La presse en scène

Annexe 5. Comptes rendus

Table des matières

BARBARA T. COOPER

Comptes rendus

La Tribune romantique, t. 1, année 1, livr. 9 (5 déc. 1841), p. 141-142.

JEANNIC ET CHARLES MAURICE.

Aux chauds battements de ces poitrines généreuses, aux énergiques paroles de ces lèvres indignées de tant de bassesses, de hontes, de calomnies, vous avez dû rougir, M. Ch. Maurice ; car bien des applications de ce monstrueux drame vous étaient faites. Car on se demandait tout d’abord s’il existait au monde un homme assez méprisable pour porter de gaîté de cœur le trouble au sein des familles, et l’on plaignait les auteurs d’avoir fait de leur héros une fatale exception.

Mais dans la pièce, Dauriac [sic] garde toujours l’anonyme pour déchirer, pour mordre, pour salir, pour calomnier et perdre ceux qu’il attaque ; et vous, Monsieur, vous vous nommez à haute voix. C’est là une différence sans doute ; est-ce un avantage en votre faveur ? Nous ne le pensons pas. Une main cachée frappe une innocente victime. On cherche le coupable, on le trouve, il peut se défendre, protester ; mais enfin, il avoue et se livre à la vengeance des hommes et des lois en demandant merci.

Cet homme-là a droit peut-être à l’indulgence de ses juges, à la pitié de ceux qu’il a voulu perdre, à la clémence des honnêtes gens. Il a failli une fois, on lui donne les moyens de rentrer en grâce. Cela est dans l’ordre, cela est moral.

Mais celui qui tous les jours, et cela depuis vingt-cinq ans, s’attaque aux réputations les plus honorables, arrête l’artiste au passage, lui saute au collet et lui demande la bourse de la veille en le menaçant du poison du lendemain ; celui qui ne respecte point l’homme de talent qui se caché et veut vivre ignoré ; celui qui couvre de boue le débutant demandant aux Beaux-Arts une vie honorable et respectée ; celui qui fait ces choses-là, voyez-vous, est aussi méprisable, plus méprisable peut-être que ce Dauriac de triste mémoire qui soulève tant d’indignations.

Les yeux vous cherchaient dans la salle, M. Ch. Maurice, on voulait savoir de quel front vous receviez les anathèmes lancés sur Dauriac, et, l’on se demandait tout bas, et l’on avait hâte de savoir comment vous, traiteriez la nouvelle pièce.

Vous la déchirez aujourd’hui. Allons-donc ! est-ce qu’il est permis de tirer ainsi à bout portant sur les siens ?

Ch. Maurice, nous vous défendons de trouver que Dauriac est une exception.

J. ARAGO.

CAQUETAGES.

– Ch. Maurice a écouté la pièce de Jeannic les yeux fermés ; il craignait de se trouver devant un miroir.

 « Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Jeannic-le-Breton, drame en 5 actes de M. E. Bourgeois (façon Dumas). – Tolle1 de la presse. », Le Corsaire, 19e année, no 8261 (29 nov. 1841), p. 1-2 [extraits].

Nous offrons de parier une contremarque des Sabines, contre un billet du Théâtre-Italien, que voici ce qu’on lit aujourd’hui dans les grands journaux :

Un journal de l’opposition : « M. Dumas vient de fustiger comme il faut ces Robert-Macaire de la presse ministérielle qui se jettent un moment dans le camp ennemi pour attraper une ambassade, une préfecture, un siège au conseil d’état, etc. »

Un journal légitimiste : « M. Dumas a fait justice avant-hier de ces comédiens de 15 ans, lesquels ont fait du journalisme, une escopette pour carabiner une dynastie sur les ruines de laquelle ils voulaient bâtir l’édifice de leur fortune politique. »

Un journal juste-milieu : « Les voilà donc ces farouches puritains, qui font du journalisme métier et marchandise dans un but d’intérêt personnel, au mépris de la sainte mission, etc. : qu’on donne à tous ces Brutus une place, une croix, ou de l’argent, et on les voit à l’instant reniant leurs principes, désertant leurs drapeaux et renversant, le lendemain, l’idole qu’ils encensaient la veille, etc. »

(Suit une statistique dans laquelle on nomenclature, sous forme d’allusion, les éclatantes défections des maréchaux de la presse depuis 1830 et même depuis 1815.)

