Reportages

Présentation

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GUILLAUME PINSON et MÉLODIE SIMARD-HOUDE

Le lecteur ou la lectrice d’un journal quotidien, à la fin du XIXe siècle, y trouvait un éventail de formes narratives qui, de la plus condensée à la plus longue, racontaient le monde1. À côté des « nouvelles à la main », des échos et des faits divers, autant de microrécits médiatiques2 mettant généralement en scène un cadre spatial assez rapproché du lecteur, le reportage constitue un récit plus ample, tant par sa longueur substantielle que par la circonférence géographique qu’il embrasse.

En effet, dans les premières décennies du XXe siècle, il n’est pas rare que le reportage se déploie, au fil des jours et des semaines, dans des séries de 10, 12, voire 15 livraisons. Plusieurs reporters, notamment ceux qui publient leurs enquêtes en volume, se voient dotés d’un prestige symbolique, tant dans le monde de la presse que de la littérature. De plus, en tant que récit dont l’exotisme est l’un des principaux ressors – qu’il s’agisse de représenter les lointains géographiques ou les profondeurs de la société –, le reportage hérite de plusieurs topiques du roman-feuilleton populaire, qu’il décline dans le registre des faits vrais. En ce sens, il n’est pas exagéré d’y voir un feuilleton moderne qui, tout en mariant visée informative et divertissement, cherche à produire chez son lecteur des émotions fortes telles que la curiosité, la pitié, l’indignation ou l’admiration.

Relire aujourd’hui les reportages du passé, et ce, non en volume mais à même le support de presse, donne ainsi le sentiment d’accéder à la mise en récit foisonnante et souvent captivante de diverses questions sociales, politiques ou culturelles, autrefois à l’ordre du jour. Plongée dans une époque, cette lecture est parfois aussi immersion dans une aventure, celle-là même que le reporter vit sur le terrain puis relate dans les pages de son journal.

L’anthologie qui suit invite le lecteur à redécouvrir quelques-uns de ces récits journalistiques en fournissant à leur sujet certaines clés de lecture. Les reportages qui la composent, parus entre les années 1870 et 1950, ont été choisis de manière à illustrer une diversité de sujets, de postures de reporters et de déclinaisons poétiques du reportage. Tous les reporters qui figurent dans cet ensemble ne sont pas d’égale notoriété : à côté de Guy de Maupassant, de Colette ou de Joseph Kessel, on trouvera des noms à peu près inconnus tant de l’histoire littéraire que de l’histoire de la presse, à l’instar de ceux de Gisèle de Biezville ou de Lucien Van Costen.

C’est dire que la pratique du reportage narratif outrepasse alors de loin le cercle des écrivains-reporters reconnus ; elle se retrouve, en France, à peu près dans tous les journaux et périodiques faisant place à l’information. À l’heure où le journalisme narratif connaît sans contredit un renouveau dans le monde francophone, à la faveur de supports qui lui sont dédiés, tels les périodiques Feuilleton et Revue XXI, il semble pertinent de donner à relire quelques reportages francophones3 du passé, qui peuvent éclairer, à la fois par contraste et en vertu de certaines continuités4, le retour du reportage littéraire aujourd’hui.

Cette anthologie a été préparée par des étudiantes et étudiants de cycles supérieurs de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans le cadre de deux séminaires ayant abordé l’histoire littéraire de la presse. Nous les avons accompagné·es dans ce qui, pour la plupart, constituait un tout premier contact avec la presse ancienne, ses acteurs, son langage et ses formes. Nous les remercions vivement d’avoir accepté de collaborer à ce projet.

Notes


1 Le récit, sous toutes ses formes, prend une place accrue dans la presse au fur et à mesure que l’on avance dans le XIXe siècle, note Alain Vaillant (« Écrire pour raconter », dans Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau monde éditions, 2011, p. 773-792).

2 Voir Marie-Ève Thérenty et Guillaume Pinson (dir.), Microrécits médiatiques. Les formes brèves du journal, entre médiations et fiction, Études françaises, vol. 44, no 3, 2008, URL : https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2008-v44-n3-etudfr2544/.

3 L’anthologie rassemble principalement des reportages français, mais on y trouvera aussi un reportage québécois. La seule condition pour y figurer était que le texte soit numérisé et disponible en libre accès.

4 C’est une telle relecture contrastée entre un hebdomadaire de reportage des années 1920-1930, Vu, et un « mook » de journalisme narratif, XXI, que propose Myriam Boucharenc (« De Vu à XXI. Coup d’œil dans le rétroviseur du reportage », dans Audrey Alvès et Marieke Stein (dir.), Les mooks. Espaces de renouveau du journalisme littéraire, Paris, L’Harmattan, coll. « Communication et civilisation », 2017, p. 95-106).

Pour citer ce document

Guillaume Pinson et Mélodie Simard-Houde, « Présentation », Médias 19 [En ligne], Dossier publié en 2023, Mise à jour le : , URL: https://www.medias19.org/textes-du-19e-siecle/anthologies/reportages/presentation