Les origines intellectuelles d’une pensée de la réforme de l’espace public en France au milieu du XXe siècle
Table des matières
CHRISTIAN PRADIÉ
L’étude de la succession des régimes juridiques de la presse écrite en France accorde aux réformes entreprises par les pouvoirs publics à la Libération le rôle important de séparer son cadre d’évolution en deux périodes : libérale au XIXe siècle, que ce soit avant ou après la loi de 1881, puis objet d’une volonté de profonde régulation à la suite de la Deuxième Guerre mondiale.
Cependant, l’historiographie semble attribuer à l’adoption de ces dispositions, surgissant à partir de la fin du mois d’août 1944, le caractère d’une évolution assez subite, au point de pouvoir figurer en une sorte d’irruption au fil des bouleversements que vit Paris, capitale d’un pays occupé, à la fin de son occupation. Ce qui va constituer une transformation profonde de la conception du journalisme suivant des exigences plus démocratiques apparaît ainsi comme fondé sur une impulsion morale, traçant dans l’impréparation les concours quelque peu hasardeux de textes, que l’on pourrait même juger comme consistant en la proposition d’un système juridique particulièrement imparfait. Encore, cette inspiration presque lapidaire pourrait être attribuée à la contingence étroite de l’activité de milieux sociaux responsables en charge d’occuper le pouvoir politique et se trouvant inopinément réunis dans les cercles, agglomérés et en définitive hétérogènes, de la Résistance.
Pourtant, si l’on recherche les origines intellectuelles de la construction d’une pensée de cette réforme de la presse et du journalisme à la Libération, on découvre plutôt, en cet objet, l’aboutissement d’une œuvre d’imagination politique de longue haleine, qui s’affirme militer, au fur et à mesure que se dessine la profondeur d’une crise de l’espace public au cours de l’entre-deux-guerres — crise bien dépeinte par les spécialistes —, pour qu’y soient apportées des solutions rigoureuses et finement réglées, face aux différents problèmes posés par un défi regrettablement nouveau. Pour dénoncer puis pour élucider le mieux possible les voies offertes pour un redressement, des responsables politiques, des hommes de foi, des économistes, des théoriciens sociaux ou encore des philosophes, parfois de fort renom, se montrent ouvrir, dès 1918, une réflexion durable, élaborent des initiatives et nourrissent des échanges longuement consacrés à cette question précise, avant que ne soient déterminés les termes juridiques d’une éventuelle modification réglementaire. Enfin, les horizons idéologiques et les appareils partisans auxquels ceux-ci se rattachent forment un éventail remarquable par sa variété et devant intéresser l’historien, en révélant la confrontation de milieux laïcs et confessionnels, d’obédiences centristes, radicales, socialistes ou encore collectivistes et en illustrant les combats victorieux ou plutôt les échecs de camps politiques au pouvoir, vers 1936, ou souvent dans l’opposition, avant de parvenir enfin en 1945 à cette précieuse avancée.
S’intéresser aux origines intellectuelles d’une pensée de la réforme de l’espace public en France au milieu du XXe siècle demande à clarifier les réponses apportées à une question formulée comme un problème complexe d’économie politique — « ne dépendre ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent », réponses consistant en la proposition d’innovations dépassant même le simple cadre des activités médiatiques. L’interprétation du rôle des ordonnances de 1944 et autres textes liés amène à examiner cette inventivité, s’appliquant à une pluralité d’objets juridiques composant diverses étapes de la filière des activités de la presse écrite et du journalisme. L’effort législatif engagé s’avère en effet souhaiter remédier aux manifestations multiples d’une crise de l’espace public s’étendant depuis les débuts de la Troisième République, en recelant divers aspects d’une emprise dénoncée du monde économique et financier sur la vie médiatique. Le constat qui en est dressé ainsi que l’imagination d’une réforme forment, dans le cours entier de l’entre-deux-guerres, l’addition des contributions, globalement compatibles et convergentes, venues d’une pluralité de courants de pensée, pouvant combiner ainsi l’approche intellectuelle du phénomène social et l’analyse de la matérialité de la loi. Enfin, le nouveau dispositif instauré apparaît comme un apport durable à la législation et revêt, en cela, le caractère d’une réussite institutionnelle, qui se prête à la comparaison avec les tentatives, largement analogues au moment de leur inspiration, introduites alors tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis et ailleurs. Cette singularité ainsi que la portée remarquable que les « réformes de 1944 » impriment, de façon prolongée, dans l’organisation des médias écrits permettent de proposer l’hypothèse qu’il soit possible de conférer à ce tournant la valeur d’une caractéristique de tout premier plan dans la formation du modèle français de la presse.
Le rôle des ordonnances de 1944 et textes réglementaires reliés
Le mouvement de construction d’une nouvelle régulation des médias, qui porte désormais sur une réglementation de l’entreprise de presse et des « services annexes », s’étend principalement de mai 1944 à 1947. Il comprend l’adoption de plus d’une vingtaine de lois et décrets, dont la conception d’ensemble est particulière, en conférant à chaque activité économique s’intéressant à la production du journal un statut original inspiré de principes d’économie politique spécifiques. Toutefois, une difficulté apparaît avec la question d’un accord politique sur les choix législatifs quant au statut de l’édition de la publication de presse elle-même, qui persiste ensuite dans une certaine indétermination en demeurant soumis au seul régime, conçu comme provisoire et inachevé, des ordonnances de 1944. Les innovations intellectuelles qui se dégagent de cet effort de réflexion juridique sur l’économie politique de la presse apportent le legs de notions fondamentales durables et consacrent l’avènement d’un principe de nécessaire éloignement de la production médiatique des processus de financiarisation.
Le recours, au fondement des réalisations législatives, à un large éventail de principes d’économie politique
C’est bien l’idée d’une rupture générale qui est poursuivie par les instigateurs du mouvement de réforme, soucieux « d’obtenir des garanties efficaces contre la corruption des journaux et l’influence du capitalisme dans la presse », dans le but clairement annoncé « de faire table rase en matière de presse »1. Cette « révolution de 1944 »2, suivant le terme employé par Fernand Terrou, acteur et commentateur de ces événements, vise un résultat global fait de trois objectifs : « l’élimination de la presse qui avait continué à fonctionner pendant l’occupation du territoire, la construction d’une nouvelle presse, l’institution pour celle-ci d’un nouveau statut »3. Si la nature des opérations, en ce qui concerne les deux premiers, conduisent seulement à ordonner un ensemble de mesures exécutives, en revanche, l’élaboration en soi d’un statut amène à édifier les fondements de la régulation de tout un secteur d’activité, au demeurant délicat, en se plaçant au cœur des rapports de force de la nouvelle Quatrième République, et présentant des aspects multiples, financiers, économiques et professionnels. De surcroît, les directions suivies pour accomplir cette œuvre résultent d’un volontarisme, assez tenace et répandu, mais s’armant plus de pragmatisme que de rigueur doctrinaire, en regard d’un idéal de l’organisation des médias qui émerge plutôt d’un horizon éthique que d’une marche à suivre juridique.
Figurant comme « l’un des premiers actes du gouvernement de la France libre »4, le rétablissement de la liberté de la presse est proclamé par le Comité français de libération nationale par l’ordonnance du 6 mai 1944, suivie de l’abrogation des mesures de Vichy. La fixation des modalités de suspension des entreprises de presse maintenues pendant l’occupation et les conditions de création de nouvelles entreprises, ainsi que la diffusion des informations par les agences, font l’objet des deux ordonnances, dites « de débarquement » du 22 juin 1944. Suivant l’auteur des sections juridiques de l’Histoire générale de la presse française, l’« élément essentiel de la réforme de la presse, considérée alors comme la condition fondamentale du redressement national »5 est contenu dans les articles de l’ordonnance du 26 août 1944, portant sur l’« organisation de la presse française », en date du lendemain du terme de la libération de Paris. Un premier impératif de la nouvelle politique publique est fixé par l’instauration d’une exigence de transparence particulière de l’entreprise de presse, souvent décrite par la suite comme devant paraître telle une « maison de verre ». Dès le premier article, est prescrit de « faire connaître au public » les noms et la qualité de ceux qui exercent la direction de droit ou de fait, c’est-à-dire le nom du directeur de la publication dont la fonction doit obligatoirement revenir à l’actionnaire majoritaire ou bien au président du conseil d’administration, ainsi que, régulièrement, la liste des cent principaux associés, désignés quant à leur adresse, profession et nationalité, tandis que l’usage de prête-noms est défendu. Il en est de même du montant justifié du tirage, du tarif de publicité, du compte d’exploitation et du bilan comptable de la publication et, par ailleurs, de la liste complète des rédacteurs et des identités cachées par des pseudonymes, ceci par l’entremise du directeur de la publication.
Compte tenu de l’intérêt que cela présente ne serait-ce qu’au regard de la demande de transparence, les parts sociales, en cas de sociétés par actions, « devront être nominatives », en vertu de l’article 6, ce qui interdit donc l’usage d’actions au porteur dont la circulation pourrait s’effectuer selon des opérations d’échange en Bourse. Cette règle agit de plus comme un facteur de stabilité de l’actionnariat, cet objectif étant renforcé par la précaution qui soumet le transfert de celles-ci à un agrément du conseil d’administration. De plus, une première modalité de contrôle de la concentration économique des titres de presse apparaît par les dispositions de l’article 8 qui stipulent qu’un directeur ne peut exercer ces fonctions que vis-à-vis d’un seul quotidien et que, pour un quotidien dépassant 10 000 exemplaires ou 5 000 dans le cas d'un hebdomadaire, il lui est défendu de le faire « accessoirement à une autre fonction, soit commerciale, soit industrielle ». Les conditions d’une moralisation de la presse se trouvent renforcées par l’interdiction de percevoir une rétribution « aux fins de travestir en information de la publicité étrangère » ou encore de bénéficier « des fonds ou avantages d’un gouvernement étranger ». Enfin, un comité technique réunissant le directeur de la publication et des représentants du personnel est compétent pour « fournir toute étude concernant la marche matérielle de l’entreprise ». Le statut de l’entreprise de presse que l’ordonnance définit ainsi, à titre de « première ébauche »6, rappelle Fernand Terrou, maintient pour principe directeur la « liberté d’entreprise dans le cadre du droit commun; liberté qui s’exprime à la fois par la liberté de création et par la liberté de choix de la forme juridique de l’entreprise », nonobstant l’obligation en faveur d’une forme nominative des actions.
Un choix fondamentalement différent est retenu en ce qui concerne l’un des « services annexes » du fonctionnement des journaux, cependant primordial, s’agissant du nouveau régime de l’agence Havas, jusqu’alors intervenant, avec une influence centrale et considérable, en tant qu’agence de presse, agence de publicité et distributeur de publicité financière. L’exercice de l’activité d’agence de presse est réservé par l’ordonnance du 27 juillet 1944 à des « coopératives d’information », dont les parts sont réparties proportionnellement suivant leurs tirages à l’ensemble des associés. L’Agence française de presse, qui reçoit le bénéfice de disposer des installations de l’Office français d’information, créé par l’administration de Vichy à partir de la branche « information » de l’agence Havas, est constituée, suivant l’ordonnance du 30 septembre 1944, comme établissement public, à titre provisoire et dans le but de se conformer au statut de coopérative. Mais l’obligation de réunir un financement considérable est perçue comme s’opposant à cet objectif et, par la loi du 10 janvier 1957, l’A.F.P. se voit conférer une personnalité juridique tout à fait originale en tant qu’« organisme autonome », contrôlé par un conseil d’administration, regroupant représentants de diverses catégories de médias et services publics usagers, et régi suivant la surveillance d’un conseil supérieur, qui regroupe magistrats et autres représentants d’entreprises de presse.
Des modalités d’organisation encore différentes sont réservées à la branche « publicité » de l’agence Havas, nécessairement désormais dissociée des services d’agence de presse, puisque l’ordonnance du 2 novembre 1945 interdit d’être en même temps une agence d’information et une agence de publicité. Placée sous administration provisoire du gouvernement le 20 août 1944, cette partie des activités de l’« empire Havas »7 se trouve durablement contrôlée, après 1946, en tant que société anonyme mixte à capitaux majoritairement publics, l’État obtenant par confiscation la jouissance de la quasi-totalité des parts sociales.
