Chapitre 38. Crise du champ philosophique : déclassement et démembrement
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Avec la philosophie, nous rencontrons un champ discursif à vocation holiste, depuis toujours mandaté pour dire le tout et le vrai, de omni re scibili, et qui se trouve mis sur la défensive, partiellement vassalisé, avec certains de ses secteurs annexés par des discours usurpateurs (la psychologie par exemple, colonisée par des médecins et muée en psychologie expérimentale). La philosophie peut redouter une progressive subordination aux sciences positives. Après avoir occupé le plus haut degré du savoir, elle peut craindre une perte d'influence et de statut qui en ferait l'ancilla scientiarum, l'humble servante des sciences, qui la réduirait à une sorte d'épistémologie avec un « supplément d'âme », à une éthique obligée de composer avec la sociologie, la criminologie, la psychologie médicale émergeantes, et ramenée à un vague espace de broderies spéculatives, à une métaphysique qu'il faudrait, selon la formule de Fouillée, « fonder sur l'expérience », c'est‑à‑dire sur des méthodes empruntées à une autre logique de la connaissance que celle de la tradition philosophique.
Nous aborderons les publications philosophiques de 1889 sous cette perspective : comment résister au déclassement, au démembrement aussi ; comment maintenir les « droits » du philosophique, comment développer encore une éthique universelle, si on doit tenir compte de l'école criminologique qui voit dans les dispositions morales des traits congénitaux, ataviques, aussi étrangers au libre arbitre que la structure du crâne ou le squelette des individus ? Comment parler d'éthique en contournant les déterminismes biologiques affirmés par la science évolutionniste et les déterminismes sociaux analysés par la naissante sociologie ? Quel pouvoir peut conserver la philosophie dans la Cité alors que la « crise » dont tout le monde parle mobilise des savants, des médecins, des hommes d'État qui sont bien autrement armés pour en débattre que de concepts philosophiques.
La crise morale et politique que traverse notre pays est grave. La philosophie ne peut à elle seule guérir un mal aussi profond, reconnaît Barthélemy Saint‑Hilaire1.
La philosophie continuera‑t‑elle mordicus à vouloir énoncer les réponses ultimes aux ultimes questions ou acceptera‑t‑elle de réduire son ambition à extrapoler des méthodologies pour les savants, à formuler des « synthèses » sur des faits et des idées découverts ailleurs, en dehors d'elle ? Il faut sans doute que le philosophe écoute ce qui lui parvient du « dehors », mais il ne doit pas se laisser absorber par la rumeur des discours sociaux. Il importe qu'il filtre le contingent et le banal : « Lachelier [...] était très attentif au bruit du dehors, à ceux qui méritaient que l'on y prêtât l'oreille »2. Lachelier, dont son disciple L. Dauriac fait ici l'éloge, savait, en bon kantien, prêter l'oreille à cela seul qui avait quelque résonnance ontologique « profonde ». Il ne convient pas que la philosophie pérenne se laisse tirer à hue et à dia par les idées du jour. La majesté de la méditation philosophique est perturbée en 1889 par trop de bruit extérieur. À force de chercher à se tenir au courant, le philosophe laisse voir qu'il ne dirige plus le mouvement de la pensée et son discours risque de paraître aux contemporains un vain bruit accompagnant les découvertes de faits et les questions posées par la conjoncture sociale. « La philosophie n'est qu'une forme de poésie » : c'est Renan qui a lancé cette boutade iconoclaste. Tout conservateur qu'il soit, son esprit critique lui joue parfois de sales tours. Les philosophes ne sont pas prêts à se laisser traiter en poètes. Il leur faut donc résister, faire la part du feu (laisser aux sciences naturelles, aux sciences morales, aux pensées politiques une bonne part de l'espace conquis) et reprendre du terrain, se raffermir, maintenir le lien vital avec la philosophia perennis et la pompeuse majesté de l'histoire des idées philosophiques depuis l'Antiquité. Il faut conserver à la philosophie un espace où elle soit souveraine et socialement révérée et prestigieuse. Comment construire cet espace et le défendre, telle est la question que se posent la plupart des philosophes.