Le Corsaire, qui n’a pas le loisir de s’occuper de statistique, se contente de répéter pour la centième fois cette vieille vérité : – Que tout parti compte des traîtres, toute association des faux frères, tout corps d’armée des déserteurs.

Tous les Deutz ne sont pas légitimistes, tous les Capo républicains, tous les Thiers arlequins.

En maintenant, arrivons à la pièce de Jeannic (fourniture Bourgeois, façon Dumas).

 « Chronique des théâtres », La Mode, 10e livr. (4 déc. 1841), p. 312.

Jeannic-le-Breton, drame en cinq actes, représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin, n’a pas la moindre prétention à amuser le public, mais il prétend l’instruire. L’analyse de cette pièce est des plus simples. Jeannic est un de ces héroïques paysans vendéens, dont le souvenir glorieux vit dans tous les cœurs. Deux de ces prétendus nobles, l’opprobre de tous les partis, vendus à toutes les faveurs, et qui ne se mêlent aux combattants que pour trafiquer de la victoire ou de la défaite, ont jeté les yeux sur lui pour le réduire au rôle passif d’éditeur responsable d’une feuille qui doit servir leurs honteux desseins. [...]

Toute la pièce n’est qu’un long et pénible anachronisme. Les auteurs ont voulu donner à la presse une leçon de loyauté et de franchise, et ils n’ont eux-mêmes agi que sous le masque, ils ont frappé par derrière et se sont ridiculement déguisés. Un d’eux a même gardé l’anonyme ; il n’a livré au public ni son nom littéraire ni le titre grotesque dont il s’affuble dans ses pérégrinations. M. Alexandre Dumas et M. le marquis de la Pailleterie se sont cachés tous deux ; M. Eugène Bourgeois s’est nommé seul. Quelle étrange leçon de sincérité !

Cette œuvre raisonne trop et n’agit pas assez. Les hideux méfaits et les bassesses qu’elle punit n’appartiennent pas plus à notre temps, que les formes qu’elle a données à la presse de 1798, n’appartiennent à cette époque. Malgré les traits spirituels qui abondent dans l’ouvrage, il est à craindre que l’ennui ne domine. Le jeu de Bocage et celui du jeune Clarence peuvent toutefois sauver la pièce.

 « Chronique théâtrale », Les Coulisses, 2e année, no 93 (25 nov. 1841), p. 3.

Porte-Saint-Martin. – Samedi prochain, la première représentation de Jeannic ou l’Éditeur responsable. Ce second titre met déjà en émoi la presse, et avec raison. Ce Vésuve qui crache de l’encre de la petite vertu ne risque rien de s’attendre à une éruption répondant à toutes les siennes ! Mais, après cela, le volcan se calmera, deviendra doux comme un agneau, et, pour guérir les blessés qu’il aura faits, il leur prodiguera encore plus d’éloges qu’il ne leur aura jeté de pierre. Ce n’est donc pas la peine de s’en inquiéter, mais cela vaut qu’on s’en occupe.

« Chronique théâtrale », Les Coulisses, 2e année, no 94 (28 nov. 1841), p. 3-4.

Porte-Saint-Martin. – Jeannic le Breton était joue hier soir pour la première fois. – À jeudi les détails. – En attendant, constatons que la faible réussite de cette diatribe contre le journalisme, ou les journalistes, ou tout cela à la fois. C’est une attaque contre les choses et les hommes tels qu’ils n’existent nulle part ; c’est la campagne de Don Quichotte contre les moulins à vents. – Malgré l’immense talent de Bocage, le pseudonyme de M. Eugène Bourgeois n’aura pas à se réjouir.

 « Bulletin dramatique », Le Ménestrel, 9e année, no 1 [no 416] (5 déc. 1841), [p. 3].

Porte-Saint-Martin. – Jeannic le Breton est un maladroit réquisitoire en cinq actes, contre la presse, à laquelle l’auteur, M. Alexandre Dumas doit tous ses succès. Il ne s’est pas fait nommer. Au moins faudrait-il avoir le courage de son ingratitude.

 « Revue dramatique », L’Avant-Scène, journal programme des spectacles, 3e année, no 118 (30 nov. 1841), [p. 2].