Ce sont, par ailleurs, les principes d’une gestion paritaire qui commandent l’organisation de l’achat et de la répartition du papier journal. Afin d’acquérir, d’importer et de répartir, moyennant la pratique de tarifs soumis à péréquation, les stocks de papier d’impression, une Société Professionnelle des Papiers de Presse (S.P.P.) est constituée, suivant l’arrêté ministériel du 28 mai 1947, sous la forme d’un groupement de syndicats des utilisateurs contrôlé par les fonctions de plusieurs commissaires du gouvernement. Au fur et à mesure de la remédiation de la situation de pénurie, son action se trouve prolongée, notamment après 1953, par un Bureau Central des Papiers de Presse (B.C.P.P.), confié au contrôle d’un conseil composé à parts égales de représentants des entreprises de presse et des fabricants de papier journal.
Il s’agit, en ce qui concerne l’activité des messageries, qui desservent le vaste réseau des dépositaires assurant toute l’étendue de la vente au numéro, de répondre aux reproches de partialité adressés, de même qu’envers Havas, à la puissante société d’édition Hachette. Accusées de collaboration de surcroît, les structures créées sous l’occupation dans le prolongement de l’activité des messageries de Hachette sont placées sous administration provisoire de l’État puis de l’administration des P.T.T. Dans l’attente de l’élaboration d’un statut durable, une motion générale émanant des professions de l’édition et de la distribution de la presse déclare, en août 1945, que « la libre distribution des journaux et publications est une condition, en même temps qu’une garantie de la liberté de la presse » et affirme son adversité à « toute intervention visant à [la] soumettre à l’action des puissances d’argent [ou] sous la dépendance d’organismes gouvernementaux, quels qu’ils soient »8. En janvier 1945, en effet, est étudiée au sein du ministère de l’Information la solution d’un « monopole d’État » qui serait confié au ministère des P.T.T., mais le rapport d’étude consacré au projet évoque la construction d’une « monstruosité » juridique et la perspective de « critiques idéologiques » envisageables à l’occasion de tout manquement. Surtout, retenir l’option d’une gestion publique reviendrait, pour la délivrance d’un service nécessairement centralisé, à proscrire toute forme de concurrence existant néanmoins entre les rédactions que la réforme souhaite, à l’inverse, rendre particulièrement atomisées. Aussi, les positions de la plupart des protagonistes favorisent la solution consistant à consacrer le fonctionnement obligatoire de coopératives détenues par les éditeurs, tout en étant librement formées par eux, sous la forme de ce que le président de la Fédération nationale de la presse française (F.N.P.F.) Albert Bayet désigne comme « la propriété d’une libre coopérative »9. Ce choix tend en outre à donner un prolongement au fonctionnement de la Coopérative des journaux, en activité depuis 1941, à laquelle s’est même jointe une Coopérative des porteurs de journaux, qui s’inspire du statut coopératif de la Maison du livre français, occupant une place importante dans la distribution du livre depuis 1920.
L’unanimité avec laquelle « les trois partis au pouvoir, M.R.P., S.F.I.O. et P.C., refusent la restauration du monopole de fait de Hachette » facilite l’adoption de la loi du 2 avril 1947, désignée aussi par le nom du député M.R.P. Robert Bichet ayant occupé les fonctions de sous-secrétaire d’État à l’information, dont le projet est préféré à celui du nouveau ministre de l’Information socialiste Albert Gazier, préconisant la constitution d’une coopérative placée sous contrôle de l’État et exerçant en situation de monopole10. La loi, dont seuls les représentants radicaux et libéraux refusent l’approbation, organise, d’après Éléonore Cadou, le « système moderne de distribution de la presse en France autour de trois principes fondamentaux : une liberté contrôlée, l’égalité face à la distribution, la solidarité entre les éditeurs »11. La liberté préside en effet aux choix des éditeurs, disposant de la faculté de se distribuer eux-mêmes ou de faire appel à l’une des coopératives pour l’exécution de cette tâche mutualisée entre les titres. De manière égalitaire, tout éditeur désireux d’établir un contrat avec l’une de ces coopératives doit y être admis et y bénéficier de conditions de traitement équitables. La solidarité enfin s’applique en ce qui concerne la tarification du service soumise à l’approbation d’une assemblée générale où siège à égalité de voix tout éditeur. L’ensemble des règles de coopération équitable et concurrentielle est garanti par la surveillance exercée par un Conseil supérieur des messageries, associant les représentants de plusieurs administrations et sociétés de transport. De façon pragmatique, le recours à une filiale, constituée comme société commerciale de droit commun chargée de l’exécution matérielle du service, est permis à condition qu’elle soit majoritairement détenue par l’une des coopératives de distribution. À la suite de la nouvelle loi, cinq coopératives groupant par catégories les publications sont organisées pour le contrôle des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (N.M.P.P.), détenue par elles à 51 % et par le groupe Hachette à 49 %.
L’incertitude puis l’imprécision demeurant attachée au statut de l’édition de publications de presse
Désormais, la transmission d’une information journalistique nouvellement régie sous l’effet de l’ensemble des dispositions en application connaît une trajectoire dont l’environnement est profondément réformé, en naissant au sein d’une A.F.P., fonctionnant en un organisme autonome, pour figurer, en étant imprimé sur du papier contrôlé suivant un système paritaire, dans un titre que distribuent des structures coopératives. Le statut de l’entreprise éditrice de la publication de presse, bien qu’au centre de cet ensemble, demeure alors exempt de réforme, alors que les divers éléments qui le composent sont progressivement réorganisés.
Une ligne directrice de la réflexion sur la conception d’un tel statut est offerte par les recommandations émises par Francisque Gay, chargé de la préparation de la réforme de la presse au sein du Conseil National de la Résistance (C.N.R.), dans Éléments d’une politique de la presse diffusé clandestinement en 1943. L’ancien fondateur de la Vie Catholique et du quotidien L’Aube, y affirme préconiser, pour « secouer le joug de l’argent et esquiver les risques de la concentration entre quelques mains dorées du plus puissant moyen d’action sur l’opinion »12, que soient imposées « les formes si souples de la coopérative », défendant en cela une « conception non capitaliste de l’organisation de la presse »13, tout en étant, proche de Marc Sangnier, un des principaux animateurs du catholicisme social et futur député M.R.P.
Parmi les 14 projets et propositions législatifs qui se succéderont jusqu’aux abords des années 1950, primera en effet au premier chef la volonté que soit contrôlée par la force de la loi la détermination spécialement contrôlée de l’actionnariat de toute publication de presse. La « Charte de la presse » qu’adopte en octobre 1945 la Fédération nationale de la presse française déclare condamner à la fois « la presse de la trahison » et la « presse pourrie », qui est « aux ordres des trusts et des puissances d’argent »14 et dont le nouveau statut « doit empêcher définitivement le retour », et questionnent en ce sens les futurs candidats aux élections générales en cours d’organisation. Le mois suivant, le « projet de déclaration des droits et devoirs de la presse libre »15 émane de même de la fédération patronale des éditeurs en précisant que « la presse n’est pas un instrument de profit commercial, mais un instrument de culture » (art. 1), que la « presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale, ni des puissances d’argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs » (art. 3), et à titre de modalité pratique, que « dans toute société de presse, la majorité assurant le contrôle de l’entreprise doit appartenir soit à un groupement politique ou idéologique, soit à une équipe comprenant les fondateurs, directeurs, animateurs et, éventuellement, les collaborateurs réguliers de l’entreprise » (art. 8), en souhaitant même que « tout acte ou tentative capitaliste tendant à déposséder les possesseurs légitimes d’une entreprise de presse ou à limiter leur liberté d’expression, à acheter leur concours ou leur silence [soient qualifiés comme] un crime ou un délit » (art. 9).
Le premier projet de loi que présente, le 13 mars 1946, Gaston Defferre, en tant que secrétaire d’État à l’information du gouvernement de Félix Gouin, reprend toutes les dispositions de l’ordonnance du 26 août 1944 sur les obligations de transparence ou encore les incompatibilités professionnelles et édicte un statut des publications sous forme de société anonyme. Ce statut maintient par ailleurs les actions comme obligatoirement nominatives et limite la société anonyme quant au nombre des actionnaires à 10 et quant à la part de chacun d’eux à 10 % du capital social16. Les journalistes et employés y forment des coopératives recevant des actions de travail, au montant compris entre le cinquième et le tiers de celui-ci. La totalité des dividendes distribués ne peut excéder 10 % des apports. La F.N.P.F. critique que soit imposée une forme unique de société et soumet en septembre un contre-projet établissant surtout une distinction entre journaux déjà constitués et à venir. Une catégorie de « sociétés anonymes à participation morale », dépendant d’une forme juridique assez libre, est créée, remplissant l’obligation principale de reposer sur la distribution d’une majorité absolue d’actions de type A, à destination, pour les journaux existants, des fondateurs en pouvant inclure des collaborateurs, pour les journaux à venir, des membres de la direction et de la rédaction du journal.
La discussion entamée retarde au 30 juin 1947 la présentation d’un autre projet de loi par le nouveau ministre radical Pierre Bourdan, au sein du gouvernement de Paul Ramadier. Celui-ci affirme vouloir prendre en compte la « variété des situations »17 et admet que les sociétés déjà constituées, sous forme de sociétés en nom collectif ou en commandite, continuent ainsi leur activité. Une synthèse est en quelque sorte opérée des propositions précédentes, puisque sont prévues et la limitation relative à la composition actionnariale et l’institution d’un syndicat de fondateurs, à concurrence de 50 % au plus du capital. Un changement de gouvernement, survenu en mars 1948, amène le nouveau ministre Robert Bichet à soumettre le 21 juin 1949 un texte présentant encore un certain nombre d’innovations. L’organisation de l’édition du titre de presse y est séparée entre le fonctionnement d’une société civile, dont la détention revient aux fondateurs et qui possède au moins 51 % du capital de la société d’exploitation et celui de cette dernière, pouvant être constituée sous forme de société anonyme ou de S.A. à participation ouvrière. Pour les éditeurs, le « projet Bichet » apporte de « réelles améliorations » en prévoyant un « ensemble de dispositions qui répondent à l’intention d’assurer aux fondateurs des journaux nés à la Libération la conduite spirituelle et politique des entreprises qu’ils ont créées »18. Contre toute attente, le projet est néanmoins repoussé par la Commission de la presse de l’Assemblée nationale, le 16 juin 1949, le vote de 18 députés communistes, radicaux et modérés dépassant celui de 17 autres, des socialistes et M.R.P, moins l'un seulement de ces derniers.
L’initiative revient plus tard au nouveau ministre François Mitterand, sans résultat, ou bien en vient à se limiter à la proposition d’un « Code des usages de la presse » (novembre 1949), d’un « Conseil supérieur de la presse » (décembre 1949) ou encore d’un « Conseil supérieur des journalistes » (mai 1950). Dans une tribune anonyme publiée dans Le Monde en août 1954 et attribuée à Fernand Terrou, est exprimée une interrogation sur ce « compromis » soupçonné de ne pas régler « [le problème] du statut de la rénovation de la presse en l’enterrant définitivement », sachant, selon lui, qu’on ne peut peut-être pas « détacher la réforme de la presse d’une réforme générale des institutions politiques et économiques »19. Le temps perdu en propositions joue assurément aussi, car plus nombreux sont les journaux à s’installer progressivement suivant des formules librement choisies, plus la contrainte d’un statut étroitement encadré peut-être malvenue et donc repoussée, et ceci d’autant que l’investissement de puissances économiques extérieures à la presse, accompagné de processus de concentrations, reprend et se renforce dès le cours des années 1950. Au total, la somme des efforts produits quant à la recherche d’une fondation originale de l’indépendance de la presse vaut, pour la deuxième partie du siècle à venir, comme une proclamation sans atteindre le statut d’une norme.