Il se fait cependant que dans le champ même, il est apparu des « antiphilosophes », des transfuges dont l'objet de réflexion est la critique radicale des prétentions traditionnelles de la philosophie. Eugène de Roberty dans son essai sur l'Inconnaissable démontre avec un allègre cricitisme que le roi est nu, que la philosophie n'a cessé de vouloir défoncer avec de pures acrobaties verbales les limites du « connaissable », que, loin de transcender son époque et sa culture, elle n'a jamais été qu'« une forme élevée » de la « raison vulgaire » et du « savoir vulgaire »3. Roberty réfléchit au nom de la science des faits pour interdire aux autres philosophes de rajouter des « pourquoi » oiseux et imaginaires aux « comment » fermement établis par le travail scientifique. E. de Roberty marque l'aboutissement d'une dénégation philosophique des prétentions anciennes de la philosophie, ne réservant comme pars construens que le soin pour le philosophe de l'avenir de fonder une théorie de la connaissance, historique, relative et non spéculative. Il veut chasser définitivement le fantôme métaphysique y compris ses acolytes kantiens, morale transcendante et « connaissance pure ». Ce que Roberty nomme « métaphysique » recouvre tout le champ philosophique traditionnel. Les questions philosophiques, affirme‑t‑il, ne sont insolubles que parce qu'elles n'existent que « verbalement ». L'étude de la philosophie ne peut être que l'étude de son discours et n'ouvre que des problèmes de « grammaire » et de « lexique ». Roberty voit bien que l'agnosticisme néokantien n'est pas une critique des métaphysiques religieuses, mais la « dernière citadelle » du religieux : sa destruction présente dès lors, à son avis, « un intérêt de premier ordre ». Roberty passe pour un « positiviste », mais ce positiviste inclut Hegel et Comte dans la critique des grandes synthèses évolutionnistes comme relents métaphysiques : « les systèmes philosophiques ont vécu »4. Ce criticisme radical est le point ultime d'une déconstruction du métaphysique qui fait encore s'affronter en France une arrière‑garde d'« éclectiques » et de spiritualistes issus de Victor Cousin ; un groupe, dominant mais menacé, de néo‑kantiens plus ou moins matinés d'aristotélisme (Lachelier, Dauriac, Ravaisson, Renouvier) ; des « néo‑néokantiens » qui cherchent un compromis avec le positivisme et la méthode expérimentale (Fouillée, Guyau), des positivistes enfin qui achèvent le démembrement de la philosophie en lui réservant la seule « synthèse » des connaissances factuelles reçues des sciences, contribuant à la ruine de l'édifice agnostique‑moraliste construit par le néo‑criticisme. On aperçoit donc en synchronie la séquence globale de la déconstruction des métaphysiques, avec au bout le radicalisme d'un Roberty. Celui‑ci n'a peut‑être pas grand prestige (il publie cependant chez Alcan et reçoit ses comptes rendus éclectiquement élogieux), mais ce qu'il pense, avec quelques autres, présage la ruine de cette tradition dite « philosophique » qui va en effet d'Aristote à Lachelier. Le champ philosophique est entré dans l'ère du soupçon. Les Français qui ont lu Schopenhauer (en l'édulcorant cependant en pessimiste éthique et en une sorte de stoïque) ne connaissent pas encore Nietzsche – sauf un certain Arthur James qui le pille sans le citer dans À travers la morale : Honnête, plus qu'honnête (Bruxelles : Monnom). On y entend tout de même craquer l'édifice éthique kantien sous la poussée d'un nihilisme moral sans réserve : « Qu'est‑ce que la morale ? – C'est ce qui est dans les préjugés. » « Honnête homme, tu n'es qu'une canaille »5.
La citadelle philosophique est investie dans ses derniers refuges, ontologiques, éthiques, et les philosophiques eux‑mêmes sont divisés sur ce qu'il y a lieu de sauver. Chez les plus ternes des néo‑kantiens, il faut sauver seulement les « droits de l'esprit », les forces spirituelles, le libre arbitre individuel ! Tâche déjà fort difficile et au‑dessus de leur force. D'autres ont passé alliance avec les gens de laboratoire ; ils travaillent sur « l'activité mentale » ; les « automatismes psychologiques », l'« attention ». Ce sont T. Ribot, G. Tarde, F. Paulhan, Pierre Janet... Ils ont certes conquis un objet propre. La psychologie était une partie de la philosophie classique. Elle s'en est détachée et ils ont choisi d'embarquer, de ne pas rester à terre. Simplement qu'y a‑t‑il dans leurs travaux qui demeure proprement « philosophique » sinon une large part de conjectures personnelles ?
La philosophie française est en outre un appareil d'État, une institution scolaire et universitaire avec tout ce que cette situation comporte de routine, de conformisme, d'autocensure des curiosités oiseuses (de faible pénétration, et tardive, des influences étrangères). La position académique forte des néo‑kantiens, avec les chaires et les jurys d'agrégation, explique la belle morale civique et austère, le spiritualisme tempéré et prudent dont ils font montre. Philosophie d'un régime laïc, elle est conforme à ce que l'État républicain en attend. Les thomistes et autres philosophes chrétiens sont ailleurs, dans des institutions surveillées par l'appareil ecclésial. Sans doute, toutes les « idées » sont venues de l'étranger, avec Kant, Stuart Mill, Spencer, puis Schopenhauer, Hartmann, Wundt, Lange, mais ces idées philosophiques ont été adaptées à la routine académique française et édulcorées en conséquence. Quand A. Fouillée évoque la « Vie », la « Volonté », c'est dans un esprit de conciliation et de bonne volonté civique. Ses « idées‑forces », concept clé de sa pensée, résultent d'un compromis entre liberté de sujet kantien, vitalisme et évolutionnisme culturel vaguement hégélien.
