La presse en scène

Annexe 1. Alexandre de La Ville de Mirmont, entre politique et littérature

Table des matières

GIOVANNA BELLATI

Auteur d’un peu moins d’une vingtaine de pièces, dont un certain nombre eurent les honneurs de la scène, Alexandre de La Ville de Mirmont n’a guère laissé de trace dans l’histoire du théâtre français. Ses compositions s’échelonnent entre 1810 et le début des années 1840, même si la période de plus grande notoriété pour lui coïncide avec la décennie 1820 : la moitié environ de ses œuvres a été composée pendant ces années, et, malgré des démêlés fréquents avec la censure, ces pièces ont été assez régulièrement jouées au Théâtre-Français.

Nous ne disposons pas de beaucoup d’informations sur lui : les quelques documents qui nous renseignent sur sa vie et sur son œuvre se limitent aux articles publiés dans les dictionnaires bibliographiques et les biographies universelles, et à une importante nécrologie écrite par Jules Janin après son décès1. Toutefois, les textes les plus utiles pour reconstruire sa biographie et surtout sa carrière de dramaturge, sont les notices qu’il a lui-même rédigées et qui précèdent chacune de ses pièces dans l’édition complète de 18462. L’article fort élogieux de Janin indique la date de naissance la plus complète et qu’on peut regarder comme la plus sûre : Alexandre de La Ville de Mirmont3 est né à Versailles le 17 avril 1783 dans une « famille honorable et bien posée », qui fut tragiquement éprouvée par les désordres de la Terreur, son père ayant été condamné par le tribunal de la Révolution en 1793. Ses oncles l’encouragèrent à entreprendre la carrière diplomatique, le présentant à Talleyrand, grâce à qui il fut nommé élève de première classe au Ministère des affaires étrangères. Delaville mena de front les carrières politique et littéraire, comme il est expliqué dans les Notices de ses œuvres dramatiques, desquelles s’inspire largement Janin pour la composition de son article. En fait, Janin reprend les événements marquants racontés dans ces textes, se limitant à les agrémenter par des appréciations élogieuses ou des commentaires sur la situation sociale et politique, sur les mœurs ou les mentalités de l’époque.

Ces préfaces, considérées dans leur ensemble, constituent un ouvrage cohérent et du plus grand intérêt pour cerner la personnalité et les idées de Delaville de Mirmont sur la littérature, le théâtre, la vie en général. Qualifiées par l’auteur lui-même de « causeries » dans lesquelles il exprime ses « pensées les plus intimes », elles nous renvoient l’image la plus précise et la plus riche de l’homme et de l’écrivain, mélangeant des informations biographiques, des explications sur la composition des pièces, des réflexions d’ordre esthétique et moral. La tonalité générale, entre les confessions, les mémoires et les essais à la manière de Montaigne, révèle un homme à la formation classique, qui a adhéré à un idéal de sagesse et de modération dont le modèle est celui de l’ « honnête homme » ancien, conscient de son mérite mais peu enclin à s’imposer sur les autres, cherchant une « gloire » discrète et une reconnaissance modeste, mais dépassé par les temps, incapable de s’adapter à un monde nouveau4.

Les premières notices sont riches en renseignements sur la jeunesse de l’auteur : devenu élève au Ministère des affaires étrangères – nous sommes manifestement dans les premières années du siècle, même si les dates ne sont pas précisées –, il étudie les traités diplomatiques et les langues étrangères – l’anglais et l’italien –, mais le théâtre lui fait en partie oublier ses devoirs : lisant l’Artaserse de Métastase, il a l’idée de s’essayer à en composer une imitation. C’est sur ces prémices que prend forme sa première pièce, la tragédie d’Artaxerce en cinq actes en vers. Tout en l’ayant composée sans en faire part à personne, il est presque involontairement poussé à parler de son œuvre lors d’un dîner entre amis, à Bordeaux, en 1810 : l’un de ces amis est le futur ministre Martignac, qui se charge d’organiser une mise en scène à Bordeaux même, où la tragédie est accueillie favorablement par le public et la critique. Après avoir été joué dans les « principaux théâtres des départements », Artaxerce arrivera à Paris pour être représenté à l’Odéon le 24 juillet 1820 ; soutenu par des comédiens talentueux, dont Joanny dans le rôle d’Arsace, il sera l’objet d’un compte rendu favorable dans Le Constitutionnel du 27 juillet, qui reconnaît à la pièce « l’attrait  de situations dramatiques multipliées et habilement combinées » avec « le charme de la poésie et des beaux vers ».

Dans le premier tome des œuvres complètes Artaxerce est immédiatement suivi d’une deuxième tragédie, Scipion Émilien, qui fut reçue au Théâtre-Français en octobre 1816, mais qui ne fut pas jouée. À cette époque Delaville, ne disposant ni de revenus personnels ni d’un emploi rétribué, accepte l’aide du ministre de l’Intérieur Lainé, qui le nomme chef de division au Ministère et qui l’année suivante, en 1817, lui accorde la charge d’inspecteur-général des maisons de détention. Bien que moins lucratif, cet emploi lui laisse beaucoup de temps libre pour se consacrer à l’écriture : pendant vingt-cinq ans, il pourra « mener de front les prisons et le théâtre », pour sa plus grande satisfaction.

Cependant, Delaville élimine de l’édition complète de ses œuvres deux pièces qu’il avait composées entre Artaxerce et Scipion Émilien : il s’agit d’un vaudeville, La Saint-Georges ou l’Intérieur d’une famille bordelaise, et d’une deuxième tragédie, Childéric Ier, cités dans la plupart des dictionnaires bibliographiques qui mentionnent notre auteur. Pour ce qui est du vaudeville, représenté à Bordeaux en 1814, Delaville omet probablement de l’ajouter au recueil parce qu’il s’agissait d’un ouvrage écrit en collaboration avec Martignac, dans lequel les deux amis montrent leur sympathie pour les alliés. Dans La France littéraire, Quérard estime que cette pièce « ne fait guère d’honneur aux sentiments patriotiques des deux auteurs à cette époque », car ils mettent en scène un Français chantant un couplet en l’honneur du roi Georges d’Angleterre5. Quant à Childéric Ier, cette tragédie en trois actes fut représentée à Bordeaux le 28 août 1815 et publiée par l’éditeur Lavigne jeune ; dans l’Avertissement, l’auteur la qualifie de « mélodrame en vers », dont le seul mérite est d’avoir comme sujet « l’amour que les Français portent à leur Roi ». Les sentiments légitimistes et anti-bonapartistes de Delaville se manifestent dès le début de la pièce dans l’invective contre le « Romain odieux », le « vil centurion » qui a usurpé le trône du roi légitime, représenté par Childéric, banni par un peuple ingrat qui désormais le regrette. On conçoit assez facilement que Delaville ait passé sous silence ces deux pièces et ne les ait pas insérées dans l’édition des œuvres complètes, à une époque où le mythe napoléonien battait son plein.