Une définition inachevée, entre préfiguration d’une filière coopérative et d’une économie plurielle de la presse écrite et du journalisme
L’examen de l’expérience intellectuelle que constitue la recherche d’un statut original spécifique aménagé pour les activités liées à la production de la presse, voulue plus démocratique, amène à déceler des niveaux de complexité multiples. Au-delà de l’impératif désigné de se tenir à l’écart de l’influence des gouvernements et des accumulations de puissance économique, apparaît en effet le besoin de maintenir l’existence d’une concurrence — ne serait-ce que pour garantir l’émulation entre l’expression respective de la diversité des familles de pensée et évidemment en sus, au nom de la liberté du commerce — tout en assurant la régulation de droits de propriété en mesure d’empiéter sur l’indépendance de l’activité journalistique, en somme de combiner action du libéralisme économique et contrôle du capitalisme. C’est, en effet, de ce double enjeu que semblent résulter, d’une part, l’unité que présentent les différentes directions de réforme proposées visant ensemble l’aménagement des règles de détention et de contrôle des structures d’édition afin d’obtenir l’instauration d’une gouvernance autonome bénéficiant aux journalistes, et d’autre part, s’opposant à l’uniformité d’un statut unique conçu dans ce but, une pluralité souhaitée des formes juridiques associant suivant des combinaisons relativement libres de l’actionnariat constitué d’investisseurs et de la direction intellectuelle des titres.
Un des apports des concepteurs de propositions de réformes s’inscrivant dans le mouvement engagé en 1944 est de contribuer à cerner les termes d’un accord nécessaire entre normativité de l’organisation de la gouvernance et liberté de l’action d’entreprendre et de contribuer par un apport financier. Fernand Terrou, plongé longuement au cœur de ces débats, retient, pour bilan de l’action conduite dans la période, « ce qui atténue les effets du retour à l’ordre commercial, notamment le maintien, à la tête des journaux, de professionnels, favorisé parfois par la structure conventionnelle des entreprises (séparation de la propriété et de l’exploitation — association des journalistes à la gestion) à laquelle il serait souhaitable de donner une base institutionnelle spécifique plus solide et le développement du système coopératif pour la gestion des services communs »20.
Deux inspirations principales apparaissent en effet émerger de la réflexion présidant à la conception des voies de réforme, en tant que projet d’aménagement d’une filière coopérative ou bien celui d’une économie plurielle régulée. En ce qui concerne l’affirmation de la première voie de réforme, prime l’importance des relations économiques au sein d’une filière qui, de la production des nouvelles en amont à la vente du journal en aval, détermine la qualité de la presse écrite en un ensemble interdépendant. Les formes organisant l’économie sociale et solidaire suivant le statut des sociétés coopératives de production ont pu inspirer ainsi, pour l’aménagement du fonctionnement spécifique de toute l’étendue de cette filière, les réformateurs du mouvement de 1944. Claude Bellanger est l’un de ceux qui expriment ce projet, en 1946, en souhaitant rappeler que « ce sont tous les services complémentaires des journaux et publications qu’il convient de rénover, en leur fixant un régime capable de les soustraire à l’emprise du capitalisme et de l’État : agences d’information et de publicité, messageries, comptoir du papier, etc. »21. Deux activités sont finalement régies par la loi suivant le principe de la coopération : provisoirement, située en amont, l’activité d’agence de presse, suivant l’ordonnance du 27 juillet 1944 sur les « coopératives d’information » et durablement, située en aval, la distribution de la presse, suivant la loi Bichet. Il conviendrait certainement, pour mieux comprendre les enjeux de ces choix, de discerner les particularités, d’une part, d’une filière professionnelle, au sein de laquelle joue la compétence quant à l’appréhension de la valeur intellectuelle des écrits et des illustrations, incluant les collectifs de photographes, d’imprimeurs, de libraires, de même groupés en coopératives, aux contours distincts, d’autre part, d’une filière économique environnante, s’ouvrant avec des conséquences plus neutres à l’investissement industriel, s’agissant des métiers de la publicité, de la fabrication du papier, et des prestataires de routage et relevant d’autres tâches techniques. Havas sera ainsi réorganisée, concernant la branche publicité, en une société anonyme mixte.
En ce qui concerne la deuxième voie de réforme, afin de convenir à l’exécution d’une activité autre que la mise en commun de services en une prestation mutualisée de délivrance de dépêches d’agences de presse ou de distribution des imprimés, la solution coopérative peut apparaître s’imposer de façon moins avantageuse, en laissant la place pour l’édition même des titres de presse à une diversité que peut garantir une économie plurielle de la presse écrite et du journalisme. Cette aspiration à conserver pour la production des imprimés toute la variété admissible des motivations, de nature politique ou économique, aux fins des projets d’informer, d’instruire, de divertir — existante ne serait-ce qu’à travers l’opposition de principe entre presse d’opinion, qui peut légitimement coûter à son détenteur, et presse commerciale, à l’inverse rapporter à son propre détenteur en regard d’un but lucratif licite — importe spécifiquement en matière d’édition de publication et peut expliquer la difficulté supplémentaire éprouvée par le législateur pour déterminer son statut. Il demeure que l’objectif de garantie d’une gouvernance autonome des collectivités de travail des journalistes peut représenter le projet politique d’indépendance en regard du pouvoir de tout investisseur, en tant que projet de régulation de l’économie plurielle sectorielle. Ainsi, peut être analysé l’apport réalisé mi-1949 par le ministre Robert Bichet, au terme des processus de concertation, lequel parvient à une certaine synthèse des exigences en proposant l’association d’une norme de gouvernance autonome, sous la forme d’une société civile de journalistes détenant la majorité des pouvoirs de gestion, combinée à une liberté des apports en capitaux en des formes au choix libre de sociétés commerciales, sans bénéfice de pouvoirs de gestion dominants.
Une deuxième loi Bichet concernant, non la distribution, mais l’édition de la presse n’a cependant pas vu le jour. Du point de vue de la régulation des pouvoirs au sein de l’entreprise de presse, le principal legs du mouvement de réforme de 1944 réside ailleurs, dans la teneur de l’article 6 de l’ordonnance du 26 août 1944, qui, impose, en une limitation rare dans la réglementation des activités économiques, l’interdiction d’actions au porteur. Cette simple disposition, qui impose donc la seule division possible du capital en actions nominatives, suffit à éloigner la nature du financement du journal des procédés d’appels à l’épargne publique, qui, avec l’expansion des activités boursières, a néanmoins considérablement affecté le financement des sociétés de capitaux. Suivant Roland Dumas, elle présente d’autres intérêts tels que le « souci de maintenir au sein de l’entreprise de presse une unité de conception », apte donc à rétablir l’« affectio societatis » existant dans les sociétés autres que de capitaux et propre à faciliter la cohésion servant la poursuite collective d’un projet intellectuel22.
Placer la presse à l’écart de la Bourse se trouvait déjà être la motivation de projets législatifs antérieurs, n’ayant pas connu de réussite. En affirmant s’inspirer des convictions de Jaurès concernant les transformations de la presse, le député socialiste Jean Bon avait rédigé en 1917 une proposition de loi, prescrivant dans son article 2 que les sociétés d’édition de journaux « ne pourront se constituer qu’en nom collectif ou en commandite simple », laquelle ne sera même pas soumise à l’examen de la Chambre23. Par la suite, le projet de moralisation du journalisme du gouvernement de Léon Blum prévoit, de même, dans son article 7, l’interdiction des actions autres que nominatives pour la constitution du capital des entreprises de presse, précisant par ailleurs que celles-ci « ne pourront pas être admises à la cote d’une Bourse des valeurs »24. Il sera rejeté au Sénat. Les initiatives des réformes du mouvement de 1944 font donc en cela aboutir une mesure à la portée profondément structurante, dont l’application sera jusqu’à nos jours durable et tout à fait originale sur le plan de la comparaison avec les expériences connues à l’étranger.
L’importance de la crise de l’espace public s’étendant depuis les premiers temps de la Troisième République
La critique des conditions d’exercice du journalisme devenu une affaire plus qu’un sacerdoce s’appuie sur le constat des mouvements qui affectent la presse depuis la fin du siècle dernier, et plus encore l’entre-deux-guerres. La confrontation éditoriale des titres, regroupés dans les catégories d’une presse d’opinion en lutte contre une presse commerciale, se prête désormais plus à une concurrence économique évoluant vers une concurrence financière des dotations en capitaux. La publicité commerciale occupe une place devenue centrale dans les conditions d’exploitation des principales publications, d’autant que Havas, qui cumule plusieurs rôles professionnels, s’étend désormais vers la gestion de journaux qu’elle a acquis. La profitabilité de la production d’imprimés et la politisation recherchée des rédactions les plus influentes suscitent la construction d’une entente occulte entre les principaux acteurs de la filière, que facilitent leur cotation en Bourse et la convergence de leur contrôle aux mains d’intervenants du secteur bancaire.
La presse politique soumise aux mouvements financiers de grande ampleur
Une première crise de l’espace public avait été perçue, s’étendant après les débuts de la Troisième République, comme due à l’accroissement de la domination des quatre grands journaux « millionnaires »25 assis sur l’attrait des formules éditoriales légères et sensationnalistes et sur une forte compétitivité industrielle, mais avait paru finalement compensée, après 1904, par l’émergence d’une presse d’opinion que renforçait l’apparition concomitante des partis majeurs d’opposition. Une deuxième crise développe ses effets, passé 1918, par l’expansion de phénomènes de concentration et l’afflux de capitaux issus de la collecte d’apports en Bourse, d’investissements provenant de branches d’activité étrangères au secteur ou encore de placements opérés par la banque d’affaires ou commerciale.
Le nombre de quotidiens publiés à Paris connaît l’effet d’une concentration des tirages, en passant de 80 à 1914 à 31 en 1939, tandis que ce chiffre diminue environ de moitié en ce qui concerne la province26. Leur attractivité économique s’en trouve accrue en une période de stabilisation de la diffusion générale des titres politiques. L’un des premiers de ces quotidiens nationaux à faire l’objet d’une opération d’acquisition dont la portée est de modifier radicalement son orientation idéologique est celle par laquelle le journaliste Léon Bailby, qui bénéficie de l’aide financière de Jean Dupuy, propriétaire du groupe du Petit Parisien, obtient la direction de L’Intransigeant en 1908, ancien et puissant titre marqué à l’extrême gauche sous la conduite d’Henri Rochefort27. Les opérations de rachat conduites de la sorte deviennent fréquentes, comme l’acquisition en 1932 par le journaliste Camille Aymard, de La Liberté28, ancien titre longtemps dirigé par Émile de Girardin. Elles atteignent même l’échelle d’une chaîne de journaux, avec la tentative de Louis Loucheur, personnalité politique et industriel dans le domaine de l’armement, qui acquiert en 1919 une part importante du capital du Petit Journal, autorisant son contrôle, tandis qu’il devient propriétaire de La Dépêche de Rouen et du Progrès du Nord29. Raymond Patenôtre, autre homme politique, reprend Le Petit Journal en 1932 et parvient à diriger un groupe de presse varié, comprenant plusieurs magazines, tels Cinémonde et Marianne, et une dizaine de titres locaux.
Au cœur de l’entre-deux-guerres, l’investissement provenant de fortunes industrielles s’intensifie. Jean Hennessy, producteur de cognac, acquiert vers 1927 une part importante des actions du Quotidien30 et puis étend son contrôle majoritaire, au cours des années 1930, sur le capital de L’Œuvre31, tous deux marqués par un soutien en faveur des politiques de gauche. Au moment des fortes dissensions nationales face à la gestion du Cartel des gauches, l’alliance de journalistes, de formations partisanes et de milieux d’affaires se précise pour accomplir la conduite de journaux32. Fondateur, en 1926, du Centre de propagande des républicains nationaux, qui poursuit le but d’assister les formations politiques de la droite parlementaire pour leur propagande électorale, aidé d’un financement de la part du patronat, le journaliste puis député Henri de Kérillis associe l’action de celui-ci aux fonds d’une réunion de banques pour le lancement de L’Époque en 1937. Pierre Taittinger, producteur notamment de vins de Champagne et député à partir de 1919, cumule différentes fonctions33. Il devient le rédacteur en chef de La Liberté entre 1924 et 1927, lance Paris-Nouvelles en 1931, acquiert le contrôle de L’Ami du peuple en 1936 — où est soutenue l’action, engagée à droite, de Georges Mandel — et développe progressivement un groupe d’une dizaine de publications locales. Toujours conçue comme une diversification à partir d’une fortune obtenue à partir d’activités dans l’industrie du luxe, l’expérience menée par François Coty, fabricant de parfums, est marquante. Après quelques mandats politiques mineurs, aux convictions fortement anticommunistes, il acquiert en 1922 le contrôle du très ancien Figaro34, puis en 1928 du Gaulois35 et subventionne la plupart des publications situées à la droite extrême36. De même en 1928, il conçoit le projet du lancement de L’Ami du Peuple, offert à bas prix en concurrence directe avec les plus grands titres. L’entreprise se heurte à l’hostilité de Havas, qui le prive d’insertions de publicité, et de Hachette, qui refuse sa distribution, et Coty recourt, en réponse, à une vente répandue à la criée et fonde ses propres messageries. Le procès qu’il intente contre ces faits révèle en 1930 l’étendue d’un verrouillage du marché décidé par les membres d’un « consortium de la presse ».