La philosophie pérenne et les sciences
Le vieux Barthélemy Saint‑Hilaire, représentant attardé de l'école « électique », formule dans les termes les plus assurés la traditionnelle thèse de la pérennité de la philosophie, semper eadem sed aliter : « De l'Antiquité jusqu'à nous, la philosophie n'a pas changé de caractère. Au fond, elle est la même. [...] Nous n'avons rien à en retrancher, rien même à y ajouter. » Cette philosophie éternelle est toute européenne :
La Chine [...] n'a pas pu s'élever au‑dessus des essais les plus informes [...] Confucius et Lao‑Tseu figurent à peine parmi les philosophes [...] Quant à l'Inde elle est métaphysique à l'excès6.
Ce sentiment de permanence inaltérable des vérités philosophiques s'exprime avec aplomb dans les travaux historiques. Madame Jules Favre analysera Morale d'Aristote, ce « prodigieux génie » qui a une fois pour toutes « montré la vérité morale ». Il n'y a rien à reprendre dans sa pensée ni même rien à situer historiquement. Aristote a inscrit dans l'éternité des pensées définitives. Un tel sentiment d'intemporalité s'exprime également à travers le ton d'évidence assertive qui est celui d'une réflexion qui ne connaît ni le doute ni la relativité des notions. Ainsi de ces transitions typiques, chez Fouillée, dans L'Avenir de la métaphysique :
Du sujet moral, passons à l'objet de la moralité qui est le bien (p. 165).
Pendant les siècles modernes, l'adversaire naturel de la philosophie laïque a été la seule religion, « cette forme figurée et imaginative de métaphysique »7. « À toutes les époques la foi a exigé la soumission de la raison »8 ; la philosophique rationnelle a lutté victorieusement contre ses rêveries dogmatiques. Or, voici qu'un autre prétendant défie la souveraineté du philosophique, la science. La méthode positiviste, issue de Comte, systématisée par Taine, Claude Bernard et autres, est responsable de l'« ostracisme lancé contre la philosophie »9. Elle refuse à celle‑ci son rôle d'« inspiratrice, guide et tuteur vigilant de toutes les sciences »10. Elle fixe des limites à l'explication des Causes ; elle prétend produire elle‑même la synthèse de ses analyses ; elle bat en brèche le spiritualisme, coextensif à la philosophie selon Barthélemy‑Saint‑Hilaire.
Le matérialisme ajoute de nouveaux désordres à tous ceux qui menacent notre société ; il tarit les sources les plus vives de l'âme humaine. Les sciences se font ses complices par faiblesse et peut‑être aussi par un orgueil mal placé11.
Cette critique grondeuse cache mal le ressentiment et la position défensive qui est celle des spiritualistes. Si diverses que soient leurs démarches, elles se ramènent à ceci : emprunter aux sciences expérimentales beaucoup de données (ainsi Guyau dans Éducation et Hérédité use et abuse du psychiatre Feré, de Bernheim, de Binet, de Richet), mais réclamer pour le philosophe le privilège de l'explication synthétique finale. Cela pourrait s'exprimer comme une note diplomatique entre puissances ennemies. Le philosophe accepterait de « ne jamais usurper sur le domaine des sciences particulières » pourvu qu'on le laisse se « maintenir au point de vue du tout »12. La frontière serait facile à tracer : à la science les « comment », mais à la philosophie les « pourquoi » – « du reste la science connaît des Lois, choses impalpables et invisibles, qui ne sont à vrai dire que des fictions vraies, aléthnòn pseûdos ». La philosophie se réserve donc la critique de la science, qui ne peut aller sans connaissance de l'« essence » des réalités, niveau que le savant ne peut atteindre. La science produit des vérités, soit ; mais « il est des vérités par‑delà celles que la science nous découvre »13. C'est ce que les positivistes ne veulent pas voir. Le plaidoyer pro domo des philosophes repose sur « l'impossibilité pour la science de prétendre à l'explication définitive »14. L'explication définitive, le philosophe la fournira !
Cela se dit en d'autres termes encore : au savant l'analyse ; au philosophe, la synthèse (modèle tiré de la chimie, notons‑le). Dans cette synthèse, le philosophe apportera à l'analyse matérialiste, le supplément spirituel qui lui fait défaut. Il produira les « causes finales ». E. Vacherot le montre dans son Nouveau spiritualisme : la science expérimente et analyse, fort bien ; le philosophe « rend compte de l'ordre du monde » : ne sutor ultra crepidam ! La science part de l'expérience sensible, la philosophie, de l'expérience intérieure ; la science part de l'intuition des phénomènes, la philosophie de l'intuition de l'Être. On voit la hiérarchie... La philosophie est pour les sciences « un complément et un couronnement nécessaires : sans elle le savoir humain serait décapité »15.