Après 1815, la vie et la carrière de Delaville vont désormais se dérouler à Paris. C’est probablement à cette époque qu’a lieu son mariage avec Anne Boyer6, suivi de la naissance d’un fils, Pierre, en 1816. Parmi les membres illustres de sa descendance, on compte son petit-fils Henri (1858-1924), qui fut professeur à l’université de Bordeaux et qui publia diverses études et traductions d’auteurs latins, et surtout le fils de ce dernier, Jean, né à Bordeaux le 2 décembre 1886 et mort en novembre 1914 sur le Chemin des Dames. Ami de François Mauriac, il fut auteur de contes, d’un roman – Les Dimanches de Jean Dézert – et d’un recueil poétique – L’Horizon chimérique – dont un texte fut mis en musique par Gabriel Fauré7.

En 1816, Delaville est simultanément occupé à terminer sa troisième tragédie, Scipion Émilien, et à composer sa première comédie, Alexandre et Apelle ; si l’une ne fut jamais représentée, malgré l’avis favorable des comédiens du Théâtre-Français8, l’autre, en revanche, fut mise en scène dans le premier théâtre parisien le 29 avril de la même année. La définition du genre de cette petite pièce en un acte, dont la particularité stylistique est d’être écrite en vers libres, semble avoir posé problème : dans la Notice, Delaville en parle non comme d’une comédie, mais comme d’une simple « bagatelle », écrite pour se délasser des fatigues de la tragédie ; le sous-titre agrémente néanmoins l’ouvrage de la qualification assez pompeuse de « comédie héroïque ». Un compte rendu paru dans le Journal des Débats du 1er mai conteste cette définition, argumentant que la pièce ne contient ni les aventures extraordinaires ni les sentiments supérieurs qui caractérisaient la comédie héroïque. À cause du combat victorieux que le protagoniste soutient contre ses propres passions, le journaliste reconnaît plutôt – de manière assez surprenante – une tragédie dans Alexandre et Apelle, mais une tragédie irrégulière en raison du nombre des actes et de la liberté dans la versification. Le reste de l’article n’a rien de favorable pour Delaville : on lui reproche d’avoir choisi un sujet déjà épuisé et d’avoir écrit dans un style trop lâche, redondant et froid. Cette pièce reste en tout cas une œuvre unique dans l’ensemble de la production dramatique de Delaville de Mirmont, tant pour le sujet grécisant que pour le choix du vers libre.

C’est au début des années 1820 que s’achève la première phase de la production dramatique de notre auteur, consacrée presque uniquement à la tragédie : entre 1820 et 1821 il compose sa dernière tragédie, Charles VI, après laquelle il se tournera définitivement vers la comédie. Tout en ayant été reçue à l’unanimité par le Théâtre-Français, la pièce fut interdite par la censure et ne fut finalement représentée que quelques années plus tard, le 6 mars 1826 ; malgré quelques critiques portant sur les entorses à la vérité historique ou sur des aspects de la structure et du style9, les comptes rendus furent dans l’ensemble favorables. Le succès de la tragédie fut d’ailleurs rehaussé par la présence de Talma dans le rôle-titre, dont la prestation fut jugée extraordinaire10 ; ce fut la dernière création de l’acteur, à qui Delaville consacrera plusieurs pages de sa Notice sur Charles VI.

Deux mois avant de commencer la composition de sa dernière tragédie, Delaville avait fait représenter sa première comédie en cinq actes et en vers, reprenant le modèle de la comédie classique auquel il devait rester fidèle pendant toute la décennie 1820, l’époque centrale et la plus féconde de sa carrière. C’est sur ce modèle – dans les variantes en cinq ou en trois actes –  qu’il bâtit Le Folliculaire (1820), Une journée d’élection (1822), Le Roman (1824-25), Les Intrigants (1825), La Favorite (1827), Le Vieux mari (1828-29), L’Émeute de village (1831)11 ; il y reviendra aussi pour sa dernière composition : Le Moyen de parvenir (1842-1844). Certaines de ces pièces eurent l’honneur d’être représentées à la Comédie-Française : Le Folliculaire le 6 juin 1820,  Le Roman le 22 juin 1825, Une journée d’élection le 22 mai 182912, Les Intrigants le 10 mars 183113 ; Le Vieux Mari fut créé à l’Odéon le 24 mai 1830, tandis que La Favorite, bien que reçue le 14 novembre 1829, ne fut jamais représentée. Dans les années suivantes, les rapports de Delaville avec les comédiens du Français sont destinés à se refroidir de plus en plus : toutes les pièces composées pendant les années 1830 et le début des années 1840 ne seront écrites que pour la lecture.

Dans ses comédies Delaville reprend à peu près tous les sujets auxquels s’intéressait la comédie de mœurs de l’époque : la corruption des politiques, la course aux « emplois », les menées électorales, la névrose de la réussite et de la richesse et l’arrogance des « hommes à argent », sans oublier des thématiques plus générales et typiques de ce genre, qu’il adapte à la société de son temps : le mariage et la vie du couple, la famille et les relations parents-enfants, le rôle de la femme entre vie publique et privée.

Certaines pièces ont un intérêt nettement politique : Une journée d’élection, dont la censure empêchera la représentation, dénonce la pratique des candidatures officielles, auxquelles étaient liées d’innombrables intrigues pour s’accaparer les suffrages des électeurs, moyennant des faveurs proportionnées à l’importance du personnage et à sa capacité de procurer à son tour un certain nombre de voix au candidat principal. Les Intrigants, également censurée, s’en prend à la puissance occulte de la Congrégation, et La Favorite, jamais représentée, montre l’ascendant que les femmes exerçaient sur les hommes au pouvoir : ces trois pièces, dont aucune n’eut une vie facile, constituent l’essentiel de la contribution de Delaville au sous-genre de la comédie de mœurs politique. La première, en particulier, a été considérée comme un bon exemple de peinture de la vie contemporaine au théâtre, et a été citée à ce titre par les auteurs d’ouvrages sur la comédie de mœurs au XIXe siècle14.

Sur l’autre versant, les comédies bâties autour de thématiques plus générales, telles Le Folliculaire, Le Roman, Le Vieux Mari, n’ont pas rencontré d’obstacles et ont pu bénéficier d’une mise en scène aussitôt après avoir été écrites ; les deux premières ont été les deux plus francs succès dans la carrière de Delaville.