Avec Jean Prouvost, industriel du textile, apparaît l’investissement de représentants du patronat plus influents dans l’animation de celui-ci. En accord avec d’autres industriels de la presse, tel Louis Loucheur, il reprend en 1917 le contrôle du Pays37 puis en 1924 de Paris-Midi38, puis prend une part du capital du Petit Journal. En 1930, il acquiert, en association avec l’industriel du sucre et du papier Ferdinand Beghin, le contrôle de Paris-Soir, fondé en 1923 par le journaliste anarchiste Eugène Merle, qu’il relance comme « quotidien d’informations illustrées ». La nouveauté visuelle de la mise en page et la mise en valeur de l’événement respectant un certain apolitisme, suivant les formules courantes outre-Atlantique, mais aussi la prise en compte des exigences des métiers de la publicité, assurent le fondement du succès d’un groupe de presse s’étendant, avec Marie-Claire ou encore Match, dans le domaine de la presse magazine. Durant le même temps s’organise l’action d’une autre partie du patronat dirigée vers la recherche non d’une clientèle populaire, mais plutôt d’une influence auprès des élites. Après 1919, des parts importantes du capital du Journal des Débats39 sont acquises par François de Wendel, industriel de la métallurgie, et d’autres proches des milieux d’affaires, liés à la Compagnie de Suez ou la banque Rothschild. De façon discrète est de même conduite une prise de participation dans L’Écho de Paris40 et surtout la prise de contrôle, en 1931, du titre influent Le Temps41, revenant cette fois à des fédérations patronales, dont le Comité des forges, représenté par De Wendel, le Comité des houillères et le Comité des assurances, associés toujours aux banquiers Suez et Rothschild. Avec cet investissement accompli afin d’obtenir la direction du principal quotidien de référence, s’effectue l’introduction décidée par les cercles patronaux les plus actifs au plus près de l’influence publique associée à la décision politique, à même de porter en particulier sur les débats majeurs de la politique économique nationale, concomitamment à leur action en tant qu’actionnaires de la Banque de France.
Enfin, apparaît dans ces combinaisons d’actionnaires, un acteur remarquable, s’agissant de l’agence de publicité dominante, fournissant de plus la presse en dépêches d’information. Havas fait partie en 1925 du groupement d’actionnaires, associé aux papeteries Darblay et à la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui acquiert le contrôle de l’un des quatre grands journaux historiques, Le Journal, et désigne un de ses administrateurs, Pierre Guimier, comme directeur de la publication en 1930. Après Loucheur puis Patenôtre, Havas apparaît de plus agir pour obtenir le contrôle d’un autre des « quatre grands » quotidiens parisiens, Le Petit Journal, en organisant l’arrivée à sa tête, entre 1933 et 1934, de Raoul Fernandez, dirigeant de l’une de ses filiales.
Vers 1900, face à une domination par ces « quatre grands » de la diffusion de la presse politique, avait pu se constituer un secteur de la presse d’opinion, moins répandue dans la pénétration des lectorats, mais solidement appuyée sur des familles de pensée et d’actions partisanes, tels L’Aurore fondé en 1897, L’Humanité, en 1904 ou encore les publications de Sébastien Faure, Alfred Gérault-Richard, Jean Grave, Gustave Hervé, auxquelles il faut ajouter L’Action française, fondé en 1908. Vers 1920, face à l’irruption d’un capital industriel ou bien manié par les milieux bancaires dans le financement des fonds sociaux de publications, des tentatives novatrices sont envisagées pour recueillir des volumes financiers d’un niveau comparable. En 1921, une majorité des voix de ses propriétaires se déclarant en faveur de la minorité du Congrès de Tours, le contrôle du Populaire, fondé en 1916, put être apporté à la S.F.I.O. et contribuer par l’existence d’une expression socialiste au maintien du pluralisme dans ce camp. Pour atteindre une audience plus élargie, est imaginé en 1922 par Henri Dumay, gestionnaire de publications, après le succès du Progrès civique qu’il dirige, le lancement du Quotidien, en sollicitant les futurs lecteurs pour une souscription populaire au capital de ce « journal honnête pour les honnêtes gens »42. Mais le titre, qui bénéficie de la collecte importante venue de 60 000 apporteurs, se heurte aux difficultés opposées par le « consortium de la presse » et parvient toutefois à apporter efficacement sa contribution à la victoire du Cartel des gauches en 1924. Des difficultés financières occasionnent à partir de 1926 une grave crise au sein de la rédaction, aggravée par les compromissions de la rédaction avec des partenaires d’affaires des plus contestables. Repris par Jean Hennessy après 1927, le titre perd ensuite de son originalité. Une autre expérience assez analogue se déroule avec l’initiative d’Eugène Merle, administrateur de publications de sensibilité anarchiste. Celui-ci s’appuie de même sur le lectorat du Merle blanc qu’il dirige, pour asseoir le succès d’une souscription populaire permettant que soit lancé, en 1923, Paris-Soir, contribuant de même activement à l’élection du Cartel des gauches. Le nouveau titre est également défavorisé par le « consortium » dont les cinq quotidiens rivalisent de concert contre lui en décidant d’une expansion de l’espace accordé aux insertions publicitaires43. Dès 1925, Le Journal, que contrôle Havas, parvient à prendre le contrôle du capital de Paris-Soir, financièrement affaibli. À la suite de cela, la rédaction du journal créé par Eugène Merle, qui a « viré à droite »44, appelle dès 1928, à soutenir la cause de l’Union nationale, en une évolution qui peut de même décourager les contemporains quant au devenir du pluralisme dans l’espace public.
La publicité commerciale érigée en une puissance économique, capable de rapports de force institutionnels
Au problème des conditions d’équité quant au financement du capital de la publication, s’ajoute celui de l’équité des ressources perçues dans la durée de l’exploitation. À la faveur d’un basculement de l’organisation des pouvoirs économiques au cours des années 1920 au profit des annonceurs, les recettes de publicité commerciale deviennent plus avantageuses encore parmi les revenus de titres majeurs de la presse commerciale. En sens inverse, ceux-ci reconnaissent le rôle économique de la filière de l’annonce de publicité, en acceptant l’institution des contrôles réclamés de leur part comme la justification des tirages. L’incorporation du profit tiré des annonces dans la stratégie de groupes de presse tel celui de Jean Prouvost contribue à former une filière financiarisée de la publicité commerciale, à l’écart de laquelle est tenue plus encore la presse d’opinion.
La situation française demeure caractérisée au début du siècle par la position prépondérante de Havas qui, en tant qu’agence de presse et agence fermière de publicité, détient comme un « instrument de pouvoir »45 les moyens de placer sous dépendance les plus grands journaux nationaux. Le « système à deux têtes » instauré en 1879 lui permet de se montrer incontournable, face à eux, en proposant par des traités de longue durée de « [défalquer] du montant de ces recettes d’annonces » le prix de son abonnement aux services de dépêches. L’activité de Havas qui commercialise l’espace offert par les journaux, à l’intérieur de leur quatrième page, relève du courtage « à peu près général avant 1914, mais encore très fréquent vers 1925 », mais qui, en raison des tarifs excessifs, de l’opacité des pratiques, voire de conduites peu honnêtes entretient le sentiment répandu de subir une offre de « publicité chère et insuffisamment efficace »46. Au sein de plusieurs des titres majeurs de la presse commerciale émerge la volonté de se dégager d’une situation figée et défavorable par une compétitivité accrue de leurs politiques commerciales envers l’apport économique de l’annonce. L’Intransigeant, repris par Bailby, accepte, le premier, après 1918, de mêler encarts publicitaires et texte rédactionnel47. L’élévation du nombre de colonnes consacrées aux insertions fait de même l’objet d’une rivalité, toutefois contrôlée au sein du « consortium » des cinq grands journaux, qui entend peser ainsi, en un ensemble, face aux fournisseurs d’ordres de publicité. Le résultat est appréciable pour Le Petit Parisien dont les recettes d’annonces ne représentaient que 17 % des revenus en 1913, mais en atteignent 27 % en 1930. La qualité du lectorat, du point de vue de son pouvoir d’achat, vaut aussi fortement, comme cela se produit au profit du Figaro, pour lequel ce chiffre est alors de 64 %. À l’inverse, la presse d’opinion se détache d’un flux économique qui tend à l’ignorer et dont, de surcroît, elle dénonce, à l’instar du Quotidien et de L’Œuvre, vers 1924, les manœuvres au cours de campagnes de moralisation.
Hormis la presse d’opinion, la manne publicitaire finit cependant d’intéresser une liste de supports potentiels, qui avec le cinéma puis la radio, apparue au cours des années 1920, ne cesse de s’allonger. Cette extension de l’offre, qui devient plus diversifiée, contribue à inverser l’orientation qui commande l’activité des agences de publicité agissant en intermédiaires. Des agents individuels puis des agences-conseils tendent à se constituer, après 1900, pour assister l’annonceur dans la sélection, la plus documentée possible, des vecteurs retenus pour leur propagande commerciale. La connaissance certifiée du tirage des journaux est pour cela une donnée précieuse, en faveur de laquelle se déclare consentir un front, formé à l’intérieur de la presse écrite, surtout par les titres régionaux et les éditeurs de magazines, dont près de 200 accompagnent, avant 1939, le lancement réussi d’un Office de Justification des Tirages (O.J.T.). Havas commence à se prêter à ces évolutions en absorbant en 1920 la S.G.A., consacrée aux activités publicitaires, et en y développant une politique plus active de « services aux annonceurs »48. En rejoignant ce front, avec l’intention de bousculer l’alliance assez retardataire nouée entre les cinq « grands journaux » et Havas, le groupe Prouvost, dès la reprise de Paris-Soir en 1930, adopte un ensemble de comportements de nature à rompre avec l’opposition faite aux demandes des annonceurs, c’est-à-dire généraliser le mélange des encarts de réclame et des plages rédactionnelles, exclure les annonceurs de produits suspects, respecter les conditions commerciales d’insertion et enfin soumettre l’ensemble de ses titres aux contrôles de l’O.J.T.. Passée cette manifestation d’alignement avec les demandes des annonceurs et de leurs nouveaux représentants, les agences-conseils, la pratique du courtage, au service à l’inverse des journaux, ne cesse de reculer. Havas cesse de rejeter ce nouveau positionnement commercial, qu’il occupe désormais en cumulant même cette orientation avec ses anciennes activités, en opérant par le contrôle de filiales nombreuses après 1927 des augmentations successives de capitaux, dans le domaine de l’affichage, de la réclame cinématographique, radiophonique, sans oublier, comme domaine de spécialité, la publicité financière, et même dans l’exploitation directe de journaux ou encore de stations radiophoniques49.