Les sciences doivent tout à la philosophie. Quoiqu'elles soient peu reconnaissantes envers elle, c'est pourtant de la philosophie qu'elles tirent leur certitude16.
Au reproche d'ingratitude, Barthélemy Saint‑Hilaire combine lui aussi une promesse de bon voisinage : à l'heure qu'il est « la philosophie n'entre pas dans le ménage de la science [...], elle connaît trop bien ses propres frontières ». Peu importent les termes de l'armistice, pourvu que le savant reconnaisse que la connaissance philosophique est plus « élevée ». Elle l'est par nature, pour les néo‑kantiens, puisque le spirituel englobe, absorbe et domine le matériel :
La véritable philosophie est un réalisme spiritualiste, aux yeux duquel tout être est une force, et toute force une pensée qui tend à une conscience de plus en plus complète d'elle‑même17.
Déterminisme et libre arbitre
Il est un secteur de la philosophie auquel la science est invitée à ne pas toucher du tout : l'éthique. Il existe des savants positivistes ou darwiniens‑sociaux qui prétendent déduire une hideuse éthique des lois physiologiques et du « struggle for life ». C'est à cette usurpation qu'il faut mettre bon ordre. Ajoutons que chez les kantiens, il n'y a jamais loin de l'éthique à la reconquête du métaphysique : on conclut à l'existence d'une Loi transcendante par le besoin que j'en éprouve au fond de ma conscience. L'éthique dominante est éminemment puritaine et austère, la réfutation de tout hédonisme y occupe une grande place. Il s'agit d'une morale chrétienne laïcisée, centrée sur le sentiment du devoir, « conscience d'une certaine puissance interne, de nature supérieure à toutes les autres puissances ».
La « conscience morale » suppose cependant le libre arbitre et voici encore que la science encombrante vient mettre en péril cette notion axiomatique. La liberté morale est contredite par les nombreuses thèses déterministes, – biologiques ou sociales, – qui émanent du champ scientifique. Les philosophes doivent avoir recours ici à quelques acrobaties. Le Dr Lombroso défend, en anthropologie criminelle, un déterminisme congénital radical. L'École neurologique de Nancy en mettant de l'avant l'universalité de la suggestion, de l'hypnose, fait vaciller le principe « absolu » de la liberté morale. À chaque fois on voit les néo‑kantiens accuser le coup et chercher une esquive. L. Dauriac, dans Croyance et Réalité, rejette le déterminisme, pour affirmer un « libre arbitre temporel » qui est « moralement » indispensable. La pétition de principe qui fonde la morale sur la nécessité qu'on éprouve qu'elle soit fondée fonctionne encore très bien. C. Secrétan voit aussi le « danger » des thèses déterministes. Il critique l'école de Wundt à Leipzig, avec la même pétition de principe : il serait « criminel » d'élever un doute sur le postulat du libre arbitre, car seul il détermine la « croyance au devoir » !18. Comme il ne peut nier tout déterminisme, il propose un plaisant compromis :
Il faut donc conclure en faveur du déterminisme mais d'un déterminisme éclairé...
Tout le débat (si l'on peut user de ce terme dans ce contexte) repose sur l'opposition esprit/matière. La matière, inerte, ne peut « fonder » la vie, le mouvement, la pensée. Les philosophes allemands et anglais, constate Barthélemy Saint‑Hilaire, ont « glissé » du scepticisme kantien au matérialisme athée. Les Français ont résisté. « Ce n'est donc pas céder à une vanité patriotique que d'affirmer que, au XIXe siècle, c'est encore la philosophie française qui a le mieux mérité de l'esprit humain. » Ce mérite de la philosophie française, Barthélemy Saint‑Hilaire redoute qu'il ne s'estompe car la « pente fatale » du matérialisme attire les philosophes dévoyés. La science positive et les quelques philosophes qui se sont faits ses alliés n'affirment ni ne nient le « spirituel ». Ils font pire : ils prétendent qu'il ne suffit pas qu'un problème puisse se formuler pour qu'il soit « connaissable », qu'il y a des limites spéculatives que le philosophe ne cesse de franchir témérairement19.
La « pente irrésistible » : de l'éclectisme au positivisme
Le champ philosophique français récapitule en synchronie son évolution au cours du siècle sur la « pente » du matérialisme positiviste. On pourrait en parler en termes parlementaires : on y voit une droite « éclectique » de disciples attardés de Victor Cousin ; un centre néo‑kantien ; un centre‑gauche qui avec Fouillée et Guyau cherche à marier kantisme, évolutionnisme et méthode expérimentale ; siégeant quelque part sur la « montagne », Pierre Laffitte et les disciples doctrinaires du positivisme comtien ; une extrême‑gauche antispiritualiste enfin de philosophes reconvertis dans la psychologie « scientifique »... Au‑delà de ce système quasi parlementaire, le « bruit de la rue » apporte la rumeur vague mais menaçante du « matérialisme historique » et du « nihilisme ».