Située au centre de la période glorieuse de l’auteur, Le Roman  est probablement la mieux réussie de ses comédies de mœurs, grâce à la variété des caractères et à une intrigue complexe mais heureusement menée. Le personnage central est celui d’un banquier, Dupré, qui professe le culte de l’argent le plus insensé, ne reconnaissant d’autre valeur que la fortune, confondant mérite personnel et consistance des revenus ; d’après sa philosophie de vie, tous les droits lui seraient acquis en raison des biens qu’il a accumulés :

Quand on est riche, on peut parler en maître.

[…]

Notre gouvernement est fort mal entendu ;

Les gens riches n’ont pas le rang qui leur est dû :

Car enfin, de l’État nous sommes les arbitres.

[…]

On devrait, sans égard, sans faiblesse,

Régler, d’après les biens, le rang et la noblesse15.

La vanité et l’arrogance que l’argent lui inspire, le poussent à tenir des propos injurieux pour la jeune Madame de Rosbelle, tandis que, d’un autre côté, la médiocrité de son caractère le rend incapable d’exercer son autorité paternelle sur un fils qui le méprise et le traite avec suffisance ; cependant, malgré tous ces travers, il sait reconnaître ses torts et n’est pas incapable d’autocritique. Aussi bien le banquier que son fils Charles – qui n’a d’autre occupation dans la vie que de dilapider l’argent de son père – sont d’ailleurs des personnages chez lesquels l’ambiguïté morale et l’absence de principes s’allient à une certaine bonté de fond qui les empêche d’être totalement répulsifs ou réellement dangereux. Si d’un côté l’union de ces aspects pourrait montrer une vision assez réaliste de l’humanité chez Delaville, qui incline à éviter une représentation en noir et blanc, d’un autre côté le dramaturge n’est pas un peintre assez habile pour donner une image harmonieuse du mélange de bien et de mal dans l’âme humaine : changeant le plus souvent de sentiments et d’attitudes sans une raison explicite, ses personnages donnent plutôt une impression d’invraisemblance et de désorganisation.

La chasse à l’argent se manifeste aussi du côté des femmes : Delaville parvient à croquer avec un certain bonheur, chez la belle-sœur du banquier, la manie des spéculations et des jeux de Bourse, inspirée par le mirage d’un gain facile, mais qui peut se révéler ruineuse. Par le personnage de Madame Dorfeuil – qui a perdu 10.000 francs et ne sait comment les récupérer –, non seulement l’auteur met en scène un aspect typique des mœurs du temps, mais il crée une péripétie qui sera l’un des ressorts essentiels de l’intrigue.

Un troisième aspect intéressant de la peinture sociale esquissée par Delaville – et sans lequel le titre de la pièce ne se justifierait pas – est peut-être aussi le plus original, parce que moins fréquent que les autres : il s’agit du rôle social de la femme, et en particulier de la femme-écrivain. La protagoniste, Madame de Rosbelle, jeune veuve restée sans ressources, exploite son talent de romancière moitié par nécessité moitié par plaisir ; Henri, son fiancé, sans être au courant de cette activité, exprime le mépris le plus total pour « les auteurs en jupons », qui à son avis renient leur sexe, perdent toute leur grâce, se rendent ridicules chez elles et en société. La réponse de la jeune femme – qui soutient depuis longtemps un combat intérieur entre son penchant pour les lettres et une image sociale de la féminité à laquelle elle ne voudrait pas déroger – est empreinte d’une dignité et d’une chaleur qui en font l’une des pages les plus vibrantes dans le théâtre de Delaville, qui défend l’engagement de la femme dans la société et le travail :

Supposez, en effet, une femme bien née,

D’un malheur imprévu victime infortunée,

Qui souffre sans se plaindre, et garde avec fierté

Le secret de ses maux et de sa pauvreté ;

Tout à coup un espoir en son cœur vient de naître :

Le destin lui donna quelques talents peut-être !

Eh bien, elle eût rougi d’accepter des secours,

Avec joie au travail son courage a recours ;

Sans qu’on soupçonne rien, lorsque chacun sommeille,

Luttant contre le sort, en secret elle veille :

Le ciel a couronné ses efforts et ses soins,

Sa plume, avec honneur, pourvoit à ses besoins,

Son travail sous ses pas ferme le précipice…

Et vous la condamnez !... Une telle injustice

Me révolte !... et de vous je ne l’attendais pas16.

Malgré l’accueil favorable du public, la pièce s’attire quelques critiques des journaux, particulièrement pour l’imprécision dans la caractérisation du protagoniste, qui empêche de tirer une leçon bien nette des situations représentées17, et pour un certain relâchement qu’on relève dans la structure18 ; néanmoins, Le Roman reste, avec Le Folliculaire, la meilleure réussite de Delaville à la scène.

Avec Le Vieux Mari, le dramaturge affronte un thème typique de la comédie de mœurs de tous les temps : il s’agit de la « mésalliance de l’âge » dans le couple, du mariage entre des époux que la trop grande différence d’âge rend très distants l’un de l’autre sous tous les rapports. À l’époque qui nous intéresse cette thématique avait déjà été traitée dans des pièces comme L’École des vieillards de Casimir Delavigne (1823) ou Le Jeune Mari d’Édouard Mazères (1826), qui avaient mis en scène des situations semblables bien que renversées19. Le propre de ces comédies, surtout de la première, était de montrer aussi le côté sombre de la situation : L’École des vieillards se résout finalement dans le drame du déshonneur du vieux mari, de sa cruelle désillusion, de son duel avec le jeune amoureux de sa femme, dans lequel il est forcément battu ; dans la pièce de Mazères le dénouement est également aigre-doux, laissant prévoir que le malheur de la trahison – qui est toujours la catastrophe qui guette ces couples de mal-mariés – n’est probablement que différé, ou qu’on évitera peut-être le plus grand mal, mais au prix d’une vie terne et tourmentée par d’éternelles inquiétudes. Ces comédies se caractérisent donc, entre autres, par des conclusions qui s’écartent du dénouement classique du théâtre comique, introduisant une tonalité plus sombre que d’habitude dans la comédie de mœurs. D’autres pièces de Mazères se signalent aussi par cette caractéristique, qui leur donne un réalisme et une âpreté tout particuliers dans le panorama général de la comédie de l’époque20.