Havas est en effet depuis 1879 une société de capitaux importante cotée en Bourse, qui peut de la sorte mener une politique remarquable par sa stratégie de croissance externe, holding de nombreuses filiales dans l’ensemble des activités de communication. Plusieurs des journaux, en fonction desquels elle semble adapter sa conduite, sont de même, tels Le Petit Journal ou Le Petit Parisien, mais aussi Le Figaro, etc., des entreprises cotées en Bourse. Comme le rappelle Marc Martin, « la période 1900-1930 voit apparaître les premiers gros annonceurs industriels, ceux qui fabriquent en série des produits caractéristiques de la nouvelle société technique »50. Parmi les Michelin, Citroën, L’Oréal, Kodak et autres, qui agissent alors en précurseurs des campagnes massives de réclame, figurent pour la plupart des firmes également cotées, plus particulièrement celles qui connaissent une expansion multinationale, développées notamment à partir des États-Unis. Ainsi, aidée par une institutionnalisation accélérée des métiers de la publicité et du regroupement des donneurs d’ordres, se créée la constitution de la cohésion d’une filière financiarisée de la communication commerciale. Du côté des agents de publicité, l’initiative est prise de la formation en 1906 d’une Chambre syndicale de la publicité, associant métiers de la publicité et représentants de journaux, suivie d’une Corporation des techniciens de publicité, en 1913, destinée à favoriser l’avènement de la catégorie nouvelle des agences-conseils, alors que les publications d’intérêt professionnel se multiplient, après l’apparition en 1903 du mensuel La Publicité. Du côté des annonceurs, en 1922, la Semaine de la publicité regroupe les représentants de diverses instances d’une interprofession pour agir en faveur de la fondation de l’O.J.T.; et en 1935 est instituée une Fédération française de la publicité qui unit durablement la défense des intérêts de la filière entière de l’annonce commerciale. Au cours de l’entre-deux-guerres, donc, les annonceurs établissent une représentation de leurs intérêts qui correspond à celle d’un grand nombre de branches d’activité, tournées en particulier vers la grande consommation, et ont à associer, sous cet aspect, leur action à d’autres puissances économiques que constituent les grands journaux et leurs partenaires de premier plan, tels Hachette ou Havas. Proches en cela des cercles de pouvoir patronaux, l’annonce commerciale est, en peu de temps, devenue régie, sur le plan professionnel, comme un pouvoir corporatif, économique et potentiellement idéologique. La question de la neutralité institutionnelle de ces activités s’en trouve nécessairement renforcée dans son acuité, au moment où l’action politique peut amener à une certaine contestation de ce pouvoir, à travers par exemple les campagnes du Parti radical des années 1923 à 1925 défendant une taxation des dépenses de publicité ou une moralisation des insertions. En intervenant de plus dans les équilibres comptables des organes d’opinion, l’activité publicitaire peut ainsi apparaître se développer comme une arme politique partiale au service du monde des affaires, en dépit de protestations comme celle de L’Humanité, revendiquant en 1930 le droit « de ne pas être victime de discrimination de la part des annonceurs »51.
La filière de production de l’information contrôlée par une entente occulte dirigée par le consortium des principaux acteurs économiques et financiers
Havas, agence de presse et agence de publicité, qui adopte les caractères d’une société de capitaux cotée en Bourse est rejointe dans ce choix, en une sorte de symétrie, par Hachette, société de messageries, en 1922. Entre ces deux segments amont et aval et au bénéfice de cinq journaux majeurs52 – dont plusieurs tels le Petit Journal et le Petit parisien sont de même financiarisés, – est organisée à partir de 1912 l’action d’un « consortium » occulte destiné à préserver et étendre les positions commerciales obtenues. Par exemple, Le Petit Journal et Le Petit Parisien sont financiarisés de cette façon. L’accord porte d’abord sur la politique commerciale en matière d’annonces, chacun des journaux uniformisant celle-ci pour éteindre une concurrence interne, en mutualisant même les recettes redistribuées en proportion des tirages respectifs, sachant que cette caisse permet aussi d’intéresser une dizaine d’autres publications, telles des revues, devenant complices de l’entente. En 1923, cette dernière commence à servir de verrou à l’égard des initiatives de nouveaux entrants. Le Quotidien, en période de lancement, bute sur le refus de Havas d’insérer des annonces et sur celui de Hachette d’organiser sa distribution et Le Matin demande même aux dépositaires de choisir entre disposer de lui-même ou de ce nouveau venu. De même, en 1923, L’Œuvre subit un pareil ostracisme commercial, qu’il choisit de dénoncer, en vain, dans ses colonnes. En 1925, les conditions offertes par les membres du « consortium » à la direction de Paris-Soir, nouvellement apparu, obèrent sa gestion au point que celle-ci est conduite à apporter la propriété du titre à l’un de ses membres, Le Journal. François Coty, en lançant L’Ami du Peuple en 1928, souhaite engager une guerre économique contre les puissances de l’apparente entente, par l’importance des capitaux qu’il mobilise et par l’abaissement du prix de vente de sa publication, inférieur de 60 % à ce qui est réclamé par les cinq titres rivaux. D’abord, une imprimerie, liée au « consortium » par son contrat d’impression de L’Écho de Paris, annule son engagement de reproduire L’Ami du peuple, suivi des rejets signifiés par Havas et Hachette. Coty réplique en fondant une agence de publicité autonome et des services de messagerie dédiés, soutenus par des réseaux fournis de crieurs. Il ordonne de plus une campagne de dénonciation publique, appuyée sur un affichage massif, au point que l’adhésion envers le nouveau titre s’apparente à un parti pris dans la lutte entre deux camps. Bien que L’Ami du peuple pâtisse, de plus, d’une désertion générale des annonceurs pour plusieurs de ses premiers numéros, son démarrage s’accomplit ainsi de façon satisfaisante53. Par suite d’une plainte déposée par Coty, l’activité du « consortium » finit par s’affaiblir, après l’obligation prononcée en justice d’une distribution par Hachette puis la condamnation générale du « consortium », sur le plan pécuniaire, décidée au printemps 1930.
Derrière la concentration des pouvoirs qu’organise le « consortium de la presse », apparaît encore l’exercice conjoint du contrôle qu’opère un puissant acteur du monde de la banque, la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui, présente au sein des conseils d’administration de Havas en 1879 et de Hachette dès 1922, parvient à agir, durant l’entre-deux-guerres, comme le contrôlaire ultime des deux firmes. L’établissement bancaire n’est pas le seul de ce secteur à détenir des actifs dans le secteur de la presse, le banquier privé René Wertheimer54 ayant fait l’acquisition de L’Éclair en 1917, Louis Louis-Dreyfus55 de L’Intransigeant en 1932, Neuflize56 du Petit Journal en 1937 ou encore Lazard et Worms57 contrôlant quelques publications spécialisées en matière économique. L’effet de l’emprise de la Banque de Paris et des Pays-Bas sur deux établissements du « consortium » et bien au-delà, telle qu’elle se constate en retraçant la succession de campagnes de presse conduites notamment à propos de sujets de politique économique et financière, permet à Jean-Noël Jeanneney de constater combien « l’influence dominante de [Horace] Finaly demeure patente », en tant que dirigeant de la banque durant cette période58. Par ailleurs, contrairement aux autres établissements bancaires cités, à l’activité plus restreinte sous la forme de banque privée, la Banque de Paris et des Pays-Bas, comme banque commerciale déployant un réseau envers une large clientèle d’épargnants, accomplit un rôle important d’intermédiation financière59. Plusieurs des scandales qui affectent la réputation de moralité de la presse, tout au long de la première moitié du XXe siècle, comme celui de La Gazette du Franc opposant Marthe Hanau au « consortium de la presse », mettent en jeu les rapports de force dans l’organisation du contrôle de l’acheminement de cette épargne, au moment de l’expansion d’une bancarisation accélérée de la fortune des Français. Gestion des flux d’investissements financiers, sincérité de la presse et partialité de ses principaux acteurs seront ainsi mêlées dans la dénonciation insistante du dérèglement de l’espace public, qui occasionne le « grand désarroi »60 contemporain éprouvé à ce sujet61.
La contribution d’une pluralité de courants de pensée à une analyse de l’espace public et l’inspiration d’une variété d’axes de réformes
La situation de la presse, pouvant paraître comme une bataille désordonnée d’influences, aux dimensions parfois démesurées, demande, dès le lendemain du premier conflit, qu’une attention soit portée à une réflexion capable de se pencher sur ses ressorts institutionnels. Deux mouvements, quoique relevant d’obédiences spécifiques, se rattachant à une mouvance confessionnelle d’une part, avec Le Sillon, et d’autre part émanant de milieux laïcs avec les théoriciens de l’économie sociale et les partisans de réformes d’inspiration socialiste, en viennent à dresser un constat convergent. Après l’aboutissement de ces analyses en des initiatives législatives, aux sorts divers, cette recherche trouve après 1935 un approfondissement dans les écrits et les institutions de presse nés de philosophies telles que le personnalisme d’Emmanuel Mounier ou l’existentialisme d’Albert Camus.
Après 1918, le développement d’une critique matérialiste de l’organisation des métiers du journalisme
Au tournant du XXe siècle s’amorcent deux mouvements qui, poursuivant les projets de la construction d’un renouveau religieux ou de l’expansion des institutions de l’économie sociale, en viennent à concevoir, comme règlement des problèmes de la presse, un programme de réforme confié à des formations partisanes plurielles, appelées à s’allier face à l’opportunité, en 1936 puis après 1944, de réaliser les transformations législatives souhaitées.
Le Sillon de Marc Sangnier, la Ligue de la Jeune République (L.J.R.), le Parti Démocrate Populaire (P.D.P.) et le Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.)
Le courant original au sein du catholicisme français, qui doit beaucoup à la personnalité de Marc Sangnier, s’inscrit dans une recherche de renouveau spirituel, où l’on voit « dans le climat d’effervescence qui a gagné une partie de la jeunesse intellectuelle [s’affirmer] à la fois la volonté de se tourner vers le peuple [et] d’apporter à la démocratie le concours du sentiment religieux »62, ce qui vaudra à cette branche de l’Église la condamnation du Vatican en 1910. Tourné vers un effort d’éducation populaire, le mouvement multiplie les initiatives de publications, comme Le Sillon, mensuel lancé en 1894, puis L’Éveil démocratique, hebdomadaire lancé en 1905. Pour la fondation du quotidien La Démocratie, en 1910, Marc Sangnier, assisté des journalistes Francisque Gay, Georges Hoog et Henry du Roure, organise une campagne de dons et procède ensuite suivant « un système coopératif très curieux où les ouvriers étaient rémunérés non à la tâche, mais en fonction de leur âge et de leurs charges familiales »63. Du Roure aborde les problèmes du journalisme, en 1908, dans La presse d’aujourd’hui et la presse de demain64, essai dans lequel il dénonce « la morale du journalisme » ou encore les liens entre « les financiers et la presse », en affirmant qu’« il n’y a pas de presse démocratique ». Il développe ces idées dans un article de 1911, en plaidant « que dirait-on si les plus grandes forces du pays étaient le Bon Marché, la Samaritaine ou la Bazar de l’Hôtel de ville? ». Il estime alors que « la grande réforme démocratique, peut-être la première de toutes, c’est de donner le pas à la presse d’idées sur la presse commerciale, dite d’informations »65. Marc Sangnier étend cette réflexion aux aspects de la répartition de la publicité commerciale dont le quotidien est victime « avec une publicité à peu près nulle »66, puis La Démocratie fustige, usant d’un titre à gros caractères, « ce que les annonces rapportent aux grands journaux où l’on jongle avec les millions »67. À la veille de la guerre, le mouvement prolonge ses campagnes par la formation d’un parti politique, la Ligue de la Jeune République, engagée dans de nombreux combats sociaux et qui obtient cinq élus à la Chambre des députés de 1919.
La Jeune République, qui soutient « à la base de [sa] conception démocratique, une œuvre d’éducation », juge, d’après son vice-président Georges Hoog, que « le capitalisme, c’est l’anarchie de la production [et] l’oppression économique des masses » et prône les progrès attendus de « la participation du travail aux bénéfices de l’entreprise, puis la coopération », dans une filiation revendiquée à Buchez et Lamennais68. La fondation en 1924 du Parti démocrate populaire, se déclarant très voisine de celle-ci, mais rattachée au camp de la droite parlementaire, permet d’associer à cette sensibilité d’autres personnalités spécialistes de la presse, comme Georges Bidault, Georges Hourdin et plusieurs responsables d’Ouest-Eclair. Les problèmes de la presse sont abordés de façon plus constante encore dans L’Aube, quotidien lancé en 1932 par Francisque Gay, devenu éditeur à la tête de Bloud & Gay. René Coty y publie, début 1933, ses arguments en faveur d’une proposition de loi favorable à l’interdiction de la possession par une seule personne physique ou morale de plusieurs journaux69. Georges Hoog développe certaines de ces analyses dans une série d’articles, qu’accompagne une campagne de réunions et de banquets « pour une jeune politique et une presse libre »70. En tant que spécialiste de l’économie sociale, il publie encore, en 1942, La Coopérative de production71.