De l'école de Victor Cousin qui a régné officiellement et sans partage sur l'Université jusqu'en 1870 environ, il ne reste que Barthélemy Saint‑Hilaire et d'autres « vieux messieurs » comme Étienne Vacherot qui livre son testament philosophique, Le Nouveau spiritualisme (guère nouveau : « l'expérience intime » atteint « le noumène, l'absolu », donc au lieu de dire « tout est matière, c'est tout est esprit qu'il faut dire »). L'éclectisme règne encore dans les sphères républicaines officielles avec la philosophie verbeuse et bénisseuse de Jules Simon.
Les néo‑kantiens tiennent le haut du pavé académique ; ils ont tiré de Kant des philosophies individualistes (les sociétés sont des compositions d'individus) et diverses métaphysiques déduites à l'évidence morale. Lachelier, Ravaisson, Renouvier et le Suisse Charles Secrétan appartiennent avec diverses nuances à ce courant néo‑criticiste qui l'a emporté sur l'exsangue éclectisme. Pour tous ces philosophes officiels, l'héritage de Kant, c'est le libre arbitre, l'antidéterminisme, la transcendance déduite du sentiment moral. Le plus influent est Renouvier, produit de l'esprit républicain libéral de 1848, dont l'individualisme rationnel fonde philosophiquement la méfiance à l'égard des empiètements de l'État. Il y a chez Renouvier une philosophie de l'histoire qui transpose en doctrine la propagande républicaine : l'histoire est celle du Progrès moral : elle réalise l'effort de l'être moral pour se débarrasser de la servitude (celle des rois et des prêtres) avec pour but l'établissement d'États démocratiques, protecteurs de l'Individu. La philosophie de Renouvier est un exemple éclatant de transposition d'une idéologie de la classe régnante, propriétaire de la « juste raison » et propriétaire tout court, en une ontologie20. Directeur de La Critique philosophique, Renouvier occupe une position de pouvoir de premier ordre qui n'a d'égale que celle de son collègue Ravaisson qui préside le jury de l'agrégation de philosophie.
Charles Secrétan (1815‑1895), protestant lausannois très marqué par Kant, est peut‑être le plus original, car il a orienté ses écrits vers ce à quoi les autres philosophes se gardent de toucher : le social. Moraliste, Secrétan prétend faire aller de pair « la réforme sociale et la réforme morale »21. Il faut sauver la Civilisation par le retour à la croyance. Le Dieu de Kant doit protéger la « communauté morale » du péril socialiste. C'est ainsi que le lit le Journal des Débats :
Nous avons besoin de croire à ce Dieu de la conscience sans lequel notre démocratie pourrait finir par tomber dans une fange sanglante22.
C'est simplifier un peu le message de Secrétan. Le XIXe siècle, « siècle de l'ouvrier », combine deux courants, un qui va vers la vie, l'autre « mortel ». Le salut est dans une entente entre les classes et le « progrès intellectuel et moral des individus », mais il semble que les « populations souffrantes » ont de la peine à s'assimiler cette idée et croient au succès possible de la violence, illusion à corriger23 ; pour cela il faut se faire écouter, instruire les masses, « préciser l'idée du devoir » car « les freins moraux subsistent seuls ». Sauver la « Civilisation », sobriquet sublime des privilèges des classes dominantes, c'est bien à quoi visent tous ces néo‑kantiens de Ravaisson à Renouvier mais seul Secrétan ne touche pas en termes trop éthérés à l'analyse des « périls » qu'offre la conjoncture. Alfred Fouillée, futur promoteur avec son disciple Léon Bourgeois du « solidarisme », sera le philosophe des radicaux comme Renouvier l'aura été du « centre‑gauche ». Chez lui la métaphysique feint de se subordonner à un évolutionnisme social. Dans l'Avenir de la métaphysique fondée sur l'expérience, Fouillée admet la « crise » de l'éthique et de la métaphysique. Lui aussi s'en prend à l'« exclusivisme » des sciences. L'idéal est un fait de la conscience, il y exerce une influence directe, nous pouvons donc poser un « idéalisme immanent » comme toute philosophie du sujet doit et ne peut que l'être. Grand « conciliateur » (c'est son mot), alors que ses prédécesseurs rabrouaient les sciences, Fouillée a trouvé qu'on peut réintégrer toutes les idées du temps, de Kant à Auguste Comte, en un front commun contre l'ennemi véritable, l'historicisme matérialiste :
Faire rentrer le plus possible la métaphysique même dans la philosophie positive, dans la cosmologie et la psychologie scientifiques par le moyen terme des idées‑forces24.