Dans Le Vieux Mari, Delaville revient à la situation plus classique du mari très âgé et de la femme très jeune, dont l’honnêteté est mise à l’épreuve par l’attachement sincère d’un jeune homme, Alfred, qui aurait probablement été un époux bien plus convenable pour la jeune Madame Dorgeval. La situation est rendue plus complexe par le caractère fantasque – et dans l’ensemble peu vraisemblable – du mari, ainsi que par des intrigues secondaires qui rendent assez ambiguës les relations entre les personnages. La conclusion est intéressante parce qu’elle s’inspire assez des dénouements des pièces-modèles, tout en étant plus prudente, selon le goût de Delaville : l’amoureux rejoint l’armée, la jeune femme est affligée mais à la fois rassurée ; la scène finale mélange le comique d’un mari qui ne s’est douté de rien et qui invite l’amant à revenir à la maison – d’où le commentaire ironique de l’ami de famille : « Allons ! puisqu’il le veut… » – et la mélancolie de la séparation des amoureux au nom de l’honneur. Une touche qui enrichit davantage le dénouement se trouve dans la conclusion de l’intrigue secondaire, qui crée une sorte de mise en abyme par rapport au fil principal de l’action : la jeune Augustine – dans laquelle on soupçonne une fille naturelle de Dorgeval, et qui a aussi un penchant pour Alfred – est mariée à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, ce qui fait prévoir que la série  de péripéties sentimentales, de tentations et de trahisons va se continuer dans ce nouveau ménage mal assorti, comme, peut-être, dans celui de Dorgeval.

La pièce, qui ne manque pas d’intérêt pour certains aspects, a le tort de reprendre un thème suranné sans apporter une réelle innovation ; la caractérisation du protagoniste, ainsi que la peinture de la vie de ce couple, sont probablement inconcevables pour le public, qui n’hésite pas à manifester sa déception – dont les journaux parlent cependant de façon contradictoire21. Certains éléments et personnages de l’intrigue secondaire – la gouvernante, le pouvoir qu’elle exerce dans la maison, la relation qu’elle a entretenue pendant vingt ans avec le protagoniste, la fille qu’elle a probablement eue de lui –, mieux développés, auraient peut-être permis à l’auteur de créer une pièce plus originale tout en exploitant un thème assez rebattu.

Après avoir abandonné la scène, Delaville écrira encore quelques œuvres qui seront incluses dans le recueil publié en 1846, et dont la composition s’échelonne entre le milieu des années 1830 et la fin de sa vie. Le nombre de ces dernières œuvres – elles ne sont que quatre, et encore, l’une d’elles avait été commencée avant cette époque22 – montre que le rythme de son écriture est moins vif et que le fait de ne plus écrire que pour son propre plaisir – c’est du moins ce qu’il affirme dans plusieurs de ses Notices – a eu l’effet de ralentir son inspiration et son élan productif. L’abandon de la scène a eu, d’un autre côté, une conséquence importante sur la composition de la plupart de ces dernières pièces : n’ayant plus à s’adapter aux contraintes de la représentation, Delaville cherche d’autres cadres structurels et d’autres formes d’écriture pour ces œuvres, qui, à la rigueur, ne sont plus de véritables pièces et ne comportent, parfois, même pas une définition de genre précise.

L’une de ces œuvres, Le Cabinet d’un ministre oule Ministre futur, en trois actes et en vers, est qualifiée de « revue » par l’auteur même, probablement en raison de l’absence d’une cohésion rigoureuse dans l’intrigue et de points de repère spatio-temporels précis23. Le texte se présente comme une espèce d’utopie dans laquelle un ministre « futur » – donc inexistant, en réalité –, homme d’une honnêteté absolue, sorte d’Alceste de la politique24, résiste à toutes les sollicitations et à tous les chantages, sans se plier à la moindre forme de favoritisme. Les trois actes sont partiellement liés par cette situation et cette thématique ; mais si le premier et le troisième semblent assez cohérents au moins de ce point de vue – on voit le défilé des solliciteurs et un dénouement « en suspens » dans lequel le ministre est convoqué par le roi, sans que la raison soit connue –, le deuxième montre une situation différente, de laquelle le ministre est totalement absent, et qui se concentre plutôt sur la peinture de la puissance des journalistes dans la vie politique et culturelle.

La scène la plus curieuse et la plus intéressante est la deuxième du troisième acte, dans laquelle l’auteur fulmine contre le Théâtre-Français, le « bon » ministre lui servant de porte-parole pour exhaler toutes ses plaintes contre les comédiens et le comité25. Les « semainiers » se plaignent de la décadence de leur théâtre, causée, à leur dire, par l’indifférence des spectateurs, qui les abandonnent de plus en plus ; ils voudraient que le ministre augmente leur subvention ou qu’il diminue le nombre des salles à Paris, afin de récupérer leur public. Le ministre riposte en blâmant la médiocrité de la plupart des comédiens, ainsi que l’oubli dans lequel sont laissés les anciens maîtres du théâtre ; le vocabulaire employé est très direct :

Aujourd’hui… jugez-vous, voyez ce que vous êtes !

Que d’hommes sans moyens, ignorants, froids, communs !

À peine dans le nombre êtes-vous quelques-uns

Qui vous montrez encor les disciples fidèles

De ces auteurs fameux qu’on cite pour modèles.

Le reste, c’est-à-dire une grande moitié,

Convenez-en, messieurs, c’est à faire pitié !

[…]

Par exemple, pourquoi, depuis quelques années,

Du Théâtre-Français trompant les destinées,

Osez-vous en bannir, frappés de vos dédains,

Des deux siècles derniers les plus grands écrivains26 ?

Face à la justification des acteurs, selon laquelle le public ne voudrait plus de l’ancien répertoire, le ministre répond laissant éclater toute son indignation, qui est bien, on s’en doute, le sentiment de Delaville, qui l’avait déjà exprimé à d’autres occasions27 :

Le public, dites-vous ? le public n’en veut plus !

Quoi ! Voltaire, Racine, et Corneille et Molière,

Ces hommes éminents dont la France est si fière,

Méconnus, dédaignés, inspirent aujourd’hui,
Au Théâtre-Français, le dégoût et l’ennui !...

Ah ! s’il est vrai, vous seuls leur valez ces outrages,

Le public ne veut plus de nos anciens ouvrages !

Il n’en veut plus !... Messieurs, un seul mot répondra :

Quand vous les jouerez bien, le public en voudra28.

Une querelle éclate ensuite entre les deux semainiers, l’un d’eux accusant les nouveaux auteurs d’avoir fait de la littérature un commerce et un métier, l’autre prenant plutôt la défense des dramaturges, qui seraient « abreuvés tous les jours de chagrins, de dégoûts » par les acteurs et surtout par le comité. On retrouve dans cette scène tous les griefs de Delaville contre la Comédie-Française, son mécontentement de n’être pas suffisamment joué, ses récriminations pour les retards dans la mise en scène de ses pièces ; c’est justement vers le début des années 1830 qu’a lieu la rupture définitive entre Delaville et le premier théâtre parisien.