La Jeune République se prononce dès lors tout naturellement comme un soutien de la politique du Front Populaire et des initiatives de Léon Blum pour réformer la presse par le projet de loi de novembre 1936. Les animateurs de la pensée et de l’action de ce courant de la démocratie chrétienne sont de même aussi les protagonistes majeurs du mouvement de réforme de la législation de la presse de 1944. Francisque Gay est, durant le conflit, éditeur de presse clandestine dans un groupe de la Résistance où il se trouve proche de Marc Sangnier et d’Émilien Amaury. Chargé par le C.N.R. de la réflexion utile à une transformation de la presse, il conçoit les documents qui seront les études fondamentales retenues pour orienter la construction du nouveau cadre réglementaire72, avant de siéger parmi les ministres de la Libération, comme ministre d’État puis vice-président du Conseil en 1946. Fils d’un responsable d’Ouest-Eclair, Pierre-Henri Teitgen, occupe en 1944 les fonctions de ministre de l’information et Georges Bidault, ancien rédacteur en chef de L’Aube, assure la présidence du Gouvernement provisoire de la République française en 1946. Formés au sein du courant de la démocratie chrétienne à la connaissance des problèmes du secteur de la presse, ce sont des journalistes ou éditeurs qui parviennent ainsi à représenter au gouvernement les intérêts de leur profession, au nom de l’intérêt général, et au-delà à assurer la prise en charge des affaires publiques.
L’École de Nîmes de Charles Gide, la Ligue des droits de l’homme et la S.F.I.O.
De la même façon que certains milieux journalistiques au sein de la presse d’opinion s’intéressent, par la connaissance des théories de l’école sociétaire et de l’économie sociale, à l’essor des coopératives et des autres institutions mutuellistes, certains de ses promoteurs se tournent en sens inverse vers la situation que connaît la presse pour englober ce secteur dans le périmètre de ses projets. Charles Gide, présenté, étant à la tête de l’influente « école de Nîmes » apparue vers 1886, comme le propagandiste central des conceptions de l’économie sociale, représente, en animant des conférences à l’occasion des nombreux rassemblements qu’organise le Sillon, le point de passage principal vers un mouvement qui accueille favorablement ces thèses73, au point que le développement des coopératives pourrait figurer comme un « sillonnisme intégral »74. Ce sont aussi des thèses avec lesquelles renoue plus clairement le parti socialiste, une fois passé l’essentiel des déchirements dus à la querelle à propos des voies collectivistes et du soutien au soviétisme. Le statut de coopérative avait déjà été retenu lors de la fondation de certains de ses journaux partisans, aussi importants que L’Humanité, au début de son lancement75. Au cours des années 1930, face à la crise éprouvée de l’espace public, la convergence des régimes de l’économie sociale et de la gestion d’activités d’information et de communication retrouve une plus forte actualité. En soutenant que la « coopération des artistes, des littérateurs pour l’édition de leurs œuvres, des sculpteurs ou des peintres pour se procurer les matériaux de leur métier peut être fort utile »76, Ernest Poisson, responsable socialiste et ancien secrétaire général de la Fédération nationale des coopératives de consommation, envisage que des « fonctions esthétiques et morales » soient plus largement dévolues à un secteur autonome de production à but non lucratif. Le besoin ressenti de contrer la mainmise de l’argent sur la presse avive alors ce projet. L’Humanité avait déjà publié, dès 1908, des articles où certains de ses rédacteurs, comme Alexandre Bracke, énonçaient que « l’accaparement de la presse par le capitalisme [est] un fait général » et que « la classe ouvrière n’échappera à la presse capitaliste qu’en se faisant sa presse à elle ». Au cours des années 1930, le nombre de ces articles est devenu considérable, y compris dans Le Populaire où l’un d’entre eux porte le titre de « la presse capitaliste devient un danger public national et international »77. La dénonciation de problèmes structurels affectant le fonctionnement des journaux et du journalisme s’étend avec la part prise par ce sujet au Congrès d’Amiens de la Ligue des droits de l’homme, en juillet 1937, où le journaliste et économiste Georges Boris présente le rapport sur « les puissances d’argent et la presse »78. Georges Boris79, après avoir été chargé de la gestion du Quotidien, après 1923, dont il a dénoncé les dérives, est le fondateur de l’hebdomadaire La Lumière où une critique de la situation de la presse se déploie largement. Il rédige en 1936 une des brochures, dans la collection des Cahiers du socialiste, sous le titre Le problème de la presse, où il développe un plan détaillé destiné à une réforme de celle-ci80.
Tout en provenant d’une autre origine professionnelle et doctrinaire, Georges Valois rejoint les penseurs d’une réforme du journalisme, tels que Georges Boris, en se montrant en particulier favorable à l’adoption de solutions sous la forme de structures coopératives. Dès 1918, il fonde une Société mutuelle des éditeurs français qui devient la Maison du livre français et crée après 1925 plusieurs publications dont Le Nouvel Âge, lancé en 1934, qui défend une émancipation matérielle des écrivains et journalistes à travers « une économie nouvelle propre à remplacer le capitalisme ». Ses nombreuses initiatives pour édifier un système alternatif dans le domaine de la production intellectuelle et artistique atteignent une forte dimension avec l’Union pour l’indépendance de la presse, émettant un « appel aux intellectuels » à l’appui de sa défense, dès 1929, auquel adhèrent bon nombre de personnalités éminentes telles que Vincent Auriol, Albert Bayet, Georges Boris, Ferdinand Buisson, Édouard Daladier, ou encore Édouard Herriot81. Après 1935, Georges Boris, d’obédience socialiste, et Georges Valois, venant d’un certain anarchisme de droite, représentent deux figures dans la pensée desquels convergent l’analyse des raisons du rejet d’une presse excessivement financiarisée et le soutien à l’adoption de solutions puisées dans l’exemple des institutions coopératives.
Après 1930, le développement d’une critique spiritualiste de la transformation de l’espace public
Alors que des associations confraternelles et des groupements patronaux de la presse existent avant le premier conflit mondial, l’initiative qui aboutit en mars 1918 à la constitution du Syndicat des journalistes est la première à rassembler entre eux des journalistes salariés. Le syndicat tient à agir en un conseil défendant la déontologie propre à la profession en adoptant dès juillet 1918 une Charte des journalistes français. Convaincus que « la profession de journaliste (…) possède des caractères d’un ordre particulier »82, les promoteurs d’une loi promulguée le 29 mars 1935, dite loi Brachard, obtiennent l’instauration ainsi d’un premier « statut professionnel du journaliste », garantissant notamment les droits afférents au port d’une « carte de presse » et intervenant en cas de séparation avec l’employeur sous la forme d’une clause de cession et d’une clause de conscience83. Une fois cette amélioration du droit des rédacteurs acquise, demeure la question d’une définition du statut de l’entreprise de presse, qui pourrait être inspirée de principes tels que ceux que Léon Blum, alors premier dirigeant de la S.F.I.O., expose dans un article du Populaire du 28 avril 1928. Il y défend les bases d’un système où « les journaux seraient publiés par les soins et sous la responsabilité des partis politiques [auxquels] le service public fournirait des locaux, le matériel d’impression, des budgets de rédaction équivalents [tout en centralisant] la publicité commerciale [et] le service assurerait également le transport, la distribution et la vente au détail des journaux »84. Le projet de loi qu’il présente le 26 novembre 1936 une fois parvenu au pouvoir — assisté de Georges Boris devenu chef de son cabinet —, procède de principes différents, en insistant sur une amélioration des conditions de transparence, un contrôle des subventions de provenance étrangère, le statut d’entreprise de presse sous forme de société de capitaux aux actions nominatives, ainsi qu’une répression des fausses nouvelles. Accusée de sous-tendre une volonté despotique, après son adoption par les députés, l’initiative législative est repoussée par le Sénat en juin 1937. En dépit de cet échec, il reste cependant, au bilan du passage du Front populaire à la gestion des affaires publiques, le contenu des mesures prises par décret ou d’ordre administratif portant sur les conditions d’émission de la publicité financière ou encore sur la répression des délits de diffamation.
Même si l’essentiel des problèmes soulevés par un vaste mouvement professionnel et intellectuel reste posé, les actions engagées, abouties quant au droit des journalistes en 1935 puis repoussées quant au droit du statut des publications en 1936, agissent au milieu des années 1930 comme un tournant. Une critique de la crise de l’espace public persiste, mais elle tend à approfondir ses analyses vers l’élaboration d’une réflexion plus générale, examinant une philosophie de l’objet d’une condition de la culture pour Emmanuel Mounier, et par ailleurs du sujet du journaliste armé de sa conscience pour Albert Camus.
Le personnalisme d’Emmanuel Mounier et la philosophie de la culture et du journalisme
En concevant de remplir une mission de « catholiques dans la cité »85, bien des écrivains et journalistes qui fondent la revue Esprit, en octobre 1932, se trouvent proches, bien que plus jeunes, des animateurs de la mouvance du Sillon. Le rassemblement intellectuel que la publication réalise vise à donner un rayonnement aux thèses du personnalisme, que développe notamment Emmanuel Mounier, attaché à réfléchir à une évolution de la condition individuelle en réaction à une « crise de l’homme au XXe siècle », attendant d’une révolution spirituelle et d’une transformation sociale la progression d’une émancipation de la personne capable d’être à elle-même sa propre fin. La dimension de la liberté et la créativité de chacun, révélée dans la communauté, est soulignée par la place donnée à l’art dans le « Manifeste de Font-Romeu », voulu comme fondateur de la sensibilité partagée, où il est affirmé que « l’art est un moyen pour transfigurer la matière, pour rapprocher l’expression de l’inspiration [mais] l’art s’appauvrit si une élite l’accapare »86. Aussi le thème rejoint-il assez directement celui de l’argent. Dans un numéro de la revue d’octobre 1934, présent comme dans bien d’autres, le sujet central du dossier, « l’art et la révolution spirituelle », donne lieu à une dizaine d’articles où différents auteurs abordent la déclinaison du sujet quant « à la réhabilitation de l’Art et des Artistes », « l’Art, instrument de communion » et les différentes situations de la littérature, la poésie, le théâtre, le cinéma, etc.87. Pour Jacques Charpentrau et Louis Rocher, l’approche expliquant l’« intérêt constant porté par le personnalisme à la création artistique » est plus large et concerne le problème contemporain de la communication, car « dire que la personne ne peut être sans s’exprimer, c’est déjà susciter tous les problèmes de communication qui peuvent se glisser entre les hommes, à tous les degrés, de la parole quotidienne à la peinture abstraite »88.
Tout naturellement, la situation de la presse et du journalisme est examinée notamment à travers la critique sociale que porte le mouvement de la revue Esprit. En un ensemble, relevant d’une série d’articles figurant dans le numéro d’octobre 1933, sont abordées les questions portant sur « l’écrivain et l’argent », « l’art et l’argent », mais aussi « l’argent et la démocratie »89. Les moyens du témoignage sont utilisés dans la revue pour mieux appréhender les « expériences d’un journaliste »90 ou encore de l’enquête pour mieux découvrir « la publicité » 91 et les détails de l’activité d’« Havas »92. Cependant, l’analyse tend à englober l’approche des problèmes du journalisme, y compris dans le cadre large des mutations internationales et de la question de la paix. Pour André Ulmann, alors que « la presse a pour mission d’apprendre à l’homme la vérité sur les choses de la cité », « l’histoire de la presse, dans ces dernières années, est toute entière trahie : Le Temps, Les Débats, d’autres encore, sont aux mains des munitionnaires, au service du Comité des Forges »93. Lorsque la question de la propriété économique est évoquée, la pensée personnaliste se réfère aux racines proudhoniennes dont elle se réclame pour éclairer sa vision de l’histoire du capitalisme et de la conception de ses alternatives, dès le Congrès qui préside à sa fondation, il est défendu que « la gestion des entreprises doit être aux travailleurs, à quelque degré de la technique ou dans quelque monde du travail qu’ils se situent » et qu’« ainsi sera répandue sur tous la dignité d’être libre en même temps que responsable, bienfait au nom duquel on défend la propriété privée et que nous ne pouvons plus dispenser que par ce moyen »94. Le mouvement formé autour de la revue Esprit apportera globalement son soutien à l’action de réforme menée par le Front populaire. Par ailleurs, la proximité, en particulier de Mounier, de Gay et de Teitgen, avec les organisations de la Résistance renforcera les éléments d’une communauté de pensée et d’action qui débouchera dans l’accomplissement des mesures réalisées à la Libération.