Le théâtre de la Porte-Saint-Martin vient de mettre sous le titre de Jeannic le Breton la plus virulente diatribe qui ait peut-être jamais été lancée contre une des puissances de l’époque, contre ce qu’on appelle le cinquième pouvoir de l’état, contre la presse. Cette pièce où sont entassées toutes les infamies, où un loyal vendéen devient l’éditeur responsable des plus honteuses diffamations, est plus qu’une mauvaise pièce, c’est une mauvaise action. Aussi l’ennui et le dégoût du public ont-ils fait justice d’un ouvrage que l’on attribue à l’auteur d’Antony et de mademoiselle Bellisle [sic]. Il est homme à se relever de cet échec. Nous aurons bientôt Lorenzino à la Comédie-Française.

 « Variétés. Porte-Saint-Martin. – Jeannic [...] », Le Constitutionnel, no 333 (29 nov. 1841), p. 4, extrait.

Le public a écouté avec patience ce mélodrame étrange, cette bouffonnerie sérieuse, où l’on dit que le journalisme est un sacerdoce, où l’on rit des journalistes qui se vendent, où l’on se moque des journalistes qui ne se vendent pas, où l’on fait le plus bel éloge des chouans et des jacobins, où l’on persifle les opinions intermédiaires, où les extravagances le disputent aux anachronismes, où l’on remarque pourtant une situation énergique et fort belle, la scène du duel. Il est vrai que cette scène est empruntée à Christine à Fontainebleau ; mais alors M. Alexandre Dumas ne faisait que des drames en vers !

 [Charles Maurice], « Théâtre de la Porte-St-Martin. Première représentation. – Jeannic [...] », Le Courrier des théâtres, 23e année, no 8376 (28 nov. 1841), p. 3, extrait.

Perfide de conception et misérable d’exécution, cette pièce a distillé l’ennui pendant toute sa durée [...]. Elle marche au but que se proposent aujourd’hui certains gens, la déconsidération de la Presse ; mais cette tentative échouera comme les autres. Un seul auteur a eu le malheureux courage de donner son nom aux souvenirs ; son collaborateur a tacitement gagné sa prime2.

« Théâtres, fêtes et concerts », La Presse, 1e déc. 1841, p. 3

Jeannic le Breton, grâce au jeu savant de Bocage, semble devoir être productif pour la Porte-Saint-Martin. Hier un grand nombre de curieux n’ont pu trouver de place. Bocage a probablement, par cette création, fait ses adieux à l’école moderne, qui lui doit tant et de si belles victoires. On sait qu’il est engagé à la Comédie-Française pour y devenir interprète du répertoire classique. Il a même, assure-t-on, choisi le Misanthrope pour son rôle de début. D’Alceste à Buridan, quelle distance ! et quel triomphe, si ce n’est pas un écueil !

« Théâtres, fêtes et concerts », La Presse, 7 déc. 1841, p. 3.

Jeannic le Breton attire la foule à la Porte-Saint-Martin, malgré les critiques qu’a soulevées cet ouvrage.

M..., « Chronique théâtrale », Journal des Artistes, 15e année, t. 2, no 23 (5 déc. 1841), p. 366.

[...] Jeannic le Breton, drame en cinq actes de MM. Dumas, Bourgeois, Fillion3 et Frédérick Lemaître, est bien loin de tenir ce que les noms de ses auteurs semblaient promettre. Il y a de belles scènes dans ce drame, mais trois belles scènes ne suffisent pas, délayées qu’elles sont dans cinq mortels actes. M. Bourgeois est un jeune homme plein de vanité, qui se croyait, il y a quelques jours, l’égal de nos plus grands auteurs, et qui doit être aujourd’hui bien humble, après le peu de succès négatif que son œuvre a essuyé.

Notes

1  La Tribune dramatique, 1er année, t. 1, (1841), p. 5 explique qu’en latin « [...] tolle, veut dire frappe, tue, écrase, mutile ».

2  C’est Maurice qui souligne et qui emploie la « P » majuscule dans le mot presse alors qu’il veut sans doute parler de la presse en général.

3  Il s’agit sans doute d’Eugène Fillion, auteur, avec Louis Jousserandot de Lord Surrey (Gaîté, 17 mai 1838), et avec Auguste-Louis-Désiré Boulé, de Paul Darbois (Ambigu-Comique, 28 déc. 1839). On ne sait pas quel aurait été son rôle dans l’élaboration de Jeannic.

Pour citer ce document

Barbara T. Cooper, « Annexe 5. Comptes rendus », Médias 19 [En ligne], Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/textes-du-19e-siecle/anthologies/la-presse-en-scene/annexe-5-comptes-rendus