Le Libéré et L’An dix-neuf cent vingt-huit ne sont plus définis que, très généralement, comme « tableau dramatique » le premier et « scènes en vers » le deuxième29. Le Libéré, en cinq parties et en vers, est une véritable pièce à thèse, dans laquelle Delaville traite d’une question sociale que, dans sa qualité d’inspecteur des maisons de détention, il a pu avoir l’occasion de bien connaître : il s’agit de l’impossibilité, pour les anciens détenus libérés après l’expiration de leur peine, de retrouver une place honorable dans la société. Le protagoniste Paulin Dufour, pendant dix ans après sa libération, passe d’une ville à l’autre et d’une situation à l’autre, se retrouvant à chaque fois dans l’impossibilité de garder son travail et de mener une vie honnête ; au bout de dix ans il commet un nouveau crime, dans le seul but de regagner sa prison, le seul endroit où il lui soit désormais permis de vivre. Si ce Jean Valjean avant la lettre n’échappe pas au ridicule, à cause des situations pathétiquement extrêmes dans lesquelles il se trouve, et de l’excès même de ses vertus, l’œuvre se signale néanmoins pour la liberté inaccoutumée avec laquelle l’auteur traite les structures spatio-temporelles : la dénomination de « drame », qu’un tenant de la comédie classique tel que Delaville n’osait peut-être pas employer, n’aurait pas disconvenu à un tel ouvrage30.

Quant à L’An dix-neuf cent vingt-huit, il constitue la composition la plus bizarre de Delaville, que son titre même signale comme une espèce de fantaisie située dans une société à venir, qui ne semble pourtant pas très différente de l’actuelle ; dans le Paris de 1928, un propriétaire de journal, se mettant à la tête d’une conspiration, parvient à renverser la monarchie et à fonder une république dans laquelle il sera bientôt proclamé dictateur. D’une longueur démesurée – elle occupe à elle seule deux tiers du dernier tome – et très compliquée en raison du nombre de personnages en action et de la complexité de l’intrigue, cette œuvre se rapproche également du drame, bien que son auteur ne s’éloigne pas de ses thèmes préférés et du genre politique qu’il a surtout affectionné.

Jusqu’à cette époque la carrière de Delaville se développe suivant une ligne assez claire et un parcours évolutif dont la lecture est aisée : nourri d’études classiques, habitué à manier l’alexandrin avec facilité, probablement convaincu de la supériorité absolue du genre tragique, il débute par une série de tragédies qui sont, dans l’ensemble, bien accueillies, et qui lui donnent quelque notoriété. Il ne se fait pas remarquer par l’originalité dans le choix des sujets, et même il semble assez porté à se rabattre sur des sujets déjà connus et usités : sa première composition, Artaxerce, non seulement est une imitation de Métastase – ce qu’il signale lui-même dans la Notice –, mais elle avait été précédée par l’Artaxerce d’Étienne Delrieu en 1808 ; le moyen âge avait été mis à contribution par plusieurs auteurs, mais, en particulier, le personnage de Charles VI avait été exploité par Népomucène Lemercier dans La Démence de Charles VI (1820), tragédie qu’on accusa Delaville d’avoir imitée31.

Le tournant des années 1820 marque son passage à la comédie, évolution qu’il présente comme physiologique, car si la tragédie exprime des passions qu’on peut comprendre ou ressentir à tout âge, la peinture des mœurs demande, selon lui, de l’expérience, de la maturité et une connaissance du monde qu’un jeune homme ne peut posséder32 ; il s’agirait donc d’un genre qui ne convient qu’à des auteurs plus âgés. Toute la période centrale de sa carrière est ainsi consacrée à la comédie de mœurs, dans laquelle il continue d’appliquer le modèle classique de la pièce en trois ou cinq actes en alexandrins. Comme dans ses tragédies, il ne brille pas pour la recherche de sujets originaux, cependant, dans ses meilleurs textes, la caractérisation des personnages et des situations ne démérite pas en comparaison d’autres pièces contemporaines. Il apparaît surtout intéressé par la comédie politique, même si cette préférence attirera souvent l’intervention de la censure sur ses œuvres ; à la fin de sa vie il affirmera encore :

Pour moi je regarde comme une chose impossible de faire à cette heure une comédie en cinq actes dont la politique ne soit pas le fond ou n’anime pas les accessoires33.

Au début des années 1830, l’avènement d’une esthétique et de genres nouveaux est probablement l’une des raisons de son renoncement à la scène, car il n’aura jamais la volonté ou la capacité de se renouveler réellement ; toutefois, ses dernières œuvres ne sont pas exemptes de l’influence du drame, visible dans la construction de l’action et des personnages, et dans la souplesse du cadre spatio-temporel.

Ce parcours, qui n’est pas incohérent par rapport à l’évolution des genres dramatiques de l’époque, et qui semble achevé d’une manière convaincante au moment où il prépare son édition complète au début des années 1840, voit, cependant, se produire un revirement inattendu, avec la composition d’une dernière pièce qui s’ajoute au corpus définitif. Dans la Notice du Moyen de parvenir, qu’il écrit entre 1842 et 1844, Delaville avoue qu’il a fait cette pièce lorsque l’édition complète était prête pour la publication : cette nouvelle composition n’avait pas une véritable raison d’être, si ce n’est la « manie des vers » qui était devenue chez lui « une maladie incurable », une « fièvre » de laquelle il ne pouvait se délivrer. Ce retour à la comédie ancienne, s’il bouleverse un peu la cohérence qu’on pouvait déceler dans la progression de sa dramaturgie, a peut-être le sens d’une ultime réaffirmation de sa fidélité à un modèle théâtral dépassé, mais auquel il avait cru fermement. Une impression pathétique se dégage de l’évocation de la lecture de cette pièce devant un public d’amis qui l’accueille dans un silence glacial, sans oser prononcer un seul mot, et auquel l’auteur reproche d’être « un auditoire entièrement masculin34 », alors que des femmes auraient été, d’après lui, plus directes et sincères dans leurs manifestations.

Les Notices qui précèdent chaque pièce lui servent aussi pour définir sa conception du théâtre, et spécialement de la comédie, dont la seule forme possible pour lui restera celle de la comédie de mœurs ; partisan de la tradition classique, il ne reconnaît d’autres modèles que ceux du Grand Siècle, n’aime pas le drame, et ne partage pas l’engouement de ses contemporains pour Shakespeare :

Depuis quelques années on a pris pour Shakspeare [sic] un enthousiasme qu’il mérite à certains égards ; mais on a eu tort, selon moi, de nous le donner comme un modèle à suivre. Je suis de l’avis des hommes qui admirent son génie, mais je ne saurais approuver les auteurs qui vont chercher une poétique dans ses ouvrages35.