L’existentialisme d’Albert Camus et la philosophie politique et éthique de la presse
Le parcours d’Albert Camus, dès les premières fonctions qu’il occupe à Alger Républicain, en parallèle avec la réalisation d’une œuvre littéraire, l’amène à aborder les problèmes du journalisme en tant que praticien de ce métier, même s’il tient à le servir en tant que commentateur réfléchi plus qu’en enquêteur ou auteur d’interviews. De façon particulière, son introduction dans le métier se produit, à Alger et ensuite à Paris, au sein des rédactions d’Alger Républicain, de 1938 à 1939, puis du Soir Républicain, de 1939 à 1940 puis de Combat, au sein de titres de presse où la pensée d’un autocontrôle bénéficiant aux journalistes doit prévaloir par des structures adaptées d’entreprise. Albert Camus conçoit l’idéal qui se dégage de cette position en une éthique de la liberté autonome du journaliste dans l’exercice de sa pratique professionnelle. Le contrôle du journal obtenu par le journaliste entraîne par conséquent, en une mission soumise à la conscience, la question du contrôle du journaliste par lui-même, en un exercice critique permanent de réflexivité, aussi sensible qu’est aigu le « service public » attendu du sacerdoce de la « presse d’idées »95. La condition morale du journaliste aboutit, de plus, avec les principes de la philosophie existentialiste que Camus prône, à la nécessité de penser cette éthique comme celle d’un individu ordinaire armé de cette conscience d’un devoir, évoquant la beauté pour le journaliste « d’avoir à se juger soi-même »96. Enfin, agit pour donner à la presse une exigence particulière, la considération existentialiste du libre arbitre moral dans la circonstance de l’existence sociale, déterminée par la communication avec ses semblables. Ainsi, « ce qu’il faut défendre, c’est le dialogue et la communication universelle des hommes entre eux [et] la servitude, l’injustice, le mensonge sont les fléaux qui brisent cette communication et interdisent ce dialogue. C’est pourquoi nous devons les refuser »97.
Comme pour d’autres réformateurs de 1944, les circonstances de la Résistance amènent Camus à côtoyer d’autres de ces acteurs, comme Georges Bidault lors de la publication clandestine de Combat, ou Emmanuel Mounier, parmi les rédacteurs associés à la parution officielle de celui-ci. Le journaliste Camus, qui occupe une position publique éminente à Combat, se fait le commentateur exigeant des réformes élaborées par les nouvelles équipes gouvernementales. Les attentes formulées à l’égard de celles-ci sont fortes, suivant l’objectif collectif qu’il fixe, dès le premier numéro du quotidien qu’il dirige — « en finir avec l’esprit de médiocrité et les puissances d’argent »98, en considérant qu’une « véritable révolution de presse »99 doit être menée à bien, car « une occasion unique nous est offerte de créer un esprit public et de l’élever à la hauteur du pays lui-même »100, ceci même si la difficulté de la tâche réside dans la nécessité de concevoir dans la loi l’« interdépendance de la politique et de la morale »101. Les critiques sont assez vives par la suite, Camus estimant en mars 1945 que « la loi de 1881 à laquelle restent soumis les journaux laissait le champ libre à l’argent [et] elle n’a été que très légèrement amendée »102, car « on diffère les réformes de structure, on diffère les mesures financières et on diffère le statut de la presse [et] demain, l’ennemi s’étant renforcé, les réformes échoueront ou se montreront mauvaises [:] nous serons les utopistes »103 et ensuite « la France retournera à son mensonge »104. En août de la même année, il rappelle qu’obligatoirement une « presse libre est une presse qui se contrôle elle-même », alors que face à cela le retour se ressent, comme un « modèle », « de titres énormes, hors de proportion avec l’information réelle (…) mettant en valeur un détail savoureux aux dépens de la nouvelle véritable » et donc questionne « à cet égard, avons-nous achevé la révolution annoncée? Il est bien certain que non »105.
Une des voies offertes pour contribuer à un renouveau de la presse est la formation procurée aux jeunes journalistes, à laquelle Camus prête une attention particulière, en donnant des conférences dans les institutions comparables au Centre de formation des journalistes, dont la profession organise le fonctionnement à partir de 1946. Il rejoint ensuite l’équipe de rédacteurs de L’Express en 1953, au moment où le lancement du nouvel hebdomadaire apparaît comme une résurgence de la défense d’un « journalisme critique ». Sa disparition survient en 1960, avant qu’un mouvement favorable à la constitution de sociétés de rédacteurs, amorcé en 1951 au sein du Monde, s’étende au point que soit formée en 1967 une des sociétés de journalistes106. En dépit de ses vicissitudes, cette voie est considérée par la suite comme la plus adaptée pour conférer aux organes de presse les bénéfices d’une gouvernance autonome.
Cohésion et nuances d’une pensée de la crise de l’espace public
On peut être surpris en apercevant combien la masse des commentaires et analyses produits durant la période de l’entre-deux-guerres, au sujet d’une critique de la presse et de sa réforme, relativement enfouis dans l’historiographie actuelle, révèle une étendue dont les termes suffisent même pour tracer les voies principales de la réflexion telle qu’elle se poursuit durant la partie suivante du siècle.
Une sorte de système reliant ces quatre différents pôles intellectuels émerge même, dont il est possible de rapprocher la structure de la distinction qu’opère Olivier Dard, dans Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, pour ordonner sa description de la « nébuleuse de groupements, souvent éphémères, parfois durables (…) dont l’objectif est de porter des projets de rénovation du pays », organisée suivant « une opposition entre “réalistes” et “spiritualistes” »107 (Fig. 2).
Fig. 2 : pôles intellectuels et opposition entre "réalistes" et "spiritualistes"
Chronologiquement, les tenants d’une pensée réaliste de la crise de la presse et de sa réforme veillent d’abord principalement à l’élaboration de principes politiques aptes à construire la normalisation collective d’activités par l’adoption d’un système réglementaire, à l’instar du Sillon développant les moyens d’une influence politique en fondant des formations partisanes et de plus comme l’école théorique de l’économie sociale que prolonge l’action de partis semblables à la S.F.I.O.. Après une domination des approches réalistes, « le mouvement qui débouche sur le contrepoint “spiritualiste” s’affirme vers 1931 »108, selon Olivier Dard, non loin du tournant situé vers 1935-36 lorsque les projets de loi Brachard sur les journalistes et Blum sur le statut de la presse sont conçus. Par la suite, en effet, les tenants d’une pensée spiritualiste de ces questions se manifestent plus significativement par l’énonciation des comportements qu’elle dicte à l’individu suivant la direction de convictions philosophiques avancées, diffusées par les canaux d’influence propres à celles de mouvances intellectuelles, telles que le personnalisme d’Emmanuel Mounier et de plus l’existentialisme d’Albert Camus. Entre ces deux périodes, au début des années 1930, le champ des activités visées par ces analyses s’élargit par ailleurs, en englobant plus largement les problèmes spécifiques à l’édition, au cinéma, ou encore à la radio, pour laquelle l’instauration d’un secteur public est imaginée.
Une autre démarcation peut être appréciée entre l’approche ouverte, suivant la conception d’une économie plurielle, à une confrontation des différents régimes organisant la propriété et le contrôle d’une part, et la primauté donnée, suivant les statuts de l’économie sociale, à la forme coopérative seule d’autre part. Une sensibilité modérée, commune au Sillon et à Esprit et aux formations politiques de la démocratie chrétienne, attachée à la propriété privée et opposée en cela de façon résolue au marxisme, peut paraître privilégier une approche « œcuménique » de l’organisation de la propriété économique. Celle, transverse aux conceptions de Gide, Camus et aux partis de la gauche parlementaire, place plutôt ses principaux espoirs dans l’octroi aux collaborateurs du pouvoir de gestion de l’entreprise.
Ces options peuvent cependant apparaître comme des nuances, au sein d’une pensée non conformiste, telle que la décrit Olivier Dard, comme se développant au cours des années 1930, dont participent ces multiples pôles, en entretenant des relations de dialogue plus que d’une opposition réservée de concert aux tenants d’un soutien aux formes dominantes de l’organisation des pouvoirs économiques.
Conclusion
La France n’a pas connu une crise de l’espace public qui diffère, pour l’essentiel, durant principalement les années 1920 et 1930, des évolutions connues à l’étranger. En revanche, peut-être en raison de l’occupation du pouvoir à la Libération par des groupements qui ont combattu ces dérives, le bilan des réformes accomplies par le mouvement de 1944, même partiellement instaurées en regard des projets et des besoins identifiés, est original. Les exemples des États-Unis et du Royaume-Uni montrent deux cas de situations nationales, où le constat de problèmes majeurs est formulé, mais, en dépit de la réunion de commissions d’étude de réformes, sans qu’un tel plan soit adopté.
Aux États-Unis, est réunie en effet, à partir de fin 1942, à l’initiative du groupe Time inc., la Commission Hutchins dite « Commission sur la liberté de la presse » composée de 11 personnalités universitaires, dont son président Robert Hutchins, d’un représentant de la Federal Reserve Bank et d’un ancien ministre. Elle est financée par le groupe de presse Time inc. et l’Encyclopédie Britannica et ne comprend aucun journaliste. Ses conclusions rendues en mars 1947, valant comme des recommandations générales, soulignent principalement l’intérêt de développer une théorie de la responsabilité sociale de la presse. Au Royaume-Uni, à partir de 1947, sur la suggestion du Syndicat national des journalistes, est installée la « Royal Commission on the Press » dont les membres sont des personnalités politiques, des syndicalistes, des journalistes et des écrivains ainsi que des experts universitaires. Elle procède à l’audition de plusieurs centaines de témoins, dont une centaine de propriétaires de journaux. Le rapport remis en juin 1949 établit que les principaux journaux simplifient la présentation des événements, de façon partiale et suivant de nombreux partis pris politiques. Il contient surtout la préconisation de la création d’un « General Council of the Press », aux fins d’une autorégulation, constitué en 1953 et plusieurs fois reformé par la suite.
En France, figurant comme un axe original de réformes aux conséquences bien plus profondes, l’aménagement d’un statut de l’entreprise de presse porte ainsi, plutôt que sur une simple libéralisation des formes de société retenues pour fonder un journal, sur le principe de sa réglementation excluant les actions au porteur et imposant donc l’obligation d’actions exclusivement nominatives, comme cela est prévu dans le projet de loi Blum du 25 novembre 1936 puis dans l’ordonnance du 26 août 1944, après l’élaboration de dispositions voisines contenues dans le projet de loi de Jean Bon de 1917.
De plus, cette mesure précise perdure dans la législation de la deuxième moitié du siècle et jusqu’aujourd’hui. En matière de presse écrite, la loi Mauroy de 1984 reprend cette disposition en stipulant que « les actions représentant le capital social d’une entreprise de presse et celles d’une société qui détient directement ou indirectement 20 pour 100 au moins du capital social d’une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise doivent revêtir la forme nominative »). La loi no 86-897 du 1er août 1986, adoptée à l’initiative du Gouvernement Chirac en abrogeant la loi Mauroy, en vigueur de nos jours, conserve la mesure en précisant que, en matière d’entreprises de presse écrite, « dans le cas de sociétés par actions, les actions doivent être nominatives ».