On voit que toutes les philosophies reviennent à négocier des alliances, sous la pression d'une conjoncture menaçante, et à transposer en un langage de l'aséité et de la nécessité les « idées vulgaires » et les mentalités des classes pourvues de capitaux sociaux. Le beau‑fils de Fouillée, Jean‑Marie Guyau mort par accident en 1888, avait esquissé une œuvre prometteuse, un pas de plus en avant vers une conciliation des paradigmes dominants, néo‑kantisme combiné au positivisme évolutionniste dont témoigne Éducation et Hérédité. Hérédité et non‑innéité du sentiment moral, voici pour Darwin corrigeant Kant. Là‑dessus, du verbiage de Lebensphilosophie anticipant sur Bergson (à qui nous allons arriver) :
La tendance de la vie à la plus grande intensité interne et à la plus grande expansion est inhérente à la vie même. C'est le ressort initial...25.
Guyau glisse de la philosophie dans des données sociologiques. Il accélère le délitement de la philosophie « pure » mais contamine d'« idées » philosophiques les « savoirs » sociologiques, eux‑mêmes construits sur une métaphore organiciste. Il préfigure un certain « empire du sociologue » et son Art au point de vue sociologique est la limite a quo des sociologies littéraires de type lukácsien.
Le positivisme de Comte a éclaté. Lagarrigue et quelques sectateurs maintiennent une « Religion positiviste » groupusculaire, tandis que Pierre Laffitte continue à développer au grand jour la Philosophie première de son maître. Du positivisme, amalgame des sciences et de la philosophie en un corps de doctrine « total », combiné à la pensée de Spencer qui avait la même ambition synthétique, on en retrouve partout, – éclaté et diffus, – comme composant l'idéologie légitimante collective des différents secteurs scientifiques. L'évolutionnisme comtien avec sa vision de la « systématisation positive finale » se combine au darwinisme social, au paradigme « organiciste » et à l'hypothèse déterministe pour produire un regroupement, une convergence des activités scientifiques. Ce « positivisme » fait entrer les philosophes qui s'y prêtent dans une nouvelle alliance qui regroupe médecins, spécialistes des sciences naturelles et sociologiques. Cette alliance s'accomplit aux dépens du sublime isolement du champ philosophique. Les néo‑kantiens ne se lassent pas de dénoncer la trahison et le recul, à leurs yeux, que comporte l'adhésion à « ces hypothèses évolutionnistes qui ne sont que le déguisement scientifique de la plus vieille des métaphysiques dont on pouvait croire que le criticisme kantien avait fait justice »26. Les positivistes, fascinés par la science, ont abandonné, aux yeux de Renouvier, la vraie philosophie sans même s'en rendre compte. L'enjeu unique du discours philosophique, nous le disions en débutant, est de débattre de la place même et de la particularité du philosophique. Les positivistes pour la plupart font de la « psychologie expérimentale ». Ils prétendent localiser, mesurer, expliquer physiologiquement le fait psychique. Renouvier et ses pareils voient dans ce « matérialisme » la fin de la philosophie. Bergson (nous y venons à la fin du chapitre puisqu'il vient offrir une cure de jouvence à l'idéalisme épuisé) ne dira pas autre chose, mais mieux : la « psycho‑physique », comme il la désigne avec mépris, ne connaît pas l'âme parce qu'elle dérive de la « confusion de la durée avec l'étendue, de la qualité avec la quantité »27. Il n'y a rien de commun entre un phénomène de conscience et un état physique. Bergson ne dira que cela, mais avec un langage moins poussiéreux que celui de Ravaisson, son maître. Cela lui permettra de relancer le verbiage spiritualiste pour une quarantaine d'années.
Sans doute, les psychologues positivistes se leurrent quand ils croient avoir jeté par‑dessus le spectre métaphysique. Ils croient toujours au « sens moral » ; ils se bornent à en chercher assidûment le siège physiologique28. Bergson, Dilthey et les néoidéalistes chercheront à mettre sous le boisseau cette psychologie positiviste bâtarde qui s'en prend à l'« âme » munie d'instruments de mesure. Elle domine à la Revue philosophique de la France et de l'étranger, dirigée par Théodule Ribot. On y travaille l'hypnotisme, la suggestion, la physiologie du cerveau. La philosophie n'y prétend qu'à la synthèse des sciences phénoménales. Broca, Janet, Binet, Dunan y collaborent. François Paulhan dans son Activité mentale offre un échantillon typique de cette idéologie en porte à faux entre le spéculatif et l'empirique. L'« esprit » est composé d'« éléments psychiques » qui, par la « loi d'association », tendent à s'unir avec d'autres éléments psychiques pour accomplir une fin commune et, corrélativement, par la « loi d'inhibition », empêchent les éléments qui ne sont pas susceptibles de concourir à cette fin de se développer. Paulhan aboutit à un modèle plural du psychisme où la « synthèse active », intelligence et volonté, relève d'un métapsychisme régulateur. Dans ce travail de conjectures, c'est l'unité du moi qui est rendue problématique. La « personnalité » n'est qu'une construction secondaire de tendances dominantes. Elle se construit à travers une sorte de « concurrence vitale » des tendances intrapsychiques. Avec beaucoup de tâtonnements, les psychologues détruisent en effet l'illusion cartésienne. Malgré d'innombrables rémanences de vieilleries philosophiques29, les théories de Paulhan, Beaunis, Pierre Janet, Ribot, avec leurs contradictions et hésitations, sonnent le glas des philosophes de la conscience et de la transcendance.