Je n’ai jamais beaucoup aimé les drames, même les meilleurs ; on comprendra donc que ce n’est pas par choix que je me déterminais à en composer un : l’envie de faire plaisir à Mademoiselle Mars me porta seule à m’imposer ce travail. […] Par cela même que je n’approuvais pas le genre de l’ouvrage dont je faisais une imitation, je cherchai à me relever à mes propres yeux en écrivant en vers36.

C’est dans la Notice des Intrigants, en 1825, qu’il donne la définition la plus complète de la comédie telle qu’il l’entend :

Selon moi, l’auteur dramatique est appelé à la noble mission de signaler à ses concitoyens les travers, les ridicules, les vices de son époque, quels qu’ils soient et en quelque lieu qu’ils se rencontrent ; et, s’il comprend bien son devoir, il s’attaquera plutôt encore aux tendances qui peuvent nuire à la société en général, qu’aux faiblesses et aux erreurs qui ne touchent que certaines classes ou certains individus. […] être utile doit être son premier besoin ; il ne sera point arrêté par la crainte de se faire des ennemis, et, n’écoutant que sa conscience, il poursuivra son œuvre, il marchera au but sans calculer s’il doit en résulter pour lui des inconvénients ou des avantages37.

Molière sera toujours pour lui le maître indiscutable, l’unique point de repère quand il s’agit de la comédie :

N’avons-nous pas d’ailleurs, nous autres auteurs comiques, l’exemple de notre maître ? Si nous ne pouvons atteindre à son génie, imitons du moins sa généreuse hardiesse. Molière a joué les Femmes savantes et les Marquis ridicules : devais-je hésiter à peindre le Folliculaire et les manœuvres des Élections ? Il a traîné Tartufe sur la scène : pourquoi aurais-je craint d’y traduire la Congrégation38 ?

Un autre texte fondamental dans lequel il définit son esthétique est la Notice du Roman ; c’est là qu’il donne une définition de ce qu’est pour lui le talent comique, le « don » du poète comique, catégorie dans laquelle il se range :

[…] ce qu’on appelle notre talent, et j’invoque ici le témoignage de tous mes confrères, est un don de la nature, qui consiste surtout à nous faire préjuger la conduite et les discours des hommes, dans les diverses situations où ils peuvent se trouver. Cette espèce de seconde vue, jointe au goût et à l’imagination, est ce qui constitue le poète comique. Je ne parle pas du génie ; nous nous en passons, depuis Molière. L’auteur comique, après avoir étudié la société dans ses différentes classes, doit donc tout deviner, les sentiments, les actions et les paroles ; il doit savoir ce que tel individu, placé dans telle position sociale, et ayant telle passion et tel caractère, fera et dira dans une situation donnée. S’il se trompe, ou du moins si ses erreurs sont fréquentes, il faut qu’il renonce à faire de la comédie ; il n’en a ni l’instinct ni la vocation39.

Dans ces lignes apparaît une image précise de l’auteur de comédies – tel qu’il se voit lui-même – qui ne vise pas à l’individualisme génial, puisque Molière reste un sommet inégalable, mais qui s’efforce de suivre un chemin tracé par des prédécesseurs plus grands que lui. Delaville est néanmoins conscient que l’état de poète demande aussi un « don de la nature » qui n’est pas donné à quiconque et qui s’apparente à une sorte de « seconde vue », et n’exclut pas la nécessité d’une vocation pour ceux qui voudraient être dramaturges.

Il s’intéresse aussi à des questions de langage ; si la première qualité d’une comédie est incontestablement la vérité, cependant la fidélité de notre auteur au modèle de la grande comédie l’amène à écrire toujours en vers. C’est pourquoi il se pose le problème de la nécessité de concilier la représentation de la réalité avec le langage versifié, deux éléments dont la contradiction intrinsèque lui est bien présente40 ; la solution à envisager, selon lui, est l’utilisation constante du style coupé, pour lequel il a reçu les éloges de ses contemporains :

au théâtre, pour être dans la nature, il faut employer non seulement le dialogue vif, qui est inhérent au caractère français, mais encore le dialogue coupé, qui est la conséquence de la construction de notre langue41.

Si l’abandon de la scène et la diffusion d’une nouvelle esthétique dramatique l’amènent à modifier ou à assouplir certains aspects de sa poétique dans ses dernières pièces, il ne se détournera finalement pas d’une conception générale du théâtre qui voit le dramaturge comme un écrivain chargé d’une haute mission sociale, dont la tâche est de contribuer à une amélioration des coutumes, en montrant sur la scène les travers et les manies ridicules ou nuisibles d’une société ; son genre d’élection reste la comédie de mœurs – ou tout au moins le dialogue dramatique, dans certaines œuvres de la dernière décennie – et son moyen d’expression la versification, qu’il ne saura se résoudre à abandonner :

Mais, en abandonnant le théâtre, j’ai dû conserver les formes dramatiques, les seules qui me soient un peu familières. Il vient un âge où le talent, comme les étoffes, a pris un pli difficile à effacer ; mon pli, à moi, c’est le dialogue en vers ; je n’ai jamais fait, je n’ai jamais su faire autre chose42.

Notes

1 La France littéraire, par J.-M. Quérard, Paris, Firmin Didot Frères, 1830, tome 4, p. 640-641 ; Biographie universelle et portative des contemporains, sous la direction de MM. Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte-Preuve, Paris, L’éditeur,1836, tome 3, p. 195 ; Biographie universelle ancienne et moderne, sous la direction de M. Michaud, Paris, Desplaces, 1843-18…, tome 23, p. 413 ; La littérature française contemporaine, 1827-1849, par M. Félix Bourquelot et M. Alfred Maury, Paris, Delaroque aîné, 1852, tome 4, p. 655 ; Nouvelle biographie générale, sous la direction de M. le Dr Hoefer, Paris, Firmin Didot frères, 1859, tome 29, p. 1017-1018 ; la nécrologie de Jules Janin a paru dans Le Journal des Débats du 6 octobre 1845. À Delaville de Mirmont a été consacré aussi un chapitre de l’ouvrage de Louis Allard, La comédie de mœurs en France au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1933, tome II, p. 302-348.

