παρελθόν καλοκαίρι έγραφαν όλαι αι εφημερίδες δια μίαν Κυρίαν Σταϊνέλ, η οποία κατηγορείτο ότι εφόνευσε τον άνδρα της και την μητέρα της; Το ενθυμείσθε; Η Γαλλική Δικαιοσύνη εζήτησε την γνώμην του Κόναν Ντόϋλ, και ό,τι αυτός είπε μόλις συνελήφθη η Στάινελ, αυτό απεδείχθει, κατόπιν και υπό της δίκης. »

42 Sur la définition du roman d’actualité voir Marie-Ève Thérenty, Mosaïques : être écrivain entre presse et roman, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 437-438. Sur les guerres balkaniques voir Olivier Delorme, La Grèce et les Balkans : des guerres balkaniques de 1912-1913 aux années 1950, vol. 2, folio Histoire, 2013, et Andre Gerolymatos, Συγκρούσεις στα Βαλκάνια. Κατάκτηση, επανάσταση και αναδιανομή από την Οθωμανική εποχή εως τον 21ο αιώνα, trad. Σ. Σκουλικάρη, Athènes, Σαββάλας, 2008.

43 Sur les questions de représentation des Bulgares dans la presse grecque, voir Β. Μπόντη, Βαλκανικοί Πόλεμοι 1912-1913 : πολιτισμικές αναπαραστάσεις της Οθωμανικής Τουρκίας και των Βαλκανικών λαών στις εφημερίδες « Ακρόπολις » και « Σκριπ », Mémoire de maîtrise en sciences sociales, Université de l’Égée, 2018, p. 54-85 et p. 100-105.

44 Voir Καιροί, 6 mars 1913, p. 4.

45 Β. Μπόντη, op. cit., p. 74.

46 Pour une typologie des pastiches de Sherlock Holmes, voir Peter Ridgway Watt, Joseph Green, The Alternative Sherlock Holmes. Pastiches, Parodies and Copies, Routledge, 2003.

47 Ανωνύμου, ο Σέρλοκ Χόλμς σώζων τον κ. Βενιζέλον, Athènes, Άγρα, 2013, p. 34.

48 Nous traduisons. Ibidem, p. 32 : “Κ.Κ.Κ. είναι το σύμβολον της μεγάλης εγκληματικής « Κιού-Κλούζ-Κλάν ». H μυστικότης της εταιρείας αυτής είναι τρομερά. Το δε όνομα της παράγεται από την φωνητικήν ομοιότητα των λέξεων αυτών με τον ήχον τον παραγόμενον από την ανύψωσιν της σκανδάλης του όπλου. Ο φοβερός αυτός συνεταιρισμός ιδρύθη εις την Αμερικήν. Έχει τμήματα εις το Λονδίνον, εις τας Καρολίνας νήσους, εις την Φλωρίδα της Αμερικής και εις την Νεάπολιν της Ιταλίας. Σκοποί αυτής : δολοφονίαι πολιτικαί και μη. Κατά δεύτερον λόγον ληστείαι. ». Pour le texte original de Doyle réécrit par le romancier grec, voir Conan Doyle, « Adventure V. —The Five Orange Pips », Londres, The Strand Magazine, vol. 2, juillet-décembre 1891, p. 489.

49 Ibid., p. 143.

50 Nous traduisons. Ibid., p. 142 : « Εις την πρώτην άμαξαν διεκρίνετο η Α.Ε. ο κ. Βενιζέλος με το χαρακτηριστικόν εκείνο χαμόγελό του, το οποίον Γαλάτης δημοσιογράφος παρωμοίασε με το της Τζιοκόνδας του Λεονάρντο ντα Βίντσι. Μεγαλοπρεπής εις το παράστημα και γλυκύτατος την όψιν. Ενεπόιει την καλύτεραν εντύπωσιν. Μόλις τον αντίκρισα εσκέφθην ότι δεν είναι παράδοξος η τεραστία εμπιστοσύνη την οποίαν εμπνέει ο Έλλην Πρωθυπουργός εις τους Έλληνας ». Bien que cette comparaison entre Venizélos et la Joconde soit, en effet, bien présente dans la presse française, celle-ci attribue son invention à la presse grecque : voir « Les deux sourires », Le Figaro, 16 janvier 1914, p. 1 ou « Le sourire de Venizélos », La France, 18 juillet 1917, p. 1.

51 Voir Ibid., p. 123-124.

52 Ibid., p. 215.

53 Voir Alain Vaillant, La Civilisation du rire, Paris, CNRS, 2016, p. 311 et suiv.

Pour citer ce document

Filippos Katsanos, « Les nouvelles aventures de Sherlock Holmes dans les presses grecque et française au début du XXe siècle », Presses anciennes et modernes à l'ère du numérique, actes du congrès Médias 19 - Numapresse (Paris, 30 mai-3 juin 2022), sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Eve Thérenty Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2024, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/publications/presses-anciennes-et-modernes-lere-du-numerique/les-nouvelles-aventures-de-sherlock-holmes-dans-les-presses-grecque-et-francaise-au-debut-du-xxe-siecle