Enfin Bergson vint...
Le vieux Barthélemy Saint‑Hilaire semblait avoir eu raison dans ses angoisses. Le philosophe, ayant quitté la citadelle du spiritualisme pur avait glissé sur la pente du « matérialiste » ; il avait laissé déchirer la tunique sans couture du discours philosophique. De l'Esprit, de l'Âme, de l'Individu, de la Liberté, il ne restait que des haillons informes. Cependant le jeune Bergson qui publie en 1889 sa thèse, Essai sur les données immédiates de la conscience vient sauver l'intégrité de la philosophie compromise. Pour cela, il faut refuser aux déterministes, aux sciences expérimentales, à la psycho‑physiologie matérialiste toute voix au chapitre.
Ils n'ont pas à toucher de leurs mains impures la Conscience, c'est‑à‑dire la « durée » et la « qualité » eux qui ne connaîtront jamais que le spatial et le quantitatif. Admirable opposition verbale ! (mais il n'est guère besoin, après Benda et Politzer de rappeler que Bergson sauve la philosophie par le triomphe absolu du verbalisme). Le texte de Bergson appelle une analyse rhétorique. Débats truqués où l'auteur prétend tirer ex concessis des apories chez ses adversaires, qui ne découlent que de définitions aberrantes et de présupposés non débattus. Interdits oratoires : que les positivistes ne touchent pas à « l'inétendu » (mais qu'est‑ce que l'inétendu ?). Tactique sophistique qui consiste à susciter un adversaire naïf pour le réfuter plus aisément : « Nous nous représentons une plus grande intensité d'effort, par exemple, comme une plus grande longueur de fil enroulé. » Qui est ce « nous » ? Abus de mouvements oratoires : « Il ne nous appartient pas de prendre position dans le débat... » (p. 18) « Nous voici donc amenés à définir... » (p. 19). « Peut‑être la difficulté de ce problème tient‑elle surtout... » (p. 21). Après quoi, Bergson procède comme s'il avait démontré ou comme si le point était concédé. Il substitue régulièrement à l'argumentation, l'exclamation oratoire :
Comme si l'on pouvait encore parler de grandeur là où il n'y a ni multiplicité ni espace (p. 7).
Tous les éléments évaluatifs sont des métaphores chez lui et reposent sur les lieux communs éculés de la conversation mondaine :
L'idée de l'avenir, grosse d'une infinité de possibilités, est donc plus féconde que l'avenir lui‑même, et c'est pourquoi l'on trouve plus de charme à l'espérance qu'à la possession (p. 7).
Il n'est question que de « sensations rafraîchies », de « sentiments profonds » et de je‑ne‑sais‑quoi, « un élément psychique irréductible qui... » La verbosité et l'enflure du style sont constantes :
... de notre durée réelle et concrète, de la durée hétérogène, de la durée vivante (p. 181).
Bergson est un malin qui emprunte le vocabulaire des positivistes pour y couler ses spéculations floues : « ... ainsi se forme par un véritable phénomène d'endosmose, l'idée mixte d'un temps mesurable ». Il y a une thèse centrale dans son fameux ouvrage, à savoir que la « durée concrète » n'est pas faite d'une succession de moments mesurables discrets. Comme on ne peut la démontrer, la thèse est répétée en variations jusqu'à satisfaction du lecteur. « Mais nous éprouvons une incroyable difficulté à nous représenter la durée dans sa pureté originelle » (p. 80). Tout l'ouvrage est fait, somme toute, de mouvements incantatoires et d'inductions subreptices (Benda montrera cela très bien). Mais Bergson retrouve tout le conceptuel des néo‑kantiens menacé par la science : le « moi fondamental » immergé dans la « durée au‑dedans de nous » qui n'est aucunement le « moi social », la liberté de for intérieur (« agir librement c'est reprendre connaissance de soi, c'est se replacer dans la pure durée ») et la réfutation du déterminisme odieux qui « perd ici toute espèce de signification » (p. 181).
Bergson sauve les meubles. La philosophie n'avait rien de bon à tirer des sciences. Elle va s'en instituer (cela marchera jusqu'à Heidegger inclusivement) le challenger vitaliste et irrationnaliste. La philosophie de l'élan vital sera la version française, au charme discret, de la Volonté schopenhauerienne. Bergson partage avec Descartes mais aussi avec les phénoménologues et existentialistes à venir l'idée de l'intuition immédiate comme critère de vérité. On verra un effet de conjoncture dans ces « reconquêtes » simultanées de la vie intérieure, en littérature, en philosophie et dans d'autres secteurs de la doxa.