2 Œuvres dramatiques de M. de La Ville de Mirmont, Paris, Amyot, 1846, en quatre tomes (édition en ligne disponible sur le site : gallica.bnf.fr).  L’édition est précédée d’un Avertissement écrit en 1845, au moment où l’auteur paraît avoir terminé la préparation de ce recueil ; l’Avertissement est suivi d’une note de Jules Janin dans laquelle il est expliqué que le dramaturge est décédé avant d’avoir vu ses ouvrages imprimés. La Préface écrite par Delaville, qui introduit le recueil, est datée du 14 novembre 1842 : à cette époque toutes les pièces sont copiées et il doit commencer à rédiger les Notices  – comme il l’affirme lui-même  –, mais en fait il écrira encore une dernière pièce entre 1842 et 1844, qu’il ajoutera à la fin du quatrième tome (voir la Notice d’Un Moyen de parvenir, tome IV, p. 393-402).

3  C’est la graphie du nom que l’on trouve le plus souvent dans les œuvres citées ; par commodité nous écrirons dorénavant « Delaville ».

4  Ce profil moral qu’il se compose en grande partie lui-même, et qu’on découvre en lisant les Notices, n’était peut-être pas tout à fait véridique : sa correspondance avec la Comédie-Française dévoile parfois  un visage un peu différent de Delaville.

5 La France littéraire, op, cit.,tome 5, p. 574, article sur Martignac.

6  Une notice sur l’arbre généalogique de Delaville de Mirmont se trouve sur le site http://gw.geneanet.org/garric.

7  Il s’agit de Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte. La vie de ce poète soldat a tout récemment fait l’objet d’un roman qui annonce la commémoration de la Grande Guerre ; il s’agit de Bleus horizons de Jérôme Garcin (Gallimard, 2013).

8  Janin la considère comme « l’une des plus heureuses tragédies qui aient été faites sous l’Empire »: Delaville parle en effet d’une rédaction commencée après Artaxerce, interrompue par ses voyages et par les événements de 1814 et 1815, et terminée en 1816.

9  « Le plan que l’auteur s’est tracé n’est pas toujours d’accord avec la vérité historique. […] dans un sujet historique, il n’est permis ni de fausser l’histoire par attachement aux règles, ni de faire violence aux règles pour conserver l’exactitude historique. […] cette exposition, fort bien faite d’ailleurs, n’a qu’un seul tort, c’est de n’être point achevée et de laisser encore beaucoup de choses à apprendre, dont l’auteur aurait dû se débarrasser promptement. […] De là une longueur pénible dans les scènes d’explications nouvelles […]. Un coloris plus vigoureux aurait ajouté au mérite du style, qui est toujours clair, pur et élégant » (Le Journal des Débats, 11 mars 1826).

« Le poète, ayant à peindre des sentiments pénibles et douloureux, a voulu, avant tout, être, dans l’expression, simple et naturel, sans jamais cesser d’être correct et pur. Peut-être ces qualités heureuses auraient-elles plus d’éclat, si l’auteur en avait plus sobrement usé, en ne prêtant pas à tous les personnages la même uniformité de langage » (Le Constitutionnel, 13 mars 1826).

10  « Jamais, on peut le dire, il ne poussa si loin l’imitation de la nature; ses traits mâles et beaux portent l’empreinte de la douleur, de l’ébattement, de l’égarement; sa voix va à l’âme. On ne conçoit point que l’art puisse aller plus loin » (Le Constitutionnel, 13 mars 1826).

« Talma y est constamment admirable ; mais dans le quatrième et dans le cinquième actes, il s’est élevé au-dessus de lui-même » (Le Journal des Débats, 11 mars 1826).

11  Cette longue série de comédies, qui occupe la décennie centrale de son activité, sera interrompue uniquement par le drame, en cinq actes en vers, L’Intrigue et l’Amour (composé en 1823-1824 et joué à la Comédie-Française le 1er août 1826), adaptation de Kabale und Liebe de Schiller. Delaville, qui n’aimait pas le drame, affirme avoir obéi, pour la composition de cette œuvre, à une sollicitation de Mademoiselle Mars (voir la Notice, dans Œuvres dramatiques, tome II, p. 3-5).

12  La pièce avait été reçue le 25 février 1823, mais la mise en scène avait été interdite par la censure.

13  La représentation de cette pièce, reçue en 1826, avait été également retardée par l’intervention de la censure.

14  Notamment par Charles Des Granges (La Comédie et les Mœurs sous la Restauration et la monarchie de Juillet, Paris, Fontemoing, 1904, p. 102) et Louis Allard (La Comédie de mœurs en France au XIXe siècle, tome II, op. cit., 1933, p. 315, 333-344), qui considèrent Le Folliculaire, Le Roman et Une journée d’élection comme les œuvres les plus significatives de Delaville. Plus récemment, la représentation d’Une journée d’élection a été citée par Frederic William John Hemmings comme un effet d’un certain relâchement de la censure à la fin du règne de Charles X : « a violent attack on political gerrymanding, La Ville de Mirmont’s Une journée d’élection, was allowed  with only minor modifications » (Theatre and state in France, 1760-1905, Cambridge University Press, 1994, p. 210).

15 Œuvres dramatiques, tome II, p. 183-184.

16 Ibid., p. 217.

17  « […] M. Delaville […] n’a réellement produit qu’une ébauche, et n’a donné à son personnage qu’une physionomie si peu décidée, que l’on ne sait à la fin s’il doit être plutôt plaint que blâmé, […] ; la conduite de M. Dupré, prise dans son ensemble,  offre-t-elle donc un modèle à suivre, ou un exemple à éviter ? Est-ce un bon, est-ce un méchant homme ? » (Le Journal des Débats, 24 juin 1825).

18  « […] les ressorts dramatiques manquent de force et de consistance ; mais les caractères sont bien tracés et bien développés ; l’action principale ne commence guère qu’au quatrième acte ; mais jusque-là, et malgré quelques longueurs, plusieurs détails heureux charment les spectateurs » (Le Constitutionnel, 24 juin 1825).

19  Dans L’École des vieillards c’est le mari qui est beaucoup plus âgé que la femme, tandis que dans Le Jeune Mari le rapport est inversé, créant des situations d’un comique différent et plus enclin à la grivoiserie, dont la trame est compliquée aussi par les ennuis d’argent du mari : il est en effet escompté que celui-ci a pris une femme plus âgée uniquement pour satisfaire à ses habitudes dépensières, tandis que la femme d’un certain âge tombée amoureuse d’un jeune homme est taxée d’une sensualité plus ou moins dissimulée qui bascule inévitablement dans le comique. Une situation semblable se trouvait déjà dans L’Irrésolu de Philippe Destouches (1713), où Madame Argante se laisse berner par le Chevalier, prototype du jeune libertin.

