La presse en scène

Annexe 2. Le Semeur

Table des matières

BARBARA T. COOPER

Le Semeur, journal religieux, politique, philosophique et littéraire, t. 8, no 39 (29 sept. 1839), p. 310-311.

VARIÉTÉS.

DÉBATS ENTRE LA GAZETTE DE FRANCE ET L’UNIVERS.

Deux feuilles catholiques, la Gazette de France et l’Univers, entretiennent depuis quel-ques jours une polémique des plus vives sur des questions à l’égard desquelles nous ne concevons pas que des journaux qui se donnent comme les organes du christianisme et d’une Église infaillible puissent être en désaccord.

Nous ne comptons pas analyser ces discussions, mais seulement en recueillir ce qui peut être utile à la cause que tous les chrétiens doivent défendre. Sous ce rapport, nous aurons plus à emprunter à l’Univers qu’à la Gazette, feuille d’une sincérité suspecte, pour les doctrines et les allures de laquelle nous nous sentons le plus grand éloignement.

Voici quelques passages de l’Univers, où ce journal rappelle à la Gazette ce qu’un jour-nal chrétien ne devrait jamais oublier, et ce que plusieurs journaux catholiques mécon-naissent complètement, le respect du dimanche, un soin scrupuleux à écarter du commerce des annonces les titres des ouvrages immoraux, enfin la manière dont il convient aux hommes religieux d’envisager le théâtre.

« À tort ou à raison nous nous sommes figuré que les journalistes sont comme de simples mortels soumis à la loi de Dieu, et que la liberté qu’ils prennent de s’en dispenser sur certains points est un grand mal, un grand scandale ; nous sommes convaincus de plus que ce mal n’est pas sans remède, et qu’en le faisant connaître, qu’en avertissant les journalistes chrétiens qui, par ignorance, par inattention ou par aveuglement, s’en rendent coupables, nous pourrons parvenir, sinon à le guérir entièrement, du moins à le diminuer : et si nous nous sommes d’abord adressés à la Gazette, c’est parce que cette feuille étant possédée et dirigée par un prêtre, le scandale qui vient d’elle est plus grand, c’est encore parce que nous devons espérer, par la même raison, qu’elle comprendra plus facilement que toute autre la vérité de nos paroles et la justice de nos réclamations ; c’est enfin parce que, une fois convertie, nous comptons beaucoup sur son zèle et sur son influence pour obtenir des autres journaux chrétiens la réforme que nous sollicitons.

« Cette réforme porte principalement sur trois points : les annonces, les théâtres,  le travail du dimanche. Quant aux annonces, il est certain que, sous aucun prétexte, un journal chrétien ne doit contribuer à la propagation d’ouvrages contraires à la religion ou aux bonnes mœurs ; la Gazette le reconnaît et déclare être en règle sous ce rapport : si quelques mauvaises annonces se sont glissées dans ses colonnes, c’est par surprise et malgré la surveillance prescrite. Nous rétractons donc ce que nous avons pu dire à cet égard, en sollicitant toutefois la suppression d’une annonce qui choque notre œil dans le numéro même où nous est donnée cette assurance.

« Quant aux théâtres, la Gazette nous fait espérer que le rédacteur du feuilleton attaqué par l’Univers répondra au reproche dirigé contre lui. Mieux vaut tard que jamais ; il y a deux ou trois mois que nous nous sommes élevés contre l’immoralité de cet article. Mais ce n’est pas précisément de cela qu’il s’agit. Il s’agit de savoir si un journal chrétien doit tenir ses lecteurs au courant de toutes les infamies qui se débitent au théâtre. Nous conce-vons une critique élevée, morale, chrétienne, de la littérature dramatique ; mais nous ne concevons pas l’utilité morale et religieuse d’un compte rendu habituel et plaisant de tout ce qu’on joue chaque jour dans nos salles de spectacles grandes et petites ; nous ne concevons pas quel intérêt si grand peuvent prendre des chrétiens au bien-faire des acteurs, à la beauté des actrices, et il nous répugne de trouver les nouvelles qu’on se plaît à nous donner de leur santé ou de leur talent, à côté de ce qu’on nous raconte sur le même ton de nos prêtres ou de nos évêques. La Gazette, nos lecteurs le savent, n’est pas de cet avis ; on se rappelle qu’au mois de mai dernier, elle faisait un crime au gouvernement d’avoir refusé au peuple, le jour de la Saint-Philippe, des spectacles gratis. Si elle trouve le spectacle bon et moralisant pour le peuple, à plus forte raison doit-elle le trouver excellent pour son public. Nous espérons pourtant que, si elle daigne étudier un peu la doctrine des Pères et des Docteurs de l’Église sur cet article, elle changera d’opinion et finira par comprendre qu’il ne lui est pas permis d’entretenir ses lecteurs de choses immorales et d’exciter ainsi leur curiosité à aller en repaître leurs yeux et leurs oreilles. Bien des gens, nous n’en doutons pas, riront de notre rigorisme, mais ceux-là mêmes conviendront qu’un journal dirigé par un prêtre doit sur ce point s’imposer plus de réserve qu’un autre ; il y aurait peut-être quelque convenance à s’abstenir de parler le soir dans son journal des spectacles, quand on est exposé à tonner le matin contre les spectacles dans la chaire chrétienne.

« Quant au travail du dimanche, la Gazette nous répond : La question est de savoir si la vérité doit être défendue, et si, quand elle est attaquée tous les jours, il y a un jour par semaine où elle doit rester muette. Cette raison ne nous touche guère : d’abord la Gazette et la vérité ne sont pas tellement unies que l’une ne puisse parler quand l’autre se tait ; grâces à Dieu, la vérité se fait encore entendre ailleurs que dans les colonnes des journaux, et sincèrement nous ne voyons pas en quoi sa cause serait compromise, si tous les journaux voués à sa défense employaient la journée du dimanche à demander à Dieu de diriger leurs travaux. A notre avis, le meilleur moyen de défendre la vérité est d’avoir pour elle le plus grand respect : or, elle nous défend de travailler pendant le saint jour : c’est là un commandement divin ; est-il permis de le violer sous prétexte que le travail de nos ouvriers est indispensable à notre parole, et que nous croyons le secours de notre parole indispensable à la vérité ? – Le Seigneur aime mieux l’obéissance que le sacrifice, et nous sommes très-sérieusement persuadés que les journaux chrétiens feraient un acte de religion agréable à Dieu et à l’Église, et donneraient un exemple salutaire, en cessant de paraître le dimanche. Nous pensons de plus que tous les vrais chrétiens leur en sauraient gré, et qu’eux n’y perdraient rien ni en crédit ni en influence. Nous engageons la Gazette de France à y réfléchir, et en tout cas à faire décider la question, si question il y a, par une autorité moins intéressée qu’elle-même à la résoudre dans le sens qu’elle a jusqu’ici cru pouvoir adopter. »

Pour citer ce document

Barbara T. Cooper, « Annexe 2. Le Semeur », Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/textes-du-19e-siecle/anthologies/la-presse-en-scene/annexe-2-le-semeur