Il conviendrait donc de s’interroger sur la part prise par une telle mesure, située au cœur de l’organisation économique et professionnelle du journalisme et à l’action, par conséquent, remarquablement durable sur le choix de comportements stratégiques, parmi les caractères spécifiques d’un modèle français de la presse. Il a pu être ainsi remarqué comment la situation de la presse en France parvenait à éviter, dans les décennies qui suivent la fin de la dernière guerre, celle connue à l’étranger, où d’importants groupes de presse privilégiaient le développement des formules de titres quotidiens de format tabloïd et multipliaient les différentes innovations d’une presse à scandales, en Grande-Bretagne ou encore en Allemagne109. Certains de ces traits caractéristiques peuvent être identifiés dans la capacité remarquable montrée par l’organisation de la distribution des publications périodiques, singulières en France dans leur diversité formelle et leur pluralisme rédactionnel110. Une autre particularité pourrait être soulignée en ce qui concerne l’étendue du régime des aides publiques institué, variées par leur nature et importantes dans leur volume, ayant certainement augmenté les chances de développement du secteur entier de l’édition de presse111. En plus, la voie adoptée en vue de la recherche d’un statut de la presse organisé d’après la définition de règles spécifiques de la constitution de son entreprise éditrice pourrait avoir joué un rôle également structurant, ne serait-ce qu’en ayant servi de modèle aux expériences imaginées et de nombreuses fois réalisées par la formation d’une gouvernance autonome revenant à des sociétés de rédacteurs, durant les années 1950, plus encore durant les années 1960 et 1970 et continûment jusqu’à aujourd’hui. La comparaison de la profondeur de ce mouvement des sociétés de rédacteurs, tel qu’il s’est développé en France en regard de l’étranger, permettrait d’éclairer mieux cette question.
En définitive, partiellement entré en vigueur, le modèle prôné par les réformateurs de 1944 pourrait avoir agi, dénué de l’application de ses formes les plus strictes, toutefois comme une prescription intellectuelle, guidant vers la préservation parfois accomplie d’une référence idéale d’organisation professionnelle.
Notes
1 Cahier bleu, cité par Patrick Eveno, Histoire de la presse française. De Théophraste Renaudot à la révolution numérique, Flammarion, 2012, p. 189.
2 Pierre Albert, Fernand Terrou, Histoire de la presse, P.U.F. (Que-sais-je?), 1970, p. 120.
3 Fernand Terrou, L’information, P.U.F. (Que-sais-je?), 1962, p. 81.
4 Fernand Terrou, in Histoire générale de la presse française, t. 4, P.U.F., 1975, p. 183.
5 Fernand Terrou, ibidem, p. 213.
6 Fernand Terrou, idem.
7 Marc Martin, Trois siècles de publicité, Odile Jacob, 1992, p. 102.
8 Jean-Yves Mollier, L’âge d’or de la corruption parlementaire (1930-1980), Perrin, 2018, p. 103.
9 Cité par Jean-Yves Mollier, ibidem, p. 101.
10 Hélène Eck, « Les débats politiques autour de la naissance des N.M.P.P. », in Gilles Feyel (dir.), La distribution et la diffusion de la presse du XVIIIe siècle au IIIe millénaire, Editions Panthéon-Assas, 2002, p. 255. Au cours de cette même année, sont par ailleurs conçues les mesures de la loi du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération, qui améliorent le cadre du statut des sociétés coopératives de production et aboutissent à fournir les éléments d’un régime durable propice au développement de l’économie sociale et solidaire en France.
11 Éléonore Cadou, La distribution de la presse : étude des contrats conclus dans le cadre de la loi du 2 avril 1947, L.G.D.J., 1998, p.23. Voir aussi Camille Broyelle, Jérôme Passa, La loi Bichet sur la distribution de la presse, 70 ans après, Editions Panthéon Assas, 2018.
12 Jean-Yves Mollier, op. cit., p. 66.
13 Guy Vadepied, Émilien Amaury. La véritable histoire d’un patron de presse du XXe siècle, Le Cherche Midi, 2009, p. 191-2.
14 Fernand Terrou, op. cit., p. 318.
15 Fernand Terrou, ibid, p. 319.
16 Fernand Terrou, ibid., p. 222.
17 Fernand Terrou, ibid., p. 225.
18 Fernand Terrou, ibid., p. 362.
19 Fernand Terrou, ibid., p. 386.
20 Fernand Terrou, L’information, op. cit., p. 89-90.
21 Fernand Terrou, Histoire générale …, t. 4, op. cit., p. 333.
22 Roland Dumas, Le droit de l’information, P.U.F., 1981, p. 145.
23 Voir Christian Pradié, « La proposition de loi de Jean Bon sur le commerce de la presse du 9 octobre 1917 et l’émergence d’une politique moderne de l’espace public », Colloque Le « gouvernement » des journalistes, Université Rennes-2, Rennes, 11-12 octobre 2012. Disponible sur https://hal.science/hal-03915526v1.
24 Voir Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire (1935-1938), Plon, 1994, p. 515 et s.
25 Le Petit Journal, fondé en 1863, Le Petit Parisien, fondé en 1876, Le Matin, fondé en 1884 et Le Journal, fondé en 1892.
26 Marc Martin, Médias et journalistes de la République, Odile Jacob, 1997, p. 160. Voir aussi Fred Kupferman, Philippe Machefer, « Presse et politique dans les années Trente : le cas du Petit Journal », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 22, no 1, janv.-mars 1975, p. 7-51.
27 Fondé en 1880.
28 Fondé en 1868.
29 Pierre Albert, Histoire générale …, t. 3, op. cit., p. 515
30 Fondé en 1922.
31 Fondé en 1904.
32 Voir François Dubasque, Jean Hennessy (1874-1944) : argent et réseaux au service d’une nouvelle république, P.U.R., 2008.
33 Voir Pierre Frustier, Pierre Taittinger : patron de presse de l’entre-deux-guerres, La Crèche, 2001.
34 Fondé en 1826.
35 Fondé en 1868.
36 Voir Claire Blandin, Le Figaro. Deux siècles d’histoire, Armand Colin, 2007.
37 Fondé en 1849.
38 Fondé en 1911.
39 Fondé en 1789.
40 Fondé en 1884.
41 Fondé en 1861.
42 Voir François Dubasque, « Le Quotidien (1923-1936), instrument de conquête électorale et relais d’influence », Le Temps des médias, 2009/1 no 12, p. 187-202.
43 René de Livois, Histoire de la presse française, t. 2, Le Temps de la presse, 1965, p. 445.
44 Pierre Albert, Histoire générale …, t. 3, op. cit., p. 523. Voir aussi Laurent Martin, « De l’anarchisme à l’affairisme : les deux vies d’Eugène Merle, homme de presse (1884-1946), Revue historique, 1999/4, no 123, p. 789-808.
45 Antoine Lefebure, Havas. Les arcanes du pouvoir, Grasset, 1992, p. 103
46 Marc Martin, op. cit, p. 144
47 Ibid., p. 193.
48 Ibid., p. 259.
49 Antoine Lefebure, op. cit., p. 203.
50 Marc Martin, op. cit., p. 182.
51 Ibid., p. 170.
52 Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Matin, Le Journal ainsi que L’Écho de Paris.
53 Antoine Lefebure, op. cit., p. 226.
54 Pierre Albert, Histoire générale, t. 3, op. cit., p. 545.
55 Ibid., p. 497.
56 Ibid, p. 518.
57 Ibid, p. 597.
58 Jean-Noël Jeanneney, L’argent caché. Milieux d’affaires et pouvoirs politiques au XXe siècle, Seuil 2022 (1984), p. 154. Voir aussi Eric Bussière, Horace Finaly, banquier (1871-1945), Fayard, 1996.
59 Voir Eric Bussière, Paribas (1872-1992) : l’Europe et le monde, Fonds Mercator, 1992.
60 Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944. Histoire politique et matérielle, Ellipses, 1999, p. 150.
61 On peut citer, par exemple, paru dans les années 1910, André Morizet, Pourquoi nous avons besoin d’une presse puissante. La presse moderne, Librairie du Parti socialiste, 1912; dans les années 1920, A la lumière des archives russes. La presse vendue, Librairie du travail, 1925; dans les années 1930, René Modiano, La presse pourrie aux ordres du capital, Librairie populaire, 1935.
62 Jean-Marie Mayeur, « L’esprit des années 1890 », in Institut Marc Sangnier, Le Sillon. Marc Sangnier et les débuts du Sillon (1894), Actes de la journée d’études du 23 septembre 1994, Institut Marc Sangnier, 1994, p. 5-9, p. 9.
63 Pierre Albert, Histoire générale …, t. 3, op. cit., p. 533.
64 Henry du Roure, La presse d’aujourd’hui et la presse de demain. Un journal quotidien de la démocratique, Au Sillon, 1908.
65 La Démocratie, 27 octobre 1911, p. 1.
66 La Démocratie, 19 novembre 1911, p.1.
67 La Démocratie, 30 novembre 1911, p. 1-2.
68 Georges Hoog, in Fernand Corcos, Catéchisme des partis politiques, Editions Montaigne, 1927, p. 60 et s.
69 L’Aube, 19 janvier 1933, p. 1-2.
70 La Jeune République, 9, 16, 23, 30 juin et 7, 14 juillet 1933, repris dans Sa majesté la presse, reine esclave, La Jeune République (Les Cahiers de la démocratie, 3), août 1933.
71 Georges Hoog, La coopérative de production. Origines et institutions, P.U.F., 1942.
72 Plusieurs fascicules à la circulation clandestine sous le titre Éléments d’une politique de presse en 1944, au contenu repris dans les Cahiers bleus, sous la direction de Pierre-Henri Teigen.
73 Voir Rémi Fabre, « Charles Gide et l’école de Nîmes », in Jean-Marie Mayeur (dir.), Le Sillon de Marc Sangnier et la démocratie sociale. Actes du Colloque des 18 et 19 mars 2004, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 143-56.
74 Vincent Rogard, « Les coopératives sillonnistes : une étape vers un sillonnisme intégral », ibid., p. 37-52.
75 Voir Alexandre Courban, L’Humanité. De Jean Jaurès à Marcel Cachin, Editions de l’atelier, 2014.
76 Ernest Poisson, La République coopérative, Grasset, 1920, p. 174.
77 Le Populaire, 25 mai 1928, p. 2.
78 Voir Emmanuel Naquet, Pour l’humanité. La Ligue des droits de l’homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, P.U.R., 2014;
79 Voir Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris. Trente ans d’influence, Gallimard, 2010.
80 Georges Boris, Le problème de la presse, Au nouveau Prométhée (Les cahiers du socialiste, 7), 1936.
81 L’Œuvre, 12 mars 1929, p. 4.
82 Michel Mathien, Les journalistes. Histoire, pratiques et enjeux, Ellipses, 2007, p. 96.
83 Voir aussi Christian Delporte, Les journalistes en France (1880-1950). Naissance et construction d’une profession, Seuil, 1999.
84 Cité par Fernand Terrou, Histoire générale …, t. 3, op. cit., p. 35.
85 Michel Winock, « Esprit ». Des intellectuels dans la cité (1930-1950), Seuil (Points Histoire), 1996, p. 29.
86 Cité par Michel Winock, ibid., p. 409
87 Esprit, no 25, octobre 1934.
88 Jacques Charpentrau, Louis Rocher, L’esthétique personnaliste d’Emmanuel Mounier, Les Editions ouvrières, 1966, p. 20.
89 no 13, octobre 1933.
90 no 38, novembre 1935.
91 no 31, avril 1935.
92 no 7, avril 1933.
93 Cité par Pierre de Senarclens, Le mouvement « Esprit » (1932-1941). Essai critique, L’âge d’homme, 1974, p.76.
94 Michel Winock, op. cit. p. 411.
95 Fred Zamit, « Albert Camus : réflexivité et éthique journalistique », Les cahiers du journalisme, no 26, printemps-été 2014, p. 182-197, p. 184. Voir aussi Virgil Tanase, Camus, Gallimard (Folio biographies), 2010.
96 Ibid., p. 191.
97 Combat, 30 novembre 1946. Voir Jacqueline Lévi-Valensi (dir.), Albert Camus. A Combat. Editoriaux et articles (1944-1947), Gallimard (Folio essais), 2013.
98 Combat, 21 août 1944.
99 Combat, 4 octobre 1944.
100 Combat, 1er septembre 1944.
101 Ibid.
102 Combat, 9 mars 1945.
103 Combat, 11-12 mars 1945.
104 Combat, 16 mars 1945.
105 Combat, 22 août 1945.
106 Voir Jean Schwœbel, La presse, le pouvoir et l’argent, Seuil, 2018 (1968).
107 Olivier Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, P.U.F., 2002, p. 9-10.
108 Ibid., p. 145.
109 Voir par exemple Fernand Terrou, Lucien Solal, Le droit de l’information, Unesco, 1951.
110 Voir Jean-Marie Charon, La presse en France (de 1945 à nos jours), Seuil (points Politique), 1991.
111 Voir, par exemple, Pierre Albert, La presse française, La Documentation française, 2008.