Charles Dédeyan (1972), le proclame (et nous serons d'accord avec un grain de sel) : l'Essai sur les données immédiates, c'est « le plus grand événement philosophique de la fin du siècle ». Les évolutionnistes, les socio‑darwiniens voulaient aussi, à leur façon, sauver la civilisation en armant de mandats et de convictions les classes dirigeantes mais ils en étaient venus à mettre en péril la « sphère du spirituel » ; ils croyaient pouvoir s'en débarrasser avec un zèle inquiétant. Dans l'angoisse fin‑de‑siècle, devant la déstabilisation des territoires symboliques, un gros effort d'idéalisation était attendu de la philosophie. Bergson est, de ce point de vue, un « événement ». Le champ philosophique sous son règne va retrouver un peu de sérénité et d'harmonie tandis que les sciences sociales vont s'établir dans une relative autonomie à l'écart des impératifs philosophiques30.
Notes
1 Barthélemy Saint-Hilaire, La Philosophie dans ses rapports avec les sciences et la religion, p. 3
2 Dauriac, Croyance et réalité, XIII.
3 Roberty, L'Inconnaissable, p. 17.
4 Ibid., p. 12.
5 James, À travers la morale, X et p. 5.
6 Barthélemy Saint-Hilaire, p. 17.
7 Fouillée, in Guyau, Art au point de vue social, VII.
8 Barthélemy Saint-Hilaire, III p. 114.
9 d°, p. 37.
10 Journal des élèves de lettres, 2 : p. 74.
11 P. 3.
12 Fouillée, Avenir de la métaphysique, p. 5.
13 Dauriac, Croyance et réalité, XIV.
14 d°, XVII.
15 Barthélémy Saint-Hilaire, p. 59.
16 d°, p. 68.
17 Dauriac, XXII.
18 Cité, F. Bernard, Nouvelle revue, p. 1124 et p. 1125.
19 Roberty, p. 14 et p. 15 :
« Pour ne parler que des temps plus rapprochés, et des courants les plus remarquables de la pensée moderne, n'est-il pas permis de se demander si la majeure partie de l'œuvre de Kant et de tous ses disciples, n'est pas une vaste, une interminable théorie de l'inconnaissable ? Qu'est-ce encore que la moitié de l'œuvre de Spencer, sinon une théorie, extrêmement prolixe, sur le même sujet ? Qu'est-ce, enfin, qu'une part notable de l'œuvre de Comte, sinon toujours et quand même une profession du grand principe agnostique ? Tous, depuis les vieux et naïfs poseurs d'énigmes sur la nature de l'air et du feu, jusqu'aux esprits inconsciemment religieux de notre époque, s'arrêtent au seuil même de la théorie de la connaissance, n'y pénétrant que fortuitement, par hasard, et pour en ressortir aussitôt. La plupart des problèmes de la philosophie - et particulièrement ceux qu'on ne laisse circuler dans le public qu'avec l'épithète préventive de "grands" ou de "formidables" - se rangent d'eux-mêmes sous une seule rubrique, car ils ne sont que des variétés, des manières d'être différentes de l'unique et toujours insoluble question. En somme, si on a souvent répété que la philosophie n'était qu'une théorie de la connaissance, on n'a pas assez dit que cette théorie s'occupait très peu des conditions de la connaissance, et qu'elle était, avant tout, la théorie de l'inconnaissable ».
20 Voir Cavallari, Giovanna, Charles Renouvier, filosofo della liberalde-mocrazia, (Napoli : Jovene, 1979).
21 Études sociales, p. 317.
22 C.R., E. de Pressensé, de La Civilisation, Débats, 26.4.
23 Civilisation, republ. 1889, p. 186.
24 P. XIV.
25 P. 78.
26 Renouvier, Critique philos., 4 : p. 197.
27 Essai sur les données..., 1, VIII.
28 « Personne n'a jamais pu démontrer le sens moral ni son siège, ses limites, et cependant tout le monde l'admet comme une faculté réelle et distincte. »
« Il est plus logique d'admettre qu'il est distinct, séparé et que son siège, pour être inconnu et latent, comme celui de la mémoire, n'en est pas moins réel et sera découvert et fixé un jour aussi positivement que celui de la parole » (Dr Garnier, Anomalies, p. 36).
29 Paulhan, tome III, volume II, chapitre 1, par exemple :
« L'esprit est harmonie. C'est l'harmonie en effet, la finalité, la systématisation que nous avons trouvée partout dans l'esprit et reconnue pour le caractère le plus important de l'activité mentale... »
30 Je ne dispose pas de l'espace nécessaire pour situer dans la conjoncture un autre « moraliste » d'avenir, Georges Sorel qui publie son premier ouvrage, Le Procès de Socrate. En prenant parti pour les juges de l'aréopage contre Socrate, l'« intellectuel » nationaliste et cosmopolite, Sorel fait paraître une forme de pensée dont l'évolution « au-delà du marxisme » vers la politisation des mythes héroïques ne saurait surprendre.