20  On peut penser à des pièces telles que La Mère et la Fille (1830) et  Une liaison (1834), écrites en collaboration avec Adolphe Empis.

21  « Ce caractère de Dorgeval n’est ni vrai ni vraisemblable, […]. Cette erreur, qui domine l’ouvrage, y répand un fond de monotonie et de tristesse que n’ont pu déguiser ou surmonter des détails, des accessoires spirituels et piquants, et un style facile et presque toujours de bon goût. » (Le Constitutionnel, 26 mai 1830).

« Le Vieux Mari est l’erreur d’un homme de talent, il y a dans cet ouvrage des scènes bien faites, des détails charmants, des mots piquants, spirituels, le dialogue est élégant et correct, mais le manque total d’intrigue, […], la presque nullité de chaque personnage ont excité dès le second acte une opposition assez violente qui a manifesté son mécontentement par des murmures et de bruyants et nombreux sifflets » (La Gazette des Théâtres, 27 mai 1830).

« En dépit d’une foule de réminiscences, de quelques contradictions trop graves dans le caractère du vieux mari, et de l’inconvenance prononcée d’une scène amenée péniblement, cet ouvrage a réussi, et M. Delaville a été nommé par Lockroy, qui a joué avec sa chaleur accoutumée » (Le Figaro, 25 mai 1830).

22  Il s’agit du Cabinet d’un ministre : dans la Notice Delaville affirme que la composition de cette œuvre avait commencé en 1829 et qu’elle était déjà avancée en 1832, bien qu’elle n’ait été définitivement terminée qu’en 1835.

23  « Il n’y a ni intrigue ni action dans cette Revue : on n’y trouve que des scènes sans liaison entre elles, et enfilées au bout les unes des autres ; aussi bien j’ai pu quitter, reprendre, et quitter encore mon travail, sans inconvénients, et sans que mon imagination courût le risque de se refroidir pendant ces longues et fréquentes interruptions » (Notice sur Le Cabinet d’un ministre, dans Œuvres dramatiques, tome III, p. 523).

24  C’est la mère du protagoniste, qui se voit elle aussi refuser une faveur, qui donne ce titre à son fils: « Je le répète encor, vous exagérez tout. / Votre vertu, mon fils, est âpre, singulière, / Et vous parodiez l’Alceste de Molière » (Ibid., acte I, scène V, p. 560).

25  Cette scène sera publiée à part, avec le titre Les Semainiers du Théâtre-Français chez le ministre de l’Intérieur, dans le quatrième tome de Paris ou le Livre des cent-et-un, Paris, Ladvocat, 1832.

26 Œuvres dramatiques, tome III, p. 599-600.

27  Par exemple dans la Préface (Œuvres dramatiques, tome I, p. VII-X).

28 Œuvres dramatiques, tome III, p. 601. Si l’on pense à Rachel, dont la carrière foudroyante devait commencer quelques années plus tard, on peut dire que Delaville a été bon prophète en écrivant ces vers.

29  Tout en n’ayant pas été représentées, ces deux œuvres furent cependant imprimées, l’une en 1835 chez Dufart et l’autre en 1841 chez Allouard.

30 Le Libéré valut à Delaville, le 9 août 1837, le prix Montyon de 3000 francs décerné par l’Académie à l’œuvre littéraire la plus utile aux mœurs. Dans La Presse du 11 août, rendant compte de la séance publique de remise des prix, Alphonse Peyrat critique le choix de l’Académie, ne reconnaissant pas de valeur morale à l’œuvre de Delaville, au nom du principe sacré de la propriété et de la distinction du « mien » et du « tien » : « Nous cherchons inutilement ce que les mœurs ont à gagner à de pareils tableaux. La conclusion la plus nette de cette comédie morale paraît être celle-ci, à savoir : qu’il peut être quelquefois possible de voler sans honte le bien d’autrui. […] une pareille conclusion est très immorale, et de nature à embrouiller quelquefois les justes notions du tien et du mien ».

31  On accusa même Delaville d’avoir contribué à couler la tragédie de Lemercier, quitte à s’en servir plus tard pour écrire la sienne, mais ces accusations ne furent pas prouvées (voir Maurice Souriau, Népomucène Lemercier et ses correspondants, Paris, Vuibert et Nony Editeurs, 1908, p. 82-83) et semblèrent même assez injustes. Dumas aussi évoque l’épisode dans Mes mémoires, à la même page où il donne un avis vaguement ironique sur Le Folliculaire : « […] Laville de Miremont [sic], déjà connu, je dirai, non pas par sa bonne pièce, mais par sa bonne action du Folliculaire. J'ai beaucoup connu de Laville ; une accusation de Lemercier l'avait fort tourmenté : Lemercier reprochait à de Laville, qui avait été censeur, d'avoir arrêté sa pièce de Charles VI, à lui, Lemercier, et d'en avoir fait une ensuite sur le même sujet et avec les mêmes idées. Mais, d'abord, de Laville avait prouvé, par Le Folliculaire et par Le Roman, qu'il n'avait pas besoin des pièces des autres pour faire les siennes ; et, en outre, il était parfaitement incapable d'une pareille action » (Alexandre Dumas, Mes Mémoires, texte présenté et annoté par Pierre Josserand, tome II, Paris, Gallimard, 1957, p. 332).

32 Œuvres dramatiques,Notice sur Alexandre et Apelle, tome I, p. 190.

33 Œuvres dramatique, Notice sur Le Moyen de parvenir,tome IV, p. 399.

34 Ibid., p. 396 ; l’italique est dans le texte.

35 Œuvres dramatiques, Notice sur Charles VI, tome I, p. 407-408.

36 Œuvres dramatiques, Notice sur L’Intrigue et l’Amour, tome II, p. 4.

37 Œuvres dramatiques, Notice sur Les Intrigants, tome II, p. 308-309.

38 Ibid.

39 Œuvres dramatiques, Notice sur Le Roman, tome II, p. 139.

40  « […] dans la comédie il faut avant tout être vrai, en acceptant, bien entendu, certaines formes qui ne tiennent qu’à l’art […]. On n’est pas vrai, par exemple, quand on fait parler un personnage en vers, ce langage n’est pas celui de la société » (Ibid., p. 142).

41 Ibid., p. 143.

42 Œuvres dramatiques, Notice sur Le Libéré, tome III, p. 244-245.

Pour citer ce document

Giovanna Bellati, « Annexe 1. Alexandre de La Ville de Mirmont, entre politique et littérature », Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/textes-du-19e-siecle/anthologies/la-presse-en-scene/annexe-1-alexandre-de-la-ville-de-mirmont-entre-politique-